L’homme a besoin d’être aidé à produire ses pensées ; s’il n’a pas la confiance intime d’un appui dans l’opinion ou le sentiment de ses contemporains, il s’effraie de sa solitude ; s’il ne sent pas dans les autres l’influence qu’il se croyait appelé à exercer, le découragement vient le saisir, et il garde un silence qui le dévore : il n’est pas assez assuré dans sa propre conscience parce qu’il est éminemment un être social. […] Toutes les facultés sont dans l’homme, mais toutes ont besoin d’y être fécondées : les unes le sont par les perceptions des sens, les autres le sont par la parole. […] L’Angleterre, isolée du continent, a eu besoin d’une autre inspiration : lorsqu’elle s’est formé une littérature, elle n’a point connu le Parnasse grec, ni les chansons du gai savoir ; elle a été fidèle au culte d’Odin et à toutes les créations fantastiques de l’Edda : heureusement elle a eu Shakespeare. […] Je n’ai pas besoin de le dire : la seule manière d’user des anciennes divinités païennes, c’était de les transformer, comme l’a fait Milton, en des anges ennemis, en des esprits de séduction et de perte.
Nisard, l’incomparable valeur de ces deux volumes où l’écrivain a prouvé, par son exemple, que la pureté de la conscience n’impliquait la fermeture de l’esprit à aucune notion littéraire, et que l’attache aux principes — et à tous les principes — n’empêchait pas non plus d’avoir de la grâce dans l’esprit, car il en a beaucoup, et de l’agrément, puisqu’on jure par ce mot, dans une société dont le premier besoin à l’heure que voici est peut-être d’être amusée. […] Trelawney — cette Psyché funèbre — lèvera le linceul ni plus ni moins qu’une portière, qu’une madame Cibot qui voudrait voir si le mort a le nez pincé avant qu’on le cloue dans sa bière, et il trouvera… les jambes chimériques dont il aura l’horreur que tout corsaire, dévoué à l’esthétique, à la statuaire et à lord Byron, doit avoir naturellement, et qu’il aura naturellement aussi le besoin de communiquer. […] Trelawney que l’auteur des Recollections l’aura fait, ce tour-là, et non à Byron, qui, d’ailleurs, n’a plus besoin de jambes, car il est passé buste, comme Homère et Virgile, et Shakespeare et Dante. […] Une voix s’est élevée en France pour protester contre l’injure jetée à la forme exquise et disparue du plus beau des poètes, et cette voix a été celle de la délicatesse dans le courage, mais elle n’avait pas besoin de s’élever… Rien ne peut désormais contre l’impression que Byron a laissée de lui-même dans le monde.
Pour se mettre à écrire, il a besoin d’excitants ; il faut qu’il provoque, par quelque artifice, le dieu dolent qui est en lui, et qui demande obscurément à s’exprimer. […] Un sentiment de la nature incontestablement profond est ici altéré par le souci de la composition artistique, par le besoin de mise en scène, qu’on retrouve chez beaucoup de nos romantiques. […] Or voici que toute une série de moralistes se mettent à lui dire que les passions sont bonnes ; qu’elles n’ont plus besoin d’être refoulées, mais seulement gouvernées ; bien plus ! […] « Désirer est donc le plus pressant de tous nos besoins ; aussi à peine un désir est-il satisfait que nous en formons un autre. […] Elle a besoin d’un principe, encore, qui lui donne l’illusion de comprendre comment une collectivité d’atomes a pu aboutir à la conscience de l’unité, chez le moi pensant.
Il est pourtant des esprits plus fortement doués pour lesquels la raison des choses est l’objet constant et fixe d’une véritable passion et d’un violent besoin ; ils la poursuivent en toute recherche, la demandent à chaque circonstance, et, obsédés du tourment de l’atteindre, plutôt que de s’en passer, la supposent. […] Sans doute il se laissa plus d’une fois séduire à des inductions pressenties plutôt que trouvées ; plus d’une fois sa perspicacité ingénieuse donna le change à son intelligence exigeante ; et, portant en lui tant de ressources avec tant de besoins, il jugea souvent plus commode d’inventer que de découvrir.
L’excès du malheur retrempa les âmes ; le joug tranquille énervait les esprits supérieurs, ainsi que la multitude ; les fureurs de la cruauté, longtemps souffertes, avilirent encore davantage la masse de la nation ; mais quelques hommes éclairés se relevèrent de cet abattement général, et ressentirent plus que jamais le besoin de la philosophie stoïcienne. […] Les premiers qui écrivent et parlent une belle langue, se laissent charmer par l’harmonie des phrases ; et Cicéron ni ses auditeurs ne sentaient pas encore le besoin d’un style plus fort d’idées.
La popularité de son Plutarque ne prouve pas seulement son talent, mais révèle aussi qu’il avait choisi un des auteurs les mieux adaptés au besoin de ses lecteurs. Ce fut un de ces livres où une société prend conscience d’elle-même, qui l’aident à dégager son goût, à connaître et satisfaire son besoin.
Il n’avait pas besoin de cela pour mettre de son côté un public dont il exprimait le goût secret. […] Ces deux grands esprits condamnaient la poésie, parce qu’ils n’étaient pas poètes, le vers, parce que, n’étant pas poètes, ils n’en avaient pas besoin ; et ils ne voyaient autour d’eux que des gens qui versifiaient sans nécessité, qui eussent mieux fait de parler en prose.
Pantalon, qui a justement besoin de faire réparer une serrure, arrête au passage Cintio qui est fort embarrassé, d’autant que Mezzetin le poursuit de ses quolibets. […] Il éprouva aussi ce vif besoin de réhabiliter sa profession que ressentaient particulièrement en France les comédiens italiens.
Molière recourait tout naturellement aux Italiens, à ces artistes turbulents, lorsqu’il avait besoin d’accélérer le mouvement d’une pièce ; c’est ainsi que, dans cette comédie de L’Avare, peinture d’un vice qui se soutient difficilement au théâtre, il mit à contribution cinq ou six canevas de la commedia dell’arte. […] La fameuse scène de la galère, que Molière emprunta à Cyrano de Bergerac, se trouve dessinée déjà dans un des canevas de Flaminio Scala : dans ce canevas intitulé Il Capitano, Pedrolino, afin d’arracher à Pantalon l’argent dont Oratio, fils de Pantalon, a un besoin pressant, vient lui raconter que ce fils est tombé entre les mains des bandits et mis à la rançon de cent écus.
Pour ce qui est de l’art de construire, si une même disposition naturelle a permis à nos architectes d’accommoder en quelque mesure le goût antique aux besoins si différents des temps modernes et aux nécessités d’un autre climat, il est trop évident que c’en est fait, dès la Renaissance, de notre architecture religieuse. […] Si belle que soit par ses proportions la colonnade du Louvre, il est impossible de ne pas sentir qu’elle répond pourtant à des besoins nés sous un autre ciel et qu’elle n’aura pas ici mission de satisfaire.
Quel besoin le lion a-t-il d’eux pour chasser ? […] Enfin le roseau refuse sa protection, sans orgueil, seulement parce qu’il n’en a pas besoin.
J’ai besoin que vous me déshabilliez. […] Je dis ceci : qu’un homme mal habillé a besoin de se déshabiller pour bien s’habiller.
Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère des idées religieuses Toutes les fois que la société a cessé d’être gouvernée par les traditions, le besoin d’une révélation s’est toujours fait sentir. […] Nous en avons déjà dit la raison, mais il ne faut pas craindre de la redire ; c’est parce que le christianisme est la perfection même des institutions religieuses, et que le genre humain ne peut avoir que le sentiment de ses besoins réels.
Il ne faut pas s’y tromper : le génie le plus individuel, le plus indépendant, le plus lui-même, a besoin de croyances générales autant que le génie le plus impersonnel, le plus vaste, le plus social. Il en a besoin, ne fût-ce que pour se révolter contre elles.
Ils ne doutent de rien, et, dans l’abandon de leur béatitude, ils donnent leur petite tape d’amitié aux plus majestueuses prestances, et deviennent les Sans Gêne de la Comédie, cassant les ressorts des pendules qu’ils remontent même quand elles n’ont pas besoin d’être remontées. […] Il nous a indiqué le remède aux inconvénients de l’Empire, et vraiment, s’il n’y a que ce qu’il réclame qui nous manque, nous ne sommes pas assez malades pour avoir besoin de médecin.
L’hystérique n’a même plus besoin de penser nettement au sommeil pour s’endormir au signal, tant son équilibre mental et nerveux est instable. […] Le surplus de mon activité nerveuse et mon besoin de mouvement, trouvant ainsi une occasion de se répandre, en profitent pour s’épancher au dehors. […] Ces idées n’ont pas besoin d’être claires et distinctes quand le sujet est très impressionnable. […] Cette opposition de fait n’a pas besoin d’être pensée et jugée pour être immédiatement sentie, et il est bien difficile qu’elle ne soit pas toujours sentie à quelque degré. […] Et par conscience, nous entendions un état mental quelconque : sensation sourde, sourd besoin, aise ou malaise, etc.
Le besoin du repos rend les esprits plus dociles ; ils perdent la certitude et la vanité qu’ils attachaient à leurs opinions. […] Quand le désir de briller est la cause pour laquelle on écrit, on se sent un égal besoin de s’occuper de toutes choses. […] Dans l’antiquité, le culte des païens ne pouvait satisfaire les besoins des sages. […] Ici, ils sont tellement directs et immédiats, qu’il n’est pas besoin d’une observation subtile pour les démêler. […] Il n’est pas besoin de tourmenter l’explication des faits pour concevoir une telle pensée.
C’étaient encore, dans cette correspondance, des retours de désir vers le pays natal, vers la montagne d’où il tirait sa source, et le besoin de peindre à ses amis qui les ignoraient, ces grands tableaux naturels dont il était sevré : « Qui vous dira la fraîcheur de nos fontaines, la modeste rougeur de nos fraises ? […] A propos de son cours sur la Destinée humaine, où il semblait n’indiquer qu’à peine aux jeunes âmes inquiètes un sentier religieux qu’on aurait voulu alors lui entendre nommer, on disait dans un article du Globe de décembre 1830 : « Comme un pasteur solitaire, mélancoliquement amoureux du désert et de la nuit, il demeure immobile et debout sur son tertre sans verdure ; mais du geste et de la voix il pousse le troupeau qui se presse à ses pieds et qui a besoin d’abri, il le pousse à tout hasard au bercail, du seul côté où il peut y en avoir un. » Le propre de M. […] Ses opinions, afin de prévaloir, avaient besoin d’arriver par M. […] On le conçoit ; dans ses habitudes de pensée et de parole, il a besoin d’espace et de temps pour se dérouler, et de silence en face de lui. […] Dans des observations qui suivent, on répond fort bien à ce gentilhomme flamand, un peu puriste, que, s’il est bon de bannir de la conversation et des écrits ces mots aventuriers dont parle La Bruyère, qui font fortune quelque temps, il ne faut pas exclure les expressions que le besoin introduit ; et à propos de distingué tout court qui choquait alors beaucoup de gens et que beaucoup d’autres se permettaient, on le justifie par d’assez bonnes raisons : « On parle d’un peintre et on dit que c’est un homme distingué : on sait bien que ce doit être par ses tableaux ; pourquoi sera-t-on obligé de l’ajouter ?
La pensée a besoin de méditation pour mûrir ; le caractère a besoin de force pour résister : où est la réflexion, où est le caractère, dans une tête qui ne peut s’appuyer sur la main ? […] Je ne m’étonne pas que les tyrans s’en accommodent : ils ont besoin d’instruments ingénieux, architectes, mécaniciens, artilleurs, hommes de chiffres, machines à calculer, machines à bâtir, machines à tuer, machines à servitude. […] Je ne m’attendais pas à un rafraîchissement d’esprit si charmant, mais j’en avais besoin : « Ce n’était pas la saison des roses », comme dit le poète persan Saadi. […] On eût dit que ce corps si léger n’aurait pas eu besoin de ses pieds pour le porter ; ce n’était qu’une âme habillée.
* * * — Expression d’un marchand d’eau-de-vie artiste : « Oui, c’est de l’eau-de-vie… mais pas de l’eau-de-vie qui donne chaud sous les ongles. » Vendredi 9 février Zola disait hier chez Daudet « que nous avions un malheur… que nous avions trop besoin de nous faire plaisir… qu’il fallait, que la page que nous écrivions, nous donnât aussitôt, après sa fabrication, le petit bonheur d’une harmonie, d’un tour, d’un orné, auquel nous sommes habitués dès l’enfance. » * * * — M…, un modiste de filles, déclarait qu’il n’habillait pas les femmes du monde, parce qu’elles manquaient de conversation. […] Il porte un veston à large collet de velours ouvrant en cœur sur la poitrine, un collet, où sont toujours piquées deux ou trois épingles pour les besoins de son métier. […] Elle donne des poignées de main à l’anglaise à tous les commis, et laisse tomber de sa bouche, appuyée sur le manche de son parapluie : « J’ai besoin d’un costume… pour danser… c’est forcé… il faut quelque chose de tout à fait bien. » Et s’affalant sur le canapé à côté d’elle, elle ajoute : « Au fait je suis fichue ! […] De Nittis, lui me dit que chez lui, le vin développe singulièrement l’acuité du sens de la vue, et que déjeunant à Londres, dans un cercle, où il buvait deux ou trois verres de vin, en revenant chez lui, dans ces voitures, complètement ouvertes devant, il voyait la rue « toute peinte » — et lorsqu’il n’avait pas bu de vin, son œil avait besoin de la chercher longtemps la rue, pour la peindre. […] Et la tentation de cet habit, est donnée aux gens qui en ont besoin, par un mannequin de la plus jolie figure qui soit, en carton rose, avec des yeux bleus, des cheveux blonds frisés, des moustaches noires : un mannequin à cravate blanche et à gants jaunes.
L’homme du peuple ne diffère pas de l’enfant, mais plus hardi il se réfugie dans l’argot et c’est là qu’il donne cours à son besoin de mots nouveaux, de tours pittoresques, d’innovations syntaxiques . […] Un mot de forme française et qui répond à un besoin est presque toujours bon. […] Deschanel condamne des innovations telles que pourcentage, épater, terroriser, bénéficier, différencier, socialiser, méridional, cela surprend, car tous ces mots sont du français véritable et tous répondent à un besoin réel, même terroriser, qui semble avoir un sens plus actif, plus décisif, peut-être à cause de sa nouveauté, que effrayer ou épouvanter. […] C’est encore à ce besoin de renforcement que répondent les expressions : monter en haut, dépêchez-vous vite, et les locutions plus populaires, regardez voir, voyez voir. […] Désespérant de jamais sentir la différence trop profonde qu’il y a entre colorer et colorier, le peuple s’en tire en fabricant couleurer qui répond à tous ses besoins dans cet ordre d’idées.
Mais pour les esprits peu étendus encore, il suffit de leur présenter une ressemblance pour les persuader : Ménénius Agrippa n’eut besoin, pour ramener le peuple romain à l’obéissance, que de lui conter une fable dans le genre de celles d’Ésope. […] La première langue avait été la langue hiéroglyphique, ou sacrée, ou divine ; la seconde symbolique, c’est-à-dire employant pour caractères les signes ou emblèmes héroïques ; la troisième épistolaire, propre à faire communiquer entre elles les personnes éloignées, pour les besoins présents de la vie. — On trouve dans l’Iliade deux passages précieux qui nous prouvent que les Grecs partagèrent cette opinion des Égyptiens. […] Chez les Latins, Varron s’occupa de la langue divine ; et les trente mille dieux dont il rassembla les noms, devaient former un riche vocabulaire56, au moyen duquel les nations du Latium pouvaient exprimer les besoins de la vie humaine, sans doute peu nombreux dans ces temps de simplicité, où l’on ne connaissait que le nécessaire. […] Le besoin d’assurer les terres à leurs possesseurs fut un des motifs qui déterminèrent le plus puissamment l’invention des caractères ou noms (dans le sens originaire de nomina, maisons divisées en plusieurs familles ou gentes). […] Les modernes ont besoin d’y inscrire des devises qui leur donnent un sens ; il n’en était pas de même des emblèmes employés naturellement dans les temps héroïques ; leur silence parlait assez.
Au besoin, elle lui chantait pouille. « Le roi a déclaré qu’il n’était pas le père de l’enfant dont elle est grosse en ce moment ; mais elle lui a dit : « Le diable m’emporte ! […] et vous l’êtes ; mais vous n’avez plus besoin de vous parjurer : autant jouer franc jeu. — Ô horrible ! […] Ils n’ont plus besoin que leur manoir soit une forteresse. […] Quand la conversation devient la première affaire de la vie, elle façonne le style à son image et selon ses besoins. […] Il a besoin d’une digue et d’un emploi.
Les troupes qui y avaient bivouaqué en étaient sorties pour le besoin du combat. […] Ce grand besoin de l’homme, le fini, qui admet l’embrassement, ils l’ignorent. […] « — On n’a pas besoin de faim pour manger un gâteau. […] On est le petit nombre, on a contre soi toute une armée ; mais on défend le droit, la loi naturelle, la souveraineté de chacun sur soi-même qui n’a pas d’abdication possible, la justice, la vérité, et au besoin on meurt comme les trois cents Spartiates. […] Ces quatre lois accomplies, tout rentrera de soi-même dans l’ordre, jusqu’à ce que de nouveaux besoins physiques, intellectuels ou moraux, constatés, demandent à la société de nouvelles satisfactions légitimes.
Un homme pareil ne sentirait d’abord que sa faiblesse ; sa timidité serait extrême : et si l’on avait là-dessus besoin de l’expérience, l’on a trouvé dans les forêts des hommes sauvages ; tout les fait trembler, tout les fait fuir. […] « Mais quel était ce système de tyrannie produit par des gens qui n’avaient obtenu le pouvoir politique et militaire que par la connaissance des affaires civiles, et qui, dans les circonstances de ce temps-là, avaient besoin, au dedans, de la lâcheté des citoyens pour qu’ils se laissassent gouverner, et de leur courage, au dehors, pour les défendre ? […] Ils ont plus besoin d’une comparaison que d’une vérité ! Le particulier a besoin d’un trésor en réserve parce qu’il est particulier et que s’il ne trouve pas sous sa main un trésor réservé pour les cas extrêmes, personne ne le lui fournira. L’État, au contraire, n’a nul besoin de stériliser la richesse en n’en faisant point usage, parce qu’il est l’État et que ses sujets, enrichis par l’usage bien entendu de leurs richesses, en fourniront par l’emprunt, véritable trésor des États bien gouvernés.
Le besoin, en effet, est la vraie cause occasionnelle de l’exercice de toute puissance. L’homme et la nature créèrent, tandis qu’il y eut un vide dans le plan des choses ; ils oublièrent de créer, sitôt qu’aucun besoin ne les y força. […] Ce qui est universel, ce sont les grandes divisions et les grands besoins de la nature ; ce sont, si j’ose le dire, les casiers naturels, remplis successivement par ces formes diverses et variables : religion, poésie, morale, etc. […] Ce qui restera, c’est la place qu’elle remplissait, le besoin auquel elle correspondait et qui sera satisfait un jour par quelque autre chose analogue. […] Il y a dans l’humanité une faculté ou un besoin, une capacité en un mot qui est comblée de nos jours par la morale, et qui l’a toujours été et le sera toujours par quelque chose d’analogue.
Les artistes, de leur côté, ont besoin de comprendre ce qu’il y a de naturel et de nécessaire dans toutes ces attitudes et tous ces mouvements qu’ils ont à saisir et à reproduire. […] Si le chien fait onduler son corps pour manifester sa joie, c’est que cette joie, plus vive que celle du chat, qui est moins affectueux, produit un besoin de mouvement, des sauts, des gambades, tout au moins de vives ondulations du corps ou de la queue. […] Le chat, moins expansif, se contente de manifester son affection par un besoin de frottement et de contact, accompagné d’une sorte de tension électrique des muscles. […] Dès lors, il n’est pas besoin de faculté spéciale pour comprendre que le chien dont les lèvres rétractées montrent les dents s’apprête à vous mordre. […] Il reste « immobile, accroupi sur le sol, sans manifester sa souffrance intérieure autrement que par des larmes qui baignent ses yeux et roulent incessamment. » Dans les premières semaines, les enfants ne répandent pas de larmes ; les glandes lacrymales ont besoin d’une certaine habitude acquise pour entrer en action.
Il y a là un aveu flagrant d’impuissance qui n’a pas besoin de commentaires. […] Le penseur regarde avec calme ces spasmes et ces efforts ; il compte ces pulsations saccadées, il met pieusement la main sur ce sein qui se tord et se gonfle, il écoute cette voix haletante, et il se dit en souriant d’espérance : « C’est le nouveau monde qui va naître. » Mais dorénavant il n’y aura pas besoin d’avalanches de barbares, de Fléaux de Dieu, de dévastations, de ruines, d’incendies, de pillage, de superposition violente d’une race à une autre race, pour substituer l’avenir au passé ! […] Il faut être de son temps à tout prix et quand même ; si petite que soit notre lanterne, tournons-la en avant pour éclairer l’avenir ; le passé a eu assez d’étoiles pour n’avoir pas besoin de nos soleils. […] Vous voyez que je sais, au besoin, prendre dans Virgile des comparaisons appropriées à la circonstance et agréables pour ceux dont j’ai l’honneur de parler. […] Qu’il les dirige, qu’il les calme ou les excite selon qu’il en sera besoin, qu’il marche avec eux, ou sinon ils ne l’attendront pas et le laisseront loin d’eux, mourant de faiblesse et d’inanition.
Plus spiritualiste que son maître en ce qui concerne l’âme pensante, puisqu’il n’admet pas qu’elle ait besoin d’organes pour agir, Aristote ne se borne point à reconnaître pour les deux autres âmes des organes correspondants ; il les fait rentrer dans l’histoire naturelle, paraissant ainsi les confondre avec les autres principes de la vie physique. […] Il sépare si bien les deux points de vue ou plutôt les deux réalités qu’il eût dit volontiers de la volonté ce qu’Aristote a dit de la pensée, qu’elle est le seul acte de la vie humaine qui n’ait pas besoin d’organe. […] On savait que certaines de ces fonctions ont besoin d’organes ; on ne savait pas au juste que toutes en eussent besoin, la pensée et la volonté comme la sensibilité et la motilité. […] « L’obscure impression du besoin de se mouvoir inhérent au système musculaire est transformée par les cellules cérébrales en volonté, qui ensuite, au gré de l’éducation tant privée que sociale, prend toutes les complications intellectuelles et morales. […] Ainsi se passent les choses dans l’organisme de l’être vivant, de l’homme en particulier, comme dans le système du monde, si bien que le physiologiste matérialiste pourrait répondre à propos de l’âme comme Laplace à propos de Dieu : « Je n’ai pas besoin de cette hypothèse, la loi de la gravitation universelle suffit à tout. » Mais voici où l’expérience scientifique elle-même arrête le matérialisme.
Il n’avait pas besoin, pour paraître affable, d’étudier ses gestes, de donner à un corps robuste des attitudes contraintes, d’adoucir l’éclat de sa voix, de réprimer la fougue de sa pensée, de cacher les impulsions d’une volonté absolue (c’était une allusion sans doute à quelque confrère moins favorisé) : la nature l’avait fait aimable ; c’est-à-dire qu’en lui donnant de la saillie, de la finesse et de la gaieté, elle y avait joint cette sensibilité, cette douceur, sans lesquelles l’esprit est presque toujours incommode pour celui qui s’en sert, et dangereux pour ceux contre lesquels il est dirigé. […] De même pour l’immortalité et pour l’avenir des destinées humaines : rendant compte, dans son Éloge de Buffon, des Époques de la nature et rappelant l’hypothèse finale du grand naturaliste lorsqu’il peint la lune déjà refroidie et lorsqu’il menace la terre de la perte de sa chaleur et de la destruction de ses habitants : Je demande, s’écrie-t-il, si cette image lugubre et sombre, si cette fin de tout souvenir, de toute pensée, si cet éternel silence n’offrent pas quelque chose d’effrayant à l’esprit ; je demande si le désir des succès et des triomphes, si le dévouement à l’étude, si le zèle du patriotisme, si la vertu même, qui s’appuie si souvent sur l’amour de la gloire, si toutes ces passions, dont les vœux sont sans limites, n’ont pas besoin d’un avenir sans bornes ? […] À ces juges impétueux et qui sont sujets à secouer du geste la balance, il y aurait, s’ils daignaient écouter, à opposer maint passage excellent de ton, irréprochable de pensée et de goût : tel est, dans l’Éloge de M. de Lassone, ce morceau exquis sur Fontenelle et que peu de personnes ont lu, car l’Éloge de Lassone n’a pas même été recueilli dans les Œuvres de Vicq d’Azyr : Plusieurs médecins, dit-il, se sont vantés d’avoir compté Fontenelle parmi leurs malades, quoique ce philosophe si paisible et qui a vécu si longtemps n’ait dû que rarement avoir besoin des secours de notre art : M. de Lassone se félicitait seulement de l’avoir eu pour protecteur dans sa jeunesse, et pour ami dans un âge plus avancé.
On la voit poindre peu à peu dans ces pages écrites selon les besoins de chaque jour. […] Mais avec Esther et les représentations toutes royales qui s’en étaient suivies, il y avait eu un enchantement plus insensible et comme une légère ivresse de la communauté tout entière : le goût de l’esprit, de la poésie, des écritures de tout genre, s’était glissé dans ces jeunes têtes, et menaçait de corrompre à sa source l’éducation simple et droite, et principalement utile, dont elles avaient avant tout besoin. […] Au sortir de cette lecture presque ascétique et de ces maximes fermes, droites, uniformes, mais si sévères, de Mme de Maintenon, j’éprouve le besoin, l’avouerai-je ?
Telle n’est pas la doctrine de Bossuet, qui remontre dès le premier jour à l’Assemblée qu’elle a tout pouvoir de s’occuper des questions de doctrine, et qu’il est séant qu’elle le fasse ; que c’est l’usage, la tradition constante, « et que jamais les évêques ne se sont trouvés réunis pour quelque sujet que ce fût, pour la conservation des églises, pour le sacre des évêques leurs confrères, ou dans tout autre cas, qu’ils n’en aient pris occasion de traiter des affaires spirituelles de leur ministère, suivant les occurrences et les besoins présents », L’Assemblée, dès ce moment où Bossuet a parlé, et sous l’impression de cette grave remontrance, se trouve conduite, bon gré mal gré, à faire acte de concile, et tous les évêques, même ceux qui diffèrent avec lui d’opinion, lui accordent la louange d’avoir parlé comme un apôtre et un Père de l’Église. […] Chacun le dit, mais lui ne vise qu’au principal, au triomphe de la doctrine ; il conseille et inspire M. de Noailles comme il avait fait pour Le Tellier : « Il va droit au bien en tout et partout, sans écouter les dégoûts qu’il peut avoir, ni se laisser arrêter par les difficultés qui se présentent. » Il a besoin d’agir directement auprès de Mme de Maintenon pour obtenir d’elle et de son influence sur le roi que le père de La Chaise ne soit point écouté ; car il s’agit de condamner des doctrines chères aux amis et confrères du père de La Chaise. […] je voulais citer en preuve quelques passages du journal ; en est-il besoin ?
L’homme, en général, est assez attristé par ses propres passions et ses propres vicissitudes, sans avoir besoin de s’attrister encore par les sombres tableaux d’un passé barbare. Il a besoin de clarté, d’idées rassérénantes, et il faut pour cela qu’il se tourne vers ces époques artistiques et littéraires, pendant lesquelles les hommes supérieurs, étant arrivés à un développement parfait, se sentaient bien avec eux-mêmes et pouvaient verser dans les âmes la félicité que leur donnait leur science. » Il fallut Walter Scott, son Ivanhoë et tant de délicieux romans, pour le réconcilier, un moment du moins, avec ces temps anciens et durs : nos essais français en ce genre n’y auraient réussi qu’imparfaitement. […] Je pourrais (si c’était le lieu) mettre ici la suite de ses jugements ou de ses impressions sur Hugo et ses divers ouvrages jusqu’à Notre-Dame de Paris inclusivement56, et l’on verrait, sans avoir besoin d’entrer dans aucune discussion du fond, qu’en parlant de la sorte il n’était que conséquent avec lui-même et sincère.
Il en est ainsi de la privation des bras ; cette faiblesse a bien d’autres effets que d’empêcher de faire certains mouvements et de rendre difficiles ou embarrassantes les moindres actions de la vie commune, ce qui serait déjà un mal bien triste par sa continuité ; cette faiblesse ôte toute confiance dans l’avenir, entrave la vie entière, borne toute perspective, assujettit à cent besoins qu’on eût méprisés et, à la place d’un rôle d’homme, vous jette dans une dépendance aussi grande que celle des femmes. […] En attendant, nous ne voyons que cet ecclésiastique ; nous le voyons parce qu’il s’est présenté, parce qu’il est tel que nous eussions pu désirer un voisin, et parce qu’il paraît avoir besoin de ces distractions auxquelles, nous, nous ne songions pas. […] Le produit annuel de ces châtaigniers suffit à nos besoins : je n’ai pas d’autre domaine.
La plainte, le désir infini, l’espoir, en cette vie humaine toujours gênée, avaient besoin de se raconter au cœur, de s’articuler plus nettement que par de purs sons qui trop vite échappent. […] La grâce, encore une fois, ne manque pas ; mais, au besoin, c’est plus volontiers la force qui devient sensible. […] Un certain besoin de composition et d’art, une certaine volonté et préoccupation de lyrisme, font quelquefois qu’on prête à l’observation naturelle plus qu’elle ne donne et ne renferme.
Après avoir vécu excommunié comme franc-maçon, il paraîtrait qu’à sa dernière heure il a abjuré la franchise et la maçonnerie pour mourir dans les bras de la religion à laquelle nous devons le cardinal Dubois et la seconde expédition romaine… Cette habitude qu’a le clergé de venir se fourrer jusque dans la table de nuit des mourants pourrait être utilisée par les gouvernements qui, comme le nôtre, ont le plus puissant besoin d’adhésions. […] Cet esprit a besoin d’être dans l’opposition extrême pour trouver tout son emploi, pour jeter tout son éclat, pour valoir tout son prix, pour sortir et se déployer tout entier. […] Or il a besoin d’argent, de beaucoup d’argent et non pas seulement pour lui.
Ce sont probablement les sensations d’innervation, accompagnées par celles de contraction musculaire, qui donnent à cette tension de l’activité son caractère sensitif d’inquiétude et de besoin d’agir. […] Cette appétition n’est pas encore définie sous le rapport de la direction des mouvements dans l’espace, mais elle est déjà définie sous ce rapport qu’elle est une tendance à supprimer la peine et à conserver le plaisir, sans savoir encore comment et par quel mouvement précis, sans même avoir besoin de se représenter d’avance cette suppression de peine ou cette conservation de plaisir. […] En outre, il est essentiel que l’appétition vitale puisse prendre spontanément conscience de soi sous les deux formes du plaisir et de la douleur ; bref, nous avons besoin des trois moments du processus appétitif.