/ 3271
871. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Mm. Jules et Edmond de Goncourt. » pp. 189-201

Or, comme il n’y avait là à attendre ni manière nouvelle de regarder et de juger cette société méprisable en tout, depuis ses mœurs jusqu’à ses arts, ni manière nouvelle non plus dans le procédé pour la peindre, car on ne renouvelle son talent qu’en agissant fortement sur le fond même de sa pensée, nous n’eussions plus parlé de MM. de Goncourt. […] Certainement MM. de Goncourt, qui sont très distingués d’âme et de manières, ne veulent insulter personne et ne se sont pas aperçus qu’ils pouvaient se blesser eux-mêmes sur leur titre : mais ce titre dans lequel la pensée déborde à côté est un signe en MM. de Goncourt, un signe qui les révèle tout entiers. […] Le livre, cette voie solide, droite ou tournante, de toute pensée qui va à son but, est ici défoncé à chaque pas par tout ce qu’on y charrie et ce qu’on y roule. […] une fois la plume dans l’écritoire, le tempérament, les habitudes, l’amour du pittoresque sentimental ou plastique, la rage de montrer de l’esprit, — de celui qu’on a et… aussi de l’autre, — les éblouissements de la paillette, l’idolâtrie des pétards et des feux d’artifice, les admirations et les souvenirs, ces tyrans charmants de leur pensée, Chamfort, Rivarol, Marivaux, Diderot et même M. 

872. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « À Monsieur P. Bottin-Desylles »

Je désirerais que toutes les pensées qui sont ici, fussent vos pensées, ou qu’il y en eût, au moins, quelques-unes que vous ne désavoueriez pas… Vous l’homme des sentiments exquis en toutes choses, vous devez avoir sur les femmes les idées qu’ont sur elles les esprits délicats, discernants, qui les aiment et qui ne veulent pas les voir se déformer dans des ambitions, des efforts et des travaux mortels à leur grâce naturelle, et même à leurs vertus… Vous êtes, mon cher Desylles, d’une supériorité trop vraie pour ne pas vous connaître en supériorités, et celle de la femme n’est pas où la mettent les Bas-bleus.

873. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre (2e partie) » pp. 5-80

C’est dans ces dialogues à tous hasards de sa pensée que le comte de Maistre a développé le plus de talent, d’audace d’esprit et d’originalité souvent étrange de style. […] Vingt ou trente automates agissant ensemble produisent une pensée étrangère à chacun d’eux. […] Tout ce que l’oreille entend, tout ce que l’œil contemple sur ce superbe théâtre n’existe que par une pensée de la tête puissante qui fit sortir d’un marais tant de monuments pompeux. […] et étonnez-vous qu’il y ait eu des martyrs dans un ordre de choses qui sacre ainsi les persécuteurs de toute pensée autre que la pensée officielle de l’État. […] Ses pensées passeront ou sont passées, mais son style restera la durable admiration de ceux qui lisent pour le plaisir de lire.

874. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIIe entretien. Madame de Staël. Suite. »

Cette faiblesse puérile et presque maladive de son âme lui faisait envisager comme le comble de l’infortune l’éloignement de ce centre de toutes ses pensées. […] Elle en détournait sa pensée comme elle l’aurait détournée de l’échafaud. […] L’exil, il est vrai, lui laissait le génie et la gloire des lettres ; on ne pouvait exiler sa pensée ; mais la gloire des lettres n’était que la moitié de son existence. […] Jamais elle ne régna plus universellement sur la pensée de l’Europe. […] Le style de l’écrivain de l’Allemagne était partout à la hauteur de cette pensée ; c’était un chant plutôt qu’un style.

875. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VIII. La littérature et la vie politique » pp. 191-229

Prière, c’est-à-dire ordre au poète de ne pas éveiller ces pensées fâcheuses. […] Les plus grands écrivains n’échappent pas à cette haine du sabre pour la pensée. […] Mais elle s’abaisse, s’avilit, se vide de pensée, se dégrade au rang de simple amuseuse. […] Ils chercheront mille moyens détournés pour faire entendre le quart ou la moitié de leur pensée. […] Il faut saisir l’occasion au vol, profiter de la minute d’attention que le public veut bien accorder, lui jeter sa pensée toute brûlante et telle qu’elle a jailli du premier jet.

876. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1884 » pp. 286-347

J’étais encore un enfant, mais un enfant à la pensée déjà préoccupée du mystère des sexes et de l’inconnu de l’amour. […] La cervelle est bien parfois traversée par une pensée lumineuse, mais si rapide que je ne puis la fixer : cette pensée, on pourrait la comparer à la phosphorescence qui court sur la crête d’une vague. […] Je crois que l’heure présente donne fièrement raison à cette pensée, écrite en 1830. […] » Et le lendemain matin, le petit frère, dans l’oreille duquel étaient restés des mots, qui étonnent la pensée enfantine, passait tout le déjeuner, à vouloir savoir ce qu’on devenait, quand on était mort. […] Ces vieilles lettres ont même rejeté ma pensée, je ne sais comment, à des années plus anciennes, que celles qu’elles racontaient.

877. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. de Rémusat (passé et présent, mélanges) »

Les écrits ne rendent pas tout, et, des qu’on a affaire à des pensées délicates, le meilleur est encore ce qui s’envole et qui a oublié de se fixer. […] Il se plaisait à traduire pour s’exercer au style ; la forme le préoccupait plus que le fond, et il se sentait même une sorte de prévention contre la pensée et les systèmes. […] En un mot, il s’évertuait à concilier dans sa pensée les institutions avec les théories. […] Il suffisait, pour en jouir, de passer deux fois la frontière ; la pensée qui sortait manuscrite revenait imprimée dans son pays natal. […] Il continue, en toute rencontre, de porter respect aux pensées et aux vœux de sa jeunesse.

878. (1856) Réalisme, numéros 1-2 pp. 1-32

La pensée est profonde, très profonde… Ah ! […] Tout ce qui est faux de pensée ou d’expression est mauvais. […] Le vers cloue l’expression au front de la pensée. […] quelle pensée ! […] La pensée est profonde, très profonde… Ah !

879. (1890) La vie littéraire. Deuxième série pp. -366

Le style en est sobre et ferme, la pensée heureuse, claire, profonde. […] S’il faut dire toute ma pensée, les acteurs, me gâtent la comédie. […] La pensée est une chose effroyable. […] La pensée est la pire des choses. […] Sa pensée même lui est soufflée de toutes parts.

880. (1778) De la littérature et des littérateurs suivi d’un Nouvel examen sur la tragédie françoise pp. -158

C’est de l’étendue du coup-d’œil que jaillit la force pénétrante de la pensée. […] Lui consacres-tu toutes tes pensées ? […] L’on seroit plus coupable de dissimuler sa pensée, que de la produire même avec un peu trop de chaleur. […] On ne s’amagine pas combien la rime coûte à la pensée, même chez nos plus grands Poètes. […] Idée noble, où l’on reconnoîtra sans peine l’expression & la pensée de M.

881. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 289-290

Ses Stances ont une tournure, une cadence qui plaît à l’oreille, en même temps que les pensées qu’elles contiennent, pénetrent le cœur & flattent l’esprit. […] Félicité passée, Qui ne peux revenir, Tourment de ma pensée, Que n’ai-je en te perdant, perdu le souvenir !

882. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 264-265

Une Poésie qui ne vit que de mots bas, d'expressions triviales, de pensées grotesques, de peintures puériles, n'est pas propre à amuser long-temps. […] Il n'eut besoin que d'élever la voix & de faire entendre la raison, pour enlever aux Dulot, aux d'Assoucy, &c. leurs sots Admirateurs ; Scarron même eût été compris dans la proscription, sans les pensées naïves, les expressions ingénieuses & la gaieté qui échappent par intervalles à sa Muse bouffonne.

883. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Note I. De l’acquisition du langage chez les enfants et dans l’espèce humaine » pp. 357-395

Si la linguistique a prouvé quelque chose, elle a prouvé qu’une pensée conceptuelle ou discursive ne peut se dérouler que par des mots. Il n’y a pas de pensée sans mots, pas plus qu’il n’y a de mots sans pensée. Nous pouvons, par abstraction, distinguer entre les mots et la pensée, comme faisaient les Grecs quand ils parlaient du discours (logos) intérieur et du discours extérieur, mais nous ne pouvons jamais séparer l’un de l’autre sans les détruire tous les deux. Si je puis expliquer ma pensée par un exemple familier, ils ressemblent à une orange avec sa peau. […] Un cas très simple nous montrera comment le travail de la pensée et du langage pouvait être abrégé.

884. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIIe entretien. Poésie lyrique. David (2e partie) » pp. 157-220

« Voici ce que m’a dit Jéhovah, ajoute à l’instant le poète en se transportant tout à coup dans la personne et dans la pensée de Saül, devant qui et pour qui il chante. […] « Plains-toi à Jéhovah et il te relèvera », ajoute-t-il avec le désordre d’une pensée qui succède à l’autre sans attendre qu’elle soit achevée dans l’esprit. […] « Ou poète, ou joueur de flûte, toutes mes pensées sont à toi !  […] » L’évidence de la Providence lui est révélée ailleurs dans deux versets aussi saillants d’expression qu’irréfutables de pensée. […] — lieu doublement sacré pour moi, dont ce chantre divin a si souvent touché le cœur et ravi la pensée.

885. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre II. Le quinzième siècle (1420-1515) »

Sur toutes les hautes pensées, il est muet, l’esprit immobile dans son horizon fermé : le cœur est vide de sentiment profond. […] Engagé dans la voie honteuse, le tumulte des jouissances et des périls, les pensées pressantes de l’action quotidienne n’ont pas éteint en lui la vie intérieure : il s’abandonne, mais il se voit, et il se juge. […] Pour nous, l’action seule réalise nos intimes pensées : le poète leur donne réalité, et mieux, éternité, par son œuvre. […] Et sa pensée prolonge le spectacle, jusqu’aux torsions de l’agonie, à l’effondrement écœurant de tant de choses ; douces et charmantes. […] D’ordinaire, la pensée seule fixe l’attention.

886. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre cinquième »

On ne s’avise pas de remarquer la simplicité dans un discours ordinaire ; on n’en est averti que là où la grandeur des pensées fait contraste avec la simplicité des mots. […] Là où les pensées sont fortes, ces expédients sont des beautés, ailleurs, c’est une phraséologie d’emprunt, dont Voltaire se serait moqué dans les ouvrages d’un autre. […] Où la pensée est solide, le sentiment juste et profond, le style ne brille pas ; il pénètre, il frappe, il échauffe. Les sentiments superficiels, les pensées spécieuses appellent le style brillant, avec le cortège des mille fautes secrètes dont il fourmille. […] Il faut des sentiments généraux et profonds pour une forme que la plénitude du sens fait trouver si simple, que des pensées vagues ou communes font trouver si vide ; il faut des diamants pour de pareils chatons.

887. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — I » pp. 249-267

Chez lui rien d’essayé, rien de livré au hasard de la jeunesse : il est entré tout armé ; il a pris place avec une netteté, une vigueur d’expression, une concentration et un absolu de pensée qu’il a appliqués tour à tour aux sujets les plus divers, et dans tous il s’est retrouvé un et lui-même. […] Qu’on veuille bien se représenter ce que doivent produire de pensée intense et active, de pensée accumulée, trois ou quatre années de séminaire philosophique intellectuel chez de jeunes esprits ardents et fermes, lisant tout, jugeant tout. […] De cette contradiction aussi bien que de cet accord il résulte un double effet singulièr et comme un double jeu, où tout est calculé, où la pensée se déjoue et se rajuste, où l’on est contrarié par la forme, satisfait par le raisonnement, impatienté et vaincu, et qui a bien de l’originalité dans son artifice. […] On serait animé par une idée bien flatteuse et par un puissant mobile, par la pensée qu’on l’instruit, lui aussi, qu’on lui fait faire un pas de plus dans la connaissance de lui-même et de la place qu’il tient dans la renommée ; on jouirait de sentir qu’on lui développe un côté de sa gloire, qu’on lui lève un voile qui lui en cachait quelque portion, qu’on lui explique mieux qu’il ne le savait son action sur les hommes, en quoi elle a été utile et salutaire, et croissante ; on oserait ajouter en quoi aussi elle a été moins heureuse et parfois funeste. […] Le sol, la lumière, la végétation, les animaux, l’homme, sont autant de livres où la nature écrit en caractères différents la même pensée. » De même, en étudiant l’histoire, il est porté à voir dans les individus, et sans excepter les plus éminents, une production directe, un résultat à peu près fatal du siècle particulier où ils sont venus.

888. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Charles-Quint après son abdication, au monastère de Saint-Just »

Il rappela en commençant : « Qu’il y avait quarante ans que dans la même salle, dans le même lieu, et quasi à la même heure, il avait été émancipé du consentement de l’empereur Maximilien, son grand-père ; qu’il n’avait alors que quinze ans ; qu’en 1516 le roi catholique étant mort, il fut obligé de passer en Espagne l’année suivante ; qu’en 1519 il perdit l’empereur, son aïeul ; qu’alors il sollicita l’élection à l’Empire, non par ambition d’avoir plus de seigneuries, mais pour le bien de plusieurs de ses royaumes et pays, et principalement de ceux de par deçà ; que, depuis, il avait fait neuf voyages en Allemagne, six en Espagne, sept en Italie, dix aux Pays-Bas, quatre en France, deux en Angleterre, et deux en Afrique, sans compter ses visites en ses autres royaumes, pays et îles, lesquelles avaient été nombreuses, et son passage par la France en 1539, qui n’était pas la moindre de ses entreprises ; qu’il avait, dans ces divers voyages, traversé huit fois la Méditerranée et trois fois l’Océan… » Quarante années d’un semblable règne, de telles fatigues pour pourvoir à tout instant et subvenir à tant de royaumes et d’États disjoints, une santé détruite et dont le délabrement dans sa personne était visible à tous, justifiaient suffisamment une pensée de retraite depuis longtemps conçue, mais qu’il avait fallu ajourner jusqu’à ce que son fils eût atteint l’âge d’homme. […] Et cette pensée affichée de conquête et d’entreprise ne s’appliquait pas seulement aux Indes ; il avait certainement visé alors, du côté de l’Europe, plus haut et plus loin en tous sens qu’il ne pouvait atteindre et étreindre ; il avait eu ses fumées d’orgueil, ses rêves de toute-puissance. […] il viendra, quelques années après, un sage appelé Montaigne qui remettra tout à sa place et à son rang dans l’estime, et qui ayant à développer cette idée, qu’un père sur l’âge, « atterré d’années et de maux, privé par sa faiblesse et faute de santé de la commune société des hommes, se fait tort et aux siens de couver inutilement un grand tas de richesses, et que c’est raison qu’il leur en laisse l’usage puisque la nature l’en prive », ajoutera pour illustrer sa pensée : « La plus belle des actions de l’empereur Charles cinquième fut celle-là, à l’imitation d’aucuns Anciens de son calibre, d’avoir su reconnoître que la raison nous commande assez de nous dépouiller, quand nos robes nous chargent et empêchent, et de nous coucher quand les jambes nous faillent : il résigna ses moyens, grandeur et puissance à son fils, lorsqu’il sentit défaillir en soi la fermeté et la force pour conduire les affaires avec la gloire qu’il y avoit acquise : Solve senescentem… » Mais entrons un peu plus avant dans les raisons qui persuadèrent à une de ces âmes d’ambitieux, si aisément immodérées, d’en agir si sensément et prudemment. […] Ses livres préférés, c’était Commynes, c’était Thucydide ; et si, à l’article de la mort, la pensée du jugement dernier n’avait tant préoccupé et offusqué son imagination espagnole et sombre ; s’il avait pu, lui aussi, rêver son rêve de Champs Élysées, c’est avec ces politiques consommés et parfaits qu’il eût aimé à se figurer la rencontre et les entretiens d’au-delà. […] Mais d’autre part, depuis qu’on a pu lire les lettres nombreuses écrites en ce même temps par les personnes de l’entourage de Charles-Quint, les consultations à lui adressées sur toutes les affaires politiques de l’Europe et les réponses, on a un double jour ouvert sur la pensée du grand solitaire ; il n’a plus été possible de dire avec Robertson : « Les pensées et les vues ambitieuses qui l’avaient si longtemps occupé et agité étaient entièrement effacées de son esprit ; loin de reprendre aucune part aux événements politiques de l’Europe, il n’avait pas même la curiosité de s’en informer. » Et sans faire de lui le moins du monde un ambitieux qui se repent, ni sans accuser les bons moines d’avoir falsifié la vérité parce qu’ils en ont ignoré la moitié, on est arrivé à voir le Charles-Quint réel, naturel, non légendaire, partagé entre les soins qu’il devait encore au monde et à sa famille, traité et considéré par elle comme une sorte d’empereur consultant, et en même temps catholique fervent, Espagnol dévot et sombre, tourné d’imagination et en esprit de pénitence aux visions de purgatoire ou d’enfer, et aux perspectives funèbres.

889. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire de la Grèce, par M. Grote »

Il faut l’écouter lui-même justifiant le procédé qu’il a suivi et nous exposant très-ingénieusement sa pensée : « Les temps, dit-il, que j’écarte par là de la région de l’histoire ne peuvent être distingués qu’à travers une atmosphère différente, celle de la poésie épique et de la légende. […] C’est ainsi que nos anciennes chansons de Geste, où figurent Charlemagne et Alexandre, n’apprennent rien sur les héros mêmes ni sur l’état de la société de leur temps, et elles ne seraient propres qu’à égarer, si on les interrogeait dans une telle pensée de recherche ; mais elles nous représentent avec une vérité naïve les mœurs de l’âge féodal où les trouvères mirent en œuvre ces anciens canevas et les reprirent à l’usage de leurs contemporains. […] Il avait donné d’abord en plein dans la doctrine de Wolf ; il l’avait épousée ; puis il s’en détachait, à la réflexion, et il disait dans une de ses épigrammes, qui sont sur sa lèvre comme le sourire et la fleur d’une pensée profonde : HOMERE DERECHEF HOMERE. […] En étudiant cet ouvrage, je réfléchis sur moi-même et j’observai le travail de ma pensée. […] Ce serait le poëte de cette pensée, cet Homéride de génie qui serait le véritable auteur de l’Illiade.

890. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « CHRISTEL » pp. 515-533

Elle avait fini par lire couramment la pensée du cachet qui se variait sans cesse avec caprice, facile blason de coquetterie encore plus que d’amour, et qui ne demande qu’à être compris. […] Elle voulait quelquefois s’abuser encore : l’empreinte de cire rose ou bleue lui montrait-elle une fleur, une pensée haute et droite sur sa tige comme un lys (le lys était alors fort régnant) : C’est peut-être un lys et non une pensée, se disait-elle. […] Quel était-il, cet amour qui occupait tant le comte Hervé, qui l’avait arraché aux plaisirs d’une vie brillante, et le reléguait depuis près de six mois aux champs dans une unique pensée ? […] Quand la correspondance allait bien, quand les cachets de Paris marquaient une pensée (car décidément, si royalistes qu’on les voulût faire, cela ne pouvait ressembler à un lys), quand chaque courrier avait une réponse d’Hervé, Christel le sentait avec une anxiété cruelle, et il lui semblait que le courrier qui emportait cette réponse lui arrachait, à elle, le plus tendre de son âme, le seul charmant espoir de sa jeunesse. […] La sage mère s’en flattait encore, et elle contint au dedans toute pensée.

891. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Discours sur l’histoire de la révolution d’Angleterre, par M. Guizot (1850) » pp. 311-331

Esprit d’exécution, il rassemble avec vigueur, avec ardeur, ses forces, ses idées, et se met résolument à l’œuvre, peu soucieux de la forme, l’atteignant souvent par le nerf et la décision de sa pensée. […] Sa pensée, son récit même, revêtent volontiers quelque chose d’abstrait, de demi philosophique. […] Guizot est sorti de ces épreuves de tribune plus ferme et mieux trempé qu’auparavant ; sa pensée en est sortie non modifiée. […] Et comme ce même Auguste nous le dit si éloquemment par la bouche du grand Corneille : Mais l’exemple souvent n’est qu’un miroir trompeur ; Et l’ordre du Destin, qui gêne nos pensées, N’est pas toujours écrit dans les choses passées. […] Le néant de l’homme, la petitesse de sa raison la plus haute, l’inanité de ce qui avait semblé sage, tout ce qu’il faut de travail, d’étude, de talent, de mérite et de méditation, pour composer même une erreur, tout cela ramène aussi à une pensée plus sévère, à la pensée d’une force suprême ; mais alors, au lieu de parler au nom de cette force qui nous déjoue, on s’incline, et l’histoire a tout son fruit.

892. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Frédéric le Grand littérateur. » pp. 185-205

Tel est le rôle du grand Frédéric dans l’histoire ; mais, au fond, ses goûts secrets ou même très peu secrets, ses réelles délices étaient de raisonner en toute matière, de suivre ses pensées de philosophe, et aussi de les jeter sur le papier, soit au sérieux, soit en badinant, comme rimeur et comme écrivain. […] Tant que vécut son père, ce désir purement littéraire de Frédéric prévalut sur ses autres pensées et l’engagea à des démarches, à des avances où le futur roi s’oubliait un peu. […] À travers ce singulier style des premières lettres de Frédéric, la plus noble pensée se fait jour. […] Frédéric jugeait bien encore des moralistes et philosophes anciens, ou même des poètes philosophes en qui la pensée domine, tels que Lucrèce : « Lorsque je suis affligé, disait-il, je lis le troisième livre de Lucrèce, et cela me soulage. » Pourtant, même dans ce qui faisait l’objet de ses lectures familières, il y regardait si peu de près quant à l’érudition, qu’il lui est arrivé de ranger par mégarde Épictète et Marc Aurèle au nombre des auteurs latins. […] En somme, tout ce qui était pensée mâle et ferme allait droit à son esprit sensé et vigoureux.

893. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le cardinal de Richelieu. Ses Lettres, instructions et papiers d’État. Publiés dans la Collection des documents historiques, par M. Avenel. — Premier volume, 1853. — II. (Fin.) » pp. 246-265

Mais, après avoir ainsi conclu en un trait qui rappelle Shakespeare et qu’aurait envié Schiller, il prolonge sa pensée, et il l’aurait gâtée si elle pouvait l’être : « On connut bientôt après, ajoute-t-il, qu’un mort ne mord point, et que l’affection des hommes ne regarde point ce qui n’est plus. » Ainsi donc, il faut en prendre son parti avec Richelieu et s’attendre à du mauvais goût, à des longueurs, à des métaphores souvent heureuses et grandes, souvent aussi hasardées et désagréables. […] Dans cette solitude vigilante et noblement orgueilleuse, ayant sous la main tous les secours et les aides matériels, que lui manquait-il donc pour recueillir sa pensée ? […] Richelieu reproche à Luynes d’avoir voulu appliquer à la France la politique étroite et tyrannique qui n’est praticable que dans les petites provinces d’Italie, où tous les sujets sont sous la main de celui qu’ils doivent craindre : « Mais il n’en est pas de même de la France, grand et vague pays, séparé de diverses rivières, où il y a des provinces si éloignées du siège du prince. » Dans toute cette peinture, Richelieu nous livre indirectement ses propres pensées, et, en nous représentant ainsi le favori odieux, il est évident qu’il sent combien lui-même il s’en sépare et il en diffère. […] Il y en a qui sont fertiles en inventions et abondants en pensées, mais si variables en leurs desseins, que ceux du soir et du matin sont toujours différents, et qui ont si peu de suite et de choix en leurs résolutions, qu’ils changent les bonnes aussi bien que les mauvaises, et ne demeurent jamais constants en aucune. […] Je laisse ces divers problèmes, ces contradictions apparentes de quelques-unes de ses pensées et de ses actes à agiter aux historiens futurs ; la renommée de Richelieu (et la renommée, il l’a dit, est le seul paiement des grandes âmes) ne peut que s’accroître avec les années et avec les siècles : il est de ceux qui ont le plus contribué à donner consistance et unité à une noble nation qui d’elle-même en a trop peu ; il est, à ce titre, un des plus glorieux artisans politiques qui aient existé ; et plus les générations auront été battues des révolutions et mûries de l’expérience, plus elles s’approcheront de sa mémoire avec circonspection et avec respect.

894. (1894) Écrivains d’aujourd’hui

Il se plaît à la pensée, pensée abstraite et pensée pure. […] La pensée une fois mise en mouvement ne s’arrête plus. […] … La pensée de l’homme est immobile. […] Toutes formules qui ne font qu’accuser le relief de la pensée. […] La prédication peut donc être accueillante à la pensée moderne.

895. (1940) Quatre études pp. -154

mentir à ta pensée ? […] Je vois le Soleil se lever, se coucher, se relever plus d’une fois, avant que j’aie pu vous réconcilier avec une pensée qui valait à peine quelques moments. […] L’idée de la grande chaîne des êtres, volontiers présente à la pensée des hommes du dix-huitième siècle, est renforcée par Leibniz. […] On trouve l’hypothèse exprimée chez Diderot, en effet, dès 1754, dans ses Pensées sur l’interprétation de la nature, Pensée lviii. […] Pensées sur l’interprétation de la nature, Œuvres, II, 49 ; Pensée li.

896. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VI. De l’envie et de la vengeance. »

Ce qu’on a le plus de peine aussi à supporter dans l’infortune, c’est l’absorbation, la fixation sur une seule idée, et tout ce qui porte la pensée au-dehors de soi, tout ce qui excite à l’action, trompe le malheur ; il semble qu’en agissant, on va changer la situation de son âme, et le ressentiment, ou l’indignation contre le crime étant d’abord ce qui est le plus apparent dans sa propre douleur, on croit, en satisfaisant ce mouvement, échapper à tout ce qui doit le suivre ; mais en observant un cœur généreux et sensible, on découvre qu’on serait plus malheureux encore après s’être vengé qu’auparavant. L’occupation où l’on est de son ressentiment, l’effort qu’on fait sur soi pour le combattre remplit la pensée de diverses manières ; après s’être vengé, l’on reste seul avec sa douleur, sans autre idée que la souffrance ; vous rendez à votre ennemi, par votre vengeance, une espèce d’égalité avec vous ; vous le sortez de dessous le poids de votre mépris, vous vous sentez rapprochés par l’action même de punir ; si l’effort que vous tenteriez pour vous venger était inutile, votre ennemi aurait sur vous l’avantage qu’on prend toujours sur les volontés impuissantes, quelle qu’en soit la nature et l’objet : tous les genres d’égarement sont excusables dans les véritables douleurs ; mais ce qui démontre cependant combien la vengeance tient à des mouvements condamnables, c’est qu’il est beaucoup plus rare de se venger par sensibilité, que par esprit de parti ou par amour propre. Les âmes généreuses, qui se sont abandonnées à des mouvements coupables, ont fait un tort immense à l’ascendant de la moralité ; elles ont réunis à des torts graves des motifs élevés, et le sens même des mots s’est trouvé changé par les pensées accessoires que leur exemple y a réunies.

897. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Saint-Pol-Roux (1861-1940) »

Lucien Muhlfeld Les Reposoirs de la Procession sont de belles pensées, de belles métaphores, de belles phrases. […] Nos actions, seules, ne sont rien ; les pensées, seules, demeurent. […] Chaos qui s’ordonne au fur et à mesure que la pensée s’affirme !

898. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Orientales » (1829) — Préface de l’édition originale »

Il résulte de tout cela que l’Orient, soit comme image, soit comme pensée, est devenu, pour les intelligences autant que pour les imaginations, une sorte de préoccupation générale à laquelle l’auteur de ce livre a obéi peut-être à son insu. Les couleurs orientales sont venues comme d’elles-mêmes empreindre toutes ses pensées, toutes ses rêveries ; et ses rêveries et ses pensées se sont trouvées tour à tour, et presque sans l’avoir voulu, hébraïques, turques, grecques, persanes, arabes, espagnoles même, car l’Espagne c’est encore l’Orient ; l’Espagne est à demi africaine, l’Afrique est à demi asiatique.

899. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Jean-Jacques Rousseau »

Tous, en effet, ces fourmillants et ces frétillants dans le champ de la pensée, comme ils disent agréablement, procèdent de Jean-Jacques et en sont sortis. […] Descartes, ce Robinson de la pensée, qui fait le désert dans l’intelligence pour s’y retrouver, fut continué effroyablement, et jusqu’à l’absurdité, par un autre Robinson sans patrie, sans principes, — la patrie de l’esprit, — échoué à Paris chez les encyclopédistes, qui lui appliquèrent le droit d’aubaine et s’en firent une de ses écrits. […] c’est ce Contrat, l’emphytéose du xixe  siècle, hors duquel il n’y a de salut philosophique pour personne parmi ceux qui s’appellent de la libre pensée, mais que nous appelons, nous, de la très servile ; c’est ce Contrat social que nous demandons la permission d’analyser en quelques mots.

900. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Auguste Nicolas »

Dernière marque de décrépitude, la pensée vieillie raconte les prouesses de la pensée vaillante et active, comme ces vieillards à qui l’âge interdit la guerre la racontent à leurs enfants, imbécilles ou lâches, qui ne les imiteront pas ! […] Catholique d’intelligence, de sentiment, et nous dirons même de préoccupation, voyant tout à travers le catholicisme parce que le catholicisme c’est tout, même pour ses ennemis, depuis qu’il est né dans le monde et dans l’histoire, écrivain de discussion et d’apologie, Nicolas a dévoué sa pensée à l’avancement incessant, mais combattu, de l’Éternelle Vérité.

901. (1894) Études littéraires : seizième siècle

Un homme comme Montaigne est un Latin, de sentiments, de pensée et même de style ; un homme comme Rabelais est un Grec, de sentiments et de pensée au moins ; de langue parfois. […] Toujours ils révèlent dans la pensée de l’écrivain quelque chose d’hybride et d’incohérent. […] Pourquoi est le mot et la pensée des hommes intelligents, ou qui voudraient l’être. […] Ce n’est pas tant varier qu’accommoder bien le rythme à la pensée, qui est utile en cette affaire. […] Il n’est pas impossible que c’ait été là sa pensée.

902. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 530-531

On pardonnera sans peine au Cardinal de Polignac de légers défauts dans le style, en faveur de la solidité de ses pensées & de la droiture de ses intentions : mais les Ecrivains téméraires de notre Siecle sont assurés de perdre le mérite de leurs expressions, par le mépris qu’on aura pour leurs pensées & leurs sentimens.

903. (1890) L’avenir de la science « VI »

Il est clair que l’esprit humain, enchanté de la découverte de ces casiers réguliers de la pensée que révèle la dialectique, y attacha d’abord trop d’importance et crut naïvement que toute pensée pouvait avec avantage se mouler dans ces formes. […] Le jargon scolastique, quand il ne cache aucune pensée ou qu’il ne fait que servir de parade à d’étroits esprits, est fade et ridicule. Mais vouloir bannir le style exact et technique, qui seul peut exprimer certaines nuances délicates ou profondes de la pensée, c’est tomber dans un purisme aussi peu raisonnable.

904. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre II. Filles à soldats »

Il emprunte à tous un peu de pensée incertaine et de branlante énergie. […] Des imbéciles incapables de saisir directement une pensée originale ; des imbéciles dont l’oreille fermée aux hommes est faite pour recueillir avec joie les échos, les bavardages des perroquets, les bafouillements des phonographes, vous appellent penseur, comme ils appellent astronome M.  […] Mais vous savez bien, vous, élève de tous les Renan, de tous les Taine, de tous les Maurras et de tous les Amouretti rencontrés, que votre pensée est empruntée ; vous n’avez d’autre esprit que « l’esprit de suite » et votre seule vertu intellectuelle se nomme docilité. […] On peut aussi créer soi-même l’unité : en choisissant Paris comme centre et en traduisant le récit direct des efforts de la Province par l’émotion qu’ils apportent aux assiégés ; ou en s’attachant à la pensée de Gambetta et en regardant les événements se refléter vibrants dans cette âme.

905. (1799) Dialogue entre la Poésie et la Philosophie [posth.]

Cette pièce avait pour titre, De l’Éducation d’un prince 1 : tout m’a charmé dans cet ouvrage ; pensées, sentiments, images, harmonie, facilité, noblesse, mais surtout de grandes leçons, et des vérités utiles, qui n’en ont que plus de mérite pour être mises en beaux vers, parce qu’à leur mérite propre elles en joignent deux autres, celui de la difficulté vaincue sans que l’empreinte du travail y reste, et celui d’être exprimées dans un langage sonore qui les rend plus faciles à retenir. […] À la bonne heure ; mais convenez que vous préférez les pensées aux images. […] Je crois que toute image poétique, pour être vraiment belle, doit renfermer une pensée ; et sur ce pied-là je préfère les vers d’image, dignes de ce nom, aux vers qui ne renfermeraient qu’une pensée sans image, quoique ces derniers puissent avoir aussi beaucoup de mérite.

906. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Th. Carlyle » pp. 243-258

Il s’en fait l’acteur par la pensée, ou du moins le chœur qui épousait l’action même et la vivait dans le drame antique, et cela communique à son récit un accent très particulier, qui n’est pas la particularité d’un faiseur de Mémoires qui raconterait simplement sa vie, et qui donne au sien une passion que n’a pas ordinairement l’Histoire. […] Nul système d’idées préconçues ne s’impose à sa pensée d’historien, à une époque où tout historien a cette fatuité de viser plus ou moins à une philosophie de l’Histoire. […] J’aurais dû dire aussi dans le confus, dans la brume de cette pensée de mystique et de prédicant qu’Hogarth ne connaissait pas, lui, et dont il n’a pas embrouillassé ses poignantes, ses implacables caricatures ! […] Il avait la vapeur et l’éclair qui la troue et la hache, sans la dissiper ; il avait le mot pittoresque, et pourtant je ne sais quelle nue sur la pensée, dont tous les mots pittoresques, pris au plus épais et au plus coupant des choses matérielles, ne pouvaient venir à bout.

907. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Eugène Pelletan » pp. 203-217

Il en a fait un homme politique, un de ces cuisiniers de révolutions et de gouvernements impossibles, qui empoisonnent la France depuis près d’un siècle… Le journalisme, qui, si l’on n’y prend garde, donne de si mauvaises habitudes à la pensée, a donné à Pelletan tous les défauts qui sautent aux yeux dans son nouveau livre : l’inconsistance, la frivolité, les passions de parti et leurs faux jugements et leurs injustices, et surtout cette terrible et misérable faculté de se monter la tête, de suer à froid, comme disait Beaumarchais, en parlant des avocats, ces journalistes du bec comme les journalistes sont les avocats de la plume, et de se faire illusion à soi-même pour mieux faire illusion aux autres. […] Au moins il y avait là une idée, sinon un système, un essai de philosophie, malheureux, j’en conviens, défaillant, impossible à organiser, mais qui montrait dans les tendances de son auteur des besoins de zénith et d’horizon que sa pensée, ramenée sur la terre par la politique au jour le jour, ne connaît plus… Pelletan était jeune encore dans ce temps-là ; plein d’un enthousiasme, qui avait l’excuse de son inexpérience, pour des idées qui lui paraissaient généreuses. […] Ce livre, qui joue la pensée et qui met des idées générales sous des noms propres, est divisé en quatre parties : le Pape, l’Antipape, l’Empereur et le Citoyen, correspondant à quatre hommes célèbres qui les expriment : de Maistre, Lamennais, Béranger et Lamartine. […] Devenu superficiel par le fait de ce journalisme qui diminue les facultés des hommes, quand il ne les tue pas après les avoir dépravées, Pelletan, qui n’a plus rien de sérieux dans la pensée, ne s’en est pas moins donné la peine du diable qu’est obligé de se donner tout journaliste pour enlever son publie, tout en l’amusant.

908. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XII. MM. Doublet et Taine »

Pour le malheur de sa pensée, c’est celle-là que M.  […] Il a décrit avec d’ineffables minuties les voyages de Gulliver de sa pensée, et il a construit comme Kant et même contre Kant une théorie. […] La parole renferme le mystère générateur de la pensée… In principio erat verbum. […] S’il y avait quelque chose qui ressemblât à du respect dans sa pensée, ce serait pour Condillac et pour Voltaire.

/ 3271