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940. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Il fit donc cette admirable pièce qui commence avec grandeur, et où il montre le vaisseau de haut bord qui, dans l’orgueil du départ, se rit des flots et se joue même de la tempête ; puis, en regard, la pauvre barque comme il en avait tant vu dans le golfe de Naples, une barque de pêcheur dans laquelle habite toute une famille, et qui, jour et nuit, lui sert d’unique asile et de foyer : le père et le fils à la manœuvre, la mère et les filles aux plus humbles soins.

941. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Note »

Lainé plus énergique et moins fébrile, aussi pur, assistant, non sans une ombre de tristesse, à l’orgie parlementaire, à ce marché d’intrigues et de corruptions qui se démena durant tout le règne de Louis-Philippe, et sans y prendre d’autre part que de s’y pencher de temps en temps, et d’y plonger le regard pour le juger avec honnêteté et dégoût et pour le flétrir (comme il fit à un moment pour la coalition sous le ministère Molé), mais, je le répète, sans jamais en revendiquer profit pour lui ni en tirer prétexte à des combinaisons ambitieuses : je l’eusse voulu, en un mot, plus platonique et plus désintéressé, plus parfait qu’il n’est donné sans doute à la nature humaine de l’être.

942. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « quelque temps après avoir parlé de casanova, et en abordant le livre des « pèlerins polonais » de mickiewicz. » pp. 512-524

voilà ce à quoi ne pensent pas assez nos poëtes, et c’est là précisément la grande infériorité des œuvres d’aujourd’hui, même les plus brillantes, en regard des chefs-d’œuvre du passé.

943. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre II. Des tragédies grecques » pp. 95-112

Ce qu’on représente de nos jours, ce n’est plus seulement la douleur offrant aux regards un majestueux spectacle, c’est la douleur dans ses impressions solitaires, sans appui comme sans espoir ; c’est la douleur telle que la nature et la société l’ont faite.

944. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre II. — De la poésie comique. Pensées d’un humoriste ou Mosaïque extraite de la Poétique de Jean-Paul » pp. 97-110

Deuxième contredanse L’humoriste, plein d’indifférence à l’égard des sottises individuelles127, se dresse sur la roche tarpéienne d’où sa pensée précipite l’humanité tout entière128 Devant son regard bienveillant et triste il n’y a pas de sots, mais l’homme est sot ; il n’y a pas de folies particulières, mais la folie est universelle.

945. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XV. Les jeunes maîtres du roman : Paul Hervieu, Alfred Capus, Jules Renard » pp. 181-195

Jules Renard est assez original de regard et d’écriture pour choisir presque au hasard.

946. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXV. Mort de Jésus. »

À part ce petit groupe de femmes, qui de loin consolaient ses regards, Jésus n’avait devant lui que le spectacle de la bassesse humaine ou de sa stupidité.

947. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Renou » pp. 301-307

Le jeune enfant occupe le centre de la toile ; il est debout, il a le regard et la main droite tournés vers le ciel.

948. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Sixte-Quint et Henri IV »

Absolu de principes comme tous les esprits qui croient à une vérité, Segretain n’en a pas moins les qualités de l’historien : le calme du regard qui voit, sans sourciller, même ce qui le blesse ; la main droite qui sait dépouiller les faits ; et la ferme qui sait les peser.

949. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes de la Révolution » pp. 73-87

Quant à sainte Condorcet, il fait ce qu’il peut pour la placer très haut dans le paradis jacobin et philosophique entr’ouvert à ses mystiques regards au-dessus de la tête de la déesse de la Raison, et ce n’est pas sa faute, à lui, si elle n’y a pas une des plus splendides auréoles : « Elle ressemblait — dit-il — à l’ange de la métaphysique. » Apparemment, un des anges du paradis en question !

950. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Oscar de Vallée » pp. 275-289

Oscar de Vallée, qui a voulu concentrer sur ses pages, qui ont assurément leur éloquence, l’attention du lecteur comme la sienne, n’a pu éviter le fascinant regard qu’ont les poètes, même après leur mort, et qui empêche de voir en eux autre chose qu’eux !

951. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Charles d’Héricault » pp. 291-304

Et M. d’Héricault, avec son regard aigu, a regardé dans le fond de ces mains-là… Elles n’étaient pas toutes tachées de sang, mais toutes, sans exception de fange ; car c’est une fange que la lâcheté… En ce vil temps, on était plus bas que sous Marat.

952. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame de Créqui »

Le regard, en effet, la pénétration, le bon sens dans son inflexible droiture, toutes les qualités aiguisées et affilées de cet esprit coupant et poli comme le verre, et ce n’est pas tout, l’habituelle pensée de l’éternité qui est en elle comme en Pascal, mais qui la trouble moins que ce poltron sublime et qui lui donne une intuition si supérieure des misères et des vanités de la vie, voilà ce qui fait l’originalité et le mérite de Madame de Créqui, et ce que Sainte-Beuve, le croirait-on ?

953. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Hoffmann »

Nous nous sommes longtemps demandé comment il avait pu se placer dans de pareilles conditions d’enthousiasme ou de parti vis-à-vis d’un homme si radicalement opposé à sa nature d’inventeur, mais un regard plus assuré sur cette anomalie nous en a donné le secret.

954. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VII. Vera »

Vera, assez ferme de regard pourtant, pour voir qu’elle ne peut jamais, dans ce monde inférieur, être que relative, contingente et bornée, autant pour lui, Hegel, qu’un autre !

955. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XX. M. de Montalembert »

Oui, tout de même qu’en mer, en plaine ou sur le sommet d’une montagne, une implacable lumière éblouit et finit par produire au regard une monotonie douloureuse, de même ici cette implacable perfection des saints nous fatigue à contempler dans son invariabilité éternelle.

956. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « L’abbé Monnin. Le Curé d’Ars » pp. 345-359

Malgré deux ou trois efforts qu’il fît un jour pour s’ôter de la place où Dieu l’avait mis aux regards du monde comme un pont du ciel qu’il lui avait jeté, malgré la tentation qui le prit de la pénitence au désert, du silence ardent des Chartreuses et de la contemplation rigide et extatique en Dieu des grands Solitaires, Dieu ne permit point au serviteur qu’il s’était choisi d’être autre chose qu’un grand confesseur, et je dirai plus : le confesseur au dix-neuvième siècle.

957. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Athanase Renard. Les Philosophes et la Philosophie » pp. 431-446

Il a porté plus loin ses sagaces regards.

958. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Maurice de Guérin »

Poète naturaliste (pictura poesis), qui traverse la description pour aller heurter obstinément sa rêverie contre l’obstacle, éblouissant ou sombre, de la Nature, qui cache invinciblement son secret sous les formes incompréhensibles de la vie, il procède toujours par larges échappées de paysages, par prolongement d’horizons, ou par ces traits qui, tout déliés qu’ils soient, se fondent dans la transparence qui est l’infini au regard : Elle (sa Muse) me conterait sans pause Toutes les merveilles des mers, Et le mystère qui se passe En ce point vague de l’espace Où le ciel et les flots amers S’entre-baisent dans les jours clairs.

959. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Jules de Gères »

Entre son recueil du Roitelet, qui attira mon regard avec tant de magnétisme et de frémissement de plaisir, et la publication du livre que voici, il y a plus de dix ans !

960. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Laurent Pichat »

Lac vierge, en dominant la cime reculée, J’ai sondé du regard ton onde immaculée.

961. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules Sandeau » pp. 77-90

Il meurt des suites de ses blessures, et ses derniers regards, ses dernières caresses sont pour la fille que Dieu lui donne et que Renée prend en antipathie, parce que cette fille n’est pas un garçon.

962. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Armand Pommier » pp. 267-279

Mais, quand nous savons qu’il n’y en a pas, que c’est là tout simplement un monstre, impénétrable au regard du moraliste comme au scalpel du chirurgien, l’intérêt, soulevé à l’aide d’invraisemblances prodigieuses, comme un poids difficile à enlever à l’aide de cabestans faussés, l’intérêt tombe à plat…, et on s’accuse même d’être inférieur et presque puéril de l’avoir un instant éprouvé !

963. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Gogol. » pp. 367-380

Pour nous, le Tchitchikoff des Ames mortes n’est qu’un prétexte, un vieux moyen pour faire tourner sous notre regard le panorama social, religieux, politique, administratif, de la Russie tout entière.

964. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Introduction »

Les sentiments qu’elle éveille habituellement viennent s’interposer entre elle et nous, au moment même où nous la tenons sous le regard de notre intelligence.

965. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXIV. Siècles de barbarie. Renaissance des lettres. Éloges composés en latin moderne, dans le seizième et le dix-septième siècles. »

Elle eut la fermeté d’un moment, qui conçoit et fait de grands sacrifices, et n’eut pas cette fermeté plus rare qui soutient l’âme par sa propre force, quand elle n’est plus animée par les regards et par l’effort même que demande tout ce qui est difficile.

966. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXX. De Fléchier. »

Je passe rapidement sur tous les discours, pour venir à celui qui a, et qui mérite en effet le plus de réputation ; c’est l’éloge funèbre de Turenne, de cet homme si célèbre, si regretté par nos aïeux, et dont nous ne prononçons pas encore le nom sans respect ; qui, dans le siècle le plus fécond en grands hommes, n’eut point de supérieur, et ne compta qu’un rival ; qui fut aussi simple qu’il était grand, aussi estimé pour sa probité que pour ses victoires ; à qui on pardonna ses fautes, parce qu’il n’eut jamais ni l’affectation de ses vertus, ni celle de ses talents ; qui, en servant Louis XIV et la France, eut souvent à combattre le ministre de Louis XIV, et fut haï de Louvois comme admiré de l’Europe ; le seul homme, depuis Henri IV, dont la mort ait été regardée comme une calamité publique par le peuple ; le seul, depuis Du Guesclin, dont la cendre ait été jugée digne d’être mêlée à la cendre des rois, et dont le mausolée attire plus nos regards que celui de beaucoup de souverains dont il est entouré, parce que la renommée suit les vertus et non les rangs, et que l’idée de la gloire est toujours supérieure à celle de la puissance.

967. (1769) Les deux âges du goût et du génie français sous Louis XIV et sous Louis XV pp. -532

Soudain s’offrent à mes regards Ces deux fameux Rivaux, de tant d’autres l’exemple. […] Un regard est le prix de ce vain étalage. […] Je vis les Artistes s’en emparer, & mes regards se fixerent d’abord sur les Peintres. […] Cet agréable imposteur, doué d’une imagination vive & tendre, offrait à nos regards la nature moins comme elle est que comme elle devrait être. […] Le premier flattait les yeux & divertissait l’esprit ; le second captivait les regards & attachait l’ame.

968. (1857) Causeries du samedi. Deuxième série des Causeries littéraires pp. 1-402

Et cependant, il faut bien l’avouer, on sent, en y ramenant ses regards et sa pensée, quelque chose qui s’abaisse, qui se déprave, qui s’amoindrit dans l’estime des hommes. […] La conscience de son néant terrestre l’effrayant et l’exaltant tout ensemble, il relevait ses regards pleins de larmes vers ce ciel qu’on avait tenté de lui fermer. […] Si nous avons placé ce roman en regard du Lys dans la vallée et si nous nous y sommes arrêté, c’est qu’il existe entre ces deux récits, qui semblent séparés par des mondes, d’intimes affinités. […] Casuiste profane et profanateur, il semble toujours prêt à abuser d’une confidence, à grossir un aveu, à interpréter un regard, à fureter dans un tiroir, à escamoter un billet perdu. […] Et que nos lecteurs nous pardonnent d’avoir un moment appelé leurs regards sur ces blasphèmes !

969. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE CHARRIÈRE » pp. 411-457

Elle comprit sa destinée tout d’un regard, et s’y résigna d’un haut dédain sous air de gaieté. […] dit la dame, il n’y a point de mal pour une fois. — Oui, ajoutai je, madame ; si on est mécontent de nous, on ne nous invitera plus, mais si on veut bien encore que l’un de nous revienne, je me flatte que ce ne sera pas sans l’autre. — Là-dessus elle m’a quitté, en jetant de loin sur mon camarade un regard d’examen et de protection. — Je tâcherai de danser une contredanse avec votre ami, m’a dit Mlle de La Prise d’un air qui m’a enchanté. — Et puis voilà que l’on s’arrange pour la contredanse, et que le comte Max n’était pas encore arrivé. […] Peut-être tu n’exigeras pas que tous ses regards soient pour toi, ni tous les tiens pour lui : tu ne te reprocheras pas d’avoir regardé quelque autre chose, d’avoir pensé à quelque autre chose, d’avoir dit un mot qui pût lui avoir fait de la peine un instant ; tu lui expliqueras ta pensée ; elle aura été honnête, et tout sera bien.

970. (1813) Réflexions sur le suicide

Peut-être dans cet instant le regard de la foi les lui fit-il apercevoir. […] J’ai vu ces nobles regards tout pénétrés d’avenir, ils semblaient déclarer prophète le vieillard qui ne s’occupait plus du reste de ses années, mais se régénérait lui-même par l’élévation de son âme, comme s’il eût déjà franchi le tombeau. […] Au détour du chemin qui mène à la place où la mort est préparée pour nous deux, il s’est arrêté pour me revoir encore ; ses derniers regards ont béni celle qui fut sa compagne sur le trône et sur l’échafaud.

971. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre III. — Du drame comique. Méditation d’un philosophe hégélien ou Voyage pittoresque à travers l’Esthétique de Hegel » pp. 111-177

Plus fanfarons que pervers, plus amusants que dangereux, ils étalent leurs défauts ou leurs vices aux regards du public avec une sorte de coquetterie. […] Ils sont indépendants, et leur âme affranchie promène sur leur personne et sur le monde un regard philosophique. […] Au lieu d’être simplement l’organe fidèle de l’idée qu’il a conçue, l’humoriste, dans l’ivresse du pouvoir arbitraire et des droits superbes de l’esprit, s’érige en dominateur de l’idéal, change à son gré l’ordre normal des choses, foule aux pieds la nature, la règle et la coutume, efface, éclipse, annule sa propre conception par l’éblouissant éclat de ses caprices, et n’est satisfait que lorsque son tableau, vide d’intérêt, vide de substance, sans vérité comme sans unité, présente à nos regards fatigués et distraits le spectacle à la fois changeant et monotone d’un chaos fantastique, où tout se mêle, s’entrechoque et se détruit.

972. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre III. Ben Jonson. » pp. 98-162

Je les considérais tous deux, l’un comme un grand galion espagnol, et l’autre comme un vaisseau de guerre anglais ; maître Jonson, comme le galion, était exhaussé en savoir, solide, mais lent dans ses évolutions ; Shakspeare, comme le vaisseau de guerre anglais, moindre pour la masse, mais plus léger voilier, pouvait tourner à toute marée, virer de bord, et tirer avantage de tous les vents par la promptitude de son esprit et de son invention. » Au physique et au moral, voilà tout Jonson, et ses portraits ne font qu’achever cette esquisse si juste et si vive : un personnage vigoureux, pesant et rude ; un large et long visage, déformé de bonne heure par le scorbut, une solide mâchoire, de vastes joues, les organes des passions animales aussi développés que ceux de l’intelligence, le regard dur d’un homme en colère, ou voisin de la colère ; ajoutez-y un corps d’athlète, et vers quarante ans, « une démarche lourde et disgracieuse, un ventre en forme de montagne109. » Voilà les dehors, le dedans y est conforme. […] Quand Séjan veut acheter une conscience, il questionne, il plaisante, il tourne autour de l’offre qu’il va faire, il la jette en avant comme par jeu, afin de pouvoir, au besoin, la reprendre ; puis quand le regard intelligent du coquin qu’il marchande lui a montré qu’il est compris : « Point de protestations, mon Eudémus. Tes regards sont des serments pour moi.

973. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVe entretien. Alfred de Vigny (2e partie) » pp. 321-411

Ce drame repose dans le mystérieux amour de Chatterton et de Kitty Bell ; cet amour qui se devine toujours et ne se dit jamais ; cet amour de deux êtres si purs qu’ils n’oseront jamais se parler, ni rester seuls qu’au moment de la mort, amour qui n’a pour expression que de timides regards, pour message qu’une Bible, pour messagers que deux enfants, pour caresses que la trace des lèvres et des larmes que ces fronts innocents portent de la jeune mère au jeune poète ; amour que le quaker repousse toujours d’une main tremblante et gronde d’une voix attendrie. […] Ici sa voix est tendre jusque dans la douleur et le désespoir ; sa parole lente et mélancolique est celle de l’abandon et de la pitié ; ses gestes, ceux de la dévotion bienfaisante ; ses regards ne cessent de demander grâce au ciel pour l’infortune ; ses mains sont toujours prêtes à se croiser pour la prière ; on sent que les élans de son cœur, contenus par le devoir, lui vont être mortels aussitôt que l’amour et la terreur l’auront vaincue. […] « Ce n’est pas sans dessein que j’ai essayé de tourner les regards de l’armée vers cette grandeur passive, qui repose toute dans l’abnégation et la résignation.

974. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (2e partie) » pp. 409-488

On sent que c’était murmurer à demi-voix, en plein jour, en beau soleil de trois heures après midi ; chaste et pur comme un rayon d’été ou comme le regard ravissant et respecté de cette charmante femme de votre meilleur ami, épars sur ce groupe de ses beaux enfants à peine éclos. […] Après nous être un peu promenés seul à seul, Au pied d’un marronnier ou sous quelque tilleul Nous vînmes nous asseoir, et longtemps nous causâmes De nous, des maux humains, des besoins de nos âmes ; Moi surtout, moi plus jeune, inconnu, curieux, J’aspirais vos regards, je lisais dans vos yeux, Comme aux yeux d’un ami qui vient d’un long voyage ; Je rapportais au cœur chaque éclair du visage ; Et dans vos souvenirs ceux que je choisissais, C’était votre jeunesse, et vos premiers accès D’abords flottants, obscurs, d’ardente poésie, Et les égarements de votre fantaisie, Vos mouvements sans but, vos courses en tout lieu, Avant qu’en votre cœur le démon fût un Dieu. […] t’écriais-tu, ces admirations, « Ces tributs accablants qu’on décerne au génie, « Ces fleurs qu’on fait pleuvoir quand la lutte est finie, « Tous ces yeux rayonnants éclos d’un seul regard, Ces échos de sa voix, tout cela vient trop tard !

975. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (2e partie) » pp. 315-400

Vers l’ouest et le sud-ouest le regard s’étend librement sur une vaste prairie à travers laquelle, à la distance d’un bon trait d’arbalète, l’Ilm coule en replis silencieux. […] Goethe tourna ses regards vers les nuages, les promena sur la verdure naissante qui, partout autour de nous, des deux côtés du chemin, dans la prairie, dans les buissons, aux haies, commençait à bourgeonner, puis il dit : « Une chaude pluie d’orage, comme cette soirée nous la promet, et nous allons revoir apparaître le printemps dans toute sa splendeur et sa prodigalité !  […] Je pensais aux vers : Large, élevé, sublime, le regard Se promène sur l’existence !

976. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (3e partie) » pp. 5-96

Aussitôt que Goethe le regarde et le féconde de ce regard, l’embryon devient géant, et l’amour, la philosophie, la poésie, réunis en un seul faisceau, illuminent, enchantent, déifient le monde. […] Et, en effet, à cette hauteur, on a des fenêtres le délicieux coup d’œil de la vallée, animée de tableaux variés ; la Saale serpente à travers les prairies ; en face, du côté de l’est, s’élèvent des collines boisées ; le regard se perd au-delà dans un vague lointain ; il est évident que de cette position on peut très facilement observer, pendant le jour, les nuages chargés de pluie qui passent et vont se perdre à l’horizon, et, pendant la nuit, l’armée des étoiles et le lever du soleil. […] Arrivé au sommet, il promena longtemps son regard sur le panorama immense qu’il avait si souvent contemplé et qu’il admirait pour la dernière fois.

977. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

La philosophie surtout, animée par les regards du monarque, sortit, quoique lentement, de l’espèce de prison où l’imbécillité et la superstition l’avaient enfermée ; des préjugés de toute espèce lui ont cédé peu à peu sans bruit et sans violence, parce que le propre de la vraie philosophie est de ne forcer aucune barrière, mais d’attendre que les barrières s’ouvrent devant elle, ou de se détourner quand elles ne s’ouvrent pas. […] Engagés dans une carrière différente, on n’a point à craindre que leurs regards soient trop pénétrants ; on leur trouve précisément le degré de lumière que l’amour-propre peut désirer pour son repos. […] Si les talents sont justement choqués de ce partage, c’est à eux seuls qu’ils doivent s’en prendre ; qu’ils cessent de prodiguer leurs hommages à des gens qui croient les honorer d’un regard, et qui semblent les avertir par les démonstrations de leur politesse même qu’elle est un acte de bienveillance plutôt que de justice ; qu’ils cessent de rechercher la société des grands malgré les dégoûts visibles ou secret qu’ils y rencontrent, d’ignorer les avantages que la supériorité du génie donne sur les autres hommes, de se prosterner enfin aux genoux de ceux qui devraient être à leurs pieds.

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