L’on n’aperçoit encore que dans un lointain obscur cette combinaison de l’expérience et des principes, qui amènerait des résultats tellement positifs, qu’on pourrait parvenir à soumettre tous les problèmes des sciences morales à l’enchaînement, à la conséquence, à l’évidence pour ainsi dire mathématique. […] Si une expérience physique peut manquer, parce qu’on ne s’est pas rendu compte d’une légère différence dans les procédés, d’un léger degré de plus ou de moins dans le froid ou la chaleur, quelle étude du cœur humain ne faut-il pas pour déterminer la considération qu’on doit donner au gouvernement, afin qu’il soit obéi sans pouvoir être injuste, et l’action nécessaire aux législateurs pour réunir la nation dans un même esprit, sans entraver l’essor individuel ? […] La preuve des combinaisons de l’esprit, est dans l’expérience et le sentiment ; et le raisonnement, sous quelques formes qu’on le présente, ne peut jamais ni changer, ni modifier la nature des choses : il analyse ce qui est. […] comment peut-il diminuer les frais de l’expérience, et prévoir l’avenir avec quelque certitude ?
Les uns et les autres ont été donnés à notre expérience sensible avec la forme visible et l’apparence tangible : 1° de l’animal ; 2° des choses inanimées ou des êtres animés qui sont ses compagnons habituels. […] L’expérience remémorée se dénonce et se signifie elle-même à la conscience, — et c’est là, il faut le reconnaître, le premier début et le principe originel de la signification ; — la pensée, nouvelle ou remémorée, ne peut s’exprimer elle-même, comme fait l’expérience, par une de ses parties ; elle s’exprime, elle se signale à la conscience par le langage intérieur, qui est son œuvre, mais avec lequel elle n’a rien de commun. […] Des expériences récentes faites en Angleterre par M. […] Mais les résultats très imprévus des expériences de Galton n’ont pas encore subi l’épreuve de la discussion. […] Notre expérience ne nous en fournit pas du phénomène contraire : un suscité faible révélé par un suscitant fort ; cela tient sans doute à ce que l’esprit qui réfléchit et qui observe va plus volontiers de l’effet à la cause que de la cause à l’effet.
Le lieu commun sera entré dans votre expérience : il y aura pris la couleur et la vie. […] On la conçoit selon son expérience, ou on l’imagine d’après elle.
La nature a ce privilège que le sentiment que nous en avons dépasse infiniment notre expérience. […] Il est tout simple que les anciens, avec la même raison, devant la même nature que nous, aient aperçu bien des vérités où notre expérience et notre recherche personnelles nous amèneront. […] En second lieu, à croire qu’on retrouve la nature toujours la même dans les œuvres des anciens et dans l’expérience actuelle, qu’elle s’offre partout et toujours la même à la sensation et à l’imitation, on aboutit aisément au mépris et à la négation de l’histoire. […] Par une délicatesse pareille d’honnête homme et de Français, après avoir si bien dit au poète comique Que la nature donc soit votre étude unique, il l’enferme presque aussitôt dans un champ d’expériences étroitement délimité, en écrivant : Étudiez la cour et connaissez la ville. […] Il devait arriver que tantôt il interprétât l’antiquité avec ses idées modernes, et que tantôt il opprimât la pensée moderne par les formes antiques : comme il était fort malaisé de dégager toujours sûrement le fond commun des œuvres anciennes et de l’expérience moderne, il devait tendre à faire une trop large part à l’immuable et à l’absolu dans la nature et dans l’esprit humain.
Ce n’est pas assez de dire que l’Allemagne a perdu un grand écrivain qui savait adapter toutes les nuances du plus noble style aux sentiments les plus délicats ; qu’est-ce que la forme à côté de tant de pénétration, d’esprit, de noblesse d’âme, de sagesse et d’expérience ! […] « On a souvent fait la remarque, peu consolante en apparence, que tout ce qui n’a pas ses racines dans les profondeurs de la pensée, du sentiment et de l’imagination créatrice, que tout ce qui dépend du progrès de l’expérience, des révolutions que font subir aux théories physiques la perfection croissante des instruments, et la sphère sans cesse agrandie de l’observation, ne tarde pas à vieillir. […] De savoir si les races d’hommes existantes descendent d’un ou de plusieurs hommes primitifs, c’est ce qu’on ne saurait découvrir par l’expérience.” » XIV Les recherches géographiques sur le siège primordial, ou, comme on dit, sur le berceau de l’espèce humaine, ont dans le fait un caractère purement mythique. […] Ce qui montre encore dans la tradition dont il s’agit le caractère manifeste de la fiction, c’est qu’elle prétend expliquer un phénomène en dehors de toute expérience, celui de la première origine de l’espèce humaine, d’une manière conforme à l’expérience de nos jours ; la manière, par exemple, dont, à une époque où le genre humain tout entier comptait déjà des milliers d’années d’existence, une île déserte ou un vallon isolé dans les montagnes peut avoir été peuplé. En vain la pensée se plongerait dans la méditation du problème de cette première origine ; l’homme est si étroitement lié à son espèce et au temps, que l’on ne saurait concevoir un être humain venant au monde sans une famille déjà existante…… Cette question donc ne pouvant être résolue ni par la voie du raisonnement ni par celle de l’expérience, faut-il penser que l’état primitif, tel que nous le décrit une prétendue tradition, est réellement historique, ou bien que l’espèce humaine, dès son principe, couvrit la terre en forme de peuplades ?
Il est juste en effet que personne n’admet le réalisme de la description d’un objet imaginaire, si cette description ne lui paraît pas correspondre à la vérité ; mais cette vérité est variable, elle est une idée, et résulte de l’expérience, exacte, chimérique ou volontairement illusoire, que l’on se fait des choses et des gens. […] Il en est de même pour la figure de la courtisane qu’il faut présenter tout autrement à un débauché ou à un rêveur romanesque ; cela est si vrai que parfois le type illusoire l’emporte, même chez des lecteurs renseignés, sur l’expérience la plus répétée. […] L’expérience générale ne se si guère trompée sur ce point ; ce qu’on cherche à connaître d’un homme pour le juger, ce ne sont pas ses occupations, ce sont ses goûts. […] L’expérience montre qu’il existe une ressemblance accusée entre le type moral des admirateurs d’un auteur et cet auteur même. […] Dans ce livre, il tenta en particulier de valider par l’expérience la théorie de la perception définie comme hallucination par Taine dans De l’Intelligence.
En d’autres termes, les états de l’esprit les plus complexes ou les plus abstraits, les notions dites a priori, les idées les plus étrangères en apparence à l’expérience, les sentiments les plus raffinés ; tout, sans exception, est réductible par l’analyse aux sensations primitives, qui associées et fondues de mille manières, par suite des combinaisons qu’elles forment, des métamorphoses qu’elles subissent, deviennent méconnaissables au sens commun. […] On s’étonne parfois de l’ingénuité de ses explications et l’on comprend par cette lecture combien le raisonnement, s’il n’est à chaque instant appuyé par l’expérience et la confrontation avec les faits, est impuissant tout seul à débrouiller l’inextricable lacis des phénomènes psychiques.
C’est dans cette étude des phénomènes familiers de notre vie morale que nous dirige Bossuet, parmi des expériences que chacun peut faire sur soi-même, et à l’aide de réflexions qui n’excèdent la force d’esprit de personne. […] il aspirait à réunir en lui tous les caractères et toutes les dispositions, à être à la fois le docteur de la tradition et le mystique de l’expérience propre, le chrétien actif et le parfait. […] Il faut à Bossuet « des expériences solennelles et authentiques, celles des prophètes, des apôtres et des saints Pères qui les ont suivis, et non pas des expériences particulières qu’il est difficile ni d’attribuer ni de contester à personne par des principes certains. » C’est ainsi que, dans cette matière, si au-dessus du sens commun, il reste, comme en toute autre, attaché au sens commun, discernant ce que ces subtilités cachaient de réel, et s’arrêtant toujours à la limite de l’intelligible. […] Le principe de Fénelon, c’est le particulier, et, s’il y a tradition, c’est tout au plus une tradition d’hier ; c’est l’expérience personnelle, le moi. […] Le sens propre, l’expérience disent, en effet : Moi.
Les expériences de Cattell, de Goldscheider et Müller, de Pillsbury (critiquées, il est vrai, par Erdmann et Dodge) paraissent concluantes sur ce point. […] Mais, indépendamment de toute expérience scientifique, chacun de nous a pu constater l’impossibilité où il est de percevoir distinctement les mots d’une langue qu’il ne connaît pas. […] La forme abstraite de ce travail évoque successivement dans son esprit, à force de tâtonnements et d’expériences, la forme concrète des divers mouvements composants qui réaliseraient le mouvement total, puis celles des pièces et des combinaisons de pièces capables de donner ces mouvements partiels. […] Mais à une intelligence flexible, capable d’utiliser son expérience passée en la recourbant selon les lignes du présent, il faut, à côté de l’image, une représentation d’ordre différent toujours capable de se réaliser en images mais toujours distincte d’elles. […] Tout ce que nous demandons est qu’on ne néglige aucune partie de l’expérience.
On est trop distrait, et, d’autre part, on est trop averti ; on a trop de science et d’expérience, on a trop l’habitude de se tenir et de se surveiller. […] Puis les souvenirs des expériences morales consignées dans les livres lui reviennent sans cesse ; il y compare, malgré lui, ou cherche à y conformer sa propre aventure. […] Il aime sans aimer, il aime exprès : et c’est pourquoi il cesse d’aimer dès qu’arrive l’heure des résolutions suprêmes, du jour où son amour, en se prolongeant, risquerait de compliquer irrémédiablement sa vie, cesserait d’être un exercice agréable et ingénieux, une occasion d’expériences et de vérifications morales. […] Il fait des expériences pour en faire, non pour les écrire.
Nous le laisserons régner ; mais il nous serait essentiel, pour ne pas rester trop au-dessous de notre idée, de pouvoir dire quelque chose encore de ce Testament politique où il a déposé, sous une forme un peu sentencieuse, le résumé de son expérience et l’idéal de sa doctrine. […] Je puis dire avec vérité, le sachant par expérience, que la légèreté de telles gens n’est pas moins dangereuse en l’administration des affaires publiques, que la malice de beaucoup d’autres. […] Tels sont les conseils ou plutôt les signalements d’expérience que donnait un homme qui ne passait point précisément pour modeste, mais qui certainement était encore moins présomptueux. […] Je laisse ces divers problèmes, ces contradictions apparentes de quelques-unes de ses pensées et de ses actes à agiter aux historiens futurs ; la renommée de Richelieu (et la renommée, il l’a dit, est le seul paiement des grandes âmes) ne peut que s’accroître avec les années et avec les siècles : il est de ceux qui ont le plus contribué à donner consistance et unité à une noble nation qui d’elle-même en a trop peu ; il est, à ce titre, un des plus glorieux artisans politiques qui aient existé ; et plus les générations auront été battues des révolutions et mûries de l’expérience, plus elles s’approcheront de sa mémoire avec circonspection et avec respect.
D’autant que la science de Palissy n’est point abstraite : ce curieux obstiné, qui vécut tant d’années pour son idée, ce sévère huguenot, qui n’échappa à la Saint-Barthélemy que pour mourir à la Bastille, s’est mis tout entier dans tous ses ouvrages ; il ne peut parler agriculture et chimie sans répandre au dehors toute son originale et forte nature, sa large intelligence, sa liante moralité, son ample expérience de l’homme et de la vie. […] Sur la fin de son commandement, toutefois, après la Saint-Barthélemy, il se décida à révéler au roi Charles IX les conclusions de son expérience : à force de pendre et de tuer, il en était venu à penser que le roi, pour rétablir son autorité et la paix, devait accorder la liberté de leur culte aux protestants, en détacher peu à peu la noblesse ambitieuse en réservant la faveur et les emplois aux catholiques, enfin user la turbulence de ses sujets dans la guerre étrangère : ce n’est pas là le discours d’un fanatique. […] Et ce vieux capitaine a tant de finesse native, tant d’expérience accumulée, il a tant fait pendant soixante ans pour faire jouer les ressorts des âmes de ses soudards, pour saisir ses supérieurs aussi par les propriétés de leur humeur, qu’en racontant sa vie, il dépasse sans y songer la couche superficielle des faits historiques ; il plonge à chaque moment dans les consciences, les découvre dans les actes, les gestes, les paroles ; il se découvre lui-même à nous jusqu’au fond de son être intime.
L’expérience confirme ce raisonnement. […] Continuons de consulter l’expérience. […] L’expérience leur avoit enseigné que les enfans de ces circassiens nez et élevez en égypte, n’avoient que les inclinations et le courage des égyptiens.
Dans Le Moniteur du 4 février 1854, j’ai donné un article sur l’ouvrage intitulé Étude de l’homme, par M. de Latena, conseiller-maître à la Cour des comptes ; en voici une partie, jusqu’à l’endroit où je ne me suis pas fait comprendre : Écrire des pensées, résumer l’expérience de la vie dans quelques essais de morale, est une des formes naturelles à toute une classe d’esprits graves et polis. […] Ce n’est point en lisant les auteurs ses devanciers que M. de Latena est arrivé à l’idée de résumer, à son tour, dans un ouvrage de morale les résultats de son expérience ; en composant ce livre, il est resté en dehors de toute excitation littéraire proprement dite : ce n’est pas sans dessein que je le remarque, car il y a eu de temps en temps des modes littéraires, même pour les livres de morale.
Le seul que les rois aient à redouter a été réduit à l’impuissance voilà vingt ans, et il achève de consumer ses forces en faisant chez lui l’expérience de la démocratie. […] Il y a, pour le moins, deux choses que les bonnes âmes de tous les pays et aussi, j’en suis sûr, du pays d’Allemagne trouveraient toutes naturelles et toutes simples, mais dont les politiques, je ne l’ignore pas, déclareraient l’entreprise impossible et absurde, bien que ces fortes têtes n’en apportent d’autres preuves que leurs affirmations et leur chétive expérience.
Nous y voyons (et cela est neuf) que la multiplicité de ses amours vint de ce qu’elle se croyait d’un tempérament froid, et que c’était cette persuasion, un peu humiliante, qui l’incitait à plus d’expériences qu’elle n’eût voulu… Nous y découvrons aussi qu’elle ne commença à aimer Musset « pour de bon » qu’à partir du jour où, l’ayant trompé, elle le congédia : et ce nous est une nouvelle preuve qu’elle fut une personne d’une extraordinaire imagination. […] Et là encore il faut admirer sa bonne volonté à recommencer sans fin les expériences sentimentales et à parer de beaux mots et de philosophie (telle cette noiraude de Mme d’Épinay) les inquiétudes de sa chair.
Ces principes sont des résultats d’expériences fortement généralisés ; mais ils semblent emprunter à leur généralité même un degré éminent de certitude. […] On les a comparés aux données de l’expérience, on a vu comment il fallait en modifier l’énoncé pour les adapter à ces données ; par là on les a élargis et consolidés.
Au contraire, il n’y a que des expériences méthodiques qui puissent arracher leur secret à des choses. […] Il y a là un trésor d’expériences toutes faites qu’il serait insensé de ne pas mettre à profit.
— sous prétexte que l’esprit français ne bougeait plus et qu’il fallait le ranimer par des expériences culinaires, faites sur le vif des gens de lettres de tous les étages. […] L’expérience est-elle manquée définitivement, ou doit-elle continuer ?
Appuyons, si j’ose dire, contre nous ce principe, de l’inconscient comme siège de tendances déterminées qui viennent modifier le conscient ; rapprochons-le de notre expérience. […] Songez quel accès au caractère individuel, quelle clef de toute une conduite peut donner la connaissance des expériences sexuelles faites par un être donné, et surtout des contrecoups provoqués par ces expériences. […] Il nous décrit simplement son expérience, avec une particularité tellement géniale que nous y retrouvons aussitôt la nôtre, et il nous décèle dans cette expérience les constantes manifestations de l’inconscient. […] Mais je me dis aussi que son caractère n’était pas fait pour lui permettre certaines expériences, qui peuvent lui avoir manqué. […] Mais nous ne pouvons pas l’accompagner jusqu’au bout de son effort pour schématiser son expérience.
A la manière dont il parle de l’amitié, de ce goût qu’elle a et auquel ne peuvent atteindre ceux qui sont nés médiocres, on croirait qu’il a renoncé pour elle à l’amour ; et, à la façon dont il pose certaines questions ravissantes, on jurerait qu’il a eu assez l’expérience d’un grand amour pour devoir négliger l’amitié. Cette diversité de pensées accomplies, desquelles on pourrait tirer tour à tour plusieurs manières d’existences charmantes ou profondes, et qu’une seule personne n’a pu directement former de sa seule et propre expérience, s’explique d’un mot : Molière, sans être Alceste, ni Philinte, ni Orgon, ni Argan, est successivement tout cela ; La Bruyère, dans le cercle du moraliste, a ce don assez pareil, d’être successivement chaque cœur ; il est du petit nombre de ces hommes qui ont tout su. […] Les petites inconséquences du Tartufe, il les a saisies, et son Onuphre est irréprochable147 : de même pour sa conduite, il pense à tout et se conforme à ses maximes, à son expérience. […] Je me trompe fort, ou de tels souvenirs domestiques furent un fait capital dans l’expérience secrète et la maturité du penseur. […] Ce livre, d’une expérience amère et presque misanthropique, devenu la dot d’une jeune fille : singulier contraste !
Il a pour objet de connaître la nature, et, puisqu’il n’a pas été appelé à mettre la main au plan de la machine du monde, qu’elle existe et se maintient indépendamment de ses méditations correctrices, il faut bien qu’il se borne à l’expérience. […] Mis en contact avec l’expérience, il fut prompt à se désabuser ; il avait, je l’ai dit, le sens juste, « des aperçus utiles et lumineux dans les crises les plus sérieuses » ; il en fit preuve aux moments les plus décisifs de la Révolution, là où il y avait place au conseil33. […] Il y a dans cette douleur et cette expression de mépris de Sieyès un excès maladif, et le Lycurgue, qui s’est brisé contre l’expérience humaine, a tourné au misanthrope. […] Après avoir partagé sa première méprise, l’avoir partagée avec tout votre pays, vous avez concouru vivement à abuser35, à gâter, à renverser jusqu’aux antipodes les principes offerts ; enfin, vous qui exigez une expérience que vous étiez loin d’avoir vous-même, vous trouvez mauvais aujourd’hui qu’on profite de l’expérience acquise, et qu’on ne veuille pas s’exposer de nouveau à vos reproches.
Il faut se rendre compte du mensonge et de l’équivoque que comporte cette dénomination même ; car l’idée générale ne possède le caractère d’universalité auquel elle prétend que par rapport à un groupe d’hommes déterminé, celui-là seul qui la résuma à son usage, comme le résultat d’une série d’expériences concrètes et particulières. C’est dans ces expériences particulières uniquement que réside la réalité de l’idée, en sorte qu’elle n’est elle-même une réalité que pour le groupe d’hommes déterminé à qui ces expériences réussirent, ou pour un groupe pareil. Une idée générale est toujours une idée abstraite, et il n’existe pas d’idée abstraite qui ne soit abstraite d’une série d’expériences humaines. […] Pour cet être ― c’est ici d’un groupe social qu’il s’agit — pour cet être aux formes duquel l’idée fut adaptée, ce résumé de l’expérience, enfermé dans l’énoncé d’une notion transmissible, est proprement une attitude d’utilité, c’est-à-dire un moyen de créer sa propre réalité par la discipline d’un commandement qui se répète, puis de conserver ou d’augmenter sa santé et sa force.
Invoquant une opinion de Claude Bernard, d’après laquelle la méthode expérimentale exige trois facteurs, le sentiment, la raison et l’expérience, et, citant cette phrase de ce dernier : « C’est un sentiment particulier, un quid proprium qui constitue l’originalité, l’invention ou le génie de chacun », Zola s’écrie : « Voilà donc la part faite au génie, dans le roman expérimental… La méthode n’est qu’un outil ; c’est l’ouvrier, c’est l’idée qu’il apporte qui fait le chef-d’œuvre. » On peut se demander ce que vient faire là ce quid proprium, étant donné le principe de Claude Bernard et celui de Zola, calqué sur le premier ; je trouve ce sentiment particulier absolument incompatible avec la théorie générale de la vie incluse dans la méthode expérimentale. Si nous supposons, en effet, un expérimentateur pourvu de ce « sentiment particulier » jusqu’au génie, devenu lui-même sujet d’expérience pour un second expérimentateur, ce dernier pourra t-il analyser le génie de son sujet à l’aide de la méthode expérimentale ? […] Cette méthode, et je désire insister là-dessus, a pris racine dans l’expérience du monde qu’a eu l’auteur. […] Et en les connaissant, il a amassé un trésor d’expériences où il puisa lorsqu’il vint à faire des livres, et qui leur donne ce troublant parfum spécial qu’exhalent seules les choses qui ont été vécues personnellement dans l’éloignement du passé. […] Meunier, le fabricant de chocolat, et imagina en lui-même la luxueuse installation de l’intérieur, découvrant plusieurs années après, que sa description était peu éloignée de la réalité ; avant d’écrire Nana, il obtint une introduction auprès d’une demi-mondaine, avec laquelle il eut le privilège de déjeuner ; sa laborieuse préparation au prodigieux récit de la guerre de 1870, dans La Débâcle, se compose purement de livres, de documents et d’expériences de seconde main ; quand il voulut décrire le travail, il alla dans les mines et dans les champs, mais il ne semble pas qu’il ait jamais fait un travail manuel d’un seul jour.
Je parle par expérience personnelle. […] Ces innombrables expériences personnelles sont un facteur de l’évolution du principe ; elles en réalisent pratiquement les conséquences bonnes ou mauvaises ; elles en montrent l’insuffisance ; finalement, quand l’heure est venue, ces révoltes individuelles, prenant mieux conscience d’elles-mêmes, préparent la révolution générale et l’avènement d’un principe nouveau. […] Pour cela, il faut qu’il ait vécu avec une intensité particulière la vie de son peuple, l’espérance et la douleur de son époque ; il est l’aboutissant d’une infinité d’expériences personnelles ; la masse demeurerait inerte et muette s’il ne parlait et n’agissait pour elle, mais sa parole à lui ne serait que vanité si son amour n’avait pas deviné la masse. […] Le chimiste n’arrive pas plus que l’historien à expliquer la vie ; du moins peut-il répéter presque à volonté une expérience donnée et connaît-il avec précision les réactions de certains éléments ; tel n’est pas le cas, hélas, de l’historien, du psychologue. […] Ceux qui prétendent tout expliquer par l’expérience et la physiologie, rencontreront toujours un démenti sous la forme d’une personnalité vivante ; cette personnalité sera peut-être même l’un d’eux.
Il y avait donc entre eux un abîme de ce côté-là, du côté du rivage de l’Éternité ; mais de ce côté-ci du monde, et dans l’observation de la société, ils pensaient presque en tout de même ; ils avaient la même expérience définitive, le même désabusement, avec cette différence que Mme de Créqui était revenue de tout intérêt actif dans la vie, et que M. de Meilhan était désabusé, mais non détaché ; elle lui en fait quelquefois la guerre. […] II. — Première vie de Mme de Créqui. — Devoir ; régularité ; religion. — Expérience et désabusement. […] Dans le temps qu’il méditait son Émile, il lui demandait de vouloir bien lui mettre par écrit ses idées et le résultat de son expérience maternelle : À propos d’éducation, lui disait-il (janvier 1759), j’aurais quelques idées sur ce sujet que je serais bien tenté de jeter sur le papier si j’avais un peu d’aide ; mais il faudrait avoir là-dessus les observations qui me manquent68. […] Elle a le bon sens, un certain bon sens âcre en qui se résume une expérience consommée, « un fonds de caustique qui ne demande qu’à sortir », et que sa charité, plus de principes que de nature, ne suffit pas à contenir au dedans.
On peut donner de l’existence des systèmes en philosophie une explication plus scientifique et plus profonde en disant qu’ils ne sont que des hypothèses provisoires destinées à lier les phénomènes connus, à en rendre compte dans la mesure de notre expérience et de notre science, à susciter même la recherche de faits nouveaux et inconnus qui viennent soit vérifier, soit renverser l’hypothèse reçue. […] Cette explication est démentie en outre par la plus forte de toutes les raisons, par l’expérience, car on ne voit pas qu’il y ait une liaison nécessaire entre les doctrines et les mœurs, et l’on a vu trop souvent en philosophie de graves erreurs soutenues par des hommes d’une conduite irréprochable. […] Cette objection, tant répétée il y a trente ans, a été bien démentie par l’expérience, car ce que l’on reproche précisément aujourd’hui, avec la même violence, à l’ancienne école éclectique, devenue l’école spiritualiste, c’est au contraire un certain excès de dogmatisme et une sorte d’intolérance. […] Par exemple, il n’est personne aujourd’hui qui ne reconnaisse que Hegel a trop sacrifié l’expérience, qu’il a trop exagéré la puissance de la méthode a priori.
Je voudrais montrer que derrière des objections des uns, les railleries des autres, il y a, invisible et présente, une certaine métaphysique inconsciente d’elle-même — inconsciente et par conséquent inconsistante, inconsciente et par conséquent incapable de se remodeler sans cesse, comme doit le faire une philosophie digne de ce nom, sur l’observation et l’expérience —, que d’ailleurs cette métaphysique est naturelle, qu’elle tient en tout cas à un pli contracté depuis longtemps par l’esprit humain, qu’ainsi s’expliquent sa persistance et sa popularité. […] On s’étonne parfois que la science moderne se soit détournée des faits qui vous intéressent, alors qu’elle devrait, expérimentale, accueillir tout ce qui est matière d’observation et d’expérience. […] Qu’elle ait créé la méthode expérimentale, c’est certain ; mais cela ne veut pas dire qu’elle ait élargi de tous côtés le champ d’expériences où l’on travaillait avant elle. […] Pour une seule faculté intellectuelle, en effet, on a pu se croire autorisé par l’expérience à parler de localisation précise dans le cerveau : je fais allusion à la mémoire, et plus spécialement à la mémoire des mots.
On peut acquérir plus tard de l’expérience, de l’habileté, de la finesse ; on en acquiert, c’est inévitable ; chacun a la sienne en avançant dans la vie et à force de se mesurer aux épreuves. Mais cette expérience acquise, il est rare qu’on ne l’emploie pas autour de sa qualité première fondamentale, qu’on ne la mette pas préférablement au service de son premier tour de caractère, quand il est décisif et dominant. […] L’expérience a-t-elle agi ? […] — C’est ainsi que son expérience acquise se concilia du mieux qu’elle put avec son inaltérable faculté d’espérer et avec sa foi morale et sociale persistante. […] C’est un des inconvénients des gouvernements démocratiques, que le peuple, qui ne juge pas toujours et se trompe fréquemment, est souvent obligé de subir une expérience, avant d’être en état de prendre un bon parti.
. — Son estime pour les faits particuliers, les expériences sensibles, et les souvenirs personnels. — Importance des spécimens décisifs en tout ordre de connaissance. — Essais sur Warren Hastings et sur Clive. […] Il était appuyé sur un principe solide, fruit d’une longue et vaste expérience. […] Il sait que pour donner à des hommes une idée nette et vive, il faut les reporter à leur expérience personnelle. […] Pour cela, il faut faire appel à l’observation personnelle du lecteur, partir de son expérience, comparer les objets inconnus qu’on lui montre aux objets connus qu’il voit tous les jours, rapprocher les événements anciens des événements contemporains. […] Cependant l’expérience nous autorise à croire avec certitude que cette explosion, comme celle qui l’a précédée, fertilisera le sol qu’elle a dévasté.
Nous dirions même que nous aurions peur des projets trop rédigés à l’avance, et qui anticiperaient sur l’expérience par la théorie : car notez que la théorie ici, ce serait probablement la routine. […] L’important serait bien moins d’abord dans tel ou tel règlement de détail que dans l’esprit qui animerait la fondation, et dans le choix de l’homme appelé à la diriger sur les lieux, et qui devrait savoir l’approprier, l’étendre, la modifier selon l’expérience même.
L’effet des séditions a toujours été de ramener à l’obéissance, & de faire sentir le prix de l’autorité légitime, par l’expérience des maux que la révolte entraîne : de même leur soulévement contre la Religion deviendra le plus solide trophée de sa gloire, & le lien le plus sûr pour y attacher les Esprits raisonnables. […] Qu’il se révolte contre sa morale : l’expérience a fait constamment connoître que cette morale est la digue la plus respectable & la plus sûre qu’on puisse opposer à la perversité des passions.
L’expérience nous apprend sans doute que le cerveau entre pour une certaine part, pour une très grande part dans l’exercice de la pensée ; mais qu’il en soit la cause unique et la rigoureuse mesure, c’est ce qui n’est pas démontré. Il faut reconnaître sans doute que, lorsque l’on fait porter un débat sur une question purement expérimentale, on s’engage par là même à changer d’avis, si l’expérience vient à nous donner tort.
Une expérience que je proposerais volontiers à l’homme de soixante-cinq ou six ans, qui jugerait les miennes ou trop longues, ou trop fréquentes, ou trop étrangères au sujet10, ce serait d’emporter avec lui, dans la retraite, Tacite, Suétone et Sénèque ; de jeter négligemment sur le papier les choses qui l’intéresseraient, les idées qu’elles réveilleraient dans son esprit, les pensées de ces auteurs qu’il voudrait retenir, les sentiments qu’il éprouverait, n’ayant d’autre dessein que celui de s’instruire sans se fatiguer : et je suis presque sûr que, s’arrêtant aux endroits où je me suis arrêté, comparant son siècle aux siècles passés, et tirant des circonstances et des caractères les mêmes conjectures sur ce que le présent nous annonce, sur ce qu’on peut espérer ou craindre de l’avenir, il referait cet ouvrage à peu près tel qu’il est. […] Qui qu’il en soit, la maxime que cette Société a osé donner comme un conseil, ou plutôt comme un précepte, et qu’elle a même prise dans tous les temps pour règle de sa conduite, est le résultat d’une affreuse et triste vérité, dont l’expérience journalière, et particulièrement la mauvaise opinion que beaucoup de gens ont encore de Sénèque, sont malheureusement une preuve sans réplique.
Les regles qui sont déja réduites en méthode, sont des guides qui ne montrent le chemin que de loin, et ce n’est qu’avec le secours de l’expérience, que les génies les plus heureux, apprennent d’elles comment il faut appliquer dans la pratique leurs maximes succinctes et leurs préceptes trop generaux. […] Un homme né avec le génie du commandement à la guerre, et capable de devenir un grand capitaine à l’aide de l’expérience, c’est un homme dont la conformation organique est telle que sa valeur n’ôte rien à sa présence d’esprit, et que sa présence d’esprit n’ôte rien à sa valeur.
Les vérités absolues sont donc indépendantes de l’expérience et de la conscience, et en même temps elles sont attestées par l’expérience et la conscience. D’une part, c’est dans l’expérience que se déclarent ces vérités, et de l’autre nulle expérience ne les explique. Voilà comment diffèrent et s’accordent l’expérience et la raison, et comment, au moyen de l’expérience même, on arrive à trouver quelque chose qui la surpasse. […] Ici encore, ici comme toujours, interrogeons l’expérience. […] Ne nous lassons pas de l’expérience.
La science n’a pas besoin d’excuses quand elle procède sincèrement et selon son véritable esprit : elle peut sur certains points aller trop vite, avoir ses hypothèses anticipées, hasardées même ; mais qu’on la réfute alors ; qu’on oppose raison à raison, expérience à expérience. […] Que de pareilles scènes soient infiniment regrettables, comme l’a dit M. le rapporteur, je le sais, — je le sais par expérience et pour y avoir passé moi-même (car j’ai eu aussi, dans mon temps, ma part de ces tempêtes scolaires) [mouvement] : mais le professeur n’a mérité aucun blâme. […] Je maintiens de toute la force de la conscience scientifique que, dans l’enseignement de la physiologie comme des autres sciences, les faits résultant de l’observation et de l’expérience doivent être acceptés, quels qu’ils soient : les déductions dernières à en tirer appartiennent ensuite à chacun. […] Claude Bernard, dont le nom a été invoqué dans cette discussion et qui s’est fait respecter des deux parts, dit un mot qui me paraît la règle la plus sage : « Quand je suis dans mon laboratoire, je commence par mettre à la porte le spiritualisme et le matérialisme ; je n’observe que des faits, je n’interroge que des expériences ; je ne cherche que les conditions scientifiques dans lesquelles se produit et se manifeste la vie. » Ce sont là des principes de conduite qui font renseignement scientifique irréprochable à tous les points de vue. […] Quant au milieu et au corps même de la thèse, il est curieux et instructif par les faits et les extraits qui y sont rassemblés ; s’animant d’un souffle sincère, d’un sentiment d’humanitarisme parfois éloquent (voir notamment certaine page, la page 43), ce corps tout médical de la thèse s’appuie, d’ailleurs, et s’autorise des expériences et des observations les plus complètes et les plus récentes qui ont été faites sur les nerfs et sur le cerveau.