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1185. (1903) Articles de la Revue bleue (1903) pp. 175-627

Délivré de son fol amour par le voyage et par la nature, il écrit ces strophes exquises et si fines ! […] Et s’il est vraiment poète, il ne discutera même pas : il prendra sa plume et il écrira. […] Guyau, a écrit, dans l’Art au point de vue sociologique, quelques pages lumineuses sur le rôle du poète. […] Quand, au contraire, il écrit son poème, il introduit un fait nouveau. […] Adolphe Boschot a écrit sur ce point des pages fort intéressantes.

1186. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Paul Verlaine et les poètes « symbolistes » & « décadents ». »

Il m’a paru que la plupart étaient de bons jeunes gens, d’autant de candeur que de prétention, assez ignorants, et qui n’avaient point assez d’esprit pour machiner la farce énorme dont on les accuse et pour écrire par jeu la prose et les vers qu’ils écrivent. […] Quand il est malade ou à bout de ressources, quelque médecin, qu’il a connu interne autrefois, le fait entrer à l’hôpital ; il s’y attarde, il y écrit des vers ; des chansons bizarres et tristes bruissent pour lui dans les plis des froids rideaux de calicot blanc. […] Disons donc que ce poète est souvent peu attentif au sens et à la valeur des signes écrits qu’il emploie, et que, d’autres fois, il se laisse prendre aux grands mots ou à ceux qui lui paraissent distingués. […] C’est presque de la poésie avant la parole : c’est de la poésie de limbes, du rêve écrit. […] Verlaine, non ce qu’il a écrit de moins imparfait, mais ce qu’il a écrit de plus singulier, je ne m’arrêterai pas aux Fêtes galantes ni à la Bonne Chanson  La Bonne Chanson, ce sont de courtes poésies d’amour, presque toutes très touchantes de simplicité et de sincérité, avec, quelquefois, des obscurités dont on ne sait si ce sont des raffinements de forme on des maladresses.

1187. (1857) Articles justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des « Fleurs du mal » pp. 1-33

Je la rattache et je le rattache lui-même à l’ode que Mirabeau a écrite dans le donjon de Vincennes. […] Charles Baudelaire, appeler un art sa savante manière d’écrire en vers ne dirait point assez. […] Les poètes en ce temps-là n’écrivaient que pour les poètes ou pour les âmes assez grandes pour comprendre l’Art. […] Mais non : le journal va chercher ses lecteurs, le livre attend les siens Et parce qu’on a publié Modeste Mignon dans le Journal des Débats et le Lis dans la vallée dans la Revue de Paris, faut-il ne pas écrire Splendeurs et Misères des courtisanes, un des plus beaux livres d’analyse sociale qui aient été écrits en langue française ? […] Mais il était écrit là-haut sans doute que tout ce qui désigne ce sexe deviendrait une injure ; et ce sont les femmes elles-mêmes qui se sont calomniées en rejetant comme indécents tous les mots qui avaient ce caractère.

1188. (1900) Quarante ans de théâtre. [II]. Molière et la comédie classique pp. 3-392

Il est des gens, dit La Bruyère, qui écrivent proprement et ennuyamment. […] Oui, mais ils ont été écrits pour l’optique de la scène : c’est du style de théâtre. […] Écrivez pucelaige, le mot ne produit plus du tout l’effet de secousse que l’on éprouve si vous écrivez à la moderne. […] Marivaux n’a rien écrit de plus délicat, de plus raffiné, et il ne l’a pas écrit dans cette langue. […] J’avais promis de donner la lettre que m’a écrite à ce sujet M. 

1189. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — II. (Fin.) » pp. 213-233

Mézeray résista pendant toute une séance, et, forcé d’acquiescer enfin à la condamnation, il écrivit en marge : « Rayé quoique véritable. […] Sur le chapitre des finances, il s’était laissé aller à son antipathie naturelle et avait trop oublié qu’il n’écrivait plus en temps de Fronde. […] Après la visite de Perrault, il écrit donc à Colbert, et le supplie résolument, sans marchander sur l’expression (janvier 1669) : Monseigneur,   Oserai-je vous réitérer par cette seconde lettre les mêmes prières que j’ai déjà pris la hardiesse de vous faire par ma première, dont voici les mêmes termes ? […] Mais il avait promis plus qu’il n’était capable de tenir : il ne fit qu’adoucir et affaiblir ces passages, et il subit pour sa peine une diminution de pension, qui le porta à écrire d’autres lettres suppliantes. […] Il est dommage que sa dernière manière de vivre soit allée si fort jusqu’à la manie : car on conçoit un philosophe, un sage un peu marqué d’humeur, ayant écrit ces libres Histoires et se taisant désormais, renonçant au bruit, à la gloire, pour la plus grande indépendance, et se cachant pour bien finir.

1190. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le baron de Besenval » pp. 492-510

Elle était à Versailles en septembre 1725, lorsque Louis XV épousa Mlle de Leckzinska à Chantilly : « Tout le monde, écrivait Voltaire, fait ici sa cour à Mme de Besenval, qui est un peu parente de la reine. […] Ce n’est point là pourtant l’impression qu’il doit faire ; Besenval fut un homme constamment heureux, et qui se piquait de l’être : « Ne me sachez pas gré de mon bonheur, écrivait-il en 1787 à une dame de ses compatriotes ; le hasard seul en fait les frais et m’a toujours bien servi. […] À tous ces titres, et puisqu’il a pris la peine d’écrire, il a bien quelque compte à rendre auprès de la postérité. […] [NdA] Maurepas avait le goût des arts ; il était agréable à ceux qui les cultivaient ; dans sa retraite à Pontchartrain, il fit illusion à Montesquieu, qui écrivait après avoir passé huit jours avec lui : « Le maître de la maison a une gaieté et une fécondité qui n’a point de pareille : il voit tout, il lit tout, il rit de tout, il est content de tout, il s’occupe de tout. […] [NdA] Stendhal (Beyle) qui avait plus d’une raison pour goûter Besenval et qui le cite souvent à l’appui de ses propres vues sur la société, a dit de lui : « J’aime ses mémoires ; il a la première qualité d’un historien, pas assez d’esprit pour inventer des circonstances qui changent la nature des faits ; et la seconde, qui est d’écrire sur des temps qui intéressent encore.

1191. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — III — Toujours Vauvenargues et Mirabeau — De l’ambition. — De la rigidité » pp. 38-55

S’il hésite pourtant à dire qu’il a plus souvent qu’on ne le croit la plume à la main, il se montre bien au naturel et avec la dignité qui lui sied, dans la plénitude de ses pensées et de son rêve : Je ne vous cacherai point que je n’ai ni la santé, ni le génie, ni le goût qu’il faut avoir pour écrire ; que le public n’a point besoin de savoir ce que je pense, et que, si je le disais, ce serait ou sans effet, ou sans aucun avantage. […] Vauvenargues se trompe sur un point, et il borne trop son regard à l’influence présente : de grandes pensées, de belles vérités écrites et fixées avec éclat, ne sont-elles pas aussi des actions, moins promptes il est vrai, mais permanentes et éternelles ? […] J’ai dit que le plus jeune frère de Mirabeau servait dans le régiment du roi ; Vauvenargues était quelquefois prié de le surveiller, de lui donner des conseils : « Ayez soin du petit », lui écrivait le fougueux aîné devenu père de famille. […] Mirabeau, qui écrit à l’emporte-pièce, lui trouve en quelques endroits le style lâche ; le mot n’est pas poli ; nous le traduirons mieux en disant : c’est une suite, un enchaînement de raisons déduites avec largeur et un peu de complaisance, dans une langue riche, un peu traînante en effet, mais d’une belle plénitude morale, d’une élévation continue, et qui rencontre quelquefois des mouvements d’éloquence. […] Il me semble qu’en rapprochant tout ce qu’on trouve de passages religieux dans ses écrits, de pour et de contre, on n’arrivera qu’à composer une velléité, une inquiétude chrétienne (elle a dû exister à certains moments), non une crise proprement dite, « Ce ne sont que des accidents de foi, m’écrit M. 

1192. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Maurice et Eugénie de Guérin. Frère et sœur »

Maurice de Guérin, dans les années où il a écrit les pages qui le recommandent à la mémoire comme artiste, les belles pages dont on se souviendra dans une histoire de l’art, — ou des tentatives de l’art au xixe  siècle, — avait cessé de croire et de prier. […] J’aimais mes vaches, mais d’une, affection inégale ; j’avais des préférences pour une poule, pour un arbre, pour un rocher… » Qui a écrit cela ? […] De loin donc, elle prie pour lui, elle écrit à son intention ce petit Journal qu’il aime pour en avoir vu les premiers cahiers, et qu’il lira un jour. Âme innocente, élevée, pure, non pas inexpérimentée, mais droite et simple, elle y cause avec elle-même, avec ses plus hautes et ses plus secrètes pensées, avec Dieu, priant, pleurant, se chantant parfois des vers, se disant « La solitude fait écrire parce qu’elle fait penser. […] Il me regardait écrire et a pris le pulvérier (le sablier) pour du poivre dont j’apprêtais le papier.

1193. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire. »

C’est déjà une récompense de ma hardiesse que cette occasion de vous écrire. […]  » L’ami à qui il écrivait de la sorte mérite d’être connu. […] Le Roy, lieutenant des chasses du parc de Versailles, observateur philosophe des mœurs des animaux sur lesquels il a écrit des Lettres que tous nos psychologistes devraient avoir lues71, s’était donc chargé de trouver l’ermitage où s’abriterait Deleyre avec sa famille, et il en avait découvert un à souhait. […] Je serai le barbare qui vous ferai vivre malgré vous. » Après un de ces petits voyages où il l’avait eu près de lui, il écrit à Mme Deleyre pour lui rendre compte de la santé morale qui les intéresse. […] Deleyre vient y passer quelques jours en tiers avec Ducis et s’en trouve bien ; une lettre qu’il a écrite au retour respire un certain calme, une certaine paix de l’esprit qui prouve que le bonheur n’est pas chose tout à fait étrangère à sa nature ; Ducis lui répond : « Vous voilà bien, mon cher Deleyre, conservez-vous dans cet état.

1194. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Histoire de Louvois par M. Camille Rousset. Victor-Amédée, duc de Savoie. (suite et fin.) »

Louvois, mieux avisé, en présence de ce naturel fermé de si bonne heure et de cette précoce dissimulation du jeune duc, et quand on lui parlait des variations de physionomie et de sentiments qu’il laissait apercevoir pour ce mariage de Portugal, écrivait à son agent : « Je crains également le chagrin et la gaieté de M. le duc de Savoie. » Le jeune prince, une fois majeur, n’eut plus qu’une pensée : prendre le pouvoir, mais aussi cacher ses desseins. […] Le marquis de La Trousse, envoyé militaire de Louvois à Turin, écrivait : « Il (le duc) a dit hier à M. de Cadaval (l’ambassadeur de Portugal) que ce qui lui donnait le plus de chagrin de son mal, était le retardement qu’il apportait à l’envie de s’aller jeter aux pieds de l’infante. […] Le jeune duc écouta l’émissaire de Pianesse, se fit remettre de la part du ministre des mémoires écrits, détaillés, utiles, et, tout bien posé, tout balancé, il prit le parti de conter toute l’intrigue à sa mère. […] Voici le portrait confidentiel que traçait de lui celle que Saint-Réal avait appelée la meilleure et la plus heureuse des mères : « Pour faire connaître à M. de Louvois, écrivait-elle, la confiance entière que j’ai en lui et en sa discrétion, je vais lui dépeindre l’humeur de Son Altesse Royale, dont il ne rendra compte qu’au roi comme mon protecteur, à qui je me confie très respectueusement, et auquel j’ouvre le plus secret de mon cœur, avec la liberté qu’il m’a permise. […] C’était un Protée qui vous échappait. « On peut dire de lui, écrivait le marquis d’Arcy, ambassadeur à Turin, ce qu’on disait de Charles-Emmanuel (le contemporain de Henri IV), que son cœur est couvert de montagnes comme son pays. » Ses démonstrations et ses semblants sont pour Louis XIV : son goût est pour le prince d’Orange.

1195. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Sans compter même les reproches publics que lui adressa plus d’une fois Napoléon à ce sujet et qui équivalent à un démenti, il semble que Talleyrand n’avait pu dès le principe se prononcer aussi absolument qu’il l’a prétendu contre toute intervention dans les affaires d’Espagne : sans cela, l’empereur ne lui aurait pas écrit de Bayonne, comme il le faisait (25 avril 1808) : « Je continue mes dispositions militaires en Espagne. […] Je relèverai pourtant une lettre sévère datée de Saint-Cloud (29 août 1810) ; un chef d’État, si rude qu’il soit, n’écrit point dans ces termes à qui ne l’a point mérité : « Monsieur le prince de Bénévent, j’ai reçu votre lettre. […] » Ce mot d’homme d’esprit est fort sage : en effet, le moment arrive assez vite, pour tout nom célèbre, où il est rassasié et comme saturé de tout ce qu’il peut porter et contenir de propos en l’air et de médisances : à partir de ce moment, on a beau dire et écrire, rien ne mord plus, rien n’a prise sur lui, tout glisse, et le nom désormais garanti est partout reçu à son titre, et compté pour ce qu’il vaut. […] Il paraît que, dès la fin de 1813, il avait insinué quelques-unes de ses idées jusque dans le gouvernement même ; Napoléon écrivait de Nogent-sur-Seine, le 7 février 1814, au roi Joseph, son lieutenant général à Paris, et qui lui-même était d’humeur pacifique et douce : « Faites donc cesser ces prières de quarante heures et ces miserere. […] La voici telle qu’un témoin délicat et sûr l’a recueillie de sa bouche et l’a écrite aussitôt : « En 1814, M. de Talleyrand était à la tête d’une espèce de conspiration, dont le but d’abord fut de faire passer l’empire à Napoléon II, sous la régence de Marie-Louise ; puis, le but se transformant, il se prit à travailler au retour des Bourbons.

1196. (1829) De la poésie de style pp. 324-338

C’est là, dit-on, un caractère commun à tous les écrits de Jean Paul. […] » Et tous deux écrivirent. […] Montesquieu écrira : « Quand les sauvages de la Louisiane veulent avoir du fruit, ils coupent l’arbre au pied, et cueillent le fruit ; voilà le gouvernement despotique » ; mais, outre que la forme de comparaison est encore conservée ici, ces exemples étaient rares et remarqués. […] Il ne s’arrête pas non plus tout à coup, et, par un trait soudain, il ne se contente pas d’écrire le mot génie sur le piédestal de son symbole. […] Aussi, en Angleterre Wordsworth11, en France les critiques de la nouvelle école poétique, en sont-ils venus à professer que le poète ne peut pas être compris de tout le monde, mais qu’il doit se faire son public, ses adeptes, ses fidèles, presque comme s’il écrivait dans une langue inconnue.

1197. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre IV. Précieuses et pédantes »

Vous recommandez à quiconque écrit : « N’ayez souci que de déplaire aux autres. » Le conseil est distingué, d’une distinction trop voulue. […] Ses dissertations et ses politesses sont « bien écrites », comme on dit. […] Et voici comment écrit Henry Bordeaux. […] Paysan parvenu cabotin, il s’écoute parler et, sans doute, se regarde écrire, ébloui, dans « la confidence de la glace ». […] Il leur fait toujours parler le vocabulaire écrit et la syntaxe écrite d’un élève en concettis.

1198. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

Or, cette sorte de résumé développé et alternatif et de balance continuelle que l’avocat général faisait en parlant, et qu’aussi le procureur général faisait alors par écrit, avait donné à l’esprit de d’Aguesseau sa forme définitive ; et comme il s’y joignait chez lui une grande conscience et peu de décision naturelle, il ne pouvait se résoudre en quoi que ce fût à conclure, à saisir en définitive ce glaive de l’esprit qui doit toujours en accompagner l’exacte balance pour trancher à temps ce qui autrement courrait risque de s’éterniser. […] Le cardinal de Fleury, dans ses dépêches, n’a pas jugé d’Aguesseau autrement lorsqu’il a écrit : « M. le chancelier est certainement très habile, et a de grandes lumières ; mais, à force d’en avoir, il trouve des difficultés à tout. » Pourquoi un grand magistrat n’est-il pas nécessairement un bon politique ? […] S’il écrit au même M. de Valincour au sujet du jeune Racine qui est à Fresnes, on voit quelle idée solennelle d’Aguesseau se forme volontiers d’un poète : Que dites-vous du jeune poète que nous avons ici depuis plus de quinze jours, et qui n’a jamais voulu lui prêter sa muse (à Mme la chancelière) pour vous répondre ? […] À un ami qui faisait de la métaphysique à la veille du mariage, il écrivait finement : « Vous êtes peut-être le premier homme qui, à la veille de se marier, n’ait été occupé que de la spiritualité de l’âme. » Au cardinal Quirini, qui le visitait à Fresnes, et qui lui disait dans sa bibliothèque : « C’est donc ici qu’on forge des armes contre le Vatican ?  […] » Ce qu’il disait eu causant semble avoir été plus vif, comme il arrive d’ordinaire, que ce qu’il s’est permis en écrivant ; dans ce qu’il écrit il est plutôt encore subtil et ingénieux que spirituel.

1199. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La princesse des Ursins. Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins — II. (Suite et fin.) » pp. 421-440

Ainsi, à propos du prince de Vaudémont, ancien gouverneur de Milan et homme de mérite, qui a fort réussi à Versailles : Serait-ce un grand malheur, écrit Mme des Ursins, quand vous voudriez par vous-même le connaître à fond, en l’entretenant sur toutes sortes de matières différentes, et lui demandant comment il pense sur les sujets ? […] Puis, quand Mme de Maintenon écrit qu’elle n’a vu le prince de Vaudémont qu’une fois et qu’elle en a été charmée comme les autres, Mme des Ursins réplique en insistant : Pourquoi ne le voyez-vous pas souvent ? […] Une femme de chambre et deux officiers des gardes étaient montés avec elle dans le carrosse : Je ne sais comment j’ai pu résister à toutes les fatigues du voyage (écrivait-elle à Mme de Maintenon en errant sur la frontière de France, dix-huit jours après la scène de Xadraque). […] Je n’ai pas oublié, dans le détail que j’ai pris la liberté d’écrire au roi (à Louis XIV), que je ne mangeais que deux vieux œufs par jour ; j’ai cru que cette circonstance l’exciterait à avoir pitié d’une fidèle sujette qui ne mérite, ce me semble, par aucun endroit un pareil mépris. […] Et de cette dernière ville, quelques jours après, elle écrit (toujours à Mme de Maintenon) : J’attendrai les ordres du roi à Saint-Jean-de-Luz, où je suis dans une petite maison sur le bord de la mer.

1200. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — I. » pp. 186-205

J’apprécie comme je le dois l’honneur que m’ont fait des membres du gouvernement en pensant que ces sortes d’entretiens libres et familiers ne seraient pas déplacés dans Le Moniteur ; sans rien changer à la forme des articles et sans en altérer l’esprit, je tâcherai de les rendre dignes du lieu où j’écris, et de les coordonner peut-être par quelques points avec le régime qui nous rouvre la carrière. […] Vieux, arrivé au terme d’une existence jusque-là des plus favorisées et des plus également douces, l’abbé Barthélemy se vit tout d’un coup privé par la Révolution de la fortune, de l’aisance et de la liberté ; dans ces instants d’ennui et de retraite, il eut l’idée d’écrire des Mémoires sur sa vie, restés inachevés, mais suffisants, et qui sont la source où l’on apprend le mieux à le connaître. […] Ce fut le germe de son ouvrage, qu’il mit trente années ensuite à combiner et à écrire. […] Elle varie quelquefois sur lui ; le fond de son jugement, c’est que l’abbé Barthélemy est véritablement attaché à Mme de Choiseul : « Et c’est un homme tel qu’il le faut pour une compagnie journalière. » Aux heures de mécontentement et de méfiance, elle le soupçonne d’être peu sincère, et, à propos de je ne sais quelle tracasserie entre elle et les Choiseul, elle écrira à Walpole : « Je vous ai dit que je vous parlerais de l’abbé ; je pense qu’il est Provençal, un peu jaloux, un peu valet, et peut-être un peu amoureux. » Elle écrivait cela en 1770, c’est-à-dire quand l’abbé Barthélemy était déjà uni aux Choiseul par une liaison qui datait de près de quinze ans ; l’extrémité de son soupçon ne va pas au-delà, et on ne voit pas même qu’à part deux ou trois lettres qui sont du même moment, elle y soit jamais revenue depuis. […] Si l’on avait conservé les lettres ou plutôt les gazettes que l’abbé Barthélemy écrivait de Chanteloup à Mme Du Deffand, et où il rendait compte du mouvement de société jour par jour, on aurait de vrais mémoires sur un intérieur du grand monde au xviiie  siècle.

1201. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — I » pp. 93-106

La correspondance et les écrits qui sont publiés aujourd’hui sont d’un intérêt très varié et nous remettent tout à fait dans le vrai avec M. de Tocqueville. […] Combien de fois M. de Tocqueville ne s’est-il point posé cette question au sujet de son ami : Pourquoi n’écrit-il pas ? […] Juge auditeur à Versailles avant la révolution de juillet 1830, il prend part aux travaux du ministère public ; il est plusieurs fois appelé à parler devant la Cour d’assises : En général, écrivait-il à son début (23 juillet 1827), il y a chez moi un besoin de primer qui tourmentera cruellement ma vie. […] Lorsque ce livre sur la Révolution paraît et obtient aussitôt un succès assez vif auquel on ne se serait pas précisément attendu, au milieu des éloges ou des contradictions qu’il excite et des félicitations qui lui en arrivent, l’auteur ne s’exagère en rien la portée d’influence qu’il peut avoir : Les classes influentes ne sont plus celles qui lisent, écrit-il à M. de Kergorlay (29 juillet 1856). […] De nos jours, d’ailleurs, je ne vois pas d’emploi plus honorable et plus agréable de la vie que d’écrire des choses vraies et honnêtes qui peuvent signaler le nom de l’écrivain à l’attention du monde civilisé, et servir, quoique dans une petite mesure, la bonne cause.

1202. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre I : La science politique au xixe  siècle »

D’ailleurs, s’il goûtait peu la philosophie savante, il portait en lui-même une philosophie naturelle, non systématique, mais toute vivante, et partout présente dans ses écrits, la philosophie de l’âme, de la dignité humaine, de la liberté. […] Ces nobles cœurs font plaisir à voir, et on aime leurs écrits malgré la singularité de leurs pensées. […] Elle invoquait cette remarquable maxime de l’empereur Napoléon Ier : « C’est un grand défaut dans un gouvernement que de vouloir être trop père : à forcede sollicitude, il ruine la liberté et la propriété4. » Telles étaient les doctrines de l’école économiste, telles qu’on les trouve exposées dans les écrits de J. […] Mais pour n’avoir pas l’air de déprécier un aussi grand esprit, je me hâte d’ajouter que Lamennais ne doit pas être seulement étudié dans ses écrits démocratiques. […] La première période du socialisme est celle que j’appellerai période industrielle : c’est le temps des premiers écrits de Saint-Simon5.

1203. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Introduction. Du bas-bleuisme contemporain »

Du bas-bleuisme contemporain I Ce n’est ni une inconséquence ni même une diversion, comme on pourrait le croire, que d’introduire dans un livre de critique intitulé : Les Œuvres et les Hommes au xixe  siècle , la série des femmes qui écrivent, car les femmes qui écrivent ne sont plus des femmes. […] Elles touchèrent au bas-bleuisme, mais leurs bas restèrent toujours de soie, blanche ou rose… D’un autre côté, qu’une femme comme Mlle de Sévigné écrivît, si elle le pouvait, de charmants commérages à sa fille, ou comme Mme d’Aulnoy, des contes délicieux pour des enfants, ce n’étaient pas là non plus des Bas-bleus encore. […] Ce fut à dater des romans de Sand qu’on vit pulluler toutes sortes de livres en prose et en vers, écrits par des plumes féminines sur l’inégalité des conditions entre l’homme et la femme, et que le bas-bleu apparut, — le véritable bas-bleu, bien autrement foncé qu’en Angleterre, où le mariage, — une sauvegarde contre le bas-bleuisme, — est resté en honneur et où le mari s’appelle Lord encore… Comme il est beaucoup plus aisé de changer d’habit que de sexe, jamais, autant qu’en ce temps-là, on ne vit plus de femmes en habit d’homme, comme l’avait fait Mme George Sand, dont la redingote de velours noir, illustrée par Calamata, fut célèbre et qui s’appela longtemps George Sand tout court (le voyou, comme elle le disait elle-même dans ses Lettres d’un Voyageur) ; George Sand qui devait redevenir Mme Sand et presque Mme Dudevant dans sa vieillesse, — quand le terrible coup de locomotive de la vieillesse passe sur toutes les prétentions et les rafle, et qu’on acquiert la preuve alors qu’on n’était, de toute éternité, qu’une femme et que l’homme qu’on croyait faire n’a jamais dépassé le gamin ! […] L’âpre Chamfort, s’il revenait, n’écrirait plus que la femme a de moins que l’homme un tiroir dans la tête et une fibre de plus dans le cœur. […] Enfin, jusqu’en religion, la sphère impénétrable, l’influence de la femme a, par je ne sais quels invisibles pores, pénétré… Des esprits hardis ont irrévérencieusement écrit que présentement la Vierge primait Jésus-Christ.

1204. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « IX. L’abbé Mitraud »

À ce titre seul, nous avions reconnu le problème du temps présent, la chimère dit siècle, comme disait saint Bernard, — car les littératures font beaucoup de théories sociales, lorsque les peuples ont relâché ou brisé tous les liens sociaux, absolument comme on écrit des poétiques, lorsque le temps des poëmes épiques est passé, — et il était curieux de savoir comment le prêtre avait remué, à son tour, le problème vainement agité si longtemps par les philosophes. […] La sonnette du lépreux s’entendait avant qu’on ne vît le pauvre malade… M. l’abbé Mitraud, qui a, selon nous, dans la pensée, la contagion des maladies spirituelles contemporaines, fait entendre à nos cœurs et à nos esprits une triste sonnette dans ce premier écrit, où sa personnalité philosophique, c’est-à-dire sa théorie, ne paraît pas encore, mais s’annonce. […] Mitraud, et qui créent une parenté d’erreur profonde entre son ouvrage et tant d’autres écrits fades et dangereux. […] Pourquoi les premiers mots qui vous frappent dans un écrit, ayant la prétention d’être une solution chrétienne à la grande question du temps présent, sont-ils une définition orde et païenne de la notion de Droit : « Le Droit est la résultante des besoins de la nature » ? […] Mitraud que nous ne l’avons été pour ce qu’il croit sa philosophie ; car, littérairement, on ne trouve ni la déduction, ni l’ordre d’un livre dans cet écrit, décousu comme un pamphlet, et qui n’a ni commencement, ni milieu, ni fin.

1205. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Gustave Flaubert » pp. 61-75

Flaubert — pour laquelle les romanciers écrivent aussi, ne puisse jamais les regarder comme une femme amoureuse, pour s’en éprendre et y rêver ! […] Pour écrire de pareils romans, l’intelligence suffit quand elle est robuste. […] On sentirait dans ces machines autant de vie, d’âme, d’entrailles humaines que dans l’homme de marbre qui a écrit Madame Bovary avec une plume de pierre, comme le couteau des sauvages. […] Que de gens pour qui le roman qu’ils écrivent n’est qu’une confidence à la troisième personne ! Quand la mode était aux tragédies, faire une tragédie n’était qu’une prétention littéraire ; mais écrire un roman, c’est une prétention littéraire, doublée d’une autre, bien plus profonde.

1206. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Régnier, Henri de (1864-1936) »

Camille Mauclair À Pise, au Campo-Santo, attardé devant les fresques de Benozzo Gozzoli, si Shelley avait pu lire, au retour, les Poèmes anciens et romanesques, Tel qu’en songe ou les Contes à soi-même, il eût cru retrouver sa propre vision écrite là dans une nuit d’inconscience ; car, si le poète dont je parle présentement a, seul et sans effort dans notre époque d’art, recréé les grandes traditions décoratives de la pure beauté florentine, il n’y enclot pas une beauté froide, mais la souffrance passionnée de son âme d’outremer. […] On se reporte, en le lisant, à l’exclamation d’Ovide : quidquid scribere conabar versus erat , tant il semble que le simple délice d’écrire et la facilité inconsciente à modeler les courbes de la Parole ont suffi, dans une âme attirée vers le songe, pour tracer ces strophes aux lignes justes. […] Jules Lemaître a tout à fait oublié de réimprimer dans l’un de ses volumes : Impressions de théâtre, le feuilleton un peu négligé qu’il écrivit alors au Journal des débats. […] Quand on a écrit les Poèmes anciens et romanesques, la Gardienne et ce livre : Aréthuse, beau tout entier, quand on a écrit le Vase, les Roseaux de la flûte et cette pièce : La Couronne, dans les Médailles d’argile, quand on a dressé tant de beautés souples, harmonieuses et mélancoliques, on est un grand poète ; et que d’aucuns le nient ou bien le reconnaissent, cela n’importe pas.

1207. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre VI. La commedia sostenuta » pp. 103-118

La commedia sostenuta Les acteurs Italiens accoutumés à jouer la comédie improvisée ne laissaient pas de représenter, à l’occasion, la comédie écrite et soutenue, de réciter les œuvres de l’Arioste, de Bibbiena, de Machiavel, de l’Arétin. […] Un canevas qui avait du succès et que son auteur voulait faire imprimer était ordinairement transformé en comédie écrite. […] D’autre part, les comédies écrites et dialoguées n’en restaient pas moins des soggetti, des thèmes toujours prêts pour la commedia dell’arte. […] On trouve le capitan et le pédant dans presque toutes les comédies écrites à partir du milieu du seizième siècle. […] Il porte sa culpabilité écrite sur son front.

1208. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Fontenelle, et le père Baltus. » pp. 2-16

Rien n’en avoit plus imposé que la mort du grand Pan, annoncée par le pilote Thamus ; qu’une réponse de l’oracle Sérapis à Thulis roi d’Egypte ; que celle d’un autre oracle à l’empereur Auguste sur l’enfant Hébreu ; que les oracles tirés par Eusèbe des écrits mêmes de Porphyre, ce grand ennemi des chrétiens. […] L’un écrivit pour les sçavans ; l’autre s’est fait lire de tout le monde. […] On ne voit pas qu’il ait fait de ses talens aucun abus déplorable, qu’il ait ambitionné d’aller à la gloire par des écrits contre la religion. […] Dumarsais, jeune encore, avide de se faire un nom, n’ayant à risquer ni place ni fortune, admirateur de Fontenelle & plus philosophe que lui, plus idolâtre de la liberté des sentimens, écrivit pour le justifier contre les imputations de son critique. […] Peut-être cet académicien célèbre, d’un esprit si juste, si délicat, si profond, si enchanteur & qui s’étendoit à tout, n’eut-il pas mieux fait, s’il eut écrit lui-même pour sa propre défense.

1209. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Seconde Partie. De l’Éloquence. — Éloquence en général. » pp. 177-192

Il écrivit contre la manière d’enseigner & d’étudier les belles-lettres. […] Il y déprécioit ses talens, sa méthode d’enseigner, d’étudier & d’écrire. […] Une chose bien singulière, c’est qu’il n’a commencé à écrire en François que sur le retour de l’âge. […] Rollin en avoit soixante passés, quand il écrivit dans notre langue ; & ce qu’il y a de plus extraordinaire encore, c’est l’enthousiasme avec lequel ses livres furent reçus du public. […] Mais tous les coups qu’on se porta, tous les écrits qu’on publia, furent, ainsi que plusieurs démentis formels, donnés en pure perte.

1210. (1799) Jugements sur Rousseau [posth.]

Jugement sur Émile Vous exigez, madame, que je vous donne par écrit mon jugement sur le livre de l’Éducation. […] Je serais du moins content, si après m’avoir obligé à écrire des sottises, vous vouliez prendre la peine de les redresser : mais vous n’en ferez rien ; vous êtes comme Dieu, qui dit aux hommes, je veux être obéi, et qui ne s’embarrasse guère de leur en faciliter les moyens. […] Il faut avoir connu comme moi Rousseau pour voir à quel point la hardiesse de braver tout a donné l’essor à son esprit : je l’ai vu il y a vingt ans (en 1762), circonspect, timide et presque flatteur ; ce qu’il écrivait pour lors était médiocre. […] J’écris, comme l’auteur, mes jugements sans beaucoup d’ordre, et à mesure que les idées me viennent ; les écarts qu’il se permet si fréquemment dans ses livres, doivent moins choquer dans celui-ci que dans aucun autre, parce que l’objet en est si vaste, qu’il n’y a, pour ainsi dire, rien qui n’y tienne. […] Voilà mon avis, que vous aurez peut-être bien de la peine à lire, parce que je l’écris fort à la hâte ; mais vous ne voulez point attendre, et j’ai mieux aimé courir le risque de vous ennuyer, que celui de vous impatienter.

1211. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Pélisson et d’Olivet »

… Mais il y a plusieurs raisons qui m’empêchent… et vous n’aurez pas oublié ce que je vous en disais si souvent en nos longues promenades de Roumens, où il n’y avait que des arbres et des fontaines qui nous écoutassent. » Après cet aveu dépouillé d’artifice, on comprend quelle doit être l’histoire, écrite pour le public et pour la postérité, de ce courageux historien à l’usage des arbres et des fontaines. […] En vérité, il fallait que Pélisson, qui apprivoisait les araignées, écrivît quelquefois pour elles. […] Écrite pour le temps où Pélisson avait vécu, elle n’avait pas duré davantage, et c’est inutilement, nous le croyons, que Livet, dans son désir d’être agréable à l’Académie d’aujourd’hui, a tiré cette histoire de l’oubli dans lequel elle était tombée. […] D’Olivet écrivait après 1700, et Pélisson en 1652. […] Pélisson lui-même et l’abbé d’Olivet, les historiens et les biographes de leur compagnie, en écrivant fraternellement de leurs confrères obéissaient au règlement, remplissaient un devoir d’étiquette, et probablement ce qu’ils ont écrit n’avait pas à leurs yeux plus de poids que des discours de réception ou des oraisons funèbres.

1212. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Eugène Talbot » pp. 315-326

Le Romantisme, ce Résurrectionniste, en ravivant, aux lueurs de son flambeau, toutes les gloires du seizième siècle, de ce siècle que le dix-septième et le dix-huitième, descendants ingrats de pères plus grands qu’eux, avaient cru pouvoir effacer, le Romantisme avait laissé dans l’ombre cette petite gloire d’une traduction qui est un bijou… Tous ou presque tous de ce siècle qui a la beauté d’une aurore, depuis Rabelais, Montaigne, Ronsard, d’Aubigné, Régnier, Amyot, Desportes, jusqu’à Mathieu, le splendide Pierre Mathieu, qui écrivait sous Henri IV et qui précéda immédiatement cette littérature, exécutée comme la Noblesse et dont Malherbe et Despréaux vont tout à l’heure être les Richelieu et les Louis XIV, tous avaient eu leur édition ou du moins leur page d’histoire ou de critique qui disait la nécessité ou la convenance de l’édition, comme on a la niche, en attendant la statue. […] La langue qu’écrit l’homme d’un temps l’imprègne et le pénètre de son génie et lui communique une saveur que rien, quand on n’écrit pas cette même langue, ne peut remplacer, Notez-le bien : en matière de traduction, le génie de la langue importe bien plus que le génie individuel dont se trouve doué le traducteur. […] Comme les écrivains les plus admirés qu’il y ait dans l’Histoire littéraire, et j’oserais dire les plus immortels parmi les immortels, Hérodote écrivait à une époque où la langue avait ce degré d’accomplissement dans la jeunesse qui s’accordait le mieux avec son genre de génie. […] Eugène Talbot dans le discours préliminaire de son édition, — c’est que le français de Saliat ne fait aucune disparate avec le français de Montaigne, et qu’il s’y fond comme dans son élément naturel… » La traduction d’Hérodote par Saliat est donc un livre comme Montaigne aurait pu l’écrire.

1213. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Laïs de Corinthe et Ninon de Lenclos » pp. 123-135

C’est une manière comme une autre d’écrire l’histoire des mœurs et des influences, que de tracer la biographie des courtisanes qui ont trouvé une espèce de gloire dans leur infamie. […] Pour obvier à cet inconvénient, qui frappe de stérilité la biographie que l’auteur du livre dont il est question voulait écrire, non pour Laïs elle-même, mais pour l’honneur de cette chose que Laïs représente dans le monde ancien et Ninon dans le monde moderne, et que nous ne savons comment nommer avec décence, Debay a découvert (nous ne dirons pas qu’il l’a inventé un manuscrit grec dont l’original, trouvé, dit-il, au couvent de Mégaspitron, et confié aux soins de Vietti le Polyglotte, a complètement disparu depuis la mort de ce savant. […] Un grand artiste, qui écrivait, mais qui ne parlait pas, Chateaubriand, a écrit sur Ninon deux ou trois pages excellentes, dans lesquelles il lève, du bout de sa plume, ce falbala qui cache un squelette, avec le dédain de Charles Ier quand il toucha, de sa longue badine, la masse d’armes placée devant l’Orateur du Parlement. […] On dit que sur son lit de mort elle avoua qu’elle aimerait mieux mourir de la main du bourreau que de recommencer sa vie… cette vie que Debay a écrite et qu’il a transformée en apothéose.

1214. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « W.-H. Prescott » pp. 135-148

Supposez un Français quelconque ayant les opinions de Prescott ; appelez-le, si vous voulez, Henri Martin ou Michelet, et donnez-lui à écrire la même histoire, quelles déclamations de toute espèce n’aurez-vous pas sur l’horrible règne de Philippe II, sur son bourreau le duc d’Albe, et sur l’Inquisition, leur souveraine ou leur servante ! […] Historien qui n’est pas au-dessus de l’Histoire, mais de niveau avec elle, il a l’expérience qu’on gagne à l’étudier ou à l’écrire, et cette expérience lui donne le calme insouciant qu’il faut avoir devant les fautes des hommes et leurs Institutions imparfaites. […] Son émotion, il la gouverne… Cette main sans passion, — et qui écrit, à propos des supplices de 1554 : « Qu’était-ce que cela, en comparaison des milliers de victimes qui périrent sous le règne précédent !  […] Démocrate qui n’agite pas l’Histoire, c’est un de ces indifférents de la terre dont parle Shakespeare ; mais l’indifférence qui reçoit tout, c’est le papier blanc sur lequel on peut écrire des paroles de vérité. […] Cette difficile histoire ne peut être écrite que par un esprit à la Joseph de Maistre, et nous l’attendrons peut-être bien longtemps encore.

1215. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Le docteur Revelière » pp. 381-394

L’auteur est mort, et ce livre fut sa vie… Il le pensa, mais debout ; il l’écrivit, mais en agissant, en observant, en se mêlant aux choses et aux hommes de son siècle. […] Il n’a pas écrit sur sa personne, quand tout le monde écrivaille sur la sienne. […] Il a peut-être aussi, comme Saint-Simon, écrit son livre jour par jour, page par page, le condensant, le cristallisant au souffle de chaque événement ; mais il n’y a pas dégorgé de passion personnelle. […] Il a écrit sur leur poussière. […] Et l’histoire des Ruines est écrite… L’historien s’arrête à cette place, et il a raison.

1216. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Feuillet de Gonches »

Le vieil enfant qui l’a écrit en est lui-même un, de ces hommes, et même je crois qu’il en est trois. […] De cette plume rompue au style des affaires, de cette plume à la Vergennes, fine et limpide, Feuillet de Conches écrit un livre de féerie. […] Là surtout, dans de pareils milieux, est le conte, la vive racine du conte, qu’on l’écrive, du reste, pour les enfants ou pour les hommes. […] Mais La Fontaine n’est pas le seul écrivain qui ait laissé ses influences sur Feuillet, sur cet étonnant caméléon intellectuel qui écrit des contes aujourd’hui et qui demain peut-être nous écrira quelque livre d’art ou d’histoire.

1217. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Note »

J’ai souvent pensé combien, malgré tous les soins qu’on prend pour peindre la société de son temps et pour en donner l’idée aux générations survenantes, on y réussit peu et quelles étranges images s’en font ceux qui se mêlent ensuite d’en écrire. […] Lorsque je publiai, en 1834, le roman de Volupté, M. de Chateaubriand m’écrivit la lettre suivante : « Paris, 14 juillet 1834. […] J’en écrivis mes raisons détaillées à Ampère, et M. de Chateaubriand eut le bon goût de ne point m’en vouloir. […] « Chateaubriand. » Et maintenant qu’on s’étonne, si l’on veut, et qu’on se scandalise qu’après des années écoulées, en ne cessant de placer M. de Chateaubriand au premier rang littéraire du siècle, j’aie écrit sur lui, dans les deux volumes dont il est le sujet et le centre, comme en pensaient et en parlaient dans la familiarité tous ses amis et connaissances, toutes les personnes de la société en dehors de sa coterie, M.

1218. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » pp. 124-134

S’il se fût borné à accumuler des pensées & des vérités dans son Télémaque, il n’auroit pas trouvé des Lecteurs, sur-tout s’il eût écrit en vers. […] Il ne doit pas être plus attaché à ce qu’il a avancé pour prouver l’impossibilité où nous sommes de bien écrire en latin. […] On ne doit cependant pas condamner cette réserve : il auroit pu faire comme beaucoup d’autres Philosophes, ses subalternes, ne garder aucune mesure, déclamer à outrance, insulter sans égard, prodiguer des épithetes dures, traiter de style de laquais les Ecrits anti-philosophiques, qualifier de libelles les Ouvrages où l’on venge l’honneur outragé de quelques Gens de Lettres, &c. […] Quant à ses Eloges lus dans les Séances publiques de l’Académie Françoise, la maniere dont ils sont écrits est si mesquine, si incohérente, si remplie d’afféterie, si forcée, que les partisans les plus intrépides de M.

1219. (1818) Essai sur les institutions sociales « Préface » pp. 5-12

On dirait que celui-ci a été presque entièrement écrit sous l’inspiration du moment actuel, parce que la discussion, par un inconcevable malentendu, vient d’être ramenée sur le terrain de la restauration. […] Lorsque j’écrivais la page 108, M. de Maistre n’avait point encore accompli sa carrière. Dans les Prolégomènes de la Palingénésie, je reviens sur les écrits de cet illustre théosophe si peu apprécié par M.  […] Que de progrès ont été faits depuis que la page 117 a été écrite !

1220. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre II. La vie de salon. »

Mme de B. ayant renvoyé le diamant, « M. le prince de Conti le fit broyer, réduire en poudre et s’en servit pour sécher l’encre du billet qu’il écrivit à ce sujet à Mme de B. ». […] « Ici, à Paris, écrit Mme d’Oberkirch, je ne m’appartiens plus, j’ai à peine le temps de causer avec mon mari et de suivre mes correspondances. […] Lisez plutôt ce haut fait de Mme de Lauzun à Chanteloup : « Savez-vous, écrit l’abbé, que personne ne possède à un plus haut degré une qualité que vous ne lui connaissez pas, celle de faire les œufs brouillés ? […] Un bernardin, qui vit en Bresse au milieu des bois, écrit à Collé qu’il va jouer avec ses confrères la Partie de chasse de Henri IV, et faire construire un petit théâtre « à l’insu des cagots et des petits esprits ». […] « Depuis cinq ou six mois, écrit une dame en 1782295, les soupers sont suivis d’un colin-maillard ou d’un traîne-ballet et finissent par une polissonnerie générale.

1221. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (3e partie) et Adolphe Dumas » pp. 65-144

Vous l’avez connue, Lamartine, vous l’avez caressée sur ma fenêtre, sur le bout de mon lit, à mon chevet, sur le dossier de mon fauteuil, sur mon épaule, sur mes cheveux, sur ma main, quand j’écrivais. […] Je me souviens du temps où l’on me demandait : Qu’est-ce donc que Xavier de Maistre qui a écrit le Lépreux ou le Voyage autour de ma chambre ? ou M. de Sainte-Beuve qui a écrit des Consolations, ou M. de Guérin qui a écrit le Centaure, ou Ugo Foscolo qui a écrit les Lettres de Jacopo Ortis, ou M. de Surville qui a écrit les Poésies de Clotilde ? […] Mais il n’y est pas tombé sans soutien et sans amis pour le soutenir, et pour retourner sa tête sur son chevet à sa dernière heure, comme on l’a écrit par erreur ou par prétention à l’effet dans certains récits. […] Il écrivit à son frère qu’il désirait revenir à Paris, et le priait de venir le prendre à la gare de Trouville, en lui marquant le jour et l’heure du rendez-vous.

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