L’homme qui n’a pas souffert ne sait rien de la vie ; il en ignore les abîmes et les hauteurs, les ombres et la lumière. […] dût le chemin qui mène à ma patrie Être plus rude encore, et ma tête meurtrie Ne pas trouver de pierre où se poser le soir ; Dussé-je n’avoir pas une table où m’asseoir, Pas un seul cœur ému qui de moi se souvienne, Pas une main d’ami pour étreindre la mienne ; Comme le lépreux d’Aoste, au flanc de son rocher, Dussé-je cultiver des fleurs sans les toucher, N’avoir pour compagnon, dans ma triste vallée, Qu’un chien, et pour abri qu’une tour désolée, Et quand je souffre trop pendant les longues nuits, Qu’une sœur pour me plaindre et bercer mes ennuis, Une sœur qui, souffrant de la même souffrance, Prie et veille avec moi jusqu’à la délivrance…, Je veux aller revoir les lieux que je chéris, De mon bonheur au moins retrouver les débris ; Si ce ne sont les morts qui dorment sous la pierre J’embrasserai leurs fils, hélas !
Je goûte, je souffre, je me souviens. […] Toujours est-il que, si l’on descend la série animale, on les voit devenir de plus en plus exactes ; la dépendance mutuelle des centres nerveux devient alors moins étroite ; chacun d’eux souffre moins du retranchement des autres ; isolé, il fonctionne moins incomplètement et plus longtemps.
Je ne saurais souffrir, à moins que ce ne soit dans une apothéose ou quelque autre sujet de verve pure, le mélange des êtres allégoriques et réels. […] Je ne puis souffrir qu’on me montre l’écorché sous la peau ; mais on ne peut trop me montrer le nu sous la draperie.
Ni Baudelaire, ni Poe, n’ont souffert plus continûment de ce vague mystérieux qui, tout vague qu’il soit, oppresse l’âme comme l’objet le plus lourd et le plus physique, et auquel le visionnaire préférerait la vue nette et positive de l’enfer. […] Le poète, sensible comme ces sybarites qu’on appelle des poètes, a pu s’en plaindre et en souffrir, mais ce n’est pas moi !
Qu’on le nie devant les monuments irréfragables de l’histoire, ou que l’on confesse que la lumière naturelle n’est pas si faible pour nous avoir révélé tout ce qui donne du prix à la vie, les vérités certaines et nécessaires sur lesquelles reposent la vie et la société, toutes les vertus privées et publiques, et cela par le pur ministère de ces sages encore ignorés de l’antique Orient, et de ces sages mieux connus de notre vieille Europe, hommes admirables, simples et grands, qui, n’étant revêtus d’aucun sacerdoce, n’ont eu d’autre mission que le zèle de la vérité et l’amour de leurs semblables, et, pour être appelés seulement philosophes, c’est-à-dire amis de la sagesse, ont souffert la persécution, l’exil, quelquefois sur un trône et le plus souvent dans les fers : un Anaxagore, un Socrate, un Platon, un Aristote, un Épictète, un Marc-Aurèle ! […] Il est un peu poète : le danger est plus grand encore : il transformera la philosophie en une symphonie métaphysique, qui entraînera tous les esprits, qui l’entraînera lui-même, qui lui fera traverser le Rhin, au risque d’y perdre pied, avec la certitude de s’en souvenir et d’en souffrir toujours.
En un mot, puisque vous êtes homme, aimez, espérez, souffrez (cela est fatal, d’ailleurs !) […] Il souffrait, — mais il ne le disait pas. […] Il souffrait, il se cachait pour souffrir. […] Ces deux malheureux, ou ces deux heureux, puisqu’ils avaient connu la joie de s’aimer et de souffrir ensemble, s’en allèrent de compagnie. […] S’il souffrit, ce fut en rêvant.
Car, à moins qu’il ne soit devenu un grand sage pour avoir vu les hommes de près ou qu’il n’ait été secouru par une heureuse frivolité de caractère, cet homme si rudement tombé, et de si haut, doit, à l’heure qu’il est, souffrir infiniment.
Ils m’ont trop fait souffrir.
Sans cesse pressé par cette femme ambitieuse, qui le traitait de lâche parce qu’il souffrait un supérieur dans sa famille, Antipas surmonta son indolence naturelle et se rendit à Rome, afin de solliciter le titre que venait d’obtenir son neveu (39 de notre ère).
Quand il fallut se mettre en campagne, la gloire & l'intérêt réveillerent Annibal, qui reprit sa premiere vigueur & se retrouva lui-même ; mais il ne retrouva plus la même armée ; il n'y avoit plus que de la mollesse & de la nonchalance, & s'il falloit souffrir la moindre nécessité, on regrettoit l'abondance de Capoue ».
Je plaisante, mais je vous assure que je souffre beaucoup.
C’est un sophisme digne de la dureté de notre siècle, d’avoir avancé que les bons ouvrages se font dans le malheur : il n’est pas vrai qu’on puisse bien écrire quand on souffre.
Je crois donc que le genre de vie, que la mode de se vêtir plus ou moins en certaines saisons qui a lieu successivement dans le même païs, dépend de la vigueur des corps qui les fait souffrir principalement du froid, plus ou moins, suivant qu’ils sont plus ou moins robustes.
On connaît le camarade qui l’entonné ; on l’a vu souffrir, être un brave ; on sait que son âme est simple, pure, fraternelle, Tout s’achevait et s’épurait dans la Marseillaise.
Celui qui, au commencement de cette courte analyse, a tenu ce beau et fier langage, le parle d’autant mieux que son cœur a souffert et souffre encore par d’indignes amours. […] Peu à peu le bruissement régulier de l’eau le calme, il se reprend, mais c’est pour se rappeler et souffrir… Quelle femme ! […] Quelles amours, et j’en appelle à ceux qui ont le plus souffert de passions folles, quelles amours ressemblent à celles de ces deux insensés ? […] Il faut avoir vécu, aimé, souffert, il faut regretter et espérer, pour écrire ces pages qui renferment tant de choses consolantes. […] Elle avait tellement souffert de la chaleur dans ces salons qu’elle venait de quitter !
L’« Inconnue » fut jalouse de cette maîtresse âgée qui, dit-on, ne souffre pas de rivales. […] Elle souffre d’un gros rhume. […] Et puis, il a tant souffert ! […] Je sais que je souffrirai par vous ; tant mieux. […] Mais à son âge, on ne souffre pas sans révolte.
On ne peut plus aimer et souffrir sans se croire obligé de le crier sur les toits. […] C’est dans cet adieu, c’est dans ce changement d’existence qu’il faut voir la cause de ce caractère de jeune fille, déséquilibré et fantasque, qui fera souffrir chacun et dont elle souffrira plus que les autres. […] Elle avait pris seulement l’expression fixe de ses maux… Pourquoi Dieu avait-il créé un être uniquement pour souffrir ? […] On sait combien madame de Mouchy souffrit de cette trahison. […] On pourrait dire qu’elles n’aiment bien que ceux qui les font souffrir.
Son livre n’offre aucune pâture à ceux qui possèdent le sens de l’admiration, et qui souffrent dans leur orgueil d’hommes, chaque fois qu’un être humain déchoit. […] Déjà ils cherchent à se faire souffrir. […] Il faut dire aussi que, pour achever la symétrie, c’est le même homme que font souffrir, à vingt ans d’intervalle, Diane la mère et Diane la fille. […] Benda note même la rancune de Félix, qui pourtant souhaitait la rupture, lorsque Madeleine, lasse de souffrir, s’éloigne la première. […] Félix souffre, mais surtout dans son orgueil de nietzschéen.
Sur ce point l’Examen exagère la simplicité recommandée dans le Télémaque ; car si Mentor ne veut à Salente que de petites maisons sans ornements, encore souffre-t-il qu’il y ait dans ces maisons « de petites chambres pour toutes les personnes libres. » Voici d’autres nouveautés de l’Examen. […] N’est-ce pas l’effet de cette piété raffinée qui ne souffre pas d’état intermédiaire entre l’extase et l’abandonnement aux sens ? […] qu’il avait tenu à Versailles ce propos : « Ce que la France souffre vient de Dieu qui veut nous faire expier nos fautes passées » ; qu’il ne ménageait pas le roi, et affectait une dévotion qui tournait à critiquer son grand-père166. […] Il en voulait de composés, comme dans la langue grecque, où du moins une admirable syntaxe règle toutes ces combinaisons, et comme dans la langue allemande, qui les permet au premier venu et qui souffre tout de tout le monde. […] Je ne souffre pas beaucoup de voir cette vaine ambition dans un écrivain médiocre.
Les plantes tropicales souffrirent probablement de nombreuses extinctions : mais combien ? […] Mais le grand fait qu’il faut bien considérer, c’est que toutes les productions tropicales doivent avoir souffert jusqu’à un certain point. Les productions tempérées, en émigrant plus près de l’équateur, durent avoir moins à souffrir, bien que placées sous des conditions nouvelles ; car il est prouvé que beaucoup de plantes tempérées, lorsqu’elles sont protégées contre les invasions de trop nombreux compétiteurs, peuvent supporter un climat beaucoup plus chaud que celui qu’elles ont accoutumé. […] Les plaines situées à l’est des contrées tropicales de l’Amérique du Sud sont celles qui paraissent avoir le moins souffert de la période glaciaire ; néanmoins là encore nous trouvons sur les montagnes du Brésil un petit nombre de formes tempérées qui doivent avoir traversé le continent depuis les Cordillères ; et il semble que durant la même période il y ait eu une émigration des Cordillères à la Silla de Caracas. […] Bates, qui a étudié avec tant de soins la faune entomologique de la région Guyano-Amazonienne, s’est élevé récemment avec force contre toute supposition d’un refroidissement récent du climat de ces contrées ; car il établit qu’elle abonde en formes toutes spéciales de Lépidoptères autochtones, fait qui paraît contraire à la supposition que les régions voisines de l’équateur aient souffert récemment beaucoup d’extinctions d’espèces.
Brifaut souffre beaucoup, mais son courage ne se dément pas ; ce qui pourrait paraître frivole dans son esprit devient admirable dans sa triste situation. » 60.
Une place modeste dans une administration publique suffisait à ses besoins ; il la garda jusqu’au jour où il s’aperçut que son indépendance allait en souffrir.
Elle enfin qui a souffert et qui se plaint de la calomnie, a-t-elle le droit de relever contre la mémoire de Chénier cette imputation injurieuse, si victorieusement réfutée, qui le fait, sinon complice, du moins spectateur indifférent de l’assassinat d’un frère ?
Même en ses livres de maturité, on souffre d’un goût inconscient du morbide.
Les personnes délicates souffrent-elles dans leurs cabinets des tableaux dont les figures sont hideuses, comme seroit le tableau de Promethée attaché au rocher et peint par le Guerchin.
On les fait souffrir en les changeant de bataillon sans grande utilité ; plus d’un, en disant au revoir à ses camarades, a les larmes aux yeux.
Il a vu sa sœur souffrir et pâlir au retour du bal du hameau ; il a entendu, caché derrière le feuillage, les timides aveux de Julie au sein de sa mère. […] Hervey, le chantre méditatif, souffrait de la gêne. […] Coleridge, dans sa jeunesse, a fait d’admirables Poëmes méditatifs, dans lesquels la nature anglaise domestique, si verte, si fleurie, si lustrée, décore à ravir, et avec une inépuisable richesse, des sentiments d’effusion religieuse, conjugale ou fraternelle ; soit que le soir dans son verger, entre le jasmin et le myrte, proche du champ de fèves en fleur, il montre à sa douce Sara l’étoile du soir, et se perde un moment, au son de la harpe éolienne, en des élans métaphysiques et mystiques, qu’il humilie bientôt au pied de la foi ; soit qu’il abandonne ensuite ce frais cottage, de nouveau décrit, mais trop délicieux, trop embaumé à son gré pendant que ses frères souffrent (vers l’année 93), et qu’il se replonge vaillamment dans le monde pour combattre le grand combat non sanglant de la science, de la liberté et de la vérité en Christ ; soit qu’envoyant à son frère, le révérend George Coleridge, un volume de ses œuvres, il y touche ses excentricités, ses erreurs, et le félicite d’être rentré de bonne heure au nid natal ; soit qu’un matin, visité par de chers amis, dans un cottage encore, et s’étant foulé, je crois, le pied, sans pouvoir sortir avec eux, du fond de son bosquet de tilleuls où il est retenu prisonnier, il fasse en idée l’excursion champêtre, accompagne de ses rêves aimables Charles surtout, l’ami préféré, et se félicite devant Dieu d’être ainsi privé d’un bien promis, puisque l’âme y gagne à s’élever et qu’elle contemple ; soit enfin que, dans son verger toujours, une nuit d’avril, entre un ami et une femme qu’il appelle notre sœur, il écoute le rossignol et le proclame le plus gai chanteur, et raconte comme quoi il sait, près d’un château inhabité, un bosquet sauvage tout peuplé de rossignols chantant à volée, en chœur, et entrevus dans le feuillage sous la lune, au milieu des vers luisants : Oh !
Voilà ce qu’il fit régulièrement durant toutes ces belles et fécondes années ; mais ce qu’il sentait là-dessous, ce qu’il souffrait, ce qu’il désirait secrètement ; mais l’aspect sous lequel il entrevoyait le monde, la nature, la société ; mais ces tourbillons de sentiments que la puberté excitée et comprimée éveille avec elle ; mais son jeune espoir, ses vastes pensées de voyages, d’ambition, d’amour ; mais son vœu le plus intime, son point sensible et caché, son côté pudique ; mais son roman, mais son cœur, qui nous le dira ? […] Il avait beaucoup désiré connaître le monde, le voir de près dans son éclat, dans les séductions de son opulence, respirer les parfums des robes de femmes, ouïr les musiques des concerts, s’ébattre sous l’ombrage des parcs ; il vit, il eut tout cela, mais non en spectateur libre et oisif, non sur ce pied complet d’égalité qu’il aurait voulu, et il en souffrait amèrement. […] Ils ressemblent à ces femmes bien élevées et sans richesses, qui ne peuvent souffrir un époux vulgaire, et à qui une union mieux assortie est interdite par la fortune.
Considérons de près les extorsions dont il souffre ; elles sont énormes et au-delà de tout ce que nous pouvons imaginer. […] Et il est si mauvais, que Malouet, l’intendant de la marine, le refuse pour ses employés « Sire, disait en chaire M. de la Fare, évêque de Nancy, le 4 mai 1789, sire, le peuple sur lequel vous régnez a donné des preuves non équivoques de sa patience… C’est un peuple martyr, à qui la vie semble n’avoir été laissée que pour le faire souffrir plus longtemps. » VIII. […] C’est un grand fléau que toute cette maltôte-là, et, pour s’en sauver, on aime mieux laisser les terres en friche… Débarrassez-nous d’abord des maltôtiers et des gabelous ; nous souffrons beaucoup de toutes ces inventions-là ; voici le moment de les changer ; tant que nous les aurons, nous ne serons jamais heureux.
Le dément s’assied dans son inconscience dont je ne sais quelle vague lueur lui permet de souffrir encore, « abandonné comme un colombier en ruines par les souvenirs vagabonds ». […] Disciple d’Ossian, j’ai souffert comme lui. […] Quand mon âme souffrait de ces mille douleurs, Pour égayer un peu ma tristesse chérie, Le Printemps éveillant la magique féerie, Épandait la rosée au calice des fleurs.
Je soutiens, moi, Rousseau, qu’il n’y en a pas, parce que tous les maux dont nous souffrons viennent de nous. […] Gnaton donne à son vieil ami le bon conseil : « Imite mon exemple et fais-toi parasite. » L’autre se rebiffe : « Gardez-en, m’a-t-il dit, le profit tout entier : On ne m’a jamais vu ni flatteur, ni parjure : Je ne saurais souffrir ni de coups ni d’injure ; Et, lorsque j’ai d’un bras senti la pesanteur, Je ne suis point ingrat envers mon bienfaiteur. […] Cependant en voici quelques-uns que vous pouvez comme épingler à ce titre de Galatée : Le silence en amour est une erreur extrême : Souffrez, mais déclarez vos maux ; Car qui les sait mieux que vous-même ?
On dirait qu’il a particulièrement souffert de la grossièreté et du matérialisme ecclésiastiques, du contact de tant de superstitions pieuses et lucratives. […] Donné par le poète (lui-même, il est très vrai) le mot d’ordre du silence a été gardé depuis sept ans avec une religion vraiment exemplaire, mais ceux qui ont souffert de se taire me pardonneront peut-être d’avoir parlé. […] Bataille, encore épars, ne semblent pas contrarier cette impression : il y demeure le rêveur nerveusement triste, passionnément doux et tendre, ingénieux à se souvenir, à sentir, à souffrir. […] Il était charmant, quoique très fier ; aimable, quoique triste et replié ; doux, quoiqu’il eût à souffrir ou de la vie, ou des importuns et des envieux, car il eut une gloire précoce, comme son talent. […] La femme à la beauté impassible souffre en silence, sans gestes, sans parade, sans larmes : sa peine est adoucie par la joie d’être belle.
L’amour, qui fait quelquefois souffrir, n’a pourtant pas le droit de devenir la passion sauvage qui se rebelle aux lois de la société. […] Oui, tu languis, tu souffres et tu pleures, Mais ta chimère est entre nous. […] La nature devient triste, lorsque nos romantiques souffrent, et joyeuse, quand ils sont joyeux ; elle est à leurs ordres, à leur service. […] On sait qu’il ne fut plus question de Parny, quand, ayant rejoint à Paris la malade qu’il avait rencontrée à la pension Chabert, il l’adora, et la querella, et la fit souffrir, comme c’est l’usage de ceux qui aiment. […] Mais cet état, comparé aux situations heureuses où elle s’est trouvée, lui devient bientôt désagréable, et la peine qu’elle souffre est ce que nous appelons ennui.
Les puissantes voix tendues grondent : jamais ils ne souffriront qu’un chien accapare leur prince, les dépossède de leur rang48. « Pour voir sa charogne naufragée sur la côte, il n’y a pas un de nous qui ne crevât son cheval. » « Nous le traînerons par les oreilles jusqu’au billot. » Ils l’ont saisi, ils vont le pendre à une branche ; ils refusent de le laisser parler une seule minute au roi. […] Qu’elle souffre bien, et surtout ne meure pas trop vite ! Qu’elle souffre du cœur, ces douleurs-là sont pires que celles de la chair. […] Alors tu seras célèbre82. » Quand une femme se dépouille de son sexe, ses actions vont au-delà de celles de l’homme, et il n’y a plus rien qu’elle ne sache souffrir ou oser. […] Viens ici, pour mettre fin — à tous ces déchirements ; regarde-moi, mon ami bien-aimé, — j’ai oublié les souffrances, les chères peines — que j’ai souffertes pour l’amour de toi ; je veux bien — être encore ton amour.
Et combien d’autres que je pourrais nommer, esprits délicats, esprits légers, mis au régime de la corvée, en ont souffert comme moi et en souffrent encore ! […] Le poète Guiraud, l’ami de M. de Vigny, disait en sortant de la séance : « Mon amitié a souffert, mais ma justice a été satisfaite. » M. […] La Maison du Berger, dédiée à Éva, débute par un beau mouvement : Si ton cœur, gémissant du poids de notre vie, Se traîne et se débat comme un aigle blessé, Portant comme le mien, sur son aile asservie, Tout un monde fatal, écrasant et glacé ; S’il ne bat qu’en saignant par sa plaie immortelle, … si tu souffres trop enfin, viens, lui dit-il ; laisse là les cités ; la nature t’attend dans son silence et ses solitudes
Il souffrirait d’être impoli presque autant que de rencontrer l’impolitesse. […] Le monde avait les exigences d’un roi absolu et ne souffrait pas de partage. « Si les mœurs y perdaient, dit un contemporain, M. de Besenval, la société y gagnait infiniment ; débarrassée de la gêne et du froid qu’y jette toujours la présence des maris, la liberté y était extrême ; la coquetterie des hommes et des femmes en soutenait la vivacité et fournissait journellement des aventures piquantes. » Point de jalousie, même dans l’amour. « On se plaît, on se prend ; s’ennuie-t-on l’un avec l’autre, on se quitte avec aussi peu de peine qu’on s’est pris. […] Si on avait la goutte, on marchait quand même, et sans faire la grimace ; on se cachait de souffrir par bonne éducation. […] On souffre peu des passe-droits là où il n’y a pas de droits ; nous ne songeons qu’à avancer, ils ne songent qu’à s’amuser.
Les papes cependant s’efforçaient de transformer par la magnificence des édifices Avignon en une Rome des Gaules ; la vie qu’on y menait était élégante et raffinée ; les jeunes gens même à qui la tonsure donnait droit aux bénéfices ecclésiastiques sans leur imposer les devoirs du sacerdoce, fréquentaient les académies et les palais des femmes plus que les églises ; leur costume était recherché et efféminé, « Souvenez-vous », dit Pétrarque dans une lettre à son frère Gérard, où il lui retrace ces vanités de leur jeunesse, « souvenez-vous que nous portions des tuniques de laine fine et blanche où la moindre tache, un pli mal séant auraient été pour nous un grand sujet de honte ; que nos souliers, où nous évitions soigneusement la plus petite grimace, étaient si étroits que nous souffrions le martyre, à tel point qu’il m’aurait été impossible de marcher si je n’avais senti qu’il valait mieux blesser les yeux des autres que mes propres nerfs ; quand nous allions dans les rues, quel soin, quelle attention pour nous garantir des coups de vent qui auraient dérangé notre chevelure, ou pour éviter la boue qui aurait pu ternir l’éclat de nos tuniques ! […] « Les uns font passer en revue devant moi les événements des siècles passés ; d’autres me dévoilent les secrets de la nature ; ceux-ci m’apprennent à bien vivre et à bien mourir ; ceux-là chassent l’ennui par leur gaieté, et m’amusent par leurs saillies ; il y en a qui disposent mon âme à tout souffrir, à ne rien désirer, et me font connaître à moi-même. […] L’énergie des caractères et la puissance des intelligences qu’elle produit sont en perpétuel contraste avec la petitesse des États et avec la servitude des institutions pour lesquels ces natures romaines devaient vivre ; en sorte que cette noble et belle terre souffre doublement de rêver ce que fut l’Italie jadis, et de subir ce que l’Italie est aujourd’hui. […] « Elle est partie pour le séjour de la félicité, et mes yeux la cherchent en vain dans ces lieux où elle naquit, dans cet air que je remplis de mes soupirs ; mais il n’y a ni rocher, ni précipice dans ces montagnes, ni rameau, ni feuillage vert sur ces rives, ni fleuve dans ces vallées, ni brin d’herbe, ni goutte d’eau, ni veine distillant de ces sources, ni bête sauvage de ces forêts qui ne sachent combien je souffre pour elle !
* * * — Sous l’agacement du bruit, il arrive une espèce de maladie nerveuse de l’oreille, l’acuité de la perception devient douloureusement infinie, et l’on ne souffre pas seulement du bruit, mais de la prévision et de l’attente du bruit, et le bruit fait, on souffre encore de ce qui est si long à mourir dans les ondes sonores. […] Et à la voir ainsi souffrir et s’encolérer, on sent l’aimante et jalouse nature qu’elle est. […] Je souffrais de voir mon Théo dans cette pose… Ah !