La duchesse d’Orléans, mère du Régent, écrivait en juillet 1699 : Rien n’est plus rare en France (il fallait dire : à la Cour) que la foi chrétienne ; il n’y a plus de vice ici dont on eût honte ; et, si le roi voulait punir tous ceux qui se rendent coupables des plus grands vices, il ne verrait plus autour de lui ni nobles, ni princes, ni serviteurs ; il n’y aurait même aucune maison de France qui ne fût en deuil. […] » Acceptant hardiment l’éloge et en tirant sujet de s’humilier : Dieu, dit-il, ne retire plus ses prophètes du milieu des villes, mais il leur ôte, si j’ose parler ainsi, la force et la vertu de leur ministère ; il frappe ces nuées saintes d’aridité et de sécheresse : il vous en suscite qui vous rendent la vérité belle, mais qui ne vous la rendent pas aimable ; qui vous plaisent, mais qui ne vous convertissent pas : il laisse affaiblir dans nos bouches les saintes terreurs de sa doctrine ; il ne tire plus des trésors de sa miséricorde de ces hommes extraordinaires suscités autrefois dans les siècles de nos pères, qui renouvelaient les villes et les royaumes, qui entraînaient les grands et le peuple, qui changeaient les palais des rois en des maisons de pénitence… Et faisant allusion à d’humbles missionnaires qui, durant ce même temps, produisaient plus de fruit dans les campagnes : « Nous discourons, disait-il, et ils convertissent. » J’ai cité, d’après la tradition, quelques-unes des conversions soudaines opérées par l’éloquence de Massillon : pourtant, sans nier les deux ou trois cas que l’on cite, je vois que Massillon croyait peu à ces sortes de conversions par coup de tonnerre, « à ces miracles soudains qui, dans un clin d’œil, changent la face des choses, qui plantent, qui arrachent, qui détruisent, qui édifient du premier coup… Abus, mon cher Auditeur, disait-il ; la conversion est d’ordinaire un miracle lent, tardif, le fruit des soins, des troubles, des frayeurs et des inquiétudes amères ». […] Approchez des grands ; jetez les yeux vous-même sur une de ces personnes qui ont vieilli dans les passions, et que le long usage des plaisirs a rendues également inhabiles et au vice et à la vertu. […] Après ces retards inévitables, Massillon, âgé pour lors de cinquante-huit ans, se rendit en son diocèse en 1721, et n’en sortit plus qu’une seule fois pour venir prononcer à Saint-Denis l’Oraison funèbre de la duchesse d’Orléans, mère du Régent (février 1723).
Fénelon l’avertit toutefois de prendre garde et de ne pas trop se livrer à sa pente : il croit utile que le bon duc ait quelquefois entretien avec un autre que soi, avec quelqu’un de simple, de pieux, de sincère : « Cette personne, lui dit-il, vous consolerait, vous nourrirait, vous développerait à vos propres yeux et vous dirait vos vérités. » On a beau se persuader qu’on se dit à soi-même ses vérités, on n’y atteint jamais complètement ni par le coin le plus sensible : « Une vérité qu’on nous dit nous fait plus de peine que cent que nous nous dirions à nous-même : on est moins humilié du fond des vérités que flatté de savoir se les dire. » En attendant que le duc de Chevreuse ait trouvé de près ce quelqu’un pour lui rendre ce service, Fénelon le lui rend de loin tant qu’il peut, en lui parlant sans réticence, sans ménagement ; il lui expose d’une manière sensible son grand défaut, ce beau défaut tout curieux, tout intellectuel ; il le lui étend avec ses replis et le lui fait toucher au doigt : Plus une vie est profonde, délicate, subtile et spécieuse, plus on a de peine à l’éteindre. […] Aux prises avec le duc de Vendôme qu’on lui avait donné pour conseil militaire et pour guide, et qui offrait avec lui tous les genres de contraste, il rendait la vertu méprisable et ridicule aux yeux des libertins. […] Il faut avouer que je vous ai toujours vu, dans votre enfance, aimant à être en particulier, et ne vous accommodant pas des visages nouveaux. » Il voudrait le voir accessible, ouvert à tous, sachant s’entourer mieux qu’il ne fait et de personnes plus considérées, sachant un peu proportionner ses témoignages de confiance à la réputation publique de ceux à qui il les accorde ; il voudrait surtout le mettre en garde contre tout ce qui semble dénoter une dévotion sombre, timide, scrupuleuse : Pour votre piété, si vous voulez lui faire honneur, vous ne sauriez être trop attentif à la rendre douce, simple, commode, sociable… (Et dans une autre lettre, à quelques jours de là) : Vous devez faire honneur à la piété, et la rendre respectable dans votre personne.
Je me trouve à présent la plus heureuse mère du monde, qu’ils me sont tous rendus, et il me semble qu’une pierre du cœur m’est ôtée. » À Potsdam, deux ans après, il se montre plein de sollicitude et d’angoisse pour le prince Henri qui a failli être victime d’un accident, de la chute d’un cadre qui lui est tombé sur la tête. […] L’ennemi ne fait que vous suivre… Ces marches en arrière, à la longue, ne vont pas. » Après un entretien avec son frère, à Bautzen, où il essuya de durs reproches, et où, dit-on, forcé dans sa timidité, il en rendit quelques-uns à son tour, le prince Guillaume quitta le commandement. […] Nombre de lettres de Frédéric adressées à son frère, à la veille ou au lendemain des batailles acharnées où il risque tout et où, tantôt battu, tantôt battant, sa personne est continuellement enjeu, lettres toutes remplies de recommandations nettes et précises, attestent sa simplicité, sa force d’âme et son souci patriotique de l’État, il met certainement le plus haut prix aux services que le prince Henri ne cesse de rendre, en ces cruelles années, par ses soins et ses bonnes dispositions autant que par sa valeur : « L’Europe, lui dit-il (mai 1759), apprendra à vous connaître non seulement comme un prince aimable, mais encore comme un homme qui sait conduire la guerre et qui doit se faire respecter. […] Après un court intervalle de repos, le roi lui rendit le commandement d’une armée. […] Loudon me rend grognard et fâcheux ; je ne disconviens pas qu’il en pourrait être quelque chose, et que, si nous l’avions bien battu, je m’adoucirais pour le genre humain… Tout cela est spirituel et gaiement dit, pour être écrit dans un camp, et surtout si l’on se reporte aux circonstances.
Il ira d’abord rendre témoignage à son propre Précurseur en se faisant baptiser par lui. […] Ici l’on a affaire à une légende du moins un peu plus dramatique : c’est toute une histoire inventée pour rendre ce traître plus horrible. […] Louis Paris m’a forcé d’y revenir, j’en profiterai pour trouver de mon côte, par une sorte d’émulation et par contraste, les images et les comparaisons naturelles qui rendent pour moi l’effet produit par cette série de scènes et de journées, mises bouta bout, dont l’assemblage constitue un Mystère. […] Le bon roi René, de béate mémoire, était, on le sait, le grand protecteur et admirateur des Mystères : rendons au roi René ce qui est au roi René, et à Périclès ce qui est à Périclès. […] Paris sur ce sujet, non sans un assaisonnement de polémique, qui aime et qu’on pourrait lui rendre ; car, sauf respect estime, il prête flanc sur bien des points.
L’impartialité nous oblige à dire que tous les conseils de Marie-Thérèse à sa fille n’étaient pas également bons ; nous distinguerons entre ceux qu’elle lui donnait sur son métier de reine, conseils sages, utiles, excellents à suivre en tout point, et ceux que la politique particulière de l’Autriche lui dictait : ces derniers conseils, soupçonnés du public, étaient parfois périlleux pour Marie-Antoinette, tendaient à la rendre impopulaire et à justifier le reproche qu’on lui faisait généralement, de sacrifier l’intérêt de la France à celui de l’Autriche. […] En faisant à cette heure la paix, je m’attire non seulement le blâme d’une grande pusillanimité, mais je rends le roi (de Prusse) toujours plus grand, et le remède devrait être prompt. […] Je l’avoue, je m’en flattais un peu, surtout proposant de rendre la Bavière à l’Électeur… Vous serez informée par Mercy du détail et de nos dispositions ultérieures ; en attendant, la Bohême est saccagée le plus cruellement, et à la fin, si la jonction se fait des deux armées, cela viendra à une bataille qui décidera, et rendra tant de milliers de personnes malheureuses, et peut-être nous-mêmes dans notre famille… Cette perspective est cruelle, et j’aurais tenté l’impossible pour la pouvoir décliner ; car, je vous l’avoue, le pas que j’ai fait vis-à-vis de ce cruel ennemi m’a bien coûté. […] On formait toutes les années des camps dans les provinces, où les troupes étaient exercées par des commissaires-inspecteurs instruits et formés aux grandes manœuvres de la guerre ; l’impératrice se rendit elle-même à différentes reprises dans les camps de Prague et d’Olmütz, pour animer les troupes par sa présence et par ses libéralités- : elle savait faire valoir mieux qu’aucun prince ces distinctions flatteuses dont leurs serviteurs font tant de cas ; elle récompensait les officiers qui lui étaient recommandés par ses généraux, et elle excitait partout l’émulation, les talents et le désir de lui plaire.
Un tel voyage est une sorte d’analyse pratique et vivante de l’origine des peuples et des États : on part de l’ensemble le plus composé pour arriver aux éléments les plus simples ; à chaque journée, on perd de vue quelques-unes de ces inventions que nos besoins, en se multipliant, ont rendues nécessaires ; et il semble que l’on voyage en arrière dans l’histoire des progrès de l’esprit humain. […] Sir Henry Bulwer a très bien pris et rendu la mesure de l’esprit politique et pratique en M. de Talleyrand ; mais décidément son indulgence n’a pas fait assez large la part de ces vices fondamentaux ; il s’est montré trop coulant sur une chose essentielle. […] Talleyrand d’ailleurs employa toutes les ressources d’un esprit souple et insinuant pour se concilier un suffrage qu’il lui importait de captiver20. » Par son action et ses démarches auprès des principaux personnages en jeu, auprès des partants et des arrivants, Sieyès et Barras, par son habile entremise à Paris dans la journée du 18, par ses avis et sa présence à Saint-Cloud le 19 au moment décisif, par son sang-froid qu’il ne perdit pas un instant, il avait rendu les plus grands services à la cause consulaire : aussi, les Consuls à peine installés, il fut appelé au Luxembourg avec Rœderer et Volney, et « tous trois reçurent collectivement de Bonaparte, au nom de la patrie, des remerciements pour le zèle qu’ils avaient mis à faire réussir la nouvelle révolution21. » Une grande carrière commençait pour Talleyrand avec te siècle : c’est sa période la plus brillante, et une fois introduit sur la scène dans le premier rôle, il ne la quitta plus, même lorsqu’il parut s’éclipser et faire le mort par moments. […] Il s’en tira d’ailleurs dans le temps par un mot, et tandis qu’un autre, en apprenant le meurtre du duc d’Enghien, disait cette parole devenue célèbre : « C’est pire qu’un crime, c’est une faute22 », Talleyrand répondait à un ami qui lui conseillait de donner sa démission : « Si, comme vous le dites, Bonaparte s’est rendu coupable d’un crime, ce n’est pas une raison pour que je me rende coupable d’une sottise23. » Quant à l’affaire du Concordat et aux négociations qui l’amenèrent, il y poussa et y aida de toutes ses forces ; il y avait un intérêt direct, c’était de taire sa paix avec le pape et de régulariser son entrée dans la vie séculière ; ce qu’il obtint en effet par un bref.
On lui rend aujourd’hui plus de justice qu’il n’en rendait : il eut des talents divers dont la réunion n’est jamais commune ; jeune, il contribua pour sa bonne part aux gracieux plaisirs de son temps ; plus tard, s’armant d’une plume habile en prose, il fut utile à une cause sensée, et il reste après tout l’homme le plus distingué de son groupe littéraire et politique. […] Et ici il me semble qu’il n’a pas rendu entière justice à l’Académie. […] Molé a su, dans cette demi-heure si bien remplie, toucher tous les points de justesse et de convenance : son discours répondait au sentiment universel de l’auditoire, qui le lui a bien rendu. […] Ce sentiment délicat et amer, rendu avec une subtilité vive, et multiplié dans des tableaux attachants, lui a valu des admirateurs individuels très-empressés, très-sincères, parmi cette foule de jeunes talents plus ou moins blessés dont il épousait la cause et dont il caressait la souffrance.
Sans doute, les Perrault et Charpentier ne sont pas récompensés comme écrivains, mais comme d’utiles agents qui rendent des services administratifs de divers genres dans la direction des arts et des sciences. […] Je ne rendrai pas même à Boileau la Henriade, sujet chrétien et moderne, tout à fait selon le goût de Desmarets et de Perrault. […] Ce pur poète, qui lit Virgile, Homère et Théocrite avec un si exquis sentiment de la nature antique, et qui sait s’éprendre aussi de Malherbe, cet artiste curieux de la forme, qui fait rendre au vers classique dégradé par tant de spirituels rimeurs de si délicats ou puissants effets de rythme et d’harmonie, voilà justement l’écrivain qui entendait l’Art poétique comme l’avaient entendu Racine et La Fontaine, et qui réalisa en son temps les théories originales de Boileau. […] Les romantiques furent excusables de tirer dessus : quoique, peut-être, il eût mieux valu arracher aux Baour-Lormian et aux Viennet l’illusion qui les rendait forts, et tourner contre eux le maître et les modèles même dont ils se croyaient les défenseurs. Boileau ne sortit pas indemne de toutes ces polémiques : il en garda un fâcheux renom de pédant et de cuistre, qui mit son œuvre en défaveur ; et même aujourd’hui, après tant d’années, quand depuis si longtemps le combat a cessé, et qu’il ne reste plus même que le souvenir des anciens partis, nous ne sommes point encore revenus des préjugés créés contre lui par l’acharnement qu’on mit au temps du romantisme à rendre sa doctrine responsable des misérables productions de l’art pseudo-classique.
Et enfin, par une sorte de contradiction, tandis que nous imaginons de nouveaux aspects de l’univers, il arrive qu’une fois bien entrés dans ces visions, nous y sommes mal à l’aise et vaguement angoissés, nous y sentons le regret nostalgique des visions connues, familières, et que l’accoutumance nous a rendues rassurantes… Ainsi il y a dans l’exotisme quelque chose de délicieux et de mélancolique. […] Tout simplement (il faut toujours y revenir) parce qu’il sent plus profondément que nous et parce que personne ne rend avec plus de sincérité ni plus directement ses sensations, ni ne les arrange moins. […] Continuellement, quand il désespère de rendre en entier une impression, il emploie avec ingénuité les mots « étrange », « inexprimable », « indéfinissable ». […] Je crains de n’avoir pas su rendre l’impression que ces livres font sur moi, et je crains aussi qu’on me reproche de n’avoir cherché à rendre que cette impression.
Quel tranquille défi au matérialisme qui allait rendre Helvétius si populaire ! […] Je ne suis point surpris qu’après cette prise de possession de l’existence par une succession de sensations délicieuses, le premier homme s’endorme voluptueusement sans rendre d’actions de grâces à personne. […] Buffon voulait rendre la science populaire ; il y fallait un peu de mode, et par qui avoir la mode en France, si ce n’est pas les esprits frivoles ? […] Après le spectacle de l’homme de Descartes, se connaissant par sa pensée et ne pouvant connaître sa pensée sans connaître Dieu, le plus beau sans doute est celui que nous donne Buffon, quand il fait apparaître devant nos yeux la terre, d’abord masse incandescente, détachée du soleil et emportée vers la route où elle doit éternellement rouler, puis, par le déluge des vapeurs condensées qui tombent sur sa surface attiédie, devenant une mer sans rivages, d’où sort par ses pointes de granit la roche intérieure qui forme le noyau du globe ; les continents s’emparant des espaces abandonnés par la mer ; les volcans vomissant les masses vitres-cibles ; les grands animaux qui viennent peupler les régions du Nord, les premières refroidies et desséchées ; le déchirement du globe en deux vastes continents, dont l’un sera le monde ancien et l’autre le nouveau ; enfin, l’homme prenant possession de la terre pacifiée et rendue digne de recevoir son nouvel hôte. […] De même Dieu est nommé par d’autres écrivains du dix-huitième siècle, toutes les fois que leur instinct se rend plus fort que leurs préjugés.
C’est un des mensonges primordiaux de la morale que de nous voiler l’antagonisme irréductible et perpétuel qui fait de chaque individu l’ennemi de tous les autres, pour déployer à nos yeux la solidarité tout aussi réelle, qui les relie et les contraint à se rendre, même sans le vouloir et sans le savoir, même contre leur gré, des services réciproques. […] Si l’incohérence des sociétés humaines a rendu nécessaire la morale sociale, comme nous le verrons mieux tout à l’heure, c’est d’elle aussi que dérive la morale individuelle avec tout ce qui s’y rattache. […] J’accepterai volontiers tous les services que mes compagnons voudront bien me rendre ; je leur en rendrai volontiers moi-même quand cela me sera agréable ou quand j’y trouverai mon profit. […] L’homme adroit peut tricher au jeu, il s’arrangera pour profiter des avantages sans en rendre l’équivalent.
Elle est pour Victor Hugo, tantôt une grande oublieuse au front serein52 qui efface l’homme éphémère sous la continuité de sa vie exubérante, tantôt une auxiliaire du progrès53, qui révèle à l’humanité ses mystères, lui soumet ses forces, l’émancipé, la rend plus puissante, la mène par la science à la liberté, l’aide à briser les vieux moules du passé, à faire germer le bien et la joie pour les générations futures. […] Il a fallu presque un siècle d’apprentissage à la France pour goûter et surtout pour rendre la magnifique horreur de ses tempêtes ou les séductions de ses perfides sourires. […] Elle a été le refuge des druides et la forteresse inexpugnable des Celtes ; fidèle à elle-même, elle se cramponne aujourd’hui d’une étreinte désespérée au catholicisme qui décline et à la monarchie qui s’en va ; et en même temps vaincue dans sa lutte contre les vagues, perdant chaque mois, presque chaque jour, quelques-uns des siens au milieu des écueils, elle a peur encore des sorciers et des korrigans ; elle est convaincue que tous les ans, à la Toussaint, les noyés remontent à la surface des eaux et pour rien au monde elle ne mettrait une barque à flot ce jour-là ; elle abonde en légendes tristes ; elle est pleine de fantômes vagabonds ; et par cela même elle a gardé une physionomie archaïque, qui, non seulement se reflète dans les œuvres de ses enfants, mais l’a rendue chère aux écrivains et aux artistes de notre siècle. […] Pour la France, ainsi que pour la plupart des pays d’Europe, le défrichement du pays, la multiplication des villages et des villes ont par une progression continue rendu possible une littérature élégante et polie dont le moyen âge n’a pu connaître les raffinements que par exception. […] S’il est vrai, comme je le disais tout à l’heure, que les voyages ont vigoureusement aidé au développement de la littérature, on peut dire, en retour, que la littérature l’a bien rendu aux voyages.
Dans celui qu’il fit de Haller, un des morceaux les plus admirés était l’endroit où il montrait Haller et son ami le poète Gessner herborisant ensemble dans les hautes montagnes, et Gessner, épuisé de fatigue, se couchant à terre et succombant au sommeil au milieu d’une atmosphère glacée : M. de Haller, disait-il, vit avec inquiétude son ami livré à un sommeil que le froid aurait pu rendre funeste. […] Réservez votre doctrine secrète pour un petit nombre d’amis sûrs, dans le sein de qui votre âme puisse s’épancher sans contrainte, et qui soient dignes de cultiver avec vous la philosophie et de rendre honneur à la vérité. […] Chez Pariset, l’anatomie trop souvent fait défaut, même l’anatomie au moral : en peignant ses personnages, il n’a pas et ne rend pas assez le sentiment de la réalité. […] Mais la concision n’exclut pas les liens communs de la parole ; et, faute de ces liens nécessaires la phrase de Pinel, sèche et maigre, a quelquefois un mouvement heurté qui la rend fatigante. […] On a fort apprécié surtout, dans ce dernier éloge, le talent consciencieux avec lequel le biographe a su rendre le caractère, non seulement du maître et du praticien, mais de l’homme, et ce soin curieux de recomposer par une foule de traits une figure originale.
Mignet le premier, dans l’introduction qu’il a mise en tête des Négociations relatives à la succession d’Espagne (1835), rencontrant tout d’abord Mazarin, lui a rendu une éclatante justice, et a tracé de lui un grand portrait historique en pied qui restera. […] Épargnez ce pauvre président de Bailleul, qui est un bon serviteur ; vantez au cardinal le bon office que lui a rendu Brienne ; mais découvrez avant tout quels sont les sentiments du cardinal pour moi, et qu’il ne sache rien que vous ne sachiez, vous d’abord, quelle reconnaissance il témoignera de mes bontés. […] Au reste, les premières influences de cet avènement suprême de Mazarin sont admirablement rendues et dépeintes par son ennemi même, par Retz, qui, dans une page incomparable, nous fait sentir l’adresse, le bonheur, et, pour ainsi dire, le prestige caché de cette nouvelle grandeur insinuante. […] Mazarin est de la race des ministres comme Robert Walpole, plutôt que de celle des Richelieu ; il est de ceux (et nous en avons connu) qui ne haïssent pas un certain abaissement dans le génie de la nation qu’ils gouvernent, et qui, alors même qu’ils rendent les plus vrais services, n’élèvent pas. […] Et, par exemple, voyez cette première scène de la Fronde, lorsqu’après l’emprisonnement du conseiller Broussel, le coadjuteur, c’est-à-dire Retz, prend le parti de se rendre au Palais-Royal pour représenter à la reine l’émotion de Paris et le danger imminent d’une sédition.
C’est bien là le caractère en effet des Thermidoriens purs ; et, montrant les causes qui rendent impossible sur ce terrain bouleversé et ensanglanté la formation de toute grande popularité nouvelle : Tous ont appris à se défier, ajoute-t-il, de cette périlleuse élévation ; fussent-ils tentés d’y aspirer, ils n’y parviendraient pas, car les racines de toute autorité individuelle sont desséchées : ni l’Assemblée, avertie par l’exemple de Robespierre, ni le peuple, dégoûté de ses démagogues, ne le souffriraient. […] Son honneur à lui, c’est de n’avoir jamais, même aux moments les plus désespérés et les plus amers, cédé d’un point sur les conditions qu’il jugeait essentielles au rétablissement de la monarchie en France : « Il est aussi impossible de refaire l’Ancien Régime, pensait-il, que de bâtir Saint-Pierre de Rome avec la poussière des chemins. » Consulté de Vérone par Louis XVIII, et d’Édimbourg par le comte d’Artois, dans leurs projets excentriques de restauration, il ne cesse de leur redire : « Il faut écouter l’intérieur si l’on veut entreprendre quelque chose de solide… Ce n’est pas à nous à diriger l’intérieur, c’est lui qui doit nous diriger. » Dans une note écrite pour Louis XVIII en juillet 1795, Mallet du Pan lui pose les vrais termes de la question, que ce roi ne paraissait pas comprendre entièrement alors, et qu’il fallut une plus longue adversité pour lui expliquer et lui démontrer : La grande pluralité des Français ayant participé à la Révolution par des erreurs de conduite ou par des erreurs d’opinion, écrivait Mallet, il n’est que trop vrai qu’elle ne se rendra jamais à discrétion à l’ancienne autorité et à ses dépositaires ; il suffit de descendre dans le cœur humain pour se convaincre de cette vérité. […] L’ayant rencontré à Londres au commencement de 1800, il en écrivait au comte de Sainte-Aldegonde : Je ne vous rendrai pas la fortune immense qu’a faite ici le prince, soit auprès des Anglais, soit auprès de tous les Français sensés. […] L’image d’un livre leur donne le frisson : parce qu’on a abusé des lumières, ils extermineraient tous ceux qu’ils supposent éclairés ; parce que des scélérats et des aveugles ont rendu la liberté horrible, ils voudraient gouverner le monde à coups de sabre et de bâton. […] Les curieux trouveraient dans le tome XV du Spectateur du Nord des articles sur Mallet du Pan, qui résument bien l’opinion des contemporains éclairés, au moment de sa mort : on y promet à sa mémoire la justice lente et sûre qui lui est rendue aujourd’hui.
Cette solennité pathétique fait un peu sourire, quand on songe que tout cela n’avait pour effet que d’associer Beaumarchais à des gains d’affaires, à des intérêts dans les vivres, et de le rendre riche à millions. […] Après diverses offres avantageuses qui n’avaient pas rendu ce qu’il voulait, « il avait imaginé d’acquitter d’un seul coup ses promesses en me prêtant, dit Beaumarchais, cinq cent mille francs pour acheter une charge, que je devais lui rembourser à l’aise sur le produit des intérêts qu’il me promettait dans de grandes entreprises ». […] Cent louis d’or, une belle montre à répétition enrichie de diamants, plus, « quinze louis en argent blanc », censés destinés à un secrétaire, tout cela fut successivement donné à la femme pour obtenir une audience de son mari, et avec promesse de sa part que tout serait rendu si le procès se perdait. Il fut perdu en effet, et la dame rendit assez galamment les cent louis et la montre ; mais, par un singulier caprice, elle s’était obstinée à garder les quinze malheureux louis donnés en sus. […] Sur les femmes, toutes les fois qu’il a à en parler, il y a de petites hymnes galantes et comme de petits couplets destinés à plaire aux belles et sensibles lectrices ; il a de ces tirades dans le procès Goëzman, il en aura plus tard dans le procès Kornman : « Et je serais ingrat au point de refuser, dans ma vieillesse, mes secours à ce sexe aimé qui rendit ma jeunesse heureuse !
O malheureux qui tombe à la guerre, non point pour la défense des rivages paternels, pour la pieuse compagne et les fils chéris, mais frappé de la main d’ennemis qui ne sont pas les siens, pour le compte d’autrui, et qui ne peut dire en mourant : Douce terre natale, la vie que tu m’as donnée, la voici, je te la rends ! […] Je ne sais si Leopardi rendait toute justice au mouvement italien contemporain, dont il n’était lui-même qu’un des nobles organes, et s’il y reconnaissait autant de signes de parenté avec lui qu’on croit en découvrir à distance, mais je me plais à enregistrer ici le mot de Manzoni sur son talent : « Vous connaissez Leopardi, disait-il vers 1830 à un voyageur, avez-vous lu ses essais de prose ? […] Au mois d’octobre 1822, cédant aux instances de quelques amis, Leopardi quitta pour la première fois Recanati et se rendit à Rome, où ses relations s’étendirent. […] Dans sa seconde édition des vers retrouvés de Merobaudes, ayant profité de ses observations, il lui a rendu un éclatant hommage143. […] Il n’a pas voulu rendre son épée et il est prêt à s’en percer dix fois le jour.
Voilà pourquoi notre lyre rend un plus beau son que celle des anciens. […] Créon, le nouveau roi, ordonne que les derniers honneurs soient rendus à Étéocle, mort en combattant pour la patrie. […] Ce pauvre homme qui s’arrache les cheveux, crie et pleure sur la scène, croit-on qu’il soit bien difficile de le rendre risible ? […] Pourquoi donc la rendre plus sérieuse qu’elle n’est, en les faisant intervenir, comme si leur présence était nécessaire ? […] Mais la puissance naissante du nouvel ordre de choses précipite Gœtz dans l’injustice, et rend sa perte inévitable.
Dans le langage du temps, cela s’appelle « rendre ses devoirs au roi ». […] Il n’y avait personne à la cour ni à la ville qui ne lui rendît des devoirs. Les ministres, les princes du sang eux-mêmes lui en rendaient. […] Aucune circonstance n’a rendu l’ancien régime aussi éclatant et plus onéreux ; en ceci, comme dans tout le reste, Louis XIV est le principal auteur du mal comme du bien. […] Necker, Compte rendu, II, 452 Archives nationales, O1, 738, p. 62 et 64 ; O1, 2805 ; O1, 736 La maison du roi justifiée (1789).
Le moindre poids soulevé du cœur oppressé lui rend l’élasticité et la vie ; le Tasse se complut à célébrer depuis cette hospitalité du gentilhomme de Novare, dans son charmant dialogue du Père de famille. […] et, rendu à nos bois, j’y retrouvai la paix et le bonheur. […] Que tes prières, qu’une onde sacrée versée par tes mains, lui rendent le calme et l’innocence. […] Mais bientôt, malgré les efforts presque filials de sa protectrice pour le retenir à Mantoue, il repartit pour Rome ; il ne fit que traverser cette ville ; il se rendit à Naples pour y suivre son éternel procès. […] Les avocats de la maison d’Avellino osèrent lui opposer sa démence, qui le rendait, disaient-ils, incapable d’intenter légalement un procès.
Le musicien en écoutant un orchestre entend chaque instrument, chaque note isolément ; celui qui n’est pas connaisseur est comme rendu sourd par l’effet général de l’ensemble. […] Je hais ceux qui les accomplissent aussi bien que ceux qui les ont rendus inévitables. […] Et même, si on m’apporte un oiseau qui, ayant été mal soigné dans sa captivité, a perdu son plumage, je saurai lui rendre bien vite et les plumes et la santé. […] Les lueurs matinales du soleil d’automne le plus pur rendaient splendide le coup d’œil dont on jouissait à cette place. […] — Depuis que je suis à Weimar, je ne me rappelle pas que vous vous y soyez rendu.
L’extrême rareté des hommes politiques de quelque envergure tient à ce qu’ils doivent résoudre à tout moment, dans le détail, un problème que l’extension prise par les sociétés a peut-être rendu insoluble. […] Car elle a voulu aussi la guerre, ou du moins elle a fait à l’homme des conditions de vie qui rendaient la guerre inévitable. […] Cette assurance, on peut la trouver ou dans une mainmise sur les choses, ou dans une maîtrise de soi qui rende indépendant des choses. […] Bref, notre cerveau n’est ni créateur ni conservateur de notre représentation ; il la limite simplement, de manière à la rendre agissante. […] Nous avons montré ci-dessus comment un sens tel que la vue porte plus loin, parce que son instrument rend cette extension inévitable.
Ce besoin d’originalité a rendu les romantiques injustes envers nos classiques. […] Morellet et Ginguené se sont rendus célèbres par leur critique d’Atala. […] Lenôtre a su, lui aussi, rendre l’histoire séduisante comme un roman. […] A cette œuvre hors ligne, je trouve de graves défauts, qui m’en rendent l’audition presque pénible. […] Armelin nous présente une traduction qui a ceci d’original qu’elle rend vers par vers le texte latin.
Après quatre mois de silence, il n’hésita plus ; un mot la lui rendit. […] qui lui rendra son jeune âge ? Qui lui rendra ses jets puissants, Les nids bruyants de son feuillage, Les rendez-vous sous son ombrage, Ses rameaux, la nuit gémissants ? […] Je vous le donne, ou plutôt je vous le rends ; il ne se serait pas fait sans vous. […] à ma lampe mourante Votre souffle vivant a rendu sa splendeur.
la poésie est un excès dont nous ne nous rendrons jamais coupables. […] Je suis entré, par l’hommage rendu au génie de Victor Hugo, dans le monde des vrais poètes, et je n’en sortirai plus. […] De tels vers rendent plus vifs, par l’admiration qu’ils inspirent, les regrets dont nous saluons la mémoire respectée d’Alfred de Vigny. […] Haine de la tyrannie, amour de la liberté, goût de la lutte, ambition de la victoire ou du martyre, tout s’y donne rendez-vous et s’y rencontre. […] Le monde civilisé tout entier lui a rendu un hommage unanime.
Et quand cette grand’mère le faisait appeler, il restait très longtemps dans le lointain du parc, avant de se rendre à l’appel, laissant son vrai nom se perdre, s’évaporer, dans son retard à y répondre. […] Elle ajoute, qu’habitant Paris depuis des années, elle n’a jamais songé à voir le survivant des deux frères, mais que bien des fois elle a été s’agenouiller sur la tombe du mort, et que vendredi, tout en se réjouissant des honneurs qui me seront rendus, et tout en me plaignant de les recevoir tout seul, elle retournera au cimetière. […] « Vous n’avez eu de plus chère ambition que de savoir et de voir ; vous n’avez connu de plus exquises jouissances que celles des idées, des lignes et des couleurs ; et les sensations que vous avez aimées, vous les avez voulu rendre avec l’effort de signes nouveaux, et le frémissement de notations personnelles. […] Il se rendait dans un autre hôtel, grimé, travesti, mais une heure ne s’était pas écoulée, que le maître d’hôtel l’interpellant par son nom, lui jetait : « Vous êtes M. […] Enfin il se décidait à se rendre chez son frère, un alcoolique prédicant, auquel il demandait la place par terre pour son corps.
Mais il y a une raison, je l’avoue, qui m’a rendu insensible au dédain des politiques sûrs d’eux-mêmes. […] Et cela n’a pas rendu les autres modestes !
Villemain n’eut pas de plus constante pensée que de faire rendre aux couvents grecs les chefs-d’œuvre qu’ils pouvaient receler encore, et, si cette investigation, conçue et dirigée par lui, prouva que les chefs-d’œuvre inédits sont devenus bien rares, elle rendit au moins à la science des textes de première importance pour l’histoire de l’esprit humain.
Bayle, à le bien examiner, n’est qu’un tissu de contradictions, où l’abus du raisonnement se fait toujours sentir au préjudice de la raison même, ce qui doit le rendre moins dangereux pour tout esprit éclairé & solide. On conviendra volontiers qu’en se garantissant du Pyrrhonisme qu’il affecte & veut établir sur toutes les questions, il auroit pu passer pour un Génie rare, & se rendre très-utile dans le développement des connoissances humaines.
Il eût mieux fait d’intituler son Recueil : Parodie des Fables d’Esope, ou plutôt, des Fables de la Fontaine, [car ce Monsieur de Fresnay a mis en Vers les mêmes Fables que celui-ci], que d’annoncer son travail sous un titre qui le rend doublement ridicule. […] La lecture de ce Philosophe toujours flottant dans ses principes, non seulement enhardit sa témérité, mais encore le rendit un Sceptique outré, & ôta à son esprit la faculté de trouver une assiette fixe.
L’Elégie, dont le sujet principal est le combat de la Raison contre l’Amour, offre sur-tout de très-beaux Vers, beaucoup de morale, & des sentimens bien rendus. […] C’est elle qui, de l’homme augmentant les besoins, Multip ie avec eux ses travaux & ses soins ; Qui, lui faisant haïr le repos & la joie, Aux avares soucis livre son ame en proie ; Qui lui fait de la Gloire ensanglanter l’Autel, Et courir à la mort, pour se rendre immortel.
Il sera toujours flatteur pour un Ecrivain quelconque de se voir ainsi critique ; & nous devons rendre cette justice aux Zélateurs de la Philosophie, qu’ils nous ont souvent procuré cette consolation. […] Laus de Boissy, dit Alethophile *, pourra devenir, sinon un grand défenseur des Auteurs philosophes, du moins un défenseur qui ne les rendra pas si ridicules.
Le Traducteur, pour s’être attaché à rendre ce Poëte mot à mot, lui fait parler un langage tudesque & très-souvent inintelligible. […] Telle est pourtant la maniere dont le nouveau Traducteur veut qu’on rende les Auteurs, & celle à laquelle il s’est attaché dans la Version des Satyres de Perse.
Quand on fait ce qu’on peut, on rend Dieu responsable ; Et je vais devant moi, sachant que rien ne ment, Sûr de l’honnêteté du profond firmament ! […] L’idéal rend « les esprits fermes », parce qu’il leur montre un but et leur donne une loi ; il rend « les cœurs grands » parce qu’il leur communique la force de l’espérance. […] A Jersey, par exemple, où ce touriste est resté dix-sept ans il n’a pas senti la sublimité de l’océan ; et il ne l’a pas rendue, ni dans les Contemplations, ni dans les Travailleurs de la mer. […] Il est probable que le meilleur moyen de rendre le travail possible pour tous, c’est « de le rendre partout libre » ; l’initiative individuelle et la charité privée feront le reste213. […] Sans compter que toutes ces vengeances, C’est l’avenir qu’on rend d’avance furieux !
Il a été dit, au sein de la commission, beaucoup de choses très fines et très ingénieuses sur les mérites de l’ouvrage en ce sens ; ample justice a été rendue à ces quatre premiers actes surtout, qui sont presque en entier excellents, si nets d’allure et de langage, coupés dans le vif, semés de mots piquants ou acérés, et d’une comédie toute prise dans l’observation directe et dans une réalité flagrante. […] Il a été répondu encore, et d’une manière plus directe (toujours au point de vue dont la commission n’avait point à s’écarter), que, toute part faite et toute justice rendue au talent de l’auteur, sur lequel il n’y avait qu’une voix, on ne pouvait découvrir réellement dans sa pièce d’autre intention dominante que celle de peindre ; qu’il avait porté son miroir où il avait voulu, qu’il avait fait une exhibition fidèle, inexorable, de ce qu’il avait observé, et avait montré les gens vicieux tels qu’il les avait saisis ; que ce n’était pas un reproche qu’on lui faisait, mais que c’était le caractère de sa comédie qu’on se bornait à relever, et que ce serait lui prêter gratuitement que de voir autre chose dans son Demi-Monde qu’une peinture attachante, ressemblante et vraie, digne d’être applaudie sans doute, mais non pas d’être récompensée comme ayant atteint un but auquel l’auteur n’avait point songé. […] Aujourd’hui que, selon une expression mémorable, la pyramide a été retournée et replacée dans son vrai sens, quand la société est remise sur sa large base et dans son stable équilibre, ne serait-il pas plus simple, dans cet ordre aussi de récompenses dramatiques, de rendre aux choses leur vrai nom, d’encourager ce qui a toujours été la gloire de l’esprit aux grandes époques, ce qui est à la fois la morale et l’art, c’est-à-dire l’Art même dans sa plus haute expression, l’Art élevé, sous ses diverses formes, la tragédie ou le drame en vers, la haute comédie dans toute sa mâle vigueur et sa franchise ?
Luynes ayant succédé au maréchal d’Ancre, se rend aussi odieux que lui. […] Et enfin, il n’est pas déraisonnable de penser que l’état d’humiliation où la première jeunesse du roi fut tenue par sa déraisonnable mère, lui rendait impossible cette confiance en lui-même et dans les autres, qui est le premier véhicule de l’amour ; qu’il ne voyait dans Anne d’Autriche qu’une femme attachée à lui par le devoir ; qu’il avait besoin d’être relevé de cette dépression par la tendresse de personnes désintéressées. Me reconnaît-on pas un sentiment : de faiblesse dans ces hommages inquiets et timides qu’il rend à ses maîtresses, et qui semblent moins solliciter leur affection que leur appui ?
En 1648, il se rendit avec madame de Montausier dans son gouvernement de l’Angoumois pour contenir les habitants dans l’obéissance ; il y réussit35. […] « Souvenez-vous, dit-il, de ces cabinets qu’on regarde encore avec tant de vénération, où la vertu était révérée sous le nom de l’incomparable Arthénice, où se rendaient tant de personnes de qualité et de mérite, qui composaient une cour choisie, nombreuse, sans confusion, modeste sans contrainte, savante sans orgueil, polie sans affectation. » La causticité du duc de Saint-Simon ne l’a pas empêché de rendre justice à la maison de Rambouillet. « L’hôtel de Rambouillet », dit-il dans une note sur Dangeau (10 mai 1690), « était dans Paris une espèce d’académie de beaux esprits, de galanterie (galanterie est là pour élégance), de vertu et de science, car toutes ces choses s’accordaient alors merveilleusement et le rendez-vous de tout ce qui était le plus distingué en condition et en mérite, un tribunal avec qui fallait compter et dont sa décision avait un grand poids dans le monde, sur la conduite et sur la réputation des personnes de la cour et du grand monde, au tant pour le moins que sur les ouvrages qui s’y portaient à l’examen37. » 35.
L’idée de rendre sensible par une fable, que la Providence sait ce qu’il nous faut mieux que nous, est très-morale et très-philosophique ; mais je ne sais si le fait par lequel La Fontaine veut la prouver est vraisemblable. […] Il charge, pour rendre la chose plus comique ; à la place du stupide, il met un âne, un âne véritable. […] La Fontaine ne sort pas du ton de la plus simple bonhommie, et c’est ce qui rend cette fable si piquante.