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1642. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Du génie critique et de Bayle »

Bayle, obligé de sortir de France comme calviniste relaps, réfugié à Rotterdam, où ses écrits de tolérance aliénèrent bientôt de lui le violent Jurieu, persécuté alors et tracassé par les théologiens de sa communion, Bayle mort la plume à la main en les réfutant, a rempli un grand rôle philosophique dont le xviiie  siècle interpréta le sens en le forçant un peu, et que M.  […] Il amuse son frère par le récit de la mort du comte de Saint-Pol. […] Sa Critique générale de l’Histoire du Calvinisme du Père Maimbourg parut cette même année 1682, et jusqu’en décembre 1706, époque de sa mort, sa carrière, à l’ombre de la statue d’Érasme, ne fut plus marquée que par des écrits, des controverses littéraires ou philosophiques ; après ses disputes de plume avec Jurieu, Le Clerc, Bernard et Jaquelot, après son petit démêlé avec le domestique chatouilleux de la reine Christine, les plus graves événements pour lui furent ses déménagements (en 1688 et en 1692), qui lui brouillaient ses livres et ses papiers. […] Un symptôme grave, c’est ce qu’il écrivait à un ami en novembre 1706, un mois environ avant sa mort : « Quand même ma santé me permettroit de « travailler à un supplément du Dictionnaire, je n’y travaillerois « pas ; je me suis dégoûté de tout ce qui n’est point « matière de raisonnement… » Bayle dégoûté de son Dictionnaire, de sa critique, de son amour des faits et des particularités de personnes, est tout à fait comme Chaulieu sans amabilité, tel que mademoiselle De Launay nous dit l’avoir vu aux approches de sa fin.

1643. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mémoires sur la mort de Louis XV »

Mémoires sur la mort de Louis XV La maladie d’un roi, d’un roi qui a une maîtresse, et une c… pour maîtresse, d’un roi dont les ministres et les courtisans n’existent que par cette maîtresse, dont les enfants sont opposés d’intérêts et d’inclination à cette maîtresse, est une trop grande époque pour un homme qui vit et qui est destiné à vivre à la Cour, pour ne pas mériter toutes ses observations. […] Je fus interpellé, et je dis que je ne mettais point en doute que, si le roi apprenait qu’il avait la petite vérole, cette nouvelle ne fût pour lui le coup de la mort. […] D’ailleurs, je trouvais, au dedans de moi, assez juste que le roi, qui n’avait jamais dans sa vie goûté plus délicieusement aucun plaisir que celui d’inquiéter tous les gens qui l’entouraient sur leur santé, de leur annoncer la mort future ou prochaine, savourât d’avance, à son tour, la sienne, et se minât d’inquiétude. […] d’Aiguillon, tout le monde croyait le roi à deux jours de sa mort.

1644. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

Il vaut mieux réunir tous ses efforts pour descendre avec quelque noblesse, avec quelque réputation, la route qui conduit de la jeunesse à la mort. […] Par un singulier contraste, les arts, qui font goûter la vie, rendent assez indifférent à la mort. Les passions seules attachent fortement à l’existence, par l’ardente volonté d’atteindre leur but ; mais cette vie consacrée aux plaisirs, amuse sans captiver ; elle prépare à l’ivresse, au sommeil, à la mort. […] Le voyageur que la tempête a fait échouer sur des plages inhabitées, grave sur le roc le nom des aliments qu’il a découverts, indique où sont les ressources qu’il a employées contre la mort, afin d’être utile un jour à ceux qui subiraient la même destinée.

1645. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre IV. Construction de la société future »

. — En second lieu, dès l’origine, sa condition l’a jeté nu et dépourvu sur une terre ingrate où la subsistance est difficile, où, sous peine de mort, il est tenu de faire des provisions et des épargnes. […] D’où il suit qu’il peut mettre des conditions à son cadeau, limiter à son gré l’usage que j’en ferai, restreindre et régler ma faculté de donner, de tester. « Par nature443, le droit de propriété ne s’étend pas au-delà de la vie du propriétaire ; à l’instant qu’un homme est mort, son bien ne lui appartient plus. […] Un enfant, en ouvrant les yeux, doit voir la patrie, et, jusqu’à la mort, ne doit voir qu’elle… On doit l’exercer à ne jamais regarder son individu que dans ses relations avec le corps de l’État. » Telle était la pratique de Sparte et l’unique but du « grand Lycurgue »  « Tous étant égaux par la constitution, ils doivent être élevés ensemble et de la même manière. » — « La loi doit régler la matière, l’ordre et la forme de leurs études. » À tout le moins, ils doivent tous prendre part aux exercices publics, aux courses à cheval, aux jeux de force et d’adresse institués « pour les accoutumer à la règle, à l’égalité, à la fraternité, aux concurrences », pour leur apprendre « à vivre sous les yeux de leurs concitoyens et à désirer l’approbation publique ». […] Sans pouvoir obliger personne à les croire, il faut bannir de l’État quiconque ne les croit pas ; il faut le bannir non comme impie, mais comme insociable, comme incapable d’aimer sincèrement les lois, la justice, et d’immoler au besoin sa vie à son devoir »  Prenez garde que cette profession de foi n’est point une cérémonie vaine : une inquisition nouvelle en va surveiller la sincérité. « Si quelqu’un, après avoir reconnu publiquement ces mêmes dogmes, se conduit comme ne les croyant pas, qu’il soit puni de mort ; il a commis le plus grand des crimes : il a menti devant les lois. » — Je le disais bien, nous sommes au couvent.

1646. (1921) Enquête sur la critique (Les Marges)

On me dira qu’il faut bien que tout le monde vive ; cependant, Alfred Jarry est mort de misère à la Charité, Léon Deubel s’est dû jeter à la Seine (etc…) ; et Gérard de Nerval, et Louis Bertrand (etc…) ? […] Non, vraiment, les nécrophores exagèrent : jusqu’au soleil des pauvres morts ! […] Par contre, nous avons eu à l’occasion du cinquantenaire de la mort de Mérimée au moins deux ou trois excellentes études. […] Les innovateurs, qui seront les classiques de demain, seraient tous morts avant d’être compris.

1647. (1868) Alexandre Pouchkine pp. 1-34

I Pouchkine et lord Byron sont morts l’un et l’autre dans la force de l’âge et la plénitude de leur talent, après avoir épuisé toutes les jouissances que peut donner la gloire des lettres. […] Le drame se terminant à la mort de la veuve et du fils de Boris, Pouchkine n’a pas traité une autre situation, qui me paraît digne de sa plume. […] Elle ne pouvait douter que son fils ne fût mort, car il avait expiré entre ses bras, et elle croyait qu’il avait été assassiné par ordre de Boris. […] Pougatchev était, comme on sait, un Cosaque qui, à l’exemple des faux Démétrius, essaya de se faire passer pour un prince dont la mort avait été mystérieuse.

1648. (1890) L’avenir de la science « XVIII »

Depuis soixante ans, il n’y a pas eu un chef de l’État qui ne soit mort sur l’échafaud ou dans l’exil, et cela était nécessaire. […] L’homme accepte toujours le risque ; il va moins au-devant de la mort à coup sûr. […] La mort d’un Français est un événement dans le monde moral ; celle d’un Cosaque n’est guère qu’un fait physiologique : une machine fonctionnait qui ne fonctionne plus. Et quant à la mort d’un sauvage, ce n’est guère un fait plus considérable dans l’ensemble des choses que quand le ressort d’une montre se casse, et même ce dernier fait peut avoir de plus graves conséquences, par cela seul que la montre en question fixe la pensée et excite l’activité d’hommes civilisés.

1649. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Appendice »

Croyez bien aussi qu’il faut que j’aie été rudement secoué pour m’arrêter à la possibilité d’une pareille hypothèse, qui se présente à moi plus affreuse que la mort. […] Il m’est sans doute bien pénible de songer que la moitié peut-être du genre humain éclairé me dirait que je suis dans l’inimitié de Dieu, et pour parler la vieille langue chrétienne, qui est la vraie, que, si la mort venait à me surprendre, je serais damné à l’instant même. Cela est affreux, et me faisait frémir autrefois car je ne sais pourquoi la pensée de la mort m’apparaît toujours comme très prochaine. […] Paul dit qu’il est en vie, les autres disent qu’il est mort. » Prenez garde de ramener la question à de si misérables termes.

1650. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. John Stuart Mill — Chapitre II : La Psychologie. »

Ainsi un homme mange d’un certain mets et en meurt : on dit que ce mets est la cause de sa mort. Mais le vrai rapport de causalité est entre la totalité des antécédents (constitution particulière du corps, état de santé, état de l’atmosphère, etc.) et la totalité des conséquents (phénomènes qui constituent la mort). […] « Il y a des successions physiques que nous appelons nécessaires, comme la mort, faute d’air ou de nourriture. Mais il y en a d’autres qui, tout en étant aussi bien que les premières des cas de causation, ne sont pas dites nécessaires, comme la mort par empoisonnement qu’un antidote ou l’emploi d’une pompe stomacale peut quelquefois prévenir. » Les actions humaines sont dans cette catégorie.

1651. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Malesherbes. » pp. 512-538

Dupin, de venir lui parler plus amplement, et en toute autorité, de ce grand magistrat et citoyen, que son dévouement et sa mort ont fait sublime. […] Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes, héritier d’un nom si beau, qu’il devait rendre plus beau par sa vie et sacré par sa mort, était né le 6 décembre 1721. […] S’il fût mort à cette époque, il eût laissé la réputation d’un des hommes les plus vertueux et les plus éclairés de son temps. […] Ne croyez pas, monsieur, que l’éloge le mieux fait et le mieux écrit en impose au public s’il n’a déjà prononcé avant l’auteur… Je ne vous ai pas fait cette objection à l’occasion de mon neveu (mort aussi depuis peu de temps), parce que le public avait bien voulu partager notre douleur, et d’ailleurs parce qu’un avocat général est un homme public ; qu’il est exposé comme un auteur à la critique, et que, par cette raison, il est susceptible d’éloges.

1652. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « André Chénier, homme politique. » pp. 144-169

Quand quelque pièce se démanche, on peut l’étayer ; on peut s’opposer à ce que l’altération et corruption naturelle à toutes choses ne nous éloigne trop de nos commencements et principes ; mais d’entreprendre de refondre une si grande masse et de changer les fondements d’un si grand bâtiment, c’est à faire à ceux qui, pour décrasser, effacent, qui veulent amender les défauts particuliers par une confusion universelle, et guérir les maladies par la mort. […] Il se fait leur dénonciateur déclaré et commence contre eux sa guerre à mort : Comme la plupart des hommes, dit-il, ont des passions fortes et un jugement faible, dans ce moment tumultueux, toutes les passions étant en mouvement, ils veulent tous agir et ne savent point ce qu’il faut faire, ce qui les met bientôt à la merci des scélérats habiles : alors, l’homme sage les suit des yeux ; il regarde où ils tendent ; il observe leurs démarches et leurs préceptes ; il finit peut-être par démêler quels intérêts les animent, et il les déclare ennemis publics, s’il est vrai qu’ils prêchent une doctrine propre à égarer, reculer, détériorer l’esprit public. […] quel noble dédain fit sourire ta bouche, Quand un brigand, vengeur de ce brigand farouche, Crut te faire pâlir aux menaces de mort ! […] Quelle que soit la ligne politique qu’on suive (et je ne prétends point que celle d’André Chénier soit strictement la seule et la vraie), cette manière d’être et de sentir en temps de révolution, surtout quand elle est finalement confirmée et consacrée par la mort, sera toujours réputée moralement la plus héroïque et la plus belle, la plus digne de toutes d’être proposée aux respects des hommes.

1653. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Études sur Saint-Just, par M. Édouard Fleury. (2 vol. — Didier, 1851.) » pp. 334-358

Je ne sache pas qu’on ait vu jamais, sinon chez des esclaves, le peuple porter la tête des plus odieux personnages au bout des lances, boire leur sang, leur arracher le cœur et le manger ; la mort de quelques tyrans à Rome fut une espèce de religion. […] Homme sensible, il n’admet point la peine de mort : Quelque vénération que m’impose l’autorité de J. […] Rousseau, je ne te pardonne pas, ô grand homme, d’avoir justifié le droit de mort ; si le peuple ne peut communiquer le droit de souveraineté, comment communiquera-t-il les droits sur sa vie ? […] Âgé de vingt-cinq ans moins un mois, que peut-on conclure de sa vie et de sa mort ensanglantées ?

1654. (1913) La Fontaine « III. Éducation de son esprit. Sa philosophie  Sa morale. »

Nous voyons encore que le Curé et le Mort est une aventure vraie, une aventure qui est arrivée du temps de La Fontaine. […] Il faut savoir se résigner aux défauts que nous avons  Il faut surtout savoir se résigner à la mort. Relisez la Mort et le Mourant, qui est la seconde traduction du discours de la nature à l’homme dans Lucrèce. […] La bonté et la solidarité sont encore exprimées dans la fable le Loup et les Brebis, dans la fable aussi de le Villageois et le Serpent, mais moins, parce que, évidemment, dans la fable le Villageois et le Serpent, ce n’est pas précisément la bonté qui est recommandée, c’est l’ingratitude, qui est honnie, qui est condamnée, puisque le serpent, qui s’est révolté contre le manant qui l’avait sauvé, est coupé en quatre par ce même manant et puni du supplice de mort.

1655. (1899) Le roman populaire pp. 77-112

Les feuilletonistes ont, presque tous, un sens exact du mouvement dramatique ; une science de l’horrible et du terrifiant ; une adresse à démêler les écheveaux ; une habileté à laisser pour morts, sur le champ de bataille de l’action, des héros qui ressuscitent pour de longues destinées ; un doigté dans l’usage du point de suspension ; une fidélité au type honorable des bonnes mères, des petites ouvrières laborieuses et des amours éternelles, qui ne sont pas des qualités si méprisables qu’on le croit. […] Si on ouvre des romans de Flaubert ou de Feuillet, pour ne parler que des morts, on a l’impression que ces écrivains ont eu l’ambition de plaire à des lecteurs instruits, tout au moins à des bacheliers. […] Nous sommes à Waterloo ; nous voyons les campagnes plates avec les villages et les fermes aux noms fameux, les moulins, les fossés ; nous voyons l’armée de Napoléon au repos, l’armée de Wellington au repos, et puis les estafettes qui partent, le premier coup de canon, la mêlée, les charges, l’héroïque jeunesse qui tombe ou qui s’élance, la Vieille Garde qui donne, la vie et la mort qui s’affirment, l’une et l’autre, avec la plus effroyable énergie, dans l’espace le plus restreint et dans le temps le plus court, c’est-à-dire l’objet des plus fortes impressions et des plus durables souvenirs qui puissent se graver en nous. […] Ils la connaissaient sous ses divers aspects, égalité de nature, égalité dans la souffrance et dans le mérite, égalité devant la mort, égalité dans la destinée immortelle, et, s’ils étaient tentés de l’oublier, un grand fait venait la leur rappeler, et c’était, aux mêmes fêtes chrétiennes qui les réunissaient, la participation de tous aux mêmes sacrements, la même dignité morale reconnue aux maîtres et aux serviteurs, aux riches et aux pauvres, égalité, en somme, la plus parfaite, puisqu’elle s’opère par la commune grandeur des hommes.

1656. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — I. » pp. 91-108

Aussitôt après la mort de Louis XV, il crut que son moment de grand essor était venu. […] M. de Meilhan était de ceux qui ne craignaient pas le grand jour ; à la mort de Louis XV, il semble s’être dit : « Mon père était le premier médecin du feu roi, je serai le premier médecin de la France. » Il avait des appuis en cour, et, sous le ministère de la Guerre de M. de Saint-Germain, il fut appelé à une place de création extraordinaire, celle d’intendant général de la guerre et des armées du roi. […] Le monde, décrit par M. de Meilhan, de cette plume spirituelle et fine, de cette main à manchettes courant sur un papier glacé27, ne sera plus qu’un monde mort et curieux à étudier dans les collections.

1657. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « L’abbé de Marolles ou le curieux — I » pp. 107-125

Cet homme paisible, aux goûts tout littéraires, né pour le cabinet et pour la bibliothèque, ou pour une promenade modérée dans l’entretien de quelques amis, était sorti d’un des plus vaillants hommes de son temps, du brave Claude de Marolles, capitaine des Cent-Suisses de la garde du roi, célèbre par le combat singulier à la lance et la joute mortelle qu’il engagea devant les tranchées de Paris, le jour même de la mort de Henri III et le premier jour du règne de Henri IV, contre Marivaut, un des plus braves gentilshommes de l’armée du roi. […] Les deux champions, montés sur des coursiers de différentes couleurs, l’un en armure noire sur un cheval blanc, l’autre sur un cheval noir avec l’écharpe blanche, brisèrent l’un contre l’autre leurs lances du premier coup : Marolles, atteint en plein dans la cuirasse, résista ; Marivaut, frappé à l’œil dans la grille de la visière, tomba roide mort. […] Après la mort de Henri IV, le jeune Marolles va avec sa mère à Tours, dont il fait une description agréable, qui doit être chère encore aujourd’hui aux Tourangeaux.

1658. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Golha et autres lettres de lui inédites, publiées par MM. Évariste, Bavoux et Alphonse François. Œuvres et correspondance inédites de J-J. Rousseau, publiées par M. G. Streckeisen-Moultou. — II » pp. 231-245

En un mot, Rousseau ne fait dans ce morceau que mettre en action et commenter sous forme dramatique cette parole de la profession de foi du vicaire : « Oui, si la vie et la mort de Socrate sont d’un sage, la vie et la mort de Jésus sont d’un Dieu. » Et s’il conclut encore moins dans le songe que dans les pages de l’Émile, s’il n’éveille pas son philosophe pour tirer de lui un dernier mot, c’est qu’il n’a pas voulu le lui faire dire, c’est qu’il n’a pas osé conclure, et qu’il a reculé devant toute parole qui ne serait pas un hommage au Christ. […] Il y avait loin encore de l’âme tendre, jalouse, exigeante, susceptible, dévorée d’un immense besoin de retour, de celui qui disait : « J’étais fait pour être le meilleur ami qui fût jamais, mais celui qui devait me répondre est encore à venir », il y avait loin de cette âme seulement refoulée et douloureuse à celle qui devait tourner toute chose en poison, à ce Jean-Jacques, par exemple, qui, en apprenant la mort de Louis XV, s’écriait : « Ah !

1659. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Halévy, secrétaire perpétuel. »

Lorsque dans les séances publiques de l’Académie des Beaux-Arts, mainteneur et défenseur des doctrines classiques exclusives, il avait irrité les jeunes élèves par la rigidité de ses conseils et de ses leçons, il semblait, lorsqu’il en venait ensuite à la lecture de sa notice consacrée à un académicien mort, que cette lecture fût interminable. […] » Déjà bien las et bien épuisé de santé, et revenant du Tréport où il avait passé d’assez bonnes semaines : « Allons, disait-il à un ami, je me sens mieux, je suis content ; il faut décidément que je prenne un congé sérieux de deux ou trois mois ; je reviendrai en ce petit lieu, j’y apporterai un opéra que je finirai : il faut que je fasse cela avant ma mort. » Et sur ce qu’une de ses chères enfants présente se récriait sur ce mot : « Aimes-tu mieux, reprit-il, que je dise que je le ferai après ma mort ? 

1660. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Poésies, par Charles Monselet »

J’en distingue un sur M. de Jouy, qu’il avait écrit dans l’Époque, au moment de la mort du digne académicien ; il en parle bien, sans l’écraser. […] Il n’y en a pas dans le portrait de Grimod de La Reynière, le gourmand rubicond, généreux, l’Amphitryon prodigue des gens de lettres avant 89, et qui n’est mort qu’en 1838. […] Dès à présent je distingue ou crois distinguer de petits chefs-d’œuvre : la Visite, déjà citée, à Paul de Kock ; le Voyage de deux débiteurs au pays de la probité ; Ma femme m’ennuie ; les Réputations de cinq minutes ; le Peintre des morts ; Mon ennemi ; les Dimanches du charbonnier, etc., etc.

1661. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — II »

Il faut espérer que, quand elle verra la mort de plus près, elle changera de langage comme font d’ordinaire la plupart de ces gens qui font tant les fiers quand ils se portent bien. […] Boyer est mort fort chrétiennement ; sur quoi je vous dirai, en passant, que je dois réparation à la mémoire de la Champmeslé, qui mourut avec d’assez bons sentiments, après avoir renoncé à la comédie, très-repentante de sa vie passée, mais surtout fort affligée de mourir : du moins M. Despréaux me l’a dit ainsi, l’ayant appris du curé d’Auteuil, qui l’assista à la mort ; car elle est morte à Auteuil, dans la maison d’un maître à danser, où elle étoit venue prendre l’air. » On a besoin de croire, pour excuser ce ton de sécheresse, que Racine voulait faire indirectement la leçon à son fils, et condamner ses propres erreurs dans la personne de celle qui en avait été l’objet.

1662. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre X. De la littérature italienne et espagnole » pp. 228-255

La mort de Clorinde, tuée par Tancrède, est peut-être la situation la plus touchante que nous connaissions en poésie ; et le charme inexprimable de cet épisode, dans le Tasse, ajoute encore à son effet. […] La mélancolie des peuples du Nord est celle qu’inspirent les souffrances de l’âme, le vide que la sensibilité fait trouver dans l’exigence, et la rêverie qui promène sans cesse la pensée, de la fatigue de la vie à l’inconnu de la mort. […] Pétrarque perdit sa mère lorsqu’elle n’avait encore que trente-huit ans ; il fit un sonnet sur sa mort, composé de trente-huit vers, pour rappeler, par l’exactitude de ce nombre, d’une manière assurément bien touchante et bien naturelle, le regret qu’il avait d’avoir perdu sa mère à cet âge.

1663. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre IV. L’heure présente (1874) — Chapitre unique. La littérature qui se fait »

Dostoïevski (1821-1881) : Crime et Châtiment, 2 vol. in-18, tr. 1884 ; Souvenir de la maison des morts, 1 vol. in-18, tr. 1886 ; Krotkaïa, 1 vol. in-18, tr. 1886 ; les Possédés, 2 vol. in-18, tr. 1886. […] L’Italie nous a donné son d’Annunzio : l’Intrus, l’Enfant de volupté, le Triomphe de la mort (1893-95). […] Du sang, de la volupté et de la mort, 1894, in-18.

1664. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre V. Premiers aphorismes de Jésus. — Ses idées d’un Dieu Père et d’une religion pure  Premiers disciples. »

Marie resta de la sorte le chef de la famille, et c’est ce qui explique pourquoi son fils, quand on voulait le distinguer de ses nombreux homonymes, était le plus souvent appelé « fils de Marie 203. » Il semble que, devenue par la mort de son mari étrangère à Nazareth, elle se retira à Cana 204, dont elle pouvait être originaire. […] La conception réaliste de l’avènement divin n’a été qu’un nuage, une erreur passagère que la mort a fait oublier. […] Si Jésus fût mort au moment où nous sommes arrivés de sa carrière, il n’y aurait pas dans sa vie telle page qui nous blesse ; mais, plus grand aux yeux de Dieu, il fût resté ignoré des hommes ; il serait perdu dans la foule des grandes âmes inconnues, les meilleures de toutes ; la vérité n’eût pas été promulguée, et le monde n’eût pas profité de l’immense supériorité morale que son Père lui avait départie.

1665. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Ducis. » pp. 456-473

Ce Ducis, auteur dramatique, qui fut très contesté en son temps, mais qui réussit, somme toute, en dépit des résistances de Le Kain, des impatiences de Voltaire, des rudesses de Geoffroy, ce Ducis, qui fit couler bien des larmes sous Louis XVI, et que Talma, dans notre jeunesse, nous a ressuscité parfois avec génie, est aujourd’hui mort, ou à peu près mort ; et, s’il n’y avait que ce côté-là en lui, nous ne viendrions pas le tirer de ses limbes. […] La mort de Thomas, survenue à l’improviste au moment où son ami venait de guérir, arrêta l’impression de ridicule et remit aux choses un cachet de gravité.

1666. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre III. Le Bovarysme des individus »

Des hommes sont morts d’un coup d’épée parce qu’un maladroit leur avait froissé l’orteil, qui, délivrés du joug de la coutume, n’eussent point songé à mettre en péril la vie même de leur offenseur. […] Tandis qu’il s’expose chez nous à être tué par un adversaire plus adroit, il se donne lui-même la mort au Japon en s’ouvrant les entrailles. […] Il n’est pas téméraire, semble-t-il, de penser que plus d’un de ces morts volontaires que l’on invoque a pour cause une suggestion de la coutume, qui, déplaçant le centre de gravité de l’individu, le contraint à se concevoir très différent de ce qu’il est : il sacrifie alors, de la façon la plus tragique, à cette fausse conception de soi-même sa propre personne et son instinct de conservation le plus fort.

1667. (1889) Méthode évolutive-instrumentiste d’une poésie rationnelle

Cette poésie a eu sa gloire pleine en ce siècle —  avec Musset, le plus instinctif et le plus faible de tous, et avec Lamartine, Hugo, Banville, tous les purs et ruisselants romantiques enfin, par qui elle a triomphé au délire suprême, à la mort. […] Paul Verlaine qui très heureusement parfois et avec sagesse et science en ses premiers volumes la fit triompher — mais surtout, à cause de l’emploi quand même et irréfléchi, par deux poètes l’un mort l’autre disparu, qui (à part de leurs productions quelques poèmes d’allure remarquable) furent les maîtres certainement, de ce genre fumiste à l’heure actuelle si florissant en ceux qui s’honorent de porter le titre de Décadents : Tristan Corbière et Arthur Rimbaud. Procéda de même, mais pourtant avec une logique due à sa très originale sentimentalité ironique et douloureuse, Jules Laforgue, mort si tristement à vingt-cinq ans : car l’on ne peut concevoir autres les vers aux fuyantes et sursautantes allures funambulesques de l’auteur personnel des Complaintes…   Avec ces trois poètes, dont les deux premiers très profonds et dignes de tous les respects artistes, MM. 

1668. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Th. Dostoïewski »

Dans ces décors éclairés, semble-t-il, d’une lumière, grise ou rousse, de bruine ou d’orage, errent de troubles personnages, un juge d’instruction déduisant de sinueux et vrillants interrogatoires au cours d’un va-et-vient de bêles en cage, de louches ivrognes, des sadiques au sourire aigu, une petite fille fuyante et frêle, un vieillard dont les yeux, tout ouverts, sont morts et braqués sur l’invisible, l’insidieux et triste et réjoui bourgeois dont tout l’être lugubrement impudent est l’indice de crimes demeurés ensevelis. Des actes farouches s’accomplissent, une mort soudaine, une tentative de viol, le double assassinat d’une vieille usurière et d’une mûre mystique ; et ces faits se répercutent en d’infinis affolements ; l’on assiste au trouble naissant puis despotique et mortel que cause, en une pauvre cervelle de petite fille, le souvenir d’un passé de cruauté et de souffrance ; dans Crime et châtiment l’horrible fièvre du remords sévit, étreint le meurtrier, le relâche, l’endurcit, le rompt et le prosterne en une faiblesse mêlée de férocité et de désespoir, jusqu’à ce que, cerné par la société, retranché de sa famille et renié de lui-même, il trouve auprès d’une humble fille le secret oublié des larmes et la paix du châtiment. […] Malade de la névrose épileptique, ayant passé en sa jeunesse par le choc effroyable d’une condamnai ion à mort, et gracié les pieds sur l’échafaud, pour aller traîner des années dans un bagne en Sibérie avec toute la vermine d’une société primitive, il vécut ensuite sous le ciel, « saturé d’encre », de Saint-Pétersbourg, et promena dans cette sombre ville, dure aux pauvres, sa silhouette râpée.

1669. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre II. Marche progressive de l’esprit humain » pp. 41-66

Pour achever notre première comparaison, l’homme enfin parvient à la vieillesse, à la décrépitude, à la mort. Les sociétés humaines se régénèrent et renaissent pour commencer une nouvelle vie, après avoir passé par des périodes assez peu en rapport avec celles qui amènent la mort de l’homme, et surtout sa renaissance ; car ici finit toute espèce d’analogie : la perpétuité des sociétés humaines et l’immortalité de l’être spirituel n’ont aucune ressemblance, l’une étant placée dans le temps et dans la sphère du monde sensible, l’autre s’élançant hors des limites du temps et dans la sphère infinie d’un monde où ne règnent que les lois de l’intelligence. […] L’existence si diverse et si variée de ces peuples est une poésie tout entière, depuis leurs temps héroïques et fabuleux jusqu’à leur décadence et à leur mort.

1670. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IV : M. Cousin écrivain »

Nous ne cherchons pas autre chose, et il nous semble que nous allons parler d’un homme mort il y a deux mille ans. […] Qui leur a dit qu’au-dessus de toutes les incertitudes, il est une certitude suprême, une vérité égale à toutes les vérités de la géométrie, c’est à savoir que, dans la mort comme dans la vie, un Dieu tout-puissant, tout juste et tout bon, préside à la destinée de sa créature, et que derrière les ombres du trépas, quoi qu’il arrive, tout sera bien, parce que tout sera l’ouvrage d’une justice et d’une bonté infinies ? […] Cousin est mort en 1867, et n’a point publié d’autres ouvrages philosophiques que ceux dont il est parlé ici.

1671. (1874) Premiers lundis. Tome II « Thomas Jefferson. Mélanges politiques et philosophiques, extraits de ses Mémoires et de sa correspondance, avec une introduction par M. Conseil — II »

Jefferson y croyait fermement, pieusement : sa lettre sur la mort de Mme Adams exprime une résignation éloquente et fervente. Le peu de lignes qui précèdent le décalogue de conduite écrit pour son petit-fils un an avant sa mort, nous montrent le vieillard bénissant, déjà délivré à demi de sa dépouille et ayant fait un pas dans la majesté de la tombe.

1672. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre II. Utilité de l’ordre. — Rapport de l’ordre et de l’originalité »

Quelques lecteurs d’élite goûteront ce qu’il y a d’exquis, trouveront que c’est dommage, qu’il y avait là quelque chose, que le public a jugé bien rigoureusement, et deux cents ans après la mort de l’auteur on le réhabilitera, c’est-à-dire qu’on l’éditera une fois, qu’on en parlera quelques jours et qu’on ne le lira guère plus. […] Molière prend dans Plaute, dans Térence, dans les Italiens, aux vivants comme aux morts : tout ce qui a été dit de comique est son bien.

1673. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Verhaeren, Émile (1855-1916) »

Il appelle la folie, il appelle la mort. […] La raison est morte — morte de trop savoir, et elle s’en va où vont les mortes, aux engloutissantes vagues d’éternité !

1674. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les poètes maudits » pp. 101-114

Soir des morts ! […] « Et ne voyez-vous pas qu’en donnant ainsi accès aux choses périssables, vous introduisez la mort dans votre œuvre ?

1675. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Première partie. Plan général de l’histoire d’une littérature — Chapitre IV. Moyens de déterminer les limites d’une période littéraire » pp. 19-25

La mort du grand roi est le fait décisif qui se dresse, comme une véritable borne, sur la route parcourue par le temps et qui nous permet de dire : Ici un monde finit et un autre commence. […] Assurément des faits de cette espèce ont plus de portée dans la vie d’un peuple que la mort d’un prince, voire même qu’une bataille gagnée ou perdue ; mais ils sont cachés, et l’historien n’a pas trop de toute sa perspicacité pour les découvrir ni de tout son talent pour les mettre en lumière.

1676. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre onzième. »

Minos en ces deux morts, etc. […] Vient ensuite le récit très-rapide de la mort des trois jeunes gens ; mais ce qui est parfait, ce qui ajoute à l’intérêt qu’on prend à ce vieillard et à la force de la leçon, ce sont les deux derniers vers : Et pleurés du vieillard, il grava sur leur marbre Ce que je viens de raconter.

1677. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 8, des plagiaires. En quoi ils different de ceux qui mettent leurs études à profit » pp. 78-92

Le Poussin a pu se servir de ce trait pour exprimer la même chose, en représentant Agrippine qui se cache le visage avec les mains dans le tableau de la mort de Germanicus. […] Raphaël, mort depuis deux cens ans, peut encore faire des éleves.

1678. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Rome et la Judée »

Mais l’homme — l’homme qui nous l’a donnée après vingt années, lesquelles ont été probablement des années de recherches et d’étude, — est-il fini et mort sans qu’on en ait rien su, et ce qu’on en voit là, est-ce donc son fantôme ? […] Y aurait-il pour le talent des morts subites, des apoplexies foudroyantes, ou n’aurions-nous donc — et même les plus forts ! 

1679. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Auguste Vitu » pp. 103-115

Suleau, dont on se souvenait peut-être à cause de son horrible mort, que par parenthèse Michelet a excusée, fut le tribun d’une royauté qui s’était assez abandonnée elle-même pour avoir, comme le peuple, besoin de tribuns pour la défendre. […] Vitu a raconté avec une émotion contenue, mais profonde, cette existence si pleine, si militante et si courte, couronnée par cette effroyable mort.

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