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908. (1887) George Sand

Laissez faire la nature, elle sait son métier. […] Je veux bien le croire, puisqu’elle-même nous le laisse supposer. […] Fort bien, mais la réalité ne se laisse pas gouverner comme le roman. […] D’où vient qu’elle l’avait laissée ? […] Laissez-la se risquer et se produire dans sa spontanéité.

909. (1893) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Première série

Ils peuvent laisser d’eux-mêmes une mémoire glorieuse et très pure ; mais ce qui les caractérise, c’est qu’ils ne paraissent pas s’en être du tout préoccupés. […] Pour eux, ils se flattent, parce qu’ils sont auteurs, de laisser au monde quelque chose de plus durable que les combinaisons perpétuellement changeantes de l’échiquier politique ; mais ne sait-on pas que les quelques lettres de leur nom sont ordinairement la seule chose qu’ils laissent, eux aussi, et qu’ils doivent s’estimer bien heureux encore d’en laisser un, leurs œuvres ne périssant guère moins vite et moins totalement qu’une fonction de ministre, de préfet ou de maire ? […] Lisez, leur disons-nous, et relisez les originaux ; laissez là les commentateurs ; remontez aux sources ? […] Les acquisitions toutes nouvelles dont il s’est enrichi au XIXe siècle sont d’un prix trop supérieur pour être de celles qu’on laisse perdre. […] les plus sûres, puisque notre indifférence les laisse au-dessus de toute discussion.

910. (1903) La pensée et le mouvant

Ce serait aussi la laisser dans la région du pur possible. […] Son analyse du changement laisse cette question intacte. […] Je laisserai de côté Spinoza ; il nous entraînerait trop loin. […] Mais laissons de côté ces subtilités. […] Description, histoire et analyse me laissent ici dans le relatif.

911. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Froissart. — I. » pp. 80-97

Un tel esprit, si souvent et si aisément renouvelé, ne devait pas engendrer longtemps mélancolie, ni se laisser mourir d’amour. […] S’il y a en Écosse ou ailleurs au loin quelque chevalier qui peut le bien renseigner sur tel ou tel fait de guerre qui s’est passé en ces pays étrangers, messire Jean Froissart monte à cheval, sur son cheval gris, et tenant un blanc lévrier en laisse, il va interroger et questionner quiconque le saura compléter sur une branche d’événements qu’il ignore. […] Cette fois messire Jean Froissart se met en route en plus respectable état que jamais, et il n’a pas moins de quatre lévriers en laisse qu’il va offrir au comte Gaston, grand amateur de chasse comme on sait. […] Il s’est laissé aller un peu longuement, dit-il, à raconter les événements et les choses nouvelles qui étaient voisines de lui et qui inclinaient à son plaisir, et pourtant le bruit des exploits qui se passent en pays lointains le préoccupe : il se sent arriéré et veut se remettre au pas de ce côté : Et pour ce, dit-il, je, sire Jean Froissart qui me suis chargé et occupé de dicter et écrire cette histoire, considérai en moi-même que nulle espérance n’étoit qu’aucuns faits d’armes se fissent aux pays de Picardie et de Flandre, puisqu’il y avoit paix ; et point ne voulois être oiseux, car je savois bien qu’encore au temps à venir et quand je serai mort, sera cette haute et noble histoire en grand cours et y prendront tous nobles et vaillants hommes plaisance et exemple de bien faire ; et, tandis que j’avois, Dieu merci ! […] Quelques mots qu’il laisse échapper trahissent sa pensée.

912. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — II » pp. 71-89

Sa conclusion était : Laissez-nous faire. […] L’amiral d’Annebaut, soit qu’il ait changé d’avis de lui-même, soit que, placé en face du roi et du Dauphin, il voie à leur physionomie que le vent tourne décidément à la bataille, s’y laisse incliner également ; il ne dit mot, sourit comme les autres et ne contredit pas. […] Je laisse les prouesses, affaires de nuit, et camisades où il se distingue, et sur lesquelles il s’étend beaucoup. […] Nous n’avions pas faute d’outils, car monsieur le maréchal en avait grande quantité, et aussi les pionniers qui se dérobaient laissaient les leurs… Comme je m’en vins à la courtine, je commençai à mettre la main le premier à remuer la terre, et tous les capitaines après : j’y fis apporter une barrique de vin, ensemble mon dîner, beaucoup plus grand que je n’avais accoutumé, et les capitaines le leur, et un sac plein de sous que je montrai aux soldats ; et après avoir travaillé une pièce (un bon bout de temps), chaque capitaine dîna avec sa compagnie ; et à chaque soldat nous donnions demi-pain, du vin et quelque peu de chair, en favorisant les uns plus que les autres, disant qu’ils avaient mieux travaillé que leurs compagnons, afin de les accourager. […] La veille de Noël, il envoie par un sien trompette à Montluc « la moitié d’un cerf, six chapons, six perdrix, six flacons de vin excellent et six pains blancs, pour faire le lendemain la fête. » Montluc ne trouve point cette courtoisie étrange, d’autant que dans sa grande maladie trois ou quatre mois auparavant, le même marquis lui avait envoyé pareillement quelque gibier et avait laissé entrer un mulet chargé de petits flacons de vin grec.

913. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — II » pp. 254-269

En retraçant un portrait du parfait souverain en ces belles années de Henri IV, il semble quelquefois dessiner d’après nature, mais il laisse aux lecteurs les applications à faire, et il ne le dit pas. […] Quant au fond, il recommande tout ce que son maître a également recommandé, de ne point laisser les valets ni servantes embabouiner cette tendre jeunesse de sots contes ni de fadaises ; de ne pas croire que l’esprit des enfants ne se puisse appliquer aux bonnes choses aussi aisément qu’aux inutiles et vaines : « Il ne faut pas plus d’esprit à entendre les beaux exemples de Valère Maxime et toute l’histoire grecque et romaine, qui est la plus belle science et leçon du monde, qu’à entendre Amadis de Gaule… Il ne se faut pas délier de la portée et suffisance de l’esprit, mais il le faut savoir bien conduire et manier. » Il s’élève contre la coutume, alors presque universelle, de battre et fouetter les enfants ; c’est le moyen de leur rendre l’esprit bas et servile, car alors « s’ils font ce que l’on requiert d’eux, c’est parce qu’on les regarde, c’est par crainte et non gaiement et noblement, et ainsi non honnêtement. » Dans l’instruction proprement dite, il veut qu’en tout on vise bien plutôt au jugement et au développement du bon sens naturel qu’à l’art et à la science acquise ou à la mémoire ; c’est à cette occasion qu’il établit tous les caractères qui séparent la raison et la sagesse d’avec la fausse science. […] Cela est d’autant plus remarquable que ce livre fut composé par l’auteur encore très jeune et au sortir des écoles ; après l’avoir laissé dormir quelques années, il se décida à le faire imprimer et à dire hautement son avis, qui était celui de beaucoup de gens, au risque seulement de déplaire à ceux (car il y en avait) « qui prenaient Charron pour Socrate et l’Apologie de Raimond Sebond pour l’Évangile. » — À cela près, disait-il, je ne laisse pas d’estimer Charron, et de croire qu’il doit être estimé savant, et encore plus judicieux ; que son livre De la sagesse est fort bon en gros, et qu’il y a fort peu de savants hommes en France qui n’aient profité de sa lecture. […] Chanet ne se laisse point envelopper dans ce dilemme : il observe et trace les limites, les distinctions spécifiques entre l’homme et les bêtes, et qui lui paraissent suffire pour motiver la différence des destinées.

914. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Madame Bovary par M. Gustave Flaubert. » pp. 346-363

Madame Bovary est un livre avant tout, un livre composé, médité, où tout se tient, où rien n’est laissé au hasard de la plume, et dans lequel l’auteur ou mieux l’artiste a fait d’un bout à l’autre ce qu’il a voulu. […] Sans aller si loin que Bernardin de Saint-Pierre, Mme Sand, qui s’était peut-être ennuyée d’abord dans son Berry, ne s’est plu ensuite à nous le montrer que par des aspects assez attrayants ; elle ne nous a pas désenchantés, tant s’en faut, des bords de la Creuse ; en y introduisant même des personnages à théories ou à passions, elle a laissé circuler un large souffle pastoral, rural, poétique dans le sens des anciens. […] Charles Bovary fils (car il a un père qui nous est dépeint aussi d’après nature) nous est montré dès le temps du collège comme un garçon rangé, docile mais gauche, mais nul ou incurablement médiocre, un peu bêta, sans distinction aucune, sans ressort, sans réponse à l’aiguillon, né pour obéir, pour suivre pas à pas une route tracée et pour se laisser conduire. […] Il se laisse faire et n’a pas même l’idée de s’apercevoir qu’il n’est pas heureux. […] Mais il est bien de n’avoir laissé entrevoir ces affreuses perspectives que par des mots perçants une fois dits.

915. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « La princesse des Ursins. Ses Lettres inédites, recueillies et publiées par M. A Geffrot ; Essai sur sa vie et son caractère politique, par M. François Combes » pp. 260-278

C’est son plus beau moment, où sa générosité, sa fierté d’âme, son courage et ses ressources d’esprit se déploient avec bien de l’avantage, et tournent au bien public comme à son honneur. « Laissez faire, disait quelque temps auparavant un spirituel étranger54 aux nobles Espagnols irrités contre elle ; si l’on touche à l’Espagne, elle sera plus Espagnole qu’aucun de vous. » Elle justifia ce pronostic. […] Combes même, si favorable d’ailleurs, le récit de cette quatrième et dernière partie de la carrière politique de Mme des Ursins (1711-1714), que l’on a vu son obstination vaniteuse à réclamer pour elle une souveraineté en Flandre ou dans le Luxembourg, au risque de retarder, d’accrocher la paix générale de toute l’Europe, son obsession croissante, son accaparement de Philippe V après la mort de sa première femme, l’humiliante sujétion à laquelle cette femme de soixante-dix ans prétendait réduire le jeune et royal veuf, les indécents propos auxquels elle ne craignait pas de l’exposer, on comprend qu’elle ait lassé et ce roi et l’Espagne, et qu’elle ait fini par être secouée d’un revers de main sans laisser après elle beaucoup de regrets. […] Une fois la chose jetée en avant, elle ne laisse guère passer de courrier sans y revenir, sans y ajouter, n’omettant rien pour la rendre et la montrer possible et même facile. […] Nouvelle provocation indirecte, nouvelle insinuation (29 mars 1701) : Je ne dois, madame, vous laisser ignorer aucune des mesures que je prends pour faire réussir mon projet, puisque vos conseils me sont si nécessaires et que j’attends de votre activité la meilleure partie du succès de cette affaire. […] Certes tout cela était bien agréablement dit et tout propre à divertir un moment les bonnes amies de France ; mais, pour ne pas s’y laisser prendre, qu’on lise aussitôt après, par contraste, les admirables et vigoureuses lettres qu’elle écrira huit ans après à Mme de Noailles (28 octobre 1709), à Mme de Maintenon (11 novembre 1709), sur les affaires publiques, sur les fautes commises, sur le précipice où l’on s’est jeté, sur les moyens d’en sortir et sur les ressources de la situation, qui n’est pas, humainement ni divinement, si désespérée qu’on la veut faire : quelle force !

916. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Journal d’Olivier Lefèvre d’Ormesson, publié par M. Chéruel » pp. 35-52

Ce n’est pas ma faute si le tableau fidèle de la Cour en ces années du vieux Fleury et du jeune Louis XV laisse une impression si chétive, si flétrissante. […] Persuadé de la durée de la monarchie qu’il avait sous les yeux, le duc de Luynes croyait laisser à ses petits-fils un trésor de précédents : il s’est trompé, et nous en jugeons aujourd’hui à notre aise. […] Son père, André d’Ormesson, a laissé par écrit l’histoire de la famille, et M.  […] On est un peu soulagé de tout le dégoût qu’elle inspire, lorsqu’on rencontre la lettre suivante du cardidal Mazarin, adressée au maréchal de Brezé, l’un des neveux de Richelieu (28 mai 1643) : Monsieur, bien que je ne pusse recevoir de douleur plus sensible que d’ouïr déchirer la réputation de M. le cardinal, si est-ce que je considère qu’il faut laisser prendre cours, sans s’en émouvoir, à cette intempérance d’esprit, dont plusieurs Français sont travaillés. […] Laissons donc évaporer en liberté la malice des esprits ignorants ou passionnés, puisque l’opposition ne servirait qu’à l’irriter davantage, et consolons-nous par les sentiments qu’ont de sa vertu les étrangers, qui en jugent sans passion et avec lumière.

917. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Une monarchie en décadence, déboires de la cour d’Espagne sous le règne de Charles II, Par le marquis de Villars »

La cabale considérable, qui était alors opposée à don Juan, crut voir arriver dans l’ambassadeur de France un puissant auxiliaire, et il eut besoin de toute sa modération et de sa délicatesse pour ne pas se laisser entraîner à une opposition qui sortait de son rôle. […] « La camarera-mayor, naturellement rigide, ajoutait de nouvelles peines à cette contrainte, et semblait vouloir effacer tout d’un coup jusqu’aux moindres choses qui auraient pu lui laisser quelque souvenir de la douceur et des agréments de son pays. » On essaya de lui inspirer d’abord une entière aversion pour la reine mère, dont cette camarera-mayor craignait l’influence qui s’annonçait comme prête à renaître. […] Après cela, nous nous sommes tenus en repos… » Enfin, la visite a lieu ; nous sommes maintenant entre les mains du plus aimable guide, et je le laisse parler : « Je fus hier au Retiro. […] Sa Majesté a permis à la reine de ne se coucher plus qu’à dis heures et demie, et de monter à cheval quand elle voudra, quoique cela soit entièrement contre l’usage. » Mais n’allez pas vous figurer pourtant de bien grandes joies ; ne laissez pas courir votre imagination ; prêtez l’oreille, écoutez l’ironie fine : « On se trouve toujours bien du changement de la camarera-mayor. […] Le duc de Medina-Celi, qui avait le titre et la place de premier ministre, et en qui le public avait espéré d’abord, personnage considérable par sa naissance et par ses biens, sept fois Grand d’Espagne, « d’un génie doux et honnête, et naturellement éloigné des grands mouvements, » manquait totalement de vigueur et laissait le mal se faire et s’aggraver autour de lui.

918. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Lettres inédites de Jean Racine et de Louis Racine, (précédées de Notices) » pp. 56-75

Les Mémoires sur sa Vie que nous a laissés son fils sont fort agréables, très justes en général par l’esprit de tradition et de piété qui les anime, mais inexacts en bien des points, surtout pour les commencements et le début de la carrière. […] Nous vous prions aussi d’ordonner qu’on ne le laisse point crier, parce qu’étant un garçon, les efforts sont à craindre, comme vous savez. […] Racine, à la différence de Shakespeare, n’a fait autre chose, dans sa poésie et dans sa peinture des passions, que de choisir de la sorte et de supprimer le laid qui est dans la réalité et dans la nature, pour ne laisser subsister que le beau qui lui sied et qu’il aime. […] L’un accepte et comprend les choses comme elles sont dans la nature et dans l’humanité ; il prend, sans les disjoindre (car tout cela se tient, se correspond et, pour ainsi dire, se double), le rat et le cygne, le reptile et l’aigle, le crapaud et le lion ; il prend le cœur à pleines mains, tel qu’il est au complet, or et boue, cloaque ou Éden, et il laisse à chaque objet sa couleur, à chaque passion son cri et son langage. […] Nous sommes des machines, d’admirables machines : ne laissons pas s’épaissir et se figer en nous les huiles des rouages.

919. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset. »

Il avait imaginé une sorte de paix rongeante et envahissante qui devait exclure les risques et les inconvénients de la guerre, pour ne laisser subsister que les avantages qu’elle aurait procurés, — beaucoup de profit sans effusion de sang et sans grosse dépense. » C’est cette paix ambiguë et d’une espèce toute particulière dont l’historien nous fait suivre pas à pas la procédure et les progrès. […] On se moqua de l’Espagnol dont la bonne foi recevait un pied de nez, et Coulanges en faisait une chanson : L’Espagnol est tout étonne    Quand on parle de guerre ; Louis est un enfant gaté,    On lui laisse tout faire. […] Louvois écrivait donc à l’intendant, pour ne pas rester démuni de pièces dans son dire : « Il est important que si vous n’avez point fait d’impositions sur ce lieu, ou que vous n’en ayez pas gardé de copies, vous ne laissiez pas de m’envoyer des copies d’ordres et d’impositions faites sur la seigneurie de Traerbach et sur quelques autres lieux de la seigneurie de Sponheim, dont le roi est en possession, lesquelles vous daterez d’entre le Ier mai 1681 et le 10 juillet, et me les enverrez par le retour de ce courrier, avec cette lettre que vous me renverrez aussi en même temps, observant de faire en sorte que personne ne puisse avoir connaissance de ce que je vous mande. » Cela fait et les pièces réelles ou fictives obtenues, il était tout naturel que Louvois pût écrire à M. de Croissy, son collègue des Affaires étrangères, et qui ne voyait, de tout ce manège, que la surface : « Vous trouverez dans ce paquet les pièces nécessaires pour mettre M. de Crécy (le ministre qui représentait la France près de la Diète) en état de faire voir aux députés à la Diète de Ratisbonne que le roi a été en possession de Traerbach auparavant le 1er août 1681. […] La ville de Strasbourg s’appelant en latin Argentina, on pensait aussi (les malins du moins et les faiseurs de calembours le disaient) qu’Argentum, l’argent, n’avait pas laissé de pleuvoir et de s’infiltrer dans la place. […] Par mesure de prudence, les magistrats avaient eu soin de laisser sans poudre les canons du rempart, afin d’ôter aux mauvaises têtes, s’il y en avait, le moyen de commencer un jeu qui aurait mal fini pour la population tout entière.

920. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée, par M. le chevalier Alfred d’Arneth et à ce propos de la guerre de 1778 »

Je n’étais pas prévenue de son départ, et on le presse pour obvier aux plus noires et malicieuses insinuations du roi de Prusse : espérant, si le roi est au fait, qu’il ne se laissera pas entraîner par des méchants, comptant sur sa justice et sa tendresse pour sa chère petite femme. […] Nous, qui sommes les plus exposés, on nous laisse ; nous nous tirerons peut-être encore cette fois-ci,, tant bien que mal ; mais je ne parle pas seulement pour l’Autriche ; c’est la cause de tous les princes. […] Si on lui laisse gagner du terrain, quelle perspective pour ceux qui nous remplaceront ! […] « … Il serait bien malheureux que le repos de l’Europe dépendît de deux puissances si connues dans leurs maximes et principes, même en gouvernant leurs propres sujets ; et notre sainte religion recevrait le dernier coup, et les mœurs et la bonne foi devraient alors se chercher chez les barbares. » Elle fait un léger mea culpa sur l’affaire de la Pologne, sur ce partage où l’Autriche s’est laissé induire (le mot est d’elle), en se liant avec ces deux mêmes puissances qu’elle qualifie si durement ; elle a l’air d’en avoir du regret ; et l’on entrevoit pourtant, par quelques-unes de ses paroles, que si pareille chose était à recommencer, et si l’Autriche, abandonnée d’ailleurs, n’avait point d’autre ressource qu’une telle alliance, elle pourrait encore la renouer sans trop d’effort et jouer le même jeu, en se remettant à hurler avec les loups : « Car je dois avouer qu’à la longue nous devrions, pour notre propre sûreté ou pour avoir aussi une part au gâteau, nous mettre de la partie. » La femme ambitieuse laisse ici passer le bout de l’oreille.

921. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Fontaine »

D’ailleurs, l’impression qu’une dernière et plus fraîche lecture a laissée en nous, impression pure, franche, aussi prompte et naïve que possible, voilà surtout ce qui décide du ton et de la couleur de notre causerie ; voilà ce qui nous a poussé à la sévérité contre Jean-Baptiste, à l’estime pour Boileau, à l’admiration pour madame de Sévigné, Mathurin Régnier et d’autres encore ; aujourd’hui, c’est le tour de La Fontaine19. […] Né, en 1621, à Château-Thierry en Champagne, il reçut une éducation fort négligée, et donna de bonne heure des preuves de son extrême facilité à se laisser aller dans la vie et à obéir aux impressions du moment. […] Madame de La Sablière elle-même, qui reprenait La Fontaine, n’avait pas été toujours exempte de passions humaines et de faiblesses selon le monde ; mais lorsque l’infidélité du marquis de La Fare lui eut laissé le cœur libre et vide, elle sentit que nul autre que Dieu ne pouvait désormais le remplir, et elle consacra ses dernières années aux pratiques les plus actives de la charité chrétienne. […] Il a écrit dans sa Vie d’Ésope : « Comme Planudes vivoit dans un siècle où la mémoire des choses arrivées à Ésope ne devoit pas être encore éteinte, j’ai cru qu’il savoit par tradition ce qu’il a laissé. » En écrivant ceci, il oubliait que dix-neuf siècles s’étaient écoulés entre le Phrygien et celui qu’on lui donne pour biographe, et que le moine grec ne vivait guère plus de deux siècles avant le règne de Louis-le-Grand. […] La conversion de madame de La Sablière, que La Fontaine n’eut pas le courage d’imiter, avait laissé notre poëte assez désœuvré et solitaire.

922. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. le Cte Alfred de Vigny à l’Académie française. M. Étienne. »

Il rédigeait le Constitutionnel, et se laissa vivre de ce train d’improvisation facile et de paresse occupée qui semble avoir été le fond de ses goûts et de sa nature. […] Ce qu’il trouvera, ce ne sera pas sans doute ce que nous savons déjà sur la façon et sur l’artifice du livre, sur ces études de l’atelier si utiles toujours, sur ces secrets de la forme qui tiennent aussi à la pensée : il est bien possible qu’il glisse sur ces choses, et il est probable qu’il en laissera de côté plusieurs ; mais sur le fond même, sur l’effet de l’ensemble, sur le rapport essentiel entre l’art et la vérité, sur le point de jonction de la poésie et de l’histoire, de l’imagination et du bon sens, c’est là qu’il y a profit de l’entendre, de saisir son impression directe, son sentiment non absorbé par les détails et non corrompu par les charmes de l’exécution ; et s’il s’agit en particulier de personnages historiques célèbres, de grands ministres ou de grands monarques que le poëte a voulu peindre, et si le bon esprit judicieux et fin dont nous parlons a vu de près quelques-uns de ces personnages mêmes, s’il a vécu dans leur familiarité, s’il sait par sa propre expérience ce que c’est que l’homme d’État véritable et quelles qualités au fond sont nécessaires à ce rôle que dans l’antiquité les Platon et les Homère n’avaient garde de dénigrer, ne pourra-t-il point en quelques paroles simples et saines redonner le ton, remettre dans le vrai, dissiper la fantasmagorie et le rêve, beaucoup plus aisément et avec plus d’autorité que ne le pourraient de purs gens de lettres entre eux ? […] Aussi n’est-ce point de la sorte que je l’entends : gardons nos vers, gardons-les pour le public, laissons-leur faire leur chemin d’eux-mêmes ; qu’ils aillent, s’il se peut, à la jeunesse ; qu’ils tâchent quelque temps encore de paraître jeunes à l’oreille et au cœur de ces générations rapides que chaque jour amène et qui nous ont déjà remplacés. […] C’est qu’en effet il est de ces choses qu’on ne peut entendre sans laisser échapper un mot de rappel : elles sont comme une fausse note pour une oreille juste. […] Or, son admiration très-réelle, mais très-choisie, il la réserve presque exclusivement pour les plus glorieux du premier groupe, et il laisse volontiers au vulgaire l’admiration qui se prend aux personnages du second.

923. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre V. De la littérature latine, pendant que la république romaine durait encore » pp. 135-163

Cicéron est le seul dont l’individualité perce à travers ses écrits : encore combat-il par son système ce que son amour-propre laisse échapper. […] Plutarque, qui laisse de ce qu’il peint des souvenirs si animés, raconte que Brutus, prêt à s’embarquer pour quitter l’Italie, se promenant sur le bord de la mer avec Porcie, qu’il allait quitter, entra avec elle dans un temple ; ils y adressèrent ensemble leur prière aux dieux protecteurs. […] L’habitude de ne laisser voir aucune de leurs impressions personnelles, de porter toujours l’intérêt vers les principes philosophiques, donne de l’énergie, mais souvent aussi de la sécheresse et de l’uniformité à leur littérature. […] Les combats de gladiateurs avaient pour objet d’intéresser fortement le peuple romain par l’image de la guerre et le spectacle de la mort ; mais dans ces jeux sanglants, les Romains exigeaient encore que les esclaves sacrifiés à leurs barbares plaisirs, sussent triompher de la douleur, et n’en laissassent échapper aucun témoignage. […] Nos poètes n’ont laissé aucun genre sans l’avoir essayé ; et ils ont mérité beaucoup de louanges, en osant abandonner les traces des Grecs, et célébrer des événements domestiques, soit dans le genre tragique, soit dans la comédie.

924. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre VI. Science, histoire, mémoires »

Perrot934, qui — je laisse toujours le mérite spécial — nous fait voir dans ses expressions artistiques le mouvement général des civilisations anciennes, et saisir la vie même des siècles lointains dans tous les débris qu’elle a laissés, depuis le temple ou la forteresse jusqu’aux bijoux et aux vases ; c’est aussi comme une ample leçon d’esthétique expérimentale. […] Mais toutes les suggestions de la personnalité, les pressions du milieu prennent vite chez Fustel de Coulanges la forme scientifique : elles deviennent des idées d’enquêtes historiques, qu’il poursuit méthodiquement, sans parti pris, cédant aux textes critiqués, contrôlés avec la dernière rigueur ; et s’il reste une cause d’erreur, elle est dans l’infirmité humaine, dans la complaisance dont le plus sévère esprit ne peut se défendre pour les pensées qui sont sa conquête ou sa création, dans la facilité avec laquelle il laisse écouler toujours un peu de lui-même dans les choses, et sollicite l’imprécise élasticité des textes. […] J’aimerais mieux, à vrai dire, qu’il nous ait laissé le soin de le constater ; et dans ses exquis Souvenirs de jeunesse, l’optimiste contentement de soi, enveloppé d’une douceur un peu dédaigneuse, contriste par endroits les plus amicaux lecteurs. […] Pour les lettres, des écrivains comme Constant d’abord, et Sand ou Mérimée, des artistes comme Delacroix et Regnault, en ont laissé d’intéressantes.

925. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VI. Pour clientèle catholique »

Mais il est de ceux, déjà bien extraordinaires, qui laisseront des pages et je ne sais guère de contemporains capables de nous donner l’équivalent de La Femme Pauvre. […] J’avoue que le pamphlétaire m’est un compagnon moins précieux : il se laisse aller à trop de lyrisme excrémentiel ; trop volontiers il inflige aux condamnés de sa conscience le supplice du pal et, avec une insistance barbarement joyeuse, il nous montre que les culs qu’il va transpercer ne sont pas propres. […] Si nous en laissons paraître quelque chose, vite, comme sous un ressort pressé, le catholique ricane et affirme que nous devons à l’Église tout ce que nous avons de supportable. […] On est toujours obligé de reconnaître qu’on s’est laissé duper presque volontairement. […] Charles Godard, qui auréole sa signature de divers titres éblouissants tels que « professeur agrégé de l’Université » ou bien encore « membre associé franc-comtois de l’académie de Besançon », est naturellement un esprit docile qui suit toujours quelque maître de très près et tremble de laisser échapper la traîne conductrice.

926. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres inédites de la duchesse de Bourgogne, précédées d’une notice sur sa vie. (1850.) » pp. 85-102

Marie-Adélaïde de Savoie, duchesse de Bourgogne, qui fut mariée au petit-fils de Louis XIV, et qui fut la mère de Louis XV, a laissé un bien gracieux souvenir après elle. […] Voyons donc un peu de plus près, et laissons-nous guider par l’auteur même de la Notice, sauf à être plus hardi ou plus indiscret en quelques points. […] Je l’ai été recevoir au carrosse ; elle m’a laissé parler le premier, et après elle m’a fort bien répondu, mais avec un petit embarras qui vous aurait plu. […] J’irai et reviendrai à ma fantaisie, et on me laissera en repos. » — Un silence à entendre une fourmi marcher succéda à cette espèce de sortie. […] Une chose ne laissa pas de donner beaucoup à penser.

927. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le surintendant Fouquet. (Article Fouquet, dans l’Histoire de Colbert, par M. P. Clément.) 1846. » pp. 294-312

Le lendemain, de bon matin, au Conseil auquel assistait Fouquet avec les autres ministres et secrétaires d’État, Louis XIV dit : « Messieurs, je vous ai fait assembler pour vous dire que jusqu’à présent j’ai bien voulu laisser gouverner mes affaires par feu M. le cardinal, mais que dorénavant j’entends les gouverner moi-même ; vous m’aiderez de vos conseils quand je vous les demanderai. » Fouquet entendit ces paroles sans y croire. […] L’abondance paraissait en même temps chez les gens d’affaires, qui d’un côté couvraient toutes leurs malversations par toute sorte d’artifice, et les découvraient de l’autre par un luxe insolent et audacieux, comme s’ils eussent appréhendé de me les laisser ignorer. […] Il n’avait songé d’abord qu’à éloigner le surintendant des affaires ; mais le voyant si plein de projets et d’humeur si inquiète, si empressé à se faire des amis, à s’étendre en crédit dans tous les sens, fortifiant Belle-Isle en Bretagne en même temps qu’il décorait si royalement sa terre de Vaux, il jugea qu’il fallait faire sur lui un exemple et ne pas laisser renaître un seul instant ces velléités, ces réminiscences encore récentes de la Fronde. […] Le ministre Le Tellier, qui n’aurait pas été fâché que Fouquet eût été condamné à mort, laissa échapper un mot énergique et cruel à propos de ce procès où l’on demanda trop, et où, en exagérant certaines charges, on alla contre le but : « Pour avoir voulu faire la corde trop grosse, disait-il, on ne pourra la serrer assez pour l’étrangler. » C’est ainsi, en effet, que Fouquet échappa à tant de haines conjurées. […] Quelque temps après son arrivée à Pignerol, le tonnerre tomba en plein midi dans la chambre qu’il occupait, et, au milieu de beaucoup de ruines, le laissa sain et sauf : « d’où quelques-uns prirent occasion de dire que bien souvent ceux qui paraissent criminels devant les hommes ne le sont pas devant Dieu ».

928. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — III. (Suite et fin.) » pp. 128-145

Mais je m’aperçois que j’ai laissé le journaliste dans sa guerre ouverte contre le ministère Périer, et nous ne sommes, ce me semble, avec lui qu’à mi-chemin. […] Laissons donc le détail d’une polémique dans laquelle il devient de plus en plus difficile de distinguer ce qui n’est que machine de guerre d’avec ce qui est pensée ultérieure et but véritable ; et tenons-nous à constater quelques faits qui achèveront de nous donner idée de l’homme. […] Il est amené, à son corps défendant, à discuter les derniers discours de celui qu’il appelait en d’autre temps le chef sinistre de la Montagne : il y met toutes ses précautions et ses ressources d’analyse ; il cherche pour un moment à ôter à Robespierre sa férocité, pour ne lui laisser que la philanthropie : opération d’alchimie qui, certes, peut aussi s’appeler le grand œuvre. […] À ceux qui l’avaient connu dans l’intimité, et autrement que par son rôle public, il a laissé le souvenir d’un homme parfaitement bon, facile même dans l’ordinaire de la vie, ayant des négligences et des insouciances de soldat ou d’artiste, et parfois des accès de gaieté d’enfant. […] Il y a eu là un travers qui a barré et finalement brisé sa forte vie ; qui a rendu inutile son noble caractère, et qui ne laisse aujourd’hui apparaître et survivre que son talent d’écrivain.

929. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « La reine Marguerite. Ses mémoires et ses lettres. » pp. 182-200

C’est de celle-ci que je parlerai aujourd’hui, comme ayant surtout laissé d’agréables pages historiques, et ouvert dans notre littérature cette série gracieuse de mémoires de femmes qui désormais ne cessera plus, et que continueront plus tard, en se jouant, les La Fayette et les Caylus. […] Et il lui expose les belles et grandes charges où Dieu l’a appelé, où la reine leur mère l’a élevé, et où le tient le roi Charles IX leur frère ; il craint que ce roi, courageux comme il l’est, ne s’amuse point toujours à la chasse, et ne devienne ambitieux de se mettre à la tête des armées dont il lui a laissé le commandement jusqu’ici. […] Sa sœur désormais eut tort auprès de lui, et c’est avec son dernier frère, le duc d’Alençon, que Marguerite renouera bientôt et suivra, tant qu’elle le pourra, une liaison de ce genre, qui laissait place à tous les sentiments et à toutes les activités ambitieuses de la jeunesse. […] Quand elle avait commencé de lire un livre, si long qu’il fût, elle ne laissait ni ne s’arrêtait jamais jusqu’à ce qu’elle en eût vu la fin ; « et bien souvent en perdait le manger et le dormir ». […] Si la conduite des deux royaux époux laisse tout à désirer à l’égard l’un de l’autre et à l’égard aussi du public, reconnaissons que leur correspondance est celle d’honnêtes gens, de gens de bonne compagnie, et dont le cœur vaut mieux que les mœurs.

930. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — I. » pp. 201-219

Je laisse à son biographe le soin de nous raconter ses premiers essais en vers, en prose rimée. […] Il évitait ce qui eût trop rappelé l’infinie distance ; il sentait qu’il était là pour plaire et non pour solliciter, et il savait observer une réserve, une dignité, qui ne laissait pas d’être utile. […] Beaumarchais, même sans avoir réussi, laissa à tous ceux qu’il avait vus en Espagne une favorable idée de sa capacité et de ses talents. […] Laissons une bonne fois ce Beaumarchais-Grandisson qui fait fausse route, et arrivons, à travers les divers incidents de sa vie, au Beaumarchais véritable dont la veine comique jaillira à l’improviste et d’autant plus naturelle, même avant qu’il soit devenu le Beaumarchais-Figaro. […] Pâris-Duverney étant mort sur ces entrefaites avait laissé à Beaumarchais un règlement de comptes, en vertu duquel il reconnaissait lui redevoir une somme de quinze mille livres.

931. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome I

Je laisse Voltaire s’amuser aux vétilles scolastiques, observer doctement que l’intérêt change : il s’agit bien ici de la poétique ! […] C’était de la laisser dans l’oubli qu’elle méritait, ou, s’il en faisait part au public, ce ne pouvait être que pour la réfuter et venger l’honneur de Corneille. […] Par quelle fatalité les premiers modèles de la scène française ont-ils laissé périr chez eux cet art dont ils furent les inventeurs ? […] Le grand Corneille ne daigna pas même revendiquer le sujet et le plan de Rodogune ; il laissa tranquillement Gilbert jouir de son larcin. […] La douceur et la soumission de ses fils ne lui laissent appréhender aucun éclat, aucune violence de leur part.

932. (1939) Réflexions sur la critique (2e éd.) pp. 7-263

Leurs sens demi-usés les laissent-ils à l’écart, en marge de l’univers ? […] D’abord, ces conversations laissent des traces. […] Je laisse de côté le second essai très sommaire et assez prévu. […] laissez-moi suivre mon petit bonhomme de chemin. […] Il faudrait laisser ici à leur union naturelle ces trois grâces indivisibles.

933. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Le Chevalier de Méré ou De l’honnête homme au dix-septième siècle. »

Le chevalier de Méré a été, à son heure, un maître de bel air et d’agrément, et il a laissé des traités. […] Mais le travers était de vouloir suivre dans le détail ce qui ne se laissait entrevoir que dans un aperçu rapide. […] Lui-même, en son bon temps, le chevalier était de cette secte ; il en était à sa manière, épicurien un peu formaliste et compassé, rédigeant le code d’Aristippe plutôt que de s’y laisser doucement aller. […] Pourtant cette jouissance du goût laisse après elle une impression inquiétante et soulève dans l’esprit un problème qui lui pèse. […] Ce dessein ne réussit pas toujours, et principalement lorsqu’on témoigne de le souhaiter, si bien que je ne laissai pas de vous trouver fort à dire.

934. (1858) Cours familier de littérature. V « XXIXe entretien. La musique de Mozart » pp. 281-360

Dieu n’a laissé ni vide, ni lacune, ni mort dans son œuvre de vie. […] Or vous saurez que le roi ne mange pas en public ; seulement tous les dimanches soir la famille royale soupe ensemble ; on ne laisse pas entrer tout le monde. […] On ne veut pas en laisser la gloire à Dieu. […] Tout cela me laisse dormir tranquillement. » Ils songent au retour. […] On se laisse entraîner on ne sait comment, et on ne sait plus comment s’en tirer.

935. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVe entretien. Alfred de Vigny (2e partie) » pp. 321-411

Elle a remis son épée au premier commissaire nommé par nous, et a laissé partir avec regret, mais avec dignité, ses princes. […] — J’y renonçai avec regret, et je préférai consciencieusement laisser courir à la France les hasards césariens, qui, de trois choses, en sauvaient deux, le sol et l’armée, et qui ne laissaient qu’une troisième chose en souffrance, la liberté intérieure. […] « Je lui donnai encore une bonne poignée de main, et je le laissai aller. […] elle a cassé ma montre, que je lui avais laissée au cou ! […] L’éducation leur laisse toujours quelque chose, à ce qu’il paraît, car je ne l’ai jamais vue oublier de se cacher comme une religieuse

936. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Figurines »

Virgile mit trente ans à composer les douze mille vers qu’il nous a laissés. […] Ce qui me touche, c’est que la consommation de ce sacrifice inouï laissa en lui des faiblesses. […] Et ainsi l’on craint que, la justesse surprenante des images emportant pour lui la vérité du fond, ce positiviste si défiant ne se soit laissé quelquefois tromper par les mots. […] Il pressent que les méthodes futures laisseront peu de place au déploiement des qualités par lesquelles surtout il vaut, et que la guerre à venir ne sera plus sa guerre. […] Les a-t-il laissé percer devant des reporters ?

937. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 13, qu’il est probable que les causes physiques ont aussi leur part aux progrès surprenans des arts et des lettres » pp. 145-236

C’est ainsi qu’un champ qu’on laisse en friche auprès d’une forêt, se seme de lui-même, et devient bien-tôt un taillis, quand son terroir est propre à porter des arbres. […] Les peintres qui s’établirent alors en France y moururent sans éleves, du moins qui fussent dignes d’eux, ainsi que ces animaux qu’on transporte sous un climat trop different du leur, meurent sans laisser race. […] Les lettres et les arts étoient déja tombez en décadence, ils avoient déja dégeneré, quoiqu’on ne laissât pas de les cultiver avec soin, quand ces nations, le fleau du genre humain, quitterent les neiges de leur patrie. […] Stace, qui vivoit sous Domitien, ne laissa point de successeurs. […] Ceux là mêmes qui ne connoissent pas le mérite des statuës, des vases et des autres curiositez ne laissoient pas dans l’occasion de les emporter à Rome où ils voïoient qu’on en faisoit tant de cas.

938. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mademoiselle Aïssé »

Lorsqu’elle parle de l’ambassadeur défunt, elle le fait en des termes d’affection qui n’impliquent aucun ressentiment, tel qu’un pareil acte aurait dû lui en laisser. […] Tout est premier mouvement en lui : il se laisse aller à l’impression que lui font les sujets qu’il traite. […] Il faut laisser aux hommes et aux magiciens les gestes violents et hors de mesure ; une jeune princesse doit être plus modeste. […] Laissez-moi, par politique, quelque air de raison et de liberté. […] Laissez au monde l’exemple d’une personne qui sait aimer avec fidélité et se faire toujours aimer sans aucun art, mais peut-être plus aimable que qui que ce soit.

939. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. de Rémusat (passé et présent, mélanges) »

Sous ce régime d’une instruction forte qui laissait subsister l’élan naturel, il se développait sans contrainte ; tout en acquérant un solide fonds d’études, son esprit se tenait au-dessus et s’émancipait. […] de Rémusat n’avait pas tout à fait laissé la littérature. […] L’auteur ne se laissa pourtant pas entraîner à la tentation de les livrer au grand jour. […] Mais je m’aperçois que, si je n’y prends garde, je me laisse aller à parler de ce qui n’est point connu du public. […] Au reste, il aura beau se soustraire par portions et vouloir se dérober, il est de ceux qui laisseront plus de trace qu’ils ne se l’imaginent et que les contemporains eux-mêmes ne le pensent.

940. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIIe entretien. Balzac et ses œuvres (3e partie) » pp. 433-527

Peut-être l’insouciante générosité que mit à se laisser attraper le père Goriot, qui vers cette époque était respectueusement nommé M.  […] Pendant sa première année de séjour à Paris, le peu de travail que veulent les premiers grades à prendre dans la Faculté l’avait laissé libre de goûter les délices visibles du Paris matériel. […] Rastignac s’en laisse aimer. […] À l’âge de douze ans, au collège, je la contemplais encore en éprouvant d’indicibles délices, tant les impressions reçues au matin de la vie laissent de profondes traces au cœur. […] Non, dans les noires dispositions où me mettait le malheur, j’aurais plié le genou, j’aurais baisé ses brodequins, j’y aurais laissé quelques larmes, et je serais allé me jeter dans l’Indre.

941. (1884) L’art de la mise en scène. Essai d’esthétique théâtrale

L’art dramatique est donc sur une pente toujours dangereuse, sur laquelle il lui est malheureusement trop facile de se laisser glisser. […] Tout le travail d’approximation que serait tenté de faire l’auteur laisserait le public froid et incrédule. […] Une tragédie domestique l’attend au seuil de son palais ; et l’inceste se dresse devant lui, sans lui laisser le temps de la réflexion. […] Sans doute j’ai laissé beaucoup à dire et je suis loin d’avoir épuisé une matière qui est de sa nature inépuisable. […] Enfin, les nuages, en fuyant, laisseraient voir dans toute sa pureté un ciel profond et étoilé, au milieu duquel brillerait le disque lunaire.

942. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIIe entretien. Littérature cosmopolite. Les voyageurs »

On s’est contenté de lui donner une éducation qui lui laissât une forte teinture des coutumes et des mœurs des Turcs. […] Le 27, avant le jour, le préfet des théatins nous laissa pour aller à sa maison tâcher d’emporter un peu de vaisselle et de provisions qui y étaient restées. […] On peut croire l’épouvante que je pris à cette nouvelle, ayant laissé plus de sept mille pistoles enterrées en cette église. […] Je n’y avais laissé embarquer tant de gens qu’afin de me pouvoir défendre des corsaires qui couraient la côte. […] Voici comment: Deux hommes tiennent la bête féroce par la laisse, à l’endroit du cou.

943. (1845) Simples lettres sur l’art dramatique pp. 3-132

À minuit, je me présente au théâtre ; le concierge prend connaissance de mon billet de répétition et me laisse entrer. […] Cavé avait avoué qu’il m’avait raconté cette anecdote, qu’il a racontée non seulement à moi mais à dix autres personnes que je puis nommer au besoin, il ne pouvait laisser dix minutes M.  […] Buloz, contre toute probabilité, pouvait donc ne pas s’attendre à ce qui lui arrive, et il fallait lui laisser le temps de se remettre. Il fallait lui laisser le temps d’aller demander des lettres, d’aller mendier des démentis, de faire un appel de confrère à la presse pour voir quelle sympathie il y rencontrerait. […] Buloz, dans la Revue de Paris, annonce, sans pouvoir y croire cependant, que je bornerai désormais ma fabrication littéraire à 18 volumes par an, ce qui laisse à entendre que j’en fais d’ordinaire beaucoup plus.

944. (1763) Salon de 1763 « Sculptures et gravures — Falconet » pp. 250-251

Ne vaudrait-il pas mieux sacrifier tout d’un coup… Mais laissons cela. […] Je laisse la statue telle qu’elle est, excepté que je demande de droite à gauche, son action exactement la même qu’elle est de gauche à droite.

945. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XVIII »

C’est volontairement que j’ai poussé l’indifférence jusqu’à laisser sans réponse les pires réfutations. […] Il était essentiel pour moi de ne pas laisser croire à mes lecteurs que je me trouvais à court de raisons.

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