… L’envahissement du scepticisme dans le cœur du poëte, depuis ces premières et chastes hymnes où il s’était ouvert à nous, cause une lente impression d’effroi, et fait qu’on rattache aux résultats de l’expérience humaine une moralité douloureuse. […] Or le poëte, qui possède cependant une vertu de volonté si efficace et qui en donne chaque jour des preuves assez manifestes dans le cours de son infatigable carrière, semble en être venu, soit indifférence pratique, soit conscience de l’infirmité humaine en ces matières, à ne plus appliquer cette volonté à la recherche ou à la défense de certaines solutions religieuses, à ne plus faire assaut avec ce rocher toujours instable et retombant. […] Il écoute, pensif, marcher le genre humain !
Quelle que soit la religion du genre humain pour Tacite, il n’est pas interdit de l’examiner et de percer sur de certains points au fond des choses à travers le talent : « La littérature latine, disait M. […] En général, Tacite, qui pénètre si avant dans le cœur humain, n’a pas la même portée pour sonder (quoiqu’il en ait la prétention) lesplus hautes causes des événements. […] est trop humain, il est trop chrétien par l’esprit, trop nourri des idées épurées de justice pour accepter jamais, même à deux mille ans de distance, une telle solution.
La raison développée depuis dix-huit cents ans dans la nature humaine s’est établie par contre-coup dans la nature divine, et a tempéré la toute-puissance sans frein, le despotisme formidable que le spectacle du désert et la roideur de l’esprit arabe y avaient mis. […] Le genre humain misérable et damné, comme le peuple de France déguenillé et hâve, doit se résigner à sa condition, obéir avec amour, s’oublier dans la contemplation de la splendeur royale et du pompeux établissement où il est compris. […] Ajoutez que les habits et les physionomies humaines ont changé depuis Homère, tandis que les bêtes sont les mêmes.
Appuyée sur l’antiquité, l’Italie prenait confiance en la nature humaine, confiance en la raison ; écartant la contrainte du dogme, la tristesse de l’ascétisme, elle faisait en tous sens l’expérience des forces de l’esprit : forte de la première et saisissante victoire de la raison sur la théologie dans la découverte de Colomb, elle affranchissait les sciences et la philosophie, et s’essayait librement, par toute sorte de pointes hardies, à les constituer dans leur pleine indépendance. […] Rompant tous ses liens, rejetant la gêne de la loi morale, l’oppression des préjugés et des respects traditionnels, l’individu tend à être le plus longtemps possible : il affirme que sa valeur est en lui, et de lui ; le mérite seul inégalise l’égalité naturelle des hommes ; l’idée de la gloire raffine l’égoïsme instinctif, et fournit un principe d’action suffisamment revêtu de beauté ; par elle, l’individu emploie sa vie à se créer une vie idéale après la mort, plus prochaine et plus humaine en quelque sorte que l’éternité promise au juste chrétien. […] Mais partout, dans l’aise élégante de la vie comme dans l’élan hardi de la pensée, une sensation esthétique se dégageait : dans la politique, l’amour, la philosophie, la science, le besoin s’enveloppait d’art, et l’activité humaine, s’affranchissant des fins particulières qu’elle poursuivait, les dépassant, se complaisait dans la grâce de son libre jeu, ou se réalisait en formes d’une absolue beauté.
Il a raison en un sens, car toute direction exclusive est préjudiciable au bon gouvernement des choses humaines. […] L’idée de Jésus fut bien plus profonde ; ce fut l’idée la plus révolutionnaire qui soit jamais éclose dans un cerveau humain ; elle doit être prise dans son ensemble, et non avec ces suppressions timides qui en retranchent justement ce qui l’a rendue efficace pour la régénération de l’humanité. […] Jésus, en même temps qu’il annonçait un bouleversement sans égal dans les choses humaines, proclamait les principes sur lesquels la société repose depuis dix-huit cents ans.
Celui qui traite un livre comme un passant, avec l’indifférence distraite et malveillante du premier coup d’œil, ne le comprendra vraiment point ; car la pensée humaine, comme l’individualité même d’un être, a besoin d’être aimée pour être comprise. […] C’est que l’affection éclaire ; le livre ami est comme un œil ouvert que la mort même ne ferme pas, et où se fait toujours visible en un rayon de lumière la pensée la plus profonde d’un être humain. […] De tout ce qui précède, nous pouvons conclure le caractère éminemment sociable du vrai critique, qui doit s’adapter à toutes les formes de société, non pas seulement à celles qui ont existé historiquement, mais à celles qui peuvent exister entre des êtres humains et que toute œuvre de génie exprime par anticipation.
Ainsi, — pourvu néanmoins qu’on ne cherche pas dans des pays et dans des faits qui appartiennent à l’histoire, ces impressions surnaturelles, ces grossissements chimériques que l’œil des visionnaires prête aux faits purement mythologiques ; en admettant le conte et la légende, mais en conservant le fond de réalité humaine qui manque aux gigantesques machines de la fable antique, — il y a aujourd’hui en Europe un lieu qui, toute proportion gardée, est pour nous, au point de vue poétique, ce qu’était la Thessalie pour Eschyle, c’est-à-dire un champ de bataille mémorable et prodigieux. […] Sous ces griffes d’acier, sous ces pieds de pierre, faites broyer le cœur humain. […] Un jour, espérons-le, le globe entier sera civilisé, tous les points de la demeure humaine seront éclairés, et alors sera accompli le magnifique rêve de l’intelligence ; avoir pour patrie le monde et pour nation l’humanité.
Les mœurs du monde lui étoient moins connues que les passions du cœur humain ; & il réussit aussi mal à plaisanter ou à peindre des choses ridicules, qu’il excelle à exprimer le sentiment. […] L’auteur a beaucoup de feu & d’esprit ; il connoît le cœur humain ; il sçait développer habilement un caractère. […] Tous les traits de ses tableaux servent à faire connoître les hommes & à développer les replis du cœur humain.
Dans le roman de Mme Haller, Dieu, il est vrai, se trouve nommé à plus d’une place, mais jamais il n’y agit directement… L’auteur ne croit guère qu’à la vertu purement humaine. L’héroïne de Vertu, très au-dessus du héros, comme dans tous les romans de femme, est aussi une vertu humaine ; mais si elle est humaine dans tous les deux, les passions, certes !
Le mariage est une loi dont les hommes, pauvres sacrilèges, ont voulu faire une institution… Si j’étais législateur, j’écrirais un seul article dans le code humain, L’Amour OU le mariage étant d’institution divine est nécessairement indissoluble. […] Mme André Léo, probablement née avec cet instinct religieux qui fait tendre en haut la créature humaine, y tend encore, dans les idées qu’elle vient d’exprimer ; mais tendance vaine ! […] Les Pasteurs de Virgile n’y sont pas, mais les agriculteurs du Progrès, avec leurs charrues mécaniques et l’économie philanthropique de la sueur humaine sur le sillon, car le travail, c’est la liberté !
Si les races humaines supérieures doivent commander nécessairement aux races inférieures, il n’y a donc dans le monde, selon le mot de Tacite, que des hommes faits pour commander et d’autres pour obéir. […] Au regard d’esprits plus préoccupés des choses intellectuelles que des choses morales dans l’histoire, il y a certainement dans quelques-unes de ces sociétés américaines des côtés formidables et brillants que tous les adorateurs de la force doivent admirer et même avec terreur, ce qui est pour la lâcheté humaine le dernier degré de l’admiration ! […] Pour qui sait les annales du genre humain et qui a la tête assez forte pour y lire sans être aveuglé, il n’y a qu’une civilisation qui mérite ce nom de civilisation, si c’est un si grand honneur que de le porter, et c’est celle-là qui est sortie de l’Évangile et du Christianisme pratiqué.
Le vrai et secret motif de ce livre, c’est de constater que le plus beau mouvement de l’esprit humain qui s’est produit en Angleterre (le plus beau, j’en conviens, mais je l’explique autrement !) est une éclosion démocratique, à l’état d’enveloppement d’abord, à l’état de développement ensuite, et qui tout à l’heure éclate de partout, comme la fleur du cactus après son incubation mystérieuse et centenaire, Odysse Barot proclame., avec la tuméfaction à la tête de l’orgueil, — car l’orgueil est hydrocéphale, — que l’esprit humain va de ce côté ; que l’avenir, ô bonheur du ciel mis sur la terre ! […] Le beau, dans sa pureté céleste, dans son incompatibilité transcendante avec les autres choses humaines, est pour eux un luxe, une inutilité.
Que si, au contraire, l’oubli a eu raison de s’étendre sur les plateaux pyrénéens, si ces peuplades intermédiaires — Catalans, Aragonais, Navarrais, Béarnais et Basques, — ne sont placées aux frontières de France et d’Espagne que pour appointer des forces respectives et jeter dans la balance des intérêts de ces deux pays le poids de leurs atomes orageux ; si, enfin, toute cette paille d’hommes hachés par les événements et par la guerre n’est là — comme on pourrait le croire — que pour faire fumier aux grandes nations qui résument l’Europe, et par l’Europe le genre humain, à quoi bon remuer, avec un tel détail, ce monde de faits sans signification vive et profonde, et sous lesquels le lecteur périt accablé ? […] … Quand on l’aura lu, sera-t-elle bien et dûment convaincue, cette ingrate Histoire, d’avoir oublié dans ses annales des pages qui étaient nécessaires à l’intelligence du passé et à la grandeur du genre humain ? […] L’individualisme, qui pond ses affreux petits œufs dans tous les nids de l’esprit humain, l’individualisme a gâté l’Histoire en entrant chez elle.
Si le politique Charles-Quint, mi-parti d’Autrichien, de Flamand, de Bourguignon, et dont le génie, mêlé au génie de plusieurs races, était écartelé comme son blason impérial, si ce Charles-Quint ne fut pas un moine et ne songea jamais à l’être, malgré la piété très profonde de toute sa vie, l’Espagne était, elle, qu’on nous passe le mot, une nation moine (una monja), et tellement moine d’éducation, d’habitude et de préjugés, que c’est à l’influence de cette nation cloîtrée dans des mœurs religieuses comme il n’en avait peut-être existé nulle part, que Charles-Quint dut ces impulsions monastiques dont la philosophie a été la dupe, et qui étaient parfaitement contraires à la nature positive et tout humaine de son génie. […] Elle avait enfin développé et fortifié cette conscience religieuse qui régnait en Espagne plus despotiquement que le Roi lui-même et qui l’envoyait, malgré sa toute-puissance et la révolte de la nature humaine dans son cœur, aux auto-da-fé de ce tribunal implacable, mais populaire, et le forçait d’y assister, lui, le Roi, comme un simple corrégidor, un simple alcade, — un simple bourreau ! […] Sans précisément interdire ces détails, nous aimerions mieux la recherche des causes morales qui font les grands hommes que toutes ces notions inférieures qui ne sont que l’histoire de la bête humaine.
Ce sont des historiens non plus de derrière les faits, mais du fond des faits ; des historiens qui osent faire penser et écrire l’Histoire par ceux mêmes qui l’ont faite ; qui, par une merveilleuse intuition rétrospective, la prennent à la source humaine dont elle est sortie, — dans la conscience révélée de ceux qui l’ont créée ; qui se mettent enfin, sans façon, sur les épaules, la tête de Sylla ou de Richard III, et parlent par leur bouche comme ils auraient parlé eux-mêmes, s’ils avaient voulu se faire comprendre et expliquer leurs actes à la Postérité… Ah ! […] La poésie ressemble, d’essence, au masque du théâtre antique, qui amplifiait les proportions du visage humain. […] Elle y est humaine, touchante et chaste.
Car quoi de plus intéressant et de plus instructif que le double fond de cette boîte humaine à surprise, qui, lorsqu’on n’y croit qu’un seul homme, tout à coup en fait partir deux ? […] Sous le Humboldt de la grande nature, il y avait le Humboldt de la petite et même de la très petite, l’observateur de l’insecte humain. […] Ailleurs encore, il pose l’unité du genre humain, mais il nie la seule tradition qui l’explique.
Le problème de cœur et de nature humaine posé par la correspondance de Madame Geoffrin, et qu’aurait agité certainement Stendhal, par exemple, l’auteur du traité De l’amour, s’il avait lu cette correspondance, ne préoccupe pas beaucoup l’esprit calme de cet éditeur sans enthousiasme, de ce peintre scrupuleux (est-ce de couleur ou de moralité ? […] M. de Mouy a une telle peur de trouver sa Madame Geoffrin trop sensible, cette femme qu’il a besoin, comme son éditeur, d’estimer, qu’il voit de l’ampoulé littéraire partout où il y a de l’intensité de nature humaine ; et c’est ainsi que, rougissant pour elle, il fait, sinon à sa vertu, du moins à sa sagesse, de la grammaire un éventail ! […] Il y a tant de malchance dans les choses humaines que, sans faire une faute, il périt à l’œuvre, la conscience pure.
Car, quoi de plus intéressant et de plus instructif que le double fond de cette boîte humaine à surprise qui, lorsqu’on n’y croit qu’un seul homme, tout à coup en fait partir deux ! […] Sous le Humboldt de la grande nature, il y avait le Humboldt de la petite et même de la très petite, l’observateur de l’insecte humain. […] Ailleurs encore il pose l’unité du genre humain, mais il nie la seule tradition qui l’explique.
Le moraliste, dans la vraie acception de ce mot, est tout simplement l’homme qui sait la nature humaine, qui la connaît à fond, qui l’a sentie en lui, qui l’a étudiée dans les autres. […] Quand il a un certain génie, cet homme-là s’appelle Shakespeare ou Molière ; quand il en a un certain autre, La Rochefoucauld, La Bruyère, Vauvenargues ; mais, quand il est prêtre et qu’il a quelque intelligence, il en sait plus sur la nature humaine que les hommes d’un génie supérieur au sien. […] Lacordaire a dépassé Massillon des cent ans de civilisation qui ont, depuis l’auteur du Petit nombre des élus, roulé sur nous et corrompu l’âme humaine.
Et comme avant Darwin et Proudhon, ces grands scélérats intellectuels, on n’avait pas encore vu ces abominations qui sont le fond de l’abîme dans l’ordre de la pensée et après lesquelles il n’y a plus que la mort de l’Esprit humain à plat ventre dans ses ténèbres, on n’avait pas entendu non plus — car dans les vieilles civilisations les poètes ne viennent qu’après les philosophes — de poésie vibrant à l’unisson de ces épouvantables et damnés penseurs. […] Ces cruelles et sacrilèges Poésies, qui insultent Dieu et le nient, et le bravent, rappellent involontairement les plus grandes douleurs de l’orgueil humain, et on y retrouve comme un grandiose souvenir des yeux convulsés de la Niobé antique, des poignets rompus du Crotoniate et de la cécité de Samson dans l’entre-deux de ses piliers, — cette terrible cécité, qui renverse quand elle tâtonne ! […] Jouet de l’ouragan qui l’emporte et le mène, Encombré de trésors et d’agrès submergés, Ce navire perdu, mais c’est la nef humaine, Et nous sommes les naufragés !
Lamartine sema autour de lui des adorateurs, qui chantèrent, à leur tour, sur ce mode nouveau qu’il avait inventé ; car c’est le destin des grands poètes de produire des imitateurs qui vengent la médiocrité humaine de la supériorité du génie, et l’empêchent d’avoir trop d’orgueil en le forçant de se regarder dans le miroir diminuant de leurs œuvres. […] Rien de moins difficile que de faire pleurer ; Excepté les larmes que l’admiration fait couler, excepté celles de César devant la statue d’Alexandre, je méprise assez cette eau qui coule et je la laisse couler… Saint Maur, qui est d’un naturel trop franc et trop à pleine main pour jamais rien affecter, tempère, sous le dictame de son esprit, les tristesses qui sont le fonds commun de la misérable nature humaine. […] Mais je crois bien que s’il est un poète qui puisse devenir populaire, c’est Saint-Maur, malgré la hauteur de la sienne, et par la raison que sa poésie, avec son accent profondément humain et sensible, est au niveau de tous les cœurs.
Seulement, après les chefs-d’œuvre, il faut compter pour les seconds ces livres spirituels dont le cœur humain fait le fond, qui s’appellent René ou Werther, Ourika, Édouard, Frère Ange ou Adolphe, et qui furent écrits avec cette goutte d’encre dont parle Joubert, qui peut bien mettre du temps à tomber, mais qui, en tombant, devient une goutte de lumière. […] Voilà ce sur quoi il n’a point assez appuyé, et ce qui a ôté à son livre tout sens profond en nature humaine et aussi en moralité. […] Après le livre d’Édouard Gourdon, nous voulons en examiner un qui n’a rien de littéraire, et qui n’en mérite pas moins, comme beaucoup de livres qui ne sont pas les moins précieux parmi les livres, d’arrêter un instant le regard d’une Critique qui voit la chose humaine bien avant la chose littéraire.
Mais pour la majorité des esprits qui pensent, avant tout, à être littéraires quand ils écrivent, on peut dire qu’on est revenu de toute part maintenant au roman de moyenne proportion, qui n’a pas la prétention napoléonienne de brasser tout un monde de caractères et de passion comme Napoléon brassait les masses dans ses carrés de bataille ; à ce genre de roman, enfin, qui n’est que l’étude de l’individualité humaine et qui, sans avoir pour cela besoin d’être modeste, se contente d’une passion (tout un infini) à creuser, d’une situation à frapper de lumière et d’un caractère à faire vivre. […] L’auteur de Christian 35 est, à la vérité, également apte aux choses de l’imagination et de l’observation humaines et à celles de l’érudition et de l’observation littéraires ; mais jusqu’ici, dans le bruit et les hasards de sa renommée, ce sont ces dernières qui l’ont emporté. […] Cette correspondance entre les deux jeunes filles, cette correspondance qui dure trop peu et qui, si elle avait été la forme intégrale du roman, en eût certainement fait un chef-d’œuvre, est d’un maître en observation ou en divination humaine.
C’est de toi qu’il dépend de donner et de conserver la vie aux périssables humains. […] La douleur irritée de Cérès, la vengeance dont elle menace les humains en laissant la terre inculte, est vaincue par les prières de Rhéa, sa mère, et par la promesse qu’elle reverra sa fille et passera désormais avec elle dans l’Olympe les deux tiers de l’année. […] C’est lui qui dit dans de beaux vers ïambiques45 : « Il n’est dans les choses humaines rien d’inespérable, rien qu’on doive nier, rien qui puisse surprendre : car Jupiter, le maître des dieux, fait du plein midi sortir la nuit, quand il a voilé la lumière du soleil resplendissant ; et une froide terreur est descendue sur les hommes.
Son aventure est tout humaine. […] La Révolution, fatale au pittoresque de la vie humaine, a passé par là. […] C’est que je ne sens chez Malandran rien de vrai ni rien d’humain. […] Elle est fine, elle est gaie, elle est brillante, et elle est touchante, humaine et vraie. […] Je fais sur moi un retour pénible, et bien humain.
Nul respect humain ; l’empire des convenances et l’habitude du savoir-vivre ne commenceront que sous Louis XIV et par l’imitation de la France ; en ce moment, tous disent le mot propre, et c’est le plus souvent le gros mot. […] On l’aperçoit, la terrible machine ; dressée sur toutes les routes de la vie humaine ; les petites y conduisent comme les grandes. […] La tragédie se détache symétrique et nette au milieu de la vie humaine, comme un temple complet et solitaire qui dessine son contour régulier sur le bleu lumineux du ciel. […] — Le sommeil aussi, seigneur, et toute chose qui est humaine et mortelle. […] Comprenez-vous qu’un être humain se détache ainsi de lui-même, qu’il s’oublie et se perde dans un autre ?
C’est en réalités humaines qu’elle éclate à l’âme du poète. […] Mais tout ce que nous savons de la nature humaine nous dit qu’un visage de l’inévitable amour y est présent. […] La vie des enfants ne répare point la vie manquée des pères, elle est de la vie même, manquée à son tour dans une certaine mesure, comme toute vie humaine. […] « Je n’ai ni pesanteur, ni solidité, ni fixité et n’ai pas le préjugé opaque qui pèse sur les yeux humains, le préjugé de l’existence. » Le Journal lui sert à se débarrasser, par l’écriture, de ce reste de solidité, d’action, de technique, d’ homo faber , que comportent, malgré tout, la condition humaine, l’organisme humain, la main qui fabrique encore en écrivant. […] « À mon pupitre, je puis ressentir toutes les passions humaines successivement ; mais aucune ne m’emprisonne, c’est là ce qui me sauve. » Et ce qui le perd.
« Cœur humain, corps humain, mystère… » De la physiologie M. […] Il dispose souverainement de la vie humaine. […] Ils consistent l’un et l’autre dans une simplification de l’être humain. […] Il brise les obstacles, les faibles obstacles que lui oppose la volonté humaine. […] La grande affaire reste toujours de nous renseigner sur l’énigme humaine.
N’appauvrissons pas la mémoire humaine et le Panthéon du passé d’une grande image. […] Selon moi, et si je m’écoute, Auguste Comte ne serait qu’un des hommes qui, depuis Lessing, Turgot, Condorcet, Saint-Simon, conçoivent le progrès de la société et celui de l’entendement humain selon une certaine ligne qu’on peut admettre dans sa généralité sans aller pourtant jusqu’à la serrer de trop près dans le détail. […] Comte ; il entendait bien avoir trouvé la formule précise de ce développement humain, tant dans le passé que dans le présent et l’avenir. […] Mais, cela dit, il ne reste pas moins incontestable qu’il faut tôt ou tard, dans ce vaste arriéré humain qui s’amoncelle, en venir à des lois, à des règlements du passé, à des conceptions sommaires, fussent-elles un peu artificielles, à des méthodes qui ressemblent à ces machines qui abrègent et résument un travail de plus en plus interminable et infini. […] Il y a une belle remarque d’Hippocrate dans son Traité des Airs, des Eaux et des Lieux : « Ce sont, dit-il, les changements du tout au tout qui, éveillant l’intelligence humaine, la tirent de l’immobilité.
Les uns avaient ramassé les légendes gigantesques, accumulé les rêves, fouillé l’Orient, la Grèce, l’Arabie, le moyen âge, et surchargé l’imagination humaine des couleurs et des fantaisies de tous les climats. Les autres s’étaient guindés dans la métaphysique et la morale, avaient rêvé infatigablement sur la condition humaine, et passé leur vie dans le sublime et le monotone. […] — Était-ce humain de me faire une tombe si rude, — à moi qui ai toujours eu le sommeil léger ? […] Les religions, leur gloire et leur ruine, le genre humain, ses douleurs et sa destinée, tout ce qu’il y a de sublime au monde lui est alors apparu dans un éclair. […] Il n’a pas été un simple dilettante ; il ne s’est pas contenté de goûter et de jouir ; il a imprimé sa marque dans la pensée humaine ; il a dit au monde ce que c’est que l’homme, l’amour, la vérité, le bonheur.
Il est donc naturel que l’union soit plus intime entre ces deux branches de la culture humaine ; et en effet parfois elles exercent l’une sur l’autre une action directe, toujours elles présentent dans leur développement des analogies frappantes. […] A tous deux la voix humaine sert d’instrument ; à tous deux les mouvements de l’âme sont une matière inépuisable. […] L’histoire littéraire doit bénéficier à son tour de la faculté précieuse acquise par l’intelligence humaine ; et, pour commencer, elle ne peut pas oublier les liens qui rattachent la littérature à l’ameublement. […] Car toujours les variations de l’idéal en matière de beauté humaine les provoquent, les reproduisent ou les accompagnent. […] On croirait parfois que les gorgones, les guivres, tous les monstres inventés et prodigués dans les cathédrales par l’imagination des artistes se sont détachés de l’édifice et sont venus folâtrer parmi les humains.
Jupiter se joue, disait Héraclite, et le monde se fait ; le darwinisme applique un adage semblable au monde des idées : la nature, par un de ses jeux, a produit un cerveau qui mieux que les autres lui servait de miroir, le cerveau humain, et elle s’y est contemplée. […] Mais ces deux règles fondamentales de l’existence en commun ne s’appliquent pas seulement à cette société de cellules dont nous sommes la conscience à la fois collective et personnalisée ; elles s’appliquent de même à la société humaine dont nous faisons partie intégrante et active. […] Il faut que le membre de la cité humaine pense toutes choses, sinon sub specie æterni, du moins sub specre civitatis. […] Il aurait dû, selon nous, adopter pour le monde entier l’hypothèse de l’harmonie sympathique, au lieu de l’harmonie préétablie ; il aurait dû surtout transporter cette conception dans la société humaine, où nul ne peut vivre sans sympathiser logiquement avec ses semblables. […] La parole humaine a des ailes : elle s’envole au-dessus de la réalité présente et des besoins immédiats ; elle est l’idée même revêtue d’un corps subtil et se faisant le plus possible immatérielle ; elle est la raison manifestée, le « verbe ».
Le bien a pour tombeau l’ingratitude humaine. […] En entendant de tels soupirs au milieu de tels blasphèmes, on ne sait en vérité s’il n’y a pas plus de vertu que de scepticisme dans une pareille âme, et si Musset n’est pas un esprit céleste, masqué en esprit satanique pendant ce triste carnaval de sa vie humaine ? […] Ils laissent s’égayer ceux qui vivent un temps ; Mais les festins humains qu’ils servent à leurs fêtes Ressemblent la plupart à ceux des pélicans. […] Quelle main, de ton luth en parcourant la gamme, A changé tout à coup la clef de ta jeune âme, Et fait rendre à l’esprit le son du cœur humain ? […] Et, distillant ton sang de sa pointe rougie, Mêlé la pourpre humaine au nectar de l’orgie ?
Il lut au roi Robert les premiers chants de l’Afrique, et soutint pendant trois jours un examen public sur la plupart des connaissances humaines. […] Le bonheur de Laure ne peut être compris par l’intelligence humaine, et pourtant Laure attend son amant dans le ciel. […] Il montra de bonne heure une avidité remarquable pour toutes les parties de la science humaine. […] Toutes les formes de la pensée humaine ont besoin d’une langue précise. […] Il y a, dans cette manière d’envisager la faiblesse humaine, une grandeur, une sérénité qui ne peuvent échapper aux esprits animés de sentiments religieux.
Madame était naturellement juste, humaine, compatissante. […] Cependant « Le Malade imaginaire n’est pas celle des comédies de Molière que j’aime le mieux, disait-elle ; Tartuffe me plaît davantage. » Et dans une autre lettre : « Je ne puis vous écrire plus long, car on m’appelle pour aller à la Comédie ; je vais voir Le Misanthrope, celle des pièces de Molière qui me fait le plus de plaisir. » Elle admirait Corneille, elle cite La Mort de Pompée ; je ne sais si elle goûta Esther : elle aurait aimé Shakespeare : « J’ai souvent entendu Son Altesse notre père, écrivait-elle à sa demi-sœur, dire qu’il n’y avait pas au monde de plus belles comédies que celles des Anglais. » Après la mort de Monsieur et durant les dernières années de Louis XIV, elle avait adopté un genre de vie tout à fait exact et retiré : « Je suis ici fort délaissée (5 mai 1709), car tous, jeunes et vieux, courent après la faveur ; la Maintenon ne peut me souffrir ; la duchesse de Bourgogne n’aime que ce que cette dame aime. » Elle s’était donc faite absolument ermite au milieu de la Cour : Je ne fraye avec personne si ce n’est avec mes gens ; je suis aussi polie que je peux avec tout le monde, mais je ne contracte avec personne des liaisons particulières, et je vis seule ; je me promène, je vais en voiture ; mais depuis deux heures jusqu’à neuf et demie, je ne vois plus figure humaine ; je lis, j’écris, ou je m’amuse à faire des paniers comme celui que j’ai envoyé à ma tante. […] Arrivée à Versailles au moment où l’astre de La Vallière déclinait et s’éclipsait, ayant vu les dernières années brillantes, elle entre peu dans cet ordre délicat et qui était fait pour flatter l’imagination : mais sans y entendre finesse, et tout uniment par sa franchise, elle nous découvre à nu la seconde partie du règne sous son aspect humain et très humain, naturel, et, pour tout dire, matériel.
Si quelque chose pouvait être nécessaire pour convaincre de la profonde sincérité chrétienne de Fénelon et de sa haute rectitude morale, cette correspondance avec le duc de Bourgogne ou à son sujet suffirait à en donner la preuve ; car, au point de vue humain et à celui de la Cour, il n’est rien de plus vif, de plus désobligeant, de plus blessant même ni de plus âpre en fait de vérité : il n’y a rien là qui tende à ménager et à prolonger le crédit par aucune flatterie ni louange. […] Pourtant, comme il se mêle à tout cela bien de l’irréflexion et de la mode, selon notre usage français de tous les temps, il arrivera que pendant la très courte année où le duc de Bourgogne, devenu Dauphin après la mort de son père, se mettra un peu en frais de bonne grâce et en attitude de plaire, l’opinion se retournera subitement en son honneur, célébrera en lui une transformation soudaine, et, quand on le perdra quelques mois après, il sera pleuré comme un prince irréparable, les délices trop tôt ravies du genre humain. […] Fénelon, qu’on a pu accuser avec raison d’être quelquefois chimérique, et qui a eu un coin de poésie et d’idéal que, dans sa jeunesse du moins, il transportait volontiers dans les choses humaines, se garde tout à fait de ce penchant lorsqu’il juge et qu’il exhorte le duc de Bourgogne. […] Ce fut alors une inspiration générale, un souffle naturel qui se répandait dans toute une classe d’esprits élevés, ou simplement humains, sensés et doux.
Tout, dans les sociétés humaines, la liberté comme le reste, nous paraît essentiellement relatif et dépendant d’une foule de circonstances. […] Développons, autant qu’il est en nous, l’intelligence, la moralité, les habitudes de travail dans toutes les classes de la société française ; cela fait, nous pourrons mourir tranquilles ; la France sera libre, non de cette liberté absolue qui n’est point de ce monde, mais de cette liberté relative qui seule répond aux conditions imparfaites, mais perfectibles, de notre nature. » C’est fort sensé, et du moins, on l’avouera, très spécieux ; mais cela ne satisfait point peut-être ceux qui sont restés entièrement fidèles à la notion première et indivisible de liberté, et je ne serai que vrai en reconnaissant qu’il subsiste, toutes concessions faites, une ligne de séparation marquée entre deux classes d’esprits et d’intelligences : Les uns tenant ferme pour le souffle de flamme généreux et puissant qui se comporte différemment selon les temps et les peuples divers, mais qui émane d’un même foyer moral ; estimant et pensant que tous ces grands hommes, même aristocrates, et durs et hautains, que nous avons ci-devant nommés, étaient au fond d’une même religion politique ; occupés avant tout et soigneux de la noblesse et de la dignité humaines ; accordant beaucoup sinon à l’humanité en masse, du moins aux classes politiques avancées et suffisamment éclairées qui représentent cette humanité à leurs yeux. […] J’apprécie autant que d’autres la dignité humaine. […] Je ne refuse certes pas aux hommes de liberté cet humain et généreux souci ; mais le moyen chez eux est un principe sacré autant que le but.