Le fait par lequel un grand écrivain, parti d’on ne sait quelles origines impossibles à dégager, ayant senti en lui un monde nouveau l’émouvoir, faisant appel à des dispositions, à des pensées, aune sensibilité intacte jusque-là et dormantes, groupe autour de lui eu cercles concentriques toujours plus étendus, ses congénères intellectuels, dégage de la masse humaine confondue, la classe d’êtres qui possèdent en eux un organisme consonnant au sien, vibratileei sous les impulsions mêmes qui sont en lui puissantes au point de l’avoir contraint à leur trouver l’expression et à les extérioriser ainsi généralement intelligibles et efficaces — ce phénomène est le semblable de celui par lequel, dans un autre ordre, l’ordre des actes et non plus des émotions, un homme ayant connu une entreprise, portant en lui cet ensemble d’images préalables de réussite, de gloire, de fortune qui constituent une impulsion, ces visions d’effet à réaliser, de moyens, de détails, d’acheminements, de dispositifs, qui constituent un but, parvient par persuasion, par des ordres, par simple communication, à les faire passer rudimentairement, vaguement, clairement, dans l’âme des milliers de suivants que forment ses lieutenants, une armée, des alliés ; que forment encore des ouvriers, des ingénieurs, des collaborateurs ; ou un public, des courtiers, des banquiers, des associés ; ou simplement le peuple, des agents électoraux, des députés, des ministres. […] La gloire, le pouvoir, la richesse, le succès ne s’acquièrent en dernière analyse qu’en suscitant dans des âmes étrangères, des images, des enchaînements de pensées et de sentiments, qui, remplaçant ou doublant les états d’esprit appartenant en propre à ces êtres subjugués, donnent à leur volonté, à leurs muscles, à leur sensibilité, des impulsions qui sont utiles à leur maître. […] Car s’il est vrai que les images, les sentiments, les sensations que ces œuvres suggèrent, sont faits pour surgir dans l’esprit d’hommes dont la vertu ou le crime importent à leurs semblables, s’il est vrai que ces images et ces sentiments influent sur la nature et la force de leur âme, il ne saurait être admis que, socialement, toute œuvre d’art paraisse innocente, soit pour la cité, soit plus profondément, pour le bien mémo de la race. […] Une analyse esthosychologique se compose de trois parties essentielles : d’une analyse des composants d’une « ouvre, de ce qu’elle exprime et de la façon dont elle exprime ; d’une hypothèse psycho-physiologique construisant au moyen des éléments précédemment dégagés, l’image, la représentation de l’esprit dont ils sont le signe, et établissant, si possible les faits physiologiques en corrélation avec ces faits psychologiques. […] L’image des « cercles concentriques » proposée par le critique suisse appartient à ce même paradigme psychosocial.
Moise, Homère, Platon, Virgile, Horace ne sont au-dessus des autres écrivains que par leurs expressions et par leurs images : il faut exprimer le vrai pour écrire naturellement, fortement, délicatement. […] Et d’ailleurs la vérité n’y règne-t-elle pas aussi vivement par ses images que dans le comique ? […] La métaphore ou la comparaison emprunte, d’une chose étrangère une image sensible et naturelle d’une vérité. […] Le sublime ne peint que la vérité, mais en un sujet noble, il la peint tout entière, dans sa cause et dans son effet ; il est l’expression, ou l’image la plus digne de cette vérité. […] Les esprits justes, et qui aiment à faire des images qui soient précises, donnent naturellement dans la comparaison et la métaphore.
La raison domine dans toute cette production versifiée, et la raison d’un siècle analyseur, abstracteur, argumenteur et critique ; on ne rencontre pas un éclat de passion, pas une impression, pas une image : aucune trace fraîche enfin de la nature ou de la vie. […] Les élégiaques sont ou des libertins qui s’échauffent par des images polissonnes, ou des coquets insensibles qui font de l’esprit sur des idées d’amour. […] Mais cette description n’est pas faite pour susciter une image : c’est un petit problème qu’on offre à résoudre à l’intelligence du lecteur ; et tout est dit quand il a trouvé — non la chose — mais le mot.
Paul Adam Vielé-Griffin, le plus rythmique des poètes nouveaux, est toujours le Saxon aux images simples reculées dans les vapeurs légères des horizons septentrionaux. […] Analyser Clarté de vie serait le relire, et je ne sais le juger que par des images. […] Car il a toujours soumis ses libres dons d’image, de vie, de rythme et d’émotion, à une pensée souveraine, qui donne une raison à chaque création, chaque élan, chaque mot de sa belle inspiration momentanée.
Les impressions faites par les objets sur le cerveau y demeurent, comme des images sur une plaque sensibilisée ou des phonogrammes sur des disques phonographiques ; de même que le disque répète la mélodie quand on fait fonctionner l’appareil, ainsi le cerveau ressuscite le souvenir quand l’ébranlement voulu se produit au point où l’impression est déposée. […] Ce qu’on étudie d’ordinaire sous ce nom est moins la pensée même qu’une imitation artificielle obtenue en composant ensemble des images et des idées. Mais avec des images, et même avec des idées, vous ne reconstituerez pas de la pensée, pas plus qu’avec des positions vous ne ferez du mouvement. […] Que sera-ce, s’il s’agit de l’image visuelle d’une personne, dont la physionomie change, dont le corps est mobile, dont le vêtement et l’entourage sont différents chaque fois que je la revois ? Et pourtant il est incontestable que ma conscience me présente une image unique, ou peu s’en faut, un souvenir pratiquement invariable de l’objet ou de la personne : preuve évidente qu’il y a eu tout autre chose ici qu’un enregistrement mécanique.
Jamais le sentiment mystérieux de l’âme des choses et de la vertu matinale de la nature, jamais la poétique et sauvage puissance qu’elle fait éprouver qui s’y replonge et s’y abandonne éperdument, n’a été exprimée chez nous avec une telle âpreté de saveur, avec un tel grandiose et une précision si parfaite d’images. […] Son ambition n’est pas tant de la décrire que de la comprendre, et les derniers versets du Centaure révèlent assez le tourment d’une ardente imagination qui ne se contente pas des mots et des images, mais qui interroge avec ferveur les mystères de la création.
quelle beauté dans cette cour, qui n’est pourtant qu’un cloître militaire où l’art a mêlé les idées guerrières aux idées religieuses, et marié l’image d’un camp de vieux soldats, aux souvenirs attendrissants d’un hospice ! […] Ce bâtiment religieux est placé derrière les bâtiments militaires, comme l’image du repos et de l’espérance, au fond d’une vie pleine de troubles et de périls.
Ce ne sont pas, chez lui, les images qui créent la phrase, c’est la phrase qui fait les images, c’est la phrase qui fait image, qui veut faire image, et qui n’y réussit pas toujours. […] Il marque un passage des images statiques (crinières et cornes) à l’image dynamique des têtes d’hommes qui courent. […] Inutile d’insister sur le sens de cette image. […] Daudet, l’Hérédo et le Monde des Images. […] Mais les comparaisons, quand elles deviennent œuvres d’art, s’appellent des images, et les romantiques ont eu ce mérite de tremper la critique dans un bain d’images.
C’est ainsi que j’ai péri par la plus lamentable mort… » Ce dernier trait si vrai, si vrai à la fois quant à l’image physique et quant au contraste moral qui en ressort (le Roi des rois tué, assommé comme le bœuf qui mange !) […] Il est une fraîcheur qui tient à la source ; il est des images vives et légères qui tiennent aux impressions du berceau, et dont la trace se perpétue à travers les âges. […] Méléagre en un endroit, par une moins gracieuse image et qui se sent plutôt de la ménippée, compare son mélange à je ne sais quel plat en renom alors, à je ne sais quelle macédoine pleine de ragoût. […] Méléagre a beaucoup vécu dans les ports, dans les îles, en vue des flots ; il affectionne dans ses amours les images maritimes. […] Il va cueillir les images les plus fraîches et les plus légères pour lui exprimer son âme.
Si vous entrez, à Florence, dans la chapelle monumentale de San Lorenzo, cette pyramide mortuaire des Pharaons de la Toscane, les Médicis ; si vous levez vos yeux sur ce peuple de pierre qui semble sortir des Catacombes pour veiller éternellement sur ces sarcophages ; si les deux figures du Jour et de la Nuit, l’une image vivante de la vie, l’autre image, vivante aussi, de la mort, calment comme par enchantement vos pensées terrestres, et vous font envier d’être de pierre comme elles pour respirer éternellement la majesté dédaigneuse de la vie et la mélancolie sereine de la mort ; et si vous demandez à ces statues : Qui vous a taillées ou plutôt animées d’un seul jet dans le bloc ? […] La poésie, qui cherche ses images dans la nature, a trouvé cette fois l’art assez surnaturel pour lui emprunter ses similitudes. […] La douleur la tint muette pendant sept ans, n’exhalant ses gémissements que devant Dieu et devant l’image de son époux dans des poésies comparables aux Tristes d’Ovide, mais où le sentiment a l’amertume des larmes et l’onction de la prière. […] qu’une image vivante, sculptée par le ciseau dans une pierre fruste et alpestre des montagnes, survive à celui dont elle fut l’ouvrage et qui dure lui-même si peu de jours ? […] Dans le sonnet suivant, il revient à son amour et à son deuil, et il défie le sort de ruiner davantage ses espérances, dans une image digne des prophètes : « Que peut la scie ou le ver contre le chêne réduit déjà en cendres ?
D’autres fouillaient les antiques souvenirs, les ruines, les arceaux et les créneaux, et du haut de la colline, assis sur les débris du château gothique, ils voyaient la ville moderne s’étendre à leurs pieds comme une image encore propre à ces vieux temps, Comme le fer d’un preux dans la plaine oublié ! […] Mais au milieu de ces oublis trop naturels à la jeunesse de tous les temps, ils avaient une pensée, un culte, l’amour de l’art, la curiosité passionnée d’une expression vive, d’un tour neuf, d’une image choisie, d’une rime brillante ; ils voulaient à chacun de leurs cadres un clou d’or : enfants si vous le voulez, mais enfants des muses, et qui ne sacrifièrent jamais à la grâce vulgaire. […] Il paraît généralement accordé aujourd’hui que l’école moderne a étendu ou renouvelé la poésie dans les divers modes et genres de l’inspiration libre et personnelle ; et, quelque belle part qu’on fasse en cela au génie instinctif de M. de Lamartine, il en reste une très grande aux maîtres plus réfléchis, qui ont donné l’exemple multiplié des formes, des rythmes, des images, de la couleur et du relief, et qui ont su transmettre à d’autres quelque chose de cette science. […] Rendre à la poésie française de la vérité, du naturel, de la familiarité même, et en même temps lui redonner de la consistance de style et de l’éclat ; lui rapprendre à dire bien des choses qu’elle avait oubliées depuis plus d’un siècle, lui en apprendre d’autres qu’on ne lui avait pas dites encore ; lui faire exprimer les troubles de l’âme et les nuances des moindres pensées ; lui faire réfléchir la nature extérieure non seulement par des couleurs et des images, mais quelquefois par un simple et heureux concours de syllabes ; la montrer, dans les fantaisies légères, découpée à plaisir et revêtue des plus sveltes délicatesses ; lui imprimer, dans les vastes sujets, le mouvement et la marche des groupes et des ensembles, faire voguer des trains et des appareils de strophes comme des flottes, ou les enlever dans l’espace comme si elles avaient des ailes ; faire songer dans une ode, et sans trop de désavantage, à la grande musique contemporaine ou à la gothique architecture, — n’était-ce rien ?
Il ne serre pas d’assez près ses contours, il ne jette pas aux objets ou n’en reçoit pas de ces traits de flamme qui fixent l’image et qu’on emporte. […] L’intérêt, qui languissait dans le tête-à-tête, se relève avec l’arrivée d’un tiers ; c’est Rousseau lui-même qui, jeune, inconnu encore et s’ignorant, ouvre un jour la barrière verte du jardin de la maisonnette, et s’avance, sans trop savoir pourquoi, mais invinciblement attiré par l’image du bonheur qu’il rêve et par un air de clavecin qu’il entend. […] Fortoul ; il ne faut pas trop s’en tenir à ce que dit Montesquieu de lui-même sur ce point : on lit dans les Mémoires de Garat une conversation de l’homme illustre, déjà bien près de finir, laquelle est, au contraire, tout étincelante d’images et de traits. […] « Les hautes montagnes, a-t-on dit, consternent aisément celui qui habite au pied, ou du moins elles le modèrent et le calment ; elles mettent l’homme à la raison. » Simiane reste dans la raison, ainsi que dans le bonheur ; lorsque Rousseau, déjà célèbre, les visite encore, il emporte de leur dernier embrassement une de ces fraîches et à la fois solennelles images, qui, en présence de Thérèse et de tant d’illusions flétries, sauvaient l’idéal dans son cœur.
Eh bien, quand je dis cela, quand je considère ce phénomène gigantesque qui n’a peut-être eu aucun témoin, puisque les satellites de cette étoile n’ont peut-être pas d’habitants, quand je dis que ce phénomène est antérieur à la formation de l’image visuelle de l’île d’Española dans la conscience de Christophe Colomb, qu’est-ce que je veux dire ? […] En écrivant cette lettre, j’en ai possédé l’image visuelle, et mon ami a possédé à son tour cette même image en lisant la lettre. […] J’entends le tonnerre, et je conclus qu’il y a eu une décharge électrique ; je n’hésite pas à considérer le phénomène physique comme antérieur à l’image sonore subie par ma conscience, parce que je crois qu’il en est la cause.
Les critiques, qui étaient des adversaires politiques, aussi bien ceux qui raillaient sa mystagogie catholique que ceux qui attaquaient sa langue, ses images, ses invraisemblances et ses absurdités, s’inclinaient cependant devant la « fille des palmiers », admirant « la musique nouvelle de la phrase… l’art de varier et de régler le cortège des épithètes… l’accord du son d’un mot avec le sens d’une idée ou la teinte d’une image… le charme inconnu des descriptions ». […] Le Romantisme ouvre l’ère du sérieux, de la mélancolie, du sentimentalisme, des images grandioses et des descriptions sensationnelles : « les ouvrages gais, prédisait Mme de Staël avec un sens de rare divination, vont être dédaignés comme de simples délassements de l’esprit, dont on conserve fort peu de souvenir ». […] Sainte-Beuve fait erreur, le monde de René était découvert avant Senancour et Chateaubriand, mais l’honneur de le marquer de son sceau revient à Chateaubriand ; il sut se servit de la langue, des images et des passions du jour, et personnifier ce monde sentimental et idéal que les contemporains portaient dans leur cœur et dans leur tête. […] Mais la révolution avait renouvelé la langue parlée à la tribune et écrite dans le journal et les romans ; des mots, des tournures, des formes de phrases, des images, des comparaisons, venus de toutes les provinces et de toutes les couches sociales, avaient envahi la langue châtiée, polie, légère et élégante des salons aristocratiques, la langue de Montesquieu et de Voltaire, et l’avaient révolutionnée. […] Mais, démontrer que l’écrivain de talent reproduit son époque n’est pas conclure, avec Victor Hugo, que « les époques sont faites à l’image des poètes14 ».
Voilà dans Job, et dans l’homme dont il est l’image, l’excès de la douleur mortelle, de la sensation de la vie poussée jusqu’au blasphème et jusqu’au trouble de l’entendement. […] C’est l’espace ; et de quoi l’espace est-il l’image ? […] Le désert lui fournit son sujet, son immensité, ses couleurs, ses images, son style. […] seul au foyer, Votre image me trouble, et me suit comme l’ombre De mon bonheur passé qui veut me retenir. […] « À cette obscurité notre foi se mesure, « Plus l’objet est divin, plus l’image est obscure.
Ce n’est pas que Segrais n’ait assez bien pris le ton pastoral ; mais sa versification est languissante & sa poésie est sans images. […] Ses Odes sont pleines d’idées, de tours, d’expressions, d’images dignes d’un rival de Pindare. […] Au lieu d’images, il y a des traits d’esprit. […] L’heureux choix des mots & des images rend ce petit recueil précieux. […] Il regne un Froid & sec entortillage dans les Lettres héroïques de Fontenelle ; son style est sans chaleur & sans images.
Elle n’est plus qu’une image dont s’enrichit notre patrimoine spirituel. […] Et l’on sent que pour Rousseau de telles scènes offrent l’image parfaite du bonheur. […] Que le romancier ait le pouvoir de faire apparaître cette image, c’est assez. […] Lorsqu’une idée soutient solidement ce chapelet d’images, le poème est admirable. […] Ou bien ce style évoque encore l’image d’un de ces admirables lévriers qu’aime M.
Priez ce Dieu qui doit entendre vos vœux, s’il en écoute sur la terre, de me rendre plus semblable à vous qui êtes son image par l’intelligence et la volonté. […] C’est ainsi qu’au temps où se composait la Nouvelle Héloïse, lui parlant du prochain mariage d’une jeune fille, il la montrait dans sa pudeur, se désolant à l’approche d’un époux : « C’est, disait-il, une eau pure qui commence à se troubler au premier souffle du vent. » Et il ajoutait, comme pour le piquer au jeu : « Dites de belles choses là-dessus. » Rousseau, en effet, répondant à l’appel, s’emparait de cette pensée et de cette image virginale, et l’employait dans la Nouvelle Héloïse à l’occasion du mariage de Claire (deuxième partie, lettre XV) : « Et, en vérité, elle est si belle, disait-il, que j’aurais cru la gâter en y changeant autre chose que quelques termes. » Il aurait même mieux fait de n’y pas changer un seul mot. […] Il a beau se contenter des dons du sort et de la médiocrité du sage, il y a des moments où il sent le besoin pourtant d’un peu plus de fortune pour la variété et pour le renouvellement de la vie ; il a conscience de ce qui lui manque, tant pour l’entière satisfaction du cœur et de l’esprit que pour les excitations légitimes du talent : « Il nous faudrait à tous deux (à Thomas et à lui), mais surtout à moi, dit-il, un peu plus de fortune : cela me mettrait à même de couper, par quelques parties agréables, la monotonie d’une existence qui n’a point assez de mouvement pour un homme né penseur, que la vue des mêmes visages et du même horizon ramène trop facilement sur son état et sur la misère des choses humaines. » Puis il se repent presque aussitôt d’avoir trop demandé, et faisant allusion à quelque image mélancolique que lui suggérait une lettre de Deleyre (malheureusement nous ne possédons aucune de celles qui sont adressées à Ducis) : « Hélas ! […] On entend le bruit de la vague qui nous dit que nous passons, et l’on jette un regard sur la scène variée du rivage qui s’enfuit. » Ces charmants passages de Ducis m’en rappellent de tout pareils dans les lettres de Béranger : même philosophie riante et résignée, mêmes images poétiques à la fois et naturelles ; mais, chez Ducis le tragique, il s’y mêle bientôt des tons plus sombres et qui montent. […] Vous n’avez sûrement pas oublié nos châtaigniers sauvages, nos petits fonds riants et frais entourés de bois et cachés à tous les regards citadins ; notre l’Étang-la-Ville, si bien fait pour une fête de campagne ; notre La Celle, notre Bougival, avec son clocher qui paraît une borne, et tous ces environs qui sont pleins de variété, de charme et d’abondance : voilà les images qui doivent vous suivre. » Puis la réflexion morale toujours : « Mon Dieu !
Aussi pouvons-nous lire et relire l’Odyssée avec une intelligence et une délectation aussi complètes que si les images et les souvenirs du poète étaient nos images natales et nos souvenirs de berceau. […] L’enthousiasme qui extravague entre ciel et terre sur des flots d’images, d’apostrophes, d’éjaculations, n’est au fond qu’une sublime démence du génie. […] Parce que la bonne et savante madame Dacier adorait Homère, son modèle, plus qu’aucun autre traducteur ne l’a jamais adoré ; parce que l’amour est une révélation ; parce qu’enfin, sans s’inquiéter jamais de sa propre gloire d’écrivain, cette femme, forte de l’érudition antique, ne s’appliquait qu’à faire sentir, non littéralement, mais par analogies et par périphrases quelquefois ridicules, mais toujours sincères, la pensée ou le sentiment de son poète ; miroir souvent terni, mais miroir vivant, qui défigure parfois l’image, mais qui rend ce qu’il y a de plus intraduisible dans l’image : la ressemblance et la vie ! […] voilà comment Homère, qui apparemment sentait tout cela, parce qu’il avait été si souvent lui-même errant loin du foyer perdu de son enfance ; voilà pourquoi, dis-je, il éveille toutes ces délices et tous ces regrets dans une seule image ! Mais cette image est prise dans le cœur, et aucune autre image ne pourrait rendre aussi vivement ce qu’il veut faire sentir !
Que si maintenant nous nous demandons en quoi cette idée consiste, c’est l’image d’un contenant et d’un contenu que la conscience nous offre encore. […] Dans l’idée d’intensité, et même dans le mot qui la traduit, on trouvera l’image d’une contraction présente et par conséquent d’une dilatation future, l’image d’une étendue virtuelle et, si l’on pouvait parler ainsi, d’un espace comprimé. […] Le poète est celui chez qui les sentiments se développent en images, et les images elles-mêmes en paroles, dociles au rythme, pour les traduire. […] Nous accordons qu’une acuité supérieure de son évoque l’image d’une situation plus élevée dans l’espace. […] Reste à savoir en quoi cette dernière image consiste, si elle se confond avec celle du nombre, ou si elle en diffère radicalement.
L’art, sous toutes les formes, en est alors comme l’image sensible : la hardiesse ne s’y montre jamais que dans la sagesse, et l’invention n’est que le bonheur de retrouver le bien de tous. […] Image grossière, mais forte, de l’impuissance de l’homme qui veut s’isoler de la terre ! […] Cet idéal du vrai, du simple, du naturel, de l’aimable, qu’il a pris plaisir à y tracer, est l’image même de son génie. […] Leurs images remplissaient les terres et les mers. […] Tout livre qui nous en donne des images sensibles trouve en nous une préparation et une conformité d’éducation première.
Il serait bien peu vraisemblable que, dès le temps où ces images étaient incessamment sous les yeux des Romains, la fête de Vénus, placée par la tradition à une des époques les plus riantes de l’année, à la saison des belles nuits et des aurores matinales, n’ait pas été embellie du charme des vers, ou même qu’on n’ait eu, pour célébrer ces gracieux souvenirs, que quelque vieux débris du rituel païen. […] Car les arts qui parlent aux sens peuvent être pervertis, s’ils ne remontent sans cesse à la source divine de l’âme ; et l’image impérieuse du beau moral les protège autant qu’elle les élève. […] Vous y sentez, non l’image des temps héroïques, mais l’oppression de l’empire.
Quelles images fait surgir aussitôt ce nom sonore ? […] C’est toujours le chercheur d’images et d’émotions. […] Mais cette expression impropre présente une image vague et magnifique. […] Chateaubriand est un grand inventeur de sensations et d’images ; mais aussi il est en proie aux images et aux sensations. […] Le style, presque tout en sensations et en images, ne faiblit point.
Qui ne conçoit nettement sous ces images la résistance qu’un grand fleuve oppose au passage des troupes, et la protection qu’en reçoivent celles qui le défendent. […] Jamais poète donna-t-il une image plus forte du pouvoir d’un dieu suprême. […] C’en serait trop si, comme chez le Camoëns, cette déesse, simplement figurée, était de plus, sous une double figure, l’image d’une autre divinité. […] Une vive allégorie nous en présentera l’image, facile à pénétrer dans les pierres qui, jetées par Deucalion et Pyrrha, s’animent aussitôt derrière eux ; mais cette image intelligible ne nous paraîtra pas si merveilleuse que les créations des dieux qui passent notre intelligence, et que leurs actions qui toutes sont des mystères impénétrables. […] Il semble craindre de matérialiser ses images, et leur ôte la consistance poétique qui les réalise.
Ce paradoxe apparent est à l’image de la complexité d’un personnage tel que René Crevel, mais aussi à l’image de la singularité de son œuvre. […] Mais Diderot va renverser cette image et s’en servir pour défendre l’idée qu’il est possible de construire une représentation de l’univers à partir de l’expérience sensorielle. […] On peut certes avoir une distance critique face au flot d’attaques qui recourent en permanence à des images violentes n’hésitant devant aucun excès de langage. […] Pour l’extase de se sentir à l’image de l’Immobile qui donc ne renoncerait à pieds et pattes, à ce qui se trémousse à l’entre-pattes. […] La vieille image de la croix à porter a fait son chemin.
Nous osons dire, sans crainte d’être démentis par ceux qui sont en état d’apprécier ses Ouvrages, qu’il le dispute à nos meilleurs Poëtes par l’agrément & la fécondité des images & des fictions, l’élégance & la variété des tours, la justesse & l’originalité des expressions, & sur-tout par l’harmonie imitative. […] Elle n’a ni expressions triviales, ni images basses, parce que le Peuple y donne le ton, & qu’une Langue qui n’est point sujette au caprice des Cours & des Académies, ne peut ni s’appauvrir, ni dégénérer*.
Or le lieu commun, chez Victor Hugo, s’exprime en images ; et non seulement l’image sert à le rajeunir en l’illustrant, mais, chez un si grand poète, elle est elle-même génératrice d’idées. […] Il pense en images et il imagine en antithèses. […] Il faudrait évoquer en regard ces images féminines qui sont les formes que prend la rêverie amoureuse de Musset, images toutes différentes et vivantes. […] Elle ne lui devient vraiment accessible que sous la forme d’image. […] Telle est la simplicité de ce mécanisme qui, sans presque de transition, change l’idée en image, l’image en sensation, la sensation en acte.
Est-ce seulement à cause de la joliveté des musiques qui s’y assourdissent, pour le charme effacé des images et des tableaux qui s’y évoquent ? […] Muhlfeld nommerait un élégiaque ; et, par Desbordes-Valmore et Sainte-Beuve, il se rattache aux minores classiques ; il excelle dans les pièces courtes où un sentiment léger peut laisser une image exacte et circonscrite.
Son temps haletant la suit et l’applaudira quand, pour résumer et sceller toutes les aspirations éparses de l’heure, elle évoquera les splendeurs du Bas-Empire, bâtira au milieu de nos brouillards industriels, un décor fleuri et somptueux de Byzance et dressera sur les imaginations éblouies l’image de Théodora, impératrice d’Orient. […] Elle s’apparente, en image, à la Madone de Baudelaire, à l’Hérodiade de Mallarmé.
Nous continuons de lire en son cœur : « Cependant un sommeil épais soulageait un peu de ses angoisses la jeune fille couchée sur son lit ; mais bientôt des songes trompeurs, pleins d’images funestes, comme il arrive dans les chagrins, venaient l’irriter. […] Et qu’on ne dise pas que les amants sont assis et non debout, et que c’est dans un roman et non dans un poëme que je prends mon exemple ; on ne dirait pas mieux ni par d’autres images s’ils étaient debout ; on dirait moins bien dans un poëme, à moins de sortir du cadre convenu. […] N’y a-t-il pas imprudence à Jason d’évoquer de telles images ? […] Réfugiée à bord du vaisseau des Argonautes, elle en redescend pour guider de nuit Jason par la forêt, et sous l’œil du dragon, qu’elle endort, à la conquête des dépouilles du bélier divin : cette scène encore est toute semée de belles images et de poésie. […] Je ne veux certes point prétendre que Virgile ne soit pas un écrivain plus parfait qu’Apollonius ; mais ici, par cela même qu’il l’imite, il raffine un peu, et, tout en traduisant merveilleusement l’image, il nous la rend un peu moins simple.
Un don mystérieux précise dans son imagination les images éblouissantes ou corrosives qu’il veut sauver de l’oubli. […] Il prétend nous livrer, en images et en fresques imposantes, un résumé schématique de tout ce qui s’agite dans le monde de la pensée, désormais occupé presque morbidement de philosophie et de sociologie. […] Elle abonde en images neuves et plastiques. […] Le style en est vif, coloré, incisif, les images saisissantes, le mouvement emporté : à chaque page surgissent des traits mordants et de vraies trouvailles d’expression. […] Si les images en sont riches, en effet, la contexture générale en demeure bien française.
Et je ne sais si l’amour du néant est contagieux ou si cet amour n’est pas le suprême mensonge et la dernière et incurable illusion faite de la ruine de toutes les autres ; mais volontiers, séduit par le maléfice de ces admirables vers qui aspirent au néant en empruntant à l’Être de si belles images, on s’unirait, avec un désespoir voluptueux, à l’oraison du poète : Et toi, divine Mort où tout rentre et s’efface, Accueille tes enfants dans ton sein étoilé ; Affranchis-nous du temps, du nombre et de l’espace. […] Rien n’a de substance ni de réalité ; toute chose est le rêve d’un rêve ; et la Vision de Brahma est un obscur poème qu’il faut lire sous le poids d’un grand soleil, quand la tête se vide, quand la mémoire fuit, quand la volonté se dissout, quand on reçoit des objets voisins des impressions si intenses qu’elles tuent la pensée, quand on sent sur soi de tous côtés la molle pesée de la vie universelle et que le moi y résiste à peine et voudrait s’y perdre tout entier, quand la vie arrive à n’être plus qu’une succession d’images sur lesquelles ne s’exerce plus le jugement et que l’on conserve juste assez de conscience pour souhaiter qu’elle s’évanouisse tout à fait, parce qu’alors il n’y aurait plus rien, plus même d’images, et que cela vaudrait mieux. […] Viennent alors les idylles, Glaucé, Klytie, Kléariste, la Source, etc., songes d’amour enchanté, tout près de la nature, pleins d’images ravissantes, presque sans pensée. […] Il se contente de la dérouler en des vers pareils à des joyaux trop riches et trop chargés de pierreries, en des strophes où tout est images et où toutes les images sont au premier plan et fatiguent presque à force de précision lancinante. […] Par là la netteté du rythme répond à celle des images et les dessine en quelque sorte pour l’oreille ; et la régularité un peu monotone de la phrase musicale est encore, pour le poète, une façon d’exprimer à la fois et d’entretenir le calme de sa contemplation.
L’homme y étant à l’image de l’État, elle n’a parfaitement connu que l’homme dans ses relations avec l’État. […] En peu de temps, Genève fut faite à l’image de cet homme, dont la vie ne devait être désormais qu’un jeûne et une insomnie, dur aux autres comme il l’était à lui-même, et qui travailla plus qu’homme vivant, même dans ce siècle des travaux prodigieux et des vies consumées par la fièvre du savoir. […] C’est aux endroits où ils sont modérés, où leur humeur n’est pas plus forte que leur raison, qu’on reconnaît une première image complète de cet esprit français, le plus libre et le plus discipliné qui soit au monde. […] L’image de cet esprit pénétrant et audacieux par lequel Calvin s’éleva principalement en France, au-dessus de Luther, reluit dans la hardiesse et la subtilité de sa langue. […] Il ne tire pas une seule image de cette magnifique nature où éclate la bonté de Dieu pour ces mêmes hommes que Calvin traitait comme des damnés.
Des images riches, agréables & toujours variées ; des peintures naturelles de la vie champêtre, font l’ornement de sa prose. […] On y voit un auteur abondant dans ses expressions, presque toujours juste dans ses comparaisons, riche dans ses images, intéressant dans la conduite de sa piéce. […] Où trouver des images plus grandes, plus sublimes, une poésie plus mâle, plus énergique, des idées plus neuves, plus hardies ? […] On trouve dans ce petit Poëme de l’invention, du dessein, de l’ordre, du merveilleux, de la fiction, des images & des pensées ; en un mot, ce qui constitue la vraie poésie. […] Sa version est plus fidéle que celle de M. de la Place, qui, lorsqu’il trouve dans les productions britanniques des images ou des expressions basses & ridicules, a soin de rectifier l’original.
La parole intérieure est une image ; la pensée, prise en elle-même, contient aussi des images, si même elle n’est pas, comme on l’a soutenu, une simple succession de groupes d’images : […]243. […] Cette image, qui n’est jamais externée, qui rarement est reconnue, qui n’a d’ordinaire ni un objet extérieur ni un objet passé [ch. […] Le peintre compare son dessin à l’image intérieure qui est présente à son esprit ; sans cette image, comment reconnaîtrait-il ?
Le troisième nous transporte au haut d’une maison dont la façade est peinte en couleur bleu de ciel ; dans sa petite chambre, sous la tuile, Jasmin, qui n’est qu’apprenti encore, à la lueur d’une lampe dont le reflet se joue aux feuilles du tilleul voisin (toujours de gaies images), Jasmin passe une partie de ses nuits à lire, à rêver, à versifier déjà. […] Jasmin a adressé, en 1832, une pièce de vers français à Béranger, son patron naturel en notre littérature ; ces vers faciles et corrects, mais communs, prouveraient, s’il en était besoin, que le français est pour Jasmin une langue acquise, et que la couleur, l’image, la pensée, lui viennent en patois. […] Jasmin prend peut-être quelques licences de tours, ou du moins il profite en cela des habitudes introduites ; il cède un peu trop, sans y songer, à ce flot de gallicismes qui vont chaque jour s’infiltrant ; tout en observant parfaitement la grammaire locale, il ne recourt peut-être pas assez à certaines locutions par lesquelles l’idiome du Midi se distinguait du français du Nord, et qu’on pourrait sauver ; en un mot, ce n’est pas un poëte remontant du patois à la langue par l’érudition ; mais c’est un poëte pur, soigné en même temps que naturel dans l’expression, habile et curieux aux mots vifs de son vocabulaire ; rien de rocailleux, rien de louche chez lui, et, pour parler selon ses images, son clair Adour, à nos yeux, semble courir sans un flot troublé47. […] « C’est Baptiste et sa fiancée qui allaient chercher la jonchée48…. » Jamais gaieté nuptiale de jeunes garçons et de jeunes filles n’a été exprimée dans un rhythme plus dansant, dans une langue plus vive, plus claire de sons et d’images, plus fringante elle-même et plus guillerette, pour ainsi dire. […] Ainsi, en lisant celte énergique et gracieuse peinture de sa Marguerite, je ne puis m’empêcher de me reporter à la Simétha de Théocrite, lorsque, racontant le jour où le beau Delphis vint la visiter pour la première fois, elle s’écrie : « Dès que je le vis franchissant le seuil de la porte d’un pied léger, je devins tout entière plus froide que la neige, et la sueur me découlait du front à l’égal des humides rosées ; je ne pouvais rien articuler, pas même de ces petits cris que les enfants poussent en songe vers leur mère ; mais tout mon beau corps resta figé, pareil à une image de cire.
Voici comment les choses se passèrent à Rouen : une crèche derrière l’autel, avec l’image de la Vierge ; un enfant, d’un lieu élevé, figurait un ange et annonçait la nativité ; les pasteurs, vêtus de la tunique et de l’amiet, traversaient le choeur, et l’ange leur disait un verset de saint Luc. […] La langue d’oïl apparaît dans deux des trois pièces latines qu’a écrites un disciple d’Abailart nommé Hilaire : dans une Résurrection de Lazare et dans un Jeu sur l’image de saint Nicolas. […] Le roi païen, surpris, veut vérifier le pouvoir de l’image. […] Des scènes décousues qui défilent devant nous comme une collection d’images sous les yeux d’un enfant, nulle préoccupation des caractères, des sentiments et de la vie intérieure, une stricte déclaration des pensées précisément nécessaires pour rendre les actes intelligibles dans leur suite, mais non pas dans leur production, un courant facile et plat de style où sont semés des îlots de rondels, motets et chansons, certains raffinements d’art, et point de poésie : voilà ces Miracles de Notre-Dame. […] Tout cela, un jour, aidera la comédie, cette fidèle et suggestive image de l’humanité, à sortir de la farce vainement fantaisiste, ou réaliste sans portée.