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303. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — I » pp. 139-158

La vie de ce poète original, à la fois grave et charmant, est des plus singulières, toute simple au-dehors et semée au-dedans d’écueils et de précipices ; il est arrivé à composer ses œuvres si morales et si attachantes par un chemin très détourné, très éloigné des voies communes, et qu’il n’eût conseillé à personne. […] Il a décrit dans une lettre à une parente la manière dont ses journées étaient ordonnées dans les premiers temps de cette réunion, et comment la vie s’y passait en commun presque ainsi que dans un couvent : le déjeuner entre huit et neuf heures ; de là, jusqu’à onze, lecture de l’Écriture ou de quelque sermon ; à onze heures, le service divin, qui se faisait deux fois chaque jour. […] Quant à la soirée, elle se passait, avant et après le souper, comme la matinée avait commencé, dans des conversations sérieuses, des lectures, et elle se terminait par une prière en commun. […] Me faisant aussitôt charpentier, je leur construisis une maisonnette ; chacun y avait une loge séparée, disposée de façon à y maintenir une exacte propreté… Pendant le jour, ils avaient la jouissance d’une salle commune, et, à la nuit, chacun se retirait dans son lit et sans jamais prendre celui d’un autre.

304. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite et fin.) »

Il a fallu un curieux investigateur des titres de la Commune et de la municipalité d’Auteuil, où il habite, un des ces chercheurs qui fouillent tout sans ennui et sans impatience, pour découvrir peu à peu les dernières traces de cette brillante et divine comtesse. […] A la date du 16 mai 1792, on lit dans les Archives municipales de la Commune : « Mme de Boufflers, absente depuis le commencement de la Révolution, est arrivée d’Angleterre, à la fin d’avril (le 27). […] Au milieu de ces rigueurs forcées, on a pour elles des égards ; elles sont aimées dans la Commune ; un de leurs anciens fermiers ou régisseurs, le citoyen Caillot, est commandant de la garde nationale du lieu ; il agit immédiatement en leur faveur : « An II, 5 pluviôse (24 janvier 1794). — Délivrance au cit. […] encore pour son esprit jusque sous les premières neiges de la vieillesse, tout d’un coup, on ne sait plus et qu’elle devient, elle disparaît dans le gouffre commun, elle ne surnage pas un instant, ou, si elle surnage, personne ne fait, plus attention à sa présence ou à son absence ; elle va échouer où elle peut et sans qu’on le remarque ; elle n’est une perte et un regret pour personne ; elle n’obtient pas la moindre mention funéraire de la part d’une société bouleversée ou renouvelée, qui toute à ses soucis, à ses craintes, à ses espérances ou à ses ambitions renaissantes, n’a que faire des anciennes idoles, et qui, après avoir renversé coup sur coup avec tous ses temples ses anciens dieux, et les plus grands, n’a plus même un regard de reste pour les demi-déesses d’hier !

305. (1894) Propos de littérature « Chapitre II » pp. 23-49

La Philosophie étudie les conditions de l’être ; elle scrute sans répit le rapport du sujet à l’objet et tâche à trouver la raison de ce rapport, le générateur et la commune mesure de ses deux termes. […] Cependant les formes y sont au moins virtuellement réunies par une idée commune, ce qu’on ne pourrait dire de la plupart des volumes de vers publiés tous les jours. […] Elle est commune, je crois, à tous ceux pour qui l’idée ne surgit pas avec sa forme visible, à ceux qui se préoccupent du sentiment humain avant qu’ils ne l’expriment et qui écriraient alors des allégories s’ils le voulaient traduire objectivement par une métaphore ; mais elle produit, chez d’autres, des effets moins heureux. D’habitude elle naît d’un manque d’imaginative et est le défaut commun des littérateurs moins artistes que poètes.

306. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VIII. La question de gout ce qui reste en dehors de la science » pp. 84-103

Les passe-droits de ce genre ont été si communs qu’il serait banal d’y insister. […] A-t-il découvert des vérités inaperçues du commun des mortels ? […] Ainsi encore un poème mystique ou un conte fantastique, s’il déroule un chapelet d’aventures extravagantes que ne rattache aucun lien logique ; s’il nous montre des êtres avec lesquels nous ne pouvons pas sympathiser, parce qu’ils n’ont plus rien de commun avec nous ; si, au lieu d’être un prolongement ou une transfiguration du réel, il se met en pleine contradiction avec lui, ce n’est plus qu’une chevauchée dans l’absurde et dans l’impossible, la folle aberration d’un cerveau malade. « Je veux qu’un conte, disait Voltaire avec raison34, soit fondé sur la vraisemblance et qu’il ne ressemble pas toujours à un rêve. […] De là, pour le juge, le droit de condamner comme inférieurs, en vertu de motifs opposés, le banal et l’obscur, le commun et l’alambiqué.

307. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — II. (Suite et fin.) » pp. 341-361

Dans cette formation du parti libéral où il entrait alors tant d’éléments divers, Courier reste ce qu’il était de tout temps, le plus antibonapartiste possible, ennemi des grands gouvernants, se faisant l’avocat du paysan, l’homme de la commune, prêchant l’économie, parlant contre la manie des places, voulant de gouvernement le moins possible, faisant des sorties contre la Cour et les gens de cour toutes les fois qu’il y a lieu, méconnaissant ce qu’il y a eu de grand, d’utile, de nécessaire dans l’établissement des Louis XIV, des Richelieu, des grands directeurs de nations, disant en propres termes, pour son dernier mot et son idéal : « La nation enfin ferait marcher le gouvernement comme un cocher qu’on paie, et qui doit nous mener, non où il veut, ni comme il veut, mais où nous prétendons aller, et par le chemin qui nous convient » ; disant encore, et cette fois plus sensément : Il y a chez nous une classe moins élevée (que les courtisans), quoique mieux élevée, qui ne meurt pour personne, et qui, sans dévouement, fait tout ce qui se fait ; bâtit, cultive, fabrique autant qu’il est permis ; lit, médite, calcule, invente, perfectionne les arts, sait tout ce qu’on sait à présent, et sait aussi se battre, si se battre est une science. […] Lui, il indique en plus d’un endroit son idéal, son prince favori qu’il discerne déjà et qu’il désigne pour ses qualités honnêtes, bourgeoises, non courtisanesques, pour son économie surtout, et qui n’est autre que le duc d’Orléans d’alors (Louis-Philippe) : « Je voudrais qu’il fût maire de la commune ; j’entends s’il se pouvait (hypothèse toute pure) sans déplacer personne ; je hais les destitutions. » Il le signale en toute rencontre pour le prince de son choix, et à tel point que, s’il avait vécu, il eût été bien embarrassé ensuite pour faire autre chose que de battre des mains, tant il s’était lié à l’avance par ses éloges. […] Le Simple discours de Paul-Louis, vigneron de La Chavonnière, aux membres du conseil de la commune de Véretz, à l’occasion d’une souscription proposée par S.  […] Ce ne fut qu’au mois de juin 1830 que le mystère cessa, et qu’il dut être clair pour tous que cette mort n’était point un coup de parti ni une vengeance politique, mais quelque chose de plus simple et de plus commun, le guet-apens et le complot de domestiques grossiers, irrités et cupides, voulant en finir avec un maître dur et de caractère difficile.

308. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Émile Zola » pp. 70-104

Quand il lui faut décrire un objet ou un ensemble, noter un dialogue, exprimer une idée, il ne tente pas de choisir, entre les termes exacts possibles, ceux doués de qualités communes indépendantes de leur sens, la sonorité et la splendeur comme chez Flaubert, le mouvement et la grâce comme chez les de Goncourt, la rudesse cladélienne ou la noblesse et le mystère de M.  […] La Mme Lerat, de L’Assommoir, le sous-préfet de Poizat, le louche et gai bohème Gilquin, Lantier pâle, lent et ravageur, le marquis de Chouard, Trublot, sont tous admirablement saisis et jetés dans la vie commune, parlent et agissent avec des façons, des physionomies uniques. […] Zola de voir et de rendre entièrement toute la nature : son individualité qui, dans l’ensemble totale des faits pyschologiques et matériels, l’a porté à en préférer une série douée d’un caractère commun, à modifier certains rapports, à dénaturer certains aspects, à donner de tout ce qu’il décrit une image notablement altérée dans le sens de ses sympathies, c’est-à-dire de sa nature d’esprit. […] Cette association intime de tendances diverses porte à leur attribuer une cause commune, et peut-être une seule hypothèse sur le mécanisme intellectuel de M. 

309. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « [Addenda] »

Feuillet de Conches a en commun avec l’autre Recueil, sans préjudice des lettres voisines qui rentrent dans le même ton, sont mensongères et apocryphes, et qu’elles ont été assez ingénieusement rédigées par un sophiste ou rhéteur habile : je dis rhéteur, parce que dans l’Antiquité ces sortes de supercheries étaient fréquentes et qu’elles constituaient même un genre de littérature épistolaire qui n’est pas tout à fait méprisable. […] Feuillet, qui a tant de pièces en commun avec celui de M. d’Hunolstein, ne les donnait pas toutes.

310. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre III. De la tendresse filiale, paternelle et conjugale. »

Une très grande simplicité dans le caractère de vos parents, ou une supériorité si marquée, que leurs enfants soient heureux d’entretenir avec eux plutôt un culte qu’une liaison, peuvent détruire ces observations, mais c’est aux situations les plus communes qu’elles s’appliquent. […] Il est heureux, dans la route de la vie, d’avoir inventé des circonstances qui, sans le secours même du sentiment, confondent deux égoïsmes au lieu de les opposer ; il est heureux d’avoir commencé l’association d’assez bonne heure pour que les souvenirs de la jeunesse aidassent à supporter, l’un avec l’autre, la mort qui commence à la moitié de la vie ; mais indépendamment de ce qu’il est si aisé de concevoir sur la difficulté de se convenir, la multiplicité des rapports de tout genre qui dérivent des intérêts communs, offre mille occasions de se blesser, qui ne naissent pas du sentiment, mais finissent par l’altérer.

311. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « L’exposition Bodinier »

Et pas un trait de commun entre ces deux Clairon ! […] Maubant (nº 304), couronnée de plus de lauriers qu’il n’en faut pour la cuisine d’une famille pendant toute une année, et de lauriers attachés par un ruban rose aussi large que les rubans de nourrice ; il est évident que cette tête d’un homme qui joue l’empereur Auguste et que transfigure une si noble tâche, n’a presque plus rien de commun avec M. 

312. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Guy de Maupassant »

Cette santé devint sa marque dans l’opinion commune. […] Rien de commun entre cette sensualité et celle de M. 

313. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — K — Kahn, Gustave (1859-1936) »

Charles Maurras Précieux et commun tout ensemble, M.  […] Ils ne font point de chœur ni de danse commune.

314. (1890) L’avenir de la science « XIV »

Il ne faut pas espérer que le savant puisse sortir de la condition commune et se passer du pain matériel. […] De nos jours, le penseur et le savant vivent de l’enseignement, emploi social qui n’a presque rien de commun avec la science.

315. (1767) Salon de 1767 « De la manière » pp. 336-339

Depuis la perte de notre ami commun, mon âme a beau s’agiter, elle reste enveloppée de ténèbres, au milieu desquelles une longue suite de scènes douloureuses se renouvellent. […] La manière est un vice commun à tous les beaux-arts.

316. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 33, de la poësie du stile dans laquelle les mots sont regardez en tant que les signes de nos idées, que c’est la poësie du stile qui fait la destinée des poëmes » pp. 275-287

Dire simplement qu’il n’y a pas un grand merite à se faire aimer d’un homme qui devient amoureux facilement ; mais qu’il est beau de se faire aimer par un homme qui ne témoigna jamais de disposition à l’amour, ce seroit dire une verité commune et qui ne s’attireroit pas beaucoup d’attention. […] Ce défaut leur est commun.

317. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 1, du génie en general » pp. 1-13

Les esprits les plus communs, sont capables d’être des peintres et des poëtes médiocres. […] Il semble même que la providence n’ait voulu rendre certains talens et certaines inclinations plus communes parmi un certain peuple que parmi d’autres peuples, qu’afin de mettre entre les nations la dépendance réciproque qu’elle a pris tant de soin d’établir entre les particuliers.

318. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIe entretien. Suite de la littérature diplomatique » pp. 5-79

Les alliances se fondent sur un intérêt commun. […] Ce sont de ces traités auxquels les cabinets ne peuvent rien : ils sont contraints, ils sont écrits par la nature ; ils sont contresignés par la vie et par la mort des nations qui les contractent pour le salut commun. […] Ce vice est commun à tous les gouvernements orientaux ; on peut même dire qu’il est endémique en Orient, ce vice de mauvaise administration ; il tient aux lieux, aux climats, à la configuration des terres, aux montagnes, aux distances, aux déserts. […] L’inviolabilité des régimes intérieurs des peuples chez eux est le droit commun : le droit des peuples, le droit des républiques, le droit des théocraties, je dirai plus, le droit du destin. […] Tous ces intérêts sont communs aux deux cabinets de Paris et de Vienne.

319. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre deuxième »

Elle doute de ce qui fait la certitude pour le commun des hommes, et ce fondement où nous nous reposons ne lui est qu’un sable mouvant. […] Il est remarquable que nous ne séparons pas l’idée du naturel de l’idée de raison ; car qui en a jamais vu donner la louange à une personne commune ou à une personne extravagante ? […] C’est donc l’homme, dans ce qui lui est commun avec tous les autres hommes, avec Pascal tout le premier, dans ce qui est conforme à la nature immuable et universelle, la raison. […] L’usage d’une langue étant de rendre universelle la communication des idées, et les hommes ne communiquant point entre eux par leurs différences, mais par leurs ressemblances, dont la principale est la raison, une langue est arrivée à sa perfection quand elle est conforme à ce que nous avons de commun, la raison. […] Je reconnais là pour la première fois le goût, ce sentiment de la langue de chaque sujet, commun aux écrivains du dix-septième siècle, Descartes en tête, lesquels n’étonnent guère moins par ce qu’ils rejettent de leurs discours que par ce qu’ils y reçoivent.

320. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre troisième »

Le seigneur Abus, personnage commun à quelques-unes de ces pièces, n’était rien moins que le roi, ou l’Eglise, ou les seigneurs et tout ce qui était privilège. […] Le caractère commun de ces pièces est le même que j’ai remarqué dans tous les ouvrages d’esprit de cette période. […] Si la tragédie est la représentation d’une action importante où figurent des personnages illustres, animés de passions dont la lutte doit produire un événement funeste ; si la comédie est une action où le contraste des caractères et des mœurs, chez des gens de condition privée, produit le ridicule, ou seulement des images frappantes de la vie commune ; s’il n’y a ni tragédie ni comédie sans la convenance suprême d’une langue durable, on ne peut contester à Corneille l’invention du poème dramatique. […] Une certaine grandeur, également éloignée d’un héroïsme impossible et d’une vertu ordinaire, est le trait commun aux principaux personnages de Corneille. […] Pour ceux qu’il a tirés de son imagination, et qui sont comme les frères de ceux que lui fournissait l’histoire, leurs actions, si au-dessus qu’elles soient des actions communes, nous paraissent pourtant vraisemblables, grâce à la faculté que Dieu nous a donnée d’être meilleurs dans le jugement que dans la conduite, et de nous reconnaître même dans les vertus dont nous sommes incapables.

321. (1774) Correspondance générale

Diderot, qui nous est commune à tous deux. […] À combien peut s’évaluer le produit annuel du chanvre et du lin, année commune ? […] Quelle est la quantité de chevaux tirés de l’étranger, année commune ? […] Quelle quantité d’huile tirée de l’étranger, année commune ? […] À combien s’évalue l’exportation du poisson et du caviar, année commune ?

322. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Frochot, Préfet de la Seine, histoire administrative, par M. Louis Passy. »

Le comte Frochot n’avait de commun avec M.  […] Accompagnée de ses deux enfants, la généreuse épouse va de commune en commune soulever la pitié et la justice publiques pour un homme aimé et honoré de tout le pays.

323. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre III. Des idées générales et de la substitution à plusieurs degrés » pp. 55-71

I Il y a des choses dont nous ne pouvons avoir expérience ; or, puisque ce sont les expériences qui, par leur caractère commun, éveillent en nous une tendance distincte et ce nom que nous appelons une idée, il semble que nous ne devons jamais avoir une idée de ces choses-là. […] Si nous cherchons son sens, nous ne trouvons qu’un nom, celui du chiffre inférieur auquel on ajoute l’unité ; la même chose arrive à celui-ci, et ainsi de suite ; c’est seulement à la fin de ce long retour en arrière, qu’ayant descendu trente, cinquante, cent, mille, dix mille marches, nous touchons de nouveau notre expérience. — Et cependant ce nom remplace une expérience, une autre expérience que nous n’avons pas faite, que nous ne pouvons pas faire, qui est au-dessus de l’homme, mais qui en soi est possible, et qu’un esprit plus compréhensif pourrait faire. 36 désigne la qualité commune à tous les groupes de trente-six individus, qualité qui, présente devant nous, n’excite point en nous de tendance précise, et qu’un esprit capable de maintenir ensemble devant soi trente-six objets ou faits à l’état distinct pourrait seul éprouver. — Par cet artifice, nous atteignons au même effet qu’une créature douée d’une mémoire et d’une imagination indéfiniment plus nettes et plus vastes que les nôtres. […] Ce ne sont pas les nombres, sauf les trois ou quatre premiers, que nous pensons, mais leurs équivalents, à savoir le nom du nombre précédent joint à l’unité ; ce ne sont pas les objets infinis, ni les objets idéaux que nous pensons, mais les caractères abstraits qui sont leurs générateurs ; ce ne sont pas les caractères abstraits que nous pensons, mais les noms communs qui leur correspondent.

324. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre II. La critique »

Dans l’identité de la doctrine janséniste, Sainte-Beuve suit l’irréductible distinction des tempéraments, marque les formes et les valeurs très diverses qu’ils ont imprimées aux communes idées : au bout du livre, on a moins retenu l’évolution du jansénisme que des physionomies de jansénistes. […] Taine définit la presque constante position de la poésie en face de la réalité, depuis trente ou quarante ans : l’universel écoulement, l’universelle illusion, n’est-ce pas là le thème commun ? […] Il note très finement les caractères généraux que la race, le milieu, le moment déterminent ; il explique la nette opposition de l’art flamand et de l’art hollandais ; il voit dans chaque groupe les éléments communs, ce qui rapproche, par exemple, Paul Potter, Ruysdael et Rembrandt.

325. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « III. Quelques mots sur l’explication de textes »

Il y a, dans tous les ouvrages de littérature, même dans la poésie, un sens permanent et commun, que tous les lecteurs doivent être capables d’atteindre et qu’ils doivent d’abord se proposer d’atteindre3. […] Encore resterait-il qu’on pourrait faire le recueil et le classement des impressions subjectives, et peut-être s’en dégagerait-il un élément permanent et commun d’interprétation, qui pourrait s’expliquer par une propriété réelle de l’ouvrage, déterminant à peu près constamment une modification à peu près identique des esprits. […] Ce sens permanent et commun, quand il s’agira des textes fameux que toutes les générations des critiques et des lecteurs ont maniés, pourra faire l’effet d’être un peu gros et banal : il sera pourtant bon de ne pas dédaigner d’y revenir, et d’y rattacher toutes les variations nuancées dont les diverses époques et les esprits l’ont enrichi.

326. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre V. L’antinomie esthétique » pp. 109-129

Le chant en commun, le choral, voilà la cause du rythme. […] Pourquoi en effet respecterions-nous ce pacte, s’il est l’œuvre de gens avec lesquels nous n’avons rien de commun ? […] Ici, comme l’indique le nom même de l’art (Kunst), ce qui compte, c’est le pouvoir. » La bonne volonté, la volonté morale, c’est la volonté se conformant à la loi, à la discipline commune.

327. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XV. Commencement de la légende de Jésus  Idée qu’il a lui-même de son rôle surnaturel. »

Le souvenir de David, qui préoccupait la masse des Juifs, n’avait rien de commun avec son règne céleste. […] La doctrine du Verbe, en effet, n’avait rien de commun avec le messianisme. […] Pour les messianistes de l’école millénaire, pour les lecteurs acharnés des livres de Daniel et d’Hénoch, il était le Fils de l’homme ; pour les juifs de la croyance commune, pour les lecteurs d’Isaïe et de Michée, il était le Fils de David ; pour les affiliés, il était le Fils de Dieu, ou simplement le Fils.

328. (1936) Réflexions sur la littérature « 1. Une thèse sur le symbolisme » pp. 7-17

Je sais bien qu’il n’avait rien de commun avec le Choulette du Lys rouge, qu’il cachait certaines parties de finesse et de clairvoyance ; mais puis-je prendre au sérieux une “esthétique” que M.  […] On peut goûter le vers libre déjà réalisé et avec foi dans son avenir ; mais ce goût ne se transmet encore que difficilement à l’oreille commune, et j’avoue que l’on manque de raisons convaincantes pour légitimer cette foi, qui est la mienne. […] Le théâtre est le genre commun, la plate-forme populaire où se fait connaître une école poétique.

329. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre III. La Révolution. »

Quatre ou cinq de la chambre des communes vont à la messe ou au sermon de la chambre… Si quelqu’un parle de religion, tout le monde se met à rire. […] Il y a une foi commune sous toutes ces différences de sectes ; quelle que soit la forme du protestantisme, son objet et son effet sont la culture du sens moral ; c’est par là qu’il est ici populaire ; principes et dogmes, tout l’approprie aux instincts de la nation. […] Ma terre, mon bien, mon droit garanti par ma charte, quel qu’il soit, suranné, indirect, inutile, privé, public, personne n’y touchera, ni roi, ni lords, ni communes ; il s’agit d’un écu, je le défendrai comme un million : c’est ma personne qu’on entame. […] Lorsque Pitt remplit pour la première fois la chambre des communes de sa voix vibrante, il avait déjà son indomptable audace. […] Ne le lisez que par grandes masses ; ce n’est qu’ainsi qu’il est grand : autrement l’outré, le commun, le bizarre vous arrêteront et vous choqueront ; mais si vous vous livrez à lui, vous serez emporté et entraîné.

330. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Deuxième partie. — L’école critique » pp. 187-250

Nous pouvons établir une hiérarchie entre les diverses imitations d’un même modèle, parce que nous avons une commune mesure pour les comparer ; mais nous ne pouvons point établir de hiérarchie entre deux modèles, parce nous n’imaginons pas d’exemplaire idéal supérieur à l’un et à l’autre. […] Il est contradictoire de poser comme terme d’une comparaison, une idée aussi indéterminée dans l’esprit du commun des hommes, que celle de la beauté. […] En effet, un certain nombre d’œuvres à la fois semblables et diverses sont comprises sous la dénomination commune de comédies. Il faut donc que, sous la diversité des formes particulières, toutes ces œuvres aient une essence commune, et, pour dégager ce caractère général qui doit constituer le fond de chacune d’elles, l’analyse et l’abstraction sont suffisantes. […] Car, voici : cette essence commune, ce caractère général qui constitue le fond de toute œuvre comique, ne vaut pas le quart de la peine que se donnent, pour l’extraire, les abstracteurs de quintessence ; ce qu’il y a de plus insignifiant dans chaque comédie, c’est précisément l’unité du genre ; la diversité particulière des espèces et des formes est seule intéressante.

331. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre onzième »

Pour l’amitié, il crut la figurer dans deux caractères de jeunes femmes s’aimant d’une tendresse passionnée, ce qui n’est pas commun, mais aimant le même homme, l’une en amante, et l’autre plus qu’en amie, ce qui est d’utopie. […] Se croire malade est une ignorance de soi-même fort commune. […] Là où les utopistes se multiplient et s’accréditent, tenez pour certain que le niveau de l’honnêteté commune s’est abaissé. […] Rien n’est plus commun d’entendre dire de tel ou tel homme : Il est dans le monde ce qu’il était au collège, homme ce qu’il était enfant. […] On est gêné avec son livre, comme avec ces fâcheux qui vous accablent de tout ce qu’ils n’ont pas de commun avec vous.

332. (1888) Études sur le XIXe siècle

Mais, avec la lutte, finit aussi la vie commune des préraphaélites, qui désormais se développeront chacun dans son sens particulier. […] Rossetti a ce trait commun avec les grands peintres de la Renaissance italienne, qu’il s’attache plus à la peinture de l’homme qu’à celle de la nature. […] C’est une commune admiration pour Keats qui met pour la première fois en rapport Hunt et Rossetti. […] Après tout, quelque grand qu’il soit, quelques honneurs que la reconnaissance publique ait cru devoir lui décerner, il ne saurait échapper à la commune mesure. […] Les ordonnances se dévouent corps et âme à leurs officiers, qui se dévouent à leurs ordonnances et adoptent en commun des enfants égarés.

333. (1895) Nouveaux essais sur la littérature contemporaine

Le poète rentre alors sous la loi commune. […] On n’est pas insensible pour n’avoir voulu prêter sa voix qu’à la douleur ou à l’angoisse communes, au lieu de consacrer son génie à l’élégie de sa propre souffrance. […] La philosophie, c’est ce qui fait l’objet commun des philosophies d’Aristote et de Platon, de Descartes et de Spinoza, de Kant et d’Hegel ; et si cet objet commun est démontré chimérique ou inaccessible, ce ne sont pas seulement les « philosophies » qui croulent, c’est la « philosophie » même, en même temps qu’elles, puisqu’elle n’est qu’elles. […] — sa formation est la récompense de douze ou quinze siècles d’efforts communs vers l’unité. […] Elle lui est, d’ailleurs, commune encore avec plus d’un de nos Français, parmi lesquels nous citerons M. 

334. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Étienne de La Boétie. L’ami de Montaigne. » pp. 140-161

Comme amateur des vieux livres, on peut souffrir de cette divulgation des choses rares ; comme partie du public et comme lecteur du commun, on ne saurait s’en plaindre. […] Mais à d’autres arbres la même greffe réussit aussitôt par un secret accord de nature ; en un rien de temps les bourgeons se gonflent et s’unissent, et les deux ensemble s’entendent à produire à frais communs le même fruit… Il en est ainsi des âmes : il en est telles, une fois unies, que rien ne saurait disjoindre ; il en est d’autres qu’aucun art ne saurait unir. […] En lisant cet admirable chapitre de Montaigne sur l’amitié, je le trouve incomplet sur un point : il semble exclure les femmes de ce sentiment excellent ; il ne les estime point d’assez forte complexion d’esprit pour suffire à cette communication et consultation perpétuelle sur tout sujet : « Ni leur âme, dit-il, ne semble assez ferme pour soutenir l’étreinte d’un nœud si pressé et si durable. » Et il revient au commun consentement des anciennes écoles par lequelf, en fait d’amitié parfaite, ce sexe était rejeté. […] Et il en revient au commun consentement des anciennes écoles par lequel

335. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier. »

Je ne puis cependant m’empêcher, dans ce personnage de d’Albert qui est son René à lui, de noter ce touchant passage de la confession à son ami d’enfance Silvio, lorsque, déplorant la forme de corruption précoce et profondément tranquille, qui lui est survenue et qui lui est propre, il lui rappelle avec une sorte de vivacité attendrie le court éclair de leur pure et commune adolescence : « Te souviens-tu de cette petite île plantée de peupliers, à cet endroit où la rivière forme un bras ? […] Il a décrit, en tête d’un article sur Marilhat50, l’une des scènes de cette vie d’artiste qu’il menait en commun avec Camille Rogier, Gérard de Nerval et Arsène Houssaye, ses proches voisins, et où venaient prendre journellement leur part Bouchardy, Célestin Nanteuil, Jean ou Jehan Duseigneur ; Petrus Borel le Lycanthrope ; Dondey qui, par anagramme, se faisait appeler O’Necldy, à l’irlandaise, et qui lançait un volume de vers intitulé : Feu et Flamme ; Auguste Maquet qu’on appelait, lui, Augustus Mac-Keat, à l’écossaise. […] Dans l’un et dans l’autre groupe, un trait qu’ils ont en commun, c’est l’absence de toute passion politique. […] Ami, vous avez beau, dans votre austérité, N’estimer chaque objet que par l’utilité, Demander tout d’abord à quoi tendent les choses Et les analyser dans leurs fins et leurs causes ; Vous avez beau vouloir vers ce pôle commun, Comme l’aiguille au nord, faire tourner chacun ; Il est dans la nature, il est de belles choses, Des rossignols oisifs, de paresseuses roses, Des poètes rêveurs et des musiciens Qui s’inquiètent peu d’être bons citoyens, Qui vivent au hasard et n’ont d’autre maxime, Sinon que tout est bien, pourvu qu’on ait la rime, Et que les oiseaux bleus, penchant leurs cols pensifs, Écoutent le récit de leurs amours naïfs.

336. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DE LA LITTÉRATURE INDUSTRIELLE. » pp. 444-471

Sa condition d’être commun et ouvert à tous l’a sans doute, à chaque époque, laissé en proie à tous les hasards des esprits. […] Beaucoup, en restant dans le milieu commun, exposés à cette atmosphère cholérique et embrasée, sur ce sol peu sûr, en proie à toutes les causes d’excitation et de corruption, ont été plus ou moins gâtés, et n’ont plus su ce que c’était que de l’être. […] M. de Balzac a rassemblé, dernièrement, beaucoup de ces vilenies dans un roman qui a pour titre Un Grand Homme de Province, mais en les enveloppant de son fantastique ordinaire : comme dernier trait qu’il a omis, toutes ces révélations curieuses ne l’ont pas brouillé avec les gens en question, dès que leurs intérêts sont redevenus communs. […] De nos jours le bas-fond remonte sans cesse et devient vite le niveau commun, le reste s’écoulant ou s’abaissant.

337. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (6e partie) » pp. 129-176

En le perdant la Montagne perdait son sommet. » Ôtez de là la conception des journées de septembre qui appartient au hasard ou à la commune, vous aurez le vrai Danton, un Mirabeau du peuple ! […] Longtemps avant l’heure du supplice, elle entra dans le cachot commun pour encourager ses compagnes. […] Il semble planer avec une glorieuse amnistie sur toute la scène, et justifier ainsi dans une commune auréole tous les actes et tous les acteurs. […] Non, non, une telle épitaphe pêle-mêle est un linceul jeté sur la fosse commune où l’on profane les cadavres en les confondant !

338. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Gil Blas, par Lesage. (Collection Lefèvre.) » pp. 353-375

Gil Blas est un homme de naissance très humble et commune, de toute petite bourgeoisie ; il se montre de bonne heure éveillé, gentil garçon, spirituel ; il a une éducation telle quelle, et il sort à dix-sept ans de chez lui pour faire son chemin dans le monde. […] On croit se reconnaître dans cette nature d’élite et d’exception, si élevée, mais si isolée, et que rien ne rapproche du commun des hommes. […] Les scènes de comédie sont sans nombre chez Gil Blas, et elles ne laissent pas trop le temps de s’apercevoir de ce que peuvent avoir de commun ou d’ennuyeux certains épisodes, certaines nouvelles sentimentales que l’auteur a insérées çà et là pour grossir ses volumes, et qu’il a imitées on ne sait d’où. […] Dans sa haine du solennel et du faux, il se serait rejeté plutôt du côté du vulgaire et du commun.

339. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre X. Des Livres nécessaires pour l’étude de la Langue Françoise. » pp. 270-314

On y voit les raisons de ce qui est commun à toutes les langues ; on y fait sentir les principales différences qui s’y rencontrent. […] Il fait sentir ce qui distingue les figures des pensées communes à toutes les langues, d’avec les figures de mots, qui sont particuliéres à chacune, & qu’on appelle proprement tropes. […] Les Tropes de du Marsais & les Synonymes de l’Abbé Girard, n’ont presque rien de commun avec le Dictionnaire des Synonymes françois, par le P. de Livoi, Barnabite, à Paris, chez Saillant 1767. […] L’Académie a toujours cru qu’elle devoit se restreindre à la langue commune, telle qu’on la parle dans le monde, & telle que nos Poëtes & nos Orateurs l’emploient.

340. (1759) Réflexions sur l’élocution oratoire, et sur le style en général

Tous les hommes ont le même fond de pensées communes, que l’homme ordinaire exprime sans agrément, et l’homme d’esprit avec grâce ; une grande idée n’appartient qu’aux grands génies ; les esprits médiocres ne l’ont que par emprunt ; ils montrent même, par les ornements qu’ils lui prêtent, qu’elle n’était point chez eux dans son terroir naturel, et s’y trouvait dénaturée et transplantée. […] La propriété des termes est au contraire le caractère distinctif des grands écrivains ; c’est par là que leur style est toujours au niveau de leur sujet ; c’est à cette qualité qu’on reconnaît le vrai talent d’écrire et non à l’art futile de déguiser par un vain coloris des idées communes. […] Deux raisons contribuent à ce défaut, le plus insupportable de tous aux bons esprits ; les fausses idées qu’on donne de l’éloquence dans nos collèges, en apprenant aux jeunes gens à noyer une pensée commune dans un déluge de périodes insipides ; et si l’on ose le dire, l’exemple de Cicéron, quelquefois un peu trop verbeux. […] Le point essentiel, pour bien écrire, est d’être riche en idées ; mais les idées sont rares, et la rhétorique commune.

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