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565. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série «  Leconte de Lisle  »

Il est remarquable que celui-là soit le moins ému, qui s’est fait le poète des religions et qui s’est attaché aux manifestations du sentiment le plus intime, le plus enfoncé au cœur des races. […] Mais quand un poète s’est complu à évoquer la série presque complète des religions et des théologies, volontiers on s’enquiert des raisons d’une prédilection si constante. […] Il lui sembla que l’homme, presque toujours, avait aggravé l’horreur de son destin par les explications qu’il en avait données, par les religions qui avaient hanté son esprit malade, prêtant à ses dieux les passions dont il était agité. […] Alors, le cœur révolté contre l’Être, mais les yeux pleins du prestige de ses formes ; indigné des monstruosités de l’histoire, mais désarmé par l’intérêt de son mécanisme et ébloui par la richesse de ses décors ; soulevé contre le spectre des religions, mais apaisé par l’idée qu’un jour peut-être elles auront vécu ; conspuant l’humanité et l’adorant à la fois, il alla prendre pour héros l’antique rebelle, le premier après Lucifer qui ait crié : Non serviam ! […] Plus tard, quand ils eurent perdu la liberté, à Alexandrie, en Sicile, ils se consolaient encore par leur belle mythologie, par les symboles sensuels de leur religion naturaliste et par des rêves de vie pastorale dans la campagne divinisée.

566. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XIII] »

N’est-ce pas en France que tous les ouvrages contre la religion ont été composés, vendus et publiés, et souvent même imprimés ? […] Accorder hautement sa protection à un ennemi déclaré, tombé dans la disgrâce, abandonné de tous, devenu l’objet du mépris et de la haine publics ; montrer à son égard une tendresse plus que maternelle ; s’opposer en même temps et à la colère du prince et à l’aveugle fureur du peuple : voilà ce qui fait la gloire de notre sainte religion. […] L’évêque Burnet avoue que ce goût, acquis en France par les courtisans de Charles II, réforma chez vous jusqu’à la chaire, malgré la différence de nos religions : tant la saine raison a partout d’empire ! […] L’Imagination, à ces murs dévastés, Rend leur encens, leur culte et leurs solennités, À travers tout un siècle écoute les cantiques Que la Religion chantoit sous ces portiques. […] C’est la Religion ; oui, cette enchanteresse Se plaît à nous unir d’un nœud mystérieux À tous les monuments consacrés par les cieux.

567. (1914) En lisant Molière. L’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

Cela veut ; dire qu’il suffit d’humanité sans religion et avec irréligion pour être charitable !  […] Et il est remarquable que les personnages sensés de la pièce, et ils sont nombreux, n’ont pas l’air de savoir qu’une religion existe. […] Il a écrit Tartuffe non pas précisément en hostilité contre la religion de son temps, mais sans scrupules à cet égard, sans les scrupules qui, s’il les avait eus, l’auraient empêché d’écrire une pièce si facile à diriger, non seulement contre l’hypocrisie mais contre la religion en soi. […] Et il a pour une religion autoritaire et rigoureuse une profonde dévotion ; car la religion telle qu’il la comprend est un frein et une entrave ; met aux mains du mari cet instrument de terreur dont il a besoin. […] Brave encore, puisqu’il accepte un duel, mais hypocrite de religion et se couvrant de scrupules religieux.

568. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre II. Prière sur l’Acropole. — Saint-Renan. — Mon oncle Pierre. — Le Bonhomme Système et la Petite Noémi (1876) »

L’impérieux devoir qui m’obligea, durant les années de ma jeunesse, à résoudre pour mon compte, non avec le laisser aller du spéculatif, mais avec la fièvre de celui qui lutte pour la vie, les plus hauts problèmes de la philosophie et de la religion, ne me laissait pas un quart d’heure pour regarder en arrière. […] Si une société, si une philosophie, si une religion eût possédé la vérité absolue, cette société, cette philosophie, cette religion aurait vaincu les autres et vivrait seule à l’heure qu’il est. […] La religion est la forme sous laquelle les races celtiques dissimulent leur soif d’idéal ; mais l’on se trompe tout à fait quand on croit que la religion est pour elles une chaîne, un assujettissement. […] Jusque-là, la religion y avait eu un cachet absolument à part.

569. (1856) Cours familier de littérature. I « VIe entretien. Suite du poème et du drame de Sacountala » pp. 401-474

Les brahmanes, prêtres de la religion et gardiens des mœurs, n’auraient pas permis sans doute qu’on donnât en spectacle à la multitude, comme on l’a fait malheureusement en Grèce, à Rome et chez nous, des passions féroces et des attentats odieux reproduits en langage et en action sur la scène, et propres à dépraver les imaginations d’un peuple religieux. […] Un cénobite de la religion de Wichnou reçoit la notion de l’art dramatique du père des brahmanes. […] Les règles de leur littérature théâtrale, règles puisées dans la religion plus que dans l’art, révèlent, dans ces temps reculés, de profondes notions sur la manière d’émouvoir, d’intéresser, de tendre et de détendre l’esprit des hommes rassemblés, et de les faire sortir de ces représentations dans un état d’édification morale où le plaisir même profite à la sainteté. […] Non seulement un dénouement tragique troublerait la conscience du peuple, mais il blesserait la religion, qui révèle comme un dogme absolu l’absorption ou la réunion définitive de tout être à la source de son être dans le sein de la Divinité. […] » La scène s’évanouit après ces paroles, et le peuple édifié sort du spectacle comme d’un temple, où le plaisir même sert de mobile à la religion et à la vertu.

570. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Lettres sur l’éducation des filles, par Mme de Maintenon » pp. 105-120

Sur ce point, chrétiennement et toujours raisonnablement, repose toute l’éducation telle que la conçoit Mme de Maintenon et telle qu’elle voulut l’établir à Saint-Cyr : « Inspirer la religion et la raison, c’est là le solide de l’éducation de Saint-Cyr. » — « Le christianisme et la raison, qui est tout ce que l’on veut leur inspirer, sont également bons aux princesses et aux misérables. » Mais ceci demande quelque éclaircissement. […] Cela bien entendu, elle veut le vrai dans l’éducation dès le bas âge : « Point de contes aux enfants, point en faire accroire ; leur donner les choses pour ce qu’elles sont. » — « Ne leur faire jamais d’histoires dont il faille les désabuser quand elles ont de la raison, mais leur donner le vrai comme vrai, le faux comme faux. » — « Il faut parler à une fille de sept ans aussi raisonnablement qu’à une de vingt ans. » — « Il faut entrer dans les divertissements des enfants, mais il ne faut jamais s’accommoder à eux par un langage enfantin, ni par des manières puériles ; on doit, au contraire, les élever à soi en leur parlant toujours raisonnablement ; en un mot, on ne peut être ni trop ni trop tôt raisonnable. » — « Il n’y a que les moyens raisonnables qui réussissent. » — Elle le redit en cent façons : « Il ne leur faut donner que ce qui leur sera toujours bon, religion, raison, vérité. » Dans un siècle où sa jeunesse pauvre et souriante avait vu se jouer tant de folies, tant de passions et d’aventures, suivies d’éclatants désastres et de repentirs ; où les romans des Scudéry avaient occupé tous les loisirs et raffiné les sentiments, où les héros chevaleresques de Corneille avaient monté bien des têtes ; où les plus ravissantes beautés avaient fait leur idéal des guerres civiles, et où les plus sages rêvaient un parfait amour ; dans cet âge des Longueville, des La Vallière et des La Fayette (celle-ci, la plus raisonnable de toutes, créant sa Princesse de Clèves), Mme de Maintenon avait constamment résisté à ces embellissements de la vérité et à ces enchantements de la vie ; elle avait gardé son cœur net, sa raison saine, ou elle l’avait aussitôt purgée des influences passagères : il ne s’était point logé dans cette tête excellente un coin de roman. « Il faut leur apprendre à aimer raisonnablement, disait-elle de ses filles adoptives, comme on leur apprend autre chose. » Et de plus, cette ancienne amie de Ninon savait le mal et la corruption facile de la nature ; elle avait vu de bien près, dans un temps, ce qu’elle n’avait point partagé ; ou si elle avait été effleurée un moment, peu nous importe, elle n’en était restée que mieux avertie et plus sévère. […] Louis XIV, dans l’esprit qui lui dicta cette fondation, à cette date qui est à la fois celle de sa maladie et de son mariage secret, eut-il dessein, revenant sur les fautes de son passé, de réparer ce qu’il avait fait de tort à certaines nobles demoiselles de son royaume, telles que La Vallière, par exemple, et voulut-il, par une sorte d’expiation, mettre à jamais toute une élite pauvre à l’abri des tentations et des périls sous l’aile de la religion et de la vertu ?

571. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — I — Vauvenargues et Fauris de Saint-Vincens » pp. 1-16

Dans sa jeunesse, et à l’époque de sa liaison avec Vauvenargues, c’était un jeune homme studieux, aussi lettré que modeste, animé de sentiments délicats et tendres, religieux ou susceptible de revenir à la religion. Il fit une maladie grave et qui mit ses jours en danger en 1739 ; les lettres que lui adresse Vauvenargues à ce sujet sont les plus précieuses de cette correspondance, en ce qu’elles jettent quelque lumière sur les vrais sentiments en matière de religion et les croyances de celui qui les écrivait. […] mais la religion, comme tu dis, fournit de grandes ressources ; il est heureux, dans ces moments, d’en être bien convaincu.

572. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, par M. J. Zeller. Et, à ce propos, du discours sur l’histoire universelle. (suite.) »

Or Bossuet combattit cet homme, Richard Simon, le dénonça comme coupable au fond « d’une dangereuse et libertine critique », d’une malignité profonde, « d’un sourd dessein de saper les fondements de la religion » ; il le fit taire tant qu’il put ; il déclara subversives du Christianisme, et des prophéties sur lesquelles il se fonde, les explications les plus irréfragables ou les plus vraisemblables qui sont du ressort de la philologie pure ; il l’accusa de substituer en toute rencontre des sens humains à ce qu’il appelait les sens de Dieu. […] Les Romains plus graves ne faisaient pas mieux en religion que les Grecs. […] Il protège la Religion au dedans et au dehors du royaume et jusqu’aux extrémités du monde.

573. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La civilisation et la démocratie française. Deux conférences par M. Ch. Duveyrier »

La nature étudiée, attaquée par tous les points, poursuivie dans ses détails, embrassée dans ses ensembles, décrite, dépeinte, admirée, connue ; — ce qui reste de barbarie cerné de toutes parts ; — les antiques civilisations rendues de jour en jour plus intelligibles, plus accessibles ; — le contact des religions considérables amenant l’estime, l’explication et jusqu’à un certain point la justification du passé, et tendant à amortir, à neutraliser dorénavant les fanatismes ; — une tolérance vraie, non plus la tolérance qui supporte en méprisant et qui se contente de ne plus condamner au feu, mais celle qui se rend compte véritablement, qui ménage et qui respecte ; — au dedans, au sein de notre civilisation européenne et française, un adoucissement sensible dans les rapports des classes entre elles, un désarmement des méfiances et des colères ; un souci, une entente croissante des questions économiques et des intérêts, ou, ce qui revient au même, des droits de chacun ; le prolétaire en voie de s’affranchir par degrés et sans trop de secousse, la femme trouvant d’éloquents avocats pour sa faiblesse comme pour sa capacité et ses mérites divers ; les sentiments affectueux, généreux, se réfléchissant et se traduisant dans des essais d’art populaire ou dans des chants d’une musique universelle : — tous ces grands et bons résultats en partie obtenus, en partie entrevus, les transportent ; ils croient pouvoir tirer de cet ordre actuel ou prochain, de cette conquête pacifique future, un idéal qui, pour ne pas ressembler à l’ancien, n’en sera ni moins inspirant, ni moins fécond. […] Jullien, celui qu’on appelait Jullien de Paris, qui, jeune, s’était fait tristement connaître par son fanatisme révolutionnaire, et qui, vieux, tâchait de faire oublier ses anciens excès par son zèle honorable de fondateur de la Revue encyclopédique, avait à la bouche, à chaque phrase, le mot de civilisation : c’était devenu un tic chez ce petit vieillard si actif et toujours courant. — Le mot est naturel et habituel dans l’ordre d’idées et dans la langue de Condorcet, de Volney ; il revient nécessairement sous leur plume, comme le mot de Dieu sous celle des dévots, et il tend à le remplacer : il marque leur religion aussi. […] Mille écluses maîtriseraient et distribueraient l’inondation sur toutes les parties du territoire ; les huit ou dix milliards de toises cubes d’eau qui se perdent chaque année dans la mer, seraient réparties dans toutes les parties basses du désert, dans le lac Mœris, le lac Maréotis et le Fleuve sans eau, jusqu’aux Oasis et beaucoup plus loin du côté de l’ouest, — du côté de l’est, dans les Lacs Amers et toutes les parties basses de l’Isthme de Suez et des déserts entre la mer Rouge et le Nil ; un grand nombre de pompes à feu, de moulins à vent, élèveraient les eaux dans des châteaux d’eau, d’où elles seraient tirées pour l’arrosage ; de nombreuses émigrations, arrivées du fond de l’Afrique, de l’Arabie, de la Syrie, de la Grèce, de la France, de l’Italie, de la Pologne, de l’Allemagne, quadrupleraient sa population ; le commerce des Indes aurait repris son ancienne route par la force irrésistible du niveau… » Le mot de civilisation ne s’est pas rencontré encore ; il n’échappe qu’à la fin et aux dernières lignes, comme le résumé de tout le tableau ; il introduit avec lui et implique l’idée morale, qui a pu paraître jusque-là assez absente : « Après cinquante ans de possession, la civilisation se serait répandue dans l’intérieur de l’Afrique par le Sennaar, l’Abyssinie, le Darfour, le Fezzan ; plusieurs grandes nations seraient appelées à jouir des bienfaits des arts, des sciences, de la religion du vrai Dieu ; car c’est par l’Égypte que les peuples du centre de l’Afrique doivent recevoir la lumière et le bonheur ! 

574. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VII. De l’esprit de parti. »

Elle s’empare de vous comme une espèce de dictature, qui fait taire toutes les autorités de l’esprit, de la raison et du sentiment : sous cet asservissement, pendant qu’il dure, les hommes sont moins malheureux que par le libre arbitre qui reste encore aux autres passions ; dans celle-là, la route qu’il faut suivre est commandée comme le but qu’on doit atteindre : les hommes dominés par cette passion sont inébranlables jusques dans le choix de leurs moyens ; ils ne voudraient pas les modifier, même pour arriver plus sûrement à leur objet : les chefs, comme dans toutes les religions, sont plus adroits parce qu’ils sont moins enthousiastes ; mais les disciples se font un article de foi de la route autant que du but. […] Plus l’esprit de parti est de bonne foi, moins il admet de conciliation ou de traité d’aucun genre ; et comme ce ne serait pas croire véritablement à l’existence efficace de sa religion, que de recourir à l’art pour l’établir, dans un parti, l’on se rend suspect en raisonnant, en reconnaissant même la force de ses ennemis, en faisant le moindre sacrifice pour assurer la plus grande victoire. […] Les grandes qualités d’un homme qui n’a pas la même religion politique que vous, ne peuvent être comptées par ses adversaires ; les torts, les crimes mêmes de ceux qui partagent votre opinion ne vous détachent pas d’eux ; le grand caractère de la véritable passion est d’anéantir tout ce qui n’est pas elle, et une idée dominante absorbe toutes les autres.

575. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Le symbolisme ésotérique » pp. 91-110

Cet utopiste, qui avait professé la doctrine de Saint-Simon, de Fourier et s’était fait successivement l’adepte de toutes les religions fantaisistes qui pullulaient, comme des champignons, des ruines de l’ancienne, entend, un jour, par hasard, prêcher le célèbre Père de Ravignan. […] En réalité, ces incroyants sont des prosélytes de la religion nouvelle. […] Tandis que Péladan poursuit son Éthopée, que le poète Édouard Schuré trace, avec ses Grands initiés, l’esquisse de l’histoire secrète des religions qui paraîtra en 1889, tandis que Huysmans abjure la foi réaliste et retourne à Dieu où il se délecte, par haine de la banalité, comme à un vocable rare ou à une idée exceptionnelle et qu’il ébauche Là-bas, Stanislas de Guaita amasse les matériaux qui lui serviront à écrire l’histoire des Sciences maudites.

576. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXII » pp. 355-377

L’effroi ou la honte que ces prédications parurent jeter dans l’âme des deux amants, furent plus forts et plus déterminants en 1675 qu’ils ne l’avaient été dans les années précédentes, où les carêmes n’avaient pas été prêches avec moins de véhémence, et où les vérités de la religion n’avaient pourtant rien obtenu. […] Le roi, de son côté, fit tout ce qu’un bon chrétien doit faire. » Le 16 avril, peu après l’événement, madame de Scudéry écrivait au comte de Bussy-Rabutin : « Le roi et madame de Montespan se sont quittés, s’aimant, dit-on, plus que la vie, purement par un principe de religion. […] C’était dans cette honnêteté, toute morale, que résidait la grande puissance qui devait ramener un roi dissolu à des mœurs décentes ; car la religion n’agit sur Louis XIV qu’après l’ascendant de la morale, aidée par les charmes de l’esprit et de la raison.

577. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Raphaël, pages de la vingtième année, par M. de Lamartine. » pp. 63-78

Il y a de ce côté toute une destinée et presque une religion. […] Quant aux grandes scènes finales de l’arbre de Saint-Cloud, autrement dit l’arbre de l’Adoration, et aux promenades dans le parc de Mousseaux, j’y suis peu sensible ; elles rentrent dans ce nouveau système d’amour, qui consiste à identifier Julie avec la nature et avec Dieu, à faire de tous les trois un mélange qui semble tenir à la présente religion de l’auteur, et qui appartient peut-être à la future religion du monde.

578. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Seconde partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère de la littérature et des arts » pp. 326-349

Je ne parle point ici de celles qui contiennent les fastes mêmes de notre religion, de celles dont la célébration est la profession de foi de la société chrétienne. Celles-là ont une origine positive ; elles se lient aux dogmes et à l’histoire de la religion. […] La parole continuera d’être fécondée par la religion, ainsi que nous l’avons dit ; et l’étude des langues où sont enfermées comme dans une arche voilée aux regards les traditions primitives du genre humain, entretiendra ce genre d’activité des esprits, cette continuité de traditions.

579. (1888) Études sur le XIXe siècle

Eux aussi, aboutissent à la synthèse de leurs sentiments dans une religion : religion mal définie peut-être, peu orthodoxe à coup sûr, mais de si noble essence, que le catholicisme l’a longtemps respectée. […] Dans son esprit, l’art et la religion sont deux manifestations d’un besoin unique, ou, pour employer les expressions qu’il emprunte volontiers à Schopenhauer, deux représentations intellectuelles (Vorstellungen) d’une même idée : l’art et la religion se complètent l’un l’autre et poursuivent des fins communes. […] Chaque œuvre, chaque recueil de vers, comme l’Âne, Religion et religion, etc. ; chaque drame, comme le Roi s’amuse ou Ruy-Blas ; chaque roman, comme les Misérables ou les Derniers jours d’un condamné, n’est qu’une suite de variations dans lesquelles le thème est noyé. […] Ainsi, en religion comme en politique, il est guidé par le même esprit libéral. […] Religion und Kunst.

580. (1864) Le roman contemporain

Vous ne vous douteriez pas qu’il y a, dans ce moment, une persécution terrible organisée contre les philosophes par la religion. […] la religion. […] La religion, l’esprit de famille, la tradition du passé, l’antique honneur, sont demeurés pour lui au nombre des choses respectables et respectées. […] Sans cela, on n’a pas la foi, et sans la foi catholique on n’a pas la charité catholique, car tout se tient dans la religion. […] Seulement, l’auteur oublie d’expliquer pourquoi la religion et la société accueillent d’une manière si différente ceux qui portent la livrée du crime, la religion avec des paroles de mansuétude, d’espérance, d’encouragement ; la société avec des précautions infinies, des défiances et des craintes.

581. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre II. La Nationalisation de la Littérature (1610-1722) » pp. 107-277

Assurément, dans cette querelle mémorable, où il y allait, comme il disait, de toute la religion, on ne saurait trop admirer ce qu’il a déployé de vigueur, d’éloquence, et d’ardeur passionnée. […] Et finalement, à l’ombre de la controverse, le libertinage grandissait de tout ce que la religion perdait de prestige et d’autorité. […] Qui ne l’entend encore quand il oppose « les évidences de la raison » aux « vérités de notre religion » ; et qui ne voit ou qui ne devine quel est son objet ? […] Rœderer, Mémoire sur l’histoire de la société polie]. — Pourquoi les femmes n’aiment pas Molière. — A-t-il réussi contre la religion ? […] Sermons sur la Vérité de la religion, 1665 ; — l’Oraison funèbre de la Princesse palatine, 1685 ; — la Lettre à un disciple du P. 

582. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre I. Querelle des Anciens et des Modernes »

Les sujets de ces « romans » en vers étaient presque tous tirés de l’histoire moderne, et ornés d’un « merveilleux » emprunté à la religion chrétienne. […] C’est contre Desmarets que Boileau, par une malheureuse application de sa doctrine, prohiba au troisième chant de son Art Poétique l’emploi de la religion chrétienne en poésie, et, juste au moment où Milton venait d’écrire son Paradis perdu (ce que, du reste, il ignorait), nia assurément la valeur poétique de Satan.

583. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — V »

En politique, en morale, en sociologie, en religion, en philosophie, le conservateur de la doctrine ancienne et le révolutionnaire le plus acharné à détruire les vérités présentes se confondent dans l’identité d’une même foi. […] Tandis que le philosophe, dupe de la croyance en. une vérité objective, se fonde, pour maintenir la suppression du culte, sur ce fait que la religion catholique, comme toute autre forme religieuse, est fausse et constitue une superstition, l’esprit clairvoyant du politique sachant que la superstition, le préjugé, la croyance sont l’étoffe et l’unique tissu du réel, se préoccupe uniquement de rechercher quelle forme du préjugé est utile à la réalité française dont il identifie avec le sien l’intérêt.

584. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre III. Paradis perdu. »

On peut reprocher au Paradis perdu de Milton, ainsi qu’à l’Enfer du Dante, le défaut dont nous avons parlé : le merveilleux est le sujet et non la machine de l’ouvrage ; mais on y trouve des beautés supérieures, qui tiennent essentiellement à notre religion. […] mais se fût-il élevé à ces pensées, s’il n’eût connu la religion de Jésus-Christ ?

585. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre III. Suite des Époux. — Adam et Ève. »

Mais ni l’amour de Pénélope et d’Ulysse, ni celui de Didon pour Énée, ni celui d’Alceste pour Admète, ne peut être comparé au sentiment qu’éprouvent l’un pour l’autre les deux nobles personnages de Milton : la vraie religion a pu seule donner le caractère d’une tendresse aussi sainte, aussi sublime. […] Ce morceau n’est point inférieur à celui que nous venons de citer, et doit aussi sa beauté à une religion sainte et pure.

586. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Henri Rochefort » pp. 269-279

Il faut autre chose que cela dans un pauvre temps comme le nôtre, qui n’a plus ni la religion des principes ni les principes de la religion.

587. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre III. La critique et l’histoire. Macaulay. »

. —  Liaison de la religion et du libéralisme en Angleterre. —  Libéralisme de Macaulay. —  Essai sur l’Église et l’État. […] Dans un pays où l’on s’occupe tant de morale et si peu de philosophie, il y a beaucoup de religion. […] Macaulay est protestant, et quoique d’un esprit fort ouvert et fort libéral, il garde parfois les préjugés anglais contre la religion catholique1366. […] Depuis les deux révolutions, le protestantisme, allié à la liberté, a paru la religion de la liberté, et le catholicisme, allié au despotisme, a paru la religion du despotisme ; les deux doctrines ont pris, toutes les deux, le nom de la cause qu’elles avaient soutenue. […] The government had just ability enough to deceive, and just religion enough to persecute.

588. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE STAEL » pp. 81-164

Une note de cet Essai mentionne avec éloge l’Esprit des Religions, ouvrage commencé dès lors par Benjamin Constant, et publié seulement trente ans plus tard. […] « Heureux, s’écrie Mme de Staël, si nous trouvions, comme à l’époque de l’invasion des peuples du Nord, un système philosophique, un enthousiasme vertueux, une législation forte et juste, qui fût, comme la religion chrétienne l’a été, l’opinion dans laquelle les vainqueurs et les vaincus pourraient se réunir !  […] Toutes ces opinions, en effet, sur la religion, sur la politique, sur le mariage, datées de 90 et de 92 dans le roman, étaient d’un singulier à propos en 1802, et touchaient à des animosités de nouveau flagrantes. […] Il fallait que la religion pénétrât désormais, non plus dans les discours seulement, mais dans la pratique suivie. […] Gardons-nous de défaire sans raison et d’aller gâter les justes admirations, les religions bien fondées de notre jeunesse.

589. (1868) Curiosités esthétiques « II. Salon de 1846 » pp. 77-198

Mais pour expliquer ce que j’affirmais tout à l’heure, — que Delacroix seul sait faire de la religion, — je ferai remarquer à l’observateur que, si ses tableaux les plus intéressants sont presque toujours ceux dont il choisit les sujets, c’est-à-dire ceux de fantaisie, — néanmoins la tristesse sérieuse de son talent convient parfaitement à notre religion, religion profondément triste, religion de la douleur universelle, et qui, à cause de sa catholicité même, laisse une pleine liberté à l’individu et ne demande pas mieux que d’être célébrée dans le langage de chacun, — s’il connaît la douleur et s’il est peintre. […] En effet, c’est bien là la peinture qui convient à cette ville de comptoirs, ville bigote et méticuleuse, où tout, jusqu’à la religion, doit avoir la netteté calligraphique d’un registre. […] Granet à la religion, M.  […] Un brave peintre espagnol eût naïvement, avec la double piété de l’art de la religion, peint de son mieux l’idée générale qu’il se faisait de saint Augustin et de sainte Monique. […] Biard a reculé devant le tableau de religion.

590. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome IV pp. 5-

« On a prétendu, dit le professeur, que le sujet étant la conversion de Henri IV à la religion catholique, et par conséquent le triomphe de cette religion, l’auteur avait été contre son but en y insérant des morceaux satiriques contre l’ambition des papes et contre la cour de Rome. […] Il a peint la religion et l’église sous les traits les plus respectables, et nous a représenté la Discorde et la Politique, prenant les vêtements sacrés de leur auguste ennemie, la Religion, pour prêcher aux peuples la révolte et le fanatisme, et la vérité de l’histoire est transparente sous cette allégorie. […] Ce combat de religions ennemies va mettre en présence des divinités de toute espèce. […] Tous les peuples de l’histoire ayant eu leur religion propre, il était absurde de leur supposer des divinités qui n’eussent pas été les leurs. […] J’avais créé sa religion et ses lois philosophiques après l’avoir créé lui-même ; il me fallut encore créer les localités de son empire.

591. (1858) Du roman et du théâtre contemporains et de leur influence sur les mœurs (2e éd.)

La sensualité a été le culte, la religion d’Adrienne : c’est dans l’ivresse des sens, c’est dans les extases de la volupté qu’elle doit rendre le dernier soupir. […] Renée, il y a cela d’admirable que le plaisir n’a pas besoin de religion, d’apparat, ni de grands mots ; il est tout par lui-même. […] Ce qu’ils proclament à si grand bruit, qu’est-ce autre chose que ce dogme fameux des religions nouvelles, l’émancipation de la femme ? […] Cette religion du plaisir, cette théorie du sybaritisme flattait trop le goût général pour n’avoir pas un grand succès. […] Ces femmes, auxquelles la littérature a fait sous un nom bizarre une honteuse célébrité, ne sont-elles pas, aussi bien, les prêtresses véritables de la religion nouvelle ?

592. (1891) Esquisses contemporaines

Que veulent-elles dire, sinon que la religion est la conscience de Dieu, et qu’en définitive la religion revient à la philosophie ? […] Ce serait demander l’impossible et réclamer de considérations purement utilitaires ce que n’a pu opérer la plus puissante des religions. […] Nous ne connaissons plus la religion, mais des religions ; la morale, mais des mœurs ; les principes, mais des faits… Et par là même quelle merveilleuse entente de l’histoire ! […] Base philosophique de la religion ; résultats obtenus. […] L’enseignement de la religion.

593. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome I

Que la religion ne soit qu’une hypothèse entre vingt autres, admettons-le. […] La religion apporte avec elle des livres qui sont ses titres de tradition. […] La religion n’est vraie qu’à sa quintessence, et pourtant la trop subtiliser, c’est la détruire. […] Nos gens auront donc, eux aussi, la religion de la méthode. […] Il représente, avec une intensité singulière, la religion, j’allais dire le fanatisme de la Science propre à la seconde moitié du XIXe siècle français, — religion dont le grand livre de jeunesse de son ami M. 

594. (1835) Critique littéraire pp. 3-118

Telle est la différence des deux religions, telles sont leurs méthodes. […] La religion ne vous sert plus que comme une machine bonne à amener des dénouements. […] À Dieu ne plaise que je cherche à tirer aucun parti contre la religion de cette indifférence religieuse, si vainement combattue ! […] S’agit-il de religion ? […] Les colonies anglo-américaines qui parlaient la même langue que la mère-patrie, qui avaient ses mœurs, sa religion, ses lois, ses usages, se sont affranchies du jour où leur civilisation s’est trouvée l’égale de la civilisation anglaise ; mais si l’Inde échappe jamais à l’Angleterre, ce sera par une guerre de religion.

595. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VII. Les poëtes. » pp. 172-231

La Philosophie, qui jadis ne s’appuyait que sur le ciel, se rabat sur les causes secondes et disparaît ; la Religion rougissante voile son feu sacré, et la Moralité, sans s’en douter, s’éteint ; la vertu publique, la vertu privée n’osent plus jeter de flammes ; il n’y a plus d’étincelle humaine, il n’y a plus d’éclair divin. […] La conception n’est pas bien haute : ce Dieu écourté, qui fait son apparition au commencement du dix-huitième siècle, n’est qu’un résidu ; la religion éteinte, il est resté au fond du creuset, et les raisonneurs du temps, n’ayant point d’invention métaphysique, l’ont gardé dans leur système pour boucher un trou. […] Un plébéien génevois, protestant et solitaire, que sa religion, son éducation, sa pauvreté et son génie avaient mené plus vite et plus avant que les autres, vint dire tout haut le secret du public, et l’on jugea qu’il avait découvert ou retrouvé la campagne, la conscience, la religion, les droits de l’homme et les sentiments naturels. […] In my politics, I think no further than how to preserve the peace of my life, in any government under which I live ; nor in my religion, than to preserve the peace of my conscience in any church with which I communicate. […] Physic of metaphysic begs defence, And metaphysic calls for aid on sense… Religion blushing veils her sacred fires, And unawares morality expires.

596. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

Les exploits réels ou fabuleux des compagnons de Charlemagne, convertis par des ermites à une religion de douceur et d’ascétisme, avaient laissé dans les imaginations populaires des traditions tout à la fois héroïques et saintes, où la lance et la croix s’entrelaçaient dans un contresens pittoresque. […] Homère a écrit un poème épique, le Tasse a écrit un opéra en vingt chants : l’un est un poète, l’autre est un trouvère, mais le plus accompli des trouvères, le trouvère immortel de la chevalerie, de la religion et de l’amour. […] Il ne sera ni le poète sévère de la raison, ni celui de la vérité, ni celui de la religion ; mais il sera le poète de l’enchantement. […] Mais, pendant que le Tasse négociait ainsi en vain son raccommodement avec la maison d’Este, son ami le jeune cardinal Cinthio négociait pour lui auprès du pape son oncle le couronnement poétique au Capitole, la royauté du génie consacrée par la religion, par le sénat et par le peuple. […] Selon nous, s’il n’est pas le chantre le plus épique de la religion du Christ, il est au moins le plus mélodieux narrateur en vers parmi tous les chantres modernes de l’Occident.

597. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIe entretien. Vie du Tasse (1re partie) » pp. 5-63

L’Italie est en deuil des religions et des empires, le bruit et la joie attristent dans cette maison de douleur. […] La poésie, l’indigence, la mort, les larmes, la religion, l’adolescence, la vieillesse, également dépourvues de secours dans le grenier d’un cardinal à Rome, étaient le père et la mère, comme dit Job, du poète futur de l’Italie. […] La religion commune est une patrie commune ; il y eut dans le choix du sujet autant de génie que dans le poème lui-même ; les croisades, qui avaient été l’héroïque folie des siècles précédents, étaient restées la tradition héroïque des peuples chrétiens. […] Un sang héroïque coulait dans ses veines, il rougissait de polir des vers au lieu de tenir l’épée de ses pères ; célébrer des exploits guerriers lui semblait associer son nom aux héros qui les avaient accomplis sur les champs de bataille ; la religion, la chevalerie et la poésie, la gloire du ciel, celle de la terre, celle de la postérité, se réunissaient pour lui conseiller cette œuvre. […] Une lettre inédite du poète semble indiquer clairement que ce fut le motif de sa disgrâce : « Peut-être, dit-il dans cette lettre, ai-je dû le refroidissement du cardinal au trop grand zèle que j’ai montré pour le parti catholique en France, ou par ressentiment de ce que je manifestais pour la religion plus de sollicitude que cela ne convenait à la politique de certains ministres de la cour de Ferrare. » L’écrivain français Balzac assure que la négligence du cardinal envers son poète fut poussée jusqu’à lui retirer son traitement et à lui refuser tout moyen de renouveler ses vêtements, usés par un an de séjour en France.

598. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Crétineau-Joly »

À l’ombre de cette opinion protectrice, l’Ordre de Jésus, blessé mais immortel, a repris obscurément sa place dans le monde, prêt à recommencer les grands services qu’il a rendus à la cause de la religion et de l’ordre, se proportionnant aux circonstances qu’il ne brave jamais, mais qu’il accepte toujours, se confiant au temps et à Dieu. […] Ces théoriciens de désordre, les uns aveugles, les autres clairvoyants, mais qui tous, surtout les derniers, avaient le fanatisme de l’impiété autant qu’ils accusaient leurs adversaires d’avoir le fanatisme de la religion, travaillaient à outrance l’esprit des peuples, le prenant par ses mille côtés à la fois, mais s’entendant pour n’y imprimer qu’une seule idée, une idée de ruine et de mort. […] Des écrivains superficiels ont prétendu souvent, dans des classifications sans justesse, que les guerres de religion se sont fermées au traité de Wesphalie ; c’est une erreur. Les guerres de religion troublent trop profondément les sociétés pour se clore si vite. […] On le conçoit : avec les forts instincts d’administration qui étaient en lui et qu’il prenait pour des instincts politiques, il avait dû admirer sur la terre du schisme cette religion nationale, chère à l’esprit de tous les despotes, et il en avait remporté l’idée dans sa patrie pour la réaliser un jour.

599. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre II. Le théâtre du quinzième siècle (1450-1550) »

Entre la fin de la guerre de Cent Ans et le commencement des guerres de religion s’étend une période de paix intérieure, où, sous la domination protectrice d’une royauté qui se fait absolue, la bourgeoisie, moins opprimée, moins inquiète, plus riche, s’attache avec passion aux représentations dramatiques. […] Parmi tous les mystères indépendants où un événement particulier, une destinée individuelle sont exposés, trois compositions d’un caractère plus général se détachent : le Mystère du Vieil Testament, qui, en près de 50 000 vers, nous mène du Paradis terrestre jusqu’au temps d’Auguste ; le Mystère de la Passion, qui, en près de 35 000 vers dans l’œuvre de Gréban. embrasse tous les récits des Évangiles, et le Mystère des Actes des Apôtres, qui, en plus de 60 000 vers, expose la diffusion de la religion nouvelle et le martyre des premiers serviteurs du Christ. […] Il était devenu nécessaire de marquer extérieurement le respect et la foi qu’on donnait aux Écritures et à la religion. […] Le Procureur général, en 1542, ne les maltraitait pas moins comme mauvais acteurs de pièces mal faites que comme offensant la morale et la religion.

600. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre douzième »

Il n’a pas voulu que la postérité l’ignorât, et, pour plus de sûreté, il avait copié deux fois de sa main cette correspondance, se souciant peu de charger sa mémoire de ce qui eût embarrassé sa vie, et tenant fort à prouver qu’il avait pensé autrement qu’il n’avait dit. « C’est du style de notaire », disait-il de certaines affectations de respect pour la religion, que Voltaire lui reprochait. […] Les zélés qui, en ces derniers temps, ont parlé de remplacer les Pères par les auteurs païens, ne se doutent guère que l’idée était venue à Diderot de mettre aux mains des enfants de dix à onze ans des extraits des Pères, « comme ayant autant d’esprit que les plus beaux esprits d’Athènes et de Rome. » Et poussant sa pointe, il voulait qu’on fît argumenter les enfants de douze ou treize ans sur les preuves métaphysiques de la religion. Type du décousu, de la témérité, se permettant tout, même la raison et la vérité, agité de tous les souffles du temps, sans lest, point incapable du bien, pourvu qu’il n’y fallût que le premier mouvement, faisant le mal avec l’étourderie de l’enfant qui lapide une statue, il y aurait autant de duperie à l’admirer qu’à lui demander, comme la Harpe, au nom de la religion, de la morale et du goût, un compte pédantesque de tous ses paradoxes. […] Pour moi, le service est si grand, qu’il rachète les défauts justement relevés dans le Génie du Christianisme : la légèreté du savoir ; quelques injustices faites aux anciens, même en les louant ; trop de pompe et d’esprit pour recommander la religion des humbles et des simples ; l’excès de l’apologie, qui fait douter de la foi de l’apologiste ; Massillon cité comme le modèle de l’éloquence chrétienne ; sans compter la langue, qui n’est pas partout aussi bonne que la cause.

601. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre III. La complication des sociétés »

En ce sens encore, les grandes religions prosélytiques élevaient, par-dessus les frontières, d’immenses monuments à l’humanité. […] C’est en ce sens que Jhering a pu soutenir ce paradoxe : « L’argent est le grand apôtre de l’égalité179. » Marx le dit de son côté180 : « L’argent en qui s’effacent toutes les différences qualitatives entre les marchandises, efface à son tour, niveleur radical, toutes les distinctions. » Sur le marché il n’y a plus qu’un échangiste, en face d’un échangiste — race, nation, religion, tout ce qui distingue les hommes est momentanément oublié. […] Ainsi, à Rome, la hiérarchie primitive fondée sur la religion de la famille devait être ébranlée le jour où un fils, chargé de veiller aux intérêts de l’État, commandant le respect aux vieillards, pouvait, entouré de ses licteurs, exiger le salut même de son père. […] Boissier, La Religion romaine, II, p. 250-290.

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