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334. (1886) De la littérature comparée

Et à chaque instant, quand nous voulons exprimer dans toute sa force quelque sentiment qui nous préoccupe, ne le trouvons-nous pas formulé tel que nous l’éprouvons par un de ces hommes de génie qui ont possédé le don si rare de l’expression ?... […] Le gouvernement genevois a tenu à poursuivre une tradition dont il s’est bien trouvé jusqu’à présent, et qui cependant constitue, si je puis m’exprimer ainsi, une persistante innovation. […] L’autre, qu’on a appelé romantique, qu’on pourrait presque appeler barbare, est l’apport des races nouvelles qui sont venues, si je puis m’exprimer ainsi, greffer leur civilisation naissante sur le vieil arbre des civilisations antiques, uni à celui de la religion chrétienne qui a remplacé le paganisme corrompu de la décadence romaine. […] La même différence se rencontre entre Homère et Dante, entre Sophocle et Shakespeare ; de plus en plus, l’art devient une confidence, celle d’une âme individuelle, qui, s’exprime et se rend visible tout entière à l’assemblée dispersée, indéfinie des autres âmes. » Mais M. 

335. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Pline le Naturaliste. Histoire naturelle, traduite par M. E. Littré. » pp. 44-62

Le reste est matière d’étude, de curiosité solitaire, de projet lointain pour les années de la retraite et du repos, pour ces années qu’on ajourne toujours et qui ne viendront jamais ; mais dans le courant habituel, dans le torrent des intérêts et des idées, quand on n’a qu’un quart d’heure à donner çà et là aux lettres proprement dites, on n’a pas le temps, en vérité, de venir prêter l’oreille à un ancien, pas plus que, dans une foule où tout nous pousse, il n’y a moyen de s’arrêter à converser avec un vieillard qui s’exprime avec majesté et lenteur. […] Dans cet immense Digeste de la nature, dans cette Encyclopédie en trente-sept livres, le rédacteur et collecteur paraît remarquable avant tout et maître, en ce qu’un large souffle de talent et de grandeur y circule, en ce que la vigueur de sa plume ne faiblit nulle part, et ne se lasse pas d’exprimer tant de détails souvent fastidieux. […] Ce sentiment moral et humain de Pline est digne de remarque ; il ne se lasse point de l’exprimer en maint endroit, mais nulle part plus admirablement que quand il parle de Sylla : Le seul homme qui jusqu’à présent se soit attribué le surnom d’Heureux est L.  […] Si Pline a senti si bien et si souvent exprimé la majesté, la grandeur et (pourquoi ne dirait-on pas comme lui ?)

336. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Droz. » pp. 165-184

Il eut de vives impressions au camp devant Mayence dans l’été de 1795, et il les a racontées depuis ; Sterne ne les aurait pas éprouvées ni exprimées différemment : Une partie des gardes avancées de l’attaque de gauche, nous dit-il, était placée dans un jardin anglais, près du village de Monback. […] Homme religieux, il aimera plus tard à confondre dans ses regrets et dans ses affections Ducis et Cabanis ; il se ressouvenait de celui-ci par ce côté de doute élevé et d’espérance à demi religieuse, que Cabanis a exprimé dans sa Lettre à Fauriel, et par lequel en réalité il a fini. […] Avec La Rochefoucauld, avec l’abbé Galiani par exemple, quand il les lit, quand il les entend exprimer leurs principes et leurs maximes, il s’arrête, il se révolte, parce qu’ici il n’y a plus moyen d’hésiter et que l’intention s’accuse dans l’accent. […] Dans les divers journaux auxquels il travailla de 1816 à 1820, il n’exprime jamais que des vues de conciliation et d’espérance.

337. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — II. » pp. 460-478

C’est ainsi qu’il disait : « Interrogeons l’histoire, elle est la physique expérimentale de la législation. » Et dans un autre discours ou exposé de motifs, parlant de Montesquieu : « Il nous apprit, dit-il, à ne jamais séparer les détails de l’ensemble, à étudier les lois dans l’histoire, qui est comme la physique expérimentale de la science législative. » Et ailleurs encore, pour exprimer qu’il faut étudier les opérations de l’esprit dans les langues : « La parole est la physique expérimentale de l’esprit. » Je ne fais qu’indiquer ce procédé très sensible chez lui, et qui nous frapperait moins peut-être, si, comme les critiques anciens, nous avions pénétré davantage dans le secret des orateurs. […] Ces belles paroles, à en bien pénétrer le sens, expriment toute la pensée morale du Code civil et le seul esprit général par lequel il nous soit permis de l’envisager ici. […] Le plus sage des antiques Solons n’a pu, certes, rien trouver de plus grandement vu, ni de plus largement exprimé, que lorsque, contemplant la société humaine, cette grande machine compliquée que veulent simplifier les systématiques, et qu’ils croient faire aller avec un seul ressort, Portalis ajoute : L’homme n’est point un être simple : la société, qui est l’union des hommes, est nécessairement le plus compliqué de tous les mécanismes. […] [NdA] À un petit bal que donnait Mme Bonaparte (24 nivôse an XII) et où très peu de personnes avaient été invitées, une conversation s’établit, dans un premier salon où l’on ne dansait pas, entre Bonaparte, alors Premier consul, Lebrun, Portalis, Lemercier et Stanislas Girardin : dans cette conversation le Premier consul exprima successivement et avec son bon sens le plus brusque ses opinions sur la liberté de la presse, les impôts et la Révolution.

338. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — III. Franklin à Passy. (Fin.) » pp. 167-185

Adams), qu’on ne saurait exprimer ni professer trop haut ces sentiments de gratitude pour la France, pour son jeune et vertueux roi. […] Si j’étais ce que je ne suis réellement pas, suffisamment habile en votre excellente langue pour être un juge compétent de la poésie, l’idée que j’en suis le sujet devrait m’empêcher d’exprimer aucune opinion sur ce vers ; je me contenterai de dire qu’il m’attribue beaucoup trop, particulièrement en ce qui concerne les tyrans ; la Révolution a été l’œuvre de quantité d’hommes braves et capables, et c’est bien assez d’honneur pour moi si l’on m’y accorde une petite part. […] Franklin répond par cette lettre que je donnerai en entier, puisque, mieux que tout ce que je pourrais dire, elle exprime le vrai rapport où il est avec les philosophes du xviiie  siècle, et le point par où il s’en sépare : J’ai lu votre manuscrit avec quelque attention. […] Parmi les philosophes en renom du xviiie  siècle, je ne vois que Montesquieu qui aurait pu penser ainsi ; mais Franklin s’exprime d’une manière plus affectueuse et plus émue, plus paternelle, que ne l’eût fait Montesquieu.

339. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIV : De la méthode (Suite) »

Cela fait, il se livre à sa sensation ; il exprime comme s’il était seul ; il en jouit ; sa pensée atteint d’elle même au style le plus noble ; et, pour en peindre l’élan, l’ampleur et la magnificence, il faudrait la comparer à quelque eau impétueuse qui tout à la fois monte, bouillonne et resplendit. […] Nous avons exprimé ce fait par une formule. […] La matière et la pensée, la planète et l’homme, les entassements de soleils et les palpitations d’un insecte, la vie et la mort, la douleur et la joie, il n’est rien qui ne l’exprime, et il n’est rien qui l’exprime tout entière.

340. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LVIII » pp. 220-226

Vinet, très-beaux et très-respectueux, expriment avec discrétion ce sentiment de regret qu’ont éprouvé les personnes sérieuses. […] Mais ces regrets discrètement touchés et une fois exprimés ont fait place, de nos jours, à un deuil public, solennel, inconsolable.

341. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 169-178

On pourroit dire encore, que plusieurs sont profondes, qu’elles renferment des sentimens vifs & pleins de chaleur ; qu’en général elles sont exprimées avec énergie & précision : mais à quoi serviroient tous ces éloges, si on ne peut se dispenser d’ajouter que la plupart sont impies, & le reste hasardé ? […] Goldoni, précédée d’une Préface pleine de sentimens raisonnables, intéressans & bien exprimés, peut figurer parmi les Pieces de ce genre, si opposé au génie & au vrai goût.

342. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre I. Définition des idées égalitaires »

Par le premier j’exprime, autant qu’il est en moi, la nature même de l’objet, — sa réalité. Par le second j’exprime son rapport aux personnes, les sentiments qu’il leur inspire, ou peut, ou doit leur inspirer, — sa valeur.

343. (1868) Alexandre Pouchkine pp. 1-34

Bien qu’il les exprime toujours sous la forme la plus resserrée, il n’en écarte aucune, et souvent les jette pêle-mêle, à mesure qu’elles s’offrent à lui, en sorte que sa pensée, qui d’abord avait été rendue avec énergie, s’affaiblit en se reproduisant sous une forme moins frappante et avec un tour moins heureux. […] Les paysans ne font pas de fautes contre la grammaire, et souvent s’expriment plus correctement que leurs seigneurs, à qui l’habitude de se servir du français dans la conversation a fait adopter des gallicismes et des tournures étrangères au génie de leur langue. Riche, sonore, accentuée, abondante en onomatopées, habile à exprimer les nuances les plus délicates et les plus subtiles, douée, comme le grec, d’un pouvoir de composition presque sans bornes, la langue russe semble faite pour la poésie. […] La facilité qu’ils ont d’exprimer avec une gracieuse précision les moindres détails, de noter des nuances presque imperceptibles, les a conduits à une grâce coquette et mignarde, qui n’est pas le but de l’art. […] Bien qu’il connût toutes les ressources, toute l’étonnante richesse de sa langue, sa pensée se produit toujours sous une forme si simple, qu’on ne croirait pas possible de l’exprimer autrement.

344. (1911) La valeur de la science « Première partie : Les sciences mathématiques — Chapitre IV. L’espace et ses trois dimensions. »

Si nous considérons divers systèmes d’impressions et que nous les comparions entre eux, nous reconnaissons souvent que deux de ces systèmes d’impressions ne peuvent être discernés (ce que l’on exprime d’ordinaire en disant qu’ils sont trop voisins l’un de l’autre, et que nos sens sont trop grossiers pour que nous puissions les distinguer) et nous constatons de plus que deux de ces systèmes peuvent quelquefois être discernés l’un de l’autre, bien qu’étant indiscernables d’un même troisième. […] J’ai dit plus haut qu’il arrive souvent que les séries σ n’altèrent pas les impressions tactiles éprouvées par notre premier doigt ; j’ai dit souvent, je n’ai pas dit toujours ; c’est ce que nous exprimons dans notre langage habituel en disant que l’impression tactile ne serait pas altérée si le doigt n’a pas bougé, à la condition que l’objet A qui était au contact de ce doigt n’ait pas bougé non plus. […] À chaque élément du continu C, ou si l’on aime mieux s’exprimer ainsi, à chaque point du premier espace tactile, correspond une série de sensations musculaires Σ qui me font passer d’une certaine situation initiale à une certaine situation finale1. […] Ainsi la question posée ne peut s’entendre que d’une manière ; est-il possible d’imaginer que, les résultats des expériences relatées plus haut ayant été différents, nous ayons été conduits à attribuer à l’espace plus de trois dimensions ; d’imaginer, par exemple, que la sensation d’accommodation ne soit pas constamment d’accord avec la sensation de convergence des yeux ; ou bien que les expériences dont nous avons parlé au paragraphe 2 et dont nous exprimons le résultat en disant « que le toucher ne s’exerce pas à distance », nous aient conduits à une conclusion inverse. […] Qu’on me permette, pour la commodité du langage, d’exprimer ma pensée d’une façon tout à fait grossière et même inexacte en disant que nos séries de sensations musculaires sont classées en trois classes correspondant aux trois dimensions de l’espace.

345. (1767) Sur l’harmonie des langues, et en particulier sur celle qu’on croit sentir dans les langues mortes

Mais il faut convenir en même temps et par les mêmes principes, que le plaisir que cette harmonie leur cause est bien imparfait, bien mutilé, si on peut s’exprimer ainsi, et bien inférieur au plaisir que les Romains devaient éprouver en lisant leurs orateurs et leurs poètes. […] Je m’en tiens ici à la connaissance de la valeur des mots, de leur signification précise, de la nature des tours et des phrases, des circonstances et des genres de style dans lesquels les mots, les tours, les phrases peuvent être employées ; et je dis que pour arriver à cette connaissance, il faut avoir vu ces mots, ces tours et ces phrases, maniés et ressassés, si je puis m’exprimer ainsi, dans mille occasions différentes ; qu’un petit nombre de livres, quand même on les aurait lus vingt fois, est absolument insuffisant pour cet objet ; qu’on ne saurait y parvenir que par des conversations fréquentes dans la langue même, par un usage assidu, et par des réflexions sans nombre, que cet usage seul peut suggérer. […] Cicéron, dans un endroit des Tusculanes2, a pris la peine de marquer les différentes significations des mots destinés à exprimer la tristesse. […] Voici comme il s’exprime en parlant d’un célèbre poète latin moderne : « Il réussit auprès de ceux qui croient qu’on peut faire de bons vers latins, et qui pensent que des étrangers peuvent ressusciter le siècle d’Auguste dans une langue qu’ils ne peuvent pas même prononcer. […] Cette latinité ne sert souvent, si je puis m’exprimer ainsi, qu’à couvrir la nudité d’un ouvrage vide de choses, sans idées, sans âme et sans vie.

346. (1868) Curiosités esthétiques « IV. Exposition universelle 1855 — Beaux-arts » pp. 211-244

Tout le monde conçoit sans peine que, si les hommes chargés d’exprimer le beau se conformaient aux règles des professeurs-jurés, le beau lui-même disparaîtrait de la terre, puisque tous les types, toutes les idées, toutes les sensations se confondraient dans une vaste unité, monotone et impersonnelle, immense comme l’ennui et le néant. […] J’irai encore plus loin, n’en déplaise aux sophistes trop fiers qui ont pris leur science dans les livres, et, quelque délicate et difficile à exprimer que soit mon idée, je ne désespère pas d’y réussir. […] Delacroix me paraît être l’artiste le mieux doué pour exprimer la femme moderne, surtout la femme moderne dans sa manifestation héroïque, dans le sens infernal ou divin. […] Il semble que cette couleur, qu’on me pardonne ces subterfuges de langage pour exprimer des idées fort délicates, pense par elle-même, indépendamment des objets qu’elle habille. […] Un poëte a essayé d’exprimer ces sensations subtiles dans des vers dont la sincérité peut faire passer la bizarrerie :                           Delacroix, lac de sang, hanté des mauvais anges, Ombragé par un bois de sapins toujours vert, Où, sous un ciel chagrin, des fanfares étranges Passent comme un soupir étouffé de Weber30.

347. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre V. Des orateurs anciens et Modernes. » pp. 223-293

Ce n’est pas au langage que cet Orateur s’attache ; il s’abandonne à son enthousiasme, & dédaignant la froide élégance, il exprime tout avec une énergie qui lui est propre. […] La fidélité à exprimer le caractère de son éloquence. […] Sa maniere de s’exprimer courte & sentencieuse, ôtant toute liaison au discours, fit dire à l’Empereur Claude que son style étoit du sable sans chaux. […] La marche de cet Orateur est pleine de dignité ; ses plans sont clairs, méthodiques & heureusement exprimés ; ses images sont vives ; son ton est touchant & onctueux. […] Voyez les discours de M.M. de Montclar, de la Chalotais, de Castillon, de Servant & d’autres qui pensent avec la même noblesse & s’expriment avec la même force.

348. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre III. Le comique de caractère »

Convaincu que le rire a une signification et une portée sociales, que le comique exprime avant tout une certaine inadaptation particulière de la personne à la société, qu’il n’y a de comique enfin que l’homme, c’est l’homme, c’est le caractère que nous avons visé d’abord. […] Dans l’action, c’est la personne tout entière qui donne ; dans le geste, une partie isolée de la personne s’exprime, à l’insu ou tout au moins à l’écart de la personnalité totale. […] Sous les mille actions naissantes qui dessinent au-dehors un sentiment, derrière le mot banal et social qui exprime et recouvre un état d’âme individuel, c’est le sentiment, c’est l’état d’âme qu’ils iront chercher simple et pur. […] Toute poésie exprime des états d’âme. […] Qu’on relise le troisième acte : on verra qu’Armande, Philaminte et Bélise s’expriment régulièrement dans ce style.

349. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre VII. De la propriété des termes. — Répétition des mots. — Synonymes. — Du langage noble »

Cette propriété, cette équivalence exacte de la pensée et de l’expression, font qu’on ne conçoit point que l’écrivain, pensant ainsi, eût pu s’exprimer différemment, et qu’il semble à tous que, le fond étant tel, la forme devait être telle aussi par une inévitable conséquence. […] Il peut arriver que certains mots aient dans leur sens une partie commune, et qu’on puisse les employer indifféremment, quand on n’a besoin d’exprimer que cette partie commune de leur sens.

350. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 3. Causes générales de diversité littéraire. »

Il se fait d’abord une division des seigneurs et des vilains : l’aristocratie féodale, guerrière et brutale d’abord, se raffinant peu à peu, et se faisant un idéal plus délicat, sinon plus moral, a sa littérature qui l’exprime fidèlement. […] Ses formes même apparaissent, se développent, se dessèchent, et se dissolvent, selon leur rapport à l’état intime de la société ou du groupe de la société qu’il s’agit de manifester : en sorte que, par les genres mêmes qui prévalent, la littérature exprime toutes les modifications de l’esprit français.

351. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Jean Lahor (Henri Cazalis). »

Si l’imagination poétique consiste essentiellement à découvrir et à exprimer les rapports et les correspondances secrètes entre les choses, on peut dire que le panthéisme est la poésie même, puisqu’il établit l’universelle parenté des êtres. […] Il aimera magnifiquement : car la nature entière lui fournira des images pour exprimer son amour.

352. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre X. Suite du Prêtre. — La Sibylle. — Joad. — Parallèle de Virgile et de Racine. »

Ne serait-ce point que les âmes tendres et tristes sont naturellement portées à se plaindre, à désirer, à douter, à exprimer avec une sorte de timidité, et que la plainte, le désir, le doute et la timidité, sont des privations de quelque chose ? […] Mais, d’un autre côté, Virgile a pour certains lecteurs un avantage sur Racine : sa voix, si nous osons nous exprimer ainsi, est plus gémissante et sa lyre plus plaintive.

353. (1895) Nos maîtres : études et portraits littéraires pp. -360

Voici déjà, exprimées par Christophe Gluck, de fortes émotions d’une grandeur quasi antique. […] J’exprime ici une crainte, non un blâme. […] Ainsi, voulant exprimer la sensation odorante d’une fleur, et ne trouvant aucun mot propre pour l’exprimer directement, je me résoudrais à la qualifier symboliquement de gris perle. […] Je suis le point par où s’exprime l’Idée du Polype-Humanité. […] À exprimer des émotions par la musique des mots.

354. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. FAURIEL. —  première partie  » pp. 126-268

Si vous n’aviez pas reçu la lettre où j’ai tâché de vous exprimer les sentiments ou plutôt les premiers mouvements de mon cœur, que penseriez-vous de moi ? […] Il pensait que c’est de là qu’il faut dater l’histoire des littératures et des sociétés modernes ; car, si court et si brusquement interrompu qu’ait été ce premier printemps, elles lui doivent leur vraie couleur. — J’exprime ici ces choses plus vivement qu’il ne les exprimait peut-être, mais non pas plus vivement qu’il ne les sentait. […] Je vous exprime ici d’une manière bien vague et bien incomplète un sentiment réel et pénible. […] N’ayant pas d’avis propre et personnel à exprimer en telle matière, je dois me borner à signaler en ces termes généraux l’état de la question. […] Il s’en exprima avec chaleur, avec émotion ; dans sa notice sur Lope92.

355. (1902) Propos littéraires. Première série

Tout cela était pour exprimer le vide d’un certain monde, qui existe peut-être ; mais, vraiment, c’était trop bien ; ça l’exprimait trop. […] Il ne cherchera jamais à exprimer le beau. […] Il n’exprimera que des sentiments, pour en exciter ? […] Mais quels sentiments exprimera-t-il, excitera-t-il ? […] Si l’art qui exprime le beau est un art faux, l’art qui exprimera des sentiments condamnables, qui les exprimera sous prétexte qu’ils sont beaux, sera faux tout autant, et un peu plus.

356. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « M. Deschanel et le romantisme de Racine »

Avant d’en rendre compte, ayons la candeur d’exprimer un regret. […] Deschanel s’exprime plus nettement que partout ailleurs sur sa bizarre théorie et nous prête par là, semble-t-il, les meilleures armes pour la repousser. […] Cela ne l’empêche point de s’exprimer comme auraient pu faire Guiche et Lauzun en soignant leur style. […] Il arrive parfois (et la tragédie n’exprime que des passions exceptionnelles au moins par leur degré) que sous l’homme civilisé surgisse un sauvage poussé par la force aveugle des nerfs et du sang. […] Pour Hermione, Roxane, Ériphile, Phèdre, elles aiment, elles souffrent, elles s’expriment comme des anges, elles sont prêtes à mourir : comment ne les aimerait-on pas ?

357. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Figurines (Deuxième Série) » pp. 103-153

Mais, justement, il est remarquable que ces lettres, adressées à une jeune cousine, d’humeur frivole, à ce qu’il semble, continuent, sous leur simplicité relative et leur demi-abandon, l’attitude morale qu’exprimaient Moïse, la Colère de Samson, le Christ aux Oliviers et la Maison du Berger, et attestent à la fois la sincérité et la profondeur de son pessimisme et l’efficacité merveilleuse de son orgueil. […] Mais il y avait sans doute un germe chrétien dans les furieux dégoûts qu’exprimaient les premiers livres de M.  […] Paul Deschanel d’avoir su exprimer avec éclat des idées vraiment populaires et nationales et, par-delà, vraiment humaines. […] Alphonse Daudet Ce que l’on va rendre à la terre cet après-midi, c’est l’enveloppe mortelle d’une âme charmante, servie par les sens les plus fins et qui sut exprimer par des mots les frissons qu’elle recevait des hommes et des choses ; âme infiniment impressionnable, tendre, frémissante, aimante. […] Il a l’immédiat frémissement de la vie aussitôt exprimée que perçue.

358. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Idées et sensations : par MM. Edmond et Jules de Goncourt. »

Ils n’ont jamais assez de couleurs et de nuances pour nous les rendre ; il leur semble qu’ils n’en ont jamais assez dit, assez exprimé. « L’excès en tout est la vertu de la femme, ont-ils dit. — Trop suffit quelquefois à la femme. » Ils sont de ces critiques délicats et raffinés qui ont cette, vertu féminine : ils veulent du trop ; ils s’en contentent quelquefois. […] Je ne le pense pas, et d’Alembert, en exprimant la pensée que relèvent avec un tel dédain nos jeunes amis, n’a fait qu’exprimer quelque chose de sensé et d’humain, qui n’est sans doute pas l’essentiel et le propre de l’art, mais qui ne saurait non plus être incompatible avec lui. On a beau être artiste jusqu’au bout des ongles, on est d’un temps, d’une époque ; on exprime les choses avec art et talent, pour être, apparemment, en sympathie avec quelqu’un, avec le plus d’amateurs ou d’admirateurs possible. […] Quoi qu’il en soit, on voit ici l’hérésie hardiment exprimée et professée.

359. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Émile Zola, l’Œuvre. »

Au fond, il y a de bons et de mauvais romanciers ; et, parmi les bons, il y en a qui expriment surtout le monde extérieur et les sensations, et d’autres qui analysent de préférence les sentiments et les pensées ; et ceux-ci ne sortent pas plus de la réalité que ceux-là. […] C’est sans doute que la peinture l’a toujours intéressé et que les théories, les vues, les pressentiments des peintres du « plein air » valaient la peine d’être exprimés dans un roman. […] Cette pénétration de l’âme de la jeune fille par la paix, la beauté, la majesté de ces vieilles pierres qui bornent son horizon est d’ailleurs fort bien exprimée. […] Zola en prenne son parti : il ne peut pas être à la fois Zola et autre chose que Zola… Il lui restera toujours d’avoir écrit la Conquête de Plassans, l’Assommoir et Germinal, d’avoir puissamment exprimé les instincts, les misères, les ordures et la vie extérieure de la basse humanité.

360. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Florian. (Fables illustrées.) » pp. 229-248

Il l’égaie par ses saillies, par ses vivacités de lutin espiègle et spirituel : « Il me donna le surnom de Pulcinella, que j’ai toujours porté depuis. » Florianet, petit Polichinelle, toujours des sobriquets et des diminutifs, pour exprimer la grâce, la gaieté, la gentillesse. […] On ne retrouve rien dans ses écrits de cette vivacité de ton qui lui faisait dire, au sujet de la place de gentilhomme qu’on sollicitait pour lui : « Il y a trop longtemps que je suis, laquais (c’est-à-dire page) pour vouloir devenir valet de chambre. » Car le doux Florian s’exprimait ainsi en causant ; on ne s’en douterait point à le lire. […] L’invention dernière, l’idée de la sarcelle remorquant à la nage le lapin assis sur un radeau qu’elle a construit exprès pour lui faire passer la rivière, est exprimée d’une manière tout à fait pittoresque et gracieuse :        Ah ! […] En terminant ses Fables à une époque où déjà l’ancienne société française était bouleversée et en train de périr, Florian exprimait un vœu sincère, le désir vrai d’être oublié ; il souhaitait la paix secrète, la paix du cœur, un abri studieux, Le travail qui sait éloigner Tous les fléaux de notre vie ; Assez de bien pour en donner, Et pas assez pour faire envie.

361. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Charles Perrault. (Les Contes des fées, édition illustrée.) » pp. 255-274

Il y exprimait pourtant une idée très philosophique, c’est qu’il n’y a pas de raison pour que la nature ne crée pas aujourd’hui d’aussi grands hommes qu’autrefois, et qu’il y a place, dans sa fertilité inépuisable, à un éternel renouvellement des talents. […] On ne saurait se figurer la colère qui s’empara de quelques académiciens, en entendant exprimer ces doctrines. […] La préface de son premier tome, d’abord, est fort spirituelle ; il raconte de nouveau l’origine de la querelle, les injures que lui ont values les opinions exprimées dans le poème du Siècle de Louis le Grand. […] Perrault, qui croit les trouver le premier, les exprime et les divulgue spirituellement.

362. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — I. » pp. 84-104

Il s’y élevait à des vues générales qui embrassaient toute la politique et la civilisation de ce pays ; mais surtout il y exposait la campagne de Mina en Catalogne, et les aventures de la Légion libérale étrangère, avec feu, avec une netteté originale et une véritable éloquence ; on sentait qu’il ne manquait à ce style un peu grave et un peu sombre, pour s’éclairer et pour s’animer, que d’exprimer ce que l’auteur avait vu et senti. […] L’homme qui s’exprimait de la sorte était déjà un écrivain d’un ordre élevé et n’avait plus qu’à poursuivre. […] Ce général (s’il l’avait été, en naissant vingt-cinq ans auparavant) aurait certainement écrit tôt ou tard ; il aurait raconté ses campagnes, les guerres dont il aurait été témoin et acteur, comme on l’a vu faire à un Gouvion Saint-Cyr ou à tel autre capitaine de haute intelligence ; mais ici, dans l’ordre littéraire ou historique, ce n’est pas seulement ce qu’il a senti et ce qu’il a fait que Carrel doit exprimer ; il est obligé d’accepter des sujets qui ne le touchent que par un coin, de s’y adapter, de s’y réduire, d’apprendre l’escrime de la plume, la tactique de la phrase ; il y devient peu à peu habile, et, dès qu’un grand intérêt et la passion l’y convieront, il y sera passé maître. […] C’était à Rouen, dans l’année scolaire 1818-1819, un jour de promenade ; au moment de partir, Carrel, un des meilleurs élèves de seconde, essaya de piquer d’honneur ses camarades au sujet d’un châtiment humiliant infligé à l’un d’eux ; il exprimait hautement son indignation.

363. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le cardinal de Richelieu. Ses Lettres, instructions et papiers d’État. Publiés dans la Collection des documents historiques, par M. Avenel. — Premier volume, 1853. — II. (Fin.) » pp. 246-265

Il tenait à montrer à l’Europe, dès le premier jour, ce qu’il exprime si noblement dans les instructions données à Schomberg : « Jamais vaisseau ne résistera à si grande tempête avec moins de débris qu’on en remarque au nôtre. » Richelieu, tombé de ce premier ministère, accompagne la reine Marie de Médicis dans son exil à Blois (mai 1617) ; bientôt, sa présence en cette petite cour porte ombrage à ses ennemis : la calomnie l’implique dans des intrigues, d’où son bon sens suffisait à le tenir écarté. […] En France, le meilleur remède qu’on puisse avoir est la patience… » Et il exprime à ce propos sur notre légèreté, si fertile en revers, des idées fâcheuses qui seraient trop décourageantes si lui-même, homme d’autorité et d’établissement, ne venait bientôt, par son propre exemple, les combattre et les corriger. […] Cette opinion de Richelieu, qui vient après le débordement du xvie  siècle et avant le déluge du xviiie , est du Bonald de première qualité, et, de quelque côté qu’on l’envisage, exprimée à cette date et avec cette précision, elle atteste la vue profonde de l’homme d’État. […] Pendant que Richelieu exprimait ces prévisions et ces craintes, Descartes préparait le libre accès de tous les esprits non seulement aux lettres, mais aux sciences, et enseignait le doute méthodique.

364. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Brizeux. Œuvres Complètes »

Né avec un talent de poète, d’une délicatesse presque fragile, — mais la perle, dit-on, est malade, — Brizeux, dont le nom seul exprime tout ce qu’il fut, est mort comme poète, non pas hier, — il y a quelques jours, — comme les journaux l’ont annoncé, mais il y a déjà longtemps. […] Il a voulu expliquer, dans une préface, l’idée que n’expriment pas ces divers morceaux, réunis sous ce titre, qui n’est intelligible que s’il est menteur : « La Fleur d’or ». […] Brizeux avait enlevé celle de ce poème, avec une grande légèreté de main, au monde du sentiment et au monde de la sensation, mais ni l’un ni l’autre de ces deux mondes n’y avaient été exprimés de manière à porter dans les esprits, où il éveille d’immortels échos, ce violent coup de l’originalité qui est comme la détonation du génie ! […] ou Le Bon Jésus allait sur l’eau, qui expriment plus de Bretagne, à elles seules, qu’il n’y en a dans beaucoup de ses descriptions où il s’est efforcé d’en mettre.

365. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Jean Richepin »

Mais s’ils l’avaient exprimée, cette poésie de la Pauvreté, ce n’avait guères été qu’en passant, par traits détachés, par éclairs, en quelques groupes ou en quelques têtes flambant de génie, dans un coin de livre ou de tableau… Qui les avait vues, ces têtes, les avait contemplées ; qui les avait contemplées ne pouvait plus les oublier. […] Et, du reste, pour ce que ces chansons en argot expriment et pour ce que la traduction française nous en apprend, il n’était vraiment pas la peine de se verdir à cette langue-là ! […] Je ne crois pas à la sincérité du sentiment que vous exprimez. » Oui ! c’est facile, et d’autant plus facile que cela doit rester impuni ; car on ne peut pas faire la preuve, qui serait une punition, de la sincérité d’un sentiment ou d’une pensée, si ce n’est par l’accent qu’on met à l’exprimer, les âmes n’étant pas transparentes.

366. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET (La Confession d’un Enfant du siècle.) » pp. 202-217

D’autres ont essayé de peindre tous les maux affaiblissants et le relâchement de la volonté, produits par un abandon tortueux et secret : lui, il s’est attaché à peindre le mal orgueilleux, ambitieux, d’une curiosité insatiable, impie, le mal du Don Juan renouvelé : « Il y a, dit-il, de l’assassinat dans le coin des bornes et dans l’attente de la nuit, au lieu que dans le coureur des orgies bruyantes on croirait presque à un guerrier : c’est quelque chose qui sent le combat, une apparence de lutte superbe : « Tout le monde le fait, et s’en cache ; fais-le, et ne t’en cache pas. » Ainsi parle l’orgueil, et, une fois cette cuirasse endossée, voilà le soleil qui y reluit. » Trois endroits, sans parler de celui auquel cette citation appartient, expriment et ramènent à merveille le sujet, le but du livre, qui disparaît et s’évanouit presque dans une trop grande partie du récit : ce sont, le discours nocturne de Desgenais à son ami, la réponse éloquente d’Octave à quelques mois de là, et, au second volume, certaines pages sur la curiosité furieuse, dépravée, de certains hommes pour ces hideuses vérités qui ressemblent à des noyés livides. […] La manière dont Octave effeuille dans l’âme de Brigitte et dans la sienne cette fleur tout à l’heure si belle, son art cruel d’en offenser chaque tendre racine est à merveille exprimé ; mais si la façon particulière appartient à Octave, cette défaite successive de l’amour, après le triomphe enivrant, n’est-elle pas à peu près l’histoire de tous les cœurs ? […] L’exemple d’Octave me semble donc un cas particulier qui ne fait pas loi, et ce qu’il a de plus général dans la dernière partie ne se rattache pas à ce qu’Octave a été libertin, mais à ce qu’il est homme, impatient, excessif, se lassant vite, triste et ennuyé dans le plaisir, habile à exprimer l’amertume du sein des délices : or, cela était vrai du temps de Lucrèce, du temps d’Hippocrate77, comme du temps d’Adolphe et du nôtre.

367. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  premier article .  » pp. 326-341

Mais nul ne fit plus alors pour ce renouvellement et, en quelque sorte, cette création moderne du sentiment antique que l’illustre auteur du Génie du Christianisme ; aucun de nos écrivains, depuis Fénelon, n’avait eu à ce degré l’intelligence vive du génie grec, et si Fénelon en avait goûté et rendu surtout les grâces simples et l’attique négligence, il était réservé à notre glorieux contemporain d’en exprimer plutôt les lignes grandioses et la sublimité primitive. […] Ce mot, au contraire, exprime à merveille la résistance invincible que la conscience littéraire oppose à un système ingénieux, mais subversif. C’est ce qu’un autre savant écrivait à Wolf après l’avoir lu : « Tant que je vous lis, je suis d’accord avec vous ; dès que je pose le livre, tout cet assentiment s’évanouit. » Les philologues, les érudits positifs ont beau faire assez peu de cas des considérations générales et des raisons puisées dans le sens intime ; ici eux-mêmes sont forcés de raisonner pour étayer leur système, et ils n’arrivent à leurs résultats que par voie d’induction ; car, s’ils s’en tenaient purement au fait transmis, à l’opinion constamment exprimée par les Anciens, ils croiraient à Homère nonobstant les difficultés qu’après tout les Anciens aussi n’ont pas été sans se poser.

368. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIII. Des tragédies de Shakespeare » pp. 276-294

Lorsqu’on se pénètre uniquement des modèles de l’art dramatique dans l’antiquité ; lorsqu’on imite l’imitation, on a moins d’originalité ; on n’a pas ce génie qui peint d’après nature, ce génie immédiat, si je puis m’exprimer ainsi, qui caractérise particulièrement Shakespeare. […] Dans les tragédies de Shakespeare, l’enfance et la vieillesse, le crime et la vertu, reçoivent la mort, et expriment tous les mouvements naturels à cette situation. […] La souffrance physique peut se raconter, mais non se voir ; ce n’est pas l’auteur, c’est l’acteur qui ne peut pas l’exprimer noblement ; ce n’est pas la pensée, ce sont les sens, qui se refusent à l’effet de ce genre d’imitation.

369. (1890) L’avenir de la science « Préface »

Le français ne veut exprimer que des choses claires ; or les lois les plus importantes, celles qui tiennent aux transformations de la vie, ne sont pas claires : on les voit dans une sorte de demi-jour. […] La France a ainsi passé à côté de précieuses vérités, non sans les voir, mais en les jetant au panier, comme inutiles ou impossibles à exprimer. […] Si je m’étais arrêté à faire disparaître d’innombrables incorrections, à modifier une foule de pensées qui me semblent maintenant exprimées d’une façon exagérée, ou qui ont perdu leur justesse 14, j’aurais été amené à composer un nouveau livre ; or le cadre de mon vieil ouvrage n’est nullement celui que je choisirais aujourd’hui.

370. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Conclusion »

Ce mot n’est exact qu’autant qu’il exprime une communauté de principes et de méthode : — constituer la psychologie comme science naturelle, avec l’appui de l’expérience et en l’absence de toute métaphysique. […] La conscience est le mot qui exprime, de la manière la plus générale, les diverses manifestations de la vie psychologique. […] Les corrélatifs « sujet » et « objet » sont les deux termes les moins inexacts, pour exprimer l’antithèse fondamentale de la connaissance et de l’existence.

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