A deux conditions qui d’ordinaire s’accomplissent dans le même temps, la connaissance du passé et une expérience assez longue de la vie sociale pour appliquer au présent les enseignements du passé.
Il rectifie ses premières vues par les expériences récentes, se consolant de s’être autrefois trompé par la pensée qu’on se servait de ses vérités pour redresser ses erreurs.
Sans doute ce monde enchanté, où a vécu l’humanité avant d’arriver à la vie réfléchie, ce monde conçu comme moral, passionné, plein de vie et de sentiment, avait un charme inexprimable, et il se peut qu’en face de cette nature sévère et inflexible que nous a créée le rationalisme, quelques-uns se prennent à regretter le miracle et à reprocher à l’expérience de l’avoir banni de l’univers.
L’art est-il fait pour des expériences si cruelles, pour un désabusement si glacial ?
À propos des expériences de ce savant sur la greffe : On apprend dans son ouvrage, dit-il, que deux sèves destinées à circuler ensemble doivent avoir entre elles une analogie déterminée, et que l’on rapprocherait en vain des rameaux que la nature n’a pas formés l’un pour l’autre.
Le fils de Robert Walpole, Horace, prenant en main la défense de son père contre les ennemis qui l’avaient tant insulté, s’écriait un jour : Chesterfield, Pulteney et Bolingbroke, voilà les saints qui ont vilipendé mon père… voilà les patriotes qui ont combattu cet excellent homme, reconnu par tous les partis comme incapable de vengeance autant que ministre l’a jamais été, mais à qui son expérience de l’espèce humaine arracha un jour cette mémorable parole : « Que très peu d’hommes doivent devenir premiers ministres, car il ne convient pas qu’un trop grand nombre sachent combien les hommes sont méchants. » On pourrait appliquer cette parole à Mazarin lui-même, sauf le mot excellent homme qui suppose une sorte de cordialité, et qu’il ne méritait pas ; mais il est vrai de dire que c’étaient de singuliers juges d’honneur que les Montrésor, les Saint-Ibar, les Retz et tant d’autres, pour venir faire la leçon à Mazarin.
Son esprit sensé, livré à lui-même, s’émancipait aux lumières de l’expérience ; il jugea la femme habile et artificieuse qui avait été mêlée si avant aux malheurs de sa maison.
La succession des âges, en effet, et l’expérience souvent triste qu’elle amène, loin d’aigrir et d’entamer chez M.
Il y dressa aussitôt sa batterie de guerre, son Mercure britannique, publication destinée à combattre avec suite, et par des tableaux mêlés de discussions, la politique du Directoire : « L’expérience est perdue, disait Mallet, si on ne la grave pas au moment même par des écrits qui en fixent l’impression. » La passion déclarée et le parti pris de l’attaque n’empêchent point dans ce Mercure la sagacité et, jusqu’à un certain point, l’impartialité des jugements.
Voyant la ruine des parlements et la Révolution engagée dès le premier jour dans des expériences inconnues, Portalis se tint à l’écart.
Ces simples paroles qu’il a replacées depuis dans un discours public, mais dont on a ici la clef, nous rendent au vrai la définition des deux natures, et Portalis, sans y viser, s’y peignait fidèlement dans les derniers mots aussi bien que dans les suivants : La sagesse est l’heureux résultat de nos lumières naturelles et des leçons que nous recevons de l’expérience.
Ils auraient montré à cette jeunesse, que de faux déclamateurs enivraient, ce que c’est que le vrai talent littéraire et historique quand il s’est encore aguerri dans la pratique, même incomplète, des affaires, et dans l’expérience de la vie.
Parler de La Fontaine n’est jamais un ennui, même quand on serait bien sûr de n’y rien apporter de nouveau : c’est parler de l’expérience même, du résultat moral de la vie, du bon sens pratique, fin et profond, universel et divers, égayé de raillerie, animé de charme et d’imagination, corrigé encore et embelli par les meilleurs sentiments, consolé surtout par l’amitié ; c’est parler enfin de toutes ces choses qu’on ne sent jamais mieux que lorsqu’on a mûri soi-même.
D’ailleurs ses vues n’avaient jamais qu’un certain degré de généralité, et restaient toujours suspendues à peu de distance des faits et de l’expérience.
Notre esthétique fut jusqu’à présent une esthétique de femme, en ce sens que ce sont seulement les hommes réceptifs à l’art qui ont formulé leurs expériences au sujet de ce qui est beau.
Protestant, philosophe, Anglais, ne croyant qu’au relatif et à l’expérience, Chasles fait ses réserves quand il juge le jugement de J. de Maistre ; mais ses réserves mêmes donnent la mesure d’une justice arrachée, malgré ses réserves, à l’esprit d’un critique qui, s’il manqua souvent de l’intuition du vrai, eut presque toujours celle du beau.
Un écrivain de plus d’expérience de la vie, du monde et des lettres, que MΜ.
Éclairés par toute l’expérience des vingt-quatre années qui nous séparent du vote réactionnaire, il nous est impossible de dissimuler aujourd’hui ce qu’aucun député n’a su voir ou n’a osé dire en 1873.
J’entends une objection ; on me dit : ces trois « visions » de la vie, qui se succèdent le plus souvent chez le même homme, c’est un fait facile à constater, par l’expérience personnelle ; mais pourquoi un groupe d’hommes (la nation, ou la société tout entière) les connaîtrait-il nécessairement ?
Si nous redevenons critiques, douteurs, amateurs d’exactitude, exigeants en matière de démonstration, nous examinerons de nouveau les raisonnements qui depuis trente ans passent pour bons, et nous les traiterons comme au dix-huitième siècle on traita ceux de Malebranche, de Leibnitz, de Descartes, avec cette différence qu’aujourd’hui le scepticisme est usé, que la pleine destruction ennuie, que les progrès de l’expérience ont amassé depuis cinquante ans des moitiés de science et des sciences entières, prouvées et solides, utiles pour bâtir la route, et des lumières grandioses, quoique fumeuses, érigées en Allemagne pour nous indiquer le but.
Cette substitution est le vrai progrès des sciences positives ; tout leur travail et tout leur succès depuis trois siècles consistent à transformer les grosses masses d’objets qu’aperçoit l’expérience vulgaire en un catalogue circonstancié et détaillé de faits chaque jour plus décomposés et plus nombreux.
Il n’y a point d’expérience & d’examen, disoit Newton, qui ne soient pour Moïse, quand on voudra se donner la peine de lire dans les sources, & de remonter au principe des choses & des faits. […] Il est vrai que c’étoit un vrai plaisir de voir combien il avoit étendu ses domaines, & amélioré son fond, par des défrichemens & par des expériences qui réussissoient parfaitement. […] Nous entrâmes dans des détails qui nous rendirent sensibles les expériences qu’on fait tous les jours au plus grand avantage de l’agriculture. […] N’eussent-ils pour eux que l’expérience, que l’avantage de juger d’un malade qu’ils voyent aujourd’hui, par celui qu’ils virent hier ; ils comparent, ils combinent, & de cette opération de l’esprit qui se passe dans le secret de leur ame, souvent il en résulte un grand avantage. […] C’est dans les assemblées provinciales qu’on produira les expériences faites à l’avantage de l’agriculture, que les travaux du particulier deviendront ceux du public, & qu’enfin l’oppression n’aura plus lieu.
., la plupart du temps quand la science parvenait à tuer le bacille, ce n’était qu’en tuant le malade ; mais dans son amour de l’humanité, dans sa confiance en la nature, il multipliait ses expériences et vouait sa vie à combattre la mort. […] Mais plus que personne je hais la dissertation littéraire, « le partage » des critiques ; sachant par expérience en quel dédain on tient justement les raisonnements qui ne sont pas accompagnés de pièces à l’appui, je citerai deux pièces de l’intéressant recueil de M. […] Je m’arrête ; tout le livre est à lire, mais tout le monde ne le devra pas lire ; il est fait d’une douceur et d’une résignation qui le rendent plus cruel encore quand on sait par expérience à quel prix elles ont été achetées. […] Legouvé est des rares qui, ayant beaucoup vu, ont beaucoup retenu et qui livrent généreusement à tous les réserves de leur expérience. […] J’arrive à la partie la plus intéressante pour moi de ce livre substantiel, aux études théâtrales aux chapitres si justes consacrés aux domestiques de théâtre, aux ficelles dramatiques, pages écrites avec autant d’expérience que de finesse de tact.
Je conclus que c’est avec tout le courage de l’espérance, mais avec toute l’attention de l’analyse, que la Convention nationale doit faire une constitution… » Ces termes de sensation, d’expérience et d’analyse, ces traces de Condillac et de Lavoisier reparaissent perpétuellement : ils sont là à l’état d’éruption, si l’on veut ; mais le style en resta gravé. […] Il vérifia aussi, par son exemple, ce mot du moraliste : « Il se refait vers le milieu de la vie une manière de bail avec nos diverses facultés ; bien peu le renouvellent. » Ce qui est vrai même dans le cours naturel d’une vie arriva ici par secousse : Daunou dut rompre, un certain jour, avec une partie de son être ; il se replia au dedans, et, sous son enveloppe sévère, il déroba de plus en plus une de ces âmes sensibles, délicates, à jamais contraintes et trop souvent consternées, qui ne recommencent plus l’expérience et n’en demeurent que plus fidèles aux empreintes reçues. […] Il concluait, du reste, tout comme dans sa discussion sur l’imprimerie, avec sa prudence apparente : « La pneumatologie (on dirait aujourd’hui la psychologie ou l’ontologie, mais il affecte un mot qui sent la physique pour rabaisser l’objet) est de sa nature une science qui ne peut étendre ni nos expériences immédiates, ni les relations ou les témoignages, à moins qu’ils ne soient surnaturels.
Les hommes ne veulent connaître que l’histoire des grands et des rois, qui ne sert à personne. » « Mon père, repris-je, il est aisé de juger à votre air et à votre discours que vous avez acquis une grande expérience. […] Il avait de l’expérience et un bon sens naturel. […] Il sentit alors, par son expérience, toute la faiblesse de ses ressources, et il se mit à pleurer.
Ou encore : « Je crus plus apprendre sur la pratique des voies intérieures en examinant avec Mme Guyon ses expériences que je n’eusse pu faire en consultant des personnes fort savantes, mais sans expérience pour la pratique. » Peut-on piquer d’un air plus négligent et sans avoir l’air d’y toucher ? […] De là ce terrible redoublement de confiance en elle-même, ses visions, ses expériences, sa mission. […] Mais en vain ont-ils cette redoutable connaissance de l’humaine perversité que doit donner à des gens tels qu’ils sont l’un et l’autre l’expérience du confessionnal et de la direction des consciences ! […] Galiani connaît les hommes, il en a l’expérience, et c’est sa supériorité sur nos encyclopédistes. […] L’auteur n’est ni assez pourvu d’expérience, ni assez fort de raisons pour briser son adversaire, comme il se l’est promis.
» Fontanes répondit à Fourcroy : dans son discours, il n’est question d’un bout à l’autre que du Code civil qu’on venait d’achever, et de l’influence des bonnes lois : « C’est par là, disait-il (et chaque mot, à ce moment, chaque inflexion de voix portait), c’est par là que se recommande encore la mémoire de Justinien, quoiqu’il ait mérité de graves reproches. » Et encore : « L’épreuve de l’expérience va commencer : qu’ils (les législateurs du Code civil) ne craignent rien pour leur gloire : tout ce qu’ils ont fait de juste et de raisonnable demeurera éternellement ; car la raison et la justice sont deux puissances indestructibles qui survivront à toutes les autres136. » Il y a plus : le lendemain (4 germinal), Fontanes, à la tête de la députation du Corps législatif, porta la parole devant le Consul, à qui l’assemblée, en se séparant, venait de décerner une statue comme à l’auteur du Code civil (singulière et sanglante coïncidence) ; il disait : « Citoyen premier Consul, un empire immense repose depuis quatre ans sous l’abri de votre puissante administration. […] Dans les premières séances d’un Conseil ainsi nommé, je le répète, tous les esprits diffèrent ; chacun apporte sa théorie et non son expérience. […] Ils rapporteront au Conseil beaucoup de faits et d’expérience, et c’est là votre grand besoin. […] Qu’on lise son ode sur la Vieillesse : il y a exprimé le sentiment d’une calme et fructueuse abondance dans une strophe toute pleine et comme toute savoureuse de cette douce maturité : Le temps, mieux que la science, Nous instruit par ses leçons ; Aux champs de l’expérience J’ai fait de riches moissons ; Comme une plante tardive, Le bonheur ne se cultive Qu’en la saison du bon sens : Et, sous une main discrète, Il croîtra dans la retraite Que j’ornai pour mes vieux ans.
Ce regard échangé avec cette passante, cette étincelle rapide du pavé parisien que rien évidemment de Virgile, de Racine ni de Mistral n’a encore enseigné au faiseur de fiches, et dont l’expérience est unique, une poésie unique aussi l’a trouvé, et ce vers de Baudelaire, qu’on n’aurait pas deviné avant ; il vous hante après. […] Pareillement, après une unique et cruelle expérience, il jugea qu’aimer d’amour l’ange gardien, la Muse et la Madone, avoir pour maîtresse la Présidente, sorte de « mère » pour artistes au sens du compagnonnage (les Goncourt l’appelaient plus grossièrement une vivandière pour faunes) serait une sorte d’inceste. […] Enfin Fromentin y déploie des qualités qui nous font penser qu’il aurait pu tirer de ce genre d’expérience personnelle, unie à l’observation, d’autres romans aussi bons. […] Au retour de cette course, sa tante (il est orphelin et vit chez elle) le regarde avec surprise et expérience : « Par un geste de mère inquiète elle m’attira sous le feu de ses yeux clairs et profonds. […] Heureusement, à l’expérience, le profit ne vient pas, et Amiel est pris tout entier par le goût de l’œuvre désintéressée, par cette production libre des notes quotidiennes portées comme le pommier porte des pommes.
Alphonse, comme Tartufe, a donc continué de vivre après sa première apparition sur les planches ; nous l’avons, pour ainsi dire, soumis à des expériences, suivi des yeux à travers le monde ; connaissant son vrai fond et de quels jolis messieurs il était virtuellement le frère, nous l’avons vu, au gré des circonstances, se développer selon son naturel, comme une créature en chair et en os, — ou en arêtes. […] C’eût été pourtant digne d’une étude approfondie, les naïvetés, les susceptibilités et les ombrages, les expériences, les surprises et les amertumes de ce malheureux découvrant peu à peu sa propre détresse, et qu’un homme comme lui est, en réalité et par la force des choses, le plus lamentable des solitaires. […] Et comme imaginer, c’est toujours se ressouvenir et que c’est toujours de nous-même que nous nous ressouvenons, la « fable » que je cherchais est sortie peu à peu d’une pensée qui m’est habituelle, et qui est elle-même un des fruits de mon expérience individuelle et de ma vie même… Viennent les ans ! […] Nous la voyons, huit jours après le fait-divers qui l’a jetée dans les bras grêles du potache, lui prodiguer maternellement les trésors de cette expérience. […] C’est un homme d’infiniment d’expérience (et quelle expérience !)
En as-tu jamais fait la triste expérience ? […] Seulement, pour vérifier son sérum, il lui faudrait faire des expériences très coûteuses, énormément coûteuses. […] Sait-il bien qu’il faut tant d’argent pour étudier un sérum et faire des expériences concluantes sur un sérum ? […] J’ai envie de faire l’expérience. […] Je ne puis pas faire l’expérience.
Il fallut de la ruse, même au roi, pour ménager cette expérience à son serviteur.
Il faut nourrir cette amabilité, en avançant, de toutes sortes d’idées justes et solides sans en avoir l’air : l’homme aimable de soixante ans, même pour paraître n’en avoir jamais que vingt, ne doit pas être aimable comme on l’est à vingt, où l’on paye de mine et de jolies manières en bien des cas ; il faut, tout en conservant le désir de plaire, qu’il y joigne bien des qualités qu’il n’avait pas à cet âge ; il faut qu’en sentant toujours de concert avec la jeunesse, il ait l’expérience de plus, et qu’elle accompagne sans se marquer.
toi dont je sens le bras, ce vingtième hiver, étroitement attaché au mien, avec un plaisir tel que peut seule l’inspirer une tendresse fondée sur une longue expérience de ton mérite et de tes essentielles vertus, — je te prends à témoin d’une joie que tu as doublée depuis si longtemps !
L’expérience l’eût vite guéri de cet excès d’optimisme6.
Il voudrait faire mentir ceux qui disent « que les Français commencent tout et n’achèvent jamais rien. » Il voudrait les désabuser de ce faux point d’honneur qui, dans les sièges, quand il est tout préoccupé, par ses inventions savantes, de ménager la vie des hommes, leur fait prodiguer la leur, sans utilité, sans aucune raison et par pure bravade ; « Mais ceci, disait-il, est un péché originel dont les Français ne se corrigeront jamais, si Dieu, qui est tout-puissant, n’en réforme toute l’espèce. » Hormis ce pur et irréprochable Vauban, tous ceux qui figurent dans cette histoire, y paraissent avec leurs qualités et leurs défauts ou avec leurs vices : Condé, avec ses réveils d’ardeur, ses lumières d’esprit, mais aussi avec des lenteurs imprévues, des indécisions de volonté (premier signe d’affaiblissement), et avec ses obséquiosités de courtisan envers le maître et même envers les ministres ; Turenne, avec son expérience, sa prudence moins accrue qu’enhardie en vieillissant, et son habileté consommée, mais avec ses sécheresses d’humeur et ses obscurités de discours ; Luxembourg, avec ses talents, ses ardeurs à la Condé, sa verve railleuse, mais avec sa corruption flagrante et son absence de tout scrupule ; Louvois, avec sa dureté et sa hauteur qui font comme partie de son génie et qui sont des instruments de sa capacité même, avec plus de modération toutefois et d’empire sur ses passions qu’on ne s’attendait à lui en trouver.
A peine le prince de Condé se fut aperçu de l’absence de son fils et de celle du duc de Longueville, qu’oubliant pour ainsi dire, si l’on ose parler ainsi du plus grand homme du monde, son caractère de général, et s’abandonnant tout entier aux mouvements du sang et de l’amitié tendre qu’il portait à son fils et à son neveu, accourut ou pour les empêcher de s’engager légèrement, ou pour les retirer du mauvais pas où leur courage et leur peu d’expérience auraient pu les embarquer ; il les trouva avec tous les volontaires aux mains avec les ennemis, qui, se voyant pressés et profitant du terrain qui leur était favorable, avaient tourné brusquement… « Cette action fut fort vive et fort glorieuse ; mais la blessure du prince de Condé au poignet, la mort du duc de Longueville et les blessures des ducs de La Rochefoucauld, de Coislin et de Vivonne, du jeune La Salle, de Brouilly, aide-major de mes gardes du corps, etc., et de plusieurs autres gens de qualité, en diminuèrent fort le prix et me donnèrent une grande mortification, particulièrement la blessure de M. le Prince, tant à cause de sa naissance et de son mérite singulier que de la faiblesse de son tempérament, exténué par la goutte, que j’appréhendais ne pouvoir pas résister à la violence du mal.
Né de lui-même, formé par des lectures personnelles, par des comparaisons directes, incessantes, et par une rude expérience première des choses de la vie, l’auteur dont nous parlons s’est de bonne heure tracé une route et a obéi à une vocation dont il n’a jamais dévié.
N’ayant pas reçu de bonne heure toute l’éducation qu’il aurait fallu, s’étant refusé par vertu, par scrupule, par esprit étroit de bourgeoisie, toute celle même qui était à sa portée, l’expérience de Versailles et de la Cour, celle des femmes et des grands seigneurs, et plus tard le spectacle de l’ambition la plus gigantesque dans le sein du plus grand héros moderne, il avait pourtant des débris, des fragments de poète pathétique et terrible.
Chambry, amateur d’autographes, un passage intéressant, en ce qu’il marque bien le moment de transition en lui de la première à la seconde jeunesse, cette première crise de réflexion et d’expérience ; Horace, qui faisait un premier voyage en Italie, écrit à un de ses oncles, frère de Carle, et à qui il portait beaucoup d’affection : « (Rome, 3 mars 1820.)
Il arrive, au contraire, deux maux : l’un, que les pasteurs muets ou qui parlent sans talent sont peu estimés ; l’autre, que la fonction de prédicateur volontaire attire dans cet emploi je ne sais combien d’esprits vains et ambitieux… A quel propos tant de prédicateurs jeunes, sans expérience, sans science, sans sainteté ?
Il avait acquis d’abord une expérience pratique du monde aussi complète que possible, et désormais aucun terrain, pas même celui de la Cour, ne serait si glissant qu’il y perdît l’équilibre.
Taine nous entretenait l’autre jour27, — occupés, dis-je, à rechercher uniquement et scrupuleusement la vérité dans de vieux livres, dans des textes ingrats ou par des expériences difficiles ; des hommes qui voués à la culture de leur entendement, se sevrant de toute autre passion, attentifs aux lois générales du monde et de l’univers, et puisque dans cet univers la nature est vivante aussi bien que l’histoire, attentifs nécessairement dès lors à écouter et à étudier dans les parties par où elle se manifeste à eux la pensée et l’âme du monde ; des hommes qui sont stoïciens par le cœur, qui cherchent à pratiquer le bien, à faire et à penser le mieux et le plus exactement qu’ils peuvent, même sans l’attrait futur d’une récompense individuelle, mais qui se trouvent satisfaits et contents de se sentir en règle avec eux-mêmes, en accord et en harmonie avec l’ordre général, comme l’a si bien exprimé le divin Marc-Aurèle en son temps et comme le sentait Spinosa aussi ; — ces hommes-là, je vous le demande (et en dehors de tout symbole particulier, de toute profession de foi philosophique), convient-il donc de les flétrir au préalable d’une appellation odieuse, de les écarter à ce titre, ou du moins de ne les tolérer que comme on tolère et l’on amnistie par grâce des errants et des coupables reconnus ; n’ont-ils pas enfin gagné chez nous leur place et leur coin au soleil ; n’ont-ils pas droit, ô généreux Éclectiques que je me plais à comparer avec eux, vous dont tout le monde sait le parfait désintéressement moral habituel et la perpétuelle grandeur d’âme sous l’œil de Dieu, d’être traités au moins sur le même pied que vous et honorés à l’égal des vôtres pour la pureté de leur doctrine, pour la droiture de leurs intentions et l’innocence de leur vie ?
Mais ne voyez-vous pas que c’est aux dépens de la société, qui a intérêt à ce que, devant ses contemporains comme devant la postérité, chacun soit jugé selon ses œuvres, estimé à son prix, et qui peut tirer un immense profit de la sincérité de l’expérience dont on lui a transmis les résultats ?
Ces quatre ou cinq années de plus lui ont manqué pour entière et dernière école : elle y a suppléé, et amplement, par une mort sublime ; l’héroïsme t’a dispensée et exemptée de trop d’expérience.
Le temps des illusions est passé, et nous faisons des expériences bien cruelles… » Elle revenait sur le même sujet deux jours après, et en citant des noms à l’appui : « La répugnance que vous me savez de tout temps de me mêler d’affaires est aujourd’hui fortement à l’épreuve, et vous seriez fatiguée comme moi de tout ce qui se passe.
De leur expérience dépend souvent le salut ou la perte d’une caravane ; ils exercent une sorte de sacerdoce.
Ses livres peuvent attirer et forcer l’admiration pendant quelques pages, mais bientôt leur monotonie fatigue ; car ils sont le contraire de ces écrits chers à Montaigne, pleins de suc et de moelle intérieure, pétris d’expérience et d’indulgence, qui gagnent à être exprimés et pressés, et qui de tout temps ont fait les délices des hommes de sens, des hommes de goût, des hommes vraiment humains… Au résumé, c’est un militant ; il l’est en tout et partout ; comme tel, il laissera dans l’histoire des guerres politiques et religieuses de ce temps une trace lumineuse : Lacordaire et lui, deux lieutenants de La Mennais, et qui ont continué de tenir brillamment la campagne après que leur général avait passé à l’ennemi.
L’expérience individuelle et le consentement universel, voilà tout ce dont Boileau a besoin, une fois posée l’identité du vrai et du beau, pour donner des lois à la poésie.
L’expérience ne compte pour rien dans les grands mouvements fanatiques.
D’ailleurs mon expérience personnelle m’a appris que toute cette œuvre, à une exception près, est, en effet, de la même force.
Il faisait sa première expérience sur des nations moins avancées que la nôtre.
Il prend plaisir, en regard des romans exaltés et des inventions systématiques du jour, à rappeler ce livre tout naturel, qui résume la morale de l’expérience.
Cependant, seul, dans les loisirs des garnisons et, dans ses quartiers d’hiver, il s’occupait continuellement des études sérieuses et des lettres ; à l’aide de quelques bons livres joints à beaucoup de réflexion, il avait mûri ses pensées, et il s’était appliqué, plume en main, à s’en rendre compte : Voulez-vous démêler, rassembler vos idées, conseillait-il par expérience, les mettre sous un même point de vue et les réduire en principes ?
C’est un don de l’expérience et même d’une profonde étude que d’être familier et de rire avec ses lecteurs. » Plus jeune, il avait osé rire et pleurer à la fois dans ses arlequinades pour Mme Gonthier ; plus mûr, et un peu enhardi par les débuts de la Révolution, il osa être piquant, gai, malin, en même temps que moral encore et bienveillant, dans ses Fables.
Il semblait que l’expérience ne lui eût pas appris « que ce qui nous a paru vrai dans un temps, peut ensuite nous sembler faux dans un autre15 ».
Il n’y a rien que j’aime tant que de faire raisonner les personnes qui font une figure distinguée dans le monde, et qui ont eu occasion, par de longues expériences, de remarquer les fautes de la plupart des hommes, aussi bien que leurs bonnes qualités ; on peut tirer une grande utilité de ces connaissances.
Ma philosophie là-dessus est toute d’expérience, il y a peu de gens, mais bien peu, dont je recherche le suffrage : encore m’en passerais-je au besoin. — Je passe ici mon temps assez bien, écrivait-il encore de Rome à Clavier (octobre 1810), avec quelques amis et quelques livres.
Aujourd’hui, le cercle des expériences accompli et les discussions épuisées, nous revenons à lui avec plaisir.
Mardi 11 février Aujourd’hui, au dîner de Brébant, Nigra a jeté dans la conversation — comme s’il tentait une expérience sur nous — la proposition de nous donner, comme roi de France, son roi à lui.
J’en ai fait l’expérience avec les Foutanké et les Habé et je n’ai malheureusement séjourné que très peu de temps dans le Fouta Djallon ou dans le cercle de Bandiagara, ce qui m’a empêché d’apprivoiser des gens, très réfractaires tout d’abord à la confiance, surtout en ce qui concerne les êtres mystérieux.
De plus, il considère en eux l’expérience acquise qui confère à ceux-ci une force morale rehaussant singulièrement le prestige qu’ils ont pu perdre du fait de leur affaiblissement physique (V. à ce sujet le conte de La femme fatale).
Qu’ils y arrivent, et il sera temps alors pour nous de les combattre, de leur démontrer que ces règles contre lesquelles on se mutine, sont pourtant les seules bases sur lesquelles puisse être assis le système dramatique d’un peuple éclairé, et qu’elles sont elles-mêmes fondées sur les résultats de l’expérience, lentement convertis en axiomes ; qu’elles ne sont pas, comme on a l’air de le croire, des lois imposées à l’imagination par le caprice d’un vieux philosophe grec du temps d’Alexandre, et que l’auteur de la Poétique n’a pas plus inventé les unités, que l’auteur de la Logique n’a créé les syllogismes ; que ces lois, établies pour les intérêts de tous, font seules du théâtre un art, et de cet art une source d’illusions ravissantes pour le spectateur et de succès glorieux pour le poète ; qu’elles ont le double avantage d’élever un obstacle contre lequel le génie lutte avec effort pour en triompher avec honneur, et une barrière qui arrête l’invasion toujours menaçante de la médiocrité aventureuse ; qu’on peut quelquefois essayer de reculer les limites de l’art, et quelquefois même, comme a dit Boileau, tenter de les franchir, mais qu’il ne faut jamais les renverser ; et qu’enfin, il en peut être de la littérature comme de la politique, où quelques concessions habilement faites à la nécessité des temps, préservent l’édifice de sa ruine, et le rajeunissent, tandis qu’une révolution complète, renversant tout ce qu’elle rencontre, bouleversant tout ce qu’elle ne détruit pas, plaçant le crime au-dessus de la vertu, et la sottise au-dessus du génie, engloutit dans un même gouffre la gloire du passé, le bonheur, du présent, et les espérances de l’avenir.
Mais si le critique n’a pas encore tout son développement de doctrine et de génie sévère dans l’auteur des Jugements nouveaux, s’il n’a pas encore atteint cette carrure et ce poids, cette maturité et cette élévation définitive qui font le critique tout-puissant dans une compréhension et une exclusion également souveraines, l’écrivain, qui apparaît toujours plus tôt chez les hommes parce qu’il tient bien plus à des spontanéités qu’à des expériences, et à des jaillissements qu’à des replis, l’écrivain est venu chez Xavier Aubryet, et son développement est si complet et si superbe qu’il aura plus à faire désormais pour s’émonder que pour s’accroître.
Eh bien, Saint-Bonnet a recommencé l’expérience.
Et, en effet, écoutez-le, cet homme du fait et de l’expérience, calomnié jusque dans son esprit : « Si l’affranchissement » — (dit-il, en finissant un examen hostile à cet affranchissement pour des raisons d’État,) — « si l’affranchissement doit avoir lieu en Russie, il s’opérera par ce qu’on appelle la nature.
Prenez les diverses spécialités de sujets que Baudelaire admet à ses expériences, le récit « du littérateur », où vous trouvez, par exemple, des caricatures et des contorsions d’imagination comme celles-ci : « Vous vous sentirez vous évaporant, et vous attribuerez à votre pipe (dans laquelle vous vous sentez accroupi et ramassé comme le tabac), l’étrange faculté de vous fumer » ; prenez le récit de La Dame un peu mûre, et dites si tout cela n’est pas d’un comique dont le haschisch n’est que l’occasion, et d’un comique d’autant plus piquant qu’il est… hypocrite.
avec l’expérience de cet âge ingénu, le pauvre Brizeux se trompait.
On pouvait donc reprendre avec confiance les recherches et les expériences.
C’est une impression que, n’ayant rien de mieux à faire aujourd’hui, j’ai voulu rafraîchir en moi par une petite expérience, que vous auriez également tort, je vous assure, de juger ou superflue ou peu convaincante. […] bien peu de chance de rencontrer, aujourd’hui que nous sommes devenus si intelligents, si cultivés et si profondément bêtes… « J’ai bien peur de prêter à Molière des pensées qui n’ont jamais été les siennes ; mais enfin, il n’est pas impossible que Molière ait précisément voulu marquer, dans l’évolution du personnage d’Agnès, comment la bonté du cœur diminue à mesure que l’intelligence croît et que se développe l’expérience. […] La conséquence, c’est que, dans un sujet de ce genre, les sentiments des personnages n’ont point besoin d’être plus vraisemblables que l’action ou, pour mieux dire, qu’on ne sait jamais bien s’ils le sont ; car, je vous prie, que peut bien être pour nous la vraisemblance des sentiments, dans des situations dont nous ne saurions avoir l’expérience, puisqu’elles sont follement extraordinaires et exceptionnelles ? […] Or, les textes classiques étant plus malaisés à dire, parfois même à comprendre, et d’un tour, d’une syntaxe, d’un vocabulaire un peu différents de ceux d’aujourd’hui, rendent cette expérience beaucoup plus nette et plus significative. […] Quelque expérience.
« Le développement premier de l’embryon, la façon dont chaque individu s’épanouit dans la vie, est le résultat d’habitudes et d’expériences acquises par les êtres antérieurs. […] La science est un ensemble dont toutes les parties se contrôlent : je crois absolument vrai ce qui est prouvé scientifiquement, c’est-à-dire par l’expérience rigoureusement pratiquée. » Absolument vrai ! […] Notre siècle pouvait faire une expérience décisive ; et il l’a, au contraire, rendue désormais impossible. […] Je l’amenai chez moi, et, me méfiant des hallucinations, n’ayant toutefois sous la main ni appareils photographiques, ni phonographes, j’invitai du moins plusieurs personnes à contrôler mon expérience. […] Daudet, sacrifiant la santé et la vie de leurs clients à leur manie d’expériences, à leur imperturbable foi en Dieu sait quelles formules, nées d’hier, et qui sont assurées de périr demain.
Enfin l’expérience m’a enseigné que quiconque ne trouve pas d’abord en lui-même sa propre satisfaction pour son effort vers la beauté ne possédera jamais la tranquillité d’âme nécessaire à la création d’une œuvre qui compte… Tel que je suis, j’espère que l’avenir ne me sera pas trop sévère. […] Plusieurs ont regardé autour d’eux, et ils donnent le résultat de leurs premières expériences. […] C’est ainsi que le mensonge social amène la plupart de nos contemporains à nier l’expérience et à rejeter sur quelques-uns les méfaits d’un système dont tous sont comptables. […] Pour être libre, il ne faudrait pas être — dirigé, il faudrait admettre cette vérité simple, prouvée par une expérience archi-séculaire : Il n’y a jamais eu, il n’y a pas, il ne peut pas y avoir de bon gouvernement. […] D’où vient alors qu’on s’ingénie à méconnaître l’expérience en accordant à quelques-uns ou à beaucoup le pouvoir de promulguer des décrets auxquels tous devront obéir, sous peine d’être tenus pour rebelles et subversifs ?
J’aime, et je veux chanter la joie et la paresse, Ma folle expérience et mes soucis d’un jour, Et je veux raconter et répéter sans cesse Qu’après avoir juré de vivre sans maîtresse, J’ai fait serment de vivre et de mourir d’amour. […] Il a, comme Musset, l’amour de l’amour, et, après chaque expérience, le dégoût invincible, et, après chaque dégoût, l’invincible besoin de recommencer l’expérience, et dans la satiété toujours revenue le désir toujours renaissant ; en somme, la grande maladie humaine, la seule maladie, l’impatience de n’être que soi et que le monde ne soit que ce qu’il est, et l’immortelle illusion renaissant indéfiniment de l’immortelle désespérance… » Le Fantasio de la comédie entreprend pieusement de rompre un mariage qui serait une offense envers le divin Éros. […] Elle a vu tout de suite que Valentin, avec ses prétentions à la clairvoyance et à l’expérience, prend pour la réalité ce qui n’est que de la littérature, et elle le lui reproche gentiment : « Qu’est-ce que cela veut dire de s’aller jeter dans un fossé ? […] Quand vous voudrez me faire un compliment, appelez-moi votre ami. » Mais on a beau être modeste, il y a un degré d’indifférence qui chagrine et décourage un écrivain, et le poète des Nuits en avait fait la dure expérience.
Si vous voulez être à peu près sûr de vous tromper et de recevoir de l’expérience de cruels démentis, c’est à l’évidence qu’il faut vous on rapporter. […] Elles satisfont la raison ; l’expérience, la réalité, le tangible, les yeux ouverts les démentent à chaque mot. […] Car si c’est une vérité universelle d’expérience que « partout l’homme est dans les fers », il est probable que c’est que telle est sa condition naturelle. […] Cependant nous savons par l’expérience que la première est, à tout prendre, ce qu’on peut imaginer de mieux, et la seconde de plus mauvais. » Il en est ainsi de la souveraineté du peuple, de la constitution délibérée et écrite. […] Il sait l’histoire, et fort bien, nous le verrons, et il la méprise : « Ceux qui, dans le gouvernement des affaires humaines, se dirigent uniquement par des faits historiques, et ce qu’ils appellent l’expérience, plutôt que par des principes qui apprennent à lier les faits et à en tirer l’expérience, ressemblent tout à fait à des navigateurs qui ne prendraient ni compas ni boussole, mais seulement des relations de voyages et des journaux de marins. » Bonald est convaincu qu’il a sous les yeux la boussole et entre les mains le compas.
Comment le réalisme s’y est-il conformé, dans les littératures où il fait ses expériences ? […] Et comme il ignore l’existence d’une source plus haute de charité, il dépouille toute pitié ; il ne voit plus dans l’univers que des animaux bêtes ou méchants, soumis à ses expériences, le monde des Bovary et des Homais. […] À ce moment, avec Pierre le Grand, commence la plus curieuse peut-être, la plus anormale à coup sûr des expériences tentées par l’histoire sur la Russie. […] Aujourd’hui même, après cent ans d’expériences qui ont crevé le mensonge, nous commençons à peine à comprendre que notre pessimisme et notre découragement proviennent de cette immense banqueroute de l’idéal philosophique. […] La vie va lui montrer d’autres expériences, qui nécessitent un langage nouveau ; il continuera de les enregistrer, avec l’ardeur et la docilité de la machine que l’on transforme pour un labeur différent.
En riche inconsidéré, il a follement dépensé pour un premier amour tout ce qu’il possédait de tendresse et d’illusions dans le cœur, et quand, s’apercevant qu’il avait fait fausse route, il a voulu recommencer l’expérience, il s’est aperçu que la nature lui avait repris cette faculté magique qui transforme tout et enveloppe l’objet aimé du charme même qu’il n’a pas. […] Les Peupliers refaisaient l’expérience presque sur un seul point. […] Aujourd’hui l’expérience est faite, rien que la science ne semble pouvoir suffire, et on va être forcé de laisser une porte ouverte sur le mystère… Une religion nouvelle, une espérance nouvelle, un paradis nouveau, oui ! […] En principe, on redoute les livres de pensées, par crainte des vérités à La Palisse, et on a raison ; je demande qu’on fasse exception pour celui-ci, qui me semble très supérieur à la moyenne de ces sortes de recueils, et qui révèle beaucoup de tact et d’expérience. […] J’aperçois distinctement, malgré le lointain du temps, leurs faces encore blanches de lait, légèrement fleuries, les boucles duveteuses de leurs cheveux couleur de soleil, et, sur presque toutes ces faces de nouvelles venues, l’expression ironiquement apposée par la vie en avance, cette singulière tare de vieillesse immédiatement visible sur le visage des enfants naissants et qui met quelque temps à disparaître, le sceau hérité de l’expérience et de l’amertume.
En général, Horace est moins goûté de la jeunesse : il faut avoir vécu pour apprécier la justesse de sa morale ; il faut avoir pris les leçons souvent amères de l’expérience pour se faire l’élève de cette sagesse pratique, où la prudence et la modération deviennent la règle de la vie et l’idéal de la vertu… » Ce genre de conseils est sans utilité pratique. […] Pourquoi ne pas copier à la file tout ce qu’on a écrit sur la Paternité, l’Orgueil, la Vie, l’Humanité, le Cœur, l’Expérience, la Raison, etc. ? […] « Ce style classique, dit Taine, est incapable de peindre ou d’enregistrer complètement les détails infinis et accidentés de l’expérience. […] Les expériences de la vie ont presque autant de charme, que les promesses que nous rêvions. […] L’expérience de la vie est nécessaire pour les goûter.
. — Avertie par les objections de Fontanes et de Chateaubriand au livre de La Littérature ; — éclairée par une expérience plus étendue de la vie ; — ayant visité l’Italie et en ayant subi le charme ; — et retenue ou excitée tour à tour par la conversation des hôtes de Coppet ; — Mme de Staël n’abandonne pas ses premières idées ; — et au contraire, en un certain sens, elle juge trop favorablement des littératures du nord ; — par esprit d’opposition à l’Empire ; — et puis, à titre de femme, prompte à s’éprendre de la nouveauté. — Mais elle y montre admirablement qu’après avoir été l’âme de la littérature française, — l’« esprit de société » en est devenu le principe de désorganisation ; — et que notre littérature ne peut donc se régénérer qu’en s’inspirant de nouveaux modèles ; — dont l’originalité nous émancipe de conventions surannées ; — et nous donne, avec l’exemple, le goût de la liberté. — Tous alors nous constituerons ensemble une civilisation occidentale ou européenne ; — dont la littérature sera l’expression commune ; — et dont les caractères seront substantiellement les mêmes, à Paris et à Berlin, à Londres et à Saint-Pétersbourg. — L’objet de cette littérature sera d’améliorer la condition de l’humanité ; — ce qui nous ramène au livre de La Littérature ; — mais de l’améliorer surtout par des moyens moraux ; ou religieux ; — ce qui nous ramène au Génie du christianisme ; — et ce qui réconcilie, par conséquent, au terme comme aux débuts de leur carrière littéraire, Mme de Staël et Chateaubriand. […] 2º L’Écrivain ; — et d’abord, ce qu’il y a dans son œuvre de la tradition des idéologues, et même des encyclopédistes. — Les premiers maîtres de Stendhal : Montesquieu, Marivaux, Duclos, Helvétius, Cabanis. — La carrière militaire et administrative d’Henri Beyle, 1800-1814 ; — et d’une expérience de la vie, rare chez les hommes de lettres, qu’il y a de bonne heure acquise. — Son admiration pour Napoléon [Cf. […] Louis Lambert]. — Ses années de stage chez l’avoué et chez le notaire ; — et de quelle manière il en a profité ; — non seulement en y apprenant cette « procédure » qui devait tenir tant de place dans quelques-uns de ses romans ; — mais en y acquérant l’intelligence des « affaires » ; — et du rôle qu’elles jouent dans la vie contemporaine. — Sa tragédie de Cromwell, 1820 [non imprimée], — et ses premiers romans [sous le pseudonyme d’Horace de Saint-Aubin], — dont il est inutile de retenir les titres, puisqu’il les a désavoués. — Ses entreprises industrielles : de librairie, d’imprimerie, de fonderie de caractères ; — et que rien n’est curieux, dans son désir de gagner de l’argent, comme de le voir ainsi toujours tourner autour des « industries du livre ». — Que si d’ailleurs il n’a réussi ni comme « fondeur », ni comme « imprimeur », — cette expérience d’un autre genre, — venant s’ajouter à celle qu’il avait acquise chez le notaire et chez l’avoué, — n’est pas entrée pour une petite part dans la composition de son talent. — Les Chouans, 1827-1829 ; — La Physiologie du mariage, 1829-1830 ; — La Maison du chat qui pelote, Le Bal de Sceaux, La Vendetta, 1830. — Son activité fiévreuse et sa production désordonnée [Cf. […] Un grand homme de province à Paris, ou La Dernière incarnation de Vautrin], — immoraux que comme l’expérience ou la vie même. — On peut dire seulement qu’ayant mis son tempérament dans son œuvre ; — il n’a pas évité le danger de tout réalisme ; — qui est, en considérant l’homme comme il ferait l’animal, — d’oublier que l’homme n’est l’homme que dans la mesure où il se distingue de l’animal ; — et que, si l’histoire naturelle n’a pas de fonction sociale, — au contraire l’art et la littérature en ont une. […] Elle a gagné de son côté deux choses à traverser le socialisme, — dont la première est d’avoir aperçu le danger de l’« individualisme » ; — et en second lieu, elle a compris que le monde est plus vaste que le peu qu’en saisit notre expérience personnelle. — Nous ne sommes pas les seuls hommes, et nos maux ne sont pas tous les maux ; — il y en a d’autres, et de plus cruels, que de s’être mariée sans amour, comme Valentine ; — ou d’avoir, comme Lélia, trouvé le dégoût au fond de la volupté. — Et de là le caractère nouveau des romans de la dernière période ; — à l’exception d’Elle et Lui, 1859, — qui est sa réponse, un peu tardive, à La Confession d’un enfant du siècle. — Jean de la Roche, 1860 ; — Le Marquis de Villemer, 1861 ; — Tamaris, 1862 ; — Mlle de la Quintinie, 1863 [celui-ci est une réponse à l’Histoire de Sibylle, d’Octave Feuillet]. — Elle n’abjure point ses idées ; — et elle plaide toujours volontiers ce qu’elle croit être la cause de la « liberté » ; — elle ne veut point de contrainte morale ni politique ; — mais l’ardeur d’apostolat s’apaise, — et surtout l’ardeur de la révolte. — Antonia, 1863 ; — La Confession d’une jeune fille, 1865 ; — Monsieur Silvestre, 1866 ; — Le Dernier Amour, 1867. — Mlle Merquem, 1868. — Si son imagination ne s’applique point à se « soumettre » à ses modèles, — elle mêle pourtant beaucoup moins d’elle-même aux peintures qu’elle en fait ; — et le grand intérêt en est pour elle dans l’air de vie, — sinon de réalité qu’elle leur communique [Cf. sa Correspondance avec Flaubert, et plus loin l’article Flaubert]. — Elle subit vaguement l’influence rétrospective de la popularité de Balzac tous les jours grandissante ; — et du « réalisme » qu’elle a aidé à naître. — Les dernières œuvres : Francia, 1871 ; — Nanon, 1872 ; — Flamarande, 1875 ; — La Tour de Percemont, 1876. — Pourquoi nous ne parlons pas de son « théâtre » ; — s’il ne lui appartient qu’à peine ; — et que les rares succès qu’elle y a obtenus — ne soient dus qu’à l’habileté technique de ses collaborateurs.
Je sens bien qu’il faut que je paie moi-même l’expérience que j’acquiers ; mais je voudrais que d’autres ne la payassent pas. […] Comme corollaire à ceci, j’ai besoin d’ajouter un point tout d’expérience, un précepte également contraire au Tout ou rien d’une morale inaccessible.
C’est pour les malheureux qu’il faut écrire ; ceux qui sont en possession des prospérités de ce monde, ne s’instruisent que par leur propre expérience, et les idées générales en toutes choses ne leur paraissent que du temps perdu. […] Asham, vous le savez, est sérieux et calme, il s’appuie sur la vieillesse pour supporter les maux de l’existence ; en effet la vieillesse d’un penseur n’est pas débile, l’expérience et la foi le fortifient, et quand l’espace qui reste est si court, un dernier effort suffit pour le parcourir ; ce terme est encore plus rapproché pour moi que pour un vieillard, mais les douleurs rassemblées sur mes derniers jours seront amères.
Je crus que je me ravalais ; mais non, je faisais comme vous, je grandissais selon ma mesure, car j’appropriais mon expérience à l’usage plus utile que j’en voulais faire. […] Contentons-nous de préserver notre honneur en vivant séparés de ces partis, et en regardant ce qui se passe en dehors de nous avec les leçons de l’expérience et les vœux pour notre pays.
À bout de faux pas, d’expériences avortées, il a fallu revenir à ces routes qu’on trouvait si monotones et si plates ; il a fallu se soumettre à ce joug qui semblait si lourd et si gênant, parce qu’on ne savait pas le porter ; et les règles sont sorties plus claires et plus fermes de ces conflits où on les avait tant maltraitées et tant obscurcies. […] Aristote n’avait rien de pareil à sa disposition ; et cette vaste expérience lui a été refusée, à la fois par l’époque où il a paru, et par le peuple auquel il s’adressait.
Thwaites m’a fait part de faits analogues qu’il a observés à Ceylan ; et des expériences semblables ont été faites par M. […] Mais jusqu’à ce que j’aie vu quelqu’un semer des Haricots pendant une vingtaine de générations successives, assez tôt pour qu’une grande partie des semences soient détruites par la gelée, recueillir ensuite les graines du petit nombre des survivants avec assez de soin pour prévenir les croisements accidentels, les réserver encore, et recueillir les graines de ce semis avec la même précaution, je ne puis considérer l’expérience comme ayant seulement été tentée.
L’expérience avoit accoûtumé à voir sans surprise cette distribution inégale de l’esprit entre des contrées si voisines. […] D’ailleurs, l’expérience de ce qui s’est passé depuis Paterculus, donne encore un nouveau poids à ses refléxions.
L’expérience m’apprend aussi que le mérite des grandes choses n’est jamais mieux connu que de ceux qui ne les ont pas vues naître.
Mme de Maintenon ne discutait pas, mais lui opposait l’usage, l’expérience, l’impossibilité de ne pas bégayer en de telles matières : Toutes ces idées, lui disait-elle, sont des restes de vanité : vous ne voudriez point de choses communes à tout le monde ; votre esprit est élevé, vous voudriez des choses qui le fussent autant que lui : inutile désir !
… Ce chant, pour justifier son titre, traite des fleurs, des travaux du jardinage : « Qui aime un jardin aime aussi une serre. » Il y a des préceptes tout particuliers sur l’art d’élever les courges ; le poète y parle d’après sa propre expérience, et comme quelqu’un qui a mis la main à la bêche et à la terre.
Après que la Révolution eut fait son œuvre de ruine, bien des anciens adorateurs de Voltaire se détachèrent de son culte plus qu’à demi ; ils sentirent le prix des institutions qu’il avait imprudemment sapées ; ils se dirent qu’il les aurait, lui aussi, regrettées comme ils les regrettaient eux-mêmes ; on se rendit mieux compte de ses inconséquences, et, en gardant de l’admiration pour l’esprit inimitable et séduisant, on en vint à le juger avec une sévérité morale justifiée par l’expérience.
D’après mon expérience, que je ne prétends point donner pour preuve de la vérité, je serais donc disposé à conclure que l’état de nos corps, ou un certain mécanisme de notre être que nous ne dirigeons pas, détermine la somme de nos moments heureux ou malheureux ; que nos opinions sont toujours dominées par cet état, et que généralement toutes les affections que l’on regarde vulgairement comme des causes du bonheur ne sont, ainsi que le bonheur même, que des effets de l’organisation.
Il y a un côté par où M. de Mirabeau tomba dans la secte et fut un dévot au docteur Quesnay ; mais, en laissant ce côté particulier et ce coin de paradoxe économique, que d’idées fines et justes dans ses écrits, que de vues justifiées par l’expérience et que ne désavouerait pas le bon sens politique, soit qu’on le prenne dans son mémoire de début sur L’Utilité des États provinciaux (1750), soit dans maint chapitre de L’Ami des hommes (1756), soit dans la Théorie de l’impôt (1760) qui le fit mettre cinq jours au donjon de Vincennes, par un simulacre de châtiment et une concession faite aux puissances financières du temps !
Ce Shakspeare par lequel prophétise la nature, et dont un critique souverain a dit qu’il nous conduit à travers le monde tel qu’il est, bien et mal, lumière et ténèbres, grandeurs et abîmes, tous aspects différents et nécessaires : « Mais nous, hommes raffinés et sans expérience, nous nous écrions, à chaque sauterelle que nous rencontrons : Elle va nous dévorer !
Mais ce qu’avait voulu le docte et impertinent Schlegel dans sa brochure, c’était surtout de se divertir avec ironie et de nous irriter, et comme il l’a dit ensuite lui-même : « C’était une expérience que je m’amusais à faire sur l’opinion littéraire, sachant d’avance qu’un orage épouvantable éclaterait contre moi. » Un autre Allemand, moins distingué et plus bizarre, un hôte de passage, le poète tragique et mystique, Zacharias Werner, qui séjourna à Coppet et qui passa ensuite par Florence, est annoncé par Sismondi à la comtesse en des termes assez piquants, et plus gais qu’on ne l’attendrait d’une plume aussi peu badine ; mais Werner y prêtait : « Werner, disait Sismondi, est un homme de beaucoup d’esprit ; — de beaucoup de grâce, de finesse et de gaieté dans l’esprit, ce à quoi il joint la sensibilité et la profondeur ; et cependant il se considère comme chargé d’aller prêcher l’amour par le monde.
L’image de ma bonne mère, de toute ma famille, de mes bonheurs d’enfance, me sera toujours présente en même temps que vos conseils seront toujours devant mes yeux ; — j’arriverai sans expérience dans un pays nouveau qui m’a adoptée sur votre nom, je tremble à l’idée que je ne répondrai pas à l’attente ; le peu que je pourrai valoir, c’est à vous que je le devrai ; mais maintenant je sens que je n’ai pas assez profité de vos leçons si tendres : que vos bontés me suivent, je vous en conjure !
On ne sait bien ces choses-là qu’une fois, et tous les ouï-dire du monde ne sauraient tenir lieu de l’expérience personnelle.
Je vous prie donc en amie, et comme votre tendre mère, qui parle par expérience, ne vous laissez aller à aucune nonchalance ni sur votre figure, ni sur les représentations.
Le plan de Malouet consistait, d’abord, à en avoir un, à ne pas affronter cette grande crise « sans aucun préparatif de défense, sans aucune combinaison ; à savoir bien nettement ce qu’on voulait concéder, jusqu’où l’on voulait porter les réformes, à le dire, à le déclarer hautement, de manière à retrouver le tout en substance dans le texte des cahiers de bailliages, ce qui, selon l’état de l’opinion en province, lui semblait alors fort possible ; à ne pas s’en remettre pour ces points essentiels à une réunion de douze cents législateurs tirés de toutes les classes, la plupart sans expérience, sans habitude de discussion et de méditation sur ces graves matières, exposés à tous les souffles de l’opinion extérieure, et livrés au flux et reflux des grandes assemblées.
Il continue donc, sans faire la moindre allusion à l’expérience flagrante, de poursuivre le Discours sur l’Inégalité des Conditions et l’Émile, de vouloir ramener l’homme au centre primitif des affections simples et naturelles.
Le temps est venu de refaire ce qui a vieilli, de reprendre ce qui a changé, de montrer décidément la grimace et la ride là où l’on n’aurait voulu voir que le sourire, de juger cette fois sans flatter, sans dénigrer non plus, et après l’expérience décisive d’une seconde phase.
Avant de prendre racine dans leur cervelle, toute idée doit devenir une légende, aussi absurde que simple, appropriée à leur expérience, à leurs facultés, à leurs craintes, à leurs espérances.
L’expérience alors fut courte et malheureuse : mais Montesquieu prit sa revanche de 1815 à 1848.
. — M. d’Artannes, un gentilhomme qui a toutes les vertus et beaucoup d’expérience et d’esprit, se fait le mentor d’une fillette et s’applique à former son esprit et son cœur.
C’est une curieuse expérience que celle-ci, et je parierais qu’on la ferait sans exception sur toutes les histoires générales.
L’expérience l’enseigne ; le raisonnement l’explique.
L’expérience, le crédit, la renommée, le talent, toutes les clefs des portes fermées ne s’enlèvent qu’après des luttes, livrées à nu, contre mille obstacles.
Mais comment admettre qu’à peine revenue de cette scabreuse expérience, la jeune femme recherche si vite une nouvelle épreuve.
Esprit clair, vigoureux et net, par sa longue pratique positive il n’a fait que se fortifier dans son premier instinct et y ajouter l’arrêt de l’expérience.
Quelques-unes des pastilles parurent douteuses ; mais la quantité n’était pas suffisante, disait le chimiste, pour permettre de constater les expériences et d’asseoir un jugement.
Après tout, mourir à trente-deux ans, au comble d’une vie si remplie, au moment où la jeunesse rayonne encore, où l’expérience acquise n’a pas encore achevé de flétrir en nous l’espérance et la foi à la régénération de la société et aux futures destinées humaines, ce n’est peut-être pas un sort si lamentable.
» On voit que Mme Geoffrin n’était douce que quand elle le voulait, et que cette bénignité d’humeur et de bienfaisance recouvrait une expérience amère.
Cette année dut lui être féconde et lui profiter en ironie et en expérience.
Dans Le Duel, il a exprimé sa doctrine d’expérience tolérante par la bouche de Mme Derville, une aimable grand-mère qui tâche de donner de la modération à son petit-fils.
Les préceptes qu’il donne pour leur plaire et les intéresser en causant, sont le résultat le plus consommé de l’expérience : Dans leur conversation, songez bien à ne les tenir jamais indifférentes ; leur âme est ennemie de cette langueur ; ou faites-vous aimer, ou flattez-les sur ce qu’elles aiment, ou faites-leur trouver en elles de quoi s’aimer mieux ; car, enfin, il leur faut de l’amour, de quelque nature qu’il puisse être ; leur cœur n’est jamais vide de cette passion.
J’ai voulu faire une expérience qui n’a rien de bien pénible.
S’il fallait trouver une parenté historique à Mme de Motteville, je la trouverais plutôt dans les Mémoires du sage chambellan Philippe de Commynes qu’elle aime à citer, et dont elle rappelle parfois les fruits de saine et judicieuse expérience.
Pour lui, l’expérience de la Révolution le corrigea vite.
L’expérience de cette campagne m’a fait renoncer pour toujours à ce rôle mixte et bâtard.
Quand on a beaucoup lu Montesquieu et qu’on est Français, une tentation vous prend : « Il semble, a dit de lui un critique sagace17, enseigner l’art de faire des empires ; on croit rapprendre en l’écoutant ; et, toutes les fois qu’on le lit, on est tenté d’en construire un. » Montesquieu ne dit pas assez à ceux qui le lisent : « Pour considérer l’histoire avec cette réflexion et avec cette suite, et pour en raisonner si à l’aise et de si haut, vous n’êtes pas, je ne suis pas moi-même un homme d’État. » Le premier mot et le dernier de L’Esprit des lois devrait être : « La politique ne s’apprend point par les livres. » Que nous tous, esprits qui formons le commun du monde, nous tombions dans ces erreurs et dans ces oublis d’où nous ne sommes tirés que rudement ensuite par l’expérience, rien de plus naturel et de plus simple : mais que le législateur et le génie qui s’est levé comme notre guide y soit jusqu’à un certain point tombé lui-même, ou qu’il n’ait point paru se douter qu’on y pût tomber, là est le côté faible et une sorte d’imprudence.
Mais, pour lui qui maîtrisait ses passions et qui se gouvernait par prudence, ces sortes d’aventures d’un moment et d’échappées à travers l’espace n’avaient point d’inconvénients ; il revenait dans la pratique de chaque jour à l’expérience et au possible : ce que ses disciples, nous le verrons, ne firent pas toujours.
Il n’a pas craint quelque part de comparer crûment la charge des peuples à celle des bêtes de somme, qui doit être proportionnée à leurs forces : « Il en est de même, ajoute-t-il, des subsides à l’égard des peuples ; s’ils n’étaient modérés, lors même qu’ils seraient utiles au public, ils ne laisseraient pas d’être injustes. » Dans tout ce que j’aurai à dire de Richelieu, je m’attacherai à le faire avec vérité, sans parti pris, sans idée de dénigrement : on est revenu, par expérience, de cette idée-là, qui tendait à méconnaître et à déprimer en lui l’un des plus généreux artisans de la grandeur de la France.
Toute sa correspondance, à cette date, témoigne d’une âme droite et humaine, qui reçoit l’expérience, mais sans se fermer ni s’endurcir.
Rivarol, qui n’était pas encore mûri par l’expérience, riposta à l’ouvrage de M.
Il rappelle plus d’une fois son généreux et plus confiant ami, M. de Suhm, à la réalité et à l’expérience : les Descartes, les Newton, les Leibniz peuvent venir et se succéder, sans qu’il y ait danger pour les passions humaines de perdre du terrain et de disparaître : « Selon toutes les apparences, on raisonnera toujours mieux dans le monde, mais la pratique n’en vaudra pas mieux pour cela. » Dans sa douce et studieuse retraite de Remusberg, regrettant l’ami absent : Il me semble, lui écrit-il (16 novembre 1736), il me semble que je vous revois au coin de mon feu, que je vous entends m’entretenir agréablement sur des sujets que nous ne comprenons pas trop tous deux, et qui cependant prennent un air de vraisemblance dans votre bouche.
Il lui arriva alors ce qui est arrivé à bien d’autres gens de talent : ce genre, qu’il n’adopta d’abord que comme diversion et comme un simple délassement sans importance, lui devint peu à peu essentiel et lui procura ses plus naturelles inspirations ; il mit en œuvre et comme en jolie monnaie ses trésors de raison, d’expérience, de malice et de gaieté ; et, si l’on voulait aujourd’hui prouver à quelque incrédule, à quelqu’un de ceux qui nient absolument la littérature de l’Empire, qu’Arnault était un homme de beaucoup d’esprit et un homme de talent, il faudrait laisser ses grands ouvrages et dire simplement : Prenez ses fables.
Tourguénef nous emmène à Bade, dans les salons de l’aristocratie russe, ou qu’il nous fasse entendre les paroles mystiques du nain Caciane, au fond d’une forêt du gouvernement de Kalouga, ou que ce soit la vie infiniment triste et monotone d’un propriétaire végétant seul au milieu des boues de son bien qu’il nous montre, immédiatement, de plain-pied, nous pénétrons dans le cercle de ces existences lointaines ; comme séduits par une incantation, nous prenons notre part à d’autres souffrances et à d’autres passions que les nôtres, jusqu’à ce que le rayon de nos émotions et de notre expérience comprenne toute une époque et toute une terre, où nous emporte une illusion aussi complète et aussi impérieuse qu’un rêve.
J’en ai acquis la certitude par ma propre expérience.
L’expérience journalière répond affirmativement.
Merveilleux et tendresse, sublimité des images et profonde émotion du cœur, il y aura donc là ce que la poésie la plus vraie, la plus naturelle, avait pu concevoir de plus grand, à la pensée de Dieu et sous les rayons de la plus éclatante nature ; et là devait se rencontrer aussi ce que l’âge plus avancé du monde, ce que l’expérience plus triste de la vie, ce que les malheurs réitérés des siècles, auront appris à l’âme humaine.
Nous faisons, depuis un siècle, des expériences pour les autres. Mais (nos débuts d’il y a cent ans mis à part) j’ose dire que nous les faisons mollement, ces expériences, et que nous ne les poussons guère jusqu’au bout, comme si nous n’étions pas très persuadés de l’excellence de notre dessein. […] Il y a du Latin gouailleur, même parfois chez nos plus déterminés et nos plus dangereux anarchistes… Quand les peuples du Nord, quand les méditatifs et les puritains se mettront à leur tour à faire des expériences, soyez sûrs que ce sera autre chose. […] Elle pardonne à Krogstad les défaillances de son passé, car elle sait par expérience combien la lutte est dure pour les pauvres gens et les isolés. — Nous sommes deux naufragés, dit-elle à Krogstad. […] J’ai constaté, par des expériences répétées, que les paysans munis de certificats d’études ne valaient pas, moralement, leurs pères « illettrés », pour parler comme les statistiques.
La fantaisie du poète suffit à fausser l’expérience. […] On voudrait au moins que l’expérience du prince eût été plus longue et moins insignifiante. […] Puis leur fille, madame de Courlandon, une jeune femme, qui, séparée de son mari et même de son amant, s’ennuie (cela se comprend), se désespère de ne pas connaître les exaltations de l’amour et s’avise de tenter sur un jeune peintre une expérience in anima vili, laquelle est près, fort près d’aboutir. […] Et, dans toutes ces petitesses qui contrastent violemment avec sa grandeur intellectuelle, il reste un artiste implacable, transformant en littérature la souffrance des autres, montant en perles fines les larmes qu’il fait couler, faisant sur sa propre fille des expériences de douleur, ce qu’on pourrait appeler de la vivisection morale. […] Et puis, quand même elles déclareraient (ce qu’elles n’ont garde de faire) que le mérite se transmet intégralement de père en fils, elles ne sauraient prévaloir contre l’expérience de tous les jours.
. — Dans le même ordre d’expériences je mentionnerai encore quelques gorgées de vin d’Espagne qui me furent données généreusement par des contrebandiers en des circonstances analogues, — et même la simple trouvaille d’une source sur le flanc d’une montagne désolée. […] Le jugement esthétique ne devient presque immédiat que par l’accumulation des expériences chez l’individu ou chez la race19. […] Grant Allen, qui parle en son propre compte, il faudrait plusieurs expériences accumulées et une série de comparaisons pour bien saisir certaines beautés naturelles, comme les chutes d’eau. « Si on peut en croire une expérience personnelle, ce n’est pas la première chute d’eau qui charme le plus. […] Sans entrer dans les expériences de Helmholtz, on peut démontrer d’une façon très simple que la variation des voyelles est due aux variations de timbre.
Encore quelques années, et son historien sera obligé de nous montrer comment, après cette enfance généreuse, son héros fut gâté par l’exercice précoce de la toute-puissance, égaré par l’ivresse du triomphe, porté au mépris du genre humain par les trahisons des politiciens et par l’expérience quotidienne de leur servilité. […] Ce militaire, alors naïf, n’avait pas l’expérience du luxe. […] Et le récit de cette première expérience conjugale pourrait s’intituler irrespectueusement : « Napoléon-Sganarelle », ou si vous aimez mieux : « Napoléon-Dandin ». […] Dans ce livre, très riche de documents, la partie la plus neuve est celle qui se rapporte aux expériences socialistes où se sont engagés récemment les Australiens. […] Il a lu, de préférence, les livres qui sont le résultat d’une expérience directe et qui ont été écrits en Chine, sur les Chinois.
Ce n’est pas nous qu’il faut surprendre, mais les acteurs de la pièce. « On doit, dit excellemment Diderot, rapporter l’intérêt aux personnages, non aux spectateurs… Le poète me ménage par le secret un instant de surprise ; il m’eût exposé, par la confidence, à une longue inquiétude. » Cette loi, qui a été lente à s’établir (car elle ne pouvait être que le fruit d’une longue expérience), la tragédie de Sophocle en est l’éclatante et vénérable justification. […] Mais, au reste, je sais par expérience qu’il ne faut jamais craindre de raconter même les choses les plus connues. […] » Les sentiments contraires dont cet homme d’expérience est agité, sa surprise, son ravissement, sa griserie si mal combattue par les ressouvenirs de sa science de la vie, sa folie lucide (mais dont la lucidité va décroissant), son égoïsme si impitoyable et si innocent ( « Bonne Clotilde ! […] Jean Richepin pour ce qu’elle est, et j’en ai joui comme d’une jolie histoire sentimentale, vraie à demi, et merveilleusement encadrée… Et j’ai songé : « Admirons les effets de la grâce divine, ou simplement peut-être de cette douceur, de cet assagissement, de cette résignation, de cette sérénité qu’apporte l’expérience aux âmes bien nées ! […] (Vers la fin du tableau, Robert de Clerfont est accusé d’avoir étranglé la petite Rose, une jolie paysanne avec qui il est sorti un moment auparavant. ) Le tableau suivant nous transporte dans la salle du château de Clerfont, où le marquis fait ses expériences de chimie.
Shakspeare y arrivait par la prodigieuse tension de son rêve poétique, et Carlyle répète sans cesse d’après lui « que nous sommes faits de la même étoffe que nos songes. » Ce monde réel, ces événements si âprement poursuivis, circonscrits et palpés, ne sont pour lui que des apparitions ; cet univers est divin. « Ton pain, tes habits, tout y est miracle, la nature est surnaturelle. » — « Oui, il y a un sens divin, ineffable, plein de splendeur, d’étonnement et de terreur, dans l’être de chaque homme et de chaque chose ; je veux dire la présence de Dieu qui a fait tout homme et toute chose1415. » Délivrons-nous de « ces pauvres enveloppes impies, de ces nomenclatures, de ces ouï-dire scientifiques » qui nous empêchent d’ouvrir les yeux et de voir tel qu’il est le redoutable mystère des choses. « La science athée bavarde misérablement du monde, avec ses classifications, ses expériences, et je ne sais quoi encore, comme si le monde était une misérable chose morte, bonne pour être fourrée en des bouteilles de Leyde et vendue sur des comptoirs. […] Le positivisme, appuyé sur toute l’expérience moderne, et allégé, depuis la mort de son fondateur, de ses fantaisies sociales et religieuses, a repris une nouvelle vie en se réduisant à marquer la liaison des groupes naturels et l’enchaînement des sciences établies. […] Si vous avez un peu d’imagination, vous ferez de cette force un être distinct, situé hors des prises de l’expérience, spirituel, principe et substance des choses sensibles.
Si, dans la peinture des passions, vous allez au-delà, non de celles que j’ai pu connaître, car je ne réduis pas le vrai à mon expérience personnelle, mais de celles que je puis concevoir, ma raison ne vous suivra pas. […] Une seule satire en interrompt le cours : c’est la satire contre les femmes, ouvrage qui parut froid, malgré de grandes beautés, soit qu’on y sentît un poète déshabitué, depuis plus de vingt-cinq ans, de la satire147, et qui en forçait le ton, soit que l’idée ne lui en fût venue ni des mœurs du temps, ni de son expérience personnelle. […] Ce sont les satires littéraires et quelques satires morales, fruits de cet âge où l’on a un sentiment si vif des défauts et des vices des hommes, et la prétention de les corriger ; l’Art poétique, et les épîtres, qui marquent, l’un, l’âge de la pleine maturité et le désir d’établir ses principes et de confesser sa foi ; les autres, l’expérience, qui croît à mesure que les jours s’écoulent, et qui nous rend plus faciles sur les défauts d’autrui et plus attentifs aux nôtres.
Ils venaient plutôt chez Mirbeau de son tempérament qu’ils n’étaient le résultat de son expérience, mais il les entretenait soigneusement parce qu’ils offraient un point de départ de ses colères. […] Son avis est écouté et suivi sans discussion, car son opinion est toujours motivée, et accompagnée d’arguments convaincants que lui fournissent son expérience littéraire, sa vaste érudition, son admirable sens critique. […] Forain avait dû à cette dure période de sa vie une vue amère de l’existence, mais il y avait fait l’expérience de son énergie et de sa ténacité.
Roederer, nous dit Beugnot, en appuyant sur les reproches que l’empereur m’avait faits de n’être ni logé, ni meublé, ni arrangé, prit la peine de m’expliquer ce qu’il eût fait à ma place pour se procurer ces jouissances, et il me déploya une délicatesse de goût, une expérience de bien-être, une recherche en toutes choses qu’on ne se serait jamais avisé de rencontrer en lui.
S’il a, comme je l’ai dit, le sentiment de la fatigue et de l’épuisement des sociétés, de ce caractère blasé qui est le produit de l’extrême civilisation, il retrouve aussi en idée, et par saillies, cet autre sentiment de la jeunesse et de la vigueur première du monde, et il le reconnaît aux anciens dans tous les ordres de travaux et de découvertes : il sait que pour tout ce qui est de l’observation et de l’expérience, et dans les sciences qui en dépendent, les modernes l’emportent de beaucoup : Il me suffit, ajoute-t-il, d’avoir remarqué que les anciens ont été plus promptement éclairés que les modernes, qu’ils ont volé dans la carrière où les autres se sont traînés.
[NdA] Si l’on en veut une preuve que j’ose dire inimaginable, on n’a qu’à lire la pensée suivante où l’illusion pacifique, jointe à la préoccupation de soi et à la confiance qu’on a d’être l’objet spécial de la prédilection divine, passe tous les degrés : Je me suis senti tellement né pour la paix et pour le bonheur, et j’ai eu de si fréquentes expériences que l’on m’avait même dès ce monde comme environné du lieu de repos, que j’ai eu la présomption de croire que dans tous les lieux que j’habiterais il n’arriverait jamais de bien grands troubles ni de bien grands malheurs.
L’âge nous donne l’expérience et des sentiments meilleurs, que je préfère aux folles illusions de la jeunesse.
La France, en ne s’asseyant pas, et, à travers tout, en ne se sentant point satisfaite à demi, y a gagné d’être en étude, en expérience, en éducation perpétuelle, d’être comblée, puis épuisée, mais non pas rassasiée sous Louis XIV, de grandir par la pensée, même sous Louis XV, — surtout sous Louis XV, — d’en venir à la nécessité d’un 89 et d’un 1800, c’est-à-dire à un état social plus complètement débarrassé des liens du passé, à une plus grande perfection civile.
Villon, qui savait par expérience et pour en avoir pâti, ce que c’est que la pauvreté, le cri de la faim, qui avait bu souvent de l’eau claire, faute de mieux, et y avait trempé sa croûte sèche, fit à sa manière sa pièce du Mondain, par laquelle il rompait en visière à toute cette école de bûcherons amateurs ; il opposa à leur félicité rustique imaginaire, à ces délices plus que douteuses de la vie agreste, toutes les aises et les petits soins de la vie commode et vraiment civilisée, telle qu’il la rêvait et telle qu’il ne l’avait jamais entrevue, hélas !
Si l’on avait à discuter, il y aurait à démontrer par les faits et par l’expérience que l’homme n’est pas si essentiellement raisonnable, que la société n’est pas une œuvre si naturelle, si facile, et où tout marche nécessairement de soi, qu’elle a été une création plus artificielle que ne l’imaginent des publicistes trop confiants, et que ce qui a été si pénible à construire et à élever n’est sans doute pas si simple à entretenir, tellement qu’il suffise de laisser faire et dire à tous les membres d’une nation tout ce qu’ils croient le mieux, pour que tout aille et tourne au mieux effectivement.
Il ne créait plus, je n’appelle pas création cette seconde et éternelle partie de Faust, — mais il revenait sur lui-même, il revoyait ses écrits, préparait ses Œuvres complètes, et, dans son retour réfléchi sur son passé qui ne l’empêchait pas d’être attentif à tout ce qui se faisait de remarquable autour de lui et dans les contrées voisines, il épanchait en confidences journalières les trésors de son expérience et de sa sagesse.
Grâce à elle et malgré les souvenirs de licencieuse jeunesse qui se rattachaient à son nom, qui se chantonnaient encore à voix basse à la cantonade, qui ne nuisaient en rien cependant à sa considération dernière, et qui peut-être, auprès de générations très-gâtées, y aidaient plutôt (car on la savait d’une expérience suprême), grâce donc à la maréchale de Luxembourg, l’ancienne société, l’ancien salon français resta jusqu’à la fin marqué d’un caractère propre et unique pour l’excellence du ton.
Royer-Collard a varié : il était plus royaliste en 1815 ; il était, je l’ai dit, plus rapproché de ses origines, de sa première religion politique, de laquelle l’expérience le détacha et le désintéressa depuis : il n’avait pas dépouillé tout son royalisme sentimental.
On y voit, et je l’ai déjà dit, ce qu’il pense de la politique ; on n’y voit pas moins ce qu’il pense de cette philosophie essentiellement idéale et illusoire qui, sans tenir compte de la pratique humaine et de l’expérience, prétend que « le beau n’est que la forme du bon. » Et il a même, à ce sujet, une manière de parabole ou d’apologue assez remarquable.
Ils se formèrent sous le maître des maîtres, la pratique et l’expérience.
L’homme est naturellement cruel à l’homme tant que la civilisation ne l’a pas adouci : Jean-Bon le sentait par une dure et cruelle expérience.
Mais, ce qui était pis, Vauban, l’autorité même, Vauban semblait croire que Catinat aurait pu agir autrement et tenir le poste de La Pérouse ; il le disait à qui voulait l’entendre : « Je t’assure, écrivait Catinat à son frère, qu’il n’y a ombre de raison à ce dire, et qu’il aurait de la confusion de l’avoir avancé s’il était sur les lieux et qu’on lui dît de disposer ce poste pour être soutenu contre une armée qui a du canon… Je suis assurément rempli d’un grand fonds d’estime et d’affection pour M. de Vauban ; mais je voudrais bien voir jusqu’où iraient ses lumières et la tranquillité de son esprit, s’il était chargé en chef des affaires de ce pays-ci : je crois qu’il y serait pour le moins aussi fécond en inquiétudes qu’il l’était à Namur, où il était demeuré après la prise. » Catinat d’ailleurs n’en veut point à Vauban, et il trouve, pour l’excuser de ce léger tort à son égard, une belle explication amicale : « M. de Vauban est de mes amis ; sa franchise naturelle l’a surpris et l’a fait parler d’une chose qu’il a pensée et qu’il ne sait point, et avec peu de ménagement pour un homme qu’il aime ou qui est en droit de le croire. » Bien qu’endurci par l’expérience à tous les propos, Catinat était donc en ce moment fort fécond en soucis et des plus travaillés d’esprit ; toutes ses lettres adressées du camp de Fénestrelles à son frère nous ouvrent le fond de son âme : « Personne n’est à l’abri du discours, c’est un mal commun à tous ceux qui sont honorés du commandement : il faudrait que je fusse bien abîmé dans un esprit de présomption pour que je pusse imaginer que cela fût autrement à mon égard.
Comme on m’accordait en cette partie plus d’expérience et de lumières qu’aux députés étrangers à cette administration, on ne fut pas étonné des compliments de Barnave ; mais je compris ce qu’ils signifiaient, et je me prêtai volontiers à l’explication qu’il cherchait : il eut l’air, après la séance, de traiter particulièrement avec moi la même question, et nous restâmes seuls au comité.
Les vieux généraux de la guerre de Sept Ans, exhumés après tant d’années et pris pour guides, se trouvèrent à court ; ils n’avaient rien appris depuis : « l’âge avait glacé chez eux les qualités qui leur avaient valu du renom, et ne leur avait pas donné le génie, car le génie n’est jamais le fruit de l’âge ni de l’expérience. » Les jeunes, « le prince de Hohenlohe, et Massenbach, son bras droit, avaient tout juste assez d’esprit et de science pour prendre de la guerre ce qu’il y avait de plus faux. » Les manœuvres leur cachaient les vrais mouvements.
J’arrête souvent mon cheval au milieu des chemins ruraux que je traverse de préférence, et je demeure attendri jusqu’au fond du cœur des tableaux qui s’offrent à moi : Voici les charrues actives qui passent sous les pommiers jaunis ; le sac de bon grain est debout au milieu du champ, que parcourt en tous sens la herse traînée par de bons jeunes et vieux chevaux, qu’on a soin d’atteler ensemble, image de la vigueur et de l’expérience unies.
Les bons esprits que renferme l’association ont dû y réfléchir déjà, et par expérience.
Un célèbre critique, et dont l’inépuisable saillie, nourrie d’expérience, fait désormais autorité, M.
Pour le critique, c’est-à-dire pour l’écrivain de comparaison et d’expérience, cette impulsion doit surtout venir du dehors en se combinant avec le train habituel et avec les forces acquises.
La prudence exige de n’y compter qu’autant que les intérêts communs s’y trouvent, et l’expérience de tous les siècles apprend que ces liaisons de parenté sont souvent plus embarrassantes qu’utiles quand les intérêts sont naturellement opposés. » — Un des soins de M. de Ségur dans ses notes est de rejoindre, autant que possible, la morale et la politique, et de ne plus les vouloir séparer.
Télémaque, pendant ce long voyage, tantôt heureux, tantôt traversé par le destin, aborde ou échoue sur mille rivages, assiste à des civilisations diverses, expliquées par son maître Mentor, court des dangers, éprouve des passions, est exposé à des piéges d’orgueil, de gloire, de volupté, en triomphe avec l’aide de cette Sagesse invisible qui le conseille et le protége, se mûrit par les années, se corrige par l’expérience, devient un prince accompli, et voyant régner, dans les contrées qu’il parcourt, tantôt de bons rois, tantôt des républiques, tantôt des tyrannies, reçoit, par l’exemple, des leçons de gouvernement qu’il appliquera ensuite à ses peuples.
Ce qu’il aime, ce sont les demi-teintes, les demi-sentiments, les affections simples et domestiques, les inclinations paisibles ou contenues, où entre autant de connaissance que de passion ; ou bien les caractères renfermés et compliqués, parfois les âmes égoïstes et médiocres : des amours de vieillards319, profonds, discrets, point du tout ridicules ; des amitiés de frères320, confiantes et fortes, contre qui l’ambition même et l’amour ne prévalent pas ; des affections de cour, composées d’intérêt ou d’amour-propre, mais aussi de goût sérieux et sincère321 chez d’honnêtes gens qui ont de la raison et de l’expérience ; des intrigues de ministres ambitieux, de courtisans retors, de fonctionnaires égoïstes, toute la mécanique des cours et des cabinets de princes322.
Molière en a terminé, heureusement, avec ces imitations de pièces entières ; Dom Garcie de Navarre était la dernière expérience de cette sorte qu’il dût faire.
Une veuve d’expérience, dame Oysille, est l’âme de la réunion.
Oui, je veux même reconnaître en eux, tout de suite, l’excès de cette tendance intéressante en elle-même, qui, plus d’une fois, par manque d’expérience, par maladresse, par bravade, les conduisit souvent à la bizarrerie, à l’obscurité, au jargon.
Un jour viendra où la raison éclairée par l’expérience ressaisira son légitime empire, le seul qui soit de droit divin, et conduira le monde non plus au hasard, mais avec la vue claire du but à atteindre.
Éprouvons la valeur de cette conclusion, en prenant pour champ d’expérience une période très voisine de nous, celle qui commence vers 1850 et se termine aux environs de 1885.
A certains jours on s’amuse à esquisser des « caractères », des « portraits », à condenser en maximes piquantes l’expérience acquise dans mille escarmouches où la finesse est une qualité obligatoire ; et qui pourra croire qu’un La Rochefoucauld, un La Bruyère, un Marivaux n’ont rien dû à cette habitude d’observer et de disséquer les âmes ?
Dans Un beau Mariage, il s’agissait d’une expérience de chimie à faire sauter un quartier.
En ce qui est du poète qui nous occupe, je me bornerai à une simple remarque générale et que je crois conforme à l’expérience.
Que si vous le voulez absolument, mettez ce noble discours en regard d’autres discours plus récents du même honnête homme politique, lesquels ne sont ni moins sentis, ni moins animés d’un accent de vérité, et vous aurez sous les yeux en abrégé toute la leçon de l’expérience, l’éternelle leçon qui recommence toujours.
À peine, en ces cinquante notes, en est-il une dont on ne puisse citer des passages, non pas seulement éloquents, mais vrais, mais justes, et d’une prophétie trop justifiée par l’expérience.
Ce sont là des remarques fines, et qui sentent l’expérience du monde et presque celle du cœur.
On croit sentir en plus d’un de ses conseils un commencement d’aveu et comme une expérience arrêtée à temps : Il y a à chaque dérèglement du cœur une peine et une honte attachées qui vous sollicitent à le quitter.
Mais ces défauts se rachètent ici plus aisément qu’ailleurs : le sujet l’inspire ; c’est élevé, c’est ingénieux ; et quand elle en vient à la considération du mariage dans la vieillesse, à ce dernier but de consolation et quelquefois encore de bonheur dans cet âge déshérité, elle a de belles et fortes paroles : « Le bonheur ou le malheur de la vieillesse n’est souvent que l’extrait de notre vie passée. » Et montrant, d’après son expérience de cœur et son idéal, le dernier bonheur de deux époux Qui s’aiment jusqu’au bout malgré l’effort des ans, elle nous trace l’image et nous livre le secret de sa propre destinée ; il faut lire toute cette page vraiment charmante : Deux époux attachés l’un à l’autre marquent les époques de leur longue vie par des gages de vertus et d’affections mutuelles ; ils se fortifient du temps passé, et s’en font un rempart contre les attaques du temps présent.
Je me suis mis en tête une fois d’apprendre l’anglais ; en trois mois j’entendis les prosateurs ; ensuite, ayant fait l’expérience que, dans une demi-heure, je ne lisais que douze pages anglaises de l’Histoire de Hume in-4º, tandis que, dans le même espace de temps, j’en lisais quarante en français, j’ai laissé là l’anglais.
Il me connaissait mal : aussi sa prédiction ne s’est-elle pas accomplie », ajoute l’excellent homme qui, plus sage et mûri par l’expérience, n’avait pas voulu de la popularité en 89.
Une société qui a épuisé son feu et qui a vu en face les dangers, se présente tout autre qu’une société confiante en la théorie et qui a oublié l’expérience.
Voilà ce que la Révolution nous a appris quant à la royauté : aussi la place de la royauté est désormais marquée dans toute constitution qui se fera sur l’expérience de la Révolution.
Il acheta à cet effet le domaine de la Confina près d’Ajaccio, qu’il jugea favorable à ses expériences et qu’il appelait ses Petites-Indes.
La pratique de la politique apporte l’expérience à l’esprit humain.
C’est une expérience faite, que s’il se trouve dix personnes qui effacent d’un livre une expression ou un sentiment, l’on en fournit aisément un pareil nombre qui les réclame : ceux-ci s’écrient, pourquoi supprimer cette pensée ?
il ne saurait que répondre à cette question, qui embarrasserait peut-être le maître ; que, sous le nom de métaphysique, on agite sur la durée, l’espace, l’être en général, la possibilité, l’essence, l’existence, la distinction des deux substances, des thèses aussi frivoles qu’épineuses, les premiers éléments du scepticisme et du fanatisme, le germe de la malheureuse facilité de répondre à tout, et de la confiance plus malheureuse encore qu’on a répondu à des difficultés formidables avec quelques mots indéfinis et indéfinissables sans les trouver vides de sens ; que, sous le nom de physique, on s’épuise en disputes sur les éléments de la matière et les systèmes du monde ; pas un mot d’histoire naturelle, pas un mot de bonne chimie, très-peu de choses sur le mouvement et la chute des corps ; très-peu d’expériences, moins encore d’anatomie, rien de géographie.
Si l’expérience et l’observation ne lui avaient enseigné la consubstantialité des hommes et des choses dans les manifestations de l’histoire, s’il n’avait pas vu qu’à tous les âges du monde les hommes qui ont trempé au plus profond d’une époque, qui en occupèrent les avenues et les hauteurs, laissent sur elle l’éclatant honneur ou l’éclatante infamie de leur caractère ou de leurs passions, — de leur humanité, enfin, qu’elle ait été vertueuse ou scélérate, — il se serait épargné, et à nous aussi, l’inutile détail de ces consciences corrompues, de ces personnalités abjectes, de toutes ces grandeurs apocryphes qui, quand on les touche d’un doigt ferme, se rétractent en de honteuses politesses ou coulent en fange sur la main.
… Comment lui, dont les premiers chants furent des cris étouffés si poignants, et les peintures d’une réalité qui saisissait le cœur comme la vie même, comment ce Rembrandt du clair-obscur poétique qui s’annonçait alors, est-il devenu, la vie aidant, avec les expériences, ses blessures et les ombres sinistres qu’elle finit par jeter sur toutes choses, moins pénétrant, moins mordant, moins noir et or (la pointe d’or dans un fond noir), qu’en ces jeunes années où l’on est épris des roses lumières ?
En vain la raison le disait-elle après l’expérience.
» On a fait des expériences analogues sur la tête de Jésus et sur celle de l’Apollon, et je crois qu’on est parvenu à ramener l’une des deux à la ressemblance d’un crapaud.
L’expérience suprême était faite, un monde en lui avait croulé » Et il s’empresse « de quitter cette ville de désastre, où il devait laisser, le dernier lambeau de sa foi » n’ayant sauvé du naufrage que sa douloureuse intelligence.
N’est-ce pas un fait d’expérience que si l’on confie à une seule classe de citoyens l’exécution comme la confection des lois par lesquelles doivent être maintenues ou obtenues l’égalité civile, juridique, économique, ces égalités mêmes se trouvent fatalement menacées ?
Tous ces secrets supposent déjà une foule d’expériences et d’observations fines ou profondes.
Dans l’Éducation sentimentale, c’est Frédéric qui parcourt le champ des expériences humaines, et qui se montre incapable d’en jouir. […] Autrement, d’où lui viendraient ces aspirations héroïques que ne suggère point la morne expérience clés temps présents ? […] On regrettera quelques traits humoristiques que ses expériences américaines fournissaient au vieux Vercors ; comme on lui demandait qui étaient les enfants de son frère, laissés là-bas, il répondait : « Des vauriens dont je n’ai pu rien faire. — Tous les deux avaient le goût de l’Art, comme ils disent. — La fille chante quelque part. — Le fils a pris un métier plus infâme : — Il écrit dans la feuille publique pour l’amusement de la foule. — Tel que le saltimbanque qui joue de la flûte la tête en bas. » On regrettera aussi la fraîche paraphrase du Cantique des cantiques que prononçait Jacques Hury. […] Son séjour à la Trappe de Notre-Dame d’Igny passe pour une expérience de documentation vécue, selon la méthode naturaliste. […] Développement sur l’amour paternel, sur l’innocence adorable des enfants, qui vaut mieux que toute l’expérience et la prétendue science des hommes.
Il me semble qu’après beaucoup d’éloges, un peu de sympathie doit vous plaire : j’offre la mienne à l’emploi que vous faites de votre talent, qui ne s’est pas contenté d’intéresser l’imagination et d’effleurer l’âme, mais qui veille aux intérêts sacrés de la vie humaine ; et moi, qu’une expérience sérieuse a pu seule faire écrivain, je suis heureux que vous ayez reconnu en moi cette intention, que vous l’ayez aimée ; et j’accepte avec reconnaissance les vœux par où vous terminez votre article. […] On a pu dire sans témérité que l’humanité est son propre et son premier prophète, si l’on a entendu par là que, dans les siècles naïfs, la pensée de tous, lentement formée par des expériences et des impressions subies en commun et en silence, éclate à la fin avec un accord imprévu, et rend un de ces oracles qui sont nécessairement vrais parce qu’ils sont purement subjectifs, n’étant que le cri d’un besoin, d’un désir, d’une crainte, hélas !
Il procède par a priori, tandis que c’est l’expérience qui juge la valeur des différents peuples. […] Mais l’expérience et la méditation l’ont ramené, par un choix réfléchi, à la terre natale. […] Comme William James (l’Expérience religieuse), M. […] Un dilettante, au sens élevé, en a besoin absolument pour continuer ses enquêtes et ses expériences. […] Ce qui fleurit surtout dans ce jardin, c’est la sagesse acquise par l’expérience des hommes.
Elle l’enveloppa d’un long regard méprisant et tendre, un regard d’expérience qui le jaugeait et clairement disait : « Pauvre petit ! […] J’eus à ce moment une entrevue avec un charmant homme, blanchi par l’expérience ; je lui témoignai l’effroi que me causait cette singulière formalité. […] Il faut espérer qu’avec les années, l’expérience viendra… PAULETTE, très polie. […] Robur, le grand inventeur qui n’a voulu construire qu’une machine utile à l’humanité, à ses relations pacifiques a compris que les peuples étaient trop bêtes encore pour y voir autre chose qu’un nouvel engin de destruction : « Citoyens des États-Unis, dit-il, mon expérience est faite ; mais mon avis est dès à présent qu’il ne faut rien prématurer, pas même le progrès. […] Sur ces Souvenirs d’enfance et de jeunesse, publiés chez Calmann-Lévy, l’auteur de la Vie de Jésus a greffé les pensées d’un homme mûri par l’expérience.
La loi véritable c’est la loi ancienne, celle que n’a pas faite la génération qui lui obéit, celle qui a subi l’épreuve du temps et qui est telle qu’en lui obéissant c’est à la réflexion et à l’expérience, c’est-à-dire à la raison, qu’on obéit. — La loi véritable, quand celle qui précède ne suffit pas, ce qui arrive, c’est au moins la loi très délibérée, très discutée et par plusieurs corps délibérants qui ont des intérêts divers et qui se tempèrent et se contrebalancent les uns les autres. — Voilà dans quelles conditions on obéit, non pas à une volonté, ce qui a toujours des chances d’être très mauvais, de qui que cette volonté parte, mais à quelque chose qui ressemble à la raison. […] Vous ‘me comparerez peut-être au renard de La Fontaine, qui trouvait trop aigres les raisins où il ne pouvait atteindre, Non, ce n’est pas cela ; mais des réflexions que la connaissance de l’histoire et ma propre expérience me fournissent. […] L’expérience fait voir qu’elle est plus imparfaite que celle de Hollande et de Suisse. » — Une autre expérience a fait voir que dans ce cas c’est une des petites monarchies, qui, s’agrandissant et se fortifiant au sein de la confédération, finit par mettre fin à la confédération en la dévorant. […] L’Etat, non seulement n’a aucun rôle dans cette affaire, mais c’est aussi loin de lui que possible qu’il faut tenter de mener à bien cette expérience. […] Une armée-milice où tous les citoyens serviraient et chacun « un an seulement » et où, dans le choix des officiers, « on aurait égard non au rang, au crédit et à la fortune, mais uniquement à l’expérience et aux talents », serait une armée excellente, sinon pour l’offensive, du moins pour la défensive.
Leur caractère, qui est presque de n’en avoir pas, n’est fait que de la diversité de leur expérience. […] Ce n’était pas sans doute un cartésien, car, généralement vraie des philosophies morales, de celles qui s’enferment elles-mêmes dans le cercle de l’expérience humaine, la remarque ne l’est pas des autres. […] On sait que, dans sa Correspondance, Descartes a bien dédaigneusement parlé du Traité des coniques, et qu’il a de plus revendiqué l’honneur d’avoir suggéré à Pascal la fameuse expérience du Puy de Dôme. […] mais, ailleurs, dans le domaine même de la science ou de l’expérience, quelle est donc son autorité ? […] Ni l’expérience de la vie, ni les tristesses des dernières années n’y ont rien fait.
L’expérience est là pour le confirmer. […] On dirait un vieillard s’entretenant familièrement avec ses amis, laissant doucement couler les réflexions de son grand âge, les souvenirs de son expérience, les trésors de sa mémoire, il ne veut rien faire pour sa gloire de toutes ces richesses ; il en use pour son plaisir, il aime à conter comme tous les vieillards, et le souvenir de ce qu’il a lu, de ce qu’il a vu et entendu, s’entremêle à ses discours et en augmente le prix et le charme. […] L’expérience avait prouvé, comme de nos jours elle le prouve encore, que le fait de la création est un fait usé, épuisé, incapable de régénérer l’âme humaine ; il en fallait donc un autre. […] « Je ressentis, dit-il, un grand plaisir de voir qu’en quelque état que la dureté de la reine et la haine du cardinal eussent pu me réduire, il me restait encore des moyens de me venger d’eux172. » Ainsi c’est bien pour en avoir fait l’expérience que l’auteur a pu dire, comme nous le trouverons dans le portrait qu’il a fait de lui-même, « qu’il n’est pas incapable de se venger ». […] Ce sont de vrais diamants, qu’il ne faut ni enchâsser, ni réunir ; leur isolement les fait mieux éclater : « Chacun dit du bien de son cœur, et personne « n’en ose dire de son esprit278. » « On ne se peut consoler d’être trompé par ses ennemis et trahi par ses amis, et l’on est souvent satisfait de l’être par soi-même279. » « Assez de gens méprisent le bien, mais peu savent le donner280. » « Les personnes faibles ne peuvent être sincères281 » « On donne des conseils, mais on n’inspire point de conduite282. » « Il y a du mérite sans élévation, mais il n’y a « point d’élévation sans quelque mérite283. » « Nous arrivons tout nouveaux aux divers âges de la vie, et nous y manquons souvent d’expérience, malgré le nombre des années284. » « La plus véritable marque d’être né avec de grandes qualités, c’est d’être né sans envie285. » Toutefois La Rochefoucauld n’a pas vu l’âme humaine dans sa profondeur ; il n’a pas été au-delà de la région secondaire de ses phénomènes ; et il est douteux qu’il ait connu la vaste portée de quelques-unes de ses propres observations.
Nous avons dit que cette influence se ferait surtout sentir dans cette jeune génération, l’espoir de la France, qui naît aujourd’hui à la vie politique, que la Révolution et Bonaparte n’ont ni brisée ni pervertie, qui aime et veut la liberté sans que les intérêts ou les souvenirs du désordre corrompent ou obscurcissent ses sentiments et son jugement, à qui, enfin, les grands événements dont fut entouré son berceau ont déjà donné, sans lui en demander le prix, cette expérience qu’ils ont fait payer si cher à ses devanciers. […] Il s’y porta avec sa richesse d’idées, avec son expérience et son tact qui corrigeait l’âpreté de certaines autres plumes vaillantes.
Placer les gens, manier l’argent, interpréter la loi, démêler les motifs des hommes, prévoir les altérations de l’opinion publique, être forcé de juger juste, vite et vingt fois par jour, sur des intérêts présents et grands, sous la surveillance du public et l’espionnage des adversaires, voilà les aliments qui ont nourri sa raison et soutenu ses entretiens ; un tel homme pouvait juger et conseiller l’homme ; ses jugements n’étaient pas des amplifications arrangées par un effort de tête, mais des observations contrôlées par l’expérience ; on pouvait l’écouter en des sujets moraux, comme on écoute un physicien en des matières de physique ; on le sentait autorisé et on se sentait instruit. […] En lisant ces essais, on l’imagine encore plus aimable qu’il n’est ; nulle prétention ; jamais d’efforts ; des ménagements infinis qu’on emploie sans le vouloir et qu’on obtient sans les demander ; le don d’être enjoué et agréable ; un badinage fin, des railleries sans aigreur, une gaieté soutenue ; l’art de prendre en toute chose la fleur la plus épanouie et la plus fraîche, et de la respirer sans la froisser ni la ternir ; la science, la politique, l’expérience, la morale apportant leurs plus beaux fruits, les parant, les offrant au moment choisi, promptes à se retirer dès que la conversation les a goûtés et avant qu’elle ne s’en lasse ; les dames placées au premier rang929, arbitres des délicatesses, entourées d’hommages, achevant la politesse des hommes et l’éclat du monde par l’attrait de leurs toilettes, la finesse de leur esprit et la grâce de leurs sourires : voilà le spectacle intérieur où l’écrivain s’est formé et s’est complu.
La pensée, nourrie par l’étude, prépare à l’action politique ; l’action politique donne un corps à la pensée, exerce le caractère, enseigne par l’expérience les choses humaines et construit en nous le suprême résultat d’une longue vie, la philosophie (ce que les anciens appelaient la sagesse). […] L’expérience déjà longue du forum, du sénat, des tribunaux, du peuple, avait instruit les Romains des convenances et des moyens de l’art oratoire.
Tout spectateur dont l’esprit est cultivé est leur juge ; tout homme qui a quelque expérience de la vie a rencontré leurs originaux. […] Sous le héros de la fable, je reconnais dans Pyrrhus le jeune prince exalté par la jeunesse, l’orgueil, la puissance, le courage ; cruel comme il est généreux, par emportement ; qui n’a pour résister à sa passion, ni le sens moral, ni l’expérience qui en donne les scrupules.
Cette théorie des lois somptuaires, qu’il faut, dit Fénelon dans ce même plan, imiter des Romains, comme si l’expérience de Rome n’en avait pas prouvé l’inefficacité, Mentor en fait l’application la plus étendue au peuple de Salente. […] Qu’est-ce enfin que le sens propre, l’expérience personnelle, dont Fénelon est l’organe, sinon l’esprit même de la philosophie ?
George Elliot elle-même a écrit : « En vérité, il n’y a pas un seul portrait dans Adam Bede, mais seulement les suggestions de l’expérience arrangées en nouvelles combinaisons. » Ce qui est vrai de George Elliot, génie de second ordre pour l’invention et la composition, le sera encore plus pour les grands génies littéraires ou artistiques. […] Ce dernier a moins à faire pour créer, car les images fantastiques peuvent nous charmer par des rencontres de hasard comme dans les rêves, tandis que, pour qui ne sort pas du réel, la poésie et la beauté ne sauraient guère être une rencontre heureuse, mais sont une découverte poursuivie de propos délibéré, une organisation savante des données confuses de l’expérience, quelque chose de nouveau aperçu là où tous avaient regardé.
Le métaphysicien s’occupe des données immédiates de la conscience et des choses, de « la réalité, du contenu vivant et intuitif de l’expérience même, du sentiment de l’être et de l’action17 ». […] » Le même auteur avait déjà écrit : « Le Mysticisme vit de symboles, seule représentation mentale par où l’Absolu puisse s’introduire dans notre relative expérience. » 34.
Persuadée qu’on n’agit que sur les opinions mixtes, Mme de Staël se montre surtout préoccupée dans cet écrit de convaincre les Français de sa ligne, les anciens royalistes constitutionnels, et de les rallier franchement à l’ordre de choses établi, pour qu’ils y influent et le tempèrent sans essayer de l’entraver : « Il est bien différent, leur dit-elle, de s’être opposé à une expérience aussi nouvelle que l’était celle de la république en France, alors qu’il y avait tant de chances contre son succès, tant de malheurs à supporter pour l’obtenir ; ou de vouloir, par une présomption d’un autre genre, faire couler autant de sang qu’on en a déjà versé, pour revenir au seul gouvernement qu’on juge possible, la monarchie. » De telles conclusions, on le sent, durent paraître trop républicaines à beaucoup de ceux à qui elles s’adressaient ; elles durent aussi le sembler trop peu aux purs conventionnels et aux républicains par conviction. […] Dans toutes les sciences, dit-elle, on débute par le plus composé pour arriver au plus simple ; en mécanique, on avait les rouages de Marly avant l’usage des pompes. « Sans vouloir faire d’une comparaison une preuve, peut-être, ajoute-t-elle, lorsqu’il y a cent ans, en Angleterre, l’idée de la liberté reparut dans le monde, l’organisation combinée du Gouvernement anglais était le plus haut point de perfection où l’on pût atteindre alors ; mais aujourd’hui des bases plus simples peuvent donner en France, après la Révolution, des résultats pareils à quelques égards, et supérieurs à d’autres. » La France doit donc persister, selon elle, dans cette grande expérience dont le désastre est passé, dont l’espoir est à venir. « Laissez-nous, dit-elle à l’Europe, laissez-nous en France combattre, vaincre, souffrir, mourir dans nos affections, dans nos penchants les plus chers, renaître ensuite, peut-être, pour l’étonnement et l’admiration du monde ! […] L’expérience des siècles et celle de la Révolution sont devant ses yeux.
Le temps des purs prophètes et des jeunes Daniels est passé ; c’est à l’école de l’histoire, à celle de l’expérience pratique et présente que se forment les sages et les mieux voyants. […] Quelle digue opposer à une doctrine qui s’adressa d’abord aux passions les plus chères du cœur humain, et qui, avant les dures leçons de l’expérience, n’avait contre elle que les sages ? […] Si M. de Maistre a compris d’emblée, à ce degré de justesse, la Révolution française, c’est, nous l’avons assez montré, qu’il l’avait vue de près et sentie à fond par sa propre expérience douloureuse.
J’avais affaire, d’une part, aux candidates au doctorat, qui toutes avaient séjourné en Europe et connaissaient bien notre langue et notre littérature ; j’ai abordé avec elles certains aspects du dix-huitième siècle français, particulièrement sa philosophie ; ensemble, mes étudiantes et moi-même, nous avons été frappés de voir comment les doctrines empiriques, qui inspiraient alors la grande majorité de nos penseurs, en même temps qu’elles imposaient aux esprits le culte du fait contrôlé par l’expérience, et les menaient vers des disciplines scientifiques plus rigoureuses, tendaient aussi à préparer le triomphe d’une sensibilité qu’elles considéraient comme la donnée primordiale de l’âme : si bien que l’homme de sentiment, qui dans notre histoire littéraire succède à l’homme de raison, tout en le contredisant reste lié à lui par une commune origine et par une parenté obstinée. […] Rien ne l’apaisera, cette inquiétude qu’il chérit et qu’il déteste ; ni les voyages, ni les expériences qu’il tentera au-delà des limites que fixe la morale ; pour échapper à cet état insupportable, il ne verra de recours que dans la mort. […] Elle recommande l’observation patiente et précise, l’expérience toujours renouvelée, le contrôle incessant ; elle réprime les fantaisies d’un Moi qui risquerait de fausser les résultats de ses recherches, et de troubler sa sérénité. […] Il y en a toujours qui s’enflammeront totalement, et qui serviront de mobile à ceux qui ne sont point enflammés ; d’autres s’éteindront66… On trouve à l’époque beaucoup de développements semblables ; et l’on reconnaît sans peine, à travers l’éloquence d’un Buffon, un sentiment qui tend à devenir poétique : Commençons par nous représenter ce que l’expérience de tous les temps et ce que nos propres observations nous apprennent au sujet de la terre.
Je sais, par expérience, combien MM. […] Ce n’était pas trop de sa prudence, de son expérience, de son savoir, de ses méthodes pour éviter les méprises. […] L’expérience montre que la langue change comme la prosodie. […] Joseph Bertrand dans la science des nombres et des figures nous rend infiniment précieux tout ce qu’il nous dit des découvertes et des expériences que Pascal nous a laissées. […] Il agit, il institue des expériences.
Grâce à ses longues et savantes expériences, la peinture à la cire est employée aujourd’hui pour peindre sur les murs des édifices. […] Mais, bien que la puissance de l’Église catholique garantit mieux que la philosophie des anciens l’unité des travaux des hommes, l’expérience a prouvé que cette unité d’action des facultés humaines est, sinon entièrement chimérique, au moins de peu de durée. […] Mais l’expérience a parfaitement réalisé ces craintes, et le séjour des chefs-d’œuvre antiques et modernes en France n’a pas formé un seul artiste remarquable dans l’intervalle de 1800 à 1815. […] En outre, David savait, par expérience, qu’à cette époque tous ses confrères, ne trouvaient aucune occasion de se faire payer de leurs travaux ; et il pensait qu’en prenant sous sa responsabilité l’essai si peu populaire de faire payer pour montrer son ouvrage, il assurait, en cas de réussite, une ressource nouvelle aux peintres qui suivraient son exemple. […] Contre l’habitude de la plupart des artistes, dont le talent une fois formé reste invariablement le même, l’auteur des Horaces, du Socrate, du Marat, des Sabines, mettait volontairement de côté tout ce que l’expérience lui avait appris, aussitôt que la nouveauté d’un sujet lui faisait entrevoir un mode nouveau pour le rendre.
Nous avons, pour notre malheur, institué maintes expériences dont il n’y a plus qu’à profiter. […] Il lui manque (elle n’en souffre pas) l’expérience conjugale dont Renée est pourvue. […] Se croit-il, à présent, si sûr de son expérience ? On dira que le cœur n’a pas d’expérience et, pour chaque nouvel amour, offre sa candeur facile à décevoir. […] Il a suffi de peu de temps pour que l’expérience le déçût.
Diafoirus dit en parlant de son fils : « Mais sur toute chose, ce qui me plaît en lui, et en quoi il suit mon exemple, c’est qu’il s’attache aveuglément aux opinions de nos anciens, et que jamais il n’a voulu comprendre ni écouter les raisons et les expériences des prétendues découvertes de notre siècle touchant la circulation du sang, et autres opinions de même farine. » Les créations comiques de Molière sont immortelles en ce qu’elles ont pied à tout moment dans la réalité.
Sa longue expérience des choses et des hommes ne l’avait pas saturé ni surchargé, mais seulement excité et mis en goût : il avait « de cette alacrité, de cette gaieté qui, en donnant du prix à toute chose, nous fait chérir les hommes non seulement comme frères, mais comme objets d’étude, dépensée, de jouissance ».
Si, en un sens, je vous prête de mon expérience, vous me payerez, et dans un sens plus profitable, par le spectacle même de votre noble ardeur ; vous m’habituerez à me tourner plus souvent et plus volontiers avec vous du côté de l’avenir, vous me rapprendrez à espérer.
Elle réunit, cette même loi, les hommes moins enthousiastes, qui, accoutumés à la discussion des intérêts divers et si compliqués que la société met sans cesse aux prises, savent les difficultés de la pratique, aiment à voir agir en tout l’expérience, ne recourent que dans les cas extrêmes aux principes de métaphysique, toujours contestables, et qui ont reconnu bien souvent que la réalité des choses, en se développant, déjoue la plupart des espérances ou des craintes que l’imagination s’était faites à l’avance.
C’est-à-dire : « Quiconque est assez hardi pour ne pas craindre l’amour, celui-là en fera l’expérience ou douce ou amère. » Quelle que soit la simplicité du bonhomme Palémon, cela me paraît trop ressembler à une vérité de La Palisse.
Quant aux avis qu’on y pourrait ajouter, l’expérience que j’en ai a tellement rétréci ma confiance, qu’à moins d’être contraint d’en demander, je suis bien résolu à ne jamais procurer à personne l’embarras de m’en donner ; et j’en dis autant des exhortations.
Elle avait un principe trop justifié par l’expérience, qu’il n’y a que les pauvres et les souffrants pour se confier leurs peines les uns aux autres, pour s’entraider et se secourir entre eux.
Ce fut vers ce temps, et d’après l’expérience qu’il acquit à cette nouvelle école, que quelques-unes de ses opinions antérieures en vinrent à se modifier : il avait cru jusque-là avec le monde entier que Napoléon était le seul obstacle à la paix, il commença à entrevoir que cette paix, eût-elle été sincèrement voulue par lui, n’aurait pas été si facile à obtenir en présence d’une telle coalition de haines.
L’expérience de la guerre et même des intrigues civiles, le voisinage de guerriers éminents tels que M. le Prince et M. de Turenne, ouvraient des vues et donnaient des jours sur les hommes et les événements d’autrefois.
La naïveté d’impressions et l’enfance de cœur qui éclatent dans son récit marquent le point de départ d’où il s’avança graduellement, à force d’expérience et d’étude, jusqu’aux dernières profondeurs de la même passion dans Phèdre.
Sa physionomie ouverte et bonne, la politesse décente de son langage, laissent transpirer à son insu une sensibilité intérieure profondément tendre, et, sous la généralité de sa morale et la multiplicité de ses récits, il est aisé de saisir les traces personnelles d’une expérience bien douloureuse.
Le premier venu peut trouver cette notion dans son expérience et la vérifier lui-même du premier regard.
Politien, remarquez encore que, de tous mes enfants, nul n’a montré une nature égale à celle de Pierre, de telle sorte qu’il me fait augurer et espérer qu’il ne le cédera à aucun de ses ancêtres, à moins que les expériences que j’ai déjà faites de ses talents ne me trompent. » Il m’a donné récemment une preuve de la vérité du jugement et de la prévision de son père, quand nous l’avons vu sans cesse près de lui dans sa maladie, toujours prévenant dans les services les plus intimes et les plus désagréables, supportant le plus patiemment possible les veilles, la privation d’aliments, ne pouvant souffrir qu’on l’arrachât du lit de son père que pour les affaires les plus urgentes de la république, et tout cela avec une merveilleuse piété répandue sur toute sa personne.
Le domaine de la farce est immense et confus : elle n’a de limites que l’expérience et la sensation du peuple à qui elle doit procurer, comme dit Sibilet, « un ris dissolu ».
Mieux qu’ailleurs se mène l’expérience ou la découverte ; j’y sais le prosateur ouvragé par excellence de ce temps.
Critiques improvisés, en effet, dont l’impressionnisme dogmatique ne s’appuie sur aucune expérience personnelle.
N’est-il donc arrivé qu’aux seuls jeunes gens de se heurter partout à des bornes en cherchant un bien inconnu ; d’être habiles par les livres, les exemples, et point par l’expérience ; d’avoir « l’imagination riche, abondante, merveilleuse, et l’existence pauvre et désenchantée ?
Mallarmé y souhaitait trouver « le lourd sommeil sans songes » et, avant eux, Musset avait tenté l’expérience.
Ainsi encore, pour le fidèle de l’Église romaine, la soumission aux décisions du pape en matière de foi est chose méritoire ; pour le libre-penseur, pour l’homme de science, soumettre tout croyance au contrôle de l’expérience et de la raison, puis se décider en pleine indépendance est à la fois un droit et un devoir.
De jeunes gens sans expérience, qui courent après la licence & la nouveauté ; de femmes frivoles, toujours dupes du faux Bel-Esprit qui les flatte, de femmes pédantes, rauques, surannées, abusées par une vanité pitoyable, ou séduites par de basses adulations ; de jeunes Littérateurs intéressés à l’anéantissement du goût, parce qu’ils n’en auront jamais, à l’abolition des regles, parce qu’ils sont incapables de les observer ; de Lecteurs destinés à grossir la foule & à recevoir le joug du charlatanisme ; de Prôneurs à gages, qui loueroient les antagonistes, pour peu qu’ils eussent intérêt de les louer.
Il y joignit une lettre à l’abbé Morellet, qui s’était entremis dans cette affaire, et il lui disait : Pour les gens de lettres, l’expérience m’a appris que quiconque a à statuer sur les intérêts de leur amour-propre doit renoncer à leur amitié, s’il ne veut affecter une partialité qui le rende indigne de leur estime.
Il est bien temps de venir nous dire, quand l’expérience est faite et que vous êtes à bout de mécomptes : Que m’importaient pourtant ces futiles misères, à moi qui n’ai jamais cru au temps où je vivais, à moi qui appartenais au passé, à moi sans foi dans les rois, sans conviction à l’égard des peuples, à moi qui ne me suis jamais soucié de rien, excepté des songes, à condition encore qu’ils ne durent qu’une nuit !
Quand l’expérience du passé et la crainte de l’avenir ne m’éloigneraient pas de tout attachement, j’aurais mille objections contre vous.
Dans un discours sur les subsistances (novembre 1793), il a des lueurs de justesse et des aperçus qui se rattachent encore à l’expérience : Il faudrait interroger, deviner tous les cœurs et tous les maux, et ne point traiter comme un peuple sauvage un peuple aimable, spirituel et sensible (toujours de la sensibilité : c’est encore un des mots favoris du temps), dont le seul crime est de manquer de pain.
Il l’a nommée le mal de la Pensée, de « la Pensée qui précède l’expérience au lieu de s’y assujettir »1, « le mal d’avoir connu l’image de la réalité avant la réalité, l’image des sensations et des sentiments avant les sensations et les sentiments… »2 C’est, dit-il à l’occasion des personnages de Flaubert, à cette image anticipée, « à cette idée d’avant la vie que les circonstances d’abord, puis eux-mêmes font banqueroute » 3.
Un jugement prématuré rectifié par l’expérience.
Celui qui a l’expérience doit prévenir celui qui n’en a p*as ; ceci est le cœur même de l’homme.
Il était à sa place, du reste, dans cette affaire, à Venise, pour tâcher d’amuser et contenir les Vénitiens pendant que Charles poussait sa pointe ; à Fornoue, en Xenophon, pour diriger la retraite et rassurer les dix mille par son expérience. […] On lui en voudrait s’il prétendait juger et trancher les grands différends de l’histoire ; mais on lui en voudrait aussi de ne pas nous dire ce que l’histoire qu’il a traversée a laissé en lui de méditations, d’étonnements, de tristesses, de sagesses et en un mot d’expérience. […] Ce fils « trouvait qu’il y avait quarante-quatre ans que son père était duc et qu’il était bien temps qu’il [que lui] le fût » ; il disait que plutôt que d’entrer en arrangement avec son père, « il aimerait mieux avoir jeté son père la tête devant dans un puits et s’être jeté après. » Il fut, après maintes péripéties, arrêté, et retenu en prison à Namur, jusqu’après la mort de son père, et jusqu’à celle du duc de Bourgogne, et périt devant Tournay « méchamment et mal accompagné, comme si Dieu n’eût pas été saoul de venger cet outrage qu’il avait fait à son père. » On voit toujours dans Commynes le moraliste qui aime à faire éclater les misères des grands, et aime aussi à voir punie leur « bestialité. » Quel agréable intermède encore que celui-ci, et comme on sent que c’est un peu Commynes qui fait parler l’empereur d’Allemagne (Frédéric III) sollicité par Louis XI de partager l’empire du duc Charles : « Combien que cet empereur ait été toute sa vie homme de très peu de vertu, si était-il bien entendu, et pour le longtemps qu’il a vécu, avait beaucoup d’expérience. […] La vérité est que nous ne le sommes jamais : « Veuillons ou non, l’expérience journelle nous contraint d’estimer que notre cœur est plutôt conduit parle mouvement de Dieu que par notre élection et liberté: vu que souvent la raison et entendement nous défaut en choses qui ne soint point trop difficiles à connaître et perdons courage en choses qui sont aisées à faire ; au contraire en choses très obscures et douteuses nous délibérons sans difficulté et savons comment nous en devons sortir ; en choses de grande conséquence et de grand danger le courage nous y demeure ferme et sans crainte.
C’était un Protée ; mais non pas le Protée de la Fable, qui est gouailleur, un Protée sérieux, qui croyait toujours être fidèle à lui-même, et qui, par exemple, quand, misérable, il se rappelait sa vie de fastueux désordres, assurait et croyait peut-être que c’était une expérience, indispensable au sociologue, qu’il avait instituée sur lui-même ; — et peut-être n’était-ce pas tout à fait faux. […] Il estimait, vue très juste, qui a paru folle pendant une moitié de ce siècle, et que l’expérience a démontrée vraie, que le peuple est la partie de la nation la plus conservatrice, à la condition que ce soit le peuple tout entier, et non pas seulement le peuple des villes. […] C’est dans ce sens seulement que Pascal le prend et dans ce sens seulement qu’il l’affirme : « L’homme s’instruit sans cesse dans son progrès ; car il tire avantage non seulement de sa propre expérience, mais encore de celle de ses prédécesseurs ; parce qu’il garde toujours dans sa mémoire les connaissances qu’il s’est une fois acquises et que celles des anciens lui sont toujours présentes dans les livres qu’ils en ont laissés. […] « Il ne faut d’autre effort de génie que d’aller en avant », et l’on découvrira que c’est au minimum sur 100 familles qu’il faut faire l’expérience, laquelle est d’un succès certain. — L’argument semble peu concluant, et l’on ne voit pas trop la concorde, impossible dans de petites associations, naissant tout à coup dans de plus grandes, à une certaine limite fixe, comme une île sortant des flots. […] je le dis à mon tour, je le dis aux gouvernements instruits par l’expérience : Écrasez l’Infâme !
Il se croit désabusé, et il n’a point d’expérience. […] Les générations qui naissent, désenchantées par l’expérience des générations qui les ont précédées, considèrent froidement leur carrière, et spéculent sans jouir. […] Ma vieille expérience lui en marquera les écueils ; et, en bon frère d’armes, je me réjouirai de ses succès. […] C’est un sophisme démenti par l’expérience. […] Notre siècle ne démentira point l’expérience commune : les arts et les lettres brillent toujours dans les temps de révolution, hélas !
Il a rompu en visière avec ce pédantisme de la critique qui prétend trancher les questions les plus complexes avec des données incomplètes, au nom de règles absolues dont l’expérience à maintes fois démontré la fragilité. […] Le point de départ de sa théorie de l’Intelligence, c’est le signe, l’idée n’étant pas autre chose pour lui que le nom d’une série d’expériences impossibles. […] Ernest Renan en fit l’expérience. […] Je crois d’ailleurs l’expérience bonne à faire au point de vue de la liberté générale de l’enseignement. » 6. […] On a établi par expérience qu’un Napolitain peut apprendre à lire et à écrire en trois mois, même lorsqu’il est adulte.
Panurge, quand venait le danger, « s’enfuyait le grand pas, de peur des coups qu’il craignait naturellement. » Notre Panurge à quatre pattes se tient de même à l’écart, expose à sa place le loup son bon ami, fait l’innocent, l’ignorant, allègue que ses parents pauvres ne l’ont pu faire instruire, « n’ayant qu’un trou pour tout avoir », tandis que « ceux du loup, gros messieurs, l’ont fait apprendre à lire. »54 Un instant après, quand le loup a bien emboursé les bénéfices de l’expérience, « et gît à terre mal en point, sanglant, gâté », il lui commente d’un fort grand sang-froid une maxime de morale. […] Du haut de son expérience improvisée, il contemple avec mépris la génération arriérée qui le précède, et sourit d’un air de grand homme, savant et pédant, en pensant à son père, « pauvre sire qui n’osait voyager, craintif au dernier point. » Cette vanité de bourgeois lui porte malheur.
L’expérience nous en fournit d’ailleurs des preuves constantes. […] Nous ne sommes pas, nous non plus, assez naïfs, instruits que nous avons été par nos aînés des sanglantes expériences de Mars 1871, pour sacrifier, sans réfléchir et sous le coup d’une indignation subite provoquée par un de vos crimes, l’immense armée prolétarienne qui n’est pas encore suffisamment organisée.
* * * — Les pensées de Chamfort : c’est comme la condensation de la science du monde ; l’élixir amer de l’expérience. […] » Sainte-Beuve a, comme cela, des mots enfantins, au milieu de tous les apports de l’expérience.
Car c’en est un, quelque nom qu’il lui donne ; c’est une foi qu’il réclame de nous, l’expérience pure mettant sous nos yeux la réalité, non la nécessité des choses1. […] C’est, en effet, sur l’historien latin qu’il tenta pour la première fois cette expérience de démontage. […] Il ne prétend point « instituer des expériences ». […] Nous passerons des cavernes de voleurs aux prisons d’État et aux autodafés de l’Inquisition ; des intérieurs cossus et graves des bourgeois ou des solennelles demeures des grands seigneurs aux hôtels garnis, aux cabarets à la mode, et aux réduits galants, à doubles portes et à doubles visages ; des foyers et des loges du tripot comique aux cabinets des archevêques et des ministres ; des coulisses du théâtre à celles de la politique ; des bureaux d’esprit et des cafés littéraires aux sous-sols et aux galetas des grands hôtels, où les valets font ripaille et où riment les poètes à gages, en attendant que nous les retrouvions à l’hôpital… En la compagnie de Gil Blas picaro ou du seigneur de Santillane, nous aurons des confidences de toutes les espèces, depuis les gibiers de potence jusqu’aux grands dignitaires ; nous entendrons les cyniques fanfaronnades des bandits réfractaires à l’ordre social, et les humbles suppliques des capitaines ruinés au service et cousus de blessures ; le jargon des beaux-esprits et les turlupinades des petits-maîtres ; et aussi les creux propos des comédiens, dont l’insolence envers les auteurs ne sera égalée que par celle des laquais favoris du ministre envers les grands seigneurs. » Sainte-Beuve disait de ce livre : « C’est moral comme l’expérience. » Il faut s’entendre. Il est des expériences saines, il en est d’indifférentes, il en est de corruptrices.
Mais, ayant quatre siècles d’expérience de plus qu’eux, il était moins confiant et moins facile à tromper ; et. à une époque où le rêve de tous les grands Italiens, l’unité de l’Italie, approchait de sa réalisation ; entouré d’hommes qui, comme Manzoni, Gino Capponi, Giordani, croyaient à cette réalisation sans soupçonner du reste comment elle se ferait, Leopardi demeura sceptique et découragé : l’Italie lui apparut dépourvue de gloire, désarmée, le front nu, la poitrine nue, couverte de plaies, de sang et de meurtrissures, les deux bras chargés de chaînes, dans un si lamentable état que si même ses yeux étaient deux sources vives, jamais ses pleurs ne pourraient égaler sa misère et sa honte (All’Italia). […] Puis-je vous demander si vous parlez par ouï-dire ou de votre propre expérience ?” […] Il a profité des expériences de ses aînés dans la voie nouvelle qu’ils ont ouverte, et, s’il a acquis une merveilleuse sûreté de main, s’il est aussi consciencieux que Hunt dans ses études, il a l’avantage de ne pas le laisser voir. […] Dégagée des motifs d’expérience invoqués par Lessing, Herder et Schiller, la conception de la synthèse des arts — surtout celle de l’union de la poésie et de la musique, qui constituent ensemble l’art subjectif opposé à l’art objectif (architecture, sculpture et peinture) — est toute hégélienne, et, chez le philosophe comme chez le musicien, en tenant compte, bien entendu, des modifications qui doivent résulter de la mise en pratique réalisée par Wagner, elle aboutit à la suprématie de la forme dramatique24. […] Certainement, l’expérience et l’étude ont dissipé bien des illusions de mon jeune âge, ou modéré l’exaltation de mes sentiments et fait concevoir une grande indulgence pour les opinions différant des miennes et pour les systèmes politiques qui ne sont pas conformes à mes principes.
Vous rêviez, dans votre Homme libre, la vie d’action, qui vous permettrait de faire sur les autres et sur vous un plus grand nombre d’expériences et, par là, de multiplier vos plaisirs. […] Cela ne m’inquiète pas, car je suis sûr que vous saurez vous arrêter où il faut dans votre manie d’expériences, et que ce seront vos collègues, jamais votre pays, qui en feront les frais. […] Votre esprit, loin de s’élargir par des expériences nouvelles, ira se rétrécissant. […] Notez que ce qu’on demande ici à nos députés, ce n’est même pas d’être plus vertueux, plus intelligents, plus désintéressés ; c’est seulement d’être un peu moins humbles, d’oser un peu interroger leur propre expérience et leur propre conscience.
Toutes ces veuves laïques ont d’ailleurs, après les agitations du mariage, trouvé le repos dans quelque liaison illégitime que leur expérience a su faire commode, confortable et pas gênante. […] Il a, comme Musset, l’amour de l’amour, et, après chaque expérience, le dégoût invincible, et, après chaque dégoût, l’invincible besoin de recommencer l’expérience, et dans la satiété toujours revenue le désir toujours renaissant ; en somme, la grande maladie humaine, la seule maladie, l’impatience de n’être que soi et que le monde ne soit que ce qu’il est, et en même temps le désir d’embrasser le monde, et l’immortelle illusion surgissant indéfiniment de l’immortelle désespérance… Fantasio a beau dire à un moment : « Regarde cette vieille ville enfumée ; il n’y a pas de places, de rues, de ruelles, où je n’aie rôdé trente fois ; il n’y a pas de pavés où je n’aie traîné ces talons usés… Je ne saurais faire un pas sans marcher sur mes pas d’hier ; eh bien ! […] je n’en sais rien. » Ainsi, Fantasio peut bien être devenu incapable d’aimer ; car trop d’expériences amoureuses, cela finit par s’appeler la débauche, et la débauche tue l’amour. […] » lui dit Nachette ; elle se révolte ; il la brutalise un peu, mais lui remontre que, après tout, il est bien le mâle qu’il faut à une femme comme elle… Charles survient à son tour, fou de rage… Marthe se jette à ses pieds, pleure, demande pardon, enfin, en comédienne d’expérience qu’elle est, prononce les phrases et prend les attitudes « convenables » à la circonstance… Charles sent bien qu’elle ment, et le lui dit. […] Elles le savent ; elles ont trop d’expérience pour leur âge et, au fond, elles ne sont pas gaies.
Ceux-là, le temps pourra venir pour eux, l’expérience : rien n’y fera : ils seront toujours à la merci de leurs impressions, prisonniers de l’heure et du moment, cédant au caprice et déplorant d’y céder au moment même qu’ils y cèdent. […] Alfred de Musset le magnifie, il le représente comme un chercheur d’idéal, et c’est parce que cet idéal lui échappe sans cesse et qu’il ne peut pas renoncer à le poursuivre qu’il passe par toutes sortes d’expériences où il laisse sa beauté, son génie et sa dignité. […] Le plaisir s’émousse ; il faut, pour le raviver, le renouveler à chacune de ses expériences nouvelles.
Lorsque je fis le roman de Volupté, qui, au vrai, n’est pas précisément un roman et où j’ai mis le plus que j’ai pu de mon observation et même de mon expérience, j’avais eu cependant à inventer une conclusion, et je voulais qu’elle parût aussi vraie et aussi réelle que le reste.
Il y a un moment dans la vie de l’artiste où, muni de toute sa science et riche de tous ses matériaux, fort de son entière expérience et encore en possession de toute sa force, mais pressentant qu’elle pourrait bien faiblir un jour et lui échapper, il se lance à fond de train, se déploie, s’abandonne avec fureur et sans plus de réserve comme s’il voulait s’épuiser et laisser son âme dans son œuvre : c’est le moment décisif, c’est celui qui, dans une grande bataille rangée, décide et achève la victoire.
Je sais par une triste expérience que ces jeunes et tendres âmes ont besoin de bonheur ou de le rêver, et que leur première nourriture doit être une indulgence inaltérable.
Là encore, il a l’honneur, du moins, de devancer la plus noble des imitations modernes, André Chénier dans cette belle élégie : Ô Muses, accourez, solitaires divines… Mais n’allons point nous amuser, après tant d’années, à épeler de nouveau Du Bellay pour les quelques bons vers ou les quelques passables strophes de sa première manière ; c’est dans sa seconde qu’il devint tout à fait lui-même ; que, croyant la gageure perdue et détendant son effort, il se mit à chanter pour lui et pour quelques-uns dans une note plus voisine de son cœur ; et dès lors, l’expérience aidant, le sentiment intime l’emportant sur la volonté et sur le parti pris, il trouva sa veine.
A la manière dont Diderot sentait la nature extérieure, la nature pour ainsi dire naturelle, celle que les expériences des savants n’ont pas encore torturée et falsifiée, les bois, les eaux, la douceur des champs, l’harmonie du ciel et les impressions qui en arrivent au cœur, il devait être profondément religieux par organisation, car nul n’était plus sympathique et plus ouvert à la vie universelle.
Quelle éducation supérieure, quelle habitude des affaires, quelle expérience du gouvernement, quelle instruction politique, quel ascendant local, quelle autorité morale peut-elle alléguer pour autoriser ses prétentions à la première place En fait de pratiques, c’est déjà le Tiers qui fait la besogne et fournit les hommes spéciaux, intendants, premiers commis des ministères, administrateurs laïques et ecclésiastiques, travailleurs effectifs de toute espèce de tout degré.
Tu connais par expérience le prix de ce que le vulgaire appelle des biens ; biens aussi éloignés du véritable bonheur, que l’orient l’est de l’occident.
Cette vérité d’instinct chez lui, d’expérience chez nous, est la seule démontrée.
Il amplifie ses expériences de la fragilité des choses, des caprices de la fortune, de l’injustice des hommes ; il amplifie les effets et les retentissements de son génie.
La vérité philosophique, la vérité de tous les temps et de tous les lieux, celle à laquelle toutes les sociétés humaines se reconnaissent, cette vérité qui n’a de sanction que dans l’expérience, voilà la nourriture habituelle de Rabelais.
Que prétendait Malherbe par sa réforme, sinon faire voir aux poëtes de son temps que ce qui leur était imposé par le tour d’esprit d’alors, par l’imitation de l’Italie et par le faux savoir, ne valait pas ce que leur bon sens, cultivé par les lettres anciennes, et développé par l’expérience de la vie, leur inspirait, comme à leur insu, de pensées franches et naturelles ?
Tout nous y plaît : la morale qui se confond avec notre propre expérience, en sorte que lire le fabuliste c’est ruminer ; l’art, dont nous sommes touchés jusqu’à la fin de notre vie, comme d’une vérité supérieure et immortelle ; les mœurs et les caractères des animaux, auxquels nous prenons le même plaisir qu’étant enfants, soit ressouvenir des imperfections des hommes, soit par cette ressemblance justement remarquée entre les goûts de la vieillesse et ceux de l’enfance.
Mon expérience de la vie a donc été fort douce, et je ne crois pas qu’il y ait eu, dans la mesure de conscience que comporte maintenant notre planète, beaucoup d’êtres plus heureux que moi.
La Cité, qui donna à cette expérience sacrée un théâtre, imprime à la terre le Sceau universel.
Ils savent, d’après des principes invariables, fortifiés par une expérience constante, que le beau seul & l’honnête peuvent soutenir les épreuves du temps.
Stahl-Hetzel me connaissait mieux, il saurait que je n’ai de haine ni d’hier ni d’avant-hier contre aucune forme de gouvernement ; j’ai profité de l’expérience, et en politique je suis l’homme des faits.
Avoir trouvé par le raisonnement ou l’expérience, voilà la science ; sentir ou pressentir en s’aidant de l’imagination, c’est la plus haute poésie.
Nous n’avons aucune raison de croire que toutes les combinaisons possibles ont été essayées au cours de l’expérience et, parmi celles qui n’ont jamais été réalisées mais sont concevables, il en est peut-être de beaucoup plus avantageuses que celles que nous connaissons.
Pour un poète et pour un critique qui a l’expérience de la vie et qui jette sur les œuvres de la pensée le regard serein d’une maturité pleine et contenue, quelle plus belle place et quelle plus noble attitude que de faire asseoir sa renommée, en lui reployant ses longues ailes, aux pieds d’Homère et de Virgile, — de ce groupe souverain qui couronne le sommet de l’Histoire ; d’être à Virgile à son tour, par l’interprétation de son génie, ce que fut Virgile à Homère, et d’éclairer pieusement d’un flambeau le radieux guide qui conduit à travers les siècles le grand aveugle dans la nuit !
Pour moi, je demande l’expérience, et qu’on commence par soumettre M.
Michelet, le Michelet de 1847, regardé, vu et jugé à la lumière des événements qui se sont produits depuis 1847, quelle expérience et quelle leçon !
Osons aborder ces grandes questions littéraires, qui devraient être décidées, quand Voltaire et La Harpe ont prononcé, et qui cependant ne le sont pas, parce que l’expérience et la raison démentent tous les jours leurs arrêts. […] Il confondit à dix-huit ans la longue expérience de Cicéron, l’oracle du sénat : réuni avec Antoine, il fut vainqueur à Philippes, parce qu’il devait l’être ; il avait une meilleure armée. […] Les comédies et les romans ne nous présentent que des dévergondées et des extravagantes, qui bravent l’autorité paternelle, et regardent comme le dernier des malheurs de se marier par raison, par devoir et par convenance, quoique l’expérience prouve que ce sont les mariages les plus heureux : ce qui n’empêche pas que les parents ne mènent leurs filles à la comédie, et ne leur fassent lire les romans, pour leur former le cœur et l’esprit. […] À quels dangers n’est pas exposé un jeune homme sans expérience, jeté dans le tourbillon de Paris, lorsqu’il n’a pour mentor qu’un domestique intéressé à flatter ses passions ! […] Le censeur se montre rigoureux au dernier point sur la vraisemblance : il discute scrupuleusement, comme des points de droit, tous les incidents des tragédies de Corneille ; mais la plupart de ses raisonnements sont des sophismes confondus par l’expérience et par l’effet théâtral.
L’éclectisme, c’est l’intelligence en histoire, c’est le discernement assuré du vrai et du faux, fondé sur l’expérience des siècles. […] Si on prétend que la seule méthode historique légitime est la méthode expérimentale, il faut être fidèle à cette prétention, se servir exclusivement de la méthode expérimentale, ne la quitter jamais, n’admettre jamais une autre méthode qui nous conduise à notre insu, alors même qu’on croit et qu’on prétend n’être conduit que par l’expérience. […] Le genre humain est une grande autorité, sans doute ; mais il ne faut pas plus parler de l’autorité du genre humain que de toute autre, lorsqu’on ne prétend marcher qu’avec l’expérience. […] Celui qui a élevé le plus grand monument historique du dernier siècle s’est adressé à la nature des choses ; les éléments essentiels déterminés, il a saisi leurs rapports : ces rapports essentiels et nécessaires lui ont été des lois, et ces lois une fois établies, il les a appliquées à l’expérience et transportées dans l’histoire. […] Celui qui dans une science néglige son histoire, se prive de l’expérience des siècles, se place dans la situation du premier inventeur, et met gratuitement contre soi les mêmes chances d’erreur, avec cette différence que les premières erreurs étaient inévitables, qu’elles ont ôté utiles, et par conséquent sont excusables, tandis que la répétition des mémos erreurs est stérile pour les autres et honteuse pour soi-même.
La mimique de la cruauté est exactement celle de l’amour sexuel ; Duchenne de Boulogne a prouvé cela par ses expériences. […] Descartes lui contestait la découverte de la pesanteur de l’air, assurant que l’expérience du Puy-de-Dôme n’avait été faite que sur ses propres indications et à sa prière. […] Ils venaient vers la Délivrance, comme un troupeau d’esclaves, certains de trouver là la libération de leurs chairs rongées par le mal, de leurs âmes avilies par l’Ennemi, de leurs cœurs saignants des illusions que l’expérience en avait arrachées. […] Tant que les hommes désireront être les pères de leurs enfants, ils approuveront tous les moyens que l’expérience a suggérés pour préserver la virginité des filles. […] La civière, les râles et les crachats de la salle commune, les expériences de fer et de poison, l’amphithéâtre, le lit de chaux : voilà ce que réservent ceux qui restent debout à ceux qui tombent.
Et cependant, l’esthétique musicale, appuyée sur l’histoire et les expériences scientifiquement exactes, n’aura pas de peine à dégager la parfaite continuité de l’art des sons et de ses procédés, l’unité de ses tendances sous cette apparente diversité, à retrouver au fond les mêmes éléments constitutifs obéissant toujours aux mêmes lois, ayant une fonction toujours identique, mais se prêtant à une variété infinie de combinaisons, ainsi que, dans la nature, les mêmes éléments servent à former des corps multiples. […] Je me hâte d’ajouter que tenter une expérience de ce genre avec une symphonie de Beethoven serait une aberration esthétique, parce qu’ici, nous sommes en face d’une composition purement musicale. […] J’ai fait une si cruelle expérience en ce qui concerne cet homme et son art, — que ce fut une longue et complète Passion : je ne trouve pas d’autre mot. Le renoncement nécessaire, le besoin de plus en plus pressant de me ressaisir moi-même, cela appartient aux expériences les plus dures et les plus mélancoliques de mon existence. […] Que de fois dans toutes espèces de circonstances, j’ai fait la même expérience.
Cette disposition de Molière à observer durant des heures et à se tenir en silence s’accrut avec l’âge, avec l’expérience et les chagrins de la vie ; elle frappait singulièrement Boileau qui appelait son ami le Contemplateur. « Vous connoissez l’homme, dit Élise dans la Critique de l’École des Femmes, et sa paresse naturelle à soutenir la conversation. […] Pour vous répondre donc sur la connoissance parfaite que vous dites que j’ai du cœur de l’homme par les portraits que j’en expose tous les jours, je demeurerai d’accord que je me suis étudié autant que j’ai pu à connoître leur foible ; mais si ma science m’a appris qu’on pouvoit fuir le péril, mon expérience ne m’a que trop fait voir qu’il est impossible de l’éviter ; j’en juge tous les jours par moi-même.
Et Byron : « Tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. » — Même les poèmes des philosophes conscients et raisonnés, comme Sully-Prudhomme : — L’homme ne peut se résoudre à ne pas espérer (les Danaïdes) ; Les âmes délicates sont faciles à froisser (le Vase brisé) ; On serait heureux de retrouver dans une autre vie ceux qu’on a perdus (les Yeux) ; Les hommes travaillent l’un pour l’autre : il se faut entr’aider, c’est la loi de nature (le Rêvé) ; Les aéronautes sont des hommes courageux, qui se munissent de baromètres et qui font à leurs dépens des expériences de physique (le Zénith)192. — C’est un lieu commun aussi que de vivre, d’être homme : tous nous faisons tour à tour les mêmes réflexions ; cependant, pour chacun de nous, elles sont neuves, imprévues. […] On peut appliquer à Hugo ce qu’il dit d’un de ses personnages : « La mansuétude universelle était moins chez lui un instinct de nature que le résultat d’une grande conviction filtrée dans son cœur à travers la vie et lentement tombée en lui pensée à pensée. » — « Il est de ces âmes, a-t-il dit encore, où la pensée est si grande qu’elle ne peut plus être que douce195. » Il est « de ces êtres bienveillants qui progressent en sens inverse de l’humanité vulgaire, que l’illusion fait sages et que l’expérience fait enthousiastes196. » C’est ainsi, et dans son progrès, qu’il faut voir V.
Quelle que fût sa langue, latine, ou franque, ou romane, le peuple n’a pas cessé de chanter ; il est impossible, de par les lois psychologiques et de par l’expérience, d’admettre un seul instant un silence séculaire ; au contraire, la nouvelle religion, le nouvel état politique et social devaient provoquer une nouvelle poésie. […] De par son tempérament, de par sa philosophie, de par ses expériences personnelles, Molière portait le drame en lui ; il l’aurait créé, lui qui a pris tant de libertés avec les formes et les combinaisons d’éléments, s’il y avait été encouragé.
Écrites à propos de sujets très différents, ces pages relèvent pourtant d’une même doctrine traditionnelle que les polémistes d’aujourd’hui disqualifient sous le terme emprunté à l’Angleterre et d’ailleurs dénaturé par eux de conformisme, comme si dans tous les domaines le progrès ne consistait pas précisément à se conformer aux lois de la vie individuelle et sociale vérifiées par l’expérience des siècles. […] C’était Descartes, c’était Spinoza que l’on avait devant soi, mais un Descartes, un Spinoza du vingtième siècle, ayant tout lu, tout médité, et vous apportant en saisissantes formules — tant elles ressemblaient peu au langage du jour — l’intrépide butin de son immense expérience intellectuelle. […] Autre symbolisme pascalien : l’ordre de la pensée substitué à l’ordre de l’action, la défaite de la Méloria réparée par le triomphe scientifique de Galilée utilisant l’inclinaison de la tour penchée pour ses expériences sur les lois de la chute des corps. […] Leurs noms figurent, côte à côte, dans un de ces palmarès du concours général dont la seule lecture aurait dû arrêter le vandalisme idéologique des soi-disant réformateurs qui saccagent les programmes, éprouvés par une séculaire expérience, de notre Université.
La tradition est l’expérience d’un peuple ; il manquait de tradition, et n’en voulait point. […] Il les avait, surtout, posées, sans paraître y prendre garde, sur le terrain le plus favorable, les présentant comme la Science opposée à la Foi, le Progrès opposé à la Tradition et l’Expérience au Préjugé. […] Et si l’expérience durcit peu à peu son cœur et détruit ses scrupules, elle affine son intelligence, et par là, tout compte fait, le ramène aux voies de la raison. […] Rappelons-nous bien que Montesquieu, de par son intelligence même, qui est infiniment souple et admirablement pénétrante, entre partout et ne s’enferme nulle part, et de par son tempérament qui est tranquille, aurait bien de la peine à être systématique. — Car un système est, selon les cas, une idée, une passion ou une table des matières. — C’est une idée chez ceux qui ne sont pas très capables d’en avoir deux, et qui, en ayant conçu ou emprunté une, y accommodent toutes les observations de détail qu’ils font sur les routes. — C’est une passion chez ceux qui, incapables de penser autre chose que ce qu’ils sentent, d’un penchant de leur tempérament font une idée, optimisme, pessimisme, scepticisme, fatalisme, et y font comme inconsciemment rentrer tout ce que l’expérience ou la réflexion leur présente. — C’est un simple memento, une méthode de classement, pour les intelligences vulgaires qui ont besoin d’un cadre à compartiments, d’un casier commode à ranger leurs pensées et découvertes dans un bon ordre et à les retrouver aisément.
Paul Hervieu a vu dès ses premiers pas à travers le monde « où l’on s’amuse » ; et (d’autres témoignages confirment sa déposition) son expérience et ses désillusions ne sont point faites pour nous donner l’envie de le suivre. […] Les gens curieux d’expériences politiques, de nouveautés religieuses et de solutions sociales n’y sont pas moins satisfaits que les chercheurs d’or, de pétrole ou de nickel. […] Fatigué d’expériences passionnelles, écœuré par les garçonnières et par les cabinets particuliers, il s’est laissé aller à un « mariage de lassitude » avec sa petite dinde, fille d’un avoué.
L’enthousiasme littéraire, le seul que nous remarquons d’abord en lui, cette espèce de religion du beau, qui de plus en plus, en avançant, se fondera sur l’histoire, sur la comparaison des littératures, sur l’expérience des hommes et de la politique, ce premier enthousiasme eut quelques inconvénients, quelques superstitions, comme tous les cultes.
… » On le voit, Mme de Krüdner, en substituant ici son expérience à celle de Gustave, s’exprime déjà dans cette page avec le sérieux de ses prédications futures.
De retour en France, Farcy était désormais un homme achevé : il avait l’expérience du monde, il avait connu la misère, il avait visité et senti la nature ; les illusions ne le tentaient plus ; son caractère était mûr par tous les points ; et la conscience qu’il eut d’abord de cette dernière métamorphose de son être lui donnait une sorte d’aisance au dehors dont il était fier en secret : « Voici l’âge, se disait-il, où tout devient sérieux, où ma personne ne s’efface plus devant les autres, où mes paroles sont écoutées, où l’on compte avec moi en toutes manières, où mes pensées et mes sentiments ne sont plus seulement des rêves de jeune homme auxquels on s’intéresse si on en a le temps, et qu’on néglige sans façon dès que la vie sérieuse recommence.
Allez, osez, ô Vous dont le drame est déjà consommé au dedans ; remontez un jour en idée cette Dôle avec votre ami vieilli ; et là, non plus par le soleil du matin, mais à l’heure plus solennelle du couchant, reposez devant nous le mélancolique problème des destinées ; au terme de vos récits abondants et sous une forme qui se grave, montrez-nous le sommet de la vie, la dernière vue de l’expérience, la masse au loin qui gagne et se déploie, l’individu qui souffre comme toujours, et le divin, l’inconsolé désir ici-bas du poëte, de l’amant et du sage !
Après avoir cité ces lignes de Mistral dans un article du Gil-Blas du 17 février 1910, nous ajoutions : « L’expérience des siècles justifierait cette conclusion.
Et les grands écrivains ont tiré leurs meilleures pages de ces expériences personnelles de l’existence.
Dans ce court passage aux affaires, où il avoue s’être « porté trop laschement et d’une affection languissante », il se serait corrigé, s’il eût été nécessaire, des illusions du travail spéculatif ; il y amassa des expériences pour autoriser ses pensées, et des souvenirs pour les provoquer.
J’ai eu le bonheur de connaître la vertu absolue ; je sais ce que c’est que la foi, et, bien que plus tard j’aie reconnu qu’une grande part d’ironie a été cachée par le séducteur suprême dans nos plus saintes illusions, j’ai gardé de ce vieux temps de précieuses expériences.
Près de lui se tient Kurwenal, son fidèle écuyer à la barbe grise, homme de rude expérience et de sûr dévouement.
. — Mes expériences antérieures m’apprennent que les belles femmes sont brunes ; or vous êtes belle ; donc vous êtes brune.
À travers les hésitations et le mieux des générations : à mesure que s’enquit de soi l’être universel, et qu’il tenta des lois, et, à leur aide, une nouvelle Expérience : la Matière devint pensante.
C’était vraiment de la male-chance pour des auteurs de publier leur premier volume2 juste le jour d’un coup d’État, et nous en fîmes l’expérience en ces semaines cruelles, où toute l’attention du public est à la politique.
L’expérience ne prouve que trop qu’avec cette ressemblance générale que les hommes conserveront toujours entr’eux, ils ne laisseront pas d’avoir des différences considérables.
Car ce qui est pour chacun de nous « le vraisemblable » dépend beaucoup de notre expérience personnelle, de notre aptitude à l’observation, et même des hasards de notre vie et des rencontres que nous y avons faites. […] Et quand il a été bien convaincu de mon infamie, quand il a pensé que, grâce à toutes ces expériences, à toutes ces débauches, j’étais devenue une femme de plaisir, quelque chose comme Mlle Castagnette, il s’est mis à m’aimer, si l’on peut se servir de ce mot sacré pour exprimer la passion la plus brutale et le désir le plus bas. […] Justement, il rencontre chez lui une amie de sa femme, la marquise de Valleray, une cascadeuse très bonne fille et pleine d’expérience. […] Et ainsi cette pièce ne vaut pas seulement par le drame qui s’y développe : elle a, par surcroît, l’intérêt d’une sorte d’expérience littéraire. […] Jean Jullien pour pouvoir instituer sérieusement sur elle l’expérience dont je parlais.
Qui donc en effet s’est jamais étonné lorsqu’on lui a dit que l’individu était soumis à l’influence de l’hérédité, à l’influence de l’éducation, à celle de l’expérience ? […] L’hérédité, c’est la force de la race ; l’éducation, c’est la force du milieu ; l’expérience, c’est la force du moment. […] Par-delà les circonstances et les accidents du monde extérieur, par-delà la chair et la race se dérobe la mystérieuse monade humaine avec ses deux attributs, la simplicité et l’activité, toute pareille à ce point mathématique d’Ampère susceptible d’attraction et de répulsion auquel on arrive après l’expérience de la division indéfinie de la matière. […] Le Saxon ne doit pas, comme le Gaulois, sa société et ses mœurs à une initiation toute-puissante ; il a dû tout tirer de sa propre substance, mœurs, institutions, lois et gouvernement ; son éducation est le fruit de son expérience propre ; sa poésie est le fruit de ses entrailles et de son cœur ; tout ce qui l’entoure est la chair de sa chair et le sang de son sang. […] Vieilles anecdotes de famille transmises de père en fils, reliques touchantes et comiques, vieilles recettes de remèdes conservées précieusement sur des chiffons de papiers jaunis par le temps, opinions biscornues et originales fondées sur quelque aventure immémoriale ou quelque lointaine expérience, toutes ces excentricités remplissent le Tristram Shandy et font un des charmes principaux du livre.
Leconte de Lisle cette absolue sincérité et cette expérience des choses qui donnent tant d’autorité à sa parole. […] Nous savons par expérience que, même dans les âges de haute culture, la postérité n’est pas toujours équitable. […] Je ne demande pas mieux que de faire ici l’expérience. […] Il disait : « Je n’écris point… » Son imagination et l’espèce d’éloquence qu’elle lui donnait, singulièrement appropriée à sa figure, à sa stature, était celle d’un démagogue ; son coup d’œil sur les hommes et sur les choses subit, net, impartial et vrai, avait cette prudence solide et pratique que donne la seule expérience. […] Auront-ils plus d’expérience parce qu’ils apprennent l’histoire universelle depuis l’âge des cavernes jusqu’à la présidence de M.
Son âme, endolorie par tant d’efforts et d’expériences, a retrouvé la santé et le courage, et il a chanté cet hymne, digne de Lucrèce et digne de Goethe : « Ô mère, silencieuse et endormie, que vous êtes calme et que vous êtes belle, et quelle sève immortelle de félicité et de force coule encore, à travers votre être, avec votre paisible sang ! […] Combattus entre l’éternelle illusion et l’inévitable expérience, nous sommes vieux, et nous sommes las. […] Comme toute recherche de ce qui est, elle vit d’expériences et d’observations. […] Victor Delbos, disait récemment : « Que l’on ne parle pas des variations de la pensée de Taine ; jamais peut-être doctrine n’a été moins entamée par les influences extérieures du milieu et du temps, n’a mieux résisté à ces causes intérieures de mobilité qui agitent sourdement les consciences… Il faut sans doute remonter jusqu’à Spinoza pour retrouver un aussi remarquable exemple de certitude et de sérénité intellectuelle. » En effet, relisez ceci : Lorsque j’ai résolu d’appliquer mon esprit à la politique, mon dessein n’a pas été de découvrir rien de nouveau ni d’extraordinaire, mais seulement de démontrer par des raisons certaines et indubitables, ou de déduire de la condition même du genre humain un certain nombre de lois parfaitement d’accord avec l’expérience ; et pour porter dans cet ordre de recherches la même liberté d’esprit dont on use en mathématiques, je me suis soigneusement abstenu de tourner en dérision les actions humaines, de les prendre en pitié ou en haine ; je n’ai voulu que les comprendre. […] Ayant promené sa vue sur les hommes et sur les choses, ayant ramassé, dans le champ de sa vision, comme dans le foyer d’une lunette d’approche, des coins de nature et d’art, de politique et de littérature, il a résumé son expérience, et ce qu’il nous a dit en somme, pourrait se réduire à ceci : Détrompez-vous et ne vous bercez pas d’erreurs consolantes.
Il faut, en effet, distinguer ces œuvres de celles qui sont purement scientifiques : l’expérience n’est guère faisable que sur les premières, elle ne l’est presque pas sur les secondes. […] Si l’on peut, à la vérité, observer quelque chose d’involontaire dans les moments sacrés de l’inspiration, ces moments fugitifs ne sont pas tout : il y a encore toute la puissance innée et toute la force acquise, toute la somme d’expérience humaine, de joies et de douleurs, qui les précèdent ; toute l’énergie de choix et de volonté qui les suit, — si même elle ne les accompagne : car l’involontaire n’est qu’une apparence ; et, même dans l’enthousiasme, le génie ne perd pas le gouvernail. […] C’est même sur ce seul fait d’expérience qu’est fondée toute la doctrine des médications prises à l’intérieur. […] Plus on met de soi, de son naturel, de son expérience personnelle, de ses passions et de sa raison, de ses tristesses et de ses joies, de ses nerfs et de sa substance, et de sa vie et de son âme, dans un écrit, dans une œuvre quelconque : plus on lui donne d’intérêt, de valeur. […] Car, dans l’œuvre d’un homme de génie, — soit musicale, soit littéraire, soit d’un art quelconque, — outre l’homme lui-même, outre l’idiosyncrasie naturelle et héréditaire qui constitue sa personnalité, et outre les connaissances et l’expérience accumulées de toute sa vie antérieure jusqu’à la minute où il crée cette œuvre nouvelle, où il sent l’étincelle morale, il y a, ne l’oublions pas, toute la collectivité des idées, des sentiments et des instincts de son époque, dans laquelle encore toutes les précédentes se condensent incessamment ; il y a l’énorme pression à la fois de toute l’expérience morale antérieure et de toute la sensibilité actuelle de sa nation et de l’humanité entière, aboutissant, à un moment donné, dans une crise individuelle : tout cela ensemble forme en quelque sorte un immense courant magnétique qui emporte cet homme de génie, ajoutant à ses forces personnelles toutes ces autres forces, multipliées les unes par les autres à l’infini.
Il faut la remercier de n’avoir pas hésité à faire sur elle-même cette expérience redoutable. […] A cet égard l’expérience quotidienne peut nous renseigner. […] Il y avait déjà observé une politesse hypocrite, une justice inique, une amitié menteuse, un amour frivole : mais il n’avait pas fait, à cet égard, d’expérience personnelle et douloureuse. A la fin de la pièce, cette expérience est terminée, très concluante.
Et c’est ici que surgit un nouvel élan, un nouveau jaillissement oratoire : « La triste expérience du passé ne devait-elle pas ajouter à nos craintes ? […] il ne se blasa jamais comme tant d’autres avec les années ; l’expérience n’émoussa point sa vivacité et n’amortit point sa fraîcheur morale ; il garda jusqu’à la fin toute sa tendresse d’impressions, sa sincérité et sa candeur.
Anthime Armand Dubois a la manie de tourmenter d’innocentes bestioles, sous prétexte d’expériences scientifiques, et aussi celle de blasphémer, notamment dans ses discussions avec son beau-frère, Julius de Baraglioul, romancier bien pensant et de valeur médiocre. […] Lorsqu’il se contente de répudier les familles, les foyers, tous les obstacles à l’affranchissement et aux expériences vagabondes, on peut observer qu’au fond il s’exprime à peu près comme l’Evangile et recommande quelque chose d’analogue à l’ascétisme chrétien : « Si tu voulais, si tu savais, Myrtil, en cet instant, sans plus de femme ni d’enfants, tu serais seul devant Dieu sur la terre… A travers indistinctement toute chose, j’ai éperdument adoré. » Et cela n’a jamais été bien inquiétant, parce que la contagion de ce renoncement n’est pas à craindre.
Mais, si j’ai de la reconnaissance pour l’habile critique qui m’a fait toucher du doigt la vanité des brillantes fantaisies de ma jeunesse, j’ai aussi la prétention d’être parvenu depuis quelque temps déjà à l’âge et aux travaux solides de la raison et de l’expérience, et d’avoir dépassé le Chevalier, qui s’est contenté de détruire et qui n’a rien fondé. […] Mais les véritables continuateurs de son œuvre furent les savants qui enfermèrent leur pensée dans le cercle des objets que l’expérience peut atteindre, et qui agrandirent ce cercle, considérant la philosophie non comme ne vue anticipée des choses que nous ne connaissons pas, mais comme une vue d’ensemble sur toutes celles que nous connaissons.
Nous avons reconnu par une funeste expérience que quarante ans de déclamation et de pathos sur l’humanité, la sensibilité, la bienfaisance, n’avaient servi qu’à préparer les cœurs à tous les excès de la barbarie. » Il y a certainement de la colère dans ce mépris terrible de Geoffroy, et cette colère, quand, en 1811, on touchait encore au bois sanglant des échafauds, était légitime ; mais le temps, qui a glacé ce mépris furieux, ne l’a pas effacé. […] Mais si on allait au-delà de Beaumarchais, mais si on recherchait profondément la mauvaise influence de Diderot sur les générations qui ont suivi la sienne, malgré les défaites et les expériences, peut-être la trouverait-on susbsistant encore sur la littérature dramatique de nos tristes jours.
Tout cela est vrai, tout cela aujourd’hui recommence à se dégager du fond de nos expériences et de nos tristesses ; mais tout cela, il faut bien en convenir, s’était fort obscurci pendant ces années d’ivresse et de surexcitation littéraire où il semblait que tout allât pour le mieux dans le meilleur des mondes, si, chaque matin, une dose énorme d’inventions, d’émotions et de paradoxes, de piment et d’alcool romanesque et poétique, était administrée par les maîtres du genre à un public émerveillé. […] Goriot, grâce à la singularité de sa maladie, devient un sujet précieux, et fournit aux illustres de la Faculté matière à de curieuses expériences : experimentum in anima vili ! […] Modeste Mignon, sauf la dédicace, commence à merveille ; je ne puis résister à l’envie de citer ces lignes dédicatoires, car enfin Buffon n’a pas tort, le style, c’est l’homme : « À une étrangère. — Fille d’une terre esclave, ange par l’amour, démon par la fantaisie, enfant par la foi, vieillard par l’expérience, homme par le cerveau, femme par le cœur, géant par l’espérance, mère par la douleur et poëte par tes rêves, à toi cet ouvrage, où ton amour et ta fantaisie, ta foi, ton expérience, ta douleur, ton espoir et tes rêves, sont comme les chaînes qui soutiennent une trame moins brillante que la poésie gardée dans ton âme, et dont l’expression, quand elle anime ta physionomie, est, pour qui t’admire, ce que sont pour les savants les caractères d’un langage perdu. » Je ne change pas une syllabe, et je laisse à mes lecteurs le soin de calculer tout ce qu’un pareil galimatias suppose de désordre dans une case quelconque du cerveau. […] Ces mots supposeraient qu’il reconnaît qu’il s’est trompé, qu’il s’en explique les causes, qu’il profite de ses expériences, et il n’en est rien : pour cette imagination imperturbable dans sa sérénité, ce n’est pas son rêve qui a tort de n’avoir pas prévu l’événement ; c’est l’événement qui est coupable de n’avoir pas justifié son rêve ; à peu près comme ces malades qui sont inexcusables de mourir au moment où ils allaient prouver la science de leur médecin et l’efficacité de ses remèdes. […] Vivement frappés des abus qu’ils avaient sous les yeux, prenant pour les institutions mêmes et les traditions consacrées ce qui n’en était que le dernier reste et l’agonie, d’autant plus audacieux qu’ils étaient sans expérience, ils furent naturellement portés à chercher leur idéal de gouvernement et de société à l’extrémité la plus contraire, dans cette loi de nature, dans ces rapports primitifs entre les hommes, préexistants à toute législation écrite et diamétralement opposés au régime de leur siècle.
Je ne vois pas de mal à ce qu’il ait essayé du roman, de la poésie, du théâtre, ne fût-ce que pour en connaître par expérience les difficultés. […] Buloz se faisait accueillante pour ce favori de la fortune ; à vingt-six ans il en devenait le critique dramatique attitré et, pendant huit ans, juge de bien des œuvres, témoin de nombreux succès et de chutes plus nombreuses encore, il achevait de s’initier aux secrets de son art ; comme un attaché militaire qui suit les manœuvres des armées étrangères, il prenait de l’expérience aux dépens des autres, et, à la fin de l’an dernier, il pouvait reparaître au théâtre, plus maître de son talent, plus sûr de ses mouvements et du terrain. […] À quiconque essaierait de mettre en doute l’effet produit par tel ou tel écrivain, le critique peut répondre : J’ai pour garantie mon expérience personnelle, j’ai dit ce que j’ai ressenti : il y a pour le moins un homme dont j’ai rendu l’impression vraie. — C’est peu et c’est beaucoup. […] Il est altéré d’amour éternel, passionné, poétique, et son expérience de la vie parisienne le conduit à considérer l’amour comme un mensonge ou comme un mystère du corps qui dévore la force et la pensée des jeunes hommes36.
On dirait d’abord d’un catalogue de petites expériences que le premier homme soigneux va compléter facilement ; on n’y peut toucher : c’est une bête vivante qui remue et crie dès qu’on y enfonce l’aiguille pour faire la couture. […] Il ne conseille pas de contempler le spectacle de là vie, ni de se former, par expérience et par réflexion, des idées. […] Sans doute le feuillage du hêtre et celui du charme sont identiques pour des yeux même habiles, et on ne distingue pas sans un peu d’expérience les feuilles de l’érable, du sycomore et du platane : elles diffèrent cependant par les dentelures, par les angles plus ou moins ouverts de leurs pointes. […] Mais ni l’une de ces femmes d’esprit, ni aucune femme ni aucun homme de bonne compagnie, né et élevé en pays de vraie langue française n’eût jamais dit autrefois, comme le conseille maintenant l’Aréopage des professeurs : « Instruites par l’expérience, les vieilles gens sont soupçonneuses » Il y a là une inconnaissance de l’usage, une insensibilité de l’oreille qui surprennent ; on sent le pauvre homme qui n’a pas vécu et qui tient du livre toute sa science .
On sent, aux épisodes du récit, la forte réalité de l’expérience, non pas peut-être, la réalité des événements et des personnages, mais, certes, la vérité des sentiments et des caractères. […] Il lui restait aussi une forte nourriture intellectuelle faite de lectures, d’expérience et de rêverie, tout ce qui alimente et soutient l’inspiration, seconde les forces intimes du génie ; et il pouvait s’enorgueillir, mieux que d’un stérile laurier de batailles, du rameau d’or sibyllin où s’épanouissaient, premières fleurs odorantes et sombres du printemps romantique, Moïse, les Poèmes anciens et modernes et la divine Éloa. […] Quelle dépense d’ingéniosité quotidienne, quelle vaste et fine expérience des hommes et des choses, et qu’il serait amusant de la savoir en ses moyens et en ses ressorts ! […] Pendant ce temps, il pouvait, avec certaines précautions, aller et venir, aimer et vivre, quitte, si ses expériences ne le satisfaisaient pas, à retrouver au moins la solitude qu’il s’était acquise à jamais par une fiction monstrueuse qu’il était toujours à même, après tout, de détruire. […] Oui, je veux même reconnaître en eux, tout de suite, l’excès de cette tendance intéressante en elle-même, qui, plus d’une fois, par manque d’expérience, par maladresse, par bravade, les conduisit souvent à la bizarrerie, à l’obscurité, au jargon.
La déclaration du roi portant établissement des Grands Jours à Clermont, datée du 31 août 1665, fut vérifiée et enregistrée au parlement le 5 septembre, et le même jour le roi adressa aux échevins et habitants de Clermont une lettre où il était dit : Chers et bien amez, la licence qu’une longue guerre a introduite dans nos provinces, et l’oppression que les pauvres en souffrent, nous ayant fait résoudre d’établir en notre ville de Clermont en Auvergne une cour, vulgairement appelée des Grands Jours, composée des gens de haute probité et d’une expérience consommée, pour, en l’étendue du ressort que nous lui avons prescrit, connaître et juger de tous les crimes, punir ceux qui en seront coupables, et faire puissamment régner la justice ; à présent qu’ils s’en vont pour vaquer à la fonction de leurs charges, et satisfaire à nos ordres, nous voulons et vous mandons que vous ayez à leur préparer les logements qui leur seront nécessaires, etc.
Je sais par une triste expérience que ces jeunes et tendres âmes ont besoin de bonheur ou de le rêver, et que leur première nourriture doit être une indulgence inaltérable.
Je veux parler des Fabliaux, qui ont eu assez longtemps le pas sur les grands poèmes primitifs dans la mémoire d’une postérité légère ; poésie légère aussi et à l’avenant, qui n’en est pas une et qui est même le contraire de la poésie proprement dite, puisqu’elle est toute de bon sens, de gaieté, de moquerie, de gausserie, d’expérience pratique et de malice ; poésie qui n’est plus du tout celle des grands et des nobles, des fiers Garin et des Bégon ; où plus rien ne respire du génie des Francs d’Austrasie ; de laquelle parlaient avec dédain les grands trouvères, les trouvères sérieux, et qui n’en était que plus populaire ; tout à l’usage des vilains, des bourgeois, des marchands et des écoliers.
Notre grand souci doit être de suppléer, autant que possible, à l’observation présente, personnelle, directe et sensible, que nous ne pouvons plus pratiquer : car elle est la seule voie qui fasse connaître l’homme ; rendons-nous le passé présent ; pour juger une chose, il faut qu’elle soit présente ; il n’y a pas d’expérience des objets absents.
Je dois à un examen plus attentif des questions sociales, à l’âge, à l’expérience, des sentiments plus justes sur la société politique, qu’elle soit républicaine ou monarchique.
à l’occasion d’une supposition fondée sur ses relations personnelles, qui lui attribuait une opinion qui lui était étrangère, avec Arago faire une pénible expérience.
Ni les hommes ni les œuvres ne manquent : mais, si la matière est riche pour l’historien ou pour le philologue, elle est pauvre pour le critique, qui s’arrête seulement aux œuvres littéraires, c’est-à-dire aux idées, sentiments, expériences, rêves que l’art a revêtus d’éternité.
On s’explique maintenant que l’amour divin donne à ceux qui en sont pénétrés la force d’accomplir les plus grands sacrifices apparents, de pratiquer la chasteté, la pauvreté, le détachement ; car ces sacrifices d’objets terrestres, nous les faisons à un idéal qu’une expérience terrestre a lentement composé : c’est donc encore à nous-mêmes que nous nous sacrifions.
D’autres accueillent la leçon des événements, s’améliorent par l’expérience.
Le roi entendit de tous côtés la voix de ces hommes instruits par une longue expérience des rites du sacrifice, de ceux qui possèdent les principes de la morale et la science des facultés de l’âme, de ceux qui sont habiles à concilier les textes qui ne s’accordent pas ensemble, ou qui connaissent tous les devoirs particuliers de la religion ; mortels dont l’esprit tendait à soustraire leur âme à la nécessité de la renaissance dans ce monde.
Il faut du courage pour faire à Dieu cette générosité, en dépit de l’expérience.
Ajoutons seulement qu’il nous a servi à traiter non pas seulement la question encore très générale qui faisait l’objet de cette étude, mais beaucoup d’autres problèmes plus spéciaux, et que nous avons pu en vérifier ainsi l’exactitude par un nombre déjà respectable d’expériences.
C’est une fable de sagesse, de prudence, de prudence et d’expérience ironique ; et puis, en même temps, vous avez vu, c’est une semaine de la vie des champs.
le pinceau, c’est-à-dire ce qui appartient le plus à l’artiste ; — le pinceau, qui est à lui plus intimement que la composition et l’idée même de son œuvre ; le pinceau, qui lui appartient autant que sa main dont il est le prolongement ; qui est fait de ses cheveux que des Dalila coupent toujours ; trempé dans la source de ses larmes, — de celles qu’il a versées ou de celles qu’il versera, — et coloré de son sang, rose quand il est heureux, et qui devient si noir après les expériences de la vie !
Admirons la définition que donne Ulpien de l’équité civile : c’est une présomption de droit, qui n’est point connue naturellement à tous les hommes (comme l’équité naturelle), mais seulement à un petit nombre d’hommes, qui réunissant la sagesse, l’expérience et l’étude, ont appris ce qui est nécessaire au maintien de la société .
Cela tient non seulement à l’importance des matières auxquelles il a touché, à ses nombreuses variations philosophiques, à sa passion pour le pouvoir, mais aussi à une grande bonhomie dont j’ai eu pour ma part l’occasion de faire l’expérience. […] C’est Spinoza multiplié par Aristote, et assis sur cette pyramide de sciences que l’expérience moderne construit depuis trois cents ans. […] Je l’ai cru longtemps moi-même sur la foi de l’auteur, avant d’avoir pu en juger par ma propre expérience. […] Les éléments étrangers durent y jouer un rôle d’autant plus grand, que la France avait fait assez peu d’expériences politiques jusqu’au milieu du xviiie siècle, et paraissait alors s’être définitivement fixée dans la monarchie absolue et dans les idées de la légitimité. […] Scènes de somnambulisme, phénomènes d’hallucination et de seconde vue ; juges fous, bourgmestres assassins, demeures ensorcelées, araignées dévorant des hommes, expériences métaphysiques faites sur l’âme en soumettant le corps aux horreurs de la faim : tout est réuni pour effrayer et confondre la raison du lecteur, ballotté entre la caricature et le crime9 ».
c’est qu’il est rare que le talent devance l’expérience ; souvent même cette dernière est déjà trop loin pour que celui-là la rattrape, et c’est ce qui fait qu’au théâtre les meilleures ingénues sont fort souvent des dames ou des demoiselles un peu plus âgées qu’il ne conviendrait. […] Je lui demandai encore si cette façon de concevoir de ses premières années était encore celle d’aujourd’hui, en un mot si l’expérience, si la conscience de sa situation littéraire ne l’obligeaient pas maintenant à moins de naïveté dans ses récits. […] Après avoir bien comprimé mes narines avec ses doigts, qui empestaient d’un astiquage de cuivres, il fit flamber une allumette pour mieux apprécier son ouvrage… Ensuite, poursuivant ses expériences sur ma chair malléable, il tordit mon appendice nasal d’une façon apparemment si comique qu’il pouffa de rire en prenant à témoin son camarade. […] … écrire, c’est bien autre chose… Et s’exaltant à mesure qu’il parlait : C’est vivre d’abord, et avoir de la vie un goût à soi, une saveur unique, une sensation, là, dans la gorge… C’est se transformer soi-même en champ d’expériences, en sujet auquel inoculer la passion. […] La croyance de l’auteur peut se résumer ainsi : Lorsque l’âme a récolté dans la vie assez d’épreuves, de douleurs, d’expériences terrestres, qu’elle les a échangées contre des valeurs célestes, qu’elle a gagné sa rançon uranique, elle échappe aisément à sa prison matérielle.
Peut-on admettre que des théories de lecture soient supérieures pour juger l’art à des théories d’expérience ? […] Sa destinée errante, sa précoce expérience du néant des passions, la nécessité des ruptures, les mélancolies voyageuses, expliquent que l’auteur du Maroc n’ait pu vaincre le désolant scepticisme qu’il étale ironiquement dans les lettres d’Aziyadé. […] Ce néant a fait partie de son être, il s’en est rassasié, et c’est en quelque sorte la conclusion de sa propre expérience qu’il nous donne, lorsqu’il résume ainsi la vie de Rancé : « On ne se dégage pas à volonté des songes ; on se débat douloureusement contre un chaos où le ciel et l’enfer, la haine et l’amour se mêlent dans une confusion effroyable. […] Or, en général, dans un ouvrage passionnel où l’héroïne sera logiquement châtiée par ses propres fautes, les femmes n’apercevront qu’une expérience, à refaire, et c’est ce qui faisait dire à Sainte-Beuve qu’elles n’acceptaient la faillite amoureuse de madame Bovary que sous bénéfice d’inventaire. […] On a calomnié l’expérience en l’accusant d’engendrer le désabusement et le pessimisme.
« Toutes les âmes, dit Adrien Sixte, doivent être considérées par le savant comme des expériences instituées par la nature. Parmi ces expériences, les unes sont utiles à la société et l’on prononce alors le mot de vertu ; les autres nuisibles, et l’on prononce le mot de vice ou de crime. […] J’ai assisté à plusieurs autres expériences, où manquaient et le serpent de fer, et M. […] Gilbert-Augustin Thierry a, dans sa sombre histoire de Rediviva, demandé aux expériences du docteur Miracle les secrets d’une épouvante nouvelle.
Tout en s’adonnant aux affaires d’État, tout en menant pendant près de vingt années le parti guelfe, envoyé tour à tour en ambassade et en exil, secrétaire ou notaire de la République florentine, Brunetto Latini trouva le temps, néanmoins, d’approfondir toutes les sciences alors connues, de traduire les classiques latins dans une prose italienne originale et pure, d’enseigner la jeunesse, de composer dans la langue française un ouvrage encyclopédique qu’il appela le Trésor, et auparavant dans son idiome natal, réputé indigne encore de matières si hautes, il Tesoretto, recueil de sentences morales, qui mettait à la portée de tous le fruit de l’expérience de son auteur, et qui est encore à cette heure pour le dictionnaire de la Crusca ce que celui-ci appelle un texte de langue. […] On y rencontre de fréquentes allusions aux hypothèses scientifiques du temps et aux propres expériences du poëte. […] Pressentant avant tout le monde l’importance de la chimie moderne qui va changer, dit-il, les conditions de la vie industrielle, il ouvre de vastes laboratoires où il s’applique aux expériences des Lavoisier, des Berthollet, des Berzélius. […] Il allie à l’étude l’observation, les essais et les expériences.
Au contraire, pour ce qui est des actions usuelles et des objets sensibles, c’est le peuple, c’est le Saxon qui les dénomme ; ces noms vivants sont trop enfoncés et enracinés dans son expérience pour qu’il s’en déprenne, et toute la substance de la langue vient ainsi de lui. […] En quoi a profité Froissart de toute sa vaste expérience ?
« L’explication de Saint Augustin a l’avantage inappréciable d’être d’accord avec ce que nous enseignent l’expérience et le sens intime. […] Ils ont vu le jour dans l’enclos où Darwin croisa des individus d’une même espèce zoologique pour les modifier, dans le laboratoire où Claude Bernard effectua ses expériences et où Pasteur étudia les fermentations empoisonnées et le mode grâce auquel une seule et microscopique bactérie infectionne et décompose un grand organisme : l’idée de Nana. […] L’influence indéniable du corps sur l’âme et vice versa, lui offre un superbe trésor d’observations et d’expériences.
Son esprit, ami de la règle, s’éloigna constamment de tous les excès : il n’osait insulter à l’expérience des âges ; il ne voulait ni tout changer ni tout détruire à la fois ; il conservait, à cet égard, la doctrine des anciens législateurs. […] Avant de se livrer à toutes les discussions littéraires qu’exige l’examen de la poétique de madame de Staël, il est nécessaire d’apprécier enfin, et de réduire à sa juste valeur ce système de perfectibilité qu’elle revient encore proclamer au milieu de tant de larmes qui ne sont point taries, et sur tant de ruines et de tombeaux qui semblent offrir d’autres leçons à l’expérience. […] Ils dédaignent l’expérience de l’histoire, et regardent le bon sens comme la preuve d’un esprit vulgaire.
» Berthelot continue : « Si l’on ne fait pas sauter les écluses du canal de la Marne, toute la grosse artillerie de siège des Prussiens arrivera, comme sur des roulettes, sous les murs de Paris, mais songera-t-on à les faire sauter… Je pourrais vous raconter des choses comme cela jusqu’à demain matin. » Et comme je lui demande s’il espère faire sortir, du comité qu’il préside, quelque engin de destruction : « Non, non, on ne m’a donné ni argent, ni hommes, et je reçois 250 lettres, par jour, qui ne me donnent le temps de faire aucune expérience. Ce n’est pas qu’il n’y aurait pas quelque chose à tenter, à trouver peut-être, mais le temps manque, le temps manque pour faire l’expérience en grand… et la faire accepter donc ! […] » Un autre : « C’est une expérience de lumière à Montmartre !
C’est dans cette vue qu’il donna promptement un ouvrage distribué en quatre dialogues, où, sous prétexte de proposer la raison philosophique & naturelle, soit pour l’une, soit pour l’autre opinion (*), il préfère réellement le systême de Copernic à tous les autres ; &, à propos du développement de ce systême, il tombe sur le jésuite Scheiner, le traite avec le dernier mépris, le représente comme un visionnaire qui supposoit des expériences & des observations pour les ajuster ensuite à ses idées. […] Dans une lettre qu’il publia sur la communication du mouvement, il ne manqua pas d’établir celui de la terre par un grand nombre d’expériences. […] Cette déclamation, ou discours, est partagée en deux parties : dans la première, l’auteur veut montrer, par l’expérience, que les sciences & les arts sont le poison le plus fatal pour les mœurs ; & dans la seconde, il veut le prouver par le raisonnement. […] On citoit les universités d’Allemagne & de Lorraine, pour en avoir fait la triste expérience.
Il est prouvé par l’expérience que ces gens-ci ne font rien par reconnaissance et par inclination, et il est même peut-être vrai de dire qu’ils ne le doivent pas ; car, leur intérêt étant de faire le moins qu’ils peuvent, puisqu’ils ne font rien qu’à leur détriment, leur système doit être de ne faire jamais que le plus pressé : or, ce qui presse le plus, c’est la crainte ; et en effet, c’est là le vrai mobile de tous les ressorts de cette cour-ci : or la hauteur, quand elle n’est pas trop excessive, inspire une espèce de crainte, au lieu que trop de politesse et d’égards courent risque d’être pris ici pour de la timidité et de la faiblesse.
Bernardin de Saint-Pierre était donc foncièrement bon, j’aime à le croire ; mais il était devenu, par la fâcheuse expérience des hommes, irritable, méfiant et susceptible.
C’est qu’ils sont eux-mêmes des hommes publics, engagés dans l’action, ayant part au gouvernement, instruits par l’expérience quotidienne et personnelle.
Vérité ou sophisme, il n’y avait rien à répondre au premier aperçu à cet axiome, du moment qu’on admettait pour convenu cet autre axiome très contestable : L’homme est égal à l’homme devant le champ ; l’enfant plus avancé en âge et en force est égal à l’enfant nouveau venu, dénué d’années, de force, d’éducation, d’expérience de la vie ; l’enfant du sexe faible et subordonné par son sexe même est égal à l’enfant du sexe fort, viril et capable de défendre l’héritage de tous dans le sien ; l’enfant inintelligent est égal à l’enfant doué des facultés de l’esprit et du cœur, privilégié par ces dons de la nature ; l’enfant vicieux, ingrat, rebelle, oisif, déréglé, est égal au fils tendre, respectueux, obéissant, actif, premier sujet du père, premier serviteur de la maison, etc., etc.
J’ai passé huit jours dans la grotte d’un santon retiré dans les rochers du Liban ; je couchais près de lui sur des feuilles sèches ; il m’expliquait le Coran et m’initiait aux secrets de sa vieille expérience.
Vous savez par expérience quel malheur affreux c’est de perdre une personne avec qui on a vécu pendant vingt-six ans, et qui ne m’a jamais donné un moment de déplaisir, que j’ai toujours adorée, respectée et vénérée.
Elle ne sera plus épique ; l’homme a trop vécu, trop réfléchi pour se laisser amuser, intéresser par les longs écrits de l’épopée, et l’expérience a détruit sa foi aux merveilles dont le poème épique enchantait sa crédulité ; elle ne sera plus dramatique ; parce que la scène de la vie réelle a, dans nos temps de liberté et d’action politique, un intérêt plus pressant, plus réel et plus intime que la scène du théâtre ; parce que les classes élevées de la société ne vont plus au théâtre pour être émues, mais pour juger ; parce que la société est devenue critique de naïve qu’elle était.
Le vrai dans les sentiments, c’était bien fin pour qu’on y vînt d’abord ; et puis on n’était pas encore assez persuadé, ni par d’assez rudes expériences que les grands sentiments n’étaient pas le vrai.
En 1648, il fait et fait faire à Paris, à Rouen et à Clermont les fameuses expériences qui mettent en évidence la pesanteur de l’air.
Le plus souvent cet héroïsme n’est pas au-dessus des grandes âmes ; il n’excède pas ce qu’en fait de vertus nous concevons de possible par la comparaison et par l’expérience de nos vertus médiocres.
Le fait est que ce qu’on dit des mœurs cléricales est, selon mon expérience, dénué de tout fondement.
Et toujours les problèmes sociaux ont hanté despotiquement la pensée de l’auteur des Rongon-Macquart, au point qu’il a fini par se perdre dans le réseau enchevêtré des théories et des expériences.
On ne vouloit pas qu’ils pussent tenir contre l’expérience.
À titre d’expérience, placez en regard de son étude sur Flaubert l’article de Sainte-Beuve sur Madame Bovary, et vous sentirez entre les deux manières l’abîme. », Fernand Vandérem, Le Miroir des lettres, 1re série (1918), Paris, Flammarion, 1919, p. 115.
L’expérience nous présente déjà ce genre de comique, mais à l’état rudimentaire seulement.
De même que pour un impressionniste il n’y a pas de lumière, mais des tons lumineux, le sentiment de Mallarmé veut qu’il existe non une clarté, mais des clartés, et il en est parfois chez lui comme dans l’expérience des interférences : l’obscurité y est faite de clartés qui se rencontrent. […] Voici, sur ce point, l’opinion à peu près courante, exposée par William James : « Maintes et maintes fois j’ai éprouvé ce phénomène, et toujours j’ai réussi à le rameur à un simple cas de souvenir ; mais de souvenir d’abord imprécis, dont ne surnagent que quelques circonstances, celles qui rapprochent l’expérience passée de l’expérience présente, tandis que tardent à se dégager les circonstances qui les opposeraient l’une à l’autre et qui permettraient de dater le souvenir. […] Autant que j’en peux juger far l’expérience personnelle, je crois l’explication incomplète.
L’expérience a démontré que les lois républicaines et monarchiques, et même les règlements despotiques, n’empêchaient pas certains genres de littérature de se perfectionner ; et si nous n’envisageons spécialement que celui qui va devenir l’objet de nos séances, la comédie, nous apercevrons que les Athéniens, libres, ont eu leur Aristophane et leur Ménandre, qui florissaient sous la république, ainsi que sous la liberté romaine fleurirent Plaute et Térence, et comme, sous la monarchie impérieuse de Louis XIV, les Français ont eu leur Molière et leur Regnard. […] Je n’ai pu vouloir chagriner un jeune homme dont j’ai moi-même applaudi les essais lus aux séances de l’Institut : je n’ai pu vouloir jeter de premières épines sur ses pas dans une route où l’expérience m’apprit qu’on ne rencontre que trop de ronces et d’entraves. […] C’est vouloir nier l’expérience même. […] Ce n’est point un tuteur crédule, imprévoyant, sot et vieux ; c’est un homme mûr, avisé, subtil, actif, expert en fait de galanteries, averti de toutes les rubriques féminines, prémuni par l’expérience qu’il a du train de la société, ayant réduit l’art de garder une épouse en tactique et la surveillance en système. […] Je n’omettrai donc point, dans ce travail, les bons éléments que me fournit le Traité de l’art de la comédie, que Cailhava nous laissa en témoignage de son savoir, et des expériences de sa pratique au théâtre.
Cousin, averti par l’expérience, éclairé par ce flambeau du spiritualisme dont la flamme tend sans cesse à monter vers le ciel, a sincèrement modifié, nous le savons, ce qu’il y avait de blessant pour la Foi catholique dans ces deux aspects de sa doctrine, et, si nous les indiquons une fois encore, c’est pour pouvoir nous livrer, en toute sécurité de conscience, au plaisir de l’admirer et de le louer. […] Daunou, laisse subsister cette phrase : « Il offrit le secours de son expérience et de ses talents à la génération nouvelle, qui devait entrer en possession définitive de ses droits, parce qu’elle était devenue capable d’en user avec mesure et d’y tenir avec constance », on sourit de ce passage, et de plusieurs autres qui semblent antidatés, tant ils sont démentis par de récentes épreuves. […] Ce qui nous eût paru discutable, a été si bien mitigé, adouci, corrigé, amoindri au salutaire contact de l’expérience, que c’est à peine si nous pourrions trouver çà et là quelque menu détail à contredire dans l’œuvre du jeune écrivain, et que, sauf de légères nuances d’accent, nous parlons désormais la même langue. […] Il est vivant, comme tout ce qui s’écrit sous l’inspiration directe de ce qu’on ‘raconte, et avec mille affinités personnelles entre le narrateur et le récit ; il est équitable, comme tout ce que modifient et corrigent, dans un bon esprit, la réflexion et l’expérience. […] Nous l’avons dit, un des charmes de cet ouvrage est de nous reporter vers le temps où nous étions tous jeunes, de nous replacer, après vingt-quatre ans d’expériences, de déchirements et de mécomptes, en face des illusions et des espérances qui n’eurent pas de lendemain.
À tout homme de belle intelligence, qui a de la mémoire, et un peu l’expérience d’avoir déjà vécu vingt ou vingt-cinq ans, les naturalistes et les psychologues sont venus démontrer qu’il pouvait faire un roman. — « Voyons, tu as été petit garçon, collégien, militaire. […] C’est la suprême culture, — la synthèse supposant toutes les analyses, le plus haut résultat combiné de l’hypothèse unie à l’expérience, le patriciat de l’intelligence et le couronnement de la science à l’art mêlé. […] Le réalisme de l’une et l’autre école est intense ; les analyses d’Adolphe sont aussi réelles que les analyses de l’Assommoir, les sujets d’expérience diffèrent, voilà tout. […] J’essaye, en ce moment, cette expérience en un roman sans me dissimuler que le public, de longue date habitué au plat et précis terre-à-terre de la littérature immédiate, sera, sans doute, dérouté par cette tentative. […] Mais alors il se trouve dans les conditions mêmes de toutes les expériences scientifiques, où la réalité d’hier n’est plus celle de demain.
Le fond, c’est d’abord ce qui est immédiatement sous la forme, comme l’émotion est sous le cri, comme une certaine articulation intérieure des membres est derrière le geste, comme une certaine disposition des organes vocaux fait la voix, et, dans cette acception, il y a identité entière et manifeste du fond et de la forme ; mais on entend aussi par fond l’ensemble des idées et des sentiments d’un auteur, sa culture scientifique et littéraire, son expérience de la vie, sa connaissance des hommes et des choses, sa philosophie, son imagination, sa sensibilité, bref, tout ce qui constitue son être intellectuel et moral9. […] Jésus excuse contre l’esprit mercantile et plat des sages de son temps la dévotion assurément peu raisonnable de cette femme qui avait répandu sur sa tête divine un parfum de grand prix, et c’est une des ravissantes profondeurs de l’Évangile ; mais le texte le plus fécond, le plus riche de sens, que puisse développer un orateur sacré, convaincu de l’inutilité des preuves intellectuelles et de la force invincible de l’argument fondé sur l’expérience intime, c’est la réponse de l’aveugle-né guéri par le Christ aux pharisiens qui lui faisaient honte d’avoir eu recours à un faux docteur : « Je ne sais pas si cet homme était un charlatan ; mais je sais une chose, c’est que j’étais aveugle et qu’à présent je vois. » J’ai quelquefois porté envie aux prédicateurs qui ont le privilège d’expliquer de telles paroles aux hommes assemblés, et j’ai compris alors comment certains ministres, chrétiens d’ailleurs médiocres, ont pu devenir, par la vertu de la cause qu’ils défendent et des sujets qu’ils traitent, d’assez bons avocats de Dieu. […] Je sais toutefois par expérience que mon propre bonheur est intéressé dans l’accomplissement fidèle et régulier de mes devoirs publics, et voilà la raison, égoïste encore, pour laquelle je les remplis de mon mieux. […] Comme on suppose a priori, et non d’ailleurs sans de bonnes raisons d’expérience, que chaque individu éminent ne l’est que dans une chose, on est hostile, comme à de l’activité mal réglée et perdue, à toute prétention de se distinguer autre part que dans telle ou telle spécialité.
Je ne sais même pas si les expériences sur le spiritisme ont jamais été faites dans des conditions scientifiques. […] Richepin, car ils savent par expérience ou ils croient par préjugé qu’un rôdeur des grandes routes est, le plus souvent, un assez mauvais drôle ou un très pauvre diable. […] L’auteur de Snob, trop confiant en notre intelligence et en notre expérience des choses du cœur, nous laisse une part de collaboration vraiment démesurée. […] Il s’agit donc d’amener de Paris Angèle, la sœur égarée, pour que cette fille, avec l’autorité que lui confère une expérience très spéciale, tire la morale désolante de toute la pièce. […] Et si l’amant ne lui fait même pas le plaisir abominable, mais sûr, qu’elle reçoit de son époux, continuera-t-elle indéfiniment ses expériences ?
Mais j’ai fait des expériences, j’ai vu de près des réalités que je n’avais aperçues que de loin ; j’ai touché du doigt les conséquences de certaines idées de Rousseau. […] Livré à moi seul, sans amis, sans conseils, sans expérience, en pays étranger, servant une nation étrangère, au milieu d’une foule de fripons qui, pour leur intérêt et pour écarter le scandale du bon exemple, me tentaient de les imiter : loin d’en rien faire, je servis bien la France, à qui je ne devais rien, et mieux l’ambassadeur, comme il était juste, en tout ce qui dépendait de moi. […] Après la mort du maréchal (1764) elle devint, paraît-il, tout à fait bonne, d’une bonté faite d’une longue expérience. […] Et il y était obligé aussi par sa propre expérience. […] … Au livre III, de douze à quinze ans, se fait l’éducation de l’intelligence et de la réflexion, — toujours par les choses mêmes, par l’expérience directe, sans livres, — avec le moindre effort possible pour l’élève.
J’ai bien envie d’en faire l’expérience sur quelques pages d’un de ses articles, du second, qui est justement le mieux nourri. […] C’est bien peu de chose que la vie réduite à nos propres expériences.
Je revois encore le triste mur où j’épelais, au sortir du collège, nos bulletins de défaite ; j’entends la voix d’un ouvrier qui lisait tout haut, dans une rue de Niort, parmi des groupes violents, l’horrible papier de honte et de félonie : « Le maréchal Bazaine a capitulé… » Dès lors, il ne faut pas s’étonner si les meilleurs d’entre nous, lorsqu’ils voyagent à l’étranger, rapportent volontiers leurs observations et leurs expériences à une idée fixe. […] Herbert Spencer, la seule discipline salutaire, c’est l’expérience des conséquences bonnes ou mauvaises, agréables ou pénibles, qui découlent naturellement de nos actes. » Si le mioche tombe, il se ramassera, et il saura désormais, par la bosse de son front, que les planchers sont durs. […] croyez-en la petite expérience que je puis avoir du « métier ». […] La troisième a fondé une entreprise agricole afin de tenter une expérience : elle voudrait que l’on créât de vastes exploitations où les femmes gagneraient leur vie comme jardinières. […] Cette transition de Constantinople à Moscou et à Pétersbourg ne surprendra pas les personnes qui connaissent par la lecture ou par l’expérience l’état de l’Europe orientale.
Ne serait-on pas curieux, en effet, d’étudier la vie de ce grand peintre des hommes, et satisfait de pouvoir distinguer sûrement dans ses ouvrages ce qu’il reçut de l’expérience, et ce qu’il apprit par la réflexion ? […] On aime à se le représenter, plein de jours et d’expérience, au milieu de ses concitoyens émus, racontant les traditions de l’ancienne Grèce et les exploits des héros avec ces paroles abondantes et cette gravité douce que nous admirons dans ses écrits.
XLII Un barbier rasait un pair de France : on parlait du Juif errant ; le barbier, grand admirateur des Mystères de Paris, s’écria : « C’est bien mauvais, je ne reconnais pas mon Sue. » XLIII Le style de Bariolus a longtemps battu la campagne en habit d’Arlequin ; les années et l’expérience ont fini par lui donner une dose de bon sens et de pensée : — une dose bien frelatée encore. […] Ainsi pour les expériences physiques : vous faites des mélanges dans un matras, et cela aide à comprendre les météores.
Il y a une vérité sublime derrière l’expérience grossière et les catéchismes transmis ; il y a un bonheur grandiose par-delà les agréments de la société et les contentements de la famille. […] Il cause donc avec le colporteur, personnage méditatif, qui s’est instruit par une longue expérience des hommes et des choses, qui parle fort bien (trop bien !)
Une pièce de théâtre, dit Voltaire, est une expérience sur le cœur humain. […] Si l’expérience du théâtre a souvent confirmé ce préjugé, ce n’est pas à la nature, c’est aux poètes qu’il faut s’en prendre.
Nous servons notre âme comme notre idole ; les idées assimilées, les hommes pénétrés, toutes nos expériences nous servent à l’embellir et à nous tromper. […] Il fallait une expérience de son cœur pour qu’il cessât d’imiter les héros de son père, pour qu’il s’essayât à être soi81. […] Il sait toutes les inclinations du cœur, excelle à débrouiller les situations les plus délicates, possède pour les petits malaises de la vie amoureuse, pour les troubles des sens à tous les âges, d’admirables recettes familières, et il vous les donne sans pédanterie, avec sa longue expérience, sa fine bonhomie et sa grande douceur de parole.
Il faudrait beaucoup de temps pour apprendre par soi-même la combinaison des sons qui plaisent, déplaisent ou laissent indifférents ; l’expérience de quelques-uns abrège le travail de tous ; on a formulé la science de la combinaison des sons, la science harmonique. […] Cette nouvelle me paraît bien importante ou bien imprudente, lancée par un homme qui a toutes les sortes d’expériences. […] Jules Vandricourt dont le cabinet d’affaires est si avantageusement connu, désirant se rendre utile à MM. les littérateurs, met son expérience à leur service et se charge de toutes les démarches propres à amener des procès entre eux et ceux de leurs confrères qui peuvent leur déplaire. » Aimons-nous et mangeons-nous.
L’expérience de 1870, faite avec le dessus du panier, à été déplorable. […] Tout, dans ces jours, semble arriver à plaisir pour montrer le néant de l’expérience humaine. […] Vraiment, si les Prussiens n’étaient pas à la cantonade, il serait désirable que l’expérience du gouvernement du Comité fût complète.
… Je connais et j’aime Molière depuis ma jeunesse et pendant toute ma vie j’ai appris de lui… Ce n’est pas seulement une expérience d’artiste achevé qui me ravit en lui ; c’est surtout l’aimable naturel, c’est la haute culture de l’âme du poète. […] Là encore il s’appuie sur une donnée étrangère, mais il puise dans sa propre expérience tous les chagrins, toutes les disputes, tous les orages d’un nouvel amour ; c’est seulement à son retour à Paris, dans la plénitude de l’âge mûr, qu’il se décide à peindre l’homme sur le vif. […] après tant de malheurs subis, d’expériences si douloureuses, lorsqu’il est prouvé que la France n’a dû sa défaite qu’à son ignorance et que le maître d’école allemand a gagné la bataille de Wœrth comme il avait gagné celle de Sadowa, toute une foule de gens ameutés s’obstinent à refuser à notre pays ce savoir qui lui manque, ce besoin de lumière et de science qui le laverait de ses erreurs ?
À l’époque où s’ouvrit ce grand concile de la politique moderne, Mathieu de Montmorency, philosophe et novateur comme son maître Sieyès, s’élança sur ses pas et sur les pas de Mirabeau au-devant de toutes les théories de liberté et d’égalité qui allaient être soumises à l’épreuve de l’expérience du siècle futur.
Jean Valjean eût renouvelé ces tentatives, si parfaitement inutiles et folles, autant de fois que l’occasion s’en fût présentée, sans songer un instant au résultat, ni aux expériences déjà faites.
Un homme pareil ne sentirait d’abord que sa faiblesse ; sa timidité serait extrême : et si l’on avait là-dessus besoin de l’expérience, l’on a trouvé dans les forêts des hommes sauvages ; tout les fait trembler, tout les fait fuir.
De là toute cette poésie de la Restauration, dont le caractère général est un retour vers le passé, une exploration du passé, un enthousiasme vrai ou faux pour le passé, sans élan, sans impulsion en avant : comme si, après la philosophie novatrice et enthousiaste du Dix-Huitième Siècle, une réaction d’immobilité et de rétrogradation fût nécessaire, afin que l’esprit humain, après avoir reconquis son passé, revu son héritage et sa vie antérieure, pût, riche d’expérience et de savoir, se lancer de nouveau, avec plus d’assurance et d’espoir, dans la voie de l’avenir.
L’expérience et les années semblaient lui avoir donné, avec la satiété des spectacles qui avaient amusé sa jeunesse et son âge mur, un certain goût de pénétrer dans les causes et de tirer la morale des événements.
Le sommeil, la folie, le délire, le somnambulisme, l’hallucination offrent à la psychologie individuelle un champ d’expérience bien plus avantageux que l’état régulier.
Une expérience assez suivie m’avait montré, en effet, que la cause que j’aimais échouait toujours et que ce qui me répugnait était ce qui devait triompher.
Par le souvenir de cette histoire douloureuse, Albert Wolff rappelle à Carvalho qu’il n’a pas les moyens de renouveler cette mauvaise expérience qui risquerait cette fois d’être d’autant plus violente que la menace prend un tour politique que n’avait pas « l’affaire Van Zandt ».
Il cause de la femme russe et de son curieux dédoublement dans les choses d’amour, où chez elle, un troisième personnage, tout cérébral, semble seulement comme témoin, prendre un extrême plaisir à la physiologie de la chose, et aux expériences ultra-libidineuses.
Chactas qui, en ces matières, a l’expérience d’un Almaviva, raconte qu’il la tenait palpitante dans ses bras, attendant le moment psychologique où « la passion, en abattant son corps, allait triompher de sa vertu ».
Tantôt c’était un Montesquieu, ce prophète de l’expérience, qui montrait la source et les effets des législations ; tantôt un J.
Il y a certaines contradictions spéciales, si naturelles à l’imagination du rêveur, si choquantes pour la raison de l’homme éveillé, qu’il serait impossible d’en donner une idée exacte et complète à celui qui n’en aurait pas eu l’expérience.
Nestor au contraire instruit par l’expérience et par l’âge, est l’ame des conseils, et le modérateur des différends. […] Il faut qu’elles soient bien placées, c’est-à-dire, qu’elles conviennent aux actions et aux événemens dont on parle ; car si l’esprit ne les trouve appuyées de l’expérience, il les juge frivoles, et elles ne sçauroient faire d’impression.
Vous trouverez bon que je vous cause ainsi en Bonhomme d’une certaine expérience à cause du millier de tentatives que j’ai mises à l’écart, dans des tiroirs, plutôt que de ne pas atteindre, même tard, comme d’emblée à l’évidence, et aussi, en tant que très fort votre ami. […] Je laissais pourtant subsister secondairement, pour des raisons qui demeurent valables et réelles, les rapports couleur et timbre, en prévenant que nous précédions et escomptions des expériences souhaitables : depuis, l’expérimentation ne m’a pas contredit, ni, d’autre part, l’étude ultérieurement entreprise de la Phonétique. […] Ou d’une expérience quelconque ?
Je crois que, pour être général en chef, il faut être égoïste ; moi, je ne puis pas l’être ; j’aime mes soldats et je souffre de leurs maux. » Nommé par le général Bugeaud au commandement supérieur de Milianah (juin 1842), avec trois bataillons sous ses ordres, soixante cavaliers, de l’artillerie, du génie, « enfin une petite brigade, complète et organisée », il s’exerce à l’administration, à la conduite de la guerre ; il gagne en expérience, en aplomb ; il fait son apprentissage de commandant en chef : « Si jamais je suis général, j’arriverai tout formé. » Dans les expéditions qu’il dirige alentour, il y a tel petit combat « où il y a tactique en miniature et combinaison de trois armes ».
Ballanche a été une sorte d’événement dans ma vie littéraire, et il a contribué à m’apprendre bien des choses, de celles qu’on ne sait jamais mieux que par son expérience personnelle.
Quelle que soit la tendresse qui respire en ces créations heureuses, la raison y est, l’expérience humaine y souffle par quelque coin et attiédit la passion.
Lequel d’entre eux a l’expérience de la campagne ?
C’est contre ce petit nombre d’âmes libres et stoïques, quoique modérées, que le premier Consul éclate en impatience et qu’il invente le mot d’idéologues, comme l’injure la plus expressive qu’on puisse adresser à des hommes qui font abstraction de l’expérience en matière de gouvernement.
XIV Autant qu’on en peut juger par les lambeaux de cet ouvrage sur la République, il était à la fois historique, didactique, philosophique, c’est-à-dire que Cicéron appuyait ses théories sur la nature, sur l’expérience, sur l’histoire de Rome.