découpures élégantes ; Capri sévère, Ischia prolongée, les bizarres et gracieux chaînons de Procida ; le cap Misène isolé avec sa langue de terre mince et jolie, le château de l’Œuf en petit l’imitant, le Pausilippe entre deux doucement jeté : en tout un grand paysage de lointain, dessiné par Raphaël. — -Oh ! […] La Nécessité, cette grande muse, m’a forcé brusquement d’en changer : cette Nécessité qui, dans les grands moments, fait que le muet parle et que le bègue articule, m’a forcé, en un instant, d’en venir à une expression nette, claire, rapide, de parler à tout le monde et la langue de tout le monde : je l’en remercie.
L’auteur de cet article courroucé peut, et même doit être un homme instruit, de sens, scholar distingué, sachant le grec, l’histoire, les langues. […] De loin, et d’une langue à l’autre, on n’y regarde pas de si près ; on ne va qu’au gros du roman, ce qui contribue à faire, en propres termes, un jugement fort grossier, comme j’ai remarqué déjà qu’on le disait fort poliment sous Louis XIV.
Quant à la langue et aux vers, vous avez pu en juger ! […] Et quelle langue si allègrement française, comme d’un Regnard qui eût mis en alexandrins la prose de Marivaux !
Il est sans contredit un de nos premiers auteurs pour la prose ; notre langue paroît avoir dans ses écrits un caractère particulier, qu’on ne lui connoissoit pas encore. […] Les Essais de littérature & de morale, de M. l’Abbé Trublet, ont été traduits en plusieurs langues, & ils méritoient cet honneur.
Il n’est guère possible d’écrire plus lourdement et plus vulgairement que ces messieurs, — et c’est même à se demander si le docteur Hefele, qui a approuvé cette traduction sans noblesse et sans couleur, manque du sentiment de sa propre langue ou du sentiment de la nôtre ?… Sisson et Crampon avaient, en publiant le Ximénès d’Hefele, des intentions excellentes, nous n’en doutons pas, mais quoi qu’ils aient eu la grosse exactitude des faits qui suffit au contentement d’un auteur heureux de se voir reproduit, tant bien que mal, dans un idiome étranger, cela n’est point assez, pourtant, pour donner une idée des mérites littéraires de cet homme, s’il en a dans sa propre langue.
L’esprit oriental n’est pas très compliqué… Mais faire l’Anglais, c’est-à-dire entrer, tout botté, dans l’originalité du peuple le plus original, le plus profond, le plus insulaire d’esprit, d’impression, de jugement, qui ait jamais existé ; pénétrer, pour se les assimiler un instant, dans les manières de sentir et d’exprimer d’une nation qui a jusqu’à une gaîté à elle, — laquelle ne ressemble à la gaîté de personne et dont le nom même est intraduisible, et reste, dans toutes les langues, de l’humour, — c’est là une chose qui demandait plus qu’une prodigieuse souplesse de talent. […] et non pas étrangère, et dans un livre très amusant, et svelte à étonner, sur la langue et la littérature françaises, il mit des idées sous des mots, comme tant d’autres ne mettent que des mots sur des idées.
C’est moins une histoire — comme le dit, du reste, son sous-titre, — qu’un Cours tout entier philosophique et critique de l’histoire moderne ; c’est une démonstration en sens contraire de tous les problèmes agités, à cette heure, par l’esprit révolutionnaire, et dont la solution dernière serait, sous le nom imposteur de progrès, de faire rétrograder la civilisation du monde… Après avoir, dans ses premières pages, comme donné le dictionnaire de la langue qu’il va parler en fixant l’origine et en déterminant la grandeur de la Monarchie française, en traitant de « la providence des dynasties inamovibles », de la propriété, du droit divin, dont il dit : « La primogéniture, le droit successif, la légitimité, le droit divin, ne sont qu’une même expression, une même vérité, une loi de raison », le métaphysicien politique aborde vaillamment l’Histoire. […] La langue politique a toute honte bue.
Si l’Académie des sciences morales et politiques n’avait pas la langue si pâteuse, elle n’aurait dit qu’un mot qui les valait tous : « Quelles sont les causes de l’anarchie contemporaine ? […] Ils n’ont pas vu que l’auteur du mémoire parlait leur langue et la parlait aussi bien qu’eux.
Certes, toute cette partie des œuvres de l’homme qui a écrit Stello, Grandeur et Servitude militaires, Cinq-Mars, Chatterton, La Maréchale d’Ancre, et traduit Othello et Shylock avec une précision qui est une création dans la langue, toute cette partie si considérable mérite d’être prise à part et jugée, en soi, par la Critique, et voilà pourquoi nous l’y mettons, à part, pour, dans d’autres volumes2, l’y retrouver. […] Le magnifique poème de Moïse, à coup sûr, après Eloa, le plus beau du recueil, et qui paraît plus mâle et plus majestueux peut-être à ceux qui oublient ce Satan d’Eloa dont Milton aurait été jaloux, — le poème de Moïse n’apparaît pour la grandeur du sentiment et de l’idée, l’ineffable pureté des images, la solennité de l’inspiration, la transparence d’une langue qui a la chasteté de l’opale, qu’un fragment détaché de cette Eloa qui n’est pas seulement l’œuvre de ce nom, mais chez M. de Vigny, l’angélique substance de la pensée.
Ils employèrent cette fiction dans les acta legitima qui consacraient tous leurs rapports légaux, et qui devaient être les cérémonies solennelles des peuples avant l’usage des langues vulgaires. […] Ces emblèmes propres aux familles étaient, si je puis le dire, des noms réels, antérieurs à l’usage des langues vulgaires.
À Pindare seul devait appartenir de faire de son dialecte thébain la langue de la poésie lyrique, comme le théâtre et la tribune d’Athènes feraient de leur dialecte la langue du drame et de l’éloquence.
Pour que nous ayons, dit-il, une musique, il ne s’agit que d’appliquer celle des Italiens à notre langue. […] Les premières chaires que l’on fonda furent pour les langues. […] Dans les universités, on montre sans doute la langue & l’éloquence Latine. […] Quoique le goût des langues soit passé, leur utilité pourroit bien y faire revenir. […] Leurs excellens ouvrages y répandirent le bon goût, firent connoître les beautés de la langue.
Anonyme Si, dans Éros chante, la langue de M. de Brahm n’est pas toujours exempte d’imprudence et de néologismes, l’expression en est souvent un joli tour de volupté, d’une inspiration hautaine, suave, et tour à tour choisie.
Théodore de Banville Le poète des Chansons pour toi écrit dans une langue imagée, correcte, extrêmement précise, très éclectique et ne recule pas devant le mot sublime, s’il le trouve, ni devant le mot canaille du voyou, si c’est celui-là qu’il lui faut… Le poète des Chansons est déjà un ouvrier et fait bien les vers, parce que la musique du rythme et le don de la rime lui sont naturels, et parce qu’il a étudié respectueusement les maîtres.
Après avoir fait passer dans notre langue plusieurs morceaux intéressans de la Littérature Italienne, & avoir publié un excellent Dictionnaire historique des Artistes, en deux gros volumes in-8°, il a succédé à M. de Querlon dans la rédaction des Annonces & Affiches pour la Province ; & l’on s’apperçoit de plus en plus que cette Feuille n’a dégénéré ni du côté du style, ni rien perdu du côté de la solidité des principes, de la justesse, de la critique, & de l’honnêteté des jugemens.
Sa lèvre en a retenu la saveur exquise et s’est parfumée de beauté ; sa langue poétique est d’une souplesse remarquable par le charme des épithètes, la variété de composition et les rythmes cadencés.
M. l’Abbé Collet n’a pas le mérite d’écrire élégamment, ni en Latin, ni en François ; mais il a dans l’une & l’autre langue celui de la clarté, de la netteté, de la méthode, qui convient parfaitement aux Ouvrages d’instruction.
Son Poëme de la Sculpture, sur-tout, offre des descriptions & une force de coloris qui ressuscitent souvent la Langue d’Auguste.
Le meilleur Traité & le plus complet que nous ayons dans notre Langue sur la Spiritualité & l’Immortalité de l’Ame, est le fruit du travail de ce Religieux.
Dans les Poèmes d’Auvergne, le poète oublie momentanément Paris et chante, dans une langue simple et robuste, les paysages, les mœurs, les traditions de son cher pays natal, apportant ainsi, comme il le dit lui-même, « une pierre nouvelle à l’édifice inachevé, mais en pleine construction, de nos poèmes de province ».
Remouchamps, en une langue cadensée au rythme de sa pensée, nous dit les affres et les espoirs de son âme.
Bourbon a eu un oncle du même nom, qui composa aussi des vers dans la même langue, & fut quelque temps Précepteur de Jeanne d’Albret, mere d’Henri IV.
Outre le Grec & le Latin, il savoit les Langues Orientales & toutes celles de l’Europe.
Les Mathématiques, l’Histoire naturelle & civile, les Langues, la Politique, la Morale, la Poésie, exercerent tour à tour sa plume, également foible dans tous les genres.
Il a cultivé la Poésie Françoise & Latine, & n’a eu de succès durables que dans cette derniere Langue.
Thomassin étoit, dit* l'Abbé Lenglet, un homme de passage & non de raisonnemens, qui copioit par lui-même & réfléchissoit par autrui, & qui ne savoit pas sa Langue, auroit-il pu ajouter.
A l’Académie, dans nos séances intérieures, quand on lit et qu’on discute le Dictionnaire historique de la Langue, s’il arrive à M. Patin, le rédacteur, de citer à la rencontre un ou deux vers de l’abbé Delille, il s’élève d’ordinaire, au seul nom du spirituel poëte tombé en disgrâce, une sorte de murmure défavorable ou même de clameur ; on chicane les vers cités, on en conteste la langue ; rarement on leur fait grâce. […] C’est comme si on lisait Racine traduit dans la langue de Louis XV. […] A l’Académie, dans nos séances intérieures, quand on lit et qu’on discute le Dictionnaire historique de la Langue, s’il arrive à M. Patin, le rédacteur, de citer à la rencontre un ou deux vers de l’abbé Delille, il s’élève d’ordinaire, au seul nom du spirituel poëte tombé en disgrâce, une sorte de murmure défavorable ou même de clameur ; on chicane les vers cités, on en conteste la langue ; rarement on leur fait grâce.
Il y a loin de là, sans doute, aux futiles questions d’art, de langue, de prose ou de vers ; mais l’art, la langue, la prose ou les vers ne sont que les formes des idées ; c’est le fond qu’il faut d’abord considérer, si nous voulons que ce cours de littérature universelle soit en même temps un cours de pensée et de raison publique. […] Laissons l’utopie aux vers : la prose est la langue de vérité. […] une langue faite, parfaite et immuable ? […] Il faut excepter les savants professeurs français, les Russes et les Anglais missionnaires des langues de la politique et du commerce. […] Il ouvrit, pour la première fois, dans sa propre maison, une école publique d’histoire, de science, de morale et de politique ; puis s’élevant bientôt à une mission plus haute et plus universelle : « Je sens enfin, dit-il, que je dois le peu que le ciel m’a donné ou qu’il m’a permis d’acquérir à tous les hommes, puisque tous les hommes sont également mes frères et que la patrie de l’humanité n’a pas de frontière. » Il partit alors suivi d’un grand nombre de disciples de tous les royaumes voisins pour aller, non prophétiser, mais raisonner dans tout l’empire où l’on parlait la langue de la Chine.
Mais, n’étant point encore assez maître de la langue et de la rime, je m’y étais rompu les cornes ; et, craignant de ne pouvoir jamais y réussir, du moins pour le style et la versification, j’en avais à peu près abandonné l’idée. […] « Avec tout cela, écrit-il, inébranlable dans ma conviction du beau et du vrai, j’aime mieux (et je saisis toutes les occasions de renouveler à cet égard ma profession de foi), j’aime beaucoup mieux encore écrire dans une langue presque morte et pour un peuple mort, et me voir enseveli moi-même de mon vivant, que d’écrire dans ces langues sourdes et muettes, le français ou l’anglais, quoique leurs armées et leurs canons les mettent à la mode ; plutôt mille fois des vers italiens, pour peu qu’ils soient bien tournés, même à la condition de les voir pour un temps ignorés, méprisés, non compris, que des vers français ou anglais, ou dans tout autre jargon en crédit, lors même que, lus aussitôt par tout le monde, ils pourraient m’attirer les applaudissements et l’admiration de tous. […] Aujourd’hui même où j’écris, depuis plus de quatorze ans que dure cette farce tragique, je puis me vanter que je suis encore, à cet égard, vierge de langue, d’oreilles, et même d’yeux, n’ayant jamais vu, ou entendu, ou entretenu aucun de ces Français esclaves qui font la loi, ni aucun de ces esclaves qui la reçoivent. […] Enfin, le 3 novembre, nous arrivâmes à Florence, que nous n’avons plus quittée, et où je retrouvai le trésor vivant de ma belle langue, ce qui me dédommagea amplement de tant de pertes en tout genre, qu’il m’avait fallu supporter en France. » XII Qu’on se figure l’accès de rage d’Alfieri, homme si personnel et si mobile au gré de ses passions, après une telle aventure de la révolution, qu’il avait célébrée en républicain classique, et qui s’était retournée pour lui disputer sa tête au moment où il se sauvait devant elle ! […] « Ainsi courbé sous le poids de l’oppression commune, sans néanmoins me confesser vaincu, je restai dans cette villa avec un petit nombre de domestiques, et la douce moitié de moi-même, infatigablement occupés l’un et l’autre de l’étude des lettres ; car, assez forte sur l’allemand et sur l’anglais, également bien instruite dans l’italien et le français, elle connaît à merveille la littérature de ces quatre nations, et, de l’ancienne, les traductions qui en ont été faites dans ces quatre langues lui en ont appris tout ce qu’il faut savoir.
Année 1874 1er janvier 1874 Je jette dans le feu l’almanach de l’année passée, et les pieds sur les chenets, je vois noircir, puis mourir dans le voltigement de petites langues de feu, toute cette longue série de jours gris, dépossédés de bonheur, de rêves d’ambition, — de jours amusés de petites choses bêtes. […] Et Degas nous met sous les yeux des blanchisseuses, des blanchisseuses, tout en parlant leur langue, et nous expliquant techniquement le coup de fer appuyé, le coup de fer circulaire, etc., etc. […] La langue parlée de la princesse, sa manière de pourtraire les gens, en brouillant un détail physique avec un trait moral, cela, est vraiment pas mal conservé dans le travail, assis et rassis, de la composition et de l’écriture. […] On débute par une grande dissertation sur les aptitudes spéciales des constipés et des diarrhéiques, en littérature, et de là, on passe au mécanisme de la langue française. […] Aujourd’hui, à peine notre langue se susurre-t-elle tout bas, et au haut bout, l’on voit, comme ce soir, un Prussien en uniforme, tout militaire et tout raide, à cette place d’honneur.
Il n’est pas de langue littéraire plus pauvre au fond que celle qui est ainsi composée d’expressions forcées ou simplement rares, parce que ces expressions se font remarquer et deviennent une répétition fatigante dès qu’on les voit revenir. « Laissez-moi vous donner, écrivait Sainte-Beuve à Baudelaire, un conseil qui surprendrait ceux qui ne vous connaissent pas : vous vous défiez trop de la passion, c’est chez vous une théorie. […] En prose, même obscurité voulue, avec un mélange de mots français, latins, grecs, et de mots qui ne sont d’aucune langue : — « Parmi l’air le plus pur de désastre, où le plus puissant lien une voix disparate, un point sévèrement noir ou quelque rouvre de trop d’ans s’opposait à l’intégral salut d’amour, et la velléité dès lors inerte demeurait, et muette sans même la conscience mélancolique de son mutisme. » Ces phrases relativement fort claires sont extraites du Traité du verbe de Verlaine, — car ils croient avoir inventé un verbe nouveau. […] Dire que la maladie, comme la monstruosité, est normale est parce qu’elle fatale, qu’elle vaut la santé parce qu’elle est tout aussi naturelle, c’est ne pas reconnaître un critérium de valeur naturelle dans l’intensité même et dans l’extension de la vie, ainsi que dans la conscience et la jouissance qui en sont la révélation intime. « Un préjugé seul, où réapparaissent la doctrine antique des causes finales et la croyance à un but défini de l’univers, peut, dit Paul Bourget, nous faire considérer comme naturels et sains les amours de Daphnis et de Chloé dans le vallon, comme artificiels et malsains les amours d’un Baudelaire dans le boudoir qu’il décrit, meublé avec un souci de mélancolie sensuelle : Les riches plafonds, Les miroirs profonds, La splendeur orientale, Tout y parlerait A l’âme en secret Sa douce langue natale. […] Quant à placer, comme Baudelaire, la « langue natale de l’âme » dans les riches plafonds, les miroirs profonds et la splendeur orientale, c’est une de ces nombreuses absurdités qui remplissent ses vers et en font souvent la seule originalité : tout ce luxe faux et imaginaire, tout ce vain orientalisme n’est pas plus la langue natale de la vie que de l’« âme » : c’est un rêve artificiel et tout littéraire de l’imagination romantique. […] Théophile Gautier dit que la langue de cette littérature est « marbrée déjà des verdeurs de la décomposition » ; quelque prix qu’on attache aux verdeurs, un cadavre qui se décompose sera toujours inférieur physiologiquement et esthétiquement à un corps anime par la vie, parce que le cadavre marque non une évolution en complexité et en unité tout ensemble, mais une dissolution et un retour aux forces plus élémentaires, plus simples et plus désagrégées.
Job a la langue du plus grand poète qui ait jamais articulé la parole humaine. […] Nous avons traduit nous-même ces premières larmes de Job en vers bien affaiblis d’accent et bien indignes du modèle ; mais il faut considérer, indépendamment de la distance de temps, la faiblesse de l’écrivain surajoutée à la faiblesse de la langue. […] « Les principaux du peuple retenaient leurs paroles, et leur langue adhérait à leur palais ! […] Ce qu’elle me dit, le voici : c’est à peu près, en moins magnifique langue, ce qu’elle disait à notre ancêtre Job. […] C’est l’orgie des sceptiques, c’est la Danse des Morts de la poésie ; c’est le blasphème héroïque de Job traduit en gaulois, cette langue du rire !
Le mécanisme des langues n’eut ni attrait ni difficulté pour moi jusqu’aux classes véritablement lettrées où l’on traduit et où l’on compose. […] Cette langue antique, toute composée de syllabes sonores et d’images rayonnantes, m’étonnait et me ravissait ; il me semblait n’avoir entendu jusque-là que des mots ; mais ici c’était de la musique dans l’oreille, de la peinture dans les yeux, de l’enivrement dans tous les sens. […] Je ne lus ces vers qu’à mes deux amis, Aymon de V… et Louis de V… Ils se récrièrent sur mon prétendu talent ; ils copièrent mon chef-d’œuvre pour le montrer à leurs parents ; mais nous nous gardâmes bien de le laisser voir à nos maîtres, car on nous interdisait avec raison de composer des vers français avant d’avoir des idées ou des sentiments à exprimer dans cette langue. […] « Mais de pareils spectacles n’épouvanteront pas les hommes avant le jour où Dieu, lâchant les rênes de l’univers, n’aura besoin pour le détruire que de l’abandonner. » XXII …… Nous étions déjà sous le charme de cette langue où les images dont nous ne pouvions pas contester la justesse se pressaient au fond de nous aussi nombreuses et aussi vagues que les étoiles dans la Voie lactée. […] J’ai dit, dans cette demi-confidence de première jeunesse, que, pendant notre séjour dans l’île, j’écrivais de temps en temps des vers mentalement adressés à la charmante fille du pêcheur, bien qu’elle ignorât ce que c’était que des vers et dans quelle langue ces vers étaient écrits.
Quoi qu’il en soit, Mézeray servit pendant deux ou trois campagnes, et, lorsqu’il quitta brusquement sa place, il y avait gagné du moins d’avoir vu la guerre d’assez près pour en savoir la langue et en comprendre les opérations : cela lui servit plus tard comme historien. […] Cependant le mérite sérieux de son histoire ne commence en effet à se faire sentir qu’à dater du moment où il s’appuie sur des chroniqueurs ou historiens de langue nationale : jusque-là il ne faut lui demander que des aperçus et des pages heureuses. […] Il sait y faire entrer les circonstances qui parlent et qui animent un récit : « Quand il allait par les champs, dit-il de Louis XII, les bonnes gens accouraient de plusieurs journées pour le voir, lui jonchant les chemins de fleurs et de feuillages, et, comme si c’eût été un Dieu visible, essayaient de faire toucher leurs mouchoirs à sa monture pour les garder comme de précieuses reliques. » J’essaie, en ramassant tous ces exemples, de donner l’idée et le sentiment du genre de mérite et de charme que je trouve au style ou plutôt à la langue et à la touche éparse de Mézeray ; il me reste à insister sur ses parties sérieuses d’historien, et aussi à traiter des originalités ou bizarreries de l’homme.
L’Académie française, où il n’y a pas de sections, bien que l’on pût à la rigueur en concevoir (sections de langue et de grammaire, de poésie dramatique, de poésie lyrique, d’histoire, d’éloquence proprement dite, de roman, de critique littéraire, j’y reviendrai tout à l’heure), l’Académie française, loin de voir un inconvénient dans le hasard et la mêlée des candidatures, tient à honneur d’être affranchie de tout examen préalable et de tout ordre prévu et réglé en matière d’élection ; elle estime que les qualités générales qui constituent le littérateur distingué, en quelque genre que ce soit, et l’homme de goût, sont suffisamment appréciées et senties par chacun de ses membres, et que prétendre faire plus, vouloir tracer des divisions et des compartiments, ce serait apporter en cette matière délicate une rigueur dont elle n’est point susceptible, et qui en froisserait et en fausserait la finesse. […] Baudelaire a trouvé moyen de se bâtir, à l’extrémité d’une langue de terre réputée inhabitable et par-delà les confins du romantisme connu, un kiosque bizarre, fort orné, fort tourmenté, mais coquet et mystérieux, où on lit de l’Edgar Poe, où l’on récite des sonnets exquis, ou l’on s’enivre avec le haschich pour en raisonner après, où l’on prend de l’opium et mille drogues abominables dans des tasses d’une porcelaine achevée. […] Langue et Grammaire.
Son corps fut porté à l’Escurial, dans la sépulture des Princes à côté du Panthéon. » On le traitait jusqu’au bout en fils de roi, bien qu’il y eût fort à dire sur l’authenticité et la légitimité de cette bâtardise ; mais Philippe IV l’avait reconnu — Le marquis de Villars a tracé de lui le portrait suivant, qui, dans un ton simple, est d’une belle langue : « Sa naissance lui avait donné un grand rang et de grands emplois, mais on ne vit point la suite de sa vie répondre à cette éducation : on le vit malheureux dans la plupart de ses entreprises, souvent battu à la guerre, toujours éloigné de la Cour ; son dernier malheur fut d’être devenu enfin la première personne de l’État. […] Ces défauts étaient revêtus de plusieurs belles qualités : il était bien fait, il avait les manières agréables et polies, il parlait bien diverses langues ; il avait de l’esprit, du savoir, de la valeur, et tous les dehors du mérite, sans mérite même. » Huit jours avant sa mort, était arrivée la nouvelle du mariage de Mademoiselle, qui s’était fait à Fontainebleau par procuration, le Prince de Conti y représentant le roi d’Espagne. […] On ferait de tout cela un volume neuf, original, rassemblant mille anecdotes singulières, spirituellement contées et dans la meilleure langue.
La seule chose qui ennuie, c’est la volubilité tout à fait extraordinaire de sa langue ; il faut se transformer tout entier en un appareil auditif pour pouvoir la suivre. Mais puisque j’ai pu moi-même me tirer d’affaire avec elle, malgré mon peu d’habileté à parler français, vous n’éprouverez nulle difficulté, grâce à votre plus grand usage de la langue. » Besoin de raisons et d’explications à l’infini, subtilité de raisonnement, finesse et promptitude d’analyse, côté oratoire, dramatique, intelligence générale, éloquence, lacune poétique, tout cela est bien marqué dans ce jugement sur elle, et la sympathie, comme il convient, domine. […] Je n’invente ni je n’approuve, je ne suis qu’un écho : « Elle s’irritait contre cette langue sonore qui retentit pour ne rien dire.