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626. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Merrill, Stuart (1863-1915) »

De plus, si sa ligne est ferme, le trait n’a jamais de dures arêtes, et c’est bien comme les œuvres de peintres italiens, dont les formes très précises ne se découpent jamais cependant avec sécheresse, mais sont harmoniées sur un fond qui participe de leur vie. […] Son inspiration, apparaît-il, se recueillit en une maison de bon accueil, sise sur la lisière d’un menu village et que veille la gloire sonore, aromatique et ténébreuse d’une forêt : C’est ici la maison de douce solitude Dont le vantail de bois ne s’entr’ouvre, discret, Comme à l’appel de Dieu, qu’au cri d’inquiétude Du vagabond venu du fond de la forêt.

627. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. James Mill — Chapitre II : Termes abstraits »

Mais l’association qui en fait le fond est si étroite, qu’elle nous apparaît comme une unité. […] John Stuart Mill fait remarquer que cette explication se retrouve dans d’autres termes, mais identique quant au fond, chez MM. 

628. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Armand Baschet »

C’est une chose gaie, en effet, par elle-même, que cette donnée, hardie comme la gaîté, — de la gaîté qui va parfois jusqu’à l’audace, — d’un coquebin à trente-six carats, marié, dans la prime fleur de ses jeunes années, à la jeune fille la plus charmante, dont le cœur bat sous le buse de l’étiquette, qu’elle enverra très bien promener au fond de son alcôve quand il le faudra, et qui, devant ce buse et devant ce cœur, reste les bras croisés, froid comme un saint de pierre qui ne connut jamais la tentation. […] Quand il s’agit de la grande question politique d’intéresser les sens d’un roi, au fond bien moins niais que transi, il n’est ni grossièreté ni impudeur, présumables ou possibles.

629. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Léon Cladel »

Son Mage (une des grandes figures de sa Fête votive) n’est, au fond, qu’un prêtre catholique paganisé ; mais c’est d’un accent qu’une intelligence pénétrée de catholicisme pouvait seule trouver… Homme d’impression bien plus que d’opinion, Cladel reviendra par la plus belle des routes — celle du Beau — à la Vérité. Le républicain et le libre penseur apparaissent encore dans son livre, mais ils s’y noient dans la couleur au fond de laquelle ils vont sombrer, et, quand ce sera fait, rien ne troublera plus cette mer d’écarlate lumineuse.

630. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — IV »

Quant au fond même de la question et de savoir si la France ne produit plus que des choux et des navets et si c’est une production insuffisante, je n’essaye même pas d’en donner mon sentiment. […] c’est là le fond de l’histoire !

631. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre sixième »

Veut-on connaître le fond de tous ces ouvrages en vers ? […] Au fond, la mode espagnole n’était que la mode italienne transplantée à Madrid, et aggravée. […] C’est qu’en effet le purisme le plus étroit est le fond de cet art, qui pourrait être défini l’art de versifier difficilement des bagatelles. […] Pénétrons au fond de ces paroles. […] Les rappeler à propos, en réveiller les images au fond des esprits, c’est une création.

632. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre premier. — Une leçon sur la comédie. Essai d’un élève de William Schlegel » pp. 25-96

Ne vous y trompez pas, la plupart des inventions soi-disant comiques appartiennent au fond à la tragédie ; car leur rire est sérieux ou même triste. […] L’ironie la plus légère, la plus fine, fût-ce celle de Voltaire, est toujours grave au fond, quelque enjouée qu’en soit la forme. […] Le sérieux, qui est le fond de la tragédie, donne aussi à la forme du drame tragique un caractère spécial. […] De même la peinture des mœurs contemporaines dans la comédie nouvelle, n’est qu’un élément romain, français, anglais ou allemand, qui, n’appartenant pas au fond commun de la nature humaine, ne reste pour la postérité qu’un objet de curiosité historique. […] Un sanglier énorme fond sur Moron à la chasse : Moron se sauve.

633. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre IV. Addison. »

Elle n’était pas extérieure, simplement voulue et officielle ; elle venait du fond même. […] Au fond de sa morale est une balance qui pèse des quantités de bonheur. […] D’abord l’art de se faire entendre, du premier coup, toujours, jusqu’au fond, sans peine pour le lecteur, sans réflexion, sans attention ! […] Au fond, le classique ne sait pas voir. […] Il y a en lui un fond d’imagination grandiose qui le rend insensible aux petites délicatesses de la civilisation mondaine.

634. (1880) Goethe et Diderot « Gœthe »

… Au fond, ce n’est pas l’Allemagne qui nous a dupés… Elle n’a pas assez d’esprit pour cela. […] » est déjà bien touchante ; mais si, au lieu de mettre, conception protestante, le christianisme uniquement dans les pratiques extérieures, Gœthe l’eût mis où il est, c’est-à-dire dans le fond même de son adorable essence, vous auriez vu la différence du Gœthe réel au Gœthe possible. […] Mais Gœthe reste empêtré au fond de son coquin, dans une pièce sans esprit et sans caractère. […] Il était done Indou par le fond de son être, ce glorieux Allemand. […] Du reste, si le peintre manque aux Mémoires de Gœthe, le fond des mémoires manque au peintre.

635. (1891) Esquisses contemporaines

Où est le point fixe dans ce gouffre sans fond ?  […] Celui-ci ne va point sans un fond d’ironie que l’écrivain de l’Irréparable et de Cruelle énigme ne possède évidemment pas. […] Voyez ses romans : leur cadre n’est qu’un décor, plus ou moins réussi, accessoire et négligeable dans le fond. […] Aussi vaste que soit la coupe de l’univers, si profond que paraisse le calice de l’âme, on n’y boit pas sans trouver le fond. […] La transposition est évidente ; mais le critère de certitude reste, au fond, le même : il est d’ordre intellectuel.

636. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (1re partie) » pp. 337-416

On peut croire que cette mère donna, avec le sein, à son enfant, cette prédestination aux choses de l’esprit et cette sensibilité souffrante de l’âme qui forment le fond du caractère de Rousseau. […] Quarante ans après l’avoir perdue, il est mort dans les bras d’une seconde femme, mais le nom de la première dans la bouche et son image au fond du cœur. […] Il y a de la crapule au fond de ce caractère comme il y en a au fond de cette vie. […] XIX Rousseau, en se voyant couronné pour son style par les académies, applaudi par les cours, encensé par les philosophes, se prend lui-même au sérieux ; il adopte pour toute sa vie ce rôle de Diogène moderne, qui prétend renouveler la face du monde moral et politique du fond de sa prétentieuse obscurité. […] La déclamation à froid de certaines lettres de cette correspondance fut échauffée par le fond de passion qui brûlait sous la voluptueuse contagion des autres lettres ; le style couvrit tout de son charme.

637. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1860 » pp. 303-358

Au fond, quand on fait une pièce, on est f….. […] Le tout est de résumer ça par une idée très simple ; au fond qu’est-ce ? […] 17 avril Au fond des plaintes des fermiers, il y a ce fait incontestable. […] La porte du fond parfois s’ouvre, et des femmes entrent, marchent avec des pas de revenants, et s’asseyent. […] Il a de longs et rares cheveux blancs, la figure osseuse et décharnée, les yeux tout caves et au fond une petite lueur.

638. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXIIe entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff (suite) » pp. 317-378

Tout à coup nous l’entendîmes au fond d’un ravin, près de nous, qui parlait doucement à ses chevaux. […] peut-être sentiront-elles, au fond de leur tombeau, que tu es venu les voir. […] « Me voilà tombé au fond de la rivière !  […] « Me voilà donc au fond de la rivière, se dit encore Lavretzky. […] Et il se blottit dans le fond de la calèche.

639. (1907) Le romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et dans les idées au XIXe siècle

Cette timidité est le fond du caractère de Benjamin. […] Le fond serait le même. […] Sur ce fond aucun lien, aucun devoir n’a vraiment mordu. […] ce pouvoir dont la privation le rend implacable, au fond il n’en veut pas. […] Au fond de nos âmes nous sentons déjà ce qui va être.

640. (1910) Propos littéraires. Cinquième série

Qui donc connaît le fond des choses ? […] Qui donc sonde le fond des choses ? […] Au fond, il avait raison. […] C’est même le fond de lui-même. […] D’un fond inné de mélancolie ?

641. (1895) La comédie littéraire. Notes et impressions de littérature pp. 3-379

Que Victor Hugo était jusqu’au fond, jusqu’au tréfond de l’âme, poète, au sens primitif et profond du mot. […] Comment cette couronne est-elle au fond de l’eau ? […] Le fond du roman est, s’il se peut, plus naïf encore. […] Pour le fond du livre, un rapprochement s’impose. […] Au fond, Stendhal le dominait beaucoup moins par ses ouvrages que par son esprit.

642. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. de Fontanes »

Il ressemble, sans le vouloir, sans y songer, et par une originalité native : dans le fond des traits, dans le tour des lignes, à travers la couleur pâlie, on reconnaît plus que des vestiges. […] Mais il ne va pas au fond. […] La Grèce et Rome, en passant de l’empire des rois sous celui des archontes ou des consuls, ne virent changer ni leur culte, ni le fond de leurs usages et de leurs mœurs. […] Ce serait une illusion de perspective que de faire de M. de Fontanes un politique : encore un coup, c’était un poète au fond. […] C’était au fond d’un désert, et non dans le sein de la capitale, que j’avais résolu de vivre.

643. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Werther. Correspondance de Goethe et de Kestner, traduite par M. L. Poley » pp. 289-315

Quoi qu’il en soit, il se fit Werther, ou, si vous aimez mieux, il se laissa être Werther pendant quelques saisons, sans l’être au fond véritablement. […] Quand les vapeurs de la vallée s’élèvent devant moi, qu’au-dessus de ma tête le soleil lance d’aplomb ses feux sur l’impénétrable voûte de l’obscure forêt, et que seulement quelques rayons épars se glissent au fond du sanctuaire ; que couché sur la terre dans les hautes herbes, près d’un ruisseau, je découvre dans l’épaisseur du gazon mille petites plantes inconnues ; que mon cœur sent de plus près l’existence de ce petit monde qui fourmille parmi les herbes, de cette multitude innombrable de vermisseaux et d’insectes de toutes les formes, que je sens la présence du Tout-Puissant qui nous a créés à son image, et le souffle du Tout-Aimant qui nous porte et nous soutient flottants sur une mer d’éternelles délices ; mon ami, quand le monde infini commence ainsi à poindre devant mes yeux et que je réfléchis le ciel dans mon cœur comme l’image d’une bien-aimée, alors je soupire et m’écrie en moi-même : « Ah ! […] À une seconde et troisième lecture, ils purent toutefois s’apaiser un peu, Lotte surtout, j’imagine, qui, dans le secret de son cœur, sentait qu’au fond elle était l’âme et la divinité d’un beau livre. […] On trouvera même, en les lisant, que Kestner n’est pas aussi blessé au fond qu’il aurait droit de l’être : « Vous voyez, écrit-il à un ami, que vous n’avez pas eu raison de me plaindre. […] Je l’ai dit : s’il est permis de conjecturer, je crois que Kestner dut toujours garder quelque chose de pénible sur le cœur à l’occasion de Werther, mais Lotte au fond n’en fut point offensée : je me la figure plutôt tacitement enorgueillie et satisfaite dans son silence.

644. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVe entretien. Chateaubriand, (suite) »

Du temps de Dante, bien que les crédulités populaires du poëte toscan fussent mêlées aux cynismes populaires de Florence et de Pise, le fond était ignoble, mais vrai pour les rues de ces villes. […] LXIV Chateaubriand crut, comme un enfant, que le poëme épique pouvait renaître et conquérir un renom impérissable à son auteur, pourvu qu’il eût un grand talent ; il oublia du même coup le fond qui était la foi, et la forme qui était le vers, forme idéale et parfaite du langage humain. […] « Ce dernier cri est presque un écho fidèlement répété : « Levez-vous vite, orages désirés, qui devez emporter René dans les espaces d’une autre vie… » Mais René a plus d’énergie que Lamartine et que tous les Jocelyns du monde quand il continue en ces immortels accents : « La nuit, lorsque l’aquilon ébranlait ma chaumière, que les pluies tombaient en torrent sur mon toit, qu’à travers ma fenêtre je voyais la lune sillonner les nuages amoncelés, comme un pâle vaisseau qui laboure les vagues, il me semblait que la vie redoublait au fond de mon cœur, que j’aurais eu la puissance de créer des mondes. […] Chateaubriand se tut, mais il ressentit l’injure au fond de son âme. […] Il avait découvert que le fond de la vie est la tristesse, que le génie vrai est la mélancolie, fille et sœur de la résignation.

645. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre IV. Racine »

Au fond, le petit frère a vingt ans de moins que son aîné, et cela fait que, n’en ayant pas le génie, il n’est même pas en état de le comprendre tout à fait. […] Il est certain qu’en vingt-quatre heures, une âme ne se montre pas naturellement tout entière et jusqu’au fond, si quelque violente agitation ne la remue. […] Une admirable poésie, dont on parlera plus tard, s’y fond, et s’y résout en langage pratique. […] Ces considérations une fois admises, nous n’aurons pas de peine à trouver que le réalisme psychologique de Racine se fond dans une vision poétique, d’où résultent cette lumière exquise et cette pure noblesse î de sa forme tragique. […] Et, pour doubler l’audace de la peinture, imaginez que ce prophète découvre les crimes futurs de Joas, et risque de rendre odieux le personnage sympathique : faute insigne pour un dramaturge adroit, trait admirable de vérité profonde et de large poésie, qui jette soudainement une vive lumière sur la sinistre histoire de Juda, et sur le triste, le pauvre fond de notre humanité.

646. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre IV. Chateaubriand »

L’orgueil est le fond de Chateaubriand : on le retrouve dans toutes les manifestations de son être. […] Lui, il se voit par le dedans, il plonge en son fond, il sent immédiatement ses émotions et ses désirs. […] Le courant se rétablissait entre l’idée du Dieu catholique desséchée au fond des cœurs et tous les éléments actifs de la vie morale : l’escamotage logique devenait une suggestion puissante. […] Le Dernier Abencérage est une transposition poétique des impressions d’Espagne, qui n’avaient pu trouver place dans le cadre des Martyrs, et c’est de plus une réplique ou réduction d’une des idées fondamentales de la grande épopée : musulman et chrétienne, chrétien et païenne, au fond des deux récits est l’antithèse de deux religions. […] À ces défauts de forme s’ajoutent les insuffisances du fond.

647. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre II : Examen critique des méditations chrétiennes de M. Guizot »

Guizot, au fond des choses. […] Le matérialisme est le fond des idées de cette école, et quand elle ne se dit pas matérialiste, c’est qu’elle est inconséquente ou pusillanime. […] Les quatre grands systèmes dans lesquels se résument tous les autres se rencontrent aux débuts de la philosophie, et se reproduisent dans tout le cours de son histoire, toujours les mêmes au fond, quelle que soit la variété des développements et le plus ou moins de perfection de la forme. […] Toutes les religions ont un fond commun. La plupart, en le mêlant soit aux rêveries et aux passions humaines, soit aux systèmes philosophiques, l’ont prodigieusement altéré et corrompu ; deux seulement, la juive et la chrétienne, sont restées fidèles au fond commun religieux primitif, en le développant progressivement selon le plan et l’action de Dieu sur le genre humain.

648. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Du docteur Pusey et de son influence en Angleterre »

Cette différence très réelle, et tout à l’avantage de l’Établissement de Henri VIII, entre le protestantisme anglican et les autres protestantismes, est, pour tous ceux qui écrivent l’histoire à la lumière des principes, la raison de la tendance vague qui devait un jour se condenser et jaillir du fond troublé de la société religieuse en Angleterre. […] En effet, nous l’avons assez dit, mais nous ne saurions trop le répéter, les idées qui sont le fond de l’anglo-catholicisme n’ont été apportées au monde par personne et ne se résument étroitement en personne. […] En assistant au spectacle singulier et pourtant naturel qu’offre l’Angleterre depuis plusieurs années, un observateur profane dirait — et croirait avoir tout dit — qu’il y a des syllogismes au fond de toutes les situations comme au fond de toutes les pensées ; mais où l’homme met la logique des choses d’après celle de son entendement, le prêtre, plus profond, met la grâce : « C’est l’action spontanée de la grâce — dit encore Mgr Wiseman — qui explique les merveilleux résultats dont nous sommes témoins. » Et le saint évêque a raison. […] Déjà nous avons fait la part de la noble ténacité anglaise qui s’obstine si fièrement dans ses coutumes, du génie traditionnel qui respire partout en Angleterre ; ajoutons à cela l’influence du gouvernement sur ces têtes si naturellement politiques, et cette double déduction introduite dans l’appréciation à vol de pensée que nous hasardons ici, il restera, pour qui va nettement au fond des réalités, une religion insuffisante, une formule vaine pour l’esprit religieux de l’Angleterre et ses exigences actuelles.

649. (1898) Les personnages de roman pp. 39-76

À peine pourrait-on étudier sur place un certain fond de courtisanerie survivant à son vrai milieu. […] Ceux-là demanderont, au contraire, au romancier, de leur dire où l’on souffre et surtout pour quelle cause précise on souffre au fond de la mine, dans la carrière, l’usine, l’échoppe, dans la chambre où il y a plus d’enfants que de lits et plus d’appétit que de pain. […] C’est le fond vivace, sous l’amas des préjugés, c’est la vieille générosité française, c’est la belle fraternité chrétienne inconsciente peut-être, qui s’éveille et va au secours. […] Elles lui indiquent les tons qui s’harmoniseront le mieux avec le fond du tableau. […] Il y a bien longtemps que vous la connaissez, que vous avez observé le fond d’envie de cette nature molle et d’imagination égoïste, sa perpétuelle et lointaine tentation d’échapper au devoir commun, d’être délivrée des soucis de sa vie de paysanne, obligée de soigner l’homme, les enfants et les bêtes.

650. (1879) L’esthétique naturaliste. Article de la Revue des deux mondes pp. 415-432

Si c’était là le fond du naturalisme, il faudrait avouer qu’il vient bien tard. […] C’est cet important facteur de toute œuvre humaine, la personnalité propre et spéciale de l’individu, que la théorie nouvelle a le grand tort de méconnaître, c’est là même au fond le facteur essentiel dans tous les ouvrages de l’esprit. […] Nous savons ici à quoi nous en tenir sur la vérité générale de leurs portraits, et eux-mêmes au fond savent bien qu’ils n’ont représenté, en les exagérant, que certaines exceptions monstrueuses. […] Le cercle d’observation naturaliste s’arrête volontiers à l’enceinte des fortifications ; ses romanciers n’ont guère regardé, et le plus souvent ne paraissent même pas soupçonner, les millions d’êtres qui au-delà labourent, sèment et récoltent, et qui sont en réalité le vrai peuple français, le fond solide où sans cesse la race se renouvelle. […] J’ai peu de goût pour les prophéties, et cependant je formulerais volontiers celle-ci : « La république sera autre chose que naturaliste ou elle ne sera pas. » Ce n’est pas du fond d’où est sortie La Marseillaise qu’est sorti le naturalisme.

651. (1911) Études pp. 9-261

On les suit avec tout son être, on les goûte jusqu’au fond de soi avec une aspiration suave. […] Et n’est-ce pas elle qui se tient dans le fond comme une femme voilée par l’ombre et retirée ? […] L’esprit, comme la matière, est un mouvement : tous deux dans leur fond, — bien qu’aucun d’eux ne soit l’auteur de l’autre, — sont homogènes. […] C’est ce cri seul que Claudel n’a pu réduire ; ce cri seul du désespoir sans fond est le bien et la possession de qui a pu s’arracher à Claudel. […] Couchés immobiles auprès des danses, les chefs, au fond de leur mémoire basse comme une voûte, revoient des villes.

652. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 octobre 1885. »

Nous remplacerons telle phrase, telle page, par ce que nous aurions, nous-mêmes, écrit, ayant, au fond, la même pensée. […] Et jouissons la prodigieuse joie du Compatir, qui nous fond dans l’éternel Un, nous donne, éternelle, la Béatitude. […] Vers le fond, les flots se perdent en un humide brouillard, toujours plus fin, et l’espace d’une hauteur d’homme à partir du sol paraît être entièrement libre de l’eau qui, comme une traînée de nuages, au dessus du nocturnal fond, flue. […] Woglinde Va au fond : là tu me gripperas sûr. […] Woglinde Guettez, sœurs : l’éveilleuse rit dans le fond.

653. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre I. Des poëtes anciens. » pp. 2-93

Supposé qu’il y eût des défauts, ce ne sont pas au moins des défauts qui viennent du fond vicieux ou de la mauvaise construction de la fable ; mais uniquement du tems qui a manqué à l’auteur pour finir son ouvrage. […] Pour lui, peu touché de ce mérite de Pédant & d’Ecolier, il a cru devoir se mettre au large, & conserver le fond des choses sans s’enchaîner aux termes. […] Cette abondance excessive est comme le fond de son caractère ; & les exemples en sont si fréquens dans ses Elégies sur-tout, qu’elle n’a pas besoin d’être prouvée. […] D’ailleurs dans sa traduction, ainsi que dans toutes les autres, les Fables sont divisées entr’elles, & comme détachées du fond de l’ouvrage ; ce qui détruit l’unité du Poëme ou en fait perdre le fil. […] Ce Poëte satyrique est remarquable pour la morale pure & le grand fond de raison, qui distinguent ses satyres.

654. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — II. » pp. 195-213

Aussi je ne serais pas étonné que, malgré l’intérêt réel et de fond qui s’attache à la Correspondance qu’on publie, certains lecteurs la jugeassent fastidieuse, monotone. […] L’unité de cette Correspondance, que quelques suppressions eussent mieux fait ressortir, est dans l’amitié de deux jeunes filles, dans cette amitié d’abord passionnée, au moins chez Mlle Phlipon, et qui, partie du couvent avec ses petits orages, ses incidents journaliers, ses hausses et ses baisses, s’en vint, après quelques années, expirer au mariage : et quand je dis expirer, je ne veux parler que de la forme vive et passionnée, car le fond subsista toujours. […] Je barbouille du papier à force, quand la tête me fait mal ; j’écris tout ce qui me vient en idée : cela me purge le cerveau… Adieu, j’attends une cousine qui doit nous emmener à la promenade ; mon imagination galope, ma plume trotte, mes sens sont agités, les pieds me brûlent. — Mon cœur est tout à toi. » Si calme, si saine qu’on soit au fond par nature, il semble difficile qu’en ce jeune train d’émotions et de pensées, on reste longtemps à l’entière froideur, avec tant de sollicitations d’être touchée. […] Au fond, n’est-ce pas une situation pire, et la solennité incrédule du dix-huitième siècle n’annonçait-elle pas qu’on était encore plus voisin d’une croyance ?

655. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Boileau »

Ce ne sont plus en effet, comme au xviiie  siècle, de piquantes épigrammes et des personnalités moqueuses ; c’est une forte et sérieuse attaque contre les principes et le fond même de la poétique de Boileau ; c’est un examen tout littéraire de ses inventions et de son style, un interrogatoire sévère sur les qualités de poëte qui étaient ou n’étaient pas en lui. […] Ce sont des médecins empiriques ; ils s’attaquent à des vices réels, mais extérieurs, à des symptômes d’une poésie déjà corrompue au fond ; et, pour la régénérer, ils ne remontent pas au cœur du mal. […] Que si maintenant on nous oppose qu’il n’était pas besoin de tant de détours pour énoncer sur Boileau une opinion si peu neuve et que bien des gens partagent au fond, nous rappellerons qu’en tout ceci nous n’avons prétendu rien inventer ; que nous avons seulement voulu rafraîchir en notre esprit les idées que le nom de Boileau réveille, remettre ce célèbre personnage en place, dans son siècle, avec ses mérites et ses imperfections, et revoir sans préjugés, de près à la fois et à distance, le correct, l’élégant, l’ingénieux rédacteur d’un code poétique abrogé. […] « La raison, dit Vauvenargues, n’était pas en Boileau distincte du sentiment. » Mademoiselle de Meulan (depuis madame Guizot) ajoute : « C’était, en effet, jusqu’au fond du cœur que Boileau se sentait saisi de la raison et de la vérité.

656. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIe entretien. Sur la poésie »

IX Mais vous approchez des Alpes, les neiges violettes de leurs cimes dentelées se découpent le soir sur le firmament profond comme une mer, l’étoile s’y laisse entrevoir au crépuscule comme une voile émergeant sur l’Océan de l’espace infini ; les ombres glissent de pente en pente sur les flancs des rochers noircis de sapins, des chaumières isolées et suspendues à des promontoires, comme des nids d’aigles, fument du feu du soir, et leur fumée bleue se fond en spirales légères dans l’éther ; le lac limpide, dont l’ombre ternit déjà la moitié, réfléchit dans l’autre moitié les neiges renversées et le soleil couchant dans son miroir ; quelques voiles glissent sur sa surface, chargées de branchages coupés de châtaigniers, dont les feuilles trempent pour la dernière fois dans l’onde ; on n’entend que les coups cadencés des rames qui rapprochent le batelier du petit cap où sa femme et ses enfants l’attendent au seuil de sa maison, ses filets y sèchent sur la grève, un air de flûte, un mugissement de génisse dans les prés interrompent par moment le silence de la vallée ; le crépuscule s’éteint, la barque touche au rivage, les foyers brûlent çà et là à travers les vitraux des chaumières, on n’entend plus que le clapotement alternatif des flots endormis du lac, et de temps en temps le retentissement sourd d’une avalanche de neige dont la fumée blanche rejaillit au-dessus des sapins ; des milliers d’étoiles, maintenant visibles, flottent comme des fleurs aquatiques de nénuphars bleus sur les lames, le firmament semble ouvrir tous ses yeux pour admirer ce coin de terre, l’âme la quitte, elle se sent à la hauteur et à la proportion de s’approcher de son Créateur presque visible dans cette transparence du firmament nocturne, elle pense à ceux qu’elle a connus, aimés, perdus ici-bas et qu’elle espère, avec la certitude de l’amour, rejoindre bientôt dans la vallée éternelle, elle s’émeut, elle s’attriste, elle se console, elle se réjouit, elle croit parce qu’elle voit, elle prie, elle adore, elle se fond comme la fumée bleue des chalets, comme la poussière de la cascade, comme le bruissement du sable sous le flot, comme la lueur de ces étoiles dans l’éther, avec la divinité du spectacle. […] Nous trouverions partout que c’est l’émotion qui est la mesure de la poésie dans l’homme ; que l’amour est plus poétique que l’indifférence, que la douleur est plus poétique que le bonheur, que la piété est plus poétique que l’athéisme, que la vérité est plus poétique que le mensonge ; et qu’enfin la vertu, soit que vous la considériez dans l’homme public qui se dévoue à sa patrie, soit que vous la considériez dans l’homme privé qui se dévoue à sa famille, soit que vous la considériez dans l’humble femme qui se fait servante des hospices du pauvre et qui se dévoue à Dieu dans l’être souffrant, vous trouveriez partout, disons-nous, que la vertu est plus poétique que l’égoïsme ou le vice, parce que la vertu est au fond la plus forte, comme la plus divine des émotions. […] Fénelon Fénelon naquit d’une famille noble et militaire du Périgord vivant tantôt dans les camps, tantôt dans le fond de cette province.

657. (1887) Discours et conférences « Réponse au discours de M. Louis Pasteur »

Mais, en dehors du fond de la doctrine, qui n’est point de notre ressort, il est une maîtrise, Monsieur, où notre pratique de l’esprit humain nous donne le droit d’émettre un avis. […] L’humanité doit sûrement être écoutée en ses instincts ; l’humanité, au fond, a raison ; mais dans la forme, dans le détail, oh ! […] Il y a aussi dans l’ordre intellectuel des sens divers, des oppositions apparentes qui n’excluent pas au fond la similitude. […] Nous entendrons toujours ces sages paroles qui semblaient, par leur calme gravité, venir du fond d’un tombeau, et nous dirons pour finir par une grande pensée de lui : « Le temps, qui est beaucoup pour les individus, n’est rien pour ces longues évolutions qui s’accomplissent, dans la destinée de l’humanité.

658. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre IV »

Il y a, en Chine, un proverbe que les mères apprennent à leurs fils dès le berceau, et qui est le fond de la langue chinoise, comme goddam est celui de la langue anglaise, — Siao sin, — « Rapetisse ton cœur. » Formé par ce dicton, le jeune Chinois acquiert bientôt cette souplesse d’échine et de tête que nous admirons dans les magots de porcelaine du Céleste-Empire. […] Ce tabellion, bonhomme au fond, vient proposer au jeune avocat une affaire superbe. […] Dalila a pour blason ses ciseaux croisés sur fond d’or. […] C’est épouvantable ; il n’y a rien après cela : on a touché le fond de l’opprobre.

659. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Saint-Simon »

Au fond, ce n’est pas là grand chose pour moi, qui méprise les opinions collectives et toutes les espèces de rassemblements, — ceux des Instituts comme ceux de la rue, — mais, je suis forcé de le dire : le mérite du livre existe, quoique reconnu et même couronné… En publiant les Lettres et Dépêches de l’ambassade d’Espagne 54, Drumont est un des premiers à bénéficier de la levée de ces scellés incompréhensibles mis, pendant si longtemps, sur les papiers du duc de Saint-Simon par d’imbécilles gouvernements. […] Mais les profonds comme Saint-Simon, mais les zingari de l’Histoire, qui voient la mort à travers les pompes et les fleurs de la vie, ont vu jusqu’au fond de ce crime qui les contient tous… Ils ont vu ce Péché qui engendre la mort dans Milton. […] Je retrouve bien ici le Louis XIV des Mémoires, peint et diminué souvent par la passion de l’écrivain ; mais j’ai le secret maintenant de cette passion, et j’admire encore qu’après ce crime de Louis XIV, qu’il a sondé jusque dans le fond de son horreur, Saint-Simon soit resté si juste… IX Écrit de cette plume immortelle qui traîne sa vaste phrase comme un de ces lourds manteaux de pourpre que des épaules d’Hercule pourraient seules porter, le Mémoire sur les légitimés pourrait s’appeler hardiment : « la Bâtardise dans l’Histoire », car, à propos des légitimés de Louis XIV, c’est l’histoire de la bâtardise en France et de la bâtardise en soi. […] Avant et pendant le Moyen Age, les passions furent terribles… Mais les lois et les coutumes suffisaient à les endiguer et à les contenir, et ce ne fut que tard, ce ne fut que dans les derniers temps, que la bâtardise émergea du fond de ses ténèbres et leva sa rebelle et insolente tête dans l’État.

660. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Ernest Hello » pp. 207-235

De cela seul qu’il est plus chrétien qu’eux, l’auteur de l’Homme est, d’emblée, et par le fond même des choses, supérieur à ces trois moralistes au cœur sec, qui regardent la société du haut de leur moi, et qui n’en ont guères peint que les surfaces. […] Et son exécution est peut-être plus cruelle que celle de de Maistre, car, dans Voltaire, de Maistre n’avait exécuté que le pervers, et lui, Hello, a exécuté l’imbécile… Il paraît qu’au fond de Voltaire, — probablement très au fond, — il y avait un imbécile. […] Les Saints d’Ernest Hello ne ressemblent nullement aux Saints juste-milieu d’Augustin et d’Amédée Thierry, ces Iconoclastes tempérés, qui n’en brisent point les grandes images, mais qui les liment… Sous la plume de Hello, ils apparaissent dans leur intégralité complète, surhumaine et splendide, et on ne les chasse pas à coups de bonnet de docteur jusque dans le fond des Légendes, — ces Contes de fées de l’Histoire, auxquels ne croient même pas nos enfants, ces majestueux polissons !

661. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLe entretien. L’homme de lettres »

Quand du haut de la montagne je t’aperçois au fond de ce vallon, tu me parais au milieu de nos vergers comme un bouton de rose. […] De même, quand l’écho me fait entendre les airs que tu joues sur ta flûte au haut de la montagne, j’en répète les paroles au fond de ce vallon. […] et avec quel art l’action se trouve liée au fond du paysage ! […] Il disait, du fond de son cœur: « Mon Dieu, pardonnez-moi de ne m’être point fié à vous. » Ce jour fut pour lui un jour de bonheur. […] C’est du fond de cette retraite que l’auteur assista, pour ainsi dire, aux premiers mouvements de cette révolution qui devait faire tant de mal à sa patrie et au genre humain.

662. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XIX » pp. 76-83

Par suite de la même activité, qui se porte actuellement sur de l’inédit, Cousin a publié ses Fragments littéraires, anciens discours académiques, ou éloges mortuaires, auxquels il a ajouté pour assaisonnement les lettres inédites de madame de Longueville (chassant ainsi sur mes terres et me tuant sans façon mon gibier) ; il a ajouté un petit commentaire à ces lettres, dont il s’est, je crois, exagéré un peu l’importance littéraire ; comme étude d’âme et de confessionnal, c’est curieux, (et j’en avais tiré parti dans mon étude). « Au fond, il n’y a de véridique, dit-il, si quelque chose l’est entièrement, que les correspondances intimes et confidentielles, les mémoires eux-mêmes sont toujours destinés au public, et ce regard au public, même le plus lointain, gâte tout ; on s’y défend ou on attaque, on se compose un personnage, on pense à soi, on ment. » — Ceci est dit à merveille comme Cousin sait dire, dans sa langue excellente et digne du xviie  siècle ; mais que serait-ce si on appliquait cette vérité à son éclectisme officiel, qu’il défendait et qu’il préconisait hier tout en attaquant Pascal ? […] Pourtant cela n’est vrai que pour le ton ; le fond n’a rien d’autrement immoral.

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