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720. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VII. Repos »

Celui qui eut une telle vision est perdu. […] Et voici que son tâtonnement épeuré a « pénétré dans les régions inviolables où repose, majestueux et néfaste, le souvenir des âges perdus ». […] Je ne puis résister au plaisir égoïste de briser quelques thyrses et de les porter dépaysés et tristes, effeuillés et qui se fanent, en mes mains sacrilèges : Ces gens avaient perdu, l’une après l’autre, leurs espérances et, « comme dans une cathédrale, quand on a éteint tous les cierges, la nuit noyait leur pensée ». — Entendez, résonnement fait de souvenir, la voix tue du rossignol : « Les dernières notes de son chant étaient tombées, rebondissantes en écho, comme des perles jetées de très haut dans un bassin de fabuleux cristal. » — Un être lucide jusqu’ici devient fou. […] Lui, cependant, perdu dans un songe lointain, Sur le fond de la nuit vit ces fresques mouvantes. […] Les Chansons Éternelles forment une ligne parabolique dont les deux côtés vont se perdre dans l’infini.

721. (1853) Propos de ville et propos de théâtre

— Voilà comme on perd une bonne maison ! […] que c’est bête de me faire perdre mon temps comme ça. […] B… avait perdu. — Je perds 10, 000 fr., dit-il en se retirant ; mais je perds aussi une bonne fortune avec mademoiselle ***. […] Le directeur a complètement perdu la tête.

722. (1884) Propos d’un entrepreneur de démolitions pp. -294

Il ne peut que s’y précipiter et s’y perdre, comme un torrent dans un gouffre. […] … Dans quelque coin perdu du cimetière de Vaucelles ? […] Émile Goudeau, par bonheur, n’est pas de ceux-là qui se déconcertent aisément et qui perdent leurs jours à déplorer un amer destin. […] Il règne autant que peut régner un cul-de-jatte au milieu d’un peuple qui a perdu l’habitude de ne pas se traîner sur son derrière. […] Les plus atroces démentis historiques ont beau les souffleter, ils ne perdent pas contenance et ne se mettent jamais en frais de nouveaux mensonges.

723. (1892) La vie littéraire. Quatrième série pp. -362

Calmann Lévy, que nous avons eu le malheur de perdre au mois de juin dernier. […] À son sens, un homme marié était un homme perdu. […] C’est la pitié qui l’a perdue. […] Mais cet homme fort perdit, près d’une femme, en un jour, sa santé et sa beauté. […] Il n’a pas perdu tout souvenir des animaux fabuleux qui peuplaient l’Ardenne légendaire.

724. (1866) Dante et Goethe. Dialogues

Avant perdu la droite voie. […] Mais je ne perdrai plus de vers à les décrire, Ô lecteur ! […] L’autorité professorale, honorée encore en apparence, avait perdu crédit sur la jeunesse. […] Ils se sentent tout à coup seuls et comme perdus dans la vie. […] » il faut qu’il parte ; il le sent, il le dit ; il faut qu’il voie, il faut qu’il possède l’Italie, ou bien il est perdu.

725. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

Je n’en ai changé ou retranché que les choses qui m’ont paru exiger des corrections, et celles qui, tenant à des localités, eussent perdu leur intérêt pour les lecteurs, toujours plus dédaigneux qu’un auditoire. […] Tout cela n’est point l’ouvrage du hasard ; et l’exemple des beautés et des défauts dans les écrits, loin de se perdre pour les écrivains futurs, leur devient des objets d’étude qui perfectionnent leur habileté. […] Cette distinction du vrai simple et du vrai idéal, ne la perdez pas plus de vue que celle qui sépare la prose des vers : toutes deux sont fondamentales. […] On a recours aux digressions pour tenir l’attention éveillée ; et l’on perd de vue les lois positives qu’elle recherche. […] La scène eût perdu ses plus beaux ornements, si les grands maîtres n’eussent élargi la carrière en prolongeant la mesure à celle d’un jour, et quelquefois la moitié d’un autre.

726. (1893) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Première série

L’artiste ou l’écrivain qui se propose d’abord, qui se propose seulement de sauver sa vie, mérite de la perdre et il la perdra. […] La foi chrétienne a perdu son empire ; tout est analysé, c’est-à-dire mis en doute, jusqu’au patriotisme lui-même. […] Il faut qu’une pensée désintéressée et généreuse, venant recouvrir l’égoïsme fondamental, l’absorbe, l’annihile et lui fasse perdre la conscience de lui-même. […] pour encourager au bien les masses populaires, quand tout espoir sera perdu d’une récompense céleste ? […] Lit-on davantage le Paradis perdu ?

727. (1888) La vie littéraire. Première série pp. 1-363

Le malheur est qu’il a perdu sa puissance magique. […] Un jour, il parla du fils qu’il avait perdu. […] Il ne faut pas perdre de vue que, si M.  […] Catherine avait quinze ans quand elle perdit sa grand’mère. […] À dix heures, Catherine perdit connaissance.

728. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre deuxième »

J’en ai moult perdu au prester ; Il est fols qui preste sans gage. […] Sur la fin de sa vie, son imagination ayant perdu de sa vivacité et sa raison s’étant fortifiée, il laisse voir quelque intention de juger les choses qu’il raconte. […] Ils perdirent le secret des charmants récits de Froissart, et n’eurent pas la haute raison de Comines. […] Ceux qui étaient autour du marquis le soutinrent ; mais il perdit beaucoup de sang, et ne tarda pas à tomber en pâmoison. […] Hélas quel malheur ce fut pour l’empereur, Henri et pour tous les Latins de la terre de Remanie, de perdre, un tel homme par une telle mésaventure, un des meilleurs chevaliers, des plus vaillants et des plus généreux qui fût en tout le reste du monde !

729. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre quatrième »

C’est même la peur de la perdre, et de ne retrouver ni la curiosité des choses de la science, ni le goût du monde, c’est l’horreur de ce vide qui fut la passion d’une partie de sa vie ; voilà le précipice qu’il avait sous les yeux, et au bord duquel il se tint comme accroché avec ses mains sanglantes, quelquefois affaibli, jamais épuisé. […] Les vérités qu’il s’est proposé d’établir obligent la conscience de l’homme ; elles règlent toutes ses actions ; elles ne le quittent pas d’un instant dans cette course de la naissance à la mort qu’on appelle la vie ; elles ne peuvent pas être méprisées ni éludées impunément ; elles perdent ou elles sauvent. […] Ni enthousiasme, ni emportement ; une conviction lente, qui s’acharne à son objet, qui craint de le laisser échapper : une foi non d’habitude, mais qu’il faut disputer tous les jours à quelque objection nouvelle, et risquer tous les jours de perdre, si l’objection est la plus forte ; une foi, pour ainsi dire, arrachée et convulsive. […] Périer, beau-frère de Pascal, on lit ce passage significatif : « Il y a une nouvelle théologie morale d’Escobar, et de casuistes comme Mascarenhas, Busembaum, etc., où il y a les meilleures choses du monde pour nous… Je perds beaucoup, et nos amis, que les jours n’ont que vingt-quatre heures 46. » Cette lettre, copiée sur l’original, sans nom d’auteur, est-elle de Pascal ? […] L’interlocuteur ne perd pas une occasion d’en tirer parti.

730. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre II. Prière sur l’Acropole. — Saint-Renan. — Mon oncle Pierre. — Le Bonhomme Système et la Petite Noémi (1876) »

Quelques mois après, quand le drapeau contraire l’eut emporté, à la lettre il perdit la raison. […] Perdu dans une paix profonde et une sincère humilité, il voyait les erreurs des hommes avec plus de pitié que de haine. […] Quand elle eut perdu ses parents, sa tante, une très digne femme qui tenait l’hôtellerie de…, la plus honnête maison du monde, la prit chez elle. […] Thiers l’a très bien prouvé, a sauvé la France : maintenant il la perdrait. […] Luzel, sera, j’espère, le Pausanias de ces petites chapelles locales et fixera par écrit toute cette magnifique légende, à la veille de se perdre.

731. (1920) Impressions de théâtre. Onzième série

Remarquez que, moi, je n’ai rien à perdre. […] Sa femme Xantippe l’appelle ; il n’entend pas, perdu dans sa rêverie. […] Elle ne perd point à la lecture. […] Elle dit seulement : « Je suis perdue, perdue, perdue. » Il lui dit : « Venez avec moi. » Elle demande : « Où allez-vous !  […] Je suis perdu aussi. » Telle la Phèdre de Racine : Et Phèdre, au labyrinthe avec vous descendue, Se serait avec vous retrouvée ou perdue.

732. (1910) Propos littéraires. Cinquième série

Il ne quitte rien, il n’est privé de rien, il ne perd rien. Qui ne perd rien n’est pas frustré. […] De telles pensées le sel est perdu, si on est forcé de le démêler. […] Il avait perdu sa femme vers 1726. […] Tant s’en faut qu’elle y perde.

733. (1890) La bataille littéraire. Troisième série (1883-1886) pp. 1-343

Mais une contagion ébranlait sa tête plus solide, il perdit la sensation juste du réel. […] Je rouvris les yeux et je vis qu’elle me regardait ; ce regard me perdit. […] Elle perdit l’équilibre et tomba sur les genoux. […] Mais il ne sera pas perdu pour l’humanité. […] Au contraire, pour la grande majorité des hommes, la vie, au lieu de perdre de son importance, en aura gagné beaucoup ; elle en gagnera même trop en un sens ; elle aura perdu son prix élevé, mais son prix vulgaire augmentera d’autant.

734. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre premier. » pp. 15-203

Elle perdit en mer son époux, oncle de Sénèque. […] Il était nuit, il n’y avait point de témoin ; la belle occasion perdue ! […] C’est ainsi qu’il a perdu vingt respectables amis. […] Craignit-il de perdre la vie ? […] Comment avez-vous subitement perdu cette heureuse et rare disposition ?

735. (1895) Le mal d’écrire et le roman contemporain

A force de les polir, les pierres précieuses perdent leurs facettes. […] Aicard ne perd jamais pied ; le sens de la vie le domine. […] Il était homme, après tout, et même avec le génie, l’humanité ne perd pas ses droits. […] On a perdu pied dans le style ; le don d’écrire s’est corrompu. […] Elle lui a obéi, mais il y a perdu ses forces.

736. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — I » pp. 56-70

Il se trouve au combat de la Bicoque et voit perdre le Milanais. […] Il ne la garda pas toujours ; il reparaît comme simple volontaire et parmi les enfants perdus, à la journée de Pavie, mais il avait pris son rang de capitaine. […] Montluc s’en revient à pied pendant la plus grande partie du chemin, continuant de porter son bras en écharpe, « ayant plus de trente aunes de taffetas sur lui, parce qu’on lui liait le bras avec le corps, un coussin entre deux ; souhaitant la mort mille fois plus que la vie, car il avait perdu tous ses seigneurs et amis qui le connaissaient. » Il rentre en sa maison, est deux ou trois ans à s’y guérir, et plus tard, quand la guerre se réveille et qu’il reprend le service, il croit avoir tout à faire et à recommencer sa carrière comme le premier jour.

737. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Lettres de Madame de Sévigné »

Quand ce fatal talent l’eût perdu, quand il fut malheureux et en prison, Mme de Sévigné, malgré tout, lui pardonna encore. […] En lui l’auteur paraît toujours ; sa conclusion est bien de l’homme qui, dans le temps, n’a pas voulu perdre ce vilain Portrait si bien fait ; qui n’a pas eu le courage de sacrifier et de jeter au feu cette production de son esprit : « Ne trouvez-vous pas, dit-il, que c’est grand dommage que nous ayons été brouillés quelque temps ensemble, et que cependant il se soit perdu des folies que nous aurions relevées et qui nous auraient réjouis ?

738. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

Il m’en a coûté 80 liv. pour l’offrande, présent à l’œuvre, quêteuse et menus frais. » Bien des années après, intendant de Caen, ayant par extraordinaire joué au lansquenet, au jeu de Monsieur, frère de Louis XIV, qui, à la tête d’une armée, avait son quartier général à Pontorson, il note qu’il a perdu 4,000 livres. […] Dans le temps qu’il était à Montauban, il envoya à Colbert, grand amateur aussi en matière de collections, des actes et manuscrits curieux, tirés de l’abbaye de Moissac ; il y trouva notamment il y découvrit sinon de ses yeux, du moins par ceux d’un docte abbé qu’il y employa, un ouvrage qu’on croyait perdu sur les Persécuteurs, De Mortibus Persecutorum. […] « Heureux, est-on tenté de s’écrier quand on lit ces choses, heureux qui réussit à passer sa vie sans être dans ces alternatives de faveur et de disgrâce ; que les nécessités d’une carrière, l’aiguillon d’un continuel avancement ne commandent pas ; qui n’a pas soif de pouvoirs et d’honneurs ; qui n’est pas ballotté entre Colbert et Louvois, au risque d’oublier entre les deux sa conscience, d’étouffer ses scrupules et d’y perdre même le sentiment d’humanité ; qui n’est ni persécuteur ni victime, ni hypocrite, ni dupe, ni écrasant ni écrasé ; qui, après avoir connu sans doute quelques traverses de la vie et avoir essuyé quelques amertumes inévitables (sans quoi il ne serait pas homme), s’échappe le plus tôt qu’il peut, retire son âme de la foule et de la presse (comme dit Montaigne), passe le restant de ses jours « entre cour et jardin », ne voyant qu’autant qu’il faut et n’étant pas vu ; aussi loin de l’ovation que de l’insulte ; qui se soustrait en soi-même aux appels et aux tentations de la fortune non moins qu’aux irritations sourdes de l’envie et des comparaisons inégales qu’elle suggère, aux ennuis de toutes sortes, aux iniquités souvent qui s’en engendrent ; qui aime de tout temps quelques-unes de ces choses innocentes et paisibles qu’aimait et cultivait Foucault dans la dernière moitié de sa vie, mais sans en avoir taché comme lui le milieu, sans y avoir imprimé une note brûlante, et en pouvant, d’un bout à l’autre, reparcourir doucement, à son gré, et supporter du moins tous ses souvenirs ! 

739. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Lettres d’Eugénie de Guérin, publiées par M. Trébutien. »

Nés tous deux d’une ancienne famille noble du Midi fort déchue en fortune, mais restée fidèle jusqu’au bout aux sentiments et à l’honneur de la race, ils auront plus contribué à l’illustrer que tous les preux chevaliers d’autrefois à jamais oubliés et perdus dans la nuit des âges. […] Voilà que j’ai perdu tout ce que vous me dites d’aimable ; je ne saurai jamais ce que vous me portiez de la part de son cœur, de ce cœur qui me fait de si jolis envois, qui me dit tant de choses et qui est muet tout à coup. […] Mais lorsque janvier met en pièces son linceul de brume, que les lambeaux s’en dispersent emportés par le vent, que le soleil perdu jaillit derrière les Alpes, c’est bataille gagnée.

740. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, par M. J. Zeller. Et, à ce propos, du discours sur l’histoire universelle. (suite.) »

Pour parler sans figure, cette seconde partie a perdu considérablement et elle perdra de plus en plus dans l’opinion de ceux qui examinent. […] Bossuet, dans cet ordre de considérations morales, reprend les avantages et l’ascendant que son symbolisme sacré trop continu aurait pu lui faire perdre sur l’esprit de plus d’un lecteur.

741. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre IV. De l’amour. »

Une femme dans ces temps affreux, dont nous avons vécu contemporains ; une femme condamnée à mort avec celui qu’elle aimait, laissant bien loin d’elle le secours du courage, marchait au supplice avec joie, jouissait d’avoir échappé au tourment de survivre, était fière de partager le sort de son amant, et présageant, peut-être, le terme où elle pouvait perdre l’amour qu’il avait pour elle, éprouvait un sentiment féroce et tendre, qui lui faisait chérir la mort comme une réunion éternelle. […] Cette certitude, cette confiance, si douce à la faiblesse, est souvent importune à la force ; la faiblesse se repose, la force s’enchaîne ; et dans la réunion des contrastes dont l’homme veut former son bonheur, plus la nature l’a fait pour régner, plus il aime à trouver d’obstacles : les femmes, au contraire, se défiant d’un empire sans fondement réel, cherchent un maître, et se plaisent à s’abandonner à sa protection ; c’est donc presque une conséquence de cet ordre fatal, que les femmes détachent en se livrant, et perdent par l’excès même de leur dévouement. […] Il peut exister des femmes dont le cœur ait perdu sa délicatesse ; elles sont aussi étrangères à l’amour qu’à la vertu, mais il est encore pour celles qui méritent seules d’être comptées parmi leur sexe, il est encore une inégalité profonde dans leurs rapports avec les hommes, les affections de leur cœur se renouvellent rarement ; égarées dans la vie, quand leur guide les a trahi, elles ne savent ni renoncer à un sentiment qui ne laisse après lui que l’abîme du néant, ni renaître à l’amour dont leur âme est épouvantée.

742. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Pensées de Pascal. Édition nouvelle avec notes et commentaires, par M. E. Havet. » pp. 523-539

Mais, en admettant ce doute universel des philosophes, il ne s’effraie pas de cet état ; il le décrit avec lenteur, presque avec complaisance ; il n’est ni pressé, ni impatient, ni souffrant comme Pascal ; il n’est pas ce que Pascal dans sa recherche nous paraît tout d’abord, ce voyageur égaré qui aspire au gîte, qui, perdu sans guide dans une forêt obscure, fait mainte fois fausse route, va, revient sur ses pas, se décourage, s’assied au carrefour de la forêt, pousse des cris sans que nul lui réponde, se remet en marche avec frénésie et douleur, s’égare encore, se jette à terre et veut mourir, et n’arrive enfin qu’après avoir passé par toutes les transes et avoir poussé sa sueur de sang. […] que de vérités sensibles à tous ceux qui ont souffert, qui ont désiré, perdu, puis retrouvé la voie, et qui n’ont jamais voulu désespérer ! […] De tels réservoirs de hautes pensées sont nécessaires pour que l’habitude ne s’en perde point absolument, et que la pratique n’use pas tout l’homme.

743. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Eugène Gandar »

I L’Université a perdu le 22 février 1868 M.  […] Guigniaut le plus illustre voyageur de notre siècle, M. de Humboldt, vieillard courbé et blanchi, mais qui n’a rien perdu de la vigueur de son esprit ; il voulut bien prendre intérêt à mon voyage, et me questionna sur la route que je me proposais de suivre ; mais il s’indigna presque de mes réponses : “Un homme intelligent peut-il songer au voyage d’Orient sans s’y préparer par un voyage à Venise ? […] J’ai retrouvé la paix que j’avais perdue, et je reprends fermement la résolution de poursuivre en silence mon chemin, et d’attendre, en m’y préparant par des études solitaires, que mon pays me réclame et que mon temps soit enfin venu. […] Gandar ne perd jamais de vue le but sérieux, et même quand il rêve, il ne s’en éloigne pas. […] Havet (26 janvier 1849), malgré les fatigues de nos chevauchées et l’ennui dont je ne puis me défendre quand je reste trop longtemps à Athènes, je m’applaudirai toute ma vie d’avoir passé deux ans à visiter les pays classiques, si curieux à tant de titres ; et j’ose espérer que, soit que je reste dans l’enseignement des lycées, soit que le ministre m’appelle à remplir une chaire dans une Faculté des lettres, le fruit de ces voyages ne sera pas tout à fait perdu pour ceux qui écouteront mes leçons.

744. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Malherbe »

» Mais Malherbe, qui ne perdait jamais sa présence d’esprit ni la vue du positif, lui répondit « qu’il se promettait qu’elle le ferait mettre en la capitulation », c’est-à-dire qu’elle le traiterait dès lors comme un des guerriers qui consentaient à mettre bas les armes moyennant finances. […] Cette légèreté absente, ou corrigée à point, dans la belle littérature du grand siècle, reparut trop dès le commencement du suivant ; on se dédommagea, sous le roi Voltaire 139, de la contrainte et du temps perdu. […] Réjouissons-nous, perdons la mémoire des misères passées ; nous avons trouvé ce que nous cherchions, ou pour mieux dire, nous avons trouvé ce qu’il n’y avait point d’apparence de chercher. […] Misérables, qui ne s’apercevaient pas que ce qu’ils appelaient gagner temps était véritablement le perdre, et nous réduire à des extrémités d’où il était à craindre que le temps ne pût jamais nous retirer ! […] Tel qu’il est, et quoi qu’il soit, nous ne le perdrons jamais que nous ne soyons en danger d’être perdus. » De telles pages écrites dans la familiarité éclairent une vie.

745. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIe entretien. Épopée. Homère. — L’Iliade » pp. 65-160

Ménélas le provoque en vain ; Pâris, dont la beauté martiale déguise mal la lâcheté, s’enfuit et se perd dans la foule des Troyens. […] Il se retire aussitôt après dans Ilion, pour ne pas assister au combat où son fils Pâris peut perdre la vie sous ses yeux. […] ton courage te perdra. […] « Achille, après ses funérailles, pleure en pensant à ce cher compagnon perdu de sa vie, Patrocle. […] « Cher époux, dit Andromaque en soutenant cette tête dans ses bras pendant que le char traverse la ville, tu perds la vie à la fleur de tes jours, et tu me laisses veuve dans nos demeures.

746. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers » pp. 81-176

Thiers que, si Napoléon, dont il absout l’ambition au 18 brumaire, devait se perdre et nous perdre lui-même plus tard, c’était non par faute de génie, mais par faute d’un droit. […] Thiers pour attribuer aux combinaisons de son héros ce qui fut l’effet de la valeur et de la fortune, on voit clairement que Bonaparte fut surpris là où il espérait surprendre ; que la bataille, complétement perdue le matin, fut gagnée le soir par Desaix et Kellermann, et que la victoire se donna d’elle-même à la fin du jour au lieu d’avoir été conquise par le génie du général. […] Toutefois, gardant pour lui seul le secret de ses préférences, feignant d’ignorer les fautes de Kléber, il traita pareillement Kléber et Desaix, et voulut, comme on le verra bientôt, confondre dans les mêmes honneurs deux hommes que la fortune avait confondus dans une même destinée. » Glissons sur la triste capitulation de l’armée d’Égypte, sans chef, sans secours, sans communications avec la mère patrie : leçon terrible, mais leçon perdue pour ces politiques d’aventures qui rêvent des colonies immortelles sans posséder les mers, seules routes et seules garanties de ces colonies. […] Fouché cherchait à complaire à madame Bonaparte en disant que l’on commettait de graves imprudences et qu’on perdrait tout en voulant tout brusquer. […] Nous ne l’en blâmons pas ; il est permis à l’homme qui a consumé la meilleure part de sa vie à exceller à la tribune et à dominer au conseil, à grouper ou à déjouer les factions, à remuer les passions politiques qui sont les vents de sa voile ; il est permis, disons-nous, à un tel homme de se contempler dans les autres, ou de chercher en lui-même le secret des mobiles qui ont dirigé, servi ou perdu les empires.

747. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIIe entretien. Balzac et ses œuvres (3e partie) » pp. 433-527

Comment avait-il perdu sa fortune ? […] Après sept ans de bonheur sans nuages, Goriot, malheureusement pour lui, perdit sa femme : elle commençait à prendre de l’empire sur lui, en dehors de la sphère des sentiments. […] Mes sœurs s’étaient amusées à tourner ce robinet pour voir couler l’eau ; mais, surprises par l’écartement d’une gerbe qui les avait arrosées de toutes parts, elles avaient perdu la tête et s’étaient enfuies sans avoir pu fermer le robinet. […] Je séjournais sous un arbre, perdu dans de plaintives rêveries, je lisais là les livres que nous distribuait mensuellement le bibliothécaire. […] Encadrez le tout de noyers antiques, de jeunes peupliers aux feuilles d’or pâle, mettez de gracieuses fabriques au milieu de longues prairies où l’œil se perd sous un ciel chaud et vaporeux, vous aurez une idée d’un des mille points de vue de ce beau pays.

748. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Discours prononcé à la société des visiteurs des pauvres. » pp. 230-304

Quoique ceux-ci n’y perdent rien, le duc n’accepte pas cet arrangement, car enfin c’est pour un million qu’il a donné sa signature. […] Mais au dernier moment, effrayée, elle se dérobe : tout est perdu ! […] Il ne perd pas la tête et demande à présenter ses hommages à Sa Majesté Louis XVII. […] Le père Pétermann a perdu sa petite fortune dans des spéculations financières faites à bonne intention. […] Si vous sortez, vous êtes perdue. — Perdue aux yeux des autres, pas aux miens ! 

749. (1879) À propos de « l’Assommoir »

Zola, qui aime ardemment le travail de l’artiste, trouvait pénible de perdre son temps et ses forces à faire des lignes pour gagner son pain. […] Zola, au contraire, ne perdent jamais leur responsabilité. […] Nous sommes perdus ! […] Ces passages vigoureux ne suffisent cependant pas à excuser les changements fâcheux que l’intrigue a subis en passant du roman à la scène, et qui lui ont fait perdre, en grande partie, sa haute moralité. […] Et Gervaise n’a pas perdu courage, elle en a au jusqu’au dernier moment.

750. (1903) Hommes et idées du XIXe siècle

Où il n’y a rien, le tyran lui-même perd ses droits. […] Chez ceux-là mêmes qui détiennent le pouvoir et qui craignent de le perdre. […] La réalité perd ses contours. […] Où il n’y a rien, la volonté perd ses droits. […] Perdons l’honneur et perdons le bonheur, mais sauvons notre peau !

751. (1903) Propos de théâtre. Première série

Catherine, remarquez-le, n’a pas de mère ; elle l’a perdue toute jeune. […] » À ces mots, Pauline oublie sa leçon préparée, perd la tête, autant qu’elle peut la perdre, et retrouve son cœur. […] Vadius est perdu. […] Xipharès paraît : « Oui, nous sommes perdus. […] Athalie est perdue, le roi légitime est là.

752. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre II. De l’amitié. »

Un jour heureux, un être distingué rattachent à ces illusions, et vingt fois on revient à cette espérance après l’avoir vingt fois perdue ; peut-être à l’instant où je parle, je crois, je veux encore être aimée, je laisse encore ma destinée dépendre toute entière des affections de mon cœur ; mais celui qui n’a pu vaincre sa sensibilité, n’est pas celui qu’il faut moins croire sur les raisons d’y résister ; une sorte de philosophie dans l’esprit, indépendante de la nature même du caractère, permet de se juger comme un étranger, sans que les lumières influent sur les résolutions, de se regarder souffrir, sans que sa douleur soit allégée par le don de l’observer en soi-même, et la justesse des méditations n’est point altérée par la faiblesse de cœur, qui ne permet pas de se dérober à la peine : d’ailleurs, les idées générales cesseraient d’avoir une application universelle, si l’on y mêlait l’impression détaillée des situations particulières. […] Il semble alors qu’il vaudrait mieux séparer entièrement l’amitié de tout ce qui n’est pas elle ; mais son plus grand charme serait perdu, si elle ne s’unissait pas à votre existence entière : ne sachant pas, comme l’amour, vivre d’elle-même, il faut qu’elle partage tout ce qui compose vos intérêts et vos sentiments, et c’est à la découverte, à la conservation de cet autre soi, que tant d’obstacles s’opposent.

753. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre I. Bernardin de Saint-Pierre »

Une promenade de Paul et Virginie, une averse torrentielle, la crise du départ, la tempête où se perd le Saint-Géran : voilà les événements et les ressorts de l’émotion. […] Napoléon et le roi Joseph lui rendent plus qu’il n’a perdu.

754. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXV » pp. 402-412

Supposons-la perdue pour le roi dans une vaine galanterie, comme la précédente ; perdue pour madame de Montespan, dans les tourments d’une ambition réprimée et dans les fureurs d’une jalousie sans amour.

755. (1899) Le monde attend son évangile. À propos de « Fécondité » (La Plume) pp. 700-702

Il a donné les Entretiens et il a publié le Civilisateur : « Déjà presque au terme de ma longue carrière, a-t-il écrit dans la préface de cet ouvrage, avant d’avoir perdu une seule note de ma voix, mon ambition serait de recevoir en bas, dans les rangs obscurs mais honorables du peuple, la naturalisation littéraire et poétique que j’ai reçue autrefois en haut, dans les rangs supérieurs et élégants de la société. […] Et nous n’avons pas à souffrir, à nous accroître, à nous meurtrir, à faire constamment pénitence, afin de perdre l’indignité de notre état.

756. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Racine, et Pradon. » pp. 334-348

Il alloit souvent se perdre dans les bois de l’abbaye, un Euripide à la main, malgré la défense de quelques personnes dont il dépendoit, & qui lui en brûlèrent consécutivement trois exemplaires. […] Celui de l’histoire l’eût peut-être également immortalisé, à juger du moins par celle que Racine avoit faite de Port-royal & dont la seconde partie a été perdue.

757. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mes pensées bizarres sur le dessin » pp. 11-18

Voyez cette femme qui a perdu les yeux dans sa jeunesse. […] Mais appelez la nature, présentez-lui ce col, ces épaules, cette gorge ; et la nature vous dira, Cela c’est le col, ce sont les épaules, c’est la gorge d’une femme qui a perdu les yeux dans sa jeunesse.

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