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722. (1909) Nos femmes de lettres pp. -238

Et nous allons voir que l’auteur d’Occident possède une incontestable nature de poète. […] Cela, c’est presque tout le secret de l’art du poète. […] » puisque l’émotion, c’est justement l’étincelle qui fait jaillir la lumière dans l’âme du poète. […] Car, si le poète a composé les vers, n’est-ce pas l’amante qui rédigea la dédicace ? […] Or, pour le poète, ne le savons-nous pas ?

723. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (2e partie) » pp. 315-400

« Si Votre Excellence soutient, dis-je alors, que le monde est inné dans le poète, elle ne parle sans doute que du monde intérieur, et non du monde des phénomènes et des rapports ; par conséquent, pour que le poète puisse tracer une peinture vraie, il a besoin d’observer la réalité. […] « On ne peut, a-t-il dit, comparer les deux poètes sans détruire l’un par l’autre. […] Il estimait peu le talent des femmes poètes. […] Comme d’habitude, il s’informa avec intérêt de ce que j’avais vu de neuf ces jours-ci, et je lui racontai que j’avais fait connaissance avec une femme poète. […] Mais, dites vous-même, n’est-ce pas bien curieux que les sujets du poète chinois soient si moraux et que ceux du premier poète de la France actuelle soient tout le contraire ?

724. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — I. » pp. 413-433

Un feu d’enthousiasme qu’ont trop peu ressenti les poètes de nos jours, et que nous avons trop confondu dans nos propres inspirations avec les saillies de la fantaisie, animait alors ces âmes patriotiques et fermes, ces hommes de devoir. […] On ne s’expliquait pas cette obstination du poète Delille à rester éloigné de sa patrie quand elle redevenait paisible, glorieuse, et lorsqu’il ne l’avait point quittée autrefois pendant le règne même de la Terreur. Daru, dans des vers sympathiques, d’une cordialité respectueuse, et où un léger blâme assaisonnait une grande louange, se faisait l’organe du sentiment de tous à l’égard d’un poète aimé et admiré. […] On y distingue pourtant une Visite chez un grand homme, c’est-à-dire chez le poète Le Brun-Pindare qui habitait alors au Louvre un de ces logements si peu dignes du lieu, et qu’on accordait aux peintres, aux gens de lettres. […] Il lui parle d’un poète ou versificateur de sa connaissance, d’un M. 

725. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre II. De l’expression »

C’est pour cela que le premier talent du poëte consiste dans l’art de choisir les mots. […] Un poëte, comme un législateur, doit respecter les places acquises, et ne pas mettre les beaux mots dans les bas emplois. Dans cette société de petites gens et dans cette habitude des détails vulgaires, le poëte a pris un ton familier qu’il garde partout. […] Car n’allez pas imaginer qu’un poëte naturel ne connaisse que les mots familiers et les tournures simples. […] Le critique, comme le philosophe, doit se souvenir qu’il a un corps, et le poëte n’est si puissant que parce qu’il s’en souvient toujours.

726. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre quatrième. L’expression de la vie individuelle et sociale dans l’art. »

Le peintre ou le poète pourrait n’avoir pas plus besoin de génie que l’artificier n’en a besoin pour composer selon des formules chimiques et lancer dans des directions calculées ses fusées multicolores. […] La psychologie du caractère individuel, loin de former une science achevée sur laquelle puisse s’appuyer le poète ou le romancier, est encore à créer ; et c’est le poète même ou le romancier, ce sont les Shakespeare ou les Balzac qui contribuent à la créer et en rassemblent d’instinct les éléments. […] Le poète même, pour créer, doit être un penseur, un constructeur de systèmes vivants, mêlant à ses représentations de la vie des conceptions élevées et philosophiques. […] Supposez un univers fabriqué par des papillons, il ne sera peuplé que par des objets de couleur vive, il ne sera éclairé que par des rayons orangés ou rouges ; ainsi font les poètes. […] Et remarquons que les grands poètes lyriques, comme ceux des Védas et de la Bible, ont moins vieilli que les autres.

727. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Rêves et réalités, par Mme M. B. (Blanchecotte), ouvrière et poète. » pp. 327-332

En attendant, les poètes sont à l’œuvre, et le labeur, ni l’inspiration ne cessent pas. C’est ainsi qu’en ouvrant le volume que j’annonce aujourd’hui, j’ai reconnu, dès les premiers vers, un poète et une âme, une âme douloureusement harmonieuse. […] Au reste, ce ne sont pas des conseils ici que je viens lui adresser : j’ai voulu surtout donner avis au public qui aime la poésie, et lui dire : Il y a un poète dans ce volume, un poète à demi enchaîné ; aidez-le à prendre l’essor. — Béranger et M. de Lamartine, chacun de leur côté, et cette fois sans qu’on puisse y soupçonner de la complaisance, ont déjà donné à l’auteur ce brevet de poète : je ne fais qu’ajouter après eux mon apostille bien sincère.

728. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface d’« Hernani » (1830) »

L’auteur de ce drame écrivait, il y a peu de semaines, à propos d’un poète mort avant l’âge : « … Dans ce moment de mêlée et de tourmente littéraire, qui faut-il plaindre, ceux qui meurent ou ceux qui combattent ? Sans doute, il est triste de voir un poète de vingt ans qui s’en va, une lyre qui se brise, un avenir qui s’évanouit ; mais n’est-ce pas quelque chose aussi que le repos ? […] Maintenant, vienne le poète ! […] Il prierait volontiers les personnes que cet ouvrage a pu choquer de relire le Cid, Don Sanche, Nicomède, ou plutôt tout Corneille, et tout Molière, ces grands et admirables poètes. […] Il n’est pas de ces poètes privilégiés qui peuvent mourir ou s’interrompre avant d’avoir fini, sans péril pour leur mémoire ; il n’est pas de ceux qui restent grands, même sans avoir complété leur ouvrage, heureux hommes dont on peut dire ce que Virgile disait de Carthage ébauchée : Pendent opera interupta, minæque Murorum ingentes !

729. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 34, du motif qui fait lire les poësies : que l’on ne cherche pas l’instruction comme dans d’autres livres » pp. 288-295

Nous faisons donc le contraire en lisant un poëte de ce que nous faisons en lisant un autre livre. […] Nous pouvons bien alors faire des reproches au poëte ; mais nous nous reconcilions avec lui dès que ce mauvais endroit du poëme est passé, dès que notre plaisir est recommencé. […] En effet l’évenement qu’un poëte tragique aura trop laissé prévoir en le préparant grossierement, ne laissera point de nous toucher s’il est bien traité. […] On s’interdit d’anticiper sur la scene, et comme on oublie ce qu’on a vû à d’autres répresentations, on peut bien oublier ce que l’indiscretion d’un poëte lui a fait reveler avant le tems. […] quant au poëte dont toutes ces merveilles sont tirées, dit M. 

730. (1883) Essais sur la littérature anglaise pp. 1-364

De là la magie propre à ses poètes et qui n’appartient à aucun autre peuple. […] Cependant chez tous ces poètes le mélange est imparfait. […] Ce n’est donc pas les circonstances qui ont fait défaut au poète, c’est le poète qui a fait défaut aux circonstances. […] semble avoir voulu dire le grand poète. […] Nous pouvons nous figurer aisément le poète en l’année 1611.

731. (1903) Hommes et idées du XIXe siècle

Les poètes comme les philosophes, et les pasteurs comme les poètes, travaillaient à rallumer l’ardent amour de la patrie. […] Dans ces pièces dont la rêverie du poète a façonné le cadre, il deviendra naturel que le poète place sa propre rêverie souriante et mouillée de larmes. […] Il le proclamait bien haut « le meilleur poète de son temps… un poète comme on n’en voit pas deux dans un siècle ». […] La vanité et la haine habitaient le cœur de ce poète de la douceur. […] Verlaine continue la série des poètes de cabaret et d’hôpital.

732. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — France, Anatole (1844-1924) »

[Nos poètes (1888).] […] Si les premières années de notre ère sont parfois difficiles à percevoir en l’œuvre du poète, 1875 y éclate dans le moindre vers. [Anthologie des poètes français du xixe  siècle (1887-1888).] […] France est, certes, très intelligent, mais il est poète aussi, ce qui est autre chose et vaut mieux.

733. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 236-239

Victor, né à Paris en 1630, mort à Dijon en 1697 ; Poëte Latin qui auroit contribué, par ses talens, à la gloire du Siecle d’Auguste, comme il a illustré le Siecle de Louis XIV. […] Santeuil étoit né Poëte, & ce fut sous le célebre Jésuite Cossart qu’il acheva de se former le goût. […] Ce Poëte s’est élevé à lui-même un trophée immortel, par les Hymnes composées à l’usage de l’Eglise, adoptées dans le plus grand nombre des Dioceses. […] Ce Poëte, ajoute l’Ecrivain, étoit tout à la fois avide & insatiable de louanges, prêt à se jeter aux yeux de ses Critiques, & dans le fond assez docile pour profiter de leur censure.

734. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre III. Paradis perdu. »

Milton est le premier poète qui ait conclu l’Épopée par le malheur du principal personnage, contre la règle généralement adoptée. […] Le poète continue à développer ces grandes vues de la nature humaine, cette sublime raison du christianisme. […] Non seulement les poètes antiques n’ont jamais fondé un désespoir sur de pareilles bases, mais les moralistes eux-mêmes n’ont rien d’aussi grand. […] Cet art de s’emparer des beautés d’un autre temps pour les accommoder aux mœurs du siècle où l’on vit, a surtout été connu du poète de Mantoue. […] Il est certain que l’amour des lecteurs se porte sur les Troyens, contre l’intention du poète, parce que les scènes dramatiques se passent toutes dans les murs d’Ilion.

735. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Histoire des ducs de Normandie avant la conquête de l’Angleterre »

du poète comique, semble avoir été écrit pour cette école, dont Labutte, obscur disciple, est le soldat zélé et un peu perdu. […] Est-il assez historien ou assez poète ? Car, pour comprendre le Moyen Âge, cette gestation laborieuse et profonde d’une société qui a fini par s’organiser dans la plus merveilleuse harmonie, il faut avoir de deux choses l’une ou la raison du grand historien qui voit l’entre-deux et le dessous des faits, qui en perçoit les causes et les détermine, ou la sensibilité du grand poète qui, par le sentiment et une transposition sublime de son être dans le passé, arrive à l’intuition complète du temps qui n’est plus. Par une punition réservée peut-être à l’orgueil de ce siècle, si infatué de sa raison, il s’est trouvé que jusqu’ici c’est la raison de l’historien qui aie plus manqué au Moyen Âge, et que les poètes, ces enfants, comme disent les philosophes, l’ont infiniment mieux compris que les historiens. […] Sans être un poète de cette envergure et de cette hauteur, sans même avoir des facultés relativement supérieures, si Labutte avait eu seulement en lui cette poésie d’écho que les grands spectacles éveillent dans tout homme passablement organisé, il eût parlé autrement d’une époque dont Schiller disait : « Le Moyen Âge a sur nous l’avantage de la vertu poétique, — de l’enthousiasme du cœur, — de l’élan des idées, — de la force du caractère.

736. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XVII. »

Le poëte lyrique du temps, ce fut Néron, chantant du haut d’une tour la ruine de Troie, à la lueur de l’incendie qu’il avait fait allumer dans Rome. […] Le poëte qui eut le malheur d’être accueilli par Domitien, et dont les vers, dans leur énergie monstrueuse, ont emprunté quelque chose à la folie du pouvoir qu’ils adulaient, a trouvé de purs et derniers accents pour honorer la mémoire de Lucain et célébrer dans la maison de sa veuve l’anniversaire de sa naissance. […] Les amis du poëte Lucain, ceux qui dans l’étude des lettres cherchaient encore la liberté, le culte des vertus anciennes et l’espoir de l’avenir, sont réunis à Rome près de la veuve du poëte, restée fidèle à son nom et à son amour. […] À peine était-il né, et, rampant sur terre, avait-il jeté un faible cri, que dans son sein Calliope le reçut, et dépouilla pour la première fois le long deuil d’Orphée : Enfant, dit-elle, consacré désormais aux Muses, et bientôt supérieur aux poëtes antiques, ce ne sont ni les fleuves, ni les bêtes féroces, ni les forêts gétiques, que tu remueras de ta lyre ; mais les Sept Collines, le Tibre du dieu Mars, les chevaliers et le sénat vêtu de la pourpre, tu les entraîneras par l’éloquence de ton chant. » Le poëte alors rappelait ces premiers essais de Lucain qui lui valurent la jalousie de Néron, et ce poëme inachevé qui lui mérita la mort. « Enhardi par le feu de la jeunesse, bientôt, s’écriait-il, tu diras les champs de Philippe blanchis sous les ossements italiques, et la bataille de Pharsale, ce coup de foudre entre les exploits du vainqueur divinisé, et Caton, grand par la sainte liberté, et Pompée, ce chef populaire. » La Muse prolonge en vers élégants cette apothéose du poëte, et n’est arrêtée que par ses larmes, à la pensée du tyran qui l’a frappé.

737. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 272-292

En vain nous dira-t-on que la Fable ou l’action de l’Epopée doit être racontée par un Poëte ; il faut entendre d’abord l’idée qu’on attache à ce mot. La Poésie n’a jamais été & ne sauroit être regardée que comme une imitation de la Nature, la peinture des objets & des passions : le but du Poëte doit donc être de peindre. […] L’Eloquence peint sans doute ; mais dira-t-on pour cela qu’un Orateur soit Poëte ? […] Dans l’exposition des événemens, le Poëte a su accorder la politique la plus profonde avec les idées de la justice la plus sévere. […] Ce n’est pas le Vers qui fait le Poëte, c’est l’invention, c’est l’imitation ».

738. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « G.-A. Lawrence »

Il a réellement, si on veut bien y prendre garde, du grand poète de Childe Harold et du Don Juan dans les facultés. […] S’il n’est pas poète, comme Lord Byron, par l’instrument, le rhythme, la langue ailée, le charme inouï et mystérieux des mots cadencés qui rendent fous de sensations vives les esprits vraiment organisés pour les vers, il l’est par l’image, le sentiment, le frémissement intérieur qu’il éprouve et qu’il cause, et ces dons immenses doivent un jour en lui s’approfondir et se modifier ; mais pour le moment ils n’y sont point purs et sans écume. […] S’ils n’ont pas cette moralité qui est le dernier degré de l’art et de la difficulté pour un romancier ou un poète, car l’homme qui se cherche dans tout ne s’intéresse guères à ce qui est irréprochable, au moins leur idéalité est-elle à moitié chemin de cette moralité, presque impossible à introduire dans un roman ou dans un poème sans le plus rare et le plus incroyable génie ; car Richardson lui-même, qui a créé Lovelace, a raté Grandisson ! […] à tout propos, les vers sublimes du poète : « Un soupir pour ceux qui m’aiment, un sourire pour ceux qui me haïssent, et, quel que soit le ciel au-dessus de ma tête, un cœur prêt pour tous les destins !  […] On a appelé avec beaucoup de raison l’école de Byron satanique, mais tous les grands poètes sont sataniques en Angleterre, et Lawrence, qui a certainement beaucoup du poète dans le talent, mais qui est plus spécialement un moraliste, a été satanique aussi dans son Guy Livingstone.

739. (1884) L’art de la mise en scène. Essai d’esthétique théâtrale

Cette étude commence donc au moment où le poète a terminé son œuvre. […] En se plaçant à un point de vue littéraire, on peut dire que, dès que le poète, par ses inventions déréglées, impose une mise en scène inconciliable avec les lois pourtant complaisantes de la perspective théâtrale, il fait œuvre de poète épique, pour lequel la distance n’existe pas, et non de poète dramatique, qui doit se renfermer dans le lieu immédiat de l’action. […] Supposons qu’un poète nous représente Périclès pleurant sur le tombeau du dernier de ses fils. […] Voyons maintenant la mise en scène imaginée par le poète. […] Cet acteur, c’est le poète lui même, dont l’âme anime la nature inanimée.

740. (1898) Essai sur Goethe

Ses contemporains ont pour lui des admirations et des indulgences que peu de poètes ont connues de leur vivant. […] Comme nous sommes émus quand le poète chante pour éviter la mort qu’apporte la séparation ! […] Comme penseur et poète, Goethe en use de même. […] Les œuvres des poètes n’ont pas toujours les dessous compliqués que leur prêtent les commentateurs. […] Le vrai Tasse, né dans une époque peu propice, gêné par son milieu, en butte à des soupçons dangereux, fut cependant un grand poète, mais déjà un poète artificiel ; le Tasse de Goethe, produit d’une imagination pliée à certains partis pris par une intelligence despotique, demeure un grand poète, mais plus artificiel encore.

741. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Louÿs, Pierre (1870-1925) »

Méléagre, l’auteur de la première anthologie grecque, s’est d’abord fait connaître comme directeur de la Conque, anthologie des plus jeunes poètes où lui-même publia des poèmes exquis. […] Pierre Louÿs est tout à fait un poète : sa forme savante qui gênait l’émotion a soudain pu l’enserrer. […] Après avoir admiré le romancier, on va pouvoir juger du poète. […] [Les Poètes d’aujourd’hui (1900).]

742. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre IV. Pourquoi le génie d’Homère dans la poésie héroïque ne peut jamais être égalé. Observations sur la comédie et la tragédie » pp. 264-267

Horace, dans son Art poétique, trouve qu’il est trop difficile d’imaginer de nouveaux caractères après Homère, et conseille aux poètes tragiques de les emprunter plutôt à l’Iliade ( Rectiùs iliacum carmen deducis in actus, Quàm si… ). Il n’en est pas de même pour la comédie : les caractères de la nouvelle comédie à Athènes furent tous imaginés par les poètes du temps, auxquels une loi défendait de jouer des personnages réels, et ils le furent avec tant de bonheur, que les Latins, avec tout leur orgueil, reconnaissent la supériorité des Grecs dans la comédie. […] Homère, venu si longtemps avant les philosophes, les critiques et les auteurs d’Arts poétiques, fut et reste encore le plus sublime des poètes dans le genre le plus sublime, dans le genre héroïque ; et la tragédie qui naquit après fut toute grossière dans ses commencements, comme personne ne l’ignore. […] Or, ces tableaux passionnés ne furent jamais faits avec plus d’avantage que par les Grecs des temps héroïques, à la fin desquels vint Homère…… Aristote dit avec raison dans sa Poétique, qu’Homère est un poète unique pour les fictions.

743. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Fort, Paul (1872-1960) »

Dès que blessé du fardeau relayé, le poète s’y devine indiqué seul : et rapacement, que ce soit écrit. […] Et le poète plein de cachet qui fait la lecture a converti, stimulé, se donnant lui-même la discipline : c’est la vie. […] Typographiées comme de la prose, elles sont écrites en vers et supérieurement mouvementées… Ce poète est une perpétuelle vibration, une machine nerveuse sensible au moindre choc, un cerveau si prompt, que l’émotion, souvent, s’est formulée avant la conscience de l’émotion. […] Van Bever Empruntant, sous les contours fallacieux de la prose, la plastique et la rythmique du vers, mêlant aux images les plus transparentes le coloris violent des réalités, l’art de ce poète s’affirme en petits tableaux parfaitement achevés, où l’habileté du peintre ne le cède en rien au lyrisme de l’évocateur. [Poètes d’aujourd’hui (1900).]

744. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Guérin, Charles (1873-1907) »

Le sceptre alourdit la main qui laissa choir l’archet, et, à ouïr les assonances frêles ou graves que le poète trouva, à se pénétrer de l’infinie délicatesse comme de l’écho sonore que dénote, voulu, le choix de ses mots, on se souvient, concis et formidables, de ces premiers poèmes orphiques dont le langage compliqué était, entre initiés, la parole par excellence. […] Charles Guérin, dans ses premiers livres, ne faisait guère pressentir le poète très sûr que nous a révélé le Cœur solitaire. Mais depuis cet ouvrage, une place lui est due parmi les meilleurs des jeunes poètes récents. […] [Poètes d’aujourd’hui (1900).]

745. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Sarah Bernhardt » pp. 14-18

Sarah Bernhardt Mais si les poètes, à l’instigation de Sarah Bernhardt, se sont trop vite adaptés aux mœurs du théâtre il n’en est pas moins vrai qu’ils ont reçu d’elle, une secousse salutaire et qu’elle les a tirés de la torpeur de leur Tour d’ivoire où ils s’enfermaient trop volontiers, en leur rappelant qu’il y avait autour d’eux des oreilles attentives à conquérir. […] Elle sera « l’Empire à la fin de la décadence », comme Verlaine, et les poètes nouveaux la suivront des yeux comme une éblouissante vision de rêve. […] Elle semble l’illustration vivante de tous ces poèmes, obsolètes et polychromes, en train d’éclore de toutes parts, pleins de lys, d’alérions, de clairs de lune, de sphinx et de centaures, et elle captivera les chevaucheurs de nuées et de chimères par la grâce imprévue et troublante de ses travestis, évoquant la vision de l’Androgyne, du Surêtre asexué, de l’Ange impollu, ce qui lui vaudra l’hommage d’un poète exquis et précieux, l’arbitre des élégances, le nouveau Pétrone, l’un des adeptes de l’esthétique nouvelle, chez qui Huysmans a pris l’idée de son Des Esseintes : le comte Robert de Montesquiou : REVIVISCENCE2 Les Héroïnes disparaissent en cohortes Comme si les chassait un étrange aquilon : Sombre Lorenzaccio, pâle Hamlet, blanc Aiglon, Un jeune homme renaît des jeunes femmes mortes. […] En attendant, les poètes de la Renaissance exaltent Baudelaire.

746. (1836) Portraits littéraires. Tome I pp. 1-388

Il n’est pas seulement poète, il est styliste. […] On ne comprend pas du premier coup où le poète en veut venir. […] C’est la conscience manuscrite du poète. […] Il est demeuré le poète des philosophes, mais il n’a pas cessé d’être le poète des femmes. […] Cette transition si invraisemblable n’a rien coûté au poète.

747. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIVe entretien. Épopée. Homère. — L’Odyssée » pp. 445-524

C’est ce qu’Homère, le poète complet, le poète suprême, le poète du cœur autant que le poète des yeux, avait merveilleusement senti bien avant nous. […] L’art est une déchéance pour la femme : elle est bien plus que poète, elle est la poésie. […] Voilà le poète ! le poète, bien supérieur à l’historien, car l’historien raconte, et le poète peint !  […] Ne nous étonnons plus que les anciens aient appelé les poètes des devins ; ils devinent le passé comme l’avenir.

748. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Madame de Verdelin  »

Ce sentiment-là, quel poète était plus digne de l’inspirer que Virgile ? […] Celui dont un vers touchant pénétra le cœur d’Octavie et la fit s’évanouir était, par tout un côté de sa nature, le poète des femmes. […] Le temps des poètes était éloigné encore. […] S’il avait été un peu plus poète et moins homme de cour et de salon, il n’aurait pas souri ni raillé, il aurait été touché. […] L’heureux ne sait s’il est aimé, dit un poète latin ; et moi, j’ajoute : L’heureux ne sait pas aimer.

749. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre VI. La poésie. Tennyson. »

La reine avait consacré la faveur publique en le nommant poëte lauréat. […] Au contraire, le poëte est devant ce monde comme le premier homme au premier jour. […] Le poëte si correct, si mesuré, se livrait, semblait penser, pleurer tout haut. […] Être heureux poétiquement, voilà l’objet d’un poëte dilettante. […] On ne l’a point admiré, on l’a aimé ; c’était plus qu’un poëte, c’était un homme.

750. (1857) Cours familier de littérature. III « XIVe entretien. Racine. — Athalie (suite) » pp. 81-159

Le préjugé de mon siècle aura été plus fort que moi : il m’a relégué au rang des poètes. […] Les rois faisaient corps avec les poètes, et les poètes faisaient auréole avec les rois. […] Le poète brisa sa plume. […] Et parce qu’il est grand poète, veut-il être ministre ? […] Ils sont des poètes profanes, mais Racine ici est un poète sacré.

751. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 14 mars 1885. »

Une fois le poète la vit et la saisit. […] Le vieux poète en aime la nouveauté et il convie le chanteur à poursuivre. […] L’art nouveau qui s’est révélé au vieux poète ne sera pas étouffé ! […] Le poète s’assied, très ému, parmi ses pareils. […] Wagner annonce la femme authentique (amante et mère), et ses noces avec le poète d’où naîtra le drame.

752. (1856) Cours familier de littérature. II « IXe entretien. Suite de l’aperçu préliminaire sur la prétendue décadence de la littérature française » pp. 161-216

Voltaire, philosophe, historien, critique, érudit, commentateur, poète épique, poète dramatique, poète satirique, poète burlesque et scandaleux, poète léger et rival en grâce d’Horace son maître ; Voltaire surtout, correspondant de l’univers et répandant dans ses lettres familières, chef-d’œuvre insoucieux de soixante-dix ans de vie, plus de naturel, d’atticisme, de souplesse, de grâce, de solidité et d’éclat de style qu’il n’en faudrait pour illustrer toute une autre littérature. […] On s’est souvent étonné, depuis que nous pensons tout haut dans ce siècle, de notre admiration continue et persévérante pour ce grand écrivain, si peu poète dans la grande acception du terme, et surtout si peu lyrique, si peu éloquent, si peu enthousiaste. C’est que Voltaire est plus qu’un écrivain et plus qu’un poète à nos yeux, c’est une date ; c’est la fin du moyen âge. […] Un peuple ne vit pas plus longtemps qu’un poète sur le trépied. […] Voici la sainte colère du poète mourant résigné à la stupide férocité des hommes.

753. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Sorti de l’Université, M. de Latour était par nature encore plus poète que professeur. […] J’aurais adoré l’étude des poètes et de la poésie : il a fallu me contenter d’y rêver, comme à tous les biens de ce monde. […] … » C’est ainsi que le poète présentait de la plus gentille façon un autre poète. […] Le poète d’ailleurs n’avait rien exagéré. […] Il s’agissait d’une femme poète, Carolina Coronado, dont M.

754. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre deuxième. Le génie, comme puissance de sociabilité et création d’un nouveau milieu social »

On ne peut jamais prévoir si un enfant naîtra viable, et de même si le cerveau d’un poète ou d’un romancier produira un type viable, un être d’art capable de subsister par lui-même. […] De là le précepte bien connu, que l’artiste, le poète, le romancier doit vivre son personnage, et le vivre non pas superficiellement, mais aussi profondément que si, en vérité, il était entré en lui. […] De même l’auteur de la Tempête, étant le plus lyrique des poètes qui ont précédé V. […] Sur quoi d’ailleurs travaille l’artiste, le poète, le penseur ? […] S’il le peut, il s’efforcera de se consacrer à des fonctions autres que celles de guerrier, il voudra devenir prêtre, poète national.

755. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger en 1832 »

Ces coins obscurs dont vous vous réservez l’enceinte, ces bosquets mystérieux dans le champ du souvenir, où vous nous avez introduit une fois et d’où vous ne sortez vous-même chaque soir que les yeux humides de pleurs, nous vous les laisserons, ô poëte ! […] Je n’affirmerai pas que le poëte ait réussi à faire un tout suffisamment intéressant et neuf ; mais l’intention générale et parfois le bonheur des détails sont manifestes.  […] Lucien Bonaparte (car c’était lui) accueillit en ami des lettres le jeune poëte, écouta ses projets, lui recommanda la correction, lui déconseilla Clovis comme barbare ; il eût préféré César. […] Recommandé à Landon, éditeur du Musée, notre poëte fut occupé un ou deux ans (1805–1806) à la rédaction du texte de cet ouvrage. […] Mais le poëte tenait à part toutes ses arrière-pensées de patriotisme, de sensibilité et de religion, tant de germes tendrement couvés, qu’il refoulait bien avant. 

756. (1868) Alexandre Pouchkine pp. 1-34

Plus d’un poète prend pour des idées des images confuses, et à force de raffiner devient inintelligible. […] On dirait plus justement que le poète russe s’exerce sur un terrain où l’Anglais s’est signalé avant lui. […] Jadis le cœur humain tout entier appartenait aux poètes ; aujourd’hui on fait des réserves. […] Nul n’a su le secret de cette entrevue, mais un poète peut deviner, et je le pense, en tirer une belle scène. […] Il devient le poète du grand et du beau, dès qu’il l’a découvert.

757. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chateaubriand homme d’État et politique. » pp. 539-564

On fait de la politique, faute de mieux ; la politique, pour ces grands poètes, n’est donc qu’un pis-aller, ils s’y rabattent quand les ailes leur manquent. […] Ce faux biens d’ici-bas, selon le poète, c’est la réalité, c’est le monde politique, c’est le gouvernement de la société et des autres hommes ; les poètes, quand ils ont épuisé leurs songes et leurs chimères, veulent bien y arriver et y condescendre, les uns comme M. de Lamartine avec plus de sérénité et de clémence, les autres comme M. de Chateaubriand avec plus d’irritation et d’amertume. Mais, dans tous les cas, c’est toujours parce que la jeunesse n’est plus là, que le poète veut bien s’occuper de nous, de la terre et de la matière humaine gouvernable. […] Ce qui caractérise le poète, c’est d’avoir un idéal, et M. de Chateaubriand, dès les dernières années de l’Empire, s’en était formé un en politique. […] Un poète dans les affaires, prenez garde !

758. (1889) L’art au point de vue sociologique « Introduction »

Platon avait déjà comparé l’influence du poète inspiré sur ceux qui l’admirent et partagent son inspiration à l’aimant qui, se communiquant d’anneau en anneau, forme toute une chaîne soulevée par la même influence. […] Guyau, pour le montrer, passe en revue les grands poètes de notre temps, Lamartine, Vigny, Musset ; il insiste de préférence sur celui qui a vécu le plus longtemps parmi nous, et qui a ainsi le plus longtemps représenté en sa personne le dix-neuvième siècle : Victor Hugo. […] Plus les religions dogmatiques deviennent insuffisantes à contenter notre besoin d’idéal, plus il est nécessaire que l’art les remplace en s’unissant à la philosophie, non pour lui emprunter des théorèmes, mais pour en recevoir des inspirations de sentiment. « La moralité humaine est à ce prix, et la félicité. » Aussi, selon Guyau, les grands poètes, les artistes redeviendront un jour les initiateurs des masses, les prêtres d’une religion sociale sans dogme. « C’est le propre du vrai poète que de se croire un peu prophète, et après tout, a-t-il tort ? […] Vie et sympathie universelle était sa devise comme philosophe, et comme poète il en a fait celle de l’art. […] Mais il est philosophe en même temps que poète, et ne s’illusionne pas : il estime que, dans ce commerce que nous tentons d’établir entre les choses et nous, c’est nous qui donnerons.

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