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1150. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 28, du temps où les poëmes et les tableaux sont apprétiez à leur juste valeur » pp. 389-394

Le monde remarque encore de lui-même, que ceux qui lui avoient promis quelque chose de meilleur que l’ouvrage dont le mérite a été contesté, ne lui ont pas tenu parole.

1151. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes de l’Évangile » pp. 89-93

Ventura, homme d’immense doctrine, de foi profonde, de vigueur de parole, un vrai lion évangélique enfin, n’aurait-il pas pu se reposer de ses travaux de prédicateur en nous écrivant cette majestueuse histoire ?

1152. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « L’abbé Cadoret »

Un homme que l’histoire nommera d’un nom que nous épargnerons à sa vieillesse, Lamennais, fut le premier de notre temps qui reprit, dans les Paroles d’un croyant, bien plus avec l’éclat de sa renommée qu’avec l’éclat d’un talent qui pâlissait et qui allait mourir, cette idée révolutionnaire et menteuse de l’hostilité de la religion et du pouvoir.

1153. (1881) Études sur la littérature française moderne et contemporaine

Sa parole était grave et donnait à penser. […] C’est l’éternelle différence des véritables orateurs, des véritables écrivains avec les virtuoses de la parole et du style. […] La parole n’était plus ce vêtement simple de la pensée, tirant toute son élégance de sa parfaite proportion avec l’idée à exprimer. On cultivait la parole pour elle-même. […] Se penchant vers elle, il la salua avec respect et lui adressa quelques paroles de bonté.

1154. (1895) Nos maîtres : études et portraits littéraires pp. -360

Mais c’est un superbe déploiement de gestes et d’images, un choc de paroles aisément poignantes : la vie colorée, chaude, bruyante, d’une race sanguine. […] Or, pour la rapidité de notre parole, nous avons atténué à l’infini cette vision des sens attachés aux mots. […] Dans l’émotion joyeuse, souvent, la poussée des images devient plus rapide : les rythmes rapides ont désigné la joie, d’abord pour les paroles, puis pour le chant, qui fut un effort à rendre les paroles plus expressives. […] L’adjonction des paroles aux sons, ce n’était nullement une intervention de l’art littéraire dans la musique, car les paroles des opéras, destinées, avant tout, à être chantées, n’exprimaient point des notions précises, elles dirigeaient seulement l’émotion en indiquant sa nature exacte. […] » Un opéra en cinq actes, ou plutôt — ce qui vaut mieux — en cinq paroles.

1155. (1909) Nos femmes de lettres pp. -238

Eh bien, la femme écrivain, c’est trop souvent la sœur de ce poète… seulement une sœur qui entend ne pas garder le silence et par instants commente, en l’affaiblissant, la parole du maître. […] Elle vérifie, en l’intervertissant dans la forme, mais se livrant avec délice dans le fait, la parole saisissante : « Ce que la femme entend par amour est assez clair : complet abandon de corps et d’âme. […] C’est bien à elle que s’adressait mon désir, qu’allaient mes paroles et mes baisers. […] … Un grand critique de ce temps, à la fois illustre et méconnu, celui de qui tout à l’heure nous prononcions le nom, a écrit ces paroles mémorables : « Si le mot de Pascal : Le Moi est haïssable, était vrai, il emporterait du coup toute la littérature personnelle et savez-vous ce qu’on y perdrait ? […] N’a-t-elle point prononcé ces paroles, si profondément imprégnées de ferveur et de souvenir : « Envers vous, belles, ma pensée n’est point changeante. » Je vous le disais bien que notre prose française enferme une musicalité sans égale, qui ne le cède en rien à celle de la plus suave poésie, quand l’archet qui la fait vibrer frémit sur de certaines cordes.

1156. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Werther. Correspondance de Goethe et de Kestner, traduite par M. L. Poley » pp. 289-315

Cela me confirme dans ma résolution de m’en tenir désormais uniquement à la nature : elle seule est d’une richesse inépuisable ; elle seule fait les grands artistes. » Ce que Werther dit là de la peinture, il l’entend également de la poésie : « Il ne s’agit que de reconnaître le beau et d’oser l’exprimer : c’est, à la vérité, demander beaucoup en peu de mots. » Et il cite en exemple une rencontre qu’il a faite, le jeune garçon de ferme amoureux de la fermière veuve, et amoureux tendre, timide, passionné : Il faudrait te répéter ses paroles mot pour mot, si je voulais te peindre la pure inclination, l’amour et la fidélité de cet homme. […] Goethe revient en un autre endroit sur cette promesse mystérieuse qu’il n’a pas exécutée, d’inventer je ne sais quoi, je ne sais quel nouveau roman ou poème, qui, par un coup de son art, placerait les deux époux au-dessus de toutes les allusions et de tous les soupçons : « J’en ai la puissance, dit-il avec l’orgueil de celui qui est dans le secret des dieux et qui tient le sceptre de l’apothéose, mais ce n’est pas encore le temps. » — S’il ne réussit point tout à fait à entraîner avec lui Kestner dans cette marche en triomphe vers l’idéal, celui-ci, du moins, n’était pas indigne de sentir ce qu’il y avait d’élevé dans de telles paroles, et il répondait à ceux qui le questionnaient sur cet étrange et assez dangereux ami : « Vous ne vous imaginez pas comment il est. […] Reconnaissez bien votre bonheur, et sachez que des positions plus brillantes ne sont guère à envier. » De telles paroles sont faites pour se joindre désormais à la lecture de Werther et pour en corriger la moralité finale par un témoignage qu’on ne saurait récuser.

1157. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Appendice. »

Toutes vos paroles sont graves. […] Il était tel que je l’ai décrit et représenté dans ce Portrait, modeste, éloquent dès qu’il parlait, et d’une ferveur qui se trahissait dans ses moindres paroles. […] Je n’eus donc, pour ce chapitre de Volupté qui commence par ces mots : « Quand on entre au séminaire, etc. », qu’à reprendre les paroles mêmes de l’abbé Lacordaire et à les faire entrer dans le tissu de mon récit, on y changeant ou en y adaptant çà et là quelques particularités et en opérant les soudures.

1158. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Merci de n’avoir vu que l’ouvrier souffrant à travers des tendances que j’ignore. » Dans cette relation affectueuse et délicate qu’elle entretenait avec M. de Latour, j’aurais à indiquer encore bien des recommandations, des intercessions pressantes dont elle se faisait l’organe, quelques paroles de vive et respectueuse doléance pour la reine Marie-Amélie au moment de la mort du duc d’Orléans ; et encore, auparavant, un autre cri impétueux de demande en grâce au lendemain de la condamnation à mort qui frappait le principal chef de l’insurrection du 12 mai 1839 : « Oh ! […] Mais nulle part ses paroles émues, ses chants d’oiseau plaintif et ses battements d’ailes ne se portèrent plus souvent ni plus ardemment qu’aux grilles du château de Doullens, où cette singulière République de 1848, qui trouva moyen de canonner, d’emprisonner ou de déporter tous les vrais républicains, ne laissant guère à sa tête que des royalistes, avait renfermé l’opiniâtre et indomptable citoyen Raspail. […] Quand il faut de part et d’autre travailler durement pour ne pas tomber dans la dernière indigence, les ailes de l’âme se replient et remettent tous les élans à l’avenir. » Dans des lettres à une amie, Mme Derains, elle revient sur cette misère des logements à trouver, et elle exprime en vives images le trouble moral et le bouleversement de pensées qui résulte de ces déplacements continuels : Ma bonne amie, vous me dites des paroles qui résument des volumes que j’ai en moi.

1159. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — I. » pp. 166-193

Elle se porte du premier pas à l’avant-garde, elle le sait et le dit : « En nous faisant naître à l’époque de la liberté naissante, le sort nous a placés comme les enfants perdus de l’armée qui doit combattre pour elle et triompher ; c’est à nous de bien faire notre tâche et de préparer ainsi le bonheur des générations suivantes. » Tant qu’elle demeure dans cette vue philosophique générale de la situation, son attitude magnanime répond au vrai ; le temps n’a fait que consacrer ses paroles. […] Chacun y est touché et marqué en quelques lignes ; ils passent tous l’un après l’autre devant nous dans leurs physionomies différentes, et le digne Sers (depuis sénateur), aimable philosophe, habitué aux jouissances honnêtes, mais lent, timide et par là même incapable en révolution ; et Gensonné si faible à l’égard de Dumouriez dans l’affaire de Bonne-Carrère, qui ne sait pas saisir le moment de perdre un homme quand il le faut ; avec trop de formes dans l’esprit et pas assez de résolution dans le caractère ; et l’estimable Guadet, au contraire trop prompt, trop vite prévenu ou dédaigneux, s’étant trompé d’ailleurs sur la capacité de Duranthon qu’il a poussé aux affaires, et ayant à tout jamais compromis son jugement par cette bévue sans excuse ; et Vergniaud qu’elle n’aime décidément pas ; trop épicurien, on le sent, trop voluptueux et paresseux pour cette âme de Cornélie : elle ne se permettrait pas de le juger, dit-elle, mais les temporisations subites de l’insouciant et sublime orateur ne s’expliquent pas pour elle, aussi naturellement que pour nous, en simples caprices et négligences de génie ; mais elle le trouve par trop vain de sa toilette, et se méfie, on ne sait pourquoi, de son regard voilé, qui pourtant s’éclairait si bien dans la magie de la parole. […] La parole, le style de Mme Roland est plus ferme, plus concis, plus net que le style de Mme de Staël en sa première manière ; cette différence tient au caractère, aux habitudes d’éducation des deux écrivains, et à dix années de plus chez Mme Roland.

1160. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Diderot »

D’Alembert était prudent, circonspect, sobre et frugal de doctrine, faible et timide de caractère, sceptique en tout ce qui sortait de la géométrie ; ayant deux paroles, une pour le public, l’autre dans le privé, philosophe de l’école de Fontenelle ; et le xviiie  siècle avait l’audace au front, l’indiscrétion sur les lèvres, la foi dans l’incrédulité, le débordement des discours, et lâchait la vérité et l’erreur à pleines mains. […] Sa vie bienfaisante, pleine de bons conseils et de bonnes œuvres, dut lui être d’un grand apaisement intérieur ; et toutefois peut-être, à de certains moments, il lui arrivait de se redire cette parole de son vieux père : « Mon fils, mon fils, c’est un bon oreiller que celui de la raison ; mais je trouve que ma tête repose plus doucement encore sur celui de la religion et des lois. » — Il mourut en juillet 178491. […] Plus efficacement que nos paroles, elle ravivera, elle achèvera dans leur mémoire une image déjà vieillie, mais toujours présente.

1161. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (4e partie) » pp. 81-143

pas du tout ; il n’est que déguisé, et reparaît, pour tenir parole à Fantine, à l’auberge des Thénardier, à Montfermeil. […] Ils n’avaient plus de paroles. […] XXVII « Par intervalles, Cosette bégayait une parole.

1162. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Chamfort. » pp. 539-566

Les douces paroles ne sont pas si fréquentes sous la plume de Chamfort, et les sentiments indulgents n’habitent pas si volontiers dans son cœur, qu’on doive négliger de les relever quand on les rencontre. […] En se les exagérant singulièrement, ainsi que l’importance de ses premières œuvres qui sont si peu de chose, et qui furent si surpayées, Chamfort en était arrivé à haïr, d’une haine qui transpire dans toutes ses paroles, et les cabaleurs et du même coup les protecteurs aussi. […] De telles paroles montrent à quel point Chamfort, malgré quelques parties perçantes et profondes, n’était qu’un homme d’esprit sans vraies lumières et fanatisé.

1163. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre IV. Conclusions » pp. 183-231

La littérature n’est qu’une des nombreuses expressions de la vie humaine ; expression plus claire que d’autres, plus accessible à un grand nombre, par ses moyens (la parole) et par son but (l’action sur la masse) ; partant du même fonds inconscient, obéissant aux mêmes nécessités, l’expression littéraire tend plus que d’autres à une forme intelligible, à la réflexion, à une prise de conscience. […] C’est l’individu qui renverse les idoles, et qui trouve la bonne parole ; c’est lui qui détruit et qui crée. Pour cela, il faut qu’il ait vécu avec une intensité particulière la vie de son peuple, l’espérance et la douleur de son époque ; il est l’aboutissant d’une infinité d’expériences personnelles ; la masse demeurerait inerte et muette s’il ne parlait et n’agissait pour elle, mais sa parole à lui ne serait que vanité si son amour n’avait pas deviné la masse.

1164. (1926) La poésie pure. Éclaircissements pp. 9-166

Valéry accepte le silence, il se tait parce que la parole humaine, et même celle des philosophes, n’atteint pas à cette clarté définitive, à cette précision absolue où il voit le souverain bien ; le poète se tait, ou, du moins, incline au silence, parce que les mortelles précisions de la parole humaine réduisent, déforment, limitent, dégradent les réalités mystérieuses, indéfinissables que l’inspiration lui a permis d’entrevoir, de sentir, de toucher presque. […] Pour lui la poésie est une action simultanée du silence et de la parole. […] Je cherche donc une parole abrégée, qui puisse mieux énoncer la grandeur de cet être infiniment adorable et mon extrême anéantissement devant lui ; mais je n’en trouve point, tellement que je demeure dans un bégaiement muet. la poésie pure est silence, comme la mystique. […] On dirait des paroles lumineuses, de l’or, des perles, des diamants et des fleurs. […] C’est là que furent prononcées par un des seigneurs angles les célèbres et profondes paroles où se traduit si bien l’angoisse religieuse, non seulement des barbares du VIIe  siècle, mais des hommes de tous les temps.

1165. (1900) Quarante ans de théâtre. [II]. Molière et la comédie classique pp. 3-392

je m’inscris en faux contre vos paroles. […] Tout se passe en conversations, et ce don Juan n’est hardi qu’en paroles, devant son domestique. […] Vous allez par la pensée d’un côté ; la parole et l’action vous mènent d’un autre ! […] De la pensée il passe à la parole, et de la parole à l’acte, sans que rien l’arrête jamais, ni conventions sociales, ni mœurs, ni préjugés, ni habitudes. […] Vous savez que j’aime à laisser la parole à mes contradicteurs, quand ils sont polis.

1166. (1905) Promenades philosophiques. Première série

Alors, tout recueilli en lui-même, il murmure des paroles mémorables. […] Ainsi tous ses actes sont des exemples et toutes ses paroles sont des actes. […] Si l’on ne peut demander à l’écriture de figurer la parole, on peut lui demander toutefois de ne pas la défigurer. […] Baïf, qui le crut sur parole, ne procréa que des monstres. […] Elles cédèrent la parole à Marguerite.

1167. (1884) Les problèmes de l’esthétique contemporaine pp. -257

On pourrait dire en renforçant la parole de Térence : Je ne m’intéresse qu’à ce qui est humain. […] Le chant diffère de la parole en ce qu’il emploie une échelle de sons bien plus étendue et exerce ainsi successivement un bien plus grand nombre d’appareils auditifs. […] Nous touchons ici au fait essentiel : la parole, par suite de l’excitation nerveuse, acquiert une force et un rythme appréciables ; un orateur, en s’échauffant, introduit par degrés dans son discours la mesure et le nombre qui manquaient au début : plus sa pensée devient puissante et riche, plus sa parole devient rythmée et musicale. […] La poésie est une sorte de symphonie de la parole et de la pensée. […] S’il en est ainsi, si des profondeurs du sentiment ont surgi à la fois la pensée et la parole, peut-être est-ce par la poésie qu’il nous est donné de pénétrer le plus près du point vivant d’où est sortie toute l’intelligence humaine.

1168. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXI » pp. 237-241

Jasmin est, ne l’oublions pas, un homme des plus estimés ; c’est un honnête homme, dans la vraie acception du mot ; et dans cette bouche de l’homme du peuple et du barbier d’Agen, les belles paroles, même gasconnes, ont toute leur valeur.

1169. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre premier. Que personne à l’avance ne redoute assez le malheur. »

Si les paroles pouvaient transmettre ces sensations tellement inhérentes à l’âme, qu’en les exprimant, on leur ôte toujours quelque chose de leur intensité ; si l’on pouvait concevoir d’avance ce que c’est que le malheur, je ne crois pas que personne pût rejeter avec dédain, le système qui a pour but seulement d’éviter de souffrir.

1170. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Laprade, Victor de (1812-1883) »

Il descend sur la terre et le sanctifie de son exemple, de ses paroles, de son sang de sa croix.

1171. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Art français » pp. 243-257

Ce sont des journées entières passées ensemble, des soirées où nous nous attardions, oublieux de l’heure et de la dernière gondole de Versailles ; ce sont les lentes et successives retrouvailles d’un passé, revenant à Gavarni au coin de son feu, ou au détour d’une allée de son jardin, — une biographie, pour ainsi dire parlée, — où la parole du causeur, de l’homme qui se raconte, est notée avec la fidélité d’un sténographe.

1172. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XIII »

Dans sa Philosophie de la composition, Poe ajoute textuellement ces paroles : « Le fait est que l’originalité … n’est nullement, comme quelques-uns le supposent, une affaire d’instinct ou d’intuition.

1173. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre I. De la sagesse philosophique que l’on a attribuée à Homère » pp. 252-257

La constance d’âme que donne et assure l’étude de la sagesse philosophique pouvait-elle lui permettre de supposer tant de légèreté, tant de mobilité dans les dieux et les héros ; de montrer les uns, sur le moindre motif, passant du plus grand trouble à un calme subit ; les autres, dans l’accès de la plus violente colère, se rappelant un souvenir touchant, et fondant en larmes84 ; d’autres au contraire, navrés de douleur, oubliant tout-à-coup leurs maux, et s’abandonnant à la joie, à la première distraction agréable, comme le sage Ulysse au banquet d’Alcinoüs ; d’autres enfin, d’abord calmes et tranquilles, s’irritant d’une parole dite sans intention de leur déplaire, et s’emportant au point de menacer de la mort celui qui l’a prononcée.

1174. (1868) Rapport sur le progrès des lettres pp. 1-184

Et de sa bouche va sortir un fleuve de paroles aux mille couleurs qui déborderont dans ce feuilleton qu’il désespérait tout à l’heure de remplir. […] En France, surtout, de la pensée à la parole, de la parole à l’action, à peine y a-t-il le temps qu’il faut à l’éclair pour fendre le ciel d’un bout de l’horizon à l’autre. […] Il est temps, monsieur le Ministre, de céder la parole à mes collaborateurs. […] L’air naît avec les paroles d’un soupir de pipeau, d’une plainte du vent, d’une roulade du rossignol ou d’un trille de l’alouette. […] Toutefois, la comédie ne s’est pas donné parole d’être toujours aussi aimable et aussi indulgente.

1175. (1900) La culture des idées

Mais comme celle-ci qui se promène, attendant un évocateur, va se révéler différente selon la parole qui l’aura sortie des ténèbres ! […] Il évolue dans l’abstraction, et la vie évolue dans la réalité la plus concrète ; entre la parole et les choses que la parole désigne il y a la distance d’un paysage à la description d’un paysage. […] Voilà sur quelle parole se serait fondée la famille nouvelle si l’opulence verbale du catholicisme païen n’avait su entourer de phrases sensuelles la parole brutale de l’apôtre juif ; l’Église substitua à l’idée de πορνεια la musique d’alcôve du Cantique des Cantiques. […] Comme je vous l’ai dit, attaquez plutôt par des paroles, que vous pouvez toujours renier. […] Songez qu’il y a presque deux fois plus de moulins à parole qui broient du russe qu’il n’y en a d’abonnés à moudre du français !

1176. (1925) Comment on devient écrivain

Après Rousseau, c’est la Bible qu’il a imitée dans les Paroles d’un croyant.‌ […] C’est par l’exercice de la mémoire qu’un orateur acquiert l’autorité de la parole. […] Quelles paroles aurons-nous sur les lèvres ? […] Mais vous vous inclinez de nouveau sur votre œuvre ; quelles paroles allez-vous donc prononcer, ô Créateur à jamais adorable ? […] Frères bien-aimés, écoutons et méditons chacune de ces paroles ; faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance.

1177. (1898) Introduction aux études historiques pp. 17-281

C’est l’impression inévitable que produit toute description par la parole d’un acte complexe de la pratique. […] Elle se produit dans les groupes d’hommes qui n’ont pas d’autre moyen de transmission que la parole, dans les sociétés barbares, ou les classes peu cultivées, paysans, soldats. […] Pourtant la méthode historique n’est pas par elle-même impuissante à établir des faits courts et limités (ce qu’on appelle faits particuliers), une parole, un acte d’un moment. […] Les coups de poignard donnés à César ont été vus, les paroles des meurtriers entendues en leur temps ; pour nous, ce ne sont que des images. — Les actes et les paroles ont tous ce caractère d’avoir été l’acte ou la parole d’un individu ; l’imagination ne peut se représenter que des actes individuels, à l’image de ceux que nous montre matériellement l’observation directe. […] — Dans quelle mesure doit-on rapporter les paroles et les formules ?

1178. (1889) Impressions de théâtre. Troisième série

Sarcey, et que j’altère indignement le tour et la couleur de sa parole vivante. […] » Parole d’une sagesse éminente, d’une ironie tout à fait distinguée et mélancolique. […] Elle arrive, gaie, moqueuse, la parole libre et hardie. […] Cela explique tout, et nous croyons l’auteur sur parole. […] Celui-ci promet de n’être plus jaloux et tiendra peut-être parole.

1179. (1862) Notices des œuvres de Shakespeare

Timbrée ne veut pas d’autre éclaircissement, et dès le lendemain il va retirer sa parole, et révèle à Léonato la trahison de sa fille. […] Du reste, Shakspeare se trompait lorsqu’en prodiguant les réflexions, les images et les paroles, il croyait imiter l’Italie et ses poëtes. […] Tant qu’ils demeurèrent à Venise, ils vécurent ensemble dans un si parfait accord et un repos si doux que jamais il n’y eut entre eux, je ne dirai pas la moindre chose, mais la moindre parole qui ne fût d’amour. […] Élisabeth trouva que ce n’était pas là tenir parole, et exigea un nouvel acte de la vie du gros chevalier. […] Il n’y a pas jusqu’aux trois ou quatre paroles que prononce Douglas qui n’aient aussi leur nuance de fanfaronnade.

1180. (1825) Racine et Shaskpeare, n° II pp. -103

Auger lit sa définition ; à l’instant la parole lui est enlevée de toutes les parties de la salle. […] N’en doutez point, messieurs, cet arrêt tuera le monstre. » Des applaudissements unanimes arrachent la parole à l’orateur. […] Ce ne sont plus des paroles toujours obscures aux yeux du peuple des littérateurs, ce sont des actions qu’il faut à votre parti. […] Je serais en droit, si j’avais l’urbanité de M. de Jouy, de répondre à l’Académie par quelque parole mal sonnante ; mais je me respecte trop pour combattre l’Académie avec ses propres armes. […] Oubliez avec moi toute prudence jésuitique ; soyez franc dans vos paroles comme l’Hotspur de votre Shakspeare dont à propos je suis fort content.

1181. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre huitième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Victor Hugo »

Devant l’ineffable, la pensée comme la parole restera toujours impuissante. […] Il en restait un pourtant, et dans les paroles de monseigneur Bienvenu reparaît presque toute la rudesse du commencement : — « Le progrès, dit-il, doit croire en Dieu. […] La nature s’engage envers la destinée ; L’aube est une parole éternelle donnée. […] Nous sommes de ceux qui croient à la misère des oraisons et à la sublimité de la prière187. » On connaît les paroles d’adoration que Victor Hugo lui-même a prononcées dans le livre consacré à sa fille : Je viens à vous, Seigneur, père auquel il faut croire ;     Je vous porte, apaisé, Les débris de ce cœur tout plein de votre gloire,     Que vous avez brisé. […] Il est des génies qui nous arrêtent au passage, parce qu’ils résument les temps, parce qu’ils ont même des paroles d’éternité : Ad quem ibimus ?

1182. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Ma biographie »

J’ai dû attendre, pour reprendre et recouvrer ma liberté de parole et d’écrit envers M.  […] Sainte-Beuve dans les derniers mois, dînait quelquefois avec lui, et l’on aimait toujours à entendre cette parole éloquente et convaincue. […] Ancien représentant du peuple à l’Assemblée Législative, sous la seconde République, on l’eût pris plutôt pour un conventionnel, non point à sa parole qui était toute de fraternité et de paix, de persuasion et de douceur, mais à sa physionomie fine et rasée, dont le type, accentué de plus en plus avec l’âge, était bien celui d’un représentant du xviiie  siècle ; et il avait conservé les cheveux longs d’un prêtre ou d’un artiste. […] On lit dans le Journal des Débats et des Décrets (n° 142, page 89), rédigé par Louvet, au compte rendu de la séance de la Convention du 7 février 1793 : « Aubry, ancien militaire, après beaucoup de difficultés, obtient la parole (dans la discussion d’un projet de nouvelle organisation de l’armée où la garde nationale et la ligne devaient se confondre). — Chasles interrompait presque chaque mot. — Louvet dit à Chasles : « Il n’est point questiond’organiser un corps de chanoines ; taisez-vous » ; — et Chasles parle toujours. » — Chasles, en effet, avait été chanoine au chapitre de Chartres avant La Révolution.

1183. (1860) Cours familier de littérature. IX « XLIXe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier » pp. 6-80

Peu importaient les paroles ; le timbre parlait de lui-même : c’était une âme répandue dans l’air qui vous caressait de sons. […] — Je l’ai vue alors à son voyage en Angleterre, me dit la duchesse ; mais il n’y a ni pinceau, ni plume, ni parole qui puissent ressusciter cette apparition. […] Villemain, plus éblouissant encore de parole que de plume ; moi-même, favori de son cœur, très assidu et très familier quand j’étais à Paris. […] Monsieur, je ne serais pas homme politique si je vous disais le motif pour lequel je ne veux pas m’engager par une reconnaissance quelconque avec le gouvernement de la dynastie d’Orléans. » L’homme d’État pâlit à ces mots, inclina la tête et n’insista plus ; on eût dit que le fantôme d’une révolution possible lui avait apparu dans mes paroles.

1184. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (1re partie) » pp. 337-416

Encore une fois, voilà le divin Platon devenu utopiste en politique et voulant refaire l’œuvre de Dieu mieux que Dieu, et composant une société avec des rêves, au lieu de la composer avec les instincts de la nature ; et voilà ce que l’on fait admirer, sur parole, à des enfants pour pervertir en eux l’entendement par l’admiration pour l’absurde ! […] Nous la croyons, au contraire, une des âmes les plus subalternes, les plus égoïstes, âme comédienne du beau, âme hypocrite du bien, âme repliée en dedans autour de sa personnalité maladive et mesquine, au lieu d’une âme expansive se répandant, par le sacrifice, sur le monde pour s’immoler à l’amour de tous ; âme aride en vertu et fertile en phrases ; âme jouant les fantasmagories de la vertu, mais rongée de vices sous le sépulcre blanchi de l’ostentation ; âme qui, pour donner la contre-épreuve de sa nature, a les paroles belles et les actes pervers. […] De là, son éloquence intime, la plus pénétrante et la plus palpitante des éloquences, au lieu de l’éloquence extérieure qui fait plus de bruit que d’émotion ; un Démosthène de solitude, dont la parole a le charme de la confidence au lieu de l’apparat du discours ; un séducteur à voix basse, qui corrompt son élève sous prétexte de lui confesser lui-même ses honteuses immoralités. […] Le succès des paroles et de la musique de l’opéra du Devin du village donné à Fontainebleau devant le roi, et à Paris l’année suivante, fit éclater de nouveau le nom de Rousseau et lui donna cette popularité que le théâtre donne en une soirée et que les plus beaux livres ne donnent qu’à force de temps.

1185. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (1re partie) » pp. 81-159

Le premier jour, en 1833, où je fus admis dans la Société des amis des noirs, société de vertueux et honnêtes citoyens, je demandai la parole et je démontrai aisément le vice radical de nos réclamations : « Vous voulez, dis-je le premier à mes collègues, une transformation du travail forcé en travail libre ? […] S’il prenait quelquefois la parole, c’était dans un intervalle de repos ; il relevait d’un mot une erreur ; il ramenait la discussion à son principe et à son but. […] Je lui adressai la parole en français, idiome dont la plupart des Indiens de ces contrées savent au moins quelques mots. […] » Je fis peu d’attention à ses paroles ; je lui laissai sans défiance le bijou qu’elle semblait admirer si naïvement, et, pressé d’un grand appétit, je me mis à souper ; mon chien me tenait compagnie et partageait mon repas.

1186. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VIII. La littérature et la vie politique » pp. 191-229

Vous ne trouvez que l’ouvrage de Bossuet : La politique tirée des propres paroles de l’Ecriture Sainte. […] Élu membre de l’Académie française, il avait écrit dans son discours de réception cette phrase, en faisant, suivant l’usage, l’éloge de son prédécesseur qui était Marie-Joseph Chénier : « La liberté est si naturellement l’amie des sciences et des lettres qu’elle se réfugie auprès d’elles, lorsqu’elle est bannie, du milieu des peuples. » Il avait eu beau prendre ses précautions, mêler à ses paroles un hommage à César ; quand l’Empereur eut entre les mains le discours qui devait lui être soumis avant d’être prononcé, il entra dans une colère frénétique. […] A ceux-là, nous devons des œuvres niaises et plates, ou criardes et enluminées comme des images d’Epinal, n’ayant souci ni de style ni de vraisemblance, relevant moins de l’art que de l’industrie : chansons dont la musique aigrelette est digne des paroles ineptes ou grossièrement bouffonnes  ; romans interminables déroulés durant des mois au rez-de-chaussée d’un journal, débités par tranches à des abonnés patients et promenant du bagne à la cour, du boudoir à l’hôpital, tout un monde de personnages comme on n’en voit qu’en rêve ; mélodrames naïfs et voyants, pauvres de psychologie, mais riches de coups de théâtre et de coups de fusil, rouges de sang et de feux de Bengale, fertiles en miracles de la Providence et du machiniste, étourdissant les yeux et les oreilles par l’éclat des costumes, des décors et des tirades ; littérature faite Sur commande pour un public friand de grosses émotions et de spectacles qui parlent aux sens, parce qu’il ne sait pas encore apprécier des mets plus délicats, parce qu’il n’est initié que d’hier aux jouissances esthétiques, parce qu’il n’a pas fait son apprentissage littéraire. […] Qu’on se rappelle ces paroles d’Alfred de Vigny74 : « Nulle méditation ne pouvait enchaîner longtemps des têtes étourdies sans cesse par les canons et les cloches des Te Deum.

1187. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1860 » pp. 303-358

Et nous voilà seuls, Flaubert et nous, dans le salon tout brouillardeux de fumée de cigare ; lui, arpentant le tapis, cognant la calvitie de sa tête à la boule du lustre, se répandant en paroles, débordant, se livrant à nous comme à des frères de son esprit. […] Lorsque la Sœur se relevait, Bouilhet lui mettait dans la main une mèche de cheveux, coupée pour la mère du mort, et qu’elle prenait, sans un merci, sans une parole. […] Dimanche 11 mars On sort de table… Femme au délicat profil, au joli petit nez droit, à la bouche d’une découpure si spirituelle, à la coiffure de bacchante donnant aujourd’hui à sa physionomie une grâce mutine et affolée, femme aux yeux étranges qui semblent rire, quand sa parole est sérieuse. […] Et de là, des diamants, la conversation monte au pape, puis du pape à Dieu, et finit par cette parole d’un roi de Perse : « Pourquoi y a-t-il quelque chose ? 

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