Laubardemont, conseiller d’état, et l’un de ces hommes lâches et cruels faits pour servir d’instrument au plus cruel despotisme, pour égorger l’innocence aux pieds de la fortune, pour calculer toutes les infamies par l’intérêt, et avilir le crime même aux yeux de celui qui le commande et qui le paie, Laubardemont, enivré de sang et affamé d’or, présidait à la plupart de ces tribunaux, allait prendre d’avance les ordres de la haine, les recevait avec le respect de la bassesse, se pressait d’obéir pour ne pas faire attendre la vengeance, et, après avoir immolé sa victime, venait, pour le salaire d’un meurtre, recevoir le sourire d’un ministre. […] Pour voir maintenant s’il travailla pour l’État ou pour lui-même, il suffit de remarquer qu’il était roi sous le nom de ministre ; que, secrétaire d’état en 1624, et chef de tous les conseils en 1639, il se fit donner pour le siège de La Rochelle les patentes de général ; que, dans la guerre d’Italie, il était généralissime, et faisait marcher deux maréchaux de France sous ses ordres ; qu’il était amiral, sous le titre de surintendant-général de la navigation et du commerce ; qu’il avait pris pour lui le gouvernement de Bretagne et tous les plus riches bénéfices du royaume ; que, tandis qu’il faisait abattre dans les provinces toutes les petites forteresses des petits seigneurs, et qu’il ôtait aux calvinistes leurs places de sûreté, il s’assurait pour lui de ces mêmes places ; qu’il possédait Saumur, Angers, Honfleur, le Havre, Oléron et l’île de Rhé, usurpant pour lui tout ce qu’il était aux autres ; qu’il disposait en maître de toutes les finances de l’État ; qu’il avait toujours en réserve chez lui trois millions de notre monnaie actuelle ; qu’il avait des gardes comme son maître, et que son faste effaçait le faste du trône. […] L’état, sous Richelieu, paya communément quatre-vingts millions à vingt-sept livres le marc, c’est-à-dire près de cent soixante millions d’aujourd’hui. […] Il ne sera pas mis non plus parmi ces grands hommes d’état nés pour être conquérants et législateurs, puissants par leur génie, grands par leur propre force, qui ont créé leur siècle et leur nation, sans rien devoir ni à leur nation ni à leur siècle : cette classe des souverains n’est guère plus nombreuse que la première ; mais il en est une troisième qui a droit aussi à la renommée : ce sont ceux qui, placés par la nature dans une époque où leur nation était capable de grandes choses, ont su profiter des circonstances sans les faire naître ; ceux qui avec des défauts ont déployé néanmoins un esprit ferme et toute la vigueur du gouvernement, qui, suppléant par le caractère au génie, ont su rassembler autour d’eux les forces de leur siècle et les diriger, ce qui est une autre espèce de génie pour les rois ; ceux qui, désirant d’être utiles, mais prenant l’éclat pour la grandeur, et quelquefois la gloire d’un seul pour l’utilité de tous, ont cependant donné un grand mouvement aux choses et aux hommes, et laissé après eux une trace forte et profonde.
Le fétichiste est inconvertissable ; le moyen de l’amener à une religion supérieure n’est pas de la lui prêcher directement ; car, s’il l’accepte en cet état, il ne l’acceptera que comme une autre sorte de fétichisme. […] Mais elle le nie, elle ment à l’histoire, elle fausse toute critique pour prouver que son état actuel est son état primitif, et elle y est obligée pour rester dans les conditions de son existence. […] C’est là une contradiction réelle, qui, comme d’autres, ne peut se lever qu’en reconnaissant que l’humanité est bien loin de son état normal. […] Or, comme on remarquait que la culture lettrée était subversive d’un tel état, on déclamait contre cette culture, qui rendait, disait-on, plus facile à vaincre. […] Dans l’état actuel, une extrême critique est une cause d’affaiblissement physique et moral ; dans l’état normal, la science sera mère de la force.
Dans un département plus ardu, Poe excelle à délimiter les états rudimentaires des cerveaux lésés ou dormants, l’extrême vertige, la nausée spirituelle d’un homme mourant de faim, les larves de la pensée d’un homme évanoui d’horreur, les mouvements reptatifs d’un cerveau sortant de catalepsie, l’invincible torpeur de la démence débutante. […] Il est permis de soupçonner qu’un psychologue si habile à disséquer minutieusement des états d’âme inconnaissables n’a peut-être point usé non plus d’observations et de documents pour deviner les personnages ailleurs moins hypothétiques. […] Pour montrer et caractériser les êtres qui agissent les Histoires, Poe se borne à déduire devant le lecteur un de leurs états d’âme, une chaîne de pensées, une intuition, un penchant, une rêverie. […] Avec un art plus élémentaire, Poe élague de ses personnages ce qui est humain, commun et subordonné : il désigne ta faculté excessive ou défectueuse en laquelle ils s’individualisent, les montre déséquilibrés en acte et poussant à ses conséquences extrêmes la conduite commandée par leur état mental. […] Les particules irradiées en vertu de la première force, tendent par la seconde à rentrer dans leur état primitif d’unité.
Très peu de jeunes gens, et cela est heureux, peuvent se passer d’un état, d’une profession ; ceux même qui le pourraient sentent de bonne heure (ou les familles le sentent pour eux) qu’ils doivent faire comme s’ils en avaient besoin. Mais quel état choisir ? […] Mais, d’une autre part, ce besoin d’un état n’était pas distinct, chez un grand nombre, de la poursuite d’un emploi, d’une place ; et de ce côté, la presse et l’encombrement aussi se produisant, on avait dû établir des conditions, des difficultés, une sorte de barrière : des certificats d’études, des diplômes littéraires étaient exigés pour l’entrée et pour les moindres emplois dans les administrations ; et ces diplômes, souvent en disproportion avec le but nouveau de la carrière, devenaient, dans bien des cas, un obstacle. […] Qu’on veuille bien se rendre compte de l’état réel du monde et du milieu de société où nous vivons. […] Il y avait danger, si la question était restée longtemps encore à l’état de conflit et de lutte.
Il nous expose dans ses Mémoires avec beaucoup de netteté et assez de piquant quel était l’état de la prédication en ces années brillantes (1682-1690), et il trace des principaux prédicateurs, alors en renom, des portraits ou des esquisses assez agréables. […] Le genre du Sermon, pris en dehors de son action présente, immédiate, et à l’état de branche littéraire, est, quoi qu’on fasse, un genre triste et presque nécessairement ennuyeux. […] Dès l’âge de quatorze ans, il savait si bien le latin que non seulement il composait en prose et en vers, mais qu’il était en état de discuter à l’instant en latin et dans les meilleurs termes sur n’importe quel sujet, comme s’il devait avoir un jour à disputer la palme aux plus habiles humanistes. […] Successeur de son oncle qui se démit en sa faveur, et archevêque de Rouen avant ses vingt-sept ans accomplis (1652), il commença à déployer ses talents d’administrateur et de conciliateur ; il y avait matière dans un diocèse qui lui arrivait en très fâcheux état. […] Un jour qu’il présidait l’Assemblée du Clergé (1670), on était à la veille de l’ouverture ; l’évêque qui devait prêcher à la grande messe solennelle, à la messe du Saint-Esprit, Bertier, évêque de Montauban, fit dire qu’il était indisposé et hors d’état de tenir sa promesse.
De fréquens voyages dans presque toutes les contrées de l’Europe, & même sur les côtes d’Afrique & ailleurs, ont beaucoup contribué à le mettre en état de vérifier les situations des lieux, & les observations sur les mœurs & la Religion de différens Peuples. […] Il est le premier qui soit parvenu à déterminer, avec précision, l’état actuel de la population, des récoltes & des consommations du Royaume, trois objets dont la connoissance, plus importante qu’on ne croit à l’Administration, étoit restée imparfaite sous les regnes de Louis XIV & de Louis XV.
Quoique poëte, on le fit secrétaire d’état. […] Il est aussi hors d’état de discerner le mérite que de jouir de la beauté… Ne vous imaginez-vous pas entendre discourir une marionette, à laquelle Brioché suggère des paroles… ? […] La relation porte que les deux malintentionnés, après avoir fouetté, jusqu’au sang, le malheureux Pope, l’avoient à peine laissé, qu’il fut apperçu dans cet état par mademoiselle Blount, personne charitable & proche voisine du poëte.
On éclaire l’esprit par l’usage des sens le plus étendu, et par les connaissances acquises, entre lesquelles il faut donner la préférence à celles de l’état auquel on est destiné. On peut, sans conséquence et sans honte, ignorer beaucoup de choses hors de son état. […] Mais les connaissances de son état, il faut les avoir toutes et les avoir bien.
Insolente pour l’Europe, l’Amérique est dans sa tradition, Cette anglaise, qui a renié, du même coup, dans ses veines, le sang des Stuarts et le sang de Cromwell, et qui a refusé le tribut d’honneur et de devoir à la mère-patrie, doit être toujours vis-à-vis de l’Europe, qui l’alimente par année de plus d’un demi-million d’hommes, en lui envoyant ses fugitifs, dans l’état d’ingratitude qui est son état d’origine. […] Mais en un tour de plume et dès les premières pages de son livre, il l’a amnistiée, légitimée, posée triomphalement comme la solution d’une question de droit et d’honneur, — après avoir dit, cependant : « qu’avant la déclaration d’indépendance, l’Amérique était aussi libre qu’après cette déclaration ; qu’il n’y avait pas, même pour motiver l’insurrection, le prétexte d’un joug insupportable à secouer ; que l’état de l’Amérique, colonie anglaise, ne lui laissait rien à désirer, rien à envier, rien à prétendre (pages 103 et 111, Ier vol.) », et, enfin, accumulé, par un procédé de logique qui lui est particulier, toutes les raisons de ne pas conclure… comme il a conclu ! […] Enfin, l’ouvrage se termine par une appréciation de l’état intellectuel et moral des États-Unis et de leur génie industriel.
Mais c’est chez le jeune homme un état pathologique. […] Et toute littérature est ainsi, tour à tour, romantique et classique, passe de l’état romantique à l’état classique avec le temps. […] La vérité, tout état ayant ses mauvais côtés, est que les citoyens sont beaucoup moins désunis dans l’état despotique que dans l’état populaire, et que la démocratie est une petite guerre civile, adoucie, anodine, préférable aux autres, mais enfin une petite guerre civile, assez vive, en permanence. […] La Démocratie est une analyse de l’état démocratique. […] Il n’y a pas seulement anarchie dans le régime industriel moderne, il y a barbarie, dans le sens précis du mot, retour à l’état barbare, ou, si l’on vêtit, l’état barbare s’est conservé là.
Bignon vit, en passant à Dresde, M. de Senfft, s’entendit avec lui sur l’état des affaires dans le grand-duché, et en reçut des informations utiles. […] Vague et chimérique dans ses plans et ses velléités personnelles, il jugeait cependant avec vérité de l’état de l’esprit public en Allemagne, surtout à la suite du dernier décret dit de Trianon, qui portait à l’extrême l’application du blocus continental, et il pronostiquait exactement comme le roi Jérôme, quoique en vertu de désirs et de sentiments tout opposés : « Le système continental, introduit en Allemagne, y marqua, disait-il, une époque décisive pour l’esprit public de cette contrée. […] Il était dans cet état où on l’a vu plus d’une fois, même en public, et qui est recommandé aux poètes pour mieux pindariser, l’état d’un homme qui est lancé plus que de raison après dîner. […] Cet homme est un profond hypocrite, n’ayant ni les mœurs ni l’esprit de son état, et livré à un genre d’intrigues qui, d’un jour à l’autre, le conduira sur l’échafaud.
Vous verrez de quelle manière se tournera cette amitié. » Le 28 juin, « Vous jugez très bien de Quantova (madame de Montespan) ; si elle peut ne point reprendre ses vieilles brisées, elle poussera sa grandeur au-delà des nues ; mais il faudrait qu’elle se mît en état d’être aimée toute l’année sans scrupule111 ; en attendant, sa maison est pleine de toute la cour ; les visites se font alternativement, et la considération est sans bornes. » Une autre lettre, du 3 juillet, porte : « Ah ! […] Voilà à peu près l’état où le suis, assez indifférente d’ailleurs sur les événements. […] Ma conscience est au même état où vous l’avez toujours connue, etc. » Madame de Sévigné écrit à sa fille, le 3 novembre : « M. […] Mais il me semble que j’en ai un peu moins présentement… Je me fais des retraites plus ou moins sévères, selon l’état où seront mes affaires ; j’avais dans la tête trois affaires dont il y a déjà deux de faites : ce sont des avis que j’ai demandés et obtenus, et sur lesquels le roi me donnera quelque somme : je ne sais pas encore ce que ce sera. […] Cependant je m’y trouve plus résolue que jamais, et rien ne me paraît si difficile que de demeurer dans l’état où je suis. » Cette lettre est l’expression d’une mélancolie profonde.
Mais, en admettant ce doute universel des philosophes, il ne s’effraie pas de cet état ; il le décrit avec lenteur, presque avec complaisance ; il n’est ni pressé, ni impatient, ni souffrant comme Pascal ; il n’est pas ce que Pascal dans sa recherche nous paraît tout d’abord, ce voyageur égaré qui aspire au gîte, qui, perdu sans guide dans une forêt obscure, fait mainte fois fausse route, va, revient sur ses pas, se décourage, s’assied au carrefour de la forêt, pousse des cris sans que nul lui réponde, se remet en marche avec frénésie et douleur, s’égare encore, se jette à terre et veut mourir, et n’arrive enfin qu’après avoir passé par toutes les transes et avoir poussé sa sueur de sang. […] Il est bien vrai qu’au moment où il se demande si la nature entière n’est pas un fantôme, une illusion des sens, et où, pour être logique, il se place dans cette supposition d’un doute absolu, il est bien vrai qu’il se dit : « Cet état de suspension m’étonne et m’effraie ; il me jette au-dedans de moi dans une solitude profonde et pleine d’horreur ; il me gêne, il me tient comme en l’air : il ne saurait durer, j’en conviens ; mais il est le seul état raisonnable. » Au moment où il dit cela, on sent très bien, à la manière même dont il parle et à la légèreté de l’expression, qu’il n’est pas sérieusement effrayé. […] Fénelon, en se plaçant dans cet état de doute à l’instar de Descartes, s’assure d’abord de sa propre existence et de la certitude de quelques idées premières. […] Le livre de Pascal, dans l’état où il nous est venu, et dans la hardiesse ou le décousu des restitutions récentes, ne saurait être pour personne un livre d’apologétique exact et complet : ce ne peut être qu’une lecture ennoblissante, et qui reporte l’âme dans la sphère morale et religieuse d’où trop d’intérêts vulgaires la font déchoir aisément.
On n’y apprend que les règles de l’arithmétique ; mais suffisamment pour qu’un enfant, au sortir de ces écoles, sache tous les calculs nécessaires dans le courant de la vie, et soit même en état d’apprendre les calculs plus compliqués des marchands et négociants. […] Il serait à désirer qu’on eût aussi des catéchismes de morale et de politique, c’est-à-dire des livrets où les premières notions des lois du pays, des devoirs des citoyens, fussent consignées pour l’instruction et l’usage du peuple ; et une espèce de catéchisme usuel, qui donnât une idée courte et claire des choses les plus communes de la vie civile, comme des poids et mesures, des différents états et professions, des usages que le dernier d’entre le peuple a intérêt de connaître, etc. […] Ces écoles sont pour les enfants de la noblesse et des citoyens aisés du tiers état ; le peuple n’y envoie pas ses enfants, parce que, dès qu’ils savent lire et écrire, il en tire déjà parti, chacun dans sa profession et dans son ménage. […] L’étudiant qui arrive choisit d’abord une des trois premières facultés suivant l’état auquel il se destine, mais ses premières études regardent pourtant principalement la philosophie. […] Chaque faculté a des titres d’honneur qu’elle accorde avec solennité à ceux qui ont suivi ses différentes leçons pendant trois ou quatre années, et qui, au bout de ce terme, sont en état de soutenir les examens qu’on fait subir à ceux qui se présentent pour obtenir ces honneurs académiques.
Quand il veut faire travailler à Pauline La logique de Condillac, lui faire apprendre par coeur L’art poétique de Boileau, dont il dira ensuite pis que pendre, ses conseils partent évidemment d’un fonds moins important, moins vraiment stendhalien que lorsqu’il veut lui faire prendre, en 1805, l’habitude d’analyser les personnes qui l’entourent (« l’étude est désagréable, mais c’est en disséquant des malades que le médecin apprend à sauver cette beauté touchante ») ou lorsqu’il contracte dans ses premières relations montaines l’aptitude à traduire par une algèbre psychologique les valeurs les unes dans les autres (" notre regard d’aigle voit, dans un butor de Paris, de combien de degrés il aurait été plus butor en province, et, dans un esprit de province, de combien de degrés il vaudrait mieux à Paris. " ) c’est à cette époque que Stendhal s’accoutume (héritier ici de Montesquieu qui ne paraît point, je crois, dans ses lectures) à rattacher instantanément un trait sentimental à un état social, à mettre en rapport par une vue rapide le système politique d’un pays avec ses façons de sentir. […] À l’état naissant ou faible, les deux cristallisations peuvent se confondre : ainsi le débutant ou la femme de lettres raconteront avec candeur dans un roman toute leur propre aventure amoureuse, cristallisée directement. […] C’est l’idée désespérément chimérique que cette seconde puisse constituer, de par la volonté qui la répétera, un état permanent de la vie. […] Mais l’état social a ses exigences comme l’art a les siennes et l’amour les siennes. […] Camille Mauclair a écrit la transposition mystique : « Si chacun de ces frêles personnages errant dans un paysage d’or rose figurait un état du rêve, où allaient-ils tous, et qu’est-ce qui les incitait à tourner ainsi le dos, avec une obstination douce, à l’existence réelle d’où je les contemplais, pour s’aller perdre de mirage en mirage dans les zones successives de cette vaporeuse bleuité ?
Sur l’offre que leur en fit Alexandre, ils refusèrent de retourner en Grèce, ayant honte, disaient-ils, de s’y montrer en pareil état, et ils aimèrent mieux rester établis suc la terre d’exil. […] Saint-Évremond serait assez d’accord avec Pascal sur l’état moral de l’homme, en ce sens qu’il y voit des contradictions de mille sortes, mais il ne s’en inquiète pas autrement ; il se plaît à l’indifférence, à la nonchalance. […] Change l’état douteux dans lequel tu nous ranges, Nature ; élève-nous à la clarté des anges. […] L’indifférence ne lui serait plus possible à partir du xviiie siècle ; on le tirerait à soi ; il ne pourrait plus rester aujourd’hui dans cet état de neutralité et d’abstention indolente. […] Cet état d’amateur obstiné dans son indifférence et sa quiétude n’est plus permis.
Le roi interrogeant l’évêque de Chartres sur l’état de ses peuples, celui-ci a répondu que la famine et la mortalité y étaient telles, que les hommes mangeaient l’herbe comme des moutons et crevaient comme des mouches ». […] Les meilleures provinces ne sont pas en état d’en fournir aux autres. […] Aux environs de Toul, le cultivateur, après avoir payé l’impôt, la dîme et les redevances, reste les mains vides. « L’agriculture est un état d’angoisses et de privations continuelles où des milliers d’hommes sont obligés de végéter péniblement629. […] Il n’a pas plu depuis Pâques : pas de foin, pas de pâturage, aucun légume, pas de fruits ; voilà l’état du pauvre paysan ; par conséquent, point d’engrais, de bestiaux… Ma mère, qui avait toujours plusieurs de ses greniers pleins, n’y a pas un grain de blé, parce que, depuis deux ans, elle nourrit tous ses métayers et les pauvres. » — « On secourt le paysan, dit un seigneur de la même province647, on le protège, rarement on lui fait tort, mais on le dédaigne. […] (Il ne s’agit ici que des pays d’élection ; mais, dans les pays d’états, l’augmentation n’est pas moins forte.) — Archives nationales, H2, 1610 (paroisse du Bourget, en Anjou).
Mardi 11 février Le travail de la note d’après nature, de la saisie rapide et fiévreuse pendant toute une soirée, dans un cirque, de ces riens qui durent une seconde, me jette à la fin dans un état d’émotion étrange, avec dans la cervelle du vague exalté, dans le corps du remuement inquiet, dans les mains de petits tremblements nerveux. […] Assise seule à l’écart, en le clair-obscur d’un boudoir, elle exhibe aux yeux des visiteuses dans un état intéressant, la toilette appropriée avec le plus de génie à la déformation de l’enfantement. […] Dimanche 21 septembre Toujours un état vague au bord de l’évanouissement, et où l’équilibre de votre corps demande à être surveillé : un état plein de trouble et de la pensée continuelle d’un coup de foudre dans la cervelle. […] Dimanche 28 décembre Près de trois semaines, où du matin, où depuis mon retour du Palais de Justice à midi, je m’enterre dans le travail jusqu’à minuit, sans voir âme qui vive, et je travaille dans un état de corps vague, bizarre, dans lequel il ne me semble pas avoir la conscience d’être réveillé. […] Une épreuve du Haut d’un battant de porte, épreuve du premier état, avec le fond blanc, a été, sous le nº 30, de la vente Burty, poussée par moi à 350 francs, et achetée 400 francs par M.
Le passage rapide par des états d’âmes variés, pensées, émotions, volontés, fait que tous tes phénomènes mentaux sont perçus par la conscience ; connus ainsi, ils se transforment du même coup nécessairement en pensées ou en pensées de pensées. […] Les sentiments, nous avons eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises, sont l’état de conscience le plus énergique qui soit, parce qu’ils sont nos peines et nos joies. […] Aux yeux des citoyens de la plupart des états, l’artiste est un ouvrier en articles de luxe qui fabrique des objets propres à leur faire passer une bonne soirée au théâtre, ou à les délasser, pendant quelques heures dédaigneusement perdues à lire. […] Celle-ci existe donc chez quelques milliers de nos lecteurs, mais atténuée, affaiblie et réduite à ne se manifester qu’entre des états d’âme par trop divers. […] On commence à le comprendre ; la répartition des charges de l’état est inégale et tend à le devenir de plus en plus, tandis que les bienfaits publics sont pour tous les mêmes.
Chez les Romains, l’idée du progrès apparaît aussi, mais toujours à l’état d’instinctive croyance, d’inconsciente aspiration. […] Ainsi l’idée de progrès existait et se développait lentement au sein de la pensée païenne ; mais elle n’y fut jamais qu’à l’état de vague généralité. […] Derrière, on entrevoit, on pressent l’édifice, et pourtant on se prend bientôt à douter que l’édifice existe autrement qu’à l’état d’espérance. […] Spencer, que les classes gouvernante, commerçante, ouvrière, sont dans l’état ce que sont dans le corps d’un vertébré les systèmes nervoso-musculaire, circulatoire et nutritif. […] On ne peut nier que les conditions du milieu ne sollicitent et ne modifient de mille manières les besoins, et par eux n’exercent une influence considérable sur l’état économique, politique, social, d’une nation.
C’est l’état primitif de l’art subsistant dans son inviolable sévérité. […] L’état de l’art à cette époque sera donc pour nous son état normal, les limites dans lesquelles il se renfermait alors sont ses limites légitimes, le genre qui dominait reste le genre central. […] Le paroxysme d’un état semblable n’est autre chose que la folie. […] Elle est à la fois un état de l’âme dû à la présence d’un agent inconnu, et un état physiologique. […] La prose n’existe à l’état absolu que dans les mathématiques.
L’inspiration chez elles ne peut être séparée de leur état physiologique, dont elle exprime les diverses fluctuations périodiques. […] Elle a cherché à retrouver cet état de divine inconscience qui fait que l’être humain participe à la vie générale. […] C’est cette musicalité du vers qui recrée en nous cet état de sensibilité qui fut celui du poète à la seconde de l’inspiration. […] Dans une traduction, une vraie poésie réintègre son état de pierre brute, sans couleur et sans reflet. […] Elle n’emprunte ses images à la nature que pour exprimer des états de sentiment.
C’est d’ailleurs l’état de M. […] Fabre, doit faire état avant toute chose, des difficultés que son auteur s’est données. […] Il le croit sans pouvoir en faire état comme philosophe, puisqu’il n’y a pas là d’expérience proprement dite. Mais Valéry, qui le croit sans doute aussi, peut en faire état comme poète. […] Ils sont restés à l’état d’idées.
Il fallait un sentiment aussi élevé, imitateur de l’état mystique, pour avoir raison d’un sentiment aussi profond que l’égoïsme de la tribu. […] Mais, dans quelque sens qu’on l’entende, il n’y a pas de bonheur sans sécurité, je veux dire sans perspective de durée pour un état dont on s’est accommodé. […] Mais c’est là une psychologie purement intellectualiste, qui croit pouvoir calquer nos états d’âme sur leurs objets. […] On l’accuse d’abord de réduire l’ouvrier a l’état de machine, ensuite d’aboutir à une uniformité de production qui choque le sens artistique. […] Il maintient à l’état virtuel tout ce qui pourrait gêner l’action en s’actualisant.
Chacun des états successifs de l’univers sera une image instantanée, occupant la totalité du plan et comprenant l’ensemble des objets, tous plats, dont l’univers est fait. […] J’ai ainsi empilé sur l’état présent de votre univers des états futurs qui restent pour moi en blanc : ils font pendant aux états passés qui sont de l’autre côté de l’état présent et que j’aperçois, eux, comme des images déterminées. […] Elle vous donnera moins, car le tas d’images empilées qui constitue la totalité des états de l’univers n’a rien qui implique ou explique le mouvement par lequel votre Espace P les occupe tour à tour, ou par lequel (cela revient au même, selon vous) elles viennent tour à tour remplir l’Espace P où vous êtes. […] On peut sans doute considérer comme théoriquement entassées les unes sur les autres, données par avance en droit, toutes les parties de tous les états futurs de l’univers qui sont prédéterminées : on ne fait qu’exprimer ainsi leur prédétermination. […] Donc, quoi que vous fassiez, vous éliminez quelque chose, et même l’essentiel, en remplaçant par un bloc une fois posés les états de l’univers qui passent tour à tour 47.
L’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres a couronné deux de ses Ouvrages, dont l’un est l’Histoire philosophique & politique des Loix de Licurgue : l’autre roule sur cette question : Quel fut l’état des personnes en France sous les deux premieres Races, &c. ? […] Peu content d’exposer ses propres idées, qui nous ont paru solides & toujours conformes à la saine Morale, il a rassemblé dans cet Essai ce que nos Ecrivains les plus célebres ont écrit de plus ingénieux sur le bonheur, & qu’un d’entre eux définit le passage d’un état agréable à un plus agréable.
La seule nouvelle de la convocation des États généraux l’avait comblé de joie, et il avait désiré d’en être ; mais envoyé à Paris par ses compatriotes de Riom, dès le mois de novembre 1783, un peu avant les élections, pour demander que la ville fût le chef-lieu du bailliage, il avait trouvé un régime moral peu rassurant, et avait pu reconnaître un Paris tout autre que celui qu’il avait laissé : « Lorsque je vis l’état de la capitale, où je n’étais pas entré depuis près de trois ans, la chaleur des discussions politiques, celle des pamphlets circulant, l’ouvrage de M. d’Entraigues, celui de l’abbé Sieyès, les troubles de Bretagne et ceux du Dauphiné, mes illusions disparurent. » Il avait emporté de M. […] Quoi qu’il en soit, l’appréciation de Malouet et la définition qu’il donne de l’état des choses sont parfaitement justes. […] L’idée d’Assemblée constituante naquit, selon lui », de l’état passif et incertain du monarque, s’effaçant lui-même devant le nouveau pouvoir qu’il avait appelé à l’origine pour consolider le sien, non pour l’annuler. […] J’en ai vu l’état et le prix entre les mains de M. […] La renommée parlait de lui comme d’un bienfaiteur universel et enregistrait ses donations qui ne restaient pas toutes à l’état de projets : il proposait d’élever à ses frais un monument au Grutli pour les trois Suisses libérateurs et il faisait les fonds de deux prix à l’Académie de Lyon.
A l’état naissant, il consistait en un milieu indéfiniment étendu et presque homogène en densité, température et sous le rapport des autres attributs physiques. […] L’eau modifiera l’état hygrométrique de l’air environnant, etc. […] Que notre harmonieux univers ait autrefois existé, en puissance, à l’état de matière diffuse, sans forme, et qu’il soit lentement arrivé à son organisation présente, cela est beaucoup plus étonnant que ne le serait sa formation, suivant la méthode artificielle que suppose le vulgaire. […] Avec quelque succès que nous puissions réduire l’équation à ses derniers termes, nous ne serons pas pour cela en état de déterminer l’inconnue : au contraire, il n’en devient que plus évident que cette inconnue ne pourra jamais être trouvée. […] S’il regarde intérieurement, il voit que les deux extrémités de cette chaîne qui forme la conscience sont hors de sa portée ; il ne peut se rappeler quand ou comment la conscience a commencé, et l’état de conscience qui existe à chaque moment, il ne peut l’examiner, car, ce n’est que quand un état de conscience est déjà passé qu’il peut devenir l’objet de la pensée, et jamais pendant qu’il passe.
« Depuis l’Évangile jusqu’au Contrat social, dit-il et répétera-t-il depuis en maint endroit, ce sont les livres qui ont fait les révolutions. » Les révolutions, qui ont changé en bien ou en mal l’état de la société, n’ont eu d’autre cause que la manifestation des vérités ou la propagation des erreurs. […] Développant pour la première fois cette pensée qu’il a depuis résumée ainsi et qui fait loi : « La littérature est l’expression de la société », M. de Bonald examine dans leurs rapports la décadence des arts et celle des mœurs : « Ce serait, ce me semble, nous dit-il, le sujet d’un ouvrage de littérature politique bien intéressant, que le rapprochement de l’état des arts chez les divers peuples avec la nature de leurs institutions. » Et il en donne à sa manière un aperçu, indiquant que la plus grande perfection des arts et des lettres, comme il les conçoit, répond généralement à l’état le plus parfait des institutions sociales, c’est-à-dire à la monarchie. […] Considérant la personne de l’Homme-Dieu dans tous ses états et toutes ses conditions, M. de Bonald dira : « Dans la famille, il est fils, il est parent, il est ami ; dans la société politique, il est sujet et même il est pouvoir ; dans la société religieuse, il est pouvoir et même il est sujet. » Cette antithèse de pouvoir et de sujet tient à la formule fondamentale de l’auteur ; mais comment ne pas l’oublier ici ? […] Il y avait longtemps qu’il s’était dit : « C’est par l’état social des femmes qu’on peut toujours déterminer la nature des institutions politiques d’une société. » On peut regretter seulement que, là comme ailleurs, il ait compliqué les excellentes raisons de tout genre qu’il produisait, par d’autres trop absolues, trop abstruses et trop particulières. […] Il avait pour principe qu’en tout état de cause il est bon de résister à la nouveauté, fût-elle une vérité : cela lui fait faire quarantaine.
Il reconnaît lui-même qu’il était peu propre aux emplois et à ce qu’on appelle une profession ou un état : Ce qui m’a toujours donné une assez mauvaise opinion de moi, disait-il, c’est qu’il y a fort peu d’états dans la république auxquels j’eusse été véritablement propre. […] Il rendra ailleurs plus de justice aux observations quand il en dira « qu’elles sont l’histoire de la physique, et que les systèmes en sont la fable ». — Ainsi Montesquieu, à ses débuts, s’occupait de sciences comme le fera Buffon, comme Goethe le fera plus tard ; il fournissait les fonds d’un prix d’anatomie, et semblait ne viser qu’à des succès tout sérieux, d’accord avec la gravité de son état. […] Le Casuiste veut montrer qu’un homme de son état est nécessaire à certaines gens, qui, sans viser à la perfection, tiennent à faire leur salut : « Comme ils n’ont point d’ambition, dit-il, ils ne se soucient pas des premières places ; aussi entrent-ils en paradis le plus juste qu’ils peuvent. […] On se sent en état de faire diversion partout. […] Il remarque que, de son temps, les ambassadeurs ou ministres étrangers ne connaissaient pas plus l’Angleterre qu’un enfant de six mois ; la liberté de la presse les abusait : « Comme on voit le diable dans les papiers périodiques, on croit que le peuple va se révolter demain ; mais il faut seulement se mettre dans l’esprit qu’en Angleterre comme ailleurs le peuple est mécontent des ministres, et que le peuple y écrit ce que l’on pense ailleurs. » Montesquieu apprécie cette liberté dont chacun veut là-bas et sait jouir : « Un couvreur se faisait apporter la gazette sur les toits pour la lire. » Il ne se fait point d’ailleurs d’illusion en beau sur l’état du pays et des institutions ; il juge au vrai la corruption des mœurs politiques, la vénalité des consciences et des votes, le côté positif et calculateur, cette peur d’être dupe, qui mène à la dureté.
L’ouvrage, tel qu’il était, habilement combiné, à demi entendu, à demi lu, et où il y avait de l’oratoire et du sensible entremêlés à la théorie obscure, fit la plus grande impression dans l’état des esprits, et hâta l’avènement de M. […] M. de Vergennes, dans un mémoire confidentiel adressé au roi, s’attachant à définir l’espèce de calme, si difficile à ménager, dont jouissait alors la France, le caractérisait en ces mots : « Il n’y a plus de clergé, ni de noblesse, ni de tiers état en France ; la distinction est fictive, purement représentative, et sans autorité réelle. […] Pour bien connaître les hommes, pensait-il, il faut avoir traversé trois états de la vie absolument différents : « l’état d’infériorité qui vous donne le besoin de plaire aux autres, le besoin de les étudier ; l’état d’égal à égal, qui vous appelle à les connaître dans toute la liberté de leurs passions ; l’état de supériorité qui vous donne l’occasion de les observer dans leur marche circonspecte, dans leurs tâtonnements et dans leurs manèges ».
— Mais nous avons d’autres preuves de cette loi que des calculs purement théoriques : ce sont les cas nombreux d’une multiplication étonnamment rapide chez divers animaux à l’état sauvage, lorsque les circonstances leur ont été favorables pendant deux ou trois saisons successives seulement. […] Plusieurs auteurs ont habilement traité ce sujet ; et dans mon prochain ouvrage je discuterai longuement quelques-unes de ces causes répressives de la multiplication indéfinie des êtres, plus particulièrement à l’égard des animaux domestiques retournés à l’état sauvage dans l’Amérique du Sud. […] En ce pays ni le Bœuf, ni le Cheval, ni le Chien ne se sont naturalisés, bien qu’ils s’étendent vers le nord et vers le sud à l’état sauvage. […] Il s’ensuit que, si de certains oiseaux insectivores diminuaient de nombre au Paraguay, les insectes parasites ennemis des Mouches s’accroîtraient ; de sorte que, le nombre de ces dernières venant à diminuer, elles n’empêcheraient plus les Bœufs de vivre à l’état sauvage. Or, d’après les observations que j’ai pu faire dans l’Amérique du Sud, l’existence du bétail à l’état sauvage modifierait profondément la végétation.
« De là ces recherches fréquentes de l’origine des distinctions parmi les nommes, ce système a opposition violente au régime existant, ces appels à l’état primordial de la société, ces revendications de l’égalité primitive ; de là ces ingénieux arguments, ces éloquentes tirades en faveur de la sauvage indépendance des premiers temps. » Admirez-vous maintenant l’influence des appartements garnis sur les cerveaux humains et les destinées sociales ? […] Quand sir Walter Scott en viendra à la campagne d’Italie et à la correspondance de Bonaparte avec Joséphine, il comparera le style étincelant de ces lettres au langage d’un berger arcadien, et il ajoutera ces singulières paroles qu’on croirait entendre sortir des lèvres froncées d’une milady autour d’une table à thé : « Nous ne pouvons nous dispenser de dire que dans certains passages, qu’assurément nous ne citerons pas, cette correspondance offre un ton d’indélicatesse (indelicacy) que, malgré l’intimité du lien conjugal, un mari anglais n’emploierait pas, et qu’une femme anglaise ne regarderait pas comme l’expression convenable de l’affection conjugale. » Risum teneatis… Maintenat que nous avons un échantillon du XVIIIe selon sir Walter Scott, prenons une idée du tableau qu’il trace de la révolution francaise : « La définition du tiers état par Sieyes fit fortune, au point que les notables demandèrent que les députés du tiers fussent égaux en nombre aux députés de la noblesse et du clergé réunis, et formassent ainsi la moitié numérique des délégués aux États généraux. » Mais on sait que l’Assemblée des notables se prononça contre le doublement du tiers, et que le bureau présidé par Monsieur fut le seul qui vota pour cette mesure. […] Et d’abord, le jour de la première séance, il nous montre « tous les yeux fixés sur les représentants du tiers état, vêtus d’un habit modeste, conformes à leur humble naissance et à leurs occupations habituelles. » Il nous apprend que, parmi ces représentants, si modestement vêtus, se trouvaient beaucoup de gens de lettres « qu’on a y avait appelés, parce qu’on les savait partisans de systèmes, la plupart incompatibles avec l’état présent des choses ; que, dans le principe, ces gens de lettres avaient été tenus à l’écart par les avocats et les financiers, leurs collègues ; mais qu’à la fin ils avaient repris le dessus et s’étaient faits républicains décidés » ; — que pourtant ces républicains décidés, lesquels étaient« d’un ordre plus élevé et de sentiments plus honorables » — que les jacobins de club, avaient surnommé ceux-ci « les enragés » ; — que néanmoins il y avait dans l’Assemblée de furieux démagogues, désignés sous le nom de Montagne ; et que, « quand les jacobins de la Montagne s’efforçaient d’interrompre Mirabeau par leurs rugissements, celui ci s’écriait d’une voix de tonnerre : Silence aux trente voix !
Si cet état se prolongeait, l’on ne posséderait bientôt plus aucun homme distingué dans une autre carrière que celle des armes ; rien ne peut décourager l’ambition des succès militaires ; ils arrivent toujours à leur but, et commandent à l’opinion ce qu’ils attendent d’elle. […] Ce n’est que dans les états libres qu’on peut réunir le génie de l’action à celui de la pensée. […] Si le pouvoir militaire dominait seul dans un état, et dédaignait les lettres et la philosophie, il ferait rétrograder les lumières, à quelque degré d’influence qu’elles fussent parvenues ; il s’associerait quelques vils talents, chargés de commenter la force, quelques hommes qui se diraient penseurs pour s’arroger le droit de prostituer la pensée : mais la raison se changerait en sophisme, et les esprits deviendraient d’autant plus subtils, que les caractères seraient plus avilis ? […] Les vainqueurs redoutent les soldats qui ont conquis leur empire avec eux ; les prêtres ont peur du fanatisme même d’où dépend tout leur pouvoir ; les ambitieux se défient de leurs instruments : mais les hommes éclairés, parvenus aux premières places de l’état, ne cessent point d’aimer et de propager les lumières.
Il a fermé volontairement les yeux à un état des choses qui a reçu son accomplissement absolu de la main d’un homme qu’il lui coûte de louer à cette heure, et il a tout attribué de l’ordre administratif à l’ancien Régime : la justice, la tutelle, et jusqu’à la garantie des fonctionnaires ! […] Ce sont eux, — puisqu’il faut interroger le tombeau de la France ancienne, comme dit Tocqueville, et le tombeau de la France, c’est son histoire, — ce sont eux qui ont créé une révolution permanente forcée en oubliant ce qu’ils étaient, en donnant l’exemple des mauvaises mœurs, en altérant dans sa pureté la notion de la famille chrétienne, — le seul fondement des sociétés modernes, quels que soient leur forme et leur nom, — en nous dévêtant de nos institutions, en brisant les corporations (l’œuvre de Saint-Louis sanctionnée par les siècles), les corporations d’états, c’est-à-dire le peuple qui travaille et qui prie, et en le jetant, bohème et affamé, à la liberté vague, au hasard et à la préoccupation du jour le jour ! […] Il n’apparaît pas à l’état lucide. […] L’état actuel de la France politique lui fait dire encore que les hommes du xviiie siècle, nos pères en corruption, « valaient mieux « que nous.
Pour Schopenhauer, c’est là l’état de la plus haute moralité qu’il y ait sur la terre. Eh bien, c’est de cet état moral supérieur, que n’a jamais connu Schopenhauer qui vivait très bien à l’Hôtel d’Angleterre de Francfort sur-le-Mein, et qui y a même trinqué avec M. Foucher de Careil (un philosophe de France) ; c’est de cet état contemplatif, absorbé, rigide, anéanti, et par conséquent d’indifférence absolue, que Schopenhauer essaye de tirer une incompréhensible sympathie, par un tour de gobelet ou de force que j’appelle, moi, hardiment, une contradiction ! […] Mais nous, qui ne sommes point des métaphysiciens par état, à quoi sommes-nous tenus en face de pareilles vésanies échappées à un homme d’esprit qui avait lu Chamfort, qui l’avait quelquefois imité, et que la Métaphysique, — un peu plus abêtissante que l’eau bénite de Pascal, — en lui faisant écrire de pareilles choses, avait, à ce point, abêti ?
Si vous les comparez par leur état, vous trouvez, dans cette liste, des militaires qui ont uni les sciences avec les armes, des médecins qui, forcés d’être instruits pour n’être pas coupables, autant par devoir que par génie, sont devenus grands ; des religieux qui, privés par leur état même de toutes les passions, s’en sont fait une dont l’activité a redoublé par le retranchement des autres ; enfin un certain nombre d’hommes qui, jaloux d’être libres, n’ont voulu pour eux d’autre état que celui de s’instruire, et d’autre rang que celui d’éclairer. […] Il consiste presque toujours dans des allusions fines, ou à des traits d’histoire connus, ou à des préjugés d’état et de rang, ou aux mœurs publiques, ou au caractère de la nation, ou à des faiblesses secrètes de l’homme, à des misères qu’on se déguise, à des prétentions qu’on ne s’avoue pas ; il indique d’un mot toute la logique d’une passion ; il met une vertu en contraste avec une faiblesse qui quelquefois paraît y toucher, mais qu’il en détache ; il joint presque toujours à un éloge fin une critique déliée ; il a l’air de contredire une vérité, et il l’établit en paraissant la combattre ; il fait voir ou qu’une chose dont on s’étonne était commune, ou qu’une dont on ne s’étonne pas était rare ; il crée des ressemblances qu’on n’avait point vues ; il saisit des différences qui avaient échappé ; enfin, presque tout son art est de surprendre, et il réussit presque toujours.