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1254. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre I. Le broyeur de lin  (1876) »

Au moral, il est permis de dire ce qui n’est pas vrai au physique : quand les creux d’une coquille sont très profonds, ces creux ont le pouvoir de reformer l’animal qui s’y était moulé. […] J’ai toujours pensé que c’étaient les vrais nobles. […] La vraie poésie d’un tel amour, c’est la chanson de printemps du Cantique des Cantiques, poème admirable, bien plus voluptueux que passionné. […] Elle serait toujours privée de lui, c’est vrai, mais l’impossible est l’impossible ; elle se serait approchée de lui autant que c’était permis. […] On pouvait donc contester l’aliénation mentale ; en outre, l’explication vraie était si bizarre, si incroyable, qu’on n’osait même pas la présenter.

1255. (1904) En méthode à l’œuvre

Il en est, il est vrai, de notre génération ou même d’une précédente, qui peut-être du heurt avertisseur (et qui doit à nouveau éveiller les dons prophétiques) dont les sommèrent les Sciences nouvelles, oui, sentirent qu’ils devaient des données du monde et de l’homme, dans l’Intellect. […] *** Mais (de quelques mots sur l’Expression poétique et les métriques), il est heureux de dire que presque partout une intuition, une spontanéité plus qu’une attention demeurée latente, sut plus ou moins apporter la vraie expression poétique, — don rare, d’ailleurs, qui n’est point l’expression proprement dite ou descriptive, non plus qu’allégorique : mais suggestive, qui doue le réel de prolongement dans le rêve, dans le non-perçu, et, à son degré conscient, rend participante du Tout universel toute partie de l’Œuvre poétique. […] Nous hâtant de protester que pareil rêve normalement surgi, d’un esprit qui trouverait sous les Apparences et dans leur relativité le Vrai et l’Immuant, n’est qu’un songe : l’évolution de la Matière, nous le vîmes, ne pouvant avoir sa Fin, — qui serait son principe su ! […] Mais le plus douée d’universalité ne l’est-elle, qui, de la Matière sensitive et sentimentale ou seulement agitée de l’éternelle propension d’inorganiques Forces, l’interprète, imite et suggère et s’épand en immatérialité sans pouvoir se résoudre autrement qu’en un immense cri, — que par ce, qu’était ignoré le vrai sens de la Parole : instrument le plus multiple d’instruments dont, idéale réalisation de la Matière, imite et suggère, et délimite, articule et prononce, la pluralité pensante. […] (Ainsi avons-nous dit nous-même, la nécessité pour la Poésie de procéder par suggestion, selon le vrai sens poétique.)

1256. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Romans et nouvelles » pp. 3-80

Ils ne comprennent pas que pour un curieux de ma sorte, un enthousiaste, un fanatique de style qui se trouve content et satisfait, si par hasard il rencontre en quelque tarte narbonnaise, un mot vrai, un mot trouvé, le commun des lecteurs, le commun des martyrs, rassasié de ces folies du style en délire, aussitôt les rejette et n’en veut plus entendre parler, une fois qu’il a porté à ses lèvres ce breuvage frelaté où se mêlent sans se confondre les plus extrêmes saveurs. […] Préface de l’édition illustrée (1875)5 Renée Mauperin, est-ce le vrai, est-ce le bon titre de ce livre ? […] Le public aime les romans faux : ce roman est un roman vrai. […] Car seuls, disons-le bien haut, les documents humains font les bons livres : les livres où il y a de la vraie humanité sur ses jambes. […] cette année, je me suis trouvé dans une de ces heures de la vie, vieillissantes, maladives, lâches devant le travail poignant et angoisseux de mes autres livres, en un état de l’âme où la vérité trop vraie m’était antipathique à moi aussi !

1257. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Victor Hugo »

Des réclamiers splendides, il est vrai ! […] Je la crus vraie. […] Lui, le tendu, l’ambitieux, le Crotoniate fendeur de chêne et qui y reste pris, a dans le rythme la grâce vraie et jusqu’à la langueur. […] un poème épique… Être le poète épique de la France, telle était pour moi, et j’y reviens malgré moi, la vraie destinée de Victor Hugo ! […] C’est brutal aussi, il est vrai, mais c’est précisément cette brutalité que l’habileté est de faire disparaître.

1258. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — II. (Fin.) » pp. 180-203

J’indiquerai quelques-uns des passages principaux de ce portrait du beau-père par le gendre, en faisant remarquer qu’il est anonyme dans le Recueil de Lassay et qu’on n’y avait pas encore mis le vrai nom : M. le Prince n’a aucune vertu ; ses vices ne sont affaiblis que par ses défauts, et il serait le plus méchant homme du monde, s’il n’était pas le plus faible. […] Lassay qui, à la mort du prince de Conti, donna sur lui le mémoire qui servit à l’Oraison funèbre prononcée par Massillon (1709), en a tracé un autre portrait ou caractère beaucoup plus vrai, ce me semble, et plus réel, quand ce prince vivait encore. […] Lassay était de ces esprits tempérés, bien faits et polis, que l’usage du monde a perfectionnés en les usant, qui ont peu d’imagination, qui n’ajoutent rien aux choses, et qui prisent avant tout une observation juste, une pensée nette dans un tour vif et concis : « Un grand sens, disait-il, et quelque chose de bien vrai renfermé en peu de paroles qui l’expriment parfaitement, est ce qui touche le plus mon goût dans les ouvrages d’esprit, soit en vers, soit en prose. » Il n’allait pas pourtant jusqu’à la sécheresse, et il tenait à rester dans le naturel ; il croyait que les choses qu’on dit ont quasi toujours chance de plaire quand elles sont plutôt senties que pensées : « Il y a des gens qui ne pensent qu’à proportion de ce qu’ils sentent, observait-il ; et il semble que leur esprit ne sert qu’à démêler ce qui se passe dans leur cœur : ces gens-là, qui sont toujours vrais, ont quelque chose de naturel qui plaît à tout le monde. » Chamfort, qui prête quelquefois de son âcreté aux autres et qui est homme à la glisser sous leur nom, a écrit dans ses notes : « M. de Lassay, homme très doux, mais qui avait une grande connaissance de la société, disait qu’il faudrait avaler un crapaud tous les matins pour ne trouver plus rien de dégoûtant le reste de la journée quand on devait la passer dans le monde. » On ne voit rien ou presque rien dans ce que dit et dans ce qu’écrit Lassay qui soit en rapport avec une si amère parole54. […] En vieillissant, il était, il est vrai, fort las du monde, ou du moins il le disait volontiers, mais il y revenait sans cesse : « On méprise le monde, et on ne saurait s’en passer. » Il reconnaissait que, pour un homme qui en a pris le train et l’habitude, c’était encore la meilleure manière d’être que de ne pas s’en séparer trop longtemps. […] Lassay put connaître La Bruyère à l’hôtel de Condé ; il est un de ses disciples pour l’observation vraie ; il en a le fond, sinon le relief : Mon étoile bien plutôt que mon goût, dit-il dans une lettre à une femme, m’a conduit à vivre avec des princes, connaissant qu’ils sont encore plus imparfaits que les autres hommes ; car, n’étant pas nécessités à se contraindre, ils se laissent aller à toutes leurs mauvaises inclinations.

1259. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « M. Boissonade. »

On se donne l’air, il est vrai, de vouloir réfuter M.  […] Boissonade (et c’est un reproche qu’on lui a fait) s’adressa à des Grecs des temps postérieurs, à des compilateurs sans originalité, à des rhéteurs ou à des sophistes de second et de troisième ordre, et il se confina, il se cantonna exclusivement dans cette classe obscure d’auteurs inédits., laissant de côté (au moins dans ses publications et en tant qu’éditeur) les grands écrivains et les vrais classiques. […] Boissonade donna certainement la mesure de son savoir en grec aux vrais érudits ; mais il limitait par avance son action et son influence, il circonscrivait sa portée.  […] Il venait quelquefois à cheval faire sa leçon (je le répète comme on me l’a dit) et s’en retournait au galop ; mais, si le fait est vrai, cela doit remonter à un temps très ancien. […] Je serais ingrat si je ne disais que, dans ce portrait où j’ai tâché d’être ressemblant et de me tenir avant tout dans la ligne du vrai, j’ai beaucoup dû à un successeur et à un ami de M. 

1260. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres de Virgile »

Mais, quelles que soient la sévérité et l’exigence qu’apportent les nouveaux venus dans la recension des textes et dans l’épluchure des moindres scolies, il me semble que tous sont encore virgiliens, en ce sens qu’ils ne se mangent pas trop entre eux et qu’ils ne font pas comme les homérisants qui, quand ils s’en mêlent, ont de vraies querelles à mort, des colères d’Achille et d’Ajax. […] Est-il donc vrai qu’en enseignant les éléments on se soit ainsi laissé si fort arriérer par rapport à la science ? […] Au moment où ils rencontraient l’Apennin, nous étions inondés d’un déluge de pluie, qui, remplissant d’abord les fossés d’irrigation et d’écoulement ainsi que les chemins, faisait des champs situés entre la montagne et la mer de vrais lacs ; puis les nombreux ruisseaux que la route traverse grossissaient à vue d’œil et à grand bruit. […] Il dit aux deux bergers qu’ils méritent chacun le prix, et il prend sur lui d’ajouter que quiconque appartient à la catégorie des vrais amoureux et y a fait ses preuves méritera également le prix. […] Tout cela est vrai, mais il n’est pas moins vrai que la beauté du vers célébré chez Virgile est empruntée d’Homère, qu’elle est empruntée et pour la pensée et pour la forme, mais empruntée d’une certaine manière qui n’est pas directe, qui n’est pas vulgaire, que Virgile seul a su introduire, et dont il vaut la peine de remettre ici sous les yeux une entière explication.

1261. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres mêlées de Saint-Évremond »

C’est d’eux qu’il est vrai de dire, comme dans Homère :      Saint-Évremond a surtout de la délicatesse. […] Il est bien vrai que, lorsque, plus tard, on présenta à Saint-Évremond, retiré en Angleterre, cet ancien opuscule sur l’Amitié, imprimé avec d’autres, il refusa d’y reconnaître ce qu’il avait pu écrire primitivement, et il crut y voir des altérations de sa pensée ; mais il n’en avait pas moins pour cela écrit quelque chose de très-approchant, et M.  […] N’en prenez sujet ni de louange ni de reproche : son humeur est ainsi ; il a reçu en naissant ce qu’on appelle un naturel philosophe : « Je puis dire de moi une chose assez extraordinaire et assez vraie, c’est que je n’ai presque jamais senti en moi-même ce combat inférieur de la passion et de la raison : la passion ne s’opposait point à ce que j’avais résolu de faire par devoir ; et la raison consentait volontiers à ce que j’avais envie de faire par un sentiment de plaisir… » Ses passions, — c’est trop dire, — mais ses goûts et sa raison ont, de tout temps, fait bon ménage en lui. […] Mais, tout rabattu, il reste vrai que Saint-Évremond débarrasse l’histoire du fatras des commentateurs, va droit à l’esprit des choses, cherche moins à décrire les combats qu’à faire connaître les génies ; n’admire que ce qui lui paraît à admirer. […] Gidel, a su échapper à cet inconvénient, et il nous a rendu un Saint-Évremond assez vrai dans sa diversité et son étendue.

1262. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « L’abbé Prévost »

Cela ne nous a jamais semblé plus vrai que lorsqu’on y entre, non avec une curiosité vague ou un labeur trop empressé, mais guidé par une intention particulière d’honorer quelque nom choisi, et par un acte de piété studieuse à accomplir envers une mémoire. […] Avec infiniment moins d’ambition qu’aucun, il a son point sur lequel il est autant hors de ligne : Manon Lescaut subsiste à jamais, et, en dépit des révolutions du goût et des modes sans nombre qui en éclipsent le vrai règne, elle peut garder au fond sur son propre sort cette indifférence folâtre et languissante qu’on lui connaît. […] Ce n’est partout que peintures et sentiments, mais des peintures vraies et des sentiments naturels99. » Une ou deux fois Prévost fut appelé sur le terrain de la défense personnelle, et il s’en tira toujours avec dignité et mesure. […] Il ressuscite avec ampleur, après Louis XIV, après cette précieuse élaboration de goût et de sentiments, ce que d’Urfé et mademoiselle de Scudery avaient prématurément déployé ; et bien que chez lui il se mêle encore trop de convention, de fadeur et de chimère, il atteint souvent et fait pénétrer aux routes secrètes de la vraie nature humaine ; il tient dans la série des peintres du cœur et des moralistes aimables une place d’où il ne pourrait disparaître sans qu’on aperçût un grand vide. […] On remarque, il est vrai, dans ce nombre une circonstance qui semblerait indiquer une autre plume que la sienne.

1263. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

Si l’analyse remonte jusqu’au vrai principe des institutions, elle donnera un nouveau degré de force aux vérités qu’elle aura conservées ; mais cette analyse superficielle, qui décompose les premières idées qui se présentent, sans examiner l’objet tout entier, cette analyse affaiblit nécessairement le mobile des opinions fortes. […] Il n’est pas vrai qu’un grand homme ait plus d’éclat, en étant seul célèbre, qu’environné de noms fameux qui le cèdent au premier de tous, au sien. […] Mais ce qui est également vrai, c’est que l’égalité politique, principe inhérent à toute constitution philosophique, ne peut subsister, que si vous classez les différences d’éducation, avec encore plus de soin que la féodalité n’en mettait dans ses distinctions arbitraires. […] Alors que le criminel éprouve l’adversité, il ne peut se faire aucun bien à lui-même par ses propres réflexions ; tant qu’un vrai repentir ne le remet pas dans une disposition morale, tant qu’il conserve l’âpreté du crime, il souffre cruellement : mais aucune parole douce ne peut se faire entendre dans les abîmes de son cœur. […] Sans doute on pourrait opposer à l’utilité qu’on peut espérer de la publicité du vrai, les dégoûtants libelles dont la France a été souillée ; mais je n’ai voulu parler que des services qu’on doit attendre du talent ; et le talent craint de s’avilir par le mensonge : il craint de tout confondre, car il perdrait alors son rang parmi les hommes.

1264. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Francisque Sarcey »

Mais il est vrai que M.  […] Et la réciproque est presque vraie (je ne compare que les esprits) : au sortir de certaines fantaisies délicieuses de M.  […] C’est vrai, il n’a pas de sous-entendus, de demi-sourires minces et traîtres : c’est un gros jet de bonne humeur, ce sont les éclats d’un bon sens échauffé et joyeux. […] Mais elle en a de fâcheux : la blague donne à l’esprit l’habitude de ne plus compter avec le vrai ni avec le faux, de chercher partout matière à raillerie. […] Le vrai créateur de l’opérette fut M. 

1265. (1921) Enquête sur la critique (Les Marges)

Or, il n’est pas vrai que l’écrivain doive se mettre à la mesure du public. […] Mais d’ailleurs un critique un peu complet doit être à la fois dogmatique, parce qu’il n’y a pas de personnalité qui compte sans une doctrine, explicite ou implicite, — impressionniste parce qu’il n’y a aucune possibilité d’appliquer une doctrine sans recevoir des œuvres des impressions directes, vrais et nettes, — indépendant, parce que s’il dépendait d’autre chose que de la vérité ou de ce qu’il croit tel, ce ne serait pas un critique, mais un mercenaire, — artiste enfin, ou à tout le moins capable de contempler d’un œil pur et de recréer en soi l’œuvre d’art qu’il est incapable de créer. […] Marius-Ary Leblond Je commence par la fin, qui est ici pour moi le primordial : 3º Un vrai critique doit être à la fois « dogmatique » et impressionniste, académique et indépendant, universitaire et artiste, révolutionnaire et religieux de la tradition, ordonné et fantaisiste. […] Max Daireaux écrit : « … Les bons livres font naître les bons critiques, les mauvais livres les tuent… Il y a plus loin de Vigny, Hugo et Baudelaire à nos poètes, il y a plus loin de Stendhal, Balzac et Flaubert à nos romanciers, que de Sainte-Beuve à nos critiques. » De tous les avis, dans ce sens, le plus net a été formulé par Mlle Henriette Charasson : « Il n’y a pas de renouveau de la critique. » Elle se hâte d’ajouter, il est vrai, que nous avons, d’ailleurs, quantité de bons critiques, mais gênés par la camaraderie et par le directeur du journal où ils écrivent. […] Cette dernière réserve, il est vrai, est assez grosse.

1266. (1894) Propos de littérature « Chapitre V » pp. 111-140

Par les Odelettes dont j’ai parlé à plusieurs reprises, il se rapproche il est vrai des choses simples, mais dans un esprit différent. […] Certes, il est avant tout un poète subjectif, et aussi un peu volontaire et entêté comme le sont les apôtres, mais il séduit surtout par ce qu’il montre de franchise et de vraie jeunesse. […] Le vrai Thibaut, en son adolescence, rencontra à la cour de Lorraine la damoiselle Gertrude de Moha, sa cousine, et pour cette orpheline il composa des vers. […] Il est vrai qu’à la différence de ses confrères Flamands il restait fort loin du but. […] Le génie et le talent ont souvent leur manière, il est vrai, — Rembrandt, Hugo en sont la preuve aussi bien que M. 

1267. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre troisième »

C’est un débat qui n’est pas de mon sujet ; mais s’il est vrai que les catholiques du seizième siècle, secoués par le mouvement général des esprits, et réveillés par cette renaissance des lettres et des arts qui rendit bientôt toute ignorance ignominieuse, se seraient enfin arrachés d’eux-mêmes aux puérilités de la scolastique et aux langueurs de l’autorité ; s’il est vrai qu’ils auraient enfin retrouvé par la science la philosophie chrétienne ; il ne l’est pas moins, et avec l’avantage d’un fait accompli sur un fait probable, que la Réforme seule a provoqué et consommé cette restauration. Enfin, il est également vrai que le premier qui ait popularisé en France, non dans la langue des savants, comme Érasme, mais dans la langue de tous, les premières vérités de la philosophie chrétienne, c’est Calvin. […] Il venait de trouver sa vraie patrie, car il avait trouvé où régner. […] Au temps même de François Ier, on lisait, dans le Nouveau Testament, evertit domum pour everrit domum, il renverse la maison pour la balaye ; hereticum de vita au lieu de l’hereticum devita de saint Paul, ce qui substituait à mort l’hérétique à évite l’hérétique ; vraie glose de la Sorbonne d’alors. […] Pour Michel Servet, il n’est que trop vrai que Calvin l’avait, dans sa pensée, condamné à mort, sept ans avant qu’on lui fît son procès.

1268. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

Nous n’avons rien inventé depuis les anciens en fait d’orgueil, de sensibilité, de cupidité. » — Cela est vrai et faux à la fois. […] Voilà, n’est-il pas vrai, la bravade, qui est le péché des braves, joliment raillée ! […] Quant aux passions, qui tiennent trop du corps, elles sont condamnées comme des causes d’erreur et d’achoppement : ce sont elles qui empêchent l’homme d’aller droit au vrai et au bien. […] Alzire résiste,, il est vrai, mais elle veut se tuer pour se dérober à celui qui est devenu son époux et son maître, pour rejoindre au moins dans la tombe l’amant qu’elle a perdu. […] Tant il est vrai que deux groupes de lecteurs, suivant la prédisposition de chacun d’eux, peuvent être affectés par la même œuvre de façon diverse et même contraire !

1269. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Malesherbes. » pp. 512-538

En 1758, Helvétius voulut publier le livre De l’esprit, mauvais ouvrage, superficiel, indécent en bien des endroits, et plus fait pour scandaliser encore un vrai philosophe qu’un évêque. […] Ce n’est point une supposition en l’air quand j’ai l’honneur de vous dire, monsieur, que j’ai lu le Te Voltarium à deux évêques ; rien de plus certain et de plus vrai. […] Si peu ménagé par Voltaire, il ne manquait à M. de Malesherbes, pour se sentir tout à fait dans la vraie voie et dans le juste milieu, que d’être dénoncé par Pompignan, et c’est ce qui arriva. […] Malgré tout, Fréron était dans son droit ; et, à ce sujet, M. de Malesherbes écrivait à d’Alembert une admirable lettre qu’on peut lire dans les Mémoires de l’abbé Morellet, et dans laquelle sont posés tous les vrais principes de la tolérance littéraire. […] Un grand et vrai politique ne doit pas être bon comme un particulier ; il doit agir et gouverner en vue des bons et des honnêtes gens, voilà sa morale ; mais, pour cela, il doit croire au mal et aux méchants, y croire beaucoup et s’en défier sans relâche.

1270. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « André Chénier, homme politique. » pp. 144-169

Les vrais, les principaux ennemis de la Révolution, il se le demande, où sont-ils ? […] Il se fait leur dénonciateur déclaré et commence contre eux sa guerre à mort : Comme la plupart des hommes, dit-il, ont des passions fortes et un jugement faible, dans ce moment tumultueux, toutes les passions étant en mouvement, ils veulent tous agir et ne savent point ce qu’il faut faire, ce qui les met bientôt à la merci des scélérats habiles : alors, l’homme sage les suit des yeux ; il regarde où ils tendent ; il observe leurs démarches et leurs préceptes ; il finit peut-être par démêler quels intérêts les animent, et il les déclare ennemis publics, s’il est vrai qu’ils prêchent une doctrine propre à égarer, reculer, détériorer l’esprit public. […] Se séparant, pour le mieux flétrir, du faux bon ton qui n’avait jamais été le sien, et revendiquant le vrai bon ton éternel et naturel, celui qui est tel pour toute âme bien née, et qu’aucune révolution n’est en droit d’abolir : Tout homme qui a une âme bonne et franche, s’écriait-il, n’a-t-il pas en soi une justesse de sentiment et de pensées, une dignité d’expressions, une gaieté facile et décente, un respect pour les vraies bienséances, qui est en effet le bon ton, puisque l’honnêteté n’en aura jamais d’autre ? […] C’est à cette Société des Jacobins qu’il pensait encore, quand il disait : « Aux talents et à la capacité près, ils ressemblent à la Société des Jésuites. » Il fait sentir la distinction profonde qu’il y a entre le vrai peuple, dont, suivant lui, la bourgeoisie laborieuse est le noyau, et ces sociétés, « où un infiniment petit nombre de Français paraissent un grand nombre, parce qu’ils sont réunis et qu’ils crient : Quelques centaines d’oisifs réunis dans un jardin ou dans un spectacle, ou quelques troupes de bandits qui pillent des boutiques, sont effrontément appelés le Peuple ; et les plus insolents despotes n’ont jamais reçu des courtisans les plus avides un encens plus vil et plus fastidieux que l’adulation impure dont deux ou trois mille usurpateurs de la souveraineté nationale sont enivrés chaque jour par les écrivains et les orateurs de ces sociétés qui agitent la France. […] Quelle que soit la ligne politique qu’on suive (et je ne prétends point que celle d’André Chénier soit strictement la seule et la vraie), cette manière d’être et de sentir en temps de révolution, surtout quand elle est finalement confirmée et consacrée par la mort, sera toujours réputée moralement la plus héroïque et la plus belle, la plus digne de toutes d’être proposée aux respects des hommes.

1271. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1861 » pp. 361-395

* * * — Un des caractères particuliers de nos romans, ce sera d’être les romans les plus historiques de ce temps-ci, les romans qui fourniront le plus de faits et de vérités vraies à l’histoire morale de ce siècle. […] * * * — Le peuple n’aime ni le vrai ni le simple : il aime le roman et le charlatan. […] Savez-vous maintenant que les fines gueules du Jockey, les vrais gourmets, ont chez eux un pilon pour écraser leur poivre eux-mêmes. […] * * * — J’ai parfois l’idée, si je devenais riche, de me faire peindre, pour l’été, un paysage, un paysage très bien peint — et rafraîchi par un vrai courant d’air. […] Et regardez encore la petite fille toute de lumière, enfant de soleil qui jette ses reflets d’ambre à toute la toile, cette petite fille coiffée d’or, qu’on dirait habillée d’émeraudes et d’améthystes, et à la hanche de laquelle pend un poulet : petite juive, vraie fleur de Bohème.

1272. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Résumé et conclusion »

Et l’idée que nous construisons la matière avec nos états intérieurs, que la perception n’est qu’une hallucination vraie, vient de là également. […] Il est vrai qu’au moment où le souvenir s’actualise ainsi en agissant, il cesse d’être souvenir, il redevient perception. […] Ils lui reprochent d’expliquer par des associations les opérations supérieures de l’esprit, mais non pas de méconnaître la vraie nature de l’association elle-même. […] D’abord, il n’est pas vrai que la conscience assiste, enroulée sur elle-même, à un défilé intérieur de perceptions inextensives. […] Vous en rencontrez, il est vrai, un second : les changements homogènes et calculables sur lesquels la science opère semblent appartenir à des éléments multiples et indépendants, tels que les atomes, dont ils ne seraient que l’accident ; cette multiplicité va s’interposer entre la perception et son objet.

1273. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — II. (Suite.) » pp. 155-174

Les aveux percent, les qualités vraies se déclarent, les prétentions se trahissent. […] Voilà le vrai. […] Il prétend que ce gouvernement de Gisors lui appartient, et, le roi le lui refusant, toujours par les mêmes raisons de ne porter ombrage aux seigneurs catholiques, Rosny s’irritera encore, criera au passe-droit, et fera au roi les mêmes reproches qu’au lendemain d’Ivry : À tous lesquels reproches, il (le roi) ne vous répondit jamais autre chose sinon : « Je vois bien que vous êtes en colère à cette heure ; nous en parlerons une autre fois » ; et s’en alla d’un autre côté ; puis, vous voyant avoir fait de même, il dit à ceux qui le suivaient : « Il le faut laisser dire, car il est d’humeur prompte, et soudaine, et a même quelque espèce de raison ; néanmoins, il ne fera jamais rien de méchant ni de honteux, car il est homme de bien et aime l’honneur. » Voilà la mesure des bouderies de Sully, et le mot de Henri sur son compte demeure le vrai. […] » À l’affaire d’Aumale (1592) où Henri s’expose si imprudemment, Rosny est dépêché par les plus fidèles serviteurs du roi pour lui faire remontrance sur le terrain même et le prier de ne point se hasarder ainsi sans besoin : « Sire, ces messieurs qui vous aiment plus que leurs vies, m’ont prié de vous dire qu’ils ont appris des meilleurs capitaines, et de vous plus souvent que de nul autre, qu’il n’y a point d’entreprise plus imprudente et moins utile à un homme de guerre que d’attaquer, étant faible, à la tête d’une armée. » À quoi il vous répondit : « Voilà un discours de gens qui ont peur ; je ne l’eusse pas attendu de vous autres. » — « Il est vrai, Sire, lui repartîtes-vous, mais seulement pour votre personne qui nous est si chère ; que s’il vous plaît vous retirer avec le gros qui a passé le vallon, et nous commander d’aller, pour votre service ou votre contentement, mourir dans cette forêt de piques, vous reconnaîtrez que nous n’avons point de peur pour nos vies, mais seulement pour la vôtre. » Ce propos, comme il vous l’a confessé depuis, lui attendrit le cœur… Il y a dans ces Mémoires de Sully, et si l’on en écarte les cérémonies et les lenteurs, des scènes racontées d’une manière charmante et même naïve. […] Je le croirais volontiers : il n’en reste pas moins vrai que Rosny devançait et acceptait le parti le plus juste, le seul possible et le seul suivant l’intérêt de l’État.

1274. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Joinville. — I. » pp. 495-512

Montaigne n’a donc point connu le vrai Joinville, duquel autrement il eût sans doute parlé davantage. […] Le vrai Joinville s’y montrait certainement déjà et s’y dessinait dans sa physionomie principale, mais il y était encore déguisé en bien des traits. […] Trois savants s’y mirent successivement, et, deux étant morts à l’œuvre, le troisième, Capperonnier, acheva de publier un vrai et pur Joinville (1761). […] Et quand elle sut qu’il s’était croisé, ainsi que lui-même le contait, elle mena aussi grand deuil que si elle l’eût vu mort. » Le propre du récit de Joinville est d’être ainsi parfaitement naturel et de ne rien celer des sentiments vrais. […] « Circé, est-il dit d’Ulysse dans Homère, retient ce héros malheureux et gémissant, et sans cesse par de douces et trompeuses paroles elle le flatte, pour lui faire oublier Ithaque : mais Ulysse, dont l’unique désir est au moins de voir la fumée s’élever de sa terre natale, voudrait mourir. » — Citant ce passage de Joinville, qui m’a rappelé celui d’Homère, Chateaubriand, au début de son Itinéraire de Paris à Jérusalem, où il a la prétention d’aller en pèlerin aussi et presque comme le dernier des croisés, tandis qu’il n’y va que comme le premier des touristes, a dit : « En quittant de nouveau ma patrie, le 13 juillet 1806, je ne craignis point de tourner la tête, comme le sénéchal de Champagne : presque étranger dans mon pays, je n’abandonnais après moi ni château, ni chaumière. » Ici l’illustre auteur avec son raisonnement me touche moins qu’il ne voudrait : il est bien vrai que, de posséder ou château ou simple maison et chaumière, cela dispose, au départ, à pleurer : mais, même en ne possédant rien sur la terre natale, il est des lieux dont la vue touche et pénètre au moment où l’on s’en sépare et dans le regard d’adieu.

1275. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — II. (Suite.) » pp. 434-453

Et cela seul ne fait-il pas honneur au souverain qui l’avait choisi, et qui apprécia de bonne heure l’utilité dont il pouvait être, d’avoir pris goût à cette nature parfaitement droite, sincère, qui, dès qu’on la questionnait, disait vrai et répondait juste, et n’eût pu s’empêcher de le faire ? […] Être homme de lettres, — entendons-nous bien, l’être dans le vrai sens du mot, avec amour, dignité, avec bonheur de produire, avec respect des maîtres, accueil pour la jeunesse et liaison avec les égaux ; arriver aux honneurs de sa profession, c’est-à-dire à l’Institut ; avoir un nom, une réputation ainsi fixée et établie, c’était alors une grande chose : il y avait, et parmi les auteurs et dans le public, comme un sentiment de religion littéraire. […] Je crois que vous verrez d’un coup d’œil combien ce sujet est vrai, riche et varié. […] Daru écrivait à Picard sur sa comédie et dans lesquelles il lui faisait les vraies objections dont l’auteur, malgré son effort, n’a pu triompher, ont à mes yeux une valeur morale et plus que littéraire, si l’on songe qu’elles sont du même homme qui, vers le même temps, disait dans une lettre de Berlin adressée à Mme Daru : « Je t’écris d’une main fatiguée de vingt-sept heures de travail. » On le comprend, c’est moins le détail des conseils et ce qu’ils pouvaient avoir de plus ou moins motivé, que le sentiment même qui les inspire, cet amour et ce culte des lettres, tendre, délicat, fidèle, élevé, que je me plais à observer et à poursuivre en M.  […] Une légère inadvertance commise à ce sujet, ou plutôt au sujet du vrai titre des fonctions de M. 

1276. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) «  Œuvres de Chapelle et de Bachaumont  » pp. 36-55

Or, Bernier, homme de sens, qui a beaucoup vu, et qui, en vertu même d’un sage scepticisme, est devenu plus ouvert à des doctrines supérieures, croit devoir avertir son ami et camarade, qui, en passant par le cabaret, est resté plus qu’il ne croit dans l’école ; le voyant prêt à vouloir s’enfoncer dans une philosophie abstruse et prétendre à expliquer physiquement la nature des choses et celle même de l’âme, il lui rappelle que c’est là une présomption et une vanité d’esprit fort ; mais si cette explication directe est impossible, et si connaître en cette manière son propre principe n’est pas accordé à l’homme dans cet état mortel, néanmoins, ajoute-t-il en terminant, nous devons prendre une plus haute idée de nous-mêmes et ne faire pas notre âme de si basse étoffe que ces grands philosophes, trop corporels en ce point ; nous devons croire pour certain que nous sommes infiniment plus nobles et plus parfaits qu’ils ne veulent, et soutenir hardiment que, si bien nous ne pouvons pas savoir au vrai ce que nous sommes, du moins savons-nous très bien et très assurément ce que nous ne sommes pas ; que nous ne sommes pas ainsi entièrement de la boue et de la fange, comme ils prétendent. — Adieu. […] Le début, à parler vrai, ne nous agrée plus guère ; ce mélange de vers et de prose, ces enfilades de rimes redoublées pouvaient sembler neuves alors ; aujourd’hui, c’est usé, et quand on lit au xviiie  siècle les lettres de Voltaire, par exemple, on est souvent étonné que cette même plume qui vient de dire très gentiment les choses en prose se mette tout d’un coup à les redire moins bien en assez mauvaises rimes. […] Ces imitateurs, au xviiie  siècle, deviennent moins excusables parce qu’avec Rousseau on est revenu, péniblement il est vrai, mais on est revenu enfin à voir et à décrire la nature en elle-même, dans ses beautés et dans son caractère. […] Sauf le commencement et la fin qui sentent la coterie et le genre érotique de la Caserne (c’était le nom de leur maison de plaisance), il a fait un vrai voyage, et il ne s’est pas dit du moins qu’il imiterait Chapelle et Bachaumont. […] Nous fuyions vent arrière sous la misaine… Voilà bien, avec la précision de plus qui est propre aux modernes (quand ils s’en mêlent), voilà bien dans ses grands traits la vraie tempête telle qu’elle a été peinte plus d’une fois par Virgile, et surtout par Homère, lorsque Ulysse sentait son vaisseau se disjoindre sous la colère de Neptune et le naufrage prêt à l’ensevelir.

1277. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — III — Toujours Vauvenargues et Mirabeau — De l’ambition. — De la rigidité » pp. 38-55

Je ne prétends pas donner pour vraies toutes les idées que Vauvenargues émet dans ses lettres à Mirabeau. Un des amis de ce dernier et qui paraît avoir été un homme des plus distingués, bien qu’il n’ait guère laissé de souvenir, le marquis de Saint-Georges, un sage, un homme de goût, un philosophe pratique comme il y en avait alors à Paris, comme il y en a peut-être encore, qui lisait ces lettres de Vauvenargues et les prisait infiniment, y trouvait, disait-il, de l’esprit partout, mais des endroits faux, trop de métaphysique, et ajoutait : « Il parle par théorie, on le voit. » C’est possible ; mais les lettres sont vraies pour nous en ce qu’elles nous peignent celui même qui les écrit, et c’est ce caractère surtout qui nous est intéressant aujourd’hui à connaître. […] Les personnages, il est vrai, n’y sont pas trop gens de bien, le vice y est dominant, tant pis pour ceux qui ont des vices ! […] Vauvenargues se trompe sur un point, et il borne trop son regard à l’influence présente : de grandes pensées, de belles vérités écrites et fixées avec éclat, ne sont-elles pas aussi des actions, moins promptes il est vrai, mais permanentes et éternelles ? […] L’on ne mesure bien, d’ailleurs, la force et l’étendue de l’esprit et du cœur humains que dans ces siècles fortunés ; la liberté découvre, jusque dans l’excès du crime, la vraie grandeur de notre âme ; là, la force de la nature brille au sein de la corruption ; là, paraît la vertu sans bornes, les plaisirs sans infamie, l’esprit sans affectation, la hauteur sans vanité, les vices sans bassesse et sans déguisement.

1278. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire. »

Car, avant de nous le faire accepter, il a fallu pour le Shakespeare comme aujourd’hui pour le Gœthe, comme pour tout ce qui est grand à l’étranger, nous couper les morceaux à l’avance, nous donner petit à petit la becquée ni plus ni moins qu’aux petits oiseaux ; l’image est vraie à la lettre : comptez un peu les allées et venues, les reprises et les temps d’arrêt, les bouchées successives : en prose, La Place, Le Tourneur, Guizot, Benjamin Laroche, François-Victor Hugo ; et en vers, Ducis avec Talma, un rêve, une création à côté ; puis Halévy, une transition, puis les Vigny et les Wailly et les Deschamps, lutteurs fidèles, et Dumas et Meurice avec leur acteur Bouvière, qu’il n’en faut pas séparer, et Jules Lacroix, le dernier de tous, heureux possesseur. […] Il adorait Shakespeare comme les anciens Gaulois adoraient dans une forêt druidique le dieu qu’il ne leur était pas donné de voir face à face, et il était vrai de dire de lui : …………………..Tantum terroribus addit, Quos timeant non nosse deos ! […] C’est la vraie retraite d’un sauvage ; vous pourrez aller cacher là vos vertus, comme un malfaiteur y cacherait ses crimes. » C’était près de la source de la rivière des Gobelins, dans le voisinage de larges étangs, au bord d’un vallon tortueux « qui se plonge dans un site lugubre pour s’ouvrir ensuite sous un horizon assez étendu et très agréable. » Cela s’appelait du joli nom de Dame-Marie-les-Lis. […] Il l’interroge cependant sur Rousseau qui vient de se retirer à Ermenonville et que Deleyre fait dessein d’aller visiter : « Est-il vrai, comme on me l’assure, qu’il ait pleuré la mort de Voltaire, et qu’à la nouvelle du refus de sépulture, il ait eu un saignement de nez de colère et d’indignation ? Dites-moi ce qu’il y a de vrai… » Mais voilà Ducis, cet homme bon, naïf, tout cœur et tout âme, talent chaud et simple, lui qui n’a jamais parlé de sa vie à M. de Voltaire, et qui n’a été ni loué ni connu personnellement de lui, le voilà qui est choisi, sans brigue, pour remplacer Voltaire à l’Académie.

1279. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Le maréchal de Villars. »

Villars de son lit de souffrance, envoyant au roi des drapeaux pris sur l’ennemi, put écrire sans trop de fanfaronnade : « Si Dieu nous fait la grâce de perdre encore une pareille bataille, Votre Majesté peut compter que ses ennemis sont détruits. » Ce qui reste vrai et ce qui est reconnu pour exact par les historiens militaires et les gens du métier les plus compétents, c’est que Villars, avec une armée inégale, recevant d’une telle vigueur le choc de ces énormes forces combinées des généraux alliés, et leur mettant plus de trente mille hommes hors de combat, garantit cette année-là nos frontières et obligea la Coalition à de nouveaux efforts qui demandaient du temps. […] Il eut le déboire, il est vrai, de perdre Bouchain presque sous ses yeux, sans pouvoir le secourir ; désagréable échec, et même assez grave en ce qu’il livrait passage à l’ennemi entre l’Escaut et la Sambre, et lui permettait désormais de porter la guerre sur une partie de la frontière moins susceptible de défense. […] Nous approchons de Denain, bien lentement, il est vrai, et il n’y a pas apparence jusqu’ici ni présage de coup de tonnerre. […] Il reste donc vrai de dire avec Napoléon dans son jugement résumé des campagnes du prince Eugène : « En 1712, il prit Le Quesnoi et assiégea Landrecies. […] Villars put être critiqué à bon droit par Napoléon pour sa campagne d’Italie en 1733, et pour avoir méconnu alors le vrai point stratégique, la ligne défensive de l’Italie qui est sur l’Adige ; mais (circonstance atténuante) il avait alors quatre-vingts ans.

1280. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Mlle Eugénie de Guérin et madame de Gasparin, (Suite et fin.) »

Il y a eu dans les deux communions des réveils, des coups de baguette impérieux et puissants, des coups de trompette, de grands talents, de belles âmes éloquentes, ardentes, qui ont essayé de fondre les divisions artificielles, de dégager le vrai courant, de reporter les esprits aux hauteurs et aux sources, de ne s’attacher qu’à ce qui est la vie ; et je le dirai avec la conscience de ne faire injure à aucun, s’il y a eu d’un côté Lacordaire, ce regard flamboyant, cette parole de feu, on a eu de l’autre Adolphe Monod, cette âme d’orateur et d’athlète chrétien qui, à ceux qui l’ont vue de près dans son agonie suprême, a rappelé le martyre et l’héroïsme de Pascal. […] En faisant le portrait de sa vieille puritaine vaudoise, Mme de Gasparin ose (avec toutes sortes de précautions, il est vrai), rappeler la bouche et le sourire de la Joconde. […] Aussi, Eugénie de Guérin et elle, quand elles sont tristes, elles n’ont pas la tristesse elle-même semblable : l’une, tout heureuse qu’elle est, a la tristesse plus rude, poignante, froissante, violente, qui se proclame sur les toits, — qui crie « comme une aigle », — une tristesse ardente, de cœur et d’âme, je le veux, mais aussi de tête, tout d’un coup relevée de joies puissantes et vigoureuses : l’autre, plus atteinte au cœur, a la tristesse plus vraie, plus douce et résignée, continue, non intermittente, calme, profonde et intérieure ; elle est plus une colombe blessée. […] Elle aussi, elle a visité les montagnes : dans les dernières années de sa vie, malade, on l’envoya prendre les eaux à Cauterets ; elle dut quitter sa chambre du Cayla, cette chambrette bien aimée devenue caveau par tout ce qu’elle contenait de chères reliques, un vrai « cloître de souvenirs. » Elle ne se plut que médiocrement dans les Pyrénées, « la plus magnifique Bastille où l’on puisse être renfermé », disait-elle, et, sa saison faite, elle fut heureuse d’en sortir. […] Et si son frère (dans les pages magnifiques du Centaure) porte mieux au front le sceau du génie, la flamme, combien Eugénie lui est supérieure par la vraie grandeur : l’oubli de soi, constant, sans recherche, le don du cœur à un autre cœur !

1281. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN FACTUM contre ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 301-324

Cette orthodoxie, il est vrai, pouvait bien sembler un peu étroite et se ressentir de ces excès de rigueur qui sont ordinaires aux grands convertis ; mais il y avait lieu aussi de penser qu’une fois hors du cercle des thèses universitaires et en possession des gloires du doctorat, rentré dès lors dans le champ libre de la littérature, l’auteur trouverait un juste tempérament, et que l’ami, et un peu le disciple de Stendhal, saurait échapper aux formules du dogme. […] remy veut bien nous désigner sans nous nommer), ont, il est vrai, reconnu dans André Chénier le parfum exquis de l’Hymette : eh bien, tous se sont trompés et ont jugé à la légère : M. […] remy arrive tout exprès, il descend du Cythéron pour leur révéler le vrai sens de l’antique, pour définir le point précis et mesurer les doses. […] Mais est-il vrai, demande M. […] Par la variété et l’assortiment de son recueil, il me représente bien quelque chose comme l’Anthologie, non pas celle qui nous est parvenue et qui n’est pas à beaucoup près la première ni la vraie, mais l’Anthologie de Philippe, ou plutôt encore celle de Méléagre, tant regrettée de Brunck.

1282. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Le père Monsabré »

Il n’en est pas moins vrai qu’en ces temps moroses les derniers refuges de la gaieté innocente, ce sont les salles d’asile, les écoles primaires et les couvents. […] Cela est donc d’une sagesse éminente. » Je ne garantis pas l’exactitude de cet aperçu : en tout cas, il ne serait vrai que des moines gais. […] Le Père est dans le vrai, sauf une phrase qui dépasse certainement sa pensée, car on n’est pas nécessairement une « bête à face humaine » pour être en dehors de la foi catholique. […] Il est vrai que, dans cette trop vaste enceinte de Notre-Dame, l’orateur est absolument obligé de crier ses phrases. […] J’ai cru voir à certains signes qu’il serait un excellent orateur populaire, doué de verve, de bonhomie et de franchise ; qu’il se guindait pour son auditoire de Notre-Dame ; que la sublimité, la couleur et les divers ornements oratoires de son style étaient quelque chose d’appris et de plaqué, et que, livré à sa vraie pente, il eût plus volontiers parlé comme un Père Lejeune ou un Bridaine relevé d’un peu de Bourdaloue.

1283. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XI. L’antinomie sociologique » pp. 223-252

Un autre cas, il est vrai, est possible. […] Car le pragmatisme consiste à présenter les idées socialement utiles, non comme utiles, mais comme vraies. Le pragmatisme, c’est l’utile prenant le déguisement du vrai pour mieux s’imposer aux esprits ; c’est une utilisation de la force d’illusion incluse dans l’idée de vérité. […] C’est là un individualisme tout négatif, amoral et stirnérien. — L’individu peut aussi s’insurger contre ces mensonges au nom d’un idéal de sociabilité supérieure ; par désir d’une société plus éclairée, plus sincère et plus vraie. […] L’idéaliste qui aspire à une société plus sincère et plus vraie s’aperçoit bientôt que la société nouvelle qu’il souhaite et à l’avènement de laquelle il travaille peut-être, il s’aperçoit que cette société porte déjà en elle le germe logique et nécessaire des mensonges nouveaux qui remplaceront les mensonges anciens et périmés, que tout régime politique et social est menteur par essence (Vigny), que la duperie mutuelle est la loi de toute société et que le mensonge de groupe ne fait que changer de forme.

1284. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Pensées, essais, maximes, et correspondance de M. Joubert. (2 vol.) » pp. 159-178

Mais allez donc aujourd’hui demander l’hospitalité intellectuelle, l’accueil pour vos idées, pour vos aperçus naissants, à des esprits pressés, affairés, tout remplis d’eux-mêmes, vrais torrents tout bruissants de leurs propres pensées ! […] Joubert la naissance, l’inoculation de certaines idées si neuves, si hardies alors, et qu’il rendit plus vraies en les élevant et en les rectifiant. […] Joubert sur la critique et sur le style, de ses jugements sur les divers écrivains : il y paraît neuf, hardi, vrai presque toujours. […] Un philosophe de ce temps-ci, homme d’infiniment d’esprit lui-même, a coutume de distinguer ainsi trois sortes d’esprits : Les premiers, à la fois puissants et délicats, qui excellent comme ils l’entendent, exécutent ce qu’ils conçoivent, et atteignent le grand et le vrai beau ; une rare élite entre les mortels ! […] Chateaubriand prend pour matière le ciel, la terre et les enfers : Saint-Pierre semble choisir ce qu’il y a de plus pur et de plus riche dans la langue : Chateaubriand prend partout, même dans les littératures vicieuses, mais il opère une vraie transmutation, et son style ressemble à ce fameux métal qui, dans l’incendie de Corinthe, s’était formé du mélange de tous les autres métaux.

1285. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le père Lacordaire orateur. » pp. 221-240

Parmi ces orateurs de la chaire moderne, dont quelques-uns, dont l’un du moins (M. de Ravignan) pourrait lutter avec lui de chaleur vraie, de sympathie et d’onction, il n’en est aucun qui, par la hardiesse des vues et l’essor des idées, par la nouveauté et souvent le bonheur de l’expression, par la vivacité et l’imprévu des mouvements, par l’éclat et l’ardeur de la parole, par l’imagination et même la poésie qui s’y mêlent, puisse se comparer au père Lacordaire. […] Lacordaire s’était fait le raisonnement que voici : La société, à mes yeux, est nécessaire ; de plus, le christianisme est nécessaire à la société ; il est seul propre à la maintenir, à la perfectionner : donc le christianisme est vrai, non pas d’une vérité politique et relative, comme l’admettent bien des gens, mais d’une vérité supérieure et divine : toute autre vérité secondaire serait un compromis et une sorte de malentendu indigne et de la confiance de l’homme et de la franchise de Dieu. […] La seconde oraison funèbre, celle de M. de Janson, est fort supérieure, elle est simple et vraie. […] Sous la figure de l’abbé de Janson, il a peint lui-même, à son insu, quelques traits de sa propre nature, de sa propre ambition spirituelle d’apôtre : « L’apostolat, dit-il, qui était sa vraie, son unique vocation, le tourmentait et l’emportait dès les premiers jours de son sacerdoce. » On était à la fin de l’Empire : M. de Janson cherchait une carrière à son zèle, un champ pour y semer la parole, et n’osant songer à la France, alors muette, il errait en esprit de l’Amérique à la Chine, de la Chine aux bords du Gange : Tout à coup, au sein même de la patrie, poursuit l’orateur, un cri prodigieux s’élève : le descendant de Cyrus et de César, le maître du monde, avait fui devant ses ennemis ; les aigles de l’Empire, ramenées à plein vol des bords sanglants du Dniepr et de la Vistule, se repliaient sur leur terre natale pour la défendre, et s’étonnaient de ne plus ramasser dans leurs serres puissantes que des victoires blessées à mort. […] Il croissait sous la triple garde de ces fortes vertus ; il croissait comme un enfant de Sparte et de Rome, ou pour mieux dire encore, et pour dire plus vrai, il croissait comme un enfant chrétien, en qui la beauté du naturel et l’effusion de la Grâce divine forment une fête mystérieuse que le cœur qui l’a connue ne peut oublier jamais.

1286. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Rulhière. » pp. 567-586

Ses cheveux sont châtains et de la plus grande beauté ; ses sourcils bruns ; ses yeux bruns et très beaux ; les reflets de la lumière y font paraître des nuances bleues, et son teint a le plus grand éclat, La fierté est le vrai caractère de sa physionomie. […] Rulhière, par cet écrit, se montre à nous dans la vraie ligne de progrès qu’il suivait volontiers, dans la voie des réformes qu’appelait l’opinion publique et que dirigeait le gouvernement même. […] Lorsqu’il aborde enfin sa vraie matière, qui commence avec l’élection du roi Stanislas Poniatowski, Rulhière a l’inconvénient d’avoir à se prononcer sur des caractères vivants qui n’ont pas eu leur entier développement, sur des personnages qui n’ont pas donné leur dernier mot. […] Il leur prête des discours qui rappellent avec talent ceux des anciens dans les assemblées publiques, mais j’aimerais mieux quelques-uns de ces mots vrais et qui transportent dans la réalité. […] On comprend bien que, tandis qu’elle excita au sein de l’Institut des objections de la part d’hommes pratiques et qui avaient vu la Pologne ou la Russie, elle ait tant agréé à Daunou, esprit orné, plus académique qu’il ne croyait, et qui ne voulait pas que l’histoire, même vraie, fût écrite d’une manière quelconque.

1287. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La princesse des Ursins. Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins — I. » pp. 401-420

Le mérite et l’art de Mme des Ursins fut de savoir en si peu de temps tirer si bon parti des grâces et de l’affabilité de la reine, qu’elle la rendit réellement populaire parmi le vrai peuple du centre de l’Espagne, et ce fut miracle de voir les racines de cette royauté si nouvelle prendre si vite au cœur des vieux Castillans, qu’elle put résister ensuite pendant de rudes années à tous les orages. […] Le maréchal de Berwick, qui se tient au-dessus de toutes ces tracasseries odieuses, rend plus de justice à Orry, et tout porte le lecteur impartial à penser que Mme des Ursins était encore plus nette sur ce chapitre, et qu’elle se sentait, comme elle le dit, très dégagée dans sa taille : « Je suis gueuse, il est vrai, écrivait-elle à la maréchale de Noailles en entrant en Espagne, mais je suis encore plus fière. » Racontant plus tard à Mme de Maintenon les indignités de ce genre dont on les chargeait toutes deux, elle en parle avec un ton de haute ironie et de souverain mépris qui semble exclure toute feinte. […] Dans ces paroles si fermes et si royales, on saisit bien les vraies causes du mécontentement de Louis XIV, et l’apostille, vraie ou fausse, de la dépêche, n’est plus qu’un accident secondaire. […] Mme des Ursins, remontant au principe de la succession d’Espagne, montre quel fond on doit faire sur cette fidélité de si fraîche date des Espagnols à la maison de Bourbon, et quel en est le vrai sens politique : pour les grands, empêcher la division de la monarchie ; pour les peuples des provinces, bien vendre leurs laines.

1288. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Madame Sophie Gay. » pp. 64-83

C’est de ce caractère original, de cette vitalité puissante de femme du monde et de femme d’esprit que je voudrais toucher ici quelque chose, en rapportant Mme Gay à sa vraie date, et en indiquant aussi, en choisissant quelques-uns des traits fins et des observations délicates qui distinguent ses meilleurs écrits. […] La date favorite de Mme Gay, quand elle y songeait le moins et qu’elle laissait faire à son imagination, était celle précisément qui répond à la fin du Directoire et au Consulat ; jeune personne sous le Directoire et femme sous l’Empire, voilà son vrai moment, et qui lui imprima son cachet et son caractère, en littérature comme en tout ; ne l’oublions pas. […] Elle ne pense qu’à élever ses enfants selon les vrais principes, à concilier l’amour et la vertu, la nature et le devoir ; à faire dans ses terres des actes de bienfaisance dont elle ne manque pas d’écrire aussitôt le récit, afin de jouir de ses propres larmes, — des larmes du sentiment. […] La Duchesse de Châteauroux, particulièrement, obtint du succès dans le public ; ce n’est que nous autres critiques qui nous sommes dit que c’est un de ces romans trop voisins de l’histoire pour intéresser véritablement les esprits amis du vrai en matière de faits ou en matière de sentiment et de passion. […] Elle y avait trouvé, il est vrai, de bien vifs et spirituels auxiliaires ; il suffit de nommer M. 

1289. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — I. » pp. 322-340

J’étais alors substitut à Tours ; on vint me chercher de Véretz au milieu de la nuit ; j’arrivai à l’aube… » Et j’entendis alors un récit vrai, simple, attachant, dramatique, qui me remit en mémoire cette singulière et originale figure, et qui me tente aujourd’hui de la retracer. […] Je ne dirai pas que son image s’est gravée en moi, mais il m’est du moins resté de sa personne une idée qui n’est en rien le contraire du vrai, et que le souvenir et la réflexion peuvent achever très fidèlement. […] On a pour cette étude un secours inestimable, ce sont les lettres de Courier même, cent lettres rangées par lui et préparées pour l’impression, datant de 1804 à 1812, et qui composent ses vrais mémoires durant ce laps de temps. […] C’est ainsi que plus tard Courier, en échouant aux élections de Chinon (1822), ne voulait pas qu’on dît qu’il avait été en concurrence avec le marquis d’Effiat ; il prétendait n’avoir été le concurrent de personne, n’avoir ni demandé ni sollicité d’être député, n’avoir été candidat en aucune sorte ; il est vrai qu’il aurait accepté si on l’avait élu. […] Au vrai, je vois que la grande affaire de ce siècle-ci, c’est le débotté et le petit coucher.

1290. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — II. (Suite et fin.) » pp. 436-455

Quand ses descriptions sont un peu moins travaillées, moins concertées, et qu’elles restent à l’état d’esquisses rapides, elles sont aussi plus vraies, et souvent dans une perfection ravissante : je recommande à ceux qui ont le temps de refeuilleter les Études la page de l’Étude septième, qui commence ainsi : « Il n’y a que la religion qui donne à nos passions un grand caractère… », et où l’on voit la jeune Cauchoise en pleurs au bord du rivage, regardant de loin les bateaux pêcheurs partis le matin par un gros temps, et sa station consolée au pied d’un calvaire. […] Il s’en prend à la surabondance des bourgeois oisifs dans les villes, à la grande propriété dans les campagnes, à la plaie du concubinage, du célibat, aux tourments des enfants dans les collèges ; le vrai et le faux, pêle-mêle, et surtout le vague, se font sentir dans ces pages trop empreintes et comme noyées d’une sensibilité monotone. […] Cette simple histoire est l’œuvre véritablement immortelle de Bernardin ; elle ne peut se relire sans larmes, ce qui est vrai de si peu de livres admirés en naissant. […] Ce qui distingue à jamais cette pastorale gracieuse, c’est qu’elle est vraie, d’une réalité humaine et sensible : aux grâces et aux jeux de l’enfance ne succède point une adolescence idéale et fabuleuse. […] Bernardin de Saint-Pierre ne nous a point parlé, il est vrai, de Castor et Pollux, mais il a parlé de la philosophie qu’il a prise pour thèse et pour muse.

1291. (1824) Discours sur le romantisme pp. 3-28

Si toute idée réelle, vraie ou fausse, doit pouvoir être exprimée clairement, et comprise par la bonne foi intelligente, ne serait-on pas autorisé à soupçonner qu’une prétendue doctrine, qui échappe à l’analyse et se refuse à la définition, est quelque chose de fantastique, dont l’apparence déçoit ceux qui l’attaquent, comme ceux qui la défendent ? […] Nous en sommes restés à ce point pour ce qui regarde le vrai romantisme, le romantisme allemand, le romantisme du théâtre. […] On dirait que la fameuse maxime, Rien n’est beau que le vrai, a été inventée par eux, ou du moins qu’ils sont les seuls qui s’y conforment. Une littérature empruntée aux anciens, disent-ils, ne peut être vraie pour les modernes. […] Je dirai seulement aux partisans du premier : Soyez vrais, soyez-le, s’il vous est possible, plus que vos maîtres et les nôtres ; mais n’exagérez pas même cette qualité que vous mettez avec raison au-dessus de toutes les autres.

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