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609. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 38, que les peintres du temps de Raphaël n’avoient point d’avantage sur ceux d’aujourd’hui. Des peintres de l’antiquité » pp. 351-386

Les amours s’empressoient à la servir. […] Un autre amour relevoit son voile afin que son amant la vit mieux, et par un sourire qu’il adressoit à ce prince, il le félicitoit sur les charmes de sa maîtresse. […] Une troupe d’amours en belle humeur badinoit dans un des coins du tableau avec les armes de ce prince. […] Quelques-uns de ces amours portoient la lance d’Alexandre, et ils paroissoient courbez sous un fardeau trop pesant pour eux. […] Ils y avoient fait asseoir celui d’entr’eux qui avoit fait le coup, et ils le portoient en triomphe, tandis qu’un autre amour qui s’étoit mis en embuscade dans la cuirasse d’Alexandre, les attendoit au passage pour leur faire peur.

610. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une préface abandonnée » pp. 31-76

Je suis loin de vouloir soutenir qu’on ne peut être à la fois hommes de lettre et homme d’ordre, — que les hasards de l’amour libre sont plus favorables que le mariage aux créations de l’esprit, que l’art enfin se trouve mal assis au foyer domestique et mal couché sur le lit conjugal. […] Champfleury travaille principalement, — comme tous ses confrères de la littérature, — sur le sentiment de l’amour. […] Les réalistes partagent l’âme humaine par le milieu — comme une pomme ; et jetant sournoisement sous la table le quartier, succulent, ils vous offrent le plus gentiment du monde le quartier pourri, et vous disent avec un sourire : « Voyez donc les amours de petits vers qui grouillent là-dedans !  […] Il a représenté dans toute leur vérité les amours et les luttes de la vingtième année, mais il les a chantés en même temps. […] Et je le trouve fort conséquent, quoi qu’on dise, d’aimer d’un amour égal Ingres et Delacroix : l’homme de style explique parfaitement le critique d’art.

611. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Brizeux. Œuvres Complètes »

C’était la plainte interrompue, reprise et répétée, d’un homme au premier amour de sa vie, et qui n’avait pas su se faire aimer. […] et où tout est solide et profond, jusqu’à l’amour qu’on a pour elle. […] Mais cet amour de la Bretagne, qui a donné un goût de terroir à ses meilleurs vers, ne fut point en lui la passion qui, à force d’intensité, monte quelquefois jusqu’au génie. Nous l’avons dit au commencement de ce chapitre, malgré l’amour vrai de son pays, dont il eut encore plus pourtant la coquetterie que l’amour, Brizeux, le Breton, n’a pas été assez Breton. […] celui d’une fleur des landes jusque-là irrespirée et celui de l’adolescence sur une joue que le premier amour venait de mouiller de sa première larme.

612. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre sixième »

C’est le détail de tous ces Amours, que Sarrazin, dans une pièce coquette, fait assister, sous la forme de personnages, aux funérailles de Voiture. On y voyait, dit-il, Les Amours d’obligation, Les Amours d’inclination, Quantité d’Amours idolâtres, Une troupe d’Amours folâtres, Force Cupidons insensés, Des Cupidons intéressés, De petits Amours à fleurettes, D’autres petites Amourettes, Mêmement de vieilles Amours, Qui ne laissent pas d’avoir cours, En dépit des Amours nouvelles. … Et, bref, tant d’Amours qu’à vrai dire On ne pourroit pas les décrire. […] Ses dissertations sur l’amour étaient le grand attrait des festins magnifiques qui se donnaient alors à Paris, et dont il était le convive le plus recherché. […] La Fontaine y fait allusion dans le début des Amours de Psyché.

613. (1902) Les poètes et leur poète. L’Ermitage pp. 81-146

Il y a des soirs où je vais à leur rencontre lyrique comme à un rendez-vous d’amour. […] En poésie, il en va autrement qu’en amour ; on n’a pas le droit d’être exclusif. […] En chacun de ses vers frémissent à la fois la pitié, la souffrance et l’amour, cette éternelle trinité de toute poésie. […] Il n’a pour diriger ses amours vers son Pressentiment que la certitude passagère de ses émotions. […] De Musset, la viole d’amour.

614. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre III. Paradis perdu. »

Adam s’endort : Dieu tire du sein même de notre premier père une nouvelle créature, et la lui présente à son réveil : « La grâce est dans sa démarche, le ciel dans ses yeux, et la dignité et l’amour dans tous ses mouvements. […] Le combat n’est pas long : tout un monde est sacrifié à l’amour. […] Cette mère qui, seule de toutes les Troyennes, a voulu suivre les destinées d’un fils ; ces habits devenus inutiles, dont elle occupait son amour maternel, son exil, sa vieillesse et sa solitude, au moment même où l’on promenait la tête du jeune homme sous les remparts du camp, ce femineo ululatu , sont des choses qui n’appartiennent qu’à l’âme de Virgile. […] Il est certain que l’amour des lecteurs se porte sur les Troyens, contre l’intention du poète, parce que les scènes dramatiques se passent toutes dans les murs d’Ilion.

615. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paul Meurice » pp. 231-241

Voilà que dès les premières pages de son roman Paul Meurice, asservi aux folles idées de sa préface, nous peint son immense Césara, son « Chevalier de l’Esprit », son homme d’État des temps futurs et qui s’est dévoué à en devancer et à en préparer l’heure, couché sur un canapé, à quarante-cinq ans, — l’âge d’Arnolphe dans la comédie, — avec la chanteuse Miriam, sa maîtresse, qu’il tient par la nuque, « sous ses boucles brunes », et à laquelle il débite toutes les puérilités de l’amour qui nous semblent si bêtes après quarante ans ! […] Et non seulement le héros de la vie publique est misérablement rapetissé dans ces fades mièvreries d’un jouvenceau et d’un poète, mais l’autre héros, le héros de la vie privée, disparaît aussi dans cet amour benêt… et adultère ; car le noble Césara est marié. Il a femme et enfants, une femme à laquelle il aurait pu demeurer fidèle comme le premier honnête homme venu, si Meurice n’avait pensé que le Chevalier du libre esprit devait être en même temps le Chevalier du libre amour ! […] Dégradé par un indigne et sot amour comme homme, comme époux, comme tête qui pense, comme citoyen, comme chef d’État, Césara est encore dégradé comme père.

616. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Werther. Correspondance de Goethe et de Kestner, traduite par M. L. Poley » pp. 289-315

Comprenons l’amour vrai sous toutes les formes et dans tous les costumes avec ce qu’il a de désintéressé. […] Je me suis arrêté sur le pont55 : la ville sombre des deux côtés, l’horizon brillant silencieusement, le reflet dans le fleuve, ont produit sur mon âme une impression délicieuse que j’ai retenue avec amour. […] Je travaille maintenant à un roman, mais cela va lentement… Encore une confidence d’auteur : mon idéal grandit et embellit de jour en jour, et si ma vivacité et mon amour ne m’abandonnent pas, il y aura encore beaucoup de choses pour ceux que j’aime, et le public en prendra aussi sa part. […] — Adieu, mes amis (que j’aime tant que j’ai été forcé de prêter et d’accommoder la richesse de mon amour à la représentation fictive du malheur de notre ami). […] Ajoutez, pour combler le désagrément, que l’aventure de Jérusalem se confondant dans le roman avec l’amour de Goethe, et Kestner ayant réellement prêté ses pistolets à Jérusalem, qui s’en était servi pour se tuer, on ne savait plus comment séparer à temps l’Albert de la fin du roman d’avec celui de la première moitié.

617. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

Ce ne fut qu’après sa mort que l’abbé Antonio de Sangullo révéla confidentiellement à Laurent l’existence d’un enfant né, un an auparavant, des amours de Julien avec mademoiselle Irma, personne de la famille des Goxini. […] ces larmes que fit couler le désir impatient d’une dure contrainte, lorsque la juste douleur dont le cœur était pénétré éleva un nuage de pleurs sur des astres de l’amour ! […] L’amour satisfait recevait cette pluie amoureuse, comme l’oiseau brûlé par l’ardeur du soleil reçoit avec joie les gouttes de la rosée si longtemps désirée. […] Ces attraits de la beauté qu’Amour présentait à tes yeux, et qui te séduisirent dès tes plus jeunes ans, t’ont privé de toute la paix et de tout le bonheur dont tu devais jouir. […] Les vers que Marcellus adresse, en latin, au père de sa maîtresse ont été conservés comme preuve de son talent et de la chasteté de ses amours : Casta carmina, castior vita !

618. (1824) Observations sur la tragédie romantique pp. 5-40

Phèdre n’avouera qu’à sa nourrice son incestueux amour ; Iphigénie ne divulguera plus les secrets de son frère, et n’aura pas besoin de recommander le silence à tout un chœur de femmes. […] Ce qu’il faut admirer dans le poète anglais, c’est qu’il a su peindre l’amour aussi fortement que la déraison ; les confondre, pour ainsi dire, en une même folie, en un seul malheur, et porter, par ce hardi mélange, le pathétique à son comble. […] Par quel art ce Shakespeare, ce génie si âpre et si terrible, parvient-il à trouver les plus gracieuses, les plus délicates expressions de l’amour ? […] Sur la scène, il faut qu’il domine tout ce qui l’environne ; s’il n’est que poli, prudent, timide, ce ne sera plus l’amour tragique. Ce véritable et terrible amour est celui de Roxane, près de laquelle on n’aperçoit plus Bajazet ; celui d’Hermione devant qui disparaissent Pyrrhus, Oreste et ses furies elles-mêmes.

619. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « II. M. Capefigue » pp. 9-45

Voilà la raison de cet amour dont il est transporté pour les figures, les choses et les mœurs du xviiie  siècle ; car, ne l’oublions pas, l’amour idolâtre, l’amour fétichiste pour le xviiie  siècle est la caractéristique de l’École-trumeau ! […] L’amour du xviiie  siècle s’est emparé de lui comme une passion tardive et que rien n’aurait pu faire pressentir. […] Mais ce que l’on comprend très bien, venant de ceux-là qui ont salué l’aurore d’un pouvoir nouveau dans le déclin de cette royauté des Bourbons qui éteignit, on sait comment, le soleil de son Louis XIV, le comprend-on au même degré venant de ceux qui ont gardé au fond de leur âme l’amour espérant ou désespéré de cette malheureuse royauté, coupable et perdue ? […] Capefigue, finissant sa carrière d’historien sensé, grave et religieux, par des amours de jeune homme, ont porté coup à son aplomb et à sa confiance, et que ces reproches venant jusque de voix amies (car nous aimons M.  […] L’arme qui menaçait Choiseul, toujours chargée sur le cœur de Louis XV, était précisément elle, la favorite, cette faiseuse d’amour sans amour !

620. (1898) Les personnages de roman pp. 39-76

Enfin, grâce à lui, ils font entrer en scène, même sans en parler, le passé, le passé que toute noblesse évoque naturellement, et qui est en nous à l’état de passion, amour ou haine. […] L’amour n’est que l’épisode ou le témoin de la vie, tantôt le feu d’artifice, tantôt la lampe sage qui veille. […] Il existe chez lui une passion qui explique tout, qui transfigure les plus humbles, et grandit leur condition jusqu’à la faire exceptionnelle et sublime, de médiocre qu’elle est d’apparence : c’est l’amour des âmes. […] J’appellerai cet état la période d’amour, parce que l’amour est seul créateur. […] Période d’amour, ai-je dit, et cela me paraît bien vrai.

621. (1895) Hommes et livres

L’amour est en effet une dette qu’on paye à la vertu. […] S’ils agissent contre l’amour, c’est dans l’intérêt même de l’amour. […] Car chacun des efforts qu’ils font contre l’amour, les élève à un degré plus haut d’héroïsme qui a droit à une somme plus grande d’amour. […] C’est l’amour, dit Le Sage : et c’est tout. […] Voici l’amour ingénu dans Arlequin poli par l’amour.

622. (1914) Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne pp. 59-331

La charité a un objet propre qui est l’amour. […] On nous fera difficilement croire que l’amour de Chimène et que l’amour de Rodrigue soit une faiblesse, (et l’amour de Pauline), et on nous fera encore plus difficilement croire que c’est une bassesse. […] L’honneur est encore un amour et l’amour est encore un honneur. […] L’amour de Chimène et de Rodrigue pour l’honneur est une des nourritures les plus profondes de leur propre amour. […] Et l’honneur qu’ils rendent à l’amour est encore une nourriture de leur amour.

623. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCVIIIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (3e partie) » pp. 81-152

Son sonnet licencieux sur un amour immoral, avoué en ce temps-là dans une mauvaise société de Florence, sonnet commémoratif de cette pitoyable aventure, en est la preuve en ce qui le concerne. […] Les sonnets sont vides d’amour, le lyrisme ou l’inspiration manquent totalement à cet homme, on n’en retiendra pas un vers ; c’est du pédantisme glacé, l’éternel hiver du cœur dont l’imagination de l’Italie ne fond pas même les neiges. […] Le Misogallo est un recueil de toutes les injures à la France, qui n’a pas même daigné s’en apercevoir ; caprice de haine et d’envie aussi faux que son amour ! […] Une amitié si vive est bien au-dessus de l’amour, car il m’est arrivé plus d’une fois d’en ressentir pour d’autres femmes…, sans que les deux sentiments méritassent seulement d’être comparés l’un à l’autre. […] L’amour d’un géant est l’attrait de la faiblesse.

624. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre II, grandeur et décadence de Bacchus. »

Ménades et Thyades, Lénées et Naïdes, Mimallones et Clodones : toutes enflammées de l’amour du dieu, gonflées de son souffle et de son esprit. […] Il leur jette son thyrse comme un mouchoir de sultan, puis les délaisse ou les brise : beaucoup meurent de ses amours orageux. […] L’Amour lui-même, selon les poètes, n’est-il pas frère de la Mort ? […] Atys, l’émasculé, incarnation syrienne du Soleil qui perd sa force en hiver, déshonore l’auguste Rhéa par les frénésies de son amour impuissant. […] On pleurait en lui les fleurs fanées, les délices finies, les jeunesses brisées, les amours éteints avant l’heure.

625. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor Hugo. Les Contemplations. — La Légende des siècles. »

Le volume d’Autrefois, presque tout entier composé de pièces qui demanderaient impérieusement la sincérité du sentiment, les troubles vrais, la cordialité dans les larmes, puisque le fond en est l’amour, a suprêmement les défauts habituels de M.  […] Écoutez cet impayable flageolet : Car l’amour chasse aux bocages, Car l’amour pêche aux ruisseaux, Car les femmes sont les cages Dont les cœurs sont les oiseaux. […] Le jouvenceau de l’amour et du badinage ne doit plus exister, et s’il y a invention possible dans cette tête qui ne fut jamais qu’un grand front, elle devra se marquer ici. […] ………………………………………………… Donc la matière pend à l’idéal et tire L’esprit vers l’animal, l’ange vers le satyre ; Le sommet vers le bas, l’amour vers l’appétit. […] Sainte-Beuve, par amour pour les gens littéraires, ou, comme M. de Lamartine, pour quelque motif douloureux… Encore une fois, seul M. 

626. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Edmond et Jules de Goncourt »

Et ce n’est point par l’unique raison qu’il n’y a pas d’amour dans ce livre. Il y a beaucoup de romans sans amour, et ce sont même les plus grands. […] Son art couvre sa loyauté et le visage n’est plus qu’un masque, — mais il est plus beau que le vrai visage, et l’amour même ne s’y reconnaît plus. […] J’aurais donné cette revanche à la vérité dans l’amour de pénétrer une seule fois la plus calculée et la plus sublime des feintises de l’art et du génie. […] L’amour ne se coupe pas toujours, au pied, d’un seul coup de hache, et il faut le scier parfois bien longtemps pour le faire tomber dans les cœurs épris.

627. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre VI. La poésie. Tennyson. »

Déjà çà et là, dans ses peintures de la campagne et de l’amour, un vers éclatant traversait de sa couleur ardente le dessin correct et calme. […] Ce livre est le journal intime d’un jeune homme triste, aigri par de grands malheurs de famille, par de longues méditations solitaires, qui peu à peu se sent pris d’amour, ose le dire, et se trouve aimé. […] La guerre vient, la guerre libérale et généreuse, la guerre contre la Russie, et le grand cœur viril se guérit par l’action et par le courage de la profonde blessure de l’amour. […] Du fond de ma langueur jaillit un cri, —  l’Amour couronné s’élançant des bords de la mort, —  et tout le long des veines frémissantes l’âme monta, —  et se colla dans un baiser de feu sur la bouche d’Ida. […] » Avec quelle fougue a-t-il lancé et entre-choqué l’amour, la jalousie, la soif du plaisir, toutes les impétueuses passions qui montent avec les ondées d’un sang vierge du plus profond d’un jeune cœur !

628. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCVIIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (2e partie) » pp. 1-80

La fille qu’il avait eue dans sa jeunesse, à Liège, de son premier amour, miss Clémentine, et qui vivait retirée à Meaux, dans l’abbaye de Notre-Dame, lui revint en mémoire, et peut-être en remords. […] Insensiblement l’amour qu’elle conservait pour Alfieri la rapprochait de son ami, toujours errant sur ses traces. […] Si je me montrai alors bas et dissimulé, ce fut donc par excès d’amour, et il faudra bien que celui qui rira de moi reconnaisse en moi son image. […] Ces licences classiques détruiraient, si elles étaient vraies, le dernier charme qui reste à sa vie, le charme de la fidélité reconnaissante à cet amour. […] Il y a des âmes où les plus grandes passions finissent comme les plus vulgaires amours !

629. (1910) Études littéraires : dix-huitième siècle

— L’admiration n’est-elle point une forme déguisée de l’amour ? […] — Pas plus que parler amour n’est une façon de le ressentir. […] Les femmes, à l’ordinaire, ne se connaissent bien qu’en amour. […] C’est que c’est là, et non ailleurs, qu’est la comédie de l’amour. […] Le bon Arlequin est inconstant sans oublier ses premières amours.

630. (1864) Histoire anecdotique de l’ancien théâtre en France. Tome I pp. 3-343

Toutefois il eût mieux peint les passions terribles, telles que la vengeance, la fureur, que la tendresse et l’amour. […] Les Amours d’Ovide, les Amours d’Angélique et de Médor, les Intrigues Amoureuses, les Peines et les Plaisirs de l’Amour, sont des pastorales qui furent bien reçues du public, mais qui ne peuvent être mises en parallèle avec les compositions sérieuses de Gilbert. […] L’Amour a combattu pour moi. […] Elle pria donc Racine de lui composer un poëme moral ou historique, dont l’amour fût entièrement banni. […] Ulysse vient, fait nargue à l’hyménée, Le cœur fera de nouvelles amours.

631. (1907) Jean-Jacques Rousseau pp. 1-357

Non d’amour. […] L’amitié et l’amour, surtout l’amour. […] il a beau évoquer tous ses souvenirs d’amour. […] avoir enfin un bel amour ! […] Amour des symétries abstraites ?

632. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

Il chercha à inspirer à la jeunesse le goût de toutes les choses honnêtes, en même temps que l’amour des lettres. […] Il a enseigné le respect des lois et de la justice plus spécialement encore que l’amour de la liberté. […] S’il détruit les affections terrestres, il donne plus de force à cet amour qui se porte vers les choses divines. […] Vous leur dites que l’homme doit agir par amour de soi, et vous ajoutez que la vertu est une suite de cet amour. […] Leur science seulement les occupait ; ils s’y dévouaient avec patience, pour l’amour d’elle, non pour l’amour du succès.

633. (1921) Esquisses critiques. Première série

Lazarine montre un cœur d’homme qui passe de l’amour d’une athéiste à l’amour d’une croyante. […] Montfort présentent encore ce caractère commun d’être des romans d’amour, non point toutefois de l’amour sentiment ni du mol attrait des âmes. […] Dans le Duel par exemple, on le vit aux prises avec un grand sujet : l’antagonisme de l’amour humain et de l’amour divin. […] L’Amour veille. […] L’Amour veille.

634. (1858) Cours familier de littérature. V « XXIXe entretien. La musique de Mozart » pp. 281-360

Les braves seuls, les braves seuls, les braves seuls méritent d’obtenir l’amour de la beauté ! […] Il chanta d’abord Jupiter, qui abandonna le séjour des dieux (tel est l’empire du tout-puissant amour). […] « Le musicien sourit ; il sait que l’amour doit être facile à éveiller à son tour ; ce n’est qu’une note sympathique à faire résonner, car la pitié prépare à l’amour. […] L’amour fut couronné, mais c’était la musique qui avait vaincu. […] Les premières réminiscences des premières amours remontent au cœur du jeune compositeur.

635. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (2e partie) » pp. 409-488

« Mais son cœur lui échappe et s’attache à une fausse image de l’amour. […] Il va de l’amitié à l’amour comme il a été de l’incrédulité à l’élan vers Dieu. […] Il y a dans l’intimité de certaines familles une espèce d’adoption qui est le préservatif de tout autre amour. […] Volupté était pour moi un cheval à deux fins : amour sensuel et dévotion mystique. […] Il n’y avait ni assez d’amour, ni assez de religion, ni assez de sacrifice en lui pour prendre l’âme tout entière.

636. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

Albérich s’empare bien de l’Or, les géants bâtissent Walhall, les Walküres y amènent les héros morts sur les champs de bataille, Siegmund et Sieglinde s’aiment … mais dans tout ceci il n’est nullement question de Renoncement ; l’idée mère du Ring, que pour obtenir « l’héritage du monde » il faut « maudir l’amour » avec l’antithèse qui éclate à la fin du drame, que pour avoir l’amour il faut renoncer au monde, — cette idée n’est même pas entrevue. […]       L’amour et le printemps unis ! […] Cette romance pour voix de baryton est une des plus mélancoliques inspirations de l’amour, et procure un de ces instants de repos, où les attentions suspendues, et distraites de l’action même du drame, peuvent se livrer tout à fait à une émotion purement lyrique. […] Leur esprit gardait un calme noble et sage : ils ignoraient l’amour sentimental (la famille même) les fièvres mortelles des chagrins, et la maladie et la misère qui causent l’émotion. […] La conception, comme toujours, est superbe s la rencontre de deux jeunes esprits princiers, qui renoncent la sagesse pour l’or, et l’or pour l’amour.

637. (1860) Cours familier de littérature. IX « XLIXe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier » pp. 6-80

et peut-être aussi sans amour ! L’amour est le seul enchantement qui manque à cette femme. […] La beauté, dans ces visages, est une énigme : l’amour seul peut la deviner ; l’art n’y peut que confesser son impuissance. […] On sent un culte, on ne sent pas un amour : l’amour est un feu, ceci n’est qu’une splendeur. […] L’amour et la religion, ces deux idolâtries de leur cœur, avaient en lui leur représentant dans un même homme.

638. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juin 1885. »

Les chansons de geste, avec leurs héroïques aventures d’amour et de bataille, vous offrent par centaines d’admirables sujets. […] Il entendait ce cri de son âme : « L’Amour est Dieu », — ce cri qu’il traduisait, d’ailleurs, inexactement, par : « Dieu est l’Amour ». […] C’est le chant d’amour de Siegmound, le lied du Ier acte et l’air de concours de Walther (Voir l’annonce, ci-après). […] C’est le temps de la synthèse et de l’amour qui unit les choses et les êtres. […] La musique doit révéler l’homme bon, l’homme d’amour.

639. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Edgar Poe »

Edgar Poe est un poète pathologique qui peut exprimer des phénomènes très particuliers à l’organisation humaine, mais les sentiments qui sont la substance invisible, le mérite de l’homme ou son crime, son bonheur ou son infortune, et qui vibrent dans l’humanité depuis Priam aux pieds d’Achille jusqu’à la dernière des mères qui sanglote et qui veille auprès d’un berceau, depuis l’amour criminel de Phèdre jusqu’au pieux amour de Pauline, ne vibrent pas dans son génie. […] Rien ne peut se comparer à l’amour violent qu’il eut pour elle. […] Le Tasse, plus infortuné encore que Milton, avant d’être captif et fou, était l’éclat d’une cour et l’amour de Léonore de Ferrare. […] La phtisie qui avait tué son père et sa mère tua sa femme, et dut lui causer une douleur plus cruelle qu’à personne… Edgar Poe, ce spiritualiste, de cœur autant que d’esprit, ce passionné, mais d’amour chaste, avait réellement le génie de l’amour conjugal. Baudelaire, le libertin et froid Baudelaire, a signalé ce grand amour de Poe pour sa femme, mais outre qu’il ne comprenait pas très bien cet amour sublime, il n’avait pas les lettres déchirantes qu’Émile Hennequin a mises sous nos yeux.

640. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XVIII. »

Il la confondra presque dans la même croyance, l’embrassera du même amour ; et une veine inconnue d’émotion et de poésie naîtra de ce culte de l’âme, qui n’est pas l’orgueil idéal du stoïcien s’égalant à Dieu, mais qui se compose de foi, d’amour et d’espérance. […] apportez les présents. » Combien le sens expliqué de ces présents devait toucher l’âme chrétienne et la remplir d’un mystique amour, il la pensée du Dieu victime et sauveur ! […] garde-la-moi saine et sauve, sans maladie, sans affliction, toujours aimée, toujours unie à moi de cœur, mon épouse toujours avouée, ne sachant pas avoir avec moi de furtives amours ! […] Son exemption du célibat, ses souvenirs de la philosophie, son amour de la poésie, devaient lui faire, dans la sévérité de l’orthodoxie croissante avec la victoire du christianisme, une place à part et douteuse. […] L’inspiration souffre de ce travail érudit ; mais l’amour des lettres était devenu pour ces demeurants du polythéisme une passion à la fois subtile et sacrée, dont le langage a sa poésie comme sa sincérité.

641. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIe entretien. Vie du Tasse (1re partie) » pp. 5-63

Son œuvre est un poème, sa vie une poésie : en lui naissance, patrie, nature, génie, vie, amour, infortune et mort, tout est d’un poète. […] Ces poésies sont un cadre digne du nom et de la merveilleuse beauté de Ginevra ; on voit que les amours malheureux pour les princesses étaient un exemple de père en fils dans la maison des Tassi. […] Son entretien avait la grâce, le demi-jour et la douce intimité de sa vie ; cette tristesse attendrissait les cœurs, mais la piété de son âme, toute consacrée aux pensées divines, décourageait l’amour. […] Il en écrivit six chants en quelques mois, avec la double inspiration de la poésie et de l’amour. […] Mais la jeunesse, l’amour et la passion de la gloire pour mériter l’amour, osent tout et triomphent de tout.

642. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre cinquième »

Zaïre aime ; rien ne lui en fait un crime ; seule, sans appui, esclave d’un prince qui veut élever sa captive jusqu’à lui, son amour pour Orosmane est à la fois une passion et un bon sentiment. […] Un génie brillant, le feu de la poésie, les souvenirs de quelque amour de jeunesse, c’est assez pour créer Zaïre. […] Ce que nous ôterions au poète, par amour de l’art, un historien de Voltaire aurait à le restituer au philosophe. […] Quant à Zaïre, elle est née du défi que lui porta Lamotte de composer une pièce toute d’amour. […] Cet amour se sent jusque dans les fautes du roi, jusque dans les plus faibles pièces du poète.

643. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre I. Les mondains : La Rochefoucauld, Retz, Madame de Sévigné »

Ce témoin, cet acteur des brillants drames de l’amour et de l’ambition, une fois qu’il a quitté la scène, nous dit ce qu’il a trouvé, en lui, autour de lui ; toujours, partout, une base d’égoïsme et de calcul. […] Il est franchement incrédule, plus assuré d’avoir un estomac qu’une âme, et partant plus disposé à faire le plaisir de l’un que le salut de l’autre, gourmand par principe philosophique, et parmi les misères de la vie, comptant, pour bonnes raisons de vivre, le vin, les truffes, les huîtres : il s’assurait aussi d’avoir un esprit, et, avec l’amour, surtout après l’amour, il tint l’amitié pour essentielle au bonheur de la vie. […] Elle aime la nature, et par là ses lettres mettent une note originale dans la littérature classique : mais elle ne mêle à cet amour ni sentimentalité ni rêverie. […] La précision de l’analyse, l’énergie fière des âmes, la conception de l’amour vertueux et l’écrasement de l’amour sous l’honneur, tout rapproche la Princesse de Clèves de l’œuvre de Corneille. Même le sujet, c’est Polyeucte moins la religion : une honnête femme qui aime un autre que son mari, et qui va chercher auprès de son mari un appui contre l’amour.

644. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre VI. Le Bovarysme essentiel de l’humanité »

Le Bovarysme passionnel ou le Génie de l’espèce : l’homme, en proie à la passion de l’amour, tandis qu’il croit assurer son bonheur personnel, accomplit le vœu de l’espèce. […] Cette fin, d’une importance majeure, et qui dépasse infiniment les intérêts individuels légitime d’ailleurs la place exorbitante que cette passion de l’amour occupe dans la vie réelle, dans le roman, au théâtre et d’une façon générale, dans tous les arts. […] Dans les cas heureux, les amants réussissent à substituer à l’amour un sentiment différent et complexe, fondé sur des rapports de convenance réciproque plus durables ; ils se donnent le change, prennent l’amitié, t’intérêt personnel ou l’habitude pour l’amour, et ce nouveau mensonge, cette nouvelle et fausse conception d’eux-mêmes et de ce qu’ils ressentent, prolonge d’une façon acceptable pour l’individu une liaison que noua le seul intérêt de l’espèce. […] Ainsi avec la passion de l’amour, l’homme se conçoit autre qu’il n’est. […] Or durant le règne de cet instinct, la vie intense, inconnue et réelle, qui se donne cours, au regard de la conscience individuelle, sous le nom de l’amour, tend à sortir des limites et de l’habitat qui lui furent, jusqu’alors fixés.

645. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vi »

Cet amour du beau travail, ce besoin d’une discipline librement consentie et en quelque sorte discutée se trouvent chez beaucoup qui ne sont pas socialistes. […] Les Français de religion protestante ont prouvé dans cette guerre qu’ils aimaient la France, le protestantisme et la justice du même amour : ils deviennent également chers à tous les Français. Les Français catholiques de l’an xiv ont démontré qu’ils aimaient la France, la justice et Jésus du même amour ; ils deviennent également chers à tous les autres Français. […] L’unité française se forme dès lors, ainsi qu’une fois déjà elle s’est formée à la Fédération du 14 juillet 1790, non pas sur la même religion sociale exprimée, mais sur le même amour de la France, sur le même amour de la justice…‌ Cette conciliation ne deviendra jamais sans doute une assimilation et une confusion : il faut des fleurs diverses au jardin de la terre.‌ […] En 1903, à vingt ans, Thierry, s’était déjà voué à l’établissement de la paix par un code, ou mieux une religion du travail ; mais, se hâtait-il d’ajouter, ne vous méprenez pas : « Il y a un amour de la paix optimiste, conservateur et lâche ; je le redoute.

646. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XI. »

Il a chassé les amours, hélas ! […] » Ainsi, la pensée morale du poëte, le vœu de la paix, l’horreur de la guerre, l’amour de la patrie se fait jour, à travers les crises sanglantes du drame ; et l’éclat du génie lyrique adoucit, en s’y mêlant, les terreurs de la scène. […] Il n’est plus le prophète qui maudit, ou l’Euménide qui menace ; mais il est à la fois le chantre religieux dans le temple et le poëte de l’amour, de la pitié, de la douleur, dans la vie commune. […] Au rivage de Munychium furent attachés les câbles, pour descendre ; et dès lors, sous le coup d’impures amours, elle a été frappée dans l’âme de la terrible maladie d’Aphrodite ; et, soumise à un cruel malheur, elle attachera elle-même aux voûtes nuptiales le cordon fatal qui va serrer son cou d’albâtre, par effroi de l’implacable déesse, par désir jaloux de bonne renommée, et pour écarter de son âme les peines de l’amour. » Sous les détours, et comme sous les plis onduleux de cette poésie, le dénouement même prédit ne semble-t-il pas se voiler à demi, avec cet art suprême des Grecs de ne pas épuiser l’horreur et de garder toujours la dignité et presque la grâce austère dans la douleur ? […] Dans le cercle infini de l’Érèbe, avant tout, la Nuit aux ailes noires produisit un œuf non couvé, d’où, par la révolution du temps, jaillit l’Amour, père des Désirs, battant son dos de ses ailes dorées, et semblable lui-même aux tourbillons de la tempête.

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