/ 2685
1329. (1841) Matinées littéraires pp. 3-32

Il importe donc de réunir l’action à l’élocution, la pantomime au langage, pour que la pensée arrive pleine et entière, de l’homme qui parle à l’homme qui écoute. […] Plein d’amour pour un art dont l’abandon me paraît coupable, plein de confiance surtout dans votre bienveillance, je m’efforcerai, dans ces études sur la lecture à haute voix, de joindre l’exemple au précepte, et j’aurai soin, autant qu’il dépendra de moi, de racheter la sécheresse des études théoriques par un choix de lectures qui, je l’espère, ne seront pas sans intérêt.

1330. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre sixième. »

S’il se passe ordinairement de la compagnie des livres quand il écrit, de peur, dit-il, qu’ils n’interrompent sa forme, et aussi parce que les bons auteurs le découragent, « il se peut plus malaysement desfaire de Plutarque », « Il est si universel et si plein, ajoute-t-il qu’à toutes occasions et quelque subject extravagant que vous ayez prins, il s’ingere à vostre besogne, et vous tend une main libérale et inespuisable de richesses et d’embellissements134. » On s’imagine en effet Montaigne, aux jours où il était à court d’idées, ou mal en train d’écrire, se mettant à feuilleter Plutarque, sans ordre et sans dessein, et, s’il tombait sur une de ces pensées profondes ou seulement ingénieuses, qui abondent en cet auteur et qui éveillent l’esprit, s’y attachant et se mettant à penser à la suite de Plutarque. […] Selon lui, les Essais sont un livre pernicieux, immoral, plein de mots sales et déshonnêtes ; Montaigne ne songe qu’à mourir mollement et lâchement. […] Doué d’une imagination vive et poétique, qui se représentait les idées comme des objets et colorait les abstractions elles-mêmes ; plein de finesse et de raison, riche de son fonds et du fonds antique, il trouva la prose à peine sortie du berceau, hardie et aventureuse comme tout ce qui commence ; il la plia aux caprices de sa pensée, et l’enrichit de tours originaux qui prirent cours en son nom.

1331. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juillet 1886. »

M. le roi Louis II de Bavière Roi, le seul vrai roi de ce siècle, salut, Sire, Qui voulûtes mourir vengeant votre raison Des choses de la politique, et du délire De cette science intruse dans la maison,   De cette science assassin de l’Oraison Et du Chant et de l’Art et de toute la Lyre, Et simplement et plein d’orgueil en floraison Tuâtes en mourant, salut, Roi, bravo, Sire ! […] Et il a, sur ces thèmes, fondé une harmonie spéciale rappelant par un aspect tout extérieur les contre-points précédents, pleine de hardies significations comme de trouvailles expressives. […] Le morceau se développe, haletant passionné, plein de soubresauts et d’aspirations sublimes ; un chant de violon qui toujours s’exalte, un chant audacieux d’une ivresse infinie d’espérance, d’un tourment inouï de désirs, se dégage soudainement des harmonies douloureuses tel qu’un oiseau blessé qui voudrait monter au-dessus des orages.

1332. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1855 » pp. 77-117

Peu élégiaque de sa nature, il aimait les fortes joies, et la bière et le vin et l’eau-de-vie, et, quand il était gris, disait avec un accent tout plein d’un gaudissement sensuel : « Je suis ramplan !  […] Dans le va et le vient des gens, une petite fille d’une douzaine d’années, au ventre énorme, promenait une toute petite chienne, pleine comme elle. […] * * * — Je copie ces quelques lignes dans de vieilles notes d’Edmond : « Quand je commençai à être un jeune homme, je me rappelle qu’allant au printemps dans la campagne, j’avais une impression langoureusement triste de cette terre à la pauvre petite verdure, de ces arbres maigrelets, de toute cette puberté souffrante de la nature, et je me surprenais des larmes dans les yeux, gonflé de désirs, les glandes des seins douloureuses, l’âme, pour ainsi dire, pleine de bourgeons.

1333. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Ernest Feydeau » pp. 106-143

Sainte-Beuve a créée de son plein, puissant et capricieux gré, à M.  […] Seulement, une fois parfaitement déshonorée, elle est épousée par un moraliste plein d’ampleur, qui n’y fait pas tant de façons, et qui tient la faute de la jeune fille bien moins pour une honte que pour un malheur. […] Feydeau, qu’une voix pleine d’autorité nous a vanté comme un chef-d’œuvre.

1334. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vii »

Pleins de goût et de feu, ces jeunes doctrinaires formaient une société d’une espèce rare, une académie à la fois savante, policée et enthousiaste. […] qu’il est heureux de promener son regard tranquille sur un horizon plein de dangers ! […] J’aime cette pierre du torrent, pleine d’étincelles.

1335. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre sixième »

Fêté par les courtisans et par les gens de lettres, ayant, s’il faut l’en croire, « assez d’argent pour en faire part à ses amis », c’est au sein de cette opulence, si nouvelle dans la maison d’un poète, qu’il acheva ce poème tout plein des futilités ingénieuses, de la mollesse, des satisfactions de vanité, au milieu desquelles il l’écrivait, œuvre brillante et frivole comme sa vie. […] » Radieux me plaît fort : un œil plein de lumière, Et qui fait sur nos cœurs l’impression première D’où se forment enfin les tendresse d’amour. […] Mais si l’on imagine Boileau le récitant devant des personnes dont la tête était pleine de toutes ces belles passions, et donnant à chaque personnage le ton et le geste qui lui convenaient, on comprend qu’il y fût très applaudi. […] « L’esprit de l’homme, dit-il, est naturellement plein d’un nombre infini d’idées confuses du vrai, que souvent il n’entrevoit qu’à demi, et rien ne lui est plus agréable que lorsqu’on lui offre quelqu’une de ces idées bien éclaircie et mise dans un beau jour168. » Regnier, soit paresse, soit infirmité de sa langue, nous donne trop rarement ce plaisir. […] La cour d’Elisabeth et toute la société polie de l’Angleterre se pâma d’aise au néologisme pédantesque, aux antithèses recherchées, aux comparaisons violentes, aux exagérations de toutes sortes dont il est plein, et qui en rendent aujourd’hui la lecture insupportable.

1336. (1890) Le réalisme et le naturalisme dans la littérature et dans l’art pp. -399

Une civilisation vivace et forte commence, qui a son plein épanouissement dans ce grand xiiie  siècle. […] L’antiquité nous a déjà laissé deviner, les temps modernes nous montreront à plein ce qu’il advient de la composition et de l’expression, quand l’art n’accepte pas d’autre principe que la nécessité de l’imitation exacte. […] Les autres ne veulent leur devoir qu’un seul bienfait : une pleine indépendance qui les affranchit de tout, même de la Réforme et de la Renaissance. […] qu’à plein gosier on s’écrie : Béni soit le terroir de Brie ! […] Ils restent hommes du monde, autant que possible, causeurs spirituels et provocants, cachant sous les airs abandonnés d’une conversation pleine de saillies et de grâces, leur pensée de derrière la tête, pensée traîtresse.

1337. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Alfred de Vigny. »

que de couplets majestueux ou pleins de grâce ! […] Fort lié depuis plusieurs années déjà avec le groupe de poètes qui précéda la recrue de 1829 et qui eut quelque temps son centre et son organe à la Muse Française, il y trouvait pour son talent une émulation pleine de caresses, un auditoire tendrement sympathique et comme à son choix. […] De ses souvenirs de sa vie de soldat et des problèmes qu’il y rattachait, sortit ce livre de Grandeur et Servitude militaires, un noble livre, tout plein de choses fières, fines, maniérées et charmantes, où il sculpta d’un ciseau coquet et qu’il croyait sévère la statue de l’Honneur, le dernier dieu qu’il eût aimé à voir debout et respecté au milieu des ruines. […] Chez quelques-uns, il n’existe et ne se dégage que dans la jeunesse, à l’état de vive flamme, et il ne luit dans son plein qu’un moment.

1338. (1875) Premiers lundis. Tome III « Du point de départ et des origines de la langue et de la littérature française »

La correspondance entre Ausone et Paulin à cette date, les pièces de vers qu’ils s’adressent mutuellement, sont pleines d’intérêt : c’est une controverse piquante, non sans grâce, et qui nous initie à la vie nouvelle qui sera celle de toute une race pieuse qui se retrouvera dans l’avenir. […] Dans le tome III de sa Grammaire (publié à Berlin, en 1856) il a dit : « Je dois réclamer encore en faveur d’un autre de mes compatriotes (il vient de parler de Ménage), qu’on s’habitue aussi à traiter un peu de haut en bas, bien que tous ceux qui ont écrit sur les langues romanes aient puisé à pleines mains dans ses ouvrages : on voit que je veux parler de Raynouard. […] Le livre de M. de Chevallet, plein de faits, de considérations prudentes, incontestables, me paraît être l’œuvre la plus complète d’un homme sorti de l’école française et formé à la méthode de M.  […] J’ai voulu, messieurs, dans ce long exposé, vous donner une juste et pleine idée de l’importance du problème qui se présente d’abord à quiconque veut étudier la littérature française à son origine.

1339. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre II. La vie de salon. »

Ainsi fit le maréchal de Richelieu d’une bourse qu’il avait donnée à son petit-fils et que le jeune garçon, n’ayant su la dépenser, rapportait pleine. […] Dupin de Francueil entretient « une troupe de musiciens, de laquais, de cuisiniers, de parasites, de chevaux et de chiens, donnant tout à pleines mains, au plaisir et à la bienfaisance, voulant être heureux et que tout le monde le soit autour de lui », sans vouloir compter et jusqu’à se ruiner le plus aimablement du monde. […] Un jour, une dame accompagnée d’un jeune officier étant venue en visite, comme il les retenait à coucher, son valet de chambre « vient l’avertir tout bas qu’il n’a plus de place  Est-ce que l’appartement des bains est plein   Non, Monseigneur  N’y a-t-il pas deux lits   Oui, Monseigneur, mais ils sont dans la même chambre, et cet officier..   […] Chez ma grand’mère, « j’ai trouvé des cartons pleins de couplets, de madrigaux, de satires sanglantes… J’en ai brûlé de tellement obscènes que je n’aurais osé les lire jusqu’au bout, et celles-là écrites de la main d’abbés que j’avais connus dans mon enfance, et sortant du cerveau de marquis de bonne race. » Entre autres spécimens adoucis, on peut lire dans la Correspondance, par Metra, les chansons sur l’Oiseau et sur la Bergère.

1340. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIVe entretien. Littérature, philosophie, et politique de la Chine » pp. 221-315

Les livres primitifs de l’Inde sont pleins de règles et de maximes qui touchent au régime des sociétés. […] Le père Amyot, qui sait autant qu’Aristote et qui écrit à s’y méprendre comme Voltaire, en cite de longs fragments dans ses Mémoires pleins de sagacité. […] Pour bien juger la littérature politique d’un peuple, ce n’est pas à la renaissance, c’est à la pleine maturité de ce peuple qu’il faut l’étudier ; c’est donc dans les écrits littéraires et philosophiques du plus grand littérateur, du plus grand philosophe et du plus grand politique de la Chine que nous allons retrouver ces livres sacrés commentés, réformés et élucidés sous sa main. […] Il accorda son kin, et le pinçant de manière à en tirer des sons mieux nourris et plus vigoureux que de coutume, il modula indifféremment sur tous les tons ; il chanta même à pleine voix, et accompagna ses chants de son instrument ; dès lors sa porte ne fut plus fermée à personne, mais on le sollicita en vain de reprendre ses fonctions publiques.

1341. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier. — Correspondance de Chateaubriand (3e partie) » pp. 161-240

La duchesse avait été remarquablement belle ; en dépit d’une maigreur qui donnait à sa personne un faux air d’apparition, elle conservait des traces d’une régularité fine et noble, des yeux magnifiques et pleins de feu. […] Je vais à cette Italie le cœur aussi plein et malade que vous l’aviez quelques années plus tôt. […] Pendant trois ou quatre mois je me suis déplu à Rome ; maintenant j’ai repris à ces nobles ruines, à cette solitude si profonde, si paisible et pourtant si pleine d’intérêt et de souvenir. […] Ces billets sont les dernières gouttes d’un cœur trop plein qui se vide sans plus songer à brûler ou à retentir dans un autre cœur à l’unisson.

1342. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre troisième »

Quoique grand admirateur des écrivains du dix-septième siècle, il leur connaît des modèles ; il est si plein des anciens, qu’il ne démêle pas ses propres pensées des leurs, et que là même où il invente il croit se souvenir. […] « Effectivement, dit Gil Blas, ces messieurs me menèrent si bon train, que je m’en allais dans l’autre monde à vue d’œil. » Et plus loin, pour dernière malice : « Mes docteurs m’ayant abandonné et laissé le champ libre à la nature, me sauvèrent par ce moyen. » Voilà l’esprit dont le roman de Lesage est plein. […] L’instituteur païen forme son élève pour vivre « : au plus épais de la mêlée humaine et au plein jour de la république28. » Aussi doit-on, avant toute chose, lui inspirer l’estime de lui-même et la confiance en ses forces. […] Volontiers il n’y verrait qu’une figure ; car quelle apparence, dit-il, que « l’Écriture, si remplie de charité et de douceur, si pleine de compassion pour les faiblesses même d’un âge plus avancé, veuille qu’on traite durement des enfants dont les fautes souvent viennent plutôt de légèreté que de méchanceté ? 

1343. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre sixième »

Est-ce parce qu’il est amoureux quand il a perdu, indifférent quand sa bourse est pleine ? […] Gil Blas en est plein ; on tiendrait plus de compte à Lesage de son Turcaret, s’il n’avait pas fait Gil Blas. […] De ce que le parterre ne trouva pas Cléon assez méchant, il ne s’ensuit ni qu’il fût plein de méchantes gens, ni que les lettres corrompent les mœurs. […] Acheminer le vieux célibataire au mariage sans l’y pousser ; écarter, par de prudentes calomnies, un neveu et sa jeune femme de la maison d’un oncle incapable de haine et très capable de retour ; ménager un intendant complice de ses petits profits, qui veut sa main parce qu’il la sait bien pleine ; poursuivre le maître en paraissant l’attendre, et tenir l’intendant tout à la fois en échec et en espérance : voilà les fins auxquelles la rusée fait servir les qualités comme les vices de sa nature.

1344. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VIII »

Dans les parties itères et pleines de reproches, elle ressemble à celle de Wotan au second acte de la Walküre ; lorsque la douleur l’accable, l’allitération disparaît et la rime prend sa place, une rime riche et très sonore. […] Plus une phrase est remplie de rimes, dans Tristan, et plus celles-ci deviennent pleines et sonores, plus, toujours, la phrase perd en précision, et plus sa portée devient vague et flottante. […] La tâche du musicien, par contre, est de se saisir d’un tel point concentré, et de développer jusqu’à plein épanouissement son contenu émotionnel ». […] Cela s’explique par le fonds du génie de Wagner qui fut toujours socialiste. « Qui peut, dit-il dans sa lettre sur Parsifal, regarder ce monde organisé par la ruse, l’imposture et l’hypocrisie, par le meurtre et le vol légalisés, sans avoir à se détourner de lui avec une répugnance pleine de frisson ? 

1345. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1868 » pp. 185-249

Cela faisait penser à je ne sais quoi de doux dans la force, comme le rut du Paradis… Une comparaison qui ramène mes idées au scandale que devait donner l’Eden, où Adam et Ève ne pouvaient sortir de l’arbre qu’ils habitaient, sans marcher sur un flagrant délit, plein d’incitation pour des gens si peu vêtus… et vraiment la sévérité de Dieu a été grande de leur dresser procès-verbal, et de les mettre à la porte de son jardin, par ce garde champêtre au sabre de feu. […] En haut du boulevard Magenta, en un campement de baraques que loue aux plus misérables misères de Paris, le roi de la finance, — dans une chambre de ce baraquement aux planches disjointes, au plancher plein de trous, d’où jaillissent, à tous moments, des rats, des rats qui entrent encore, chaque fois, qu’on ouvre la porte, et les rats des pauvres, des rats effrontés, montant sur la table, emportant des michons de pain entiers, mordant parfois les pieds du sommeil en mangeant la couverture du lit ; là-dedans six enfants, les quatre plus grands dans un lit ; et sur leurs pieds qu’ils ne peuvent allonger, dans une caisse, les deux plus petits ; l’homme marchand des quatre saisons, ivre-mort pendant les douleurs de la femme, saoule comme son mari, sur une paillasse de paille. […] Le causeur à idées de Magny est en ce moment le docteur Robin, dont la parole est pleine d’aperçus neufs, de découvertes, de trouvailles, allant des plus hautes aux plus petites questions de la médecine. […] Partout, où il y a civilisation, gouvernement, administration, impôts, mitoyenneté, expropriation, l’homme n’est plus le plein maître de sa propriété.

1346. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre II. Les génies »

Poëte hécatonchire, ayant un Oreste plus fatal qu’Ulysse et une Thèbes plus grande que Troie, dur comme la roche, tumultueux comme l’écume, plein d’escarpements, de torrents et de précipices, et si géant que, par moments, on dirait qu’il devient montagne. […] Par moments passe un puissant vers spondaïque presque monstrueux et plein d’ombre : Circum sefoliis acfrondibus involventes. […] Ce foyer splendide éclate et, loin de diminuer avec le temps, s’accroît sous un tourbillonnement de fumée lugubre ; il en sort des rayons pour la liberté, pour la probité, pour l’héroïsme, et l’on dirait qu’il jette jusque dans notre civilisation des esprits pleins de sa lumière. […] Ils sont pleins de l’Asie obscure.

1347. (1885) La légende de Victor Hugo pp. 1-58

La presse bourgeoise, grisée par les louanges hyperboliques qu’elle jetait à pleines colonnes sur le mort, négligea de mettre en relief le côté représentatif de Victor Hugo, qui sera peut-être son titre le plus réel aux yeux de la postérité. […] Baudelaire, cet esprit mal venu dans ce siècle de mercantilisme, ce mal appris qui abominait le commerce, se lamentait de ce que lorsque : Le poète apparaît en ce monde ennuyé, Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmes, Crispe ses poings vers Dieu qui la prend en pitié. […] Hugo le chantait à plein gosier quand il approuvait le cautionnement qui amputait du corps social la « liberté gangrenée » de la presse. […] Il se disait simple de cœur, parlant comme il pensait et agissant comme il parlait ; mais, ainsi que tout commerçant cherchant à achalander sa boutique, il jetait de la poudre aux yeux à pleines poignées, et montait constamment des coups au public.

1348. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIIe entretien. I. — Une page de mémoires. Comment je suis devenu poète » pp. 365-444

Cette sinistre ruine est pleine encore des souvenirs des malheurs et des amours de ce prince ottoman avec la belle fille de son geôlier. […] J’ai conservé par hasard et j’ai retrouvé récemment, au fond d’une vieille malle pleine de papiers à demi rongés des rats dans le grenier de mon père, quelques vers au Rossignol de ces nuits d’été à Belley, que je ne me souvenais pas d’avoir composés ; mais l’écriture à peine formée, le papier jaune et raboteux du collège attestent bien que ces vers furent un des premiers jeux de mon imagination. […] Souvent lorsque des nuits l’ombre, que l’on voit croître, De piliers en piliers s’étend le long du cloître ; Quand, après l’Angélus et le repas du soir, Les lévites épars sur les bancs vont s’asseoir, Et que, chacun cherchant son ami dans le nombre, On épanche son cœur à voix basse et dans l’ombre, Moi, qui n’ai pas encore entre eux trouvé d’ami, Parce qu’un cœur trop plein n’aime rien à demi, Je m’échappe ; et, cherchant ce confident suprême Dont l’amour est toujours égal à ce qu’il aime, Par la porte secrète en son temple introduit, Je répands à ses pieds mon âme dans la nuit. […] II L’autre jour je te vis (tu ne me voyais pas) ; Tu portais sur ton front ta cruche toute pleine ; Son poids de tes pieds nus rapetissait les pas, Et la pente escarpée essoufflait ton haleine.

1349. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre III. Le roman » pp. 135-201

Ce sont les contes de Marcel Schwob, si pleins d’une atmosphère étrange de crypte souterraine, de fards milésiens, de jeunes corps amoureux, si ruisselants d’eaux, de miroirs, de gemmes, rappelant à la fois les encens du temple, les toiles de Rochegrosse et Gustave Moreau et cette angoisse qui flotte sur les ruines solitaires au crépuscule : les contes de Jean Lorrain, avec leurs gnomes, leurs fées, leurs éphèbes équivoques, leurs princesses d’ivoire et d’ivresse, leur frisson d’inconnu, leur ombre nostalgique et peuplée de fantômes luxurieux. […] -Henry Hirsch, le premier qui fait revivre Salomé dans le décor breton est plein de contraste saisissant de la légende et du réalisme, le second qui procède ouvertement par symboles : la petite Antge représente la campagne hollandaise, simple, pure, Loyé Gladys, la cité d’Amsterdam, la volupté fausse et perverse ; le héros, partagé entre ces héroïnes revient à la simplicité. […] Sorte d’Erckmann-Chatrian algérien, il composa, soit sous son nom, soit sous celui de Père Robin, une foule de contes et de dialogues pleins de finesse, de bonne humeur, d’ironie et de verve ; et enfin, M.  […] Ses ouvrages sont pleins de talent, et il n’est pas douteux que bientôt sa personnalité se fût affranchie et qu’il eut donné des œuvres très remarquables.

1350. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — II. (Fin.) » pp. 254-272

Ce ne sont pas des prédictions, comme à un de Maistre, que j’irai lui demander, mais des saillies et des vues pleines de perspicacité et de justesse. […] Mais, au lieu du gros bon sens de la première, l’autre avait une conversation pleine de traits, et avait l’épigramme et le couplet à la main. — Le genre de Mme Geoffrin était, par exemple, une espèce de police pour le goût, comme la maréchale de Luxembourg pour le ton et l’usage du monde.

1351. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — II. (Fin.) » pp. 20-37

sont-ce de vrais incrédules, des hommes qui, dans une solitude opiniâtre et chagrine, dans une réflexion pleine d’obscurités et de ténèbres, se soient fait à eux-mêmes les objections, puis les réponses, et soient arrivés laborieusement à ce qu’ils croient des résultats ? […] L’accueil plein de bonté que nous lit ce vieillard illustre, la vive et tendre impression que firent sur moi sa vue et l’accent de sa voix, est un des plus doux souvenirs qui me restent de mon jeune âge.

1352. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — III. (Suite et fin.) » pp. 454-472

Ceux qui l’ont connu me le dépeignent d’une taille qui n’était pas au-dessus de la moyenne, d’une physionomie agréable et forte, la tête brune, l’œil vif, le nez aquilin et noble, le teint assez coloré, le cou plein et puissant. […] Sachez, au lieu d’obtenir par des sollicitations un rang dans la société, y prendre votre place de plein droit et honorer ceux qui sont honorables, quoiqu’ils ne possèdent ni titres ni richesses.

1353. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — II. (Fin.) » pp. 495-513

Il connaissait Mme Dacier ; il lui avait même adressé précédemment une ode, détestable, il est vrai, mais pleine de louanges, au sujet de son Anacréon : il voulut avoir son avis sur cet essai de traduction en vers, et il lui récita son chant sixième où est raconté l’inutile message de Phoenix, d’Ajax et d’Ulysse, auprès d’Achille. […] Dans le seul portrait qu’on a d’elle, elle est représentée déjà vieille, avec une coiffure montante et, je l’avoue, un peu hérissée, le voile rejeté en arrière, le front haut, les sourcils élevés et bien dessinés, la figure forte et assez pleine, le nez un peu fort, un peu gros, la bouche fermée et pensive ; elle a de la fierté dans le port et quelque épaisseur dans la taille.

1354. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — II. (Fin.) » pp. 198-216

De toutes les passions, la plus pleine d’illusion, c’est la joie. » Demandons-nous toujours : D’où nous vient-elle et quel en est le sujet ? […] Ampère, dans ses leçons du Collège de France, voulant caractériser ces trois grands moments de l’éloquence de la chaire parmi nous, le moment de la création et de l’installation puissante par Bossuet, le moment du plein développement avec Bourdaloue, et enfin l’époque de l’épanouissement extrême et de la fertilité d’automne sous Massillon, y rattachait les antiques noms devenus symboles qui consacrent les trois grands moments de la scène tragique en Grèce.

1355. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — I » pp. 20-38

Santeul était plus enflé, du Périer plus modeste ; il se voyait en celui-ci une certaine couleur d’antiquité, laquelle, à y bien regarder, se découvrait avec bien plus d’éclat dans les poèmes de Petit ; et ce dernier était de plus un esprit orné et imbu de toutes sortes de lettres… Quant à Santeul et à du Périer, si le hasard me les amenait parfois (et il ne me les amenait que trop souvent), tout à l’instant chez moi retentissait du bruit de leurs vers ; et comme le premier surtout, se tenant, comme on dit, sur un pied, faisait mille vers à l’heure et coulait plein de limon, vous l’auriez exactement comparé à ce Camille Querno dont s’amusait le grand pape Léon X ; qui obtint de lui le titre et les insignes d’archipoète, et qu’on saluait comme décoré d’une couronne de choux, de pampre et de laurier. […] Mais puisque enfin vous voilà homme fait, et dans la pleine maturité de l’âge, de plus grands sujets vous appellent. » Et il lui montrait la troupe glorieuse des saints et des martyrs qui, rangés dans le ciel, n’attendaient que leur poète.

1356. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres inédites de P. de Ronsard, recueillies et publiées par M. Prosper Blanchemain, 1 vol. petit in-8°, Paris, Auguste Aubry, 1856. Étude sur Ronsard, considéré comme imitateur d’Homère et de Pindare, par M. Eugène Gandar, ancien membre de l’École française d’Athènes, 1 vol. in-8°, Metz, 1854. — I » pp. 57-75

Il sortit de là plein d’enthousiasme et chargé de munitions poétiques, et il leva son drapeau. […] Il meurt à soixante et un ans (1585), mais il a commencé d’être le bonhomme Ronsard de bonne heure, vers cinquante ans et plus tôt, — à l’âge où Malherbe, qui est au contraire un poète de vieillesse, acquerra seulement sa pleine verdeur.

1357. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « La princesse des Ursins. Ses Lettres inédites, recueillies et publiées par M. A Geffrot ; Essai sur sa vie et son caractère politique, par M. François Combes » pp. 260-278

Mme des Ursins n’a pas à se plaindre ; de même qu’à Mme de Maintenon, les années lui sont favorables : dans ce grand procès de révision qui remet tour à tour en scène et en lumière tous les personnages de son temps, sa réputation n’a point perdu ; elle a plutôt gagné en s’éclairant, et l’on peut dire qu’elle est aujourd’hui dans son plein. […] Les ambassadeurs tiennent registre de tout, et ils informent leurs souverains des moindres choses qu’ils entendent dire aux ministres : celle-ci serait prise comme une insinuation qui sûrement déterminerait M. le duc de Savoie à faire ce que nous souhaitons, en lui laissant néanmoins une pleine liberté d’agir à sa fantaisie.

1358. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — II » pp. 435-454

En vain son ami Muller le prêche à son tour, essaye de le piquer d’honneur, de le rappeler à la vertu, comme disent les Italiens, à l’idéal, comme disent les autres, à la religion de l’art, à la spéculation et à l’accomplissement d’une œuvre immortelle : Pourquoi, mon ami, vous consumer dans une oisiveté pleine de fatigues ? […] Il n’avait pour perspective que de voir sa vie s’éteindre tristement « dans Berne révolutionnée et pleine de haine et de ténèbres ».

1359. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

Je n’avais pas de quoi payer le piètre déjeuner préparé, mais vous jugez bien que mon opulence subite a opéré ; vous ne m’en voudrez pas d’avoir prodigué 15 ou 20 francs à cette petite fête, pleine pour moi de charmes… » 15 ou 20 francs pour un déjeuner à plusieurs ! […] Peut-être qu’à la fin un peu de pudeur le fera comprendre aux plus sourds. » Il lui donne toutes sortes de bons conseils pour la pratique de la vie, d’abord de ne plus faire de lettres de change, ce qui donne prise sur lui ; et puis de calmer son imagination, car le pauvre poëte fourvoyé était plein de chimères.

1360. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Une monarchie en décadence, déboires de la cour d’Espagne sous le règne de Charles II, Par le marquis de Villars »

» don Juan sentant que la partie était perdue et que tout lui échappait, fut pris de désespoir et d’une mélancolie profonde, qui devint une maladie pleine d’incidents inconnus : « Les médecins, qui traitaient son corps d’un mal qui était dans son esprit, lui firent souffrir durant trois semaines assez de tourments pour achever sa vie ; il mourut le 17 septembre 1679, âgé de cinquante ans. […] « C’était un homme composé d’apparence, d’un génie plus brillant que solide, plein d’une gloire présomptueuse, tout à lui, sans confiance et sans estime pour les autres, trop occupé des petites choses, souvent sans étendue et sans résolution dans les grandes ; capable cependant de les précipiter par entêtement.

1361. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Renan ajoute, pour expliquer les vivacités et les impatiences de Pétrarque sur cet article : « Ce Toscan, plein de tact et de finesse, ne pouvait souffrir le ton dur et pédantesque du matérialisme vénitien. […] Et lorsque le professeur s’est levé en terminant, on se lève avec lui en foule, on sort plein d’instruction, de vues neuves, de désirs d’explication, de besoins de réponse, de controverses animées et bruyantes qui se prolongent longtemps, mais en se félicitant tous que la liberté du haut enseignement, en tant qu’elle dépend de l’équité d’un auditoire, soit consacrée chez nous par un rare exemple et dans une de ses branches les plus élevées.

1362. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Lettres inédites de Jean Racine et de Louis Racine, (précédées de Notices) » pp. 56-75

L’un accepte et comprend les choses comme elles sont dans la nature et dans l’humanité ; il prend, sans les disjoindre (car tout cela se tient, se correspond et, pour ainsi dire, se double), le rat et le cygne, le reptile et l’aigle, le crapaud et le lion ; il prend le cœur à pleines mains, tel qu’il est au complet, or et boue, cloaque ou Éden, et il laisse à chaque objet sa couleur, à chaque passion son cri et son langage. […] Ses Poésies sacrées sont pleines de pensées, de sentiment et d’onction.

1363. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Études de politique et de philosophie religieuse, par M. Adolphe Guéroult. »

Qu’on se représente où en était, en général, le libéralisme sur la fin de la Restauration ; quelle doctrine peu élevée, peu intelligente du passé, et du passé même le plus récent, méconnaissant et méprisant tout de ses adversaires, purement tournée aux difficultés et au combat du moment, pleine d’illusions sur l’avenir, se figurant que, l’obstacle ministériel ou dynastique renversé, on allait en toute chose obtenir immédiatement le triomphe des idées et des talents, le règne du bien et du beau, une richesse intellectuelle et sociale assurée, une gloire facile, une prospérité universelle. […] Si je suis homme d’industrie ou de commerce, que j’habite une rue du centre, que j’aie une famille, des enfants qui aient besoin d’air et de soleil, je puis, sous le plus beau gouvernement de discussion et de discours pour ou contre, n’avoir pas la liberté de leur procurer un jardin, une promenade salubre à portée de chez moi ; j’ai au contraire cette liberté, si j’habite en 1863 près de la Tour-Saint-Jacques où l’on a créé pour les habitants du quartier un commode et riant jardin déjà plein d’ombrage.

1364. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite) »

Nous revenons à Ducis et à sa médecine morale, pleine de cordialité et d’indulgence. […] Vous n’avez sûrement pas oublié nos châtaigniers sauvages, nos petits fonds riants et frais entourés de bois et cachés à tous les regards citadins ; notre l’Étang-la-Ville, si bien fait pour une fête de campagne ; notre La Celle, notre Bougival, avec son clocher qui paraît une borne, et tous ces environs qui sont pleins de variété, de charme et d’abondance : voilà les images qui doivent vous suivre. » Puis la réflexion morale toujours : « Mon Dieu !

1365. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vie de Jésus, par M. Ernest Renan »

Elle est pleine d’assertions hasardées, de formules générales contestables d’où l’on tire des conséquences lointaines, incertaines, qu’on donne comme des faits avérés. […] Il est plein de concessions, — concessions calculées ou sincères, peu m’importe !

/ 2685