Ces chants conservèrent dans le nord de l’Écosse un sentiment de liberté et une indépendance qui a subsisté jusqu’aujourd’hui. […] On y trouve une imagination plus forte qu’étendue, peu d’art, peu de liaison, nulle idée générale, nul de ces sentiments qui tiennent au progrès de l’esprit, et qui sont les résultats d’une âme exercée et d’une réflexion fine ; mais il y règne d’autres beautés, le fanatisme de la valeur, une âme nourrie de toutes les grandes images de la nature, une espèce de grandeur sauvage, semblable à celle des forêts et des montagnes qu’habitaient ces peuples, et surtout une teinte de mélancolie, tour à tour profonde et douce, telle que devaient l’avoir des hommes qui menaient souvent une vie solitaire et errante, et qui, ayant une âme plus susceptible de sentiment que d’analyse, conversaient avec la nature aux bords des lacs, sur les mers et dans les bois, attachant des idées superstitieuses aux tempêtes et au bruit des vents, trouvant tout inculte et ne polissant rien, peu attachés à la vie, bravant la mort, occupés des siècles qui s’étaient écoulés avant eux, et croyant voir sans cesse les images de leurs ancêtres, ou dans les nuages qu’ils contemplaient, ou dans les pierres grises qui, au milieu des bruyères, marquaient les tombeaux, et sur lesquelles le chasseur fatigué se reposait souvent.
qui est descendu plus avant dans les profondeurs de la politique ; a mieux tiré de grands résultats des plus petits événements ; a mieux fait à chaque ligne, dans l’histoire d’un homme, l’histoire de l’esprit humain et de tous les siècles ; a mieux surpris la bassesse qui se cache et s’enveloppe ; a mieux démêlé tous les genres de crainte, tous les genres de courage, tous les secrets des passions, tous les motifs des discours, tous les contrastes entre les sentiments et les actions, tous les mouvements que l’âme se dissimule ; a mieux tracé le mélange bizarre des vertus et des vices, l’assemblage des qualités différentes et quelquefois contraires ; la férocité froide et sombre dans Tibère, la férocité ardente dans Caligula, la férocité imbécile dans Claude, la férocité sans frein comme sans honte dans Néron, la férocité hypocrite et timide dans Domitien, les crimes de la domination et ceux de l’esclavage, la fierté qui sert d’un côté pour commander de l’autre, la corruption tranquille et lente, et la corruption impétueuse et hardie, le caractère et l’esprit des révolutions, les vues opposées des chefs, l’instinct féroce et avide du soldat, l’instinct tumultueux et faible de la multitude, et dans Rome la stupidité d’un grand peuple à qui le vaincu, le vainqueur, sont également indifférents, et qui sans choix, sans regret, sans désir, assis aux spectacles, attend froidement qu’on lui annonce son maître ; prêt à battre des mains au hasard à celui qui viendra, et qu’il aurait foulé aux pieds si un autre eût vaincu ? […] Qu’on imagine une langue rapide comme les mouvements de l’âme ; une langue qui, pour rendre un sentiment, ne se décomposerait jamais en plusieurs mots ; une langue dont chaque son exprimerait une collection d’idées : telle est presque la perfection de la langue romaine dans Tacite. […] Il semble que Tacite, fatigué des émotions douloureuses et profondes que lui a données l’indignation du crime et le spectacle de la cour d’un tyran, cherche, pour écarter ces images, à se reposer sur les sentiments les plus doux de la nature : c’est la sensibilité d’un grand homme qui tout à la fois vous attendrit et vous élève.
Je découvris pourtant, sur de légers indices, quelque diminution de ses sentiments. […] Voilà le fond des sentiments de Bossuet. […] La nuit fut donnée aux justes sentiments de la nature. […] C’est pour cela, en tout cas, qu’il avait un si vif sentiment de la nature. […] Pensez à ce que doit être le sentiment d’un tel mal, avec son caractère bouillant !
Sur ce point, j’en suis encore au sentiment d’instinct, et je m’y tiens. […] Le sentiment du bon en littérature est comme le sentiment du bien en morale ; il ne trompe que ceux qui veulent être trompés. […] Il n’y a plus qu’à mettre une majuscule à Sentiment et à Goût. […] Victor Hugo a de l’action sur son époque, et s’il y excite un autre sentiment que celui de la curiosité. […] C’est même ce sentiment, c’est ce souci de la langue, qui conservent à M.
Regardons-le de près ; donnons-nous le sentiment bien vif de tous ses mérites. […] Et en le disant de la sorte, il nous donne à nous-même le sentiment du sublime. […] J’aime mieux insister sur les parties de l’ode où il exprime des sentiments qu’il nous est permis et facile de partager. […] Toutefois, prenons les choses d’un autre biais, et posons le cas que son sentiment fût conforme à l’interprétation que vous en faites. […] C’est dans le même sentiment que M.
« J’en dis autant des chevaliers romains, de ce corps honorable qui entoure le sénat en si grand nombre, dont tu as pu, en entrant, reconnaître les sentiments et entendre la voix, et dont j’ai peine à retenir la main prête à se porter sur toi. […] » De temps en temps Cicéron interrompt ses dialogues et ses citations sur l’éloquence par des retours sur le sort des grands orateurs de son temps, sur lui-même et sur le sort de sa patrie, retours qui sont eux-mêmes des chefs-d’œuvre de sentiment, de raison, de patriotisme. […] comment exprimer les sentiments d’amour et le ravissement que sa vue m’inspire ! […] Mais nous avons au dedans de nous je ne sais quel pressentiment des siècles futurs, et c’est dans les esprits les plus sublimes, c’est dans les âmes les plus élevées, que ce sentiment est le plus vif et qu’il éclate davantage. […] Quelle que soit donc la nature d’un être qui a sentiment, intelligence, volonté, principe de vie, cet être-là est céleste, il est divin, et dès lors immortel.
Bouhours cite souvent, avec éloge, quelques morceaux des Placets qu’il adressoit au Roi pour obtenir la fin de sa disgrace : ces morceaux sont éloquens, pleins de pensées délicates & bien exprimées, sans intéresser toutefois le sentiment, quoiqu’ils aient l’appareil du sentiment.
Il peut bien communiquer autant de lumieres : mais il excitera moins de sentiment. […] Est-il un sentiment plus opposé à la poltronerie ! […] Y eut-il jamais un sentiment si bizarre ? […] Le critique taxera cette conduite d’imprudence et de sentiment romanesque. […] Vous appuyez votre sentiment d’une comparaison bien riante, mais qui n’en est pas plus solide.
Je suis pénétré d’une épouvante désaccoutumée dès longtemps, pénétré du sentiment de toutes les calamités humaines. […] Cela n’a point pour but d’étonner, mais de charmer et surtout d’édifier l’âme par la reproduction émue des plus doux et des meilleurs sentiments de famille. […] Et cependant la scène est d’hier, les mœurs sont du jour et du pays, et le sentiment en est de tous les temps. […] Le jeune homme regarde encore longtemps cette poussière, puis il disparaît et reste là comme privé de sentiment. […] La morale pour le peuple n’est que dans le sentiment ; le plus populaire des véhicules pour le sentiment c’est un beau poème.
Au nom de quel sentiment a-t-il protesté de la sorte ? […] L’affection serait sans cela le plus trompeur des sentiments naturels… Mes compliments à vos dames, et pour vous, madame, le plus tendre et le plus respectueux attachement. […] Parmi ces hommes qui comprennent si mal les hautes pensées et les sentiments généreux, il reste cependant encore une secrète admiration pour des vertus et un dévouement dont ils sont incapables. […] Vous, madame, vous conservez les mêmes sentiments pour les hommes, dans quelque situation qu’ils soient. […] Tels étaient les sentiments dont j’étais animé à son égard et à l’égard de Mme d’Albany.
Les poëtes pourraient trouver dans les sciences une foule de pensées à leur usage, si elles communiquaient entre elles par la philosophie de l’univers, et si cette philosophie de l’univers, au lieu d’être abstraite, était animée par l’inépuisable source du sentiment. […] « Si le calcul doit présider à tout, les actions des hommes seront jugées d’après le succès : l’homme dont les bons sentiments ont causé le malheur, sera justement blâmé ; l’homme pervers mais habile sera justement applaudi. […] Le sentiment élève souvent la femme jusqu’à l’héroïsme, jamais jusqu’à l’impassibilité, cette sérénité supérieure de l’esprit, condition de la politique et de l’industrie. […] Enfin un exemple plus sophistique et plus monstrueux de défection aux principes et aux sentiments venait d’être donné de plus près à madame de Staël par un homme dont l’ascendant avait été autrefois tout-puissant sur son cœur. […] Je les aurais blessés dans leurs sentiments en allant à Coppet ; ils n’auraient pas compris que je fusse à la fois royaliste et admirateur passionné de madame de Staël.
Quelle joie dut causer à nos pères ce langage si bien approprié à la diversité des sentiments qu’il exprime, si haut et si fier dans les scènes d’explication et de défi, si naïf et si fin dans les scènes d’amour combattu, si poétique dans les épisodes ! […] Lui-même était très vif sur le sentiment de l’honneur, et l’on sait qu’à vingt ans il avait connu dans toute sa force la passion qu’il peint dans Rodrigue. Il faisait, pour la première fois, parler son cœur encore ému de souvenirs personnels, et déjà le poète savait choisir entre les sentiments qu’avait éprouvés l’homme. […] Si les beautés du théâtre de Corneille sont si populaires en France, le sentiment de ses imperfections ne l’est pas moins. […] Qu’est-ce en effet que la force du vers, le raisonnement, le sentiment, sinon autant de traits de ressemblance avec la vie ?
la propriété des mouvements, nous serions de grands écrivains… Je suis convaincu que, pour qui a le sentiment des analogies et la puissance des mystérieuses assimilations, les regarder, c’est apprendre à écrire. N’a-t-on pas dit d’une célèbre danseuse que tous ses pas étaient des sentiments ? […] Je ne reprocherai donc pas à l’auteur des Frères Zemganno d’avoir abaissé son sujet en choisissant deux clowns pour incarner dans ces deux hommes, qui semblent n’avoir qu’un corps et qui passent leur vie à le retourner comme une paire de gants, un superbe sentiment, un de ces sentiments qui impliquent une âme élevée et charmante. […] C’eût été, après l’effet esthétique, la portée morale de ce roman de La Faustin s’il avait été un chef-d’œuvre, s’il avait été, sous la plume implacable du romancier, comme une tête de Méduse d’une beauté sublime, mais fatale et mortelle à tous les sentiments de la femme, et particulièrement à l’amour. […] Dénouement tragique, d’un sentiment et d’une moralité grandioses.
J’avais affaire à Victor Hugo le poète romantique, le matérialiste profond, même quand il touche aux choses morales et aux sentiments les plus éthérés ; tellement matérialiste que nous avons été tous pris, comme des imbécilles, au titre de son livre de l’Homme qui rit. […] Il s’agissait d’un monstre fait à la main, d’une grimace fixée, d’un homme défiguré, qui, malgré lui, rit à poste fixe. — Nous ne demandions pas non plus à Victor Hugo des idées et des sentiments autres que ceux-là qu’il exprime, qu’il est obligé d’exprimer. […] Il n’y a que son orgueil, il n’y a que le sentiment de son moi qui puisse maintenant combler le vide de sa pensée. […] Poète, et poète dramatique, il a le sentiment de l’Histoire à peu près autant que son vieux complice, Alexandre Dumas, qui, lui aussi, s’est enfoncé jusqu’aux oreilles dans les Borgia, et s’est occupé de leurs crimes, non pour la scène, mais pour l’enseignement. […] Quoi qu’il en soit, du reste, la maternité, voilà le sentiment humain, à hauteur des cœurs de la foule, — car les sentiments qui font agir les hommes comme Lantenac ne sont qu’à hauteur de cœur de quelques-uns dans l’humanité, — la maternité, voilà le sentiment dont Victor Hugo, qui, pour le moment, crée des héros vieux et ne met plus d’amour dans ses livres, a voulu tirer des effets dramatiques et touchants… Mais en la peignant avec son matérialisme ordinaire, en l’expliquant avec ce matérialisme qui n’est plus uniquement poétique, mais philosophique par-dessus le marché, cette notion, il l’a déshonorée !
Je me méfie des « sentiments distingués » : depuis que la distinction s’affiche, elle me déplaît. […] La délicatesse des sentiments serait-elle sans rapports avec celle de l’esprit ? […] Cette « haine du Moi » est-elle, chez notre auteur, un sentiment instinctif ou une opinion raisonnée ? […] Sans but précis, sans songer au perfectionnement de la morale, ils examinent en curieux comment s’arrangent ensemble les divers sentiments ou passions qui se partagent une âme ; ou même, plus frivoles encore, ils isolent une passion ou un sentiment pour les examiner en eux-mêmes. […] Et pourtant, dans le sentiment qui l’anime, il y a quelque chose d’exceptionnel, d’excessif, qui laisse subsister une vague méfiance.
Sentiment sur la pièce. […] Sentiment sur la pièce. […] Remarquons encore que la dame de Florence fait des avances à un inconnu ; Isabelle connaît la pureté des sentiments qu’elle inspire. […] Sentiment sur la pièce. […] Quel malheur pour ces messieurs, que sa majesté n’eût pas dit son sentiment la première fois !
Car l’humanité redoute toujours un effort nouveau, je ne sais quel désir de repos, je ne sais quel sentiment de la quiétude existe profondément dans les consciences. […] Ces gens, d’une distinction si surprenante, semblent être préparés à merveille pour percevoir les nuances du sentiment, les subtilités de la psychologie ou de l’esthétique. […] L’excès même de ses sentiments en compose la confusion. […] Il ne se défend point d’outrer ses sentiments. […] Il ne grossit pas ses impressions, il n’outre pas ses sentiments, dans l’intention de nous causer un étonnement passager.
Les mêmes mœurs qui expliquent les sentiments durs expliquent le style libre. […] Devenu curieux et psychologue, vous notez avec moquerie ou avec colère les bizarreries, la folie, l’énergie des sentiments. […] Ses sentiments sont si naturels, et ses paroles si sincères, qu’il est toujours aimable. […] Elle parle, mais en grande dame, avec le sentiment secret de sa dignité et de la dignité de ceux qui l’écoutent. […] Je vous demande mille pardons ; si j’ai des sentiments qui vous déplaisent, du moins je ne vous déplairai jamais par mes actions.
Toujours dans Le Rouge et le Noir : « Un sentiment d’anti-sympathie. » Il faudrait « un sentiment d’antipathie ». […] Plus sentimentales par nature que les hommes, elles versaient du côté du sentiment qui, chez elles, prenait ainsi le pas sur le désir, ou bien il fallait — et elles y étaient toutes disposées — que le désir prît la forme du sentiment. […] Avec elles, si l’on n’invoque le sentiment, il faut être du moins agréable et léger. […] Seulement, chez Bazin, la sensualité de Sand s’est muée en pur sentiment. […] Par ce sentiment, on voulut renouveler nos lettres.
À ce nom fatal d’un parti désorganisateur et insolent, la langueur générale fit place à un sentiment beaucoup plus vif. […] Excusez mon bavardage, et recevez l’expression de mes sentiments les plus distingués9. […] Or on sait quel sentiment la force excite dans les cœurs lorsqu’elle se sépare de la justice. […] Encore sous une forme classique et copiée d’Homère, à chaque instant le Tasse met-il les sentiments tendres et chevaleresques de son siècle. […] La pensée ou le sentiment doivent avant tout être énoncés avec clarté dans le genre dramatique, en cela l’opposé du poème épique.
Il y avait, dans ce recueil, des pièces tout à fait supérieures, d’un sentiment exquis, d’une langue à la fois sévère et doucement colorée, d’un rythme ferme et harmonieux. […] Ce sentiment, comme tous ceux que l’auteur a mis en œuvre, est exprimé toujours avec une rare délicatesse, une véritable finesse de nuances.
Laurent Pichat s’est fait remarquer par ses Libres Paroles (1847), où il a trouvé, pour l’expression de ses sentiments, de ses doutes, de ses interrogations généreuses, plus d’une action et d’un cri où l’on surprend comme un écho de Byron. […] C’est par là qu’il rentre dans la plénitude et la pureté de sa nature, trop longtemps faussée, et qu’on oublie les idées qu’on déteste et que souvent il exprime, pour ne se souvenir que des sentiments qu’on adore.
Cette insinuation fut un coup de foudre pour une femme qui avait placé depuis son enfance le foyer de sa gloire, de son importance et de ses sentiments dans la capitale de la France. […] L’impression de la jeunesse de la femme s’y fait sentir plus que dans les autres livres, c’est une réminiscence toute chaude encore de sentiments mal éteints. […] Ces hypocrisies de sentiment ne siéent pas au véritable génie ; le captif ne maudit pas sincèrement la main qui brise ses chaînes. […] Le poëte ne fait, pour ainsi dire, que dégager le sentiment prisonnier au fond de l’âme ; le génie poétique est une disposition intérieure de la même nature que celle qui rend capable d’un généreux sacrifice ; c’est rêver l’héroïsme que composer une belle ode. […] Il exige des beautés absolues, des beautés qui frappent le lecteur solitaire, lorsque ses sentiments sont plus naturels et son imagination plus hardie.
Il serait plus difficile de dépeindre les sentiments qu’elle réveille, et qui se rapprochent de ce que notre cœur peut comprendre des plus extatiques ravissements. […] Celui-ci, après avoir réfléchi pendant quelques jours, lui dit : « Vous voulez avoir mon sentiment : eh bien, en toute franchise votre Lohengrin me paraît un personnage très peu sympathique. […] Mais c’est un froid égoïste, qui ne peut que blesser le sentiment et inspirer de l’aversion. » Wagner fut bouleversé de cette critique. […] » S’étant ainsi confirmé dans son propre sentiment, Wagner se remit à discuter avec son ami, et avec plusieurs autres qui avaient également condamné Lohengrin. […] La vérité qui résulte, pour nous, de ce sentiment, ne nous sera complètement et clairement évidente, que si nous revenons à l’explication philosophique de la Musique même.
C’est beaucoup d’en approcher, et, comme on est ici dans l’ordre moral, c’est quelque chose déjà d’avoir le sentiment de cette formule. […] Tite-Live, de même, en évitant ces reliefs en tous sens qu’un Plutarque peut indiquer dans le détail et qu’on recherche si fort aujourd’hui, obéit à une pensée de peintre plus que d’orateur, à un sentiment d’accord, de composition et de nuance, qui lui fait assortir ses principales figures avec le noble monument qu’il élève. […] C’est un véritable instinct, qui me tient renfermé en moi-même et qui empêche l’expansion des idées ou des sentiments. […] Il vaudrait mieux peut-être ne pas s’en rendre compte et se faire illusion sur son prix ; mais si je suis amené, par ce sentiment même de ma décadence intellectuelle et morale, à chercher plus haut que moi une consolation et un appui, la réflexion et la raison m’auront rendu sans doute, après avoir été cause de souffrances, le plus grand service qu’il soit possible d’en retirer. […] Il s’en croyait assuré par le seul sentiment de possession intime, et il reproduit cette conviction fondamentale sous mille formes.
On se mit donc à l’œuvre avec émulation et zèle ; l’honneur de l’Imprimerie Impériale était en jeu ; chacun le sentait ; chacun, dans cette sphère laborieuse où le ressort est intact comme dans une armée, fit son devoir à l’envi, depuis le chef des travaux typographiques jusqu’au dernier pressier, et l’on arriva à temps sans que l’œuvre produite accusât en rien la précipitation et sans qu’elle éveillât chez les connaisseurs en telle matière d’autre sentiment que celui d’une approbation sans réserve pour une exécution si parfaite. […] Mais du jour où, dans une province de Judée éloignée de Jérusalem, sur une colline verdoyante, non loin de la mer de Galilée, au milieu d’une population de pauvres, de pêcheurs, de femmes et d’enfants, le Nazaréen, âgé de trente ans environ, simple particulier, sans autorité visible, nullement conducteur de nation, ne puisant qu’en lui-même le sentiment de la mission divine dont il se faisait l’organe inspiré comme un fils l’est par son père, se mit à parler en cette sorte, de cette manière pleine à la fois de douceur et de force, de tendresse et de hardiesse, « d’innocence et de vaillance », un nouvel âge moral commençait. […] C’est lui qui, accosté, au milieu d’un groupe d’amis, par un philosophe soi-disant stoïcien ou cynique qui lui demandait arrogamment, au nom de sa barbe et de son manteau, de lui donner de quoi acheter du pain, répondait : « Qu’il soit ce qu’il veut, donnons-lui pourtant quelque chose, si ce n’est comme à un homme, du moins comme étant homme nous-mêmes… tanquam homines, non tanquam homini. » C’est là une charmante application encore du sentiment et du mot de Térence. […] — Et en effet, pour quiconque, même sans trop de science, le considère et le contemple en lui-même et dans ce qui sort immédiatement et directement de lui, le Christ est et demeure celui en qui et à l’occasion duquel s’est offerte aux yeux des hommes la manifestation la plus parfaite du sentiment, divin uni à la pitié et à la componction humaine. […] Mais le christianisme en soi, dans son essence, dans sa valeur morale intrinsèque, ne dépend pas de formes plus ou moins historiques ou politiques, qui se sont souvent modifiées et qui peuvent se modifier encore ; et sans sortir des Évangiles mêmes, en les relisant, en reportant surtout sa pensée, comme je l’ai fait aujourd’hui, sur les discours de Jésus, sur cet incomparable Sermon de la montagne, le premier et le plus beau de tous, on est amené à dire avec un des amis de Pascal : « Quand il n’y aurait point de prophéties pour Jésus-Christ, et qu’il serait sans miracles, il y a quelque chose de si divin dans sa doctrine et dans sa vie, qu’il en faut au moins être charmé ; et que comme il n’y a ni véritable vertu, ni droiture de cœur sans l’amour de Jésus-Christ, il n’y a non plus ni hauteur d’intelligence, ni délicatesse de sentiment sans l’admiration de Jésus-Christ. » Cette conclusion, dont se contentaient d’honnêtes gens au xviie siècle, paraîtra peut-être encore suffisante aujourd’hui.
On lit dans son Journal à cette date : « Le poëte sans fortune est le plus malheureux des hommes : la courtisane ne livre que son corps, libre de garder au fond du cœur les sentiments qui lui restent ; l’autre, au contraire, doit, pour vivre, livrer ses soupirs, ses émotions, les pensées qui lui sont chères, et jusqu’aux plus secrètes profondeurs de son âme, et cela à un public libre de noircir le tout de la plus injurieuse critique ou du mépris le plus insultant. » — C’est le Journal d’où sont tirées ces paroles si senties, qu’il serait curieux de connaître : on nous le doit. […] Rien ne laboure profondément le cœur de l’homme comme le malheur, et rien n’est vivace comme les sentiments qui y croissent après ce rude travail. La douleur élague du cœur tout ce qui est chétif et petit, toutes les plantes parasites ; elle ne laisse vivre que les hautes passions, les sentiments sublimes. […] Vous avez besoin de repos ; vous ne l’aurez que dans la solitude ; quittez Paris où tout vous enlève au sentiment de vous-même ; votre cœur n’est pas fait pour les dévorantes émotions de cette ville. […] Il courait de là tout autour, par les sites montueux, avec une joie sauvage, pleine de vertige et d’ivresse, et comme un Oberman, mais un Oberman qui veut être consolé : « Mon premier sentiment, dans ma retraite ignorée, fut une espèce de joie de me trouver enfin délivré des agitations de la vie sociale.
Il y avait de quoi ramener les cœurs les plus durs à des sentiments de pitié et de sympathie ; décidément, il y avait rachat : les tortures morales et physiques du prisonnier, les épreuves et les mérites de sa famille avaient dépassé et couvraient les fautes. […] 67 Lorsque le petit-fils de Fouquet, M. de Belle-Isle, âgé de seize ans, vint à Paris, jeune homme de bonne mine, ayant « de l’esprit, du tact, les sentiments et les façons d’un vrai gentilhomme », grandement apparenté d’ailleurs, allié aux Lévis et aux Charost, l’intérêt de la société se porta sur lui ; on ne pensa à rien moins d’abord qu’à le faire entrer dans les mousquetaires du roi : on y réussit. […] Les plaisirs n’étouffent point vos sentiments ; vous n’oubliez ni vos pertes, ni vos regrets, ni vos devoirs, et le tumulte de la Cour et de Paris ne prend rien sur vos réflexions. […] Il a été pleuré à l’armée des ennemis comme dans la noire. » Dans le premier moment, un sentiment de regret unanime s’associa comme une trop faible consolation et un bien juste hommage à l’immense douleur du maréchal de Belle-Isle ; mais la malignité qui se glisse partout, et qui est si prompte à se venger d’un premier mouvement de sympathie, trouva bientôt mauvais qu’il n’eût point résigné le ministère tout aussitôt après la mort de son fils. […] Cette parfaite culture à laquelle rien n’avait manqué et qui avait si bien réussi, ce respect absolu pour son père, cette soumission, cette juste égalité de sentiments en tout, ou cette réserve qui était une vertu à son âge, ne laissent pas deviner quelle nature de génie particulière pouvait être en lui, et s’il avait du génie ou seulement un parfait mérite ; car, quand on a tant de bon sens à vingt-cinq ans, aura-t-on du génie à cinquante ?
Et à toutes les époques de trouble et de renouvellement, quiconque, témoin des orages politiques, en saisira par quelque côté le sens profond, la loi sublime, et répondra à chaque accident aveugle par un écho intelligent et sonore ; ou quiconque, en ces jours de révolution et d’ébranlement, se recueillera en lui-même et s’y fera un monde à part, un monde poétique de sentiments et d’idées, d’ailleurs anarchique ou harmonieux, funeste ou serein, de consolation ou de désespoir, ciel, chaos ou enfer ; ceux-là encore seront lyriques, et prendront place entre le petit nombre dont se souvient l’humanité et dont elle adore les noms. […] En supposant cette conversion sincère, on s’étonne que Rousseau n’ait pas plus tiré parti pour sa poésie de cette nature de sentiments ; c’était peut-être en effet la seule corde lyrique qui fût capable de vibrer en ces temps-là. […] De la sorte, chez lui, nul sentiment vrai du passé non plus que du présent ; son esprit était le plus terne des miroirs ; rien ne s’y peignait, il ne réfléchit rien ; sans originalité, sans vue intime ou même finement superficielle, sans vivacité de souvenirs, aussi loin des chœurs d’Esther que des vers datés de Philisbourg, tenant tout juste au siècle de Louis XIV par l’Ode sur Namur, ce fut le moins lyrique de tous les hommes à la moins lyrique de toutes les époques. […] Jean-Baptiste avait probablement oublié de relire le dixième livre de l’Odyssée, ou même, s’il l’avait relu, il y aurait saisi peu de chose ; car il manquait du sentiment des époques et des poésies, et s’il mêlait sans scrupule Orphée et Protée avec le comte de Luc, Flore et Cérès avec le comte de Zinzindorf, il n’hésitait pas non plus à madrigaliser l’antiquité, et à marier Danchet et Homère. […] Quelques-uns de ses vers religieux (en les supposant écrits depuis cette date fatale) semblent même s’inspirer du sentiment énergique qu’il a de sa propre innocence : « Mais de ces langues diffamantes Dieu saura venger l’innocent, etc. », et plusieurs semblables endroits.
Il est de certaines époques de l’histoire, dans lesquelles l’amour de la gloire, la puissance du dévouement, tous les sentiments énergiques, enfin, semblent ne plus exister. […] Il fallait ce sentiment, qui fait trouver le bonheur dans le sacrifice de soi-même. […] Voilà de quels éléments il fallait faire sortir cependant la moralité des actions, la douceur des sentiments et le goût des lettres. […] Trop de puissance déprave la bonté, altère toutes les jouissances de la délicatesse ; les vertus et les sentiments ne peuvent résister d’une part à l’exercice du pouvoir, de l’autre à l’habitude de la crainte. […] Le fanatisme, à diverses époques, étouffa les sentiments de douceur qu’inspirait la religion chrétienne ; mais c’est l’esprit général de cette religion que je devais examiner ; et de nos jours, dans les pays où la réformation est établie, on peut encore remarquer combien est salutaire l’influence de l’Évangile sur la morale.
Croyez-en ma parole, le monde entier se renverserait plutôt, que la constance de mon étoile à me persécuter. » Ce sentiment habituel du malheur s’exprime quelquefois chez elle par des mots touchants, qui se font remarquer au milieu d’un langage dont le ton ordinaire n’était pas toujours très distingué. […] À peine arrivée en ce lieu, dont on racontait tant de merveilles et de mystères, la curiosité féminine et l’indiscrétion l’emportent d’abord chez Mme de Graffigny sur les autres sentiments, et elle se met à écrire à ses amis de Lorraine tout ce qu’elle voit, tout ce qu’elle entend. […] Dans les premiers temps de ce séjour à Cirey, il écrivait à d’Argental, en revenant de faire un voyage de Hollande, et en nous découvrant toute sa pensée, ses affections, les parties les plus sérieuses de son âme : Je vous avoue que si l’amitié, plus forte que tous les autres sentiments, ne m’avait pas rappelé, j’aurais bien volontiers passé le reste de mes jours dans un pays où du moins mes ennemis ne peuvent me nuire, et où le caprice, la superstition et l’autorité d’un ministre ne sont point à craindre. […] Il faut faire entrer dans notre être tous les mondes imaginables, ouvrir toutes les portes de son âme à toutes les sciences et à tous les sentiments ; pourvu que tout cela n’entre pas pêle-mêle, il y a place pour tout le monde. […] ils te désireraient, mais ils ne peuvent t’atteindre. » En ce qui est du roman même, Turgot regrette que l’auteur ait mieux aimé faire une héroïne à la Marmontel, et qui renonce au mariage par un sentiment exagéré de délicatesse, que d’avoir conduit la passion à une conclusion plus légitime et plus naturelle : « Il y a longtemps que je pense, dit-il, que notre nation a besoin qu’on lui prêche le mariage et le bon mariage. » Il voudrait que l’auteur n’eût pas manqué ce sujet-là en terminant, et il lui conseille d’y revenir dans une suite dont il trace le plan lui-même.
Elles expriment certains sentiments d’amertume, de tristesse, d’exubérance, de grandeur, sur lesquelles il est impossible de se tromper. […] Ici, l’étude des relations entre les sentiments de l’œuvre et la nature morale de l’auteur demande plus de soins. […] La volonté, la mémoire, le sentiment, le langage, une perception, une image, une idée, un raisonnement, sont des termes possédant un sens précis, représentant des faits notoires. […] Il convient d’attendre de la critique scientifique des notions neuves et précises sur l’imagination, l’idéation, l’action réciproque du langage et de la pensée, de l’émotion et de la pensée, des sensations et des idées, sur l’invention, sur les sentiments esthétiques et sur d’autres problèmes de même ordre ou supérieurs. […] Dans les années 1900-1910, il s’intéressera en particulier à l’imagination, à l’attention, et aux sentiments.
C’est ainsi qu’un spiritualisme de collège se substitue bien vite au spiritualisme vivant, dont on retrouve le sentiment chez tous les grands philosophes. […] Biran au contraire, en admettant un sentiment immédiat de l’être, trouve un passage entre les deux mondes et ressaisit l’objet par le moyen du sujet, c’est-à-dire de l’esprit. […] Le sentiment de mon être intérieur n’est pas uniquement le sentiment d’une existence nue et inerte, à la surface de laquelle se joueraient, nous ne savons comment, les mille fluctuations de la vie phénoménale. […] Dans quel réservoir vont se cacher ces pensées latentes, ces sentiments endormis, cette volonté suspendue, ce moi enfin qui vivait avant, qui revit après, et dont les tronçons, coupés et séparés, se rejoignent et se retrouvent au moment du réveil, comme si un lien inaperçu n’eût cessé de les rattacher l’un à l’autre dans ce vide apparent ?
Les nations dégénèrent ; l’esprit humain marche toujours : il a en lui une vie incessamment progressive, qu’il n’aperçoit point, qu’il ne peut ni ne doit apercevoir, dont il a néanmoins le sentiment, et qui ne se manifeste qu’à de certaines époques ; comme, dans l’homme, il y a des changements qui se font à son insu, des phénomènes de développement, de croissance, de maturité, qui s’opèrent indépendamment de ses calculs et de sa volonté. […] Mais cette haute doctrine, qui fait la base de toutes les religions, qui a été si admirablement perfectionnée dans le christianisme, qui a toujours subsisté comme sentiment primitif parmi les hommes, qui est si morale, puisqu’elle explique à la fois le sacrifice, le dévouement et le malheur, cette haute doctrine ne doit pas, en ce moment, attirer notre attention. […] Les fausses religions elles-mêmes révèlent et prouvent les principes de la vraie religion : toutes les fois, par exemple, que, dans le polythéisme, un homme a rencontré le sentiment de l’amour, il a rencontré le christianisme, et il a été ce que Tertullien appelait une âme naturellement chrétienne. […] Cette idée, qui consistait à faire de Dieu même le type de l’homme et de ses facultés, fut étendue, dans les doctrines platoniciennes, de l’intelligence aux sentiments. […] Ainsi elle croyait n’obéir qu’à un sentiment d’humanité, et elle suivait un conseil de la Providence.
» Une seconde mère ira plus loin : « J’ai défendu à mes enfants, dira-t-elle, d’ouvrir désormais votre publication, et si pareil scandale se renouvelle, je vous préviens que je cesserai mon abonnement. » Remarquez que l’œuvre incriminée n’a aucun caractère d’immoralité ; qu’elle est écrite, je le suppose, avec un sentiment de réserve et de respect. […] N’est-ce pas du spectacle de la lutte contre les plus violentes passions, du contraste entre le bien et le mal représentés par des personnages différents, ou par les tendances différentes du même personnage, que naîtront les sentiments que l’auteur veut faire éprouver au lecteur : l’admiration, la crainte, la haine ? […] Il doit prendre garde que la peinture, trop complaisamment poussée, d’un sentiment mauvais, d’un vice, d’une faute, ne fasse oublier au lecteur la perversité du sentiment ou de l’acte ; il faut qu’il mesure le danger de l’exemple qu’il crée lui-même, et que, par une habileté dont le public ne s’apercevra peut-être pas, sans le dire le plus souvent, il laisse aux manifestations de la volonté humaine leur caractère de liberté, de mérite ou de démérite. […] Le sentiment qui fait parler ou agir la foule, en pareil cas, c’est l’ennui, direz-vous.
Cependant, et tandis qu’il étalait ainsi publiquement, cyniquement, sa religion de la nature, un autre sentiment, qui lui manque, naissait et se développait chez quelques-uns de ses contemporains : c’est ce sentiment de l’Art, que nous avons vu faire cruellement défaut au Moyen Âge, et dont la réapparition dans le monde est si caractéristique de l’esprit de la Renaissance. […] Que si nous rassemblons maintenant tous ces traits, — sentiment de l’art, glorification ou divinisation des énergies de la nature, et développement de l’individualisme, — on a déjà vu qu’ils se tiennent étroitement entre eux. […] Non seulement le Moyen Âge n’avait pas eu le sentiment de la forme ; mais il s’était constamment défié de la nature comme d’une maîtresse d’erreur ou d’une puissance ennemie de l’homme ; et l’esprit de sa politique n’avait tendu qu’à emprisonner l’individu dans les liens de sa corporation, de sa classe, ou de sa caste. […] Faisons qu’elle consiste non seulement dans un échange habituel de services, mais aussi de sentiments ou d’idées. […] De quelques lacunes du roman de Rabelais. — Le mépris de la femme, et qu’à cet égard on n’est pas plus Gaulois que Rabelais. — Ce que l’on veut dire quand on dit qu’il n’a pas eu le sentiment de la beauté [Cf.
J’ai, depuis, changé de sentiment. […] Il avait, en ces matières, des sentiments tranchés et des idées confuses. […] » D’où me venait ce sentiment nouveau ? […] Il ose tout, il n’a pas le moindre sentiment du ridicule. […] Le sentiment qu’il voue à ses amies est encore un peu l’amour.
On ne saurait exprimer ses sentiments vrais avec plus de clairvoyance. […] Fortes de ce sentiment que M. […] N’ennoblit-il pas tous leurs sentiments ? […] L’histoire des sentiments romantiques, celle des idées romantiques, telle que l’a écrite M. […] Singulier sentiment chez des gens qu’on a connus si zélés pour la justice civile.