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1163. (1893) Impressions de théâtre. Septième série

Et cette Lysistrata, dont le Grand-Théâtre nous a rendu quelque ombre, est une de ses œuvres les plus accomplies. […] Renan est le seul, parmi ces très grands, qui ait commencé par quelque chose de plus profond que cette religiosité où se complaisaient les hommes de 1830 ; le seul qui soit né et qui ait été formé dans l’ombre même du sanctuaire, qui ait cru d’abord avec tendresse et larmes, qui ait été clerc tonsuré et qui ait porté la robe du prêtre. […] Tout cela fait qu’il nous offre le phénomène, non pas seulement du génie sans le talent, ce qui est assez commun et ce qui se conçoit, mais encore le phénomène presque inouï, et bien difficile à expliquer, de la poésie sans le style. » (« Le génie sans le talent. » Ne démontrerait-on pas aussi bien que Scribe a eu dans son métier tout le talent qu’on voudra sans l’ombre de génie ? […] Mon bon maître Sarcey se plaint que ces pièces ne soient, pour la plupart, que des « tranches de vie », que rien n’y soit préparé, que les personnages ne nous y soient pas présentés et expliqués d’avance, et qu’ainsi ils nous apparaissent comme des ombres à la fois brutales et fuyantes, incapables de fixer sérieusement notre attention et d’exciter notre intérêt. […] Ils ne sont plus que des ombres vaines, dont la mimique croît en majesté à mesure qu’elles sont plus vaines… Leur « nom », leur fameux nom, ça nous est égal à nous, puisqu’il n’est plus que le signe du passé, le signe absurdement persistant d’une puissance et d’un rôle pour toujours abolis.

1164. (1895) Le mal d’écrire et le roman contemporain

Les victimes de la grande névrose contemporaine doivent renoncer à la lutte, s’éloigner délibérément et se préparer dans l’ombre, afin de mériter par le travail l’encouragement qu’on leur refuse. […] Mais voici que cette ombre commence à sortir de sa nuit. […] Il note « l’ombre mobile d’un jet d’eau à la clarté de la lune, les montagnes lointaines lavées de bleu, les hirondelles qui s’enfoncent en criant dans les trous des murailles  ». […] L’approche de la mort projette son ombre froide sur cette œuvre plus désolée que le Miserere ou le Dies irae. […] L’héroïne d’Aziyadê est une ombre, et dans Pêcheur d’Islande Yan n’a ni la rudesse ni la grossièreté d’un paysan de la mer.

1165. (1730) Des Tropes ou des Diférens sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue. Traité des tropes pp. 1-286

L’efet pour la cause : come lorsqu’Ovide dit que le mont Pélion n’a point d’ombres, (…) ; c’est-à-dire, qu’il n’a point d’arbres, qui sont la cause de l’ombre ; l’ombre, qui est l’éfet des arbres, est prise ici pour les arbres mêmes. […] Qui nous peindroit come vous ces ruisseaux qui coulent sous une ombre verte ? […] Et ailleurs elle dit, « la brillante aurore etc. » pour dire que le jour finit, qu’il est tard (…), Virgile dit qu’on voit dèja fumer de loin les cheminées, que dèja les ombres s’alongent et semblent tomber des montagnes. (…) Boileau a dit par imitation : les ombres cependant etc.

1166. (1894) Études littéraires : seizième siècle

L’imprimerie a à peu près supprimé le moyen âge ; et d’autre part, présentant l’antiquité et le seizième siècle aux yeux et aux esprits sous les mêmes formes, dans les mêmes formats, dans la même écriture et comme dans la même langue, elle exprimait et accusait fortement cette continuation de l’antiquité par le seizième siècle qui était dans la pensée confuse de tout le monde, et rejetait d’autant dans l’ombre tout le moyen âge comme non avenu. […] Son amour des petits, des humbles, des meurtris et des foulés, sans l’ombre de sensiblerie, ni non plus d’indignation déclamatoire, le fait encore notre contemporain, ou, et plutôt, celui de nos grands-pères. […] Il est œuvre d’imagination bouffonne ; il ne contient aucun mythe et nulle parabole ; il contient des allusions aux choses du temps, mais sans détours et sans voiles ; il contient des choses sérieuses, mais très directes, exprimées très clairement, plus clairement même que tout le reste, et sur lesquelles, loin qu’un appareil mythique épaississe les ombres, la netteté et la gravité soudaine du ton et du tour appellent au contraire l’attention. […] Il consiste à donner par la logique l’illusion de la vérité, ou, et plus souvent, cette idée que la vérité n’est pas sûre, puisqu’on peut si facilement en montrer l’ombre, ou l’image, ou le masque. […] Il n’en a que si Dieu veut prendre pour des mérites les ombres de vertu qu’il peut montrer ; en d’autres termes, il n’a que les mérites que Dieu lui donne.

1167. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 3665-7857

On voit qu’Aristote n’admet le merveilleux, que dans les sujets dont la constitution est telle qu’ils ne peuvent s’en passer, en quoi l’auteur de Semiramis est d’un avis précisément contraire : Je voudrois sur-tout ; dit-il, que l’intervention de ces êtres surnaturels ne parût pas absolument nécessaire ; & sur ce principe l’ombre de Ninus vient empêcher le mariage incestueux de Semiramis avec Ninias, tandis que la seule lettre de Ninus, déposée dans les mains du grand-prêtre, auroit suffi pour empêcher cet inceste. […] A l’ombre des hêtres on entend parler de calamités publiques, d’usurpation, de servitude : les idées de tranquillité, de liberté, d’innocence, d’égalité, disparoissent ; & avec elles s’évanoüit cette douce illusion, qui dans le dessein du poëte devoit faire le charme de ses pastorales. […] Tantôt on croit voyager sur un vaisseau avec ce qu’on aime, on est exposé à la même tempête ; on dort sur le même rocher, & à l’ombre du même arbre ; on se desaltere à la même source ; soit à la poupe, soit à la proue du navire, une planche suffit pour deux ; on souffre tout avec plaisir ; qu’importe que le vent du midi, ou celui du nord, enfle la voile, pourvû qu’on ait les yeux attachés sur son amante ? […] Un même caractere a aussi ses traits d’ombre & de lumiere, qui s’embellissent par leur mélange : les sentimens bas & lâches de Felix achevent de peindre un politique. […] « La gloire accompagne la vertu, comme son ombre, dit Seneque ; mais comme l’ombre d’un corps tantôt se précede, & tantôt le suit, de même la gloire tantôt devance la vertu & se présente la premiere, tantôt ne vient qu’à sa suite, lorsque l’envie s’est retirée ; & alors elle est d’autant plus grande qu’elle se montre plûtard  ».

1168. (1883) Le roman naturaliste

Flaubert s’est imposé la loi de ne pas mettre une ombre seulement d’intérêt dramatique ou romanesque, défauts et qualités ressortent-ils avec plus de vigueur. […] Cependant « un soir du mois d’août, il entendit le jappement d’un renard, puis des pas légers sous sa fenêtre, et il entrevit dans l’ombre des apparences d’animaux ». […] Il n’y a pas l’ombre d’un doute sur les qualités de forme de l’œuvre de M.  […] Là-dessus, veut-on dire qu’il faudrait, comme nos naturalistes affectent de le croire, rejeter systématiquement dans l’ombre une part de la réalité ? […]  » Donnons-nous le plaisir d’en citer encore un troisième : « La nuit douce s’étalait autour d’eux ; des nappes d’ombre emplissaient les feuillages.

1169. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Madame de Verdelin  »

Mme de Verdelin mérite d’être distinguée entre les diverses dames amies de Rousseau, en ce qu’elle n’était nullement bel esprit ni bas-bleu, ni rien qui en approche70 ; qu’avec un esprit fin elle n’avait nulle prétention à paraître ; qu’elle aimait l’écrivain célèbre pour ses talents et pour son génie sans doute, mais pour lui surtout, pour ses qualités personnelles, non pour sa réputation et sa vogue : elle n’apporta dans cette liaison aucun amour-propre ni ombre de susceptibilité, lui resta activement fidèle tant qu’il le lui permit, et elle ne cessa, elle ne renonça à la douceur de le servir que lorsqu’il n’y eut plus moyen absolument de l’aborder ni de l’obliger ; et alors même elle garda intact son sentiment d’amitié, comme un trésor, hélas ! […] Elle ne pouvait nous être connue que par Rousseau ; un rayon de sa gloire est tombé sur elle : le rayon se retirant, elle est rentrée dans l’ombre et l’on perd sa trace79.

1170. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Théocrite »

Il n’y eut pas ombre de Daphnis à l’entour de Cincinnatus. […] Ces détails mêmes, relatifs à un ancêtre illustre qui fit jaillir de terre une fontaine, ne sortent pas du ton, et la description des ormes et peupliers, accompagnement naturel de cette fontaine, jette tout d’abord de l’ombre. — « Nous n’avions pas encore achevé, poursuit-il, la moitié du chemin, et le tombeau de Brasilas ne nous apparaissait pas encore, que nous rencontrâmes un voyageur de bonne race qui allait toujours en compagnie des Muses, Lycidas de Crète, c’était son nom ; il était chevrier, et on ne pouvait s’y méprendre en le voyant. » Suit un compte minutieux de l’accoutrement du personnage ; car, comme ce chevrier cette fois n’en est pas un, et que c’est un poète déguisé sous ce nom, Théocrite prend peine à soigner le costume et à le faire paraître vraisemblable : « De ses épaules pendait une blonde peau de bouc à longs poils, qui sentait encore la présure ; autour de sa poitrine un vieux manteau se serrait d’un large baudrier, et de sa droite il tenait un bâton recourbé d’olivier sauvage.

1171. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe » pp. 81-160

Sa taille est élevée ; sa stature est mince et souple ; ses membres, un peu longs comme dans toutes les natures nobles, sont rattachés au buste par des jointures presque sans saillie ; ses épaules, gracieusement abaissées, se confondent avec les bras et laissent s’élancer entre elles un cou svelte qui porte légèrement sa tête sans paraître en sentir le poids ; cette tête, veloutée de cheveux très fins, est d’un élégant ovale ; le front, siège de la pensée, la laisse transpercer à travers une peau féminine ; la voûte du front descend par une ligne presque perpendiculaire sur les yeux ; un léger sillon, signe de la puissance et de l’habitude de la réflexion, s’y creuse à peine entre les deux sourcils très relevés et très arqués, semblables à des sourcils de jeune fille grecque ; les yeux sont bleus, le regard doux, quoique un peu tendu par l’observation instinctive dans l’homme qui doit beaucoup peindre ; le nez droit, un peu renflé aux narines comme celui de l’Apollon antique : il jette une ombre sur la lèvre supérieure ; la bouche entière, parfaitement modelée, a l’expression d’un homme qui sourit intérieurement à des images toujours agréables ; le menton, cet organe de la force morale, a beaucoup de fermeté, sans roideur ; une fossette le divise en deux lobes pour en tempérer la sévérité. […] C’est de l’Albane à côté d’un Rembrandt, la lumière et l’ombre.

1172. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Troisième partie de Goethe. — Schiller » pp. 313-392

les doux liens sont à jamais brisés, car elle habite désormais la terre des ombres, celle qui fut la mère de famille. […] XVI Une ombre tragique jetée tout à coup sur la jeunesse de Bettina accrut son amour en nourrissant sa mélancolie.

1173. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCVIIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (2e partie) » pp. 1-80

De poète je redevenais palefrenier…” Il était poète encore lorsque, débarqué à Antibes, il allait mêler ses larmes brûlantes aux flots de la Sorgue, en face du sombre rocher de Vaucluse, délicieuse solitude, dit-il, car il n’y a vu que l’ombre du souverain maître d’amour, et le souvenir de Laure de Noves lui a rappelé Louise d’Albany. […] Le plaisir de me sentir libre et de fouler avec mon amie ces mêmes chemins que plusieurs fois j’avais parcourus pour aller la voir ; la satisfaction de pouvoir, à mon gré, jouir de sa sainte présence, et de reprendre sous son ombre mes études chéries, tout ce bonheur me remit tant de calme et de sérénité dans l’âme, que, d’Augsbourg à Florence, la source poétique s’ouvrit de nouveau, et les vers jaillirent en foule.

1174. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre troisième »

Il en est un pourtant qu’il y aurait ingratitude à ne pas nommer après Rollin, avant Vauvenargues, et qu’on a quelque scrupule à tirer de l’ombre où il a voulu rester caché ; c’est Duguet, l’auteur de l’Œuvre des six jours et de l’Institution d’un prince. […] Il aime de la puissance l’extérieur, le paraître, et, comme tant de Français dans les honneurs, il se croit grandi de la longueur de son ombre.

1175. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre sixième »

il fait penser à la fable du Chien qui lâche sa proie pour l’ombre. […] Sur les traces de Colin, il courait au hasard après l’ombre de la comédie ; avec Molière, il en retrouve le corps et il se retrouve lui-même.

1176. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VII »

D’autre part, pendant que de sinistres vapeurs bleuâtres s’élèvent dans l’ombre, après le Herauf de Klingsor, répété profondément à l’orchestre, un motif lamentable et terriblement navrant se traîne dans la lugubre pénombre de l’orchestra, commentant et signifiant la situation. […] Ex. : Le chant d’amour de Siegmund : « L’ombre fuit ; les astres du ciel immense… »[NdA] 46.

1177. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1868 » pp. 185-249

Dans la journée, à nous intimement, par les ombres du parc, le poète contait, en traînant un peu la jambe, son lamento de journaliste et de tourneur de meule, et sa muse exubérante et débordante, emprisonnée dans l’Officiel, condamnée à ne peindre que des murs, ou encore, disait-il, je ne peux pas dire qu’il y a un mot comme m…, écrit dessus. […] Il nous a fourni pour tapissier un de ses amis, un long et maigre vieillard, à la tête de renard et de vieux marquis, habillé d’un antique habit de chasse en velours, et apportant ses outils dans un sac de voyage ; un tapissier mystérieux et déclassé, avec de l’ombre dans sa vie, et qui paraît sortir d’un roman humanitaire de George Sand.

1178. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Il est utile de montrer comment de ce sang répandu, dont il a méconnu la source, il ne retira rien, parce qu’on ne retire pas des flots les ombres qu’on y fait tomber ! […] Mais le visage d’Audin n’avait de flamme que la lueur de son sourire et d’ombres que celles de sa réflexion.

1179. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre III. De la survivance des images. La mémoire et l’esprit »

Elle projette donc sa lumière sur les antécédents immédiats de la décision et sur tous ceux des souvenirs passés qui peuvent s’organiser utilement avec eux ; le reste demeure dans l’ombre. […] C’est dans cette partie éclairée de notre histoire que nous restons placés, en vertu de la loi fondamentale de la vie, qui est une loi d’action : de là la difficulté que nous éprouvons à concevoir des souvenirs qui se conserveraient dans l’ombre.

1180. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — II. (Fin.) » pp. 254-272

Mais, au milieu des couleurs brillantes dont il l’entoure, on saisit quelques ombres.

1181. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gabrielle d’Estrées. Portraits des personnages français les plus illustres du XVIe siècle, recueil publié avec notices par M. Niel. » pp. 394-412

On y fait parler l’Ombre de Gabrielle venue de l’enfer tout exprès, dit-on, pour confesser ses crimes : De mes parents l’amour voluptueuse, Et de mes sœurs l’ardeur incestueuse, Rendent assez mon lignage connu : De l’exécrable et malheureux Atrée Est emprunté notre surnom d’Estrée, Nom d’adultère et d’inceste venu, etc., etc.

1182. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — II. (Fin.) » pp. 20-37

Spinoza, peu lu, peu compris, était resté dans l’ombre : mais d’autres incrédules moindres et plus éloquents avaient tracé ouvertement leur sillon sous le soleil et propagé en tous sens leurs germes : bien des âmes, bon gré mal gré, les avaient reçus ; on avait beau faire, chacun se ressentait plus ou moins à son jour d’être venu au monde depuis Voltaire et depuis Rousseau.

1183. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — II » pp. 71-89

Ce qui est touchant, c’est la tristesse de M. d’Enghien, ce jeune vainqueur, lorsque Montluc l’aborda ; il avait encore dans le cœur et sur le front une ombre de l’impression désespérée qui l’avait si longtemps et si cruellement oppressé.

1184. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — I » pp. 351-368

Il y a longtemps que si les hommes écrivaient aussi bien qu’ils parlent, ou que si l’on écrivait pour eux ce qu’ils disent dans les circonstances décisives où ils se trouvent, il y aurait quantité d’écrivains qui n’en seraient que plus mémorables pour ne pas être du métier : mais, parmi ceux qui ont songé à écrire ou à dicter après coup ce qu’ils avaient dit ou ce qu’ils avaient fait, la plupart ont perdu, en se mettant dans cette position et comme dans cette attitude nouvelle, une partie de leurs facultés, de leurs ressources ; s’imaginant que c’était une grande affaire qu’ils entreprenaient, et préoccupés de leur effort, ils ont laissé fuir mille détails qui animent et qui donnent du charme ; ils se sont ressouvenus froidement, ou du moins incomplètement ; on n’a eu que l’ombre de leur action ou de leur verve première.

1185. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — II » pp. 369-387

… » Mais il ne s’agit pas seulement d’être un peu plus exact que Scipion Dupleix ou d’être moins pastoral que l’abbé de Marolles, il s’agit d’être juste et de ne pas ombrer le tableau là où il n’y a pas d’ombre, M. 

1186. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Préface pour les Maximes de La Rochefoucauld, (Édition elzévirienne de P. Jannet) 1853. » pp. 404-421

Incapable de parler en public, rougissant, en quelque sorte, d’usurper seul l’attention, il avait le contraire du front d’airain, une pudeur qui sied à l’honnête homme assis à l’ombre, et qui dispose de près chacun à recevoir de sa bouche les fruits mûris, les conseils mitigés de son expérience.

1187. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres inédites de P. de Ronsard, recueillies et publiées par M. Prosper Blanchemain, 1 vol. petit in-8°, Paris, Auguste Aubry, 1856. Étude sur Ronsard, considéré comme imitateur d’Homère et de Pindare, par M. Eugène Gandar, ancien membre de l’École française d’Athènes, 1 vol. in-8°, Metz, 1854. — I » pp. 57-75

Il a à cœur d’illustrer, de promouvoir notre langue, et de montrer aux étrangers qu’elle devancerait la leur, si ces beaux diseurs médisants, qui s’attaquent déjà à lui et qui combattent proprement des ombres (il les appelle d’un mot grec effrayant, Sciamaches), voulaient aussi bien s’appliquer à la défendre et à la propager.

1188. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — I » pp. 298-315

Pour nous, qui nous contentons de sentir sa force, son mérite, mérite toujours contrarié et traversé de certaines ombres, il nous attire surtout à titre d’écrivain, et nous voudrions par ce côté nous en rendre compte à nous-même en présence de nos lecteurs, sans rien ajouter à l’idée, fort élevée d’ailleurs, qu’on se doit faire de lui, et sans rien exagérer.

1189. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Journal d’Olivier Lefèvre d’Ormesson, publié par M. Chéruel » pp. 35-52

Et ce qu’il a eu encore de plus admirable et comme particulier en lui, c’est d’avoir approché les rois sans médiateur, d’avoir amassé des richesses sans avarice, d’être parvenu aux grandes charges sans ambition, d’avoir bâti une bonne maison avec peu de matière, d’avoir eu beaucoup de prospérité sans orgueil, d’avoir, aimant la douceur et la tranquillité, vécu trente-cinq ans de suite dans la Cour, fait sa retraite vingt ans avant de mourir, sans aucune disgrâce précédente, d’avoir vécu soixante et seize ans d’une santé très parfaite, rarement troublée de maladies, d’avoir joui en repos des biens qu’il avait amassés, d’avoir reçu de l’honneur aux charges qu’il a exercées, d’avoir fait grande quantité d’amis et point d’ennemis, d’avoir habité les maisons qu’il avait bâties, s’être promené à l’ombre des bois qu’il avait plantés, d’avoir reçu de ses enfants le contentement qu’il en pouvait espérer.

1190. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres publiées par M. de Falloux. »

« La nuit de notre exil, dit-elle, peut avoir des ombres, mais elle n’a point de ténèbres. » Elle excelle à ces nuances incroyables, à cet art d’opposer entre eux les mots les plus voisins parle sens, de manière à multiplier la pensée en la divisant, et à faire croire peut-être à plus de choses possibles qu’il n’y en a ; c’est ainsi qu’ailleurs elle dira, en jouant sur ces mots unisson, union, unité : « Il n’y a rien de si attractif pour les belles âmes qu’une belle âme ; et quand cette harmonie qui se devine existe, il faut peu de chose pour que, partant de l’unisson, on arrive à prétendre à l’unité.

1191. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Œuvres complètes d’Hyppolyte Rigault avec notice de M. Saint-Marc Girardin. »

Il faut tout dire, et je ne suis pas de ceux qui ne savent donner que des éloges sans ombre : à l’École et parmi ses condisciples, il était plus admiré pour ses talents et son esprit que goûté pour son caractère ; l’homme aimable, que le monde développa depuis, n’était pas fait encore.

1192. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Des prochaines élections de l’Académie. »

Mais la question romaine a perdu de sa fraîcheur, l’étoile de L’Ami de la Religion a pâli, M. de Carné est rentré dans son demi-jour, et il me paraît à présent errer comme une Ombre aux confins des deux élections.

1193. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite.) »

A l’ombre sous les épinettes Et à la senteur des herbettes Doucement se reposeront.

1194. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite) »

En vérité, il ne faut qu’une cabane dans un séjour d’apparition où nous ne sommes que des Ombres occupées à en voir passer d’autres, et où les mots d’établissement, de projets, de gloire, de grandeurs, ne peuvent exciter que la pitié. » Et tout à coup, une autre fois, à propos de la mort ou de la maladie de quelques membres de l’Académie, Condillac, Watelet, M. de Beauvau : « Mon ami, je regarde nos quarante fauteuils comme quarante tombes qui se pressent les unes contre les autres. » Mais ceci tourne à l’imagination funèbre et devient trop effrayant.

1195. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite.) »

Il collabora aussi au journal du soir, la Charte de 1830, fondé par Nestor Roqueplan vers 1836, — sans y faire ombre de politique, bien entendu.

1196. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Legkzinska »

On avait remarqué dès son arrivée que Mme de Prie, dont elle était assurément le plus bel ouvrage et qui devait en être fière, l’accompagnait partout et ne la quittait non plus que son ombre.

1197. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Méditations sur l’essence de la religion chrétienne, par M. Guizot. »

Chaque être (et je parle des élus et des plus favorisés), dans cette série immense, innombrable, où il n’est qu’un atome de plus, a eu son jour, son heure d’éclosion brillante, son printemps sacré ; après quoi vient le déclin, et l’ombre et la nuit.

1198. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. PROSPER MÉRIMÉE (Essai sur la Guerre sociale. — Colomba.) » pp. 470-492

Et puis, pour accomplir son stratagème, qu’elle est belle et féroce, se glissant sans bruit dans l’ombre le long de l’enclos !

1199. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Fontaine »

Mais, dès 1684, nous avons de lui un admirable Discours en vers, qu’il lut le jour de sa réception à l’Académie française, et dans lequel, s’adressant à sa bienfaitrice, il lui expose avec candeur l’état de son âme : Des solides plaisirs je n’ai suivi que l’ombre, J’ai toujours abusé du plus cher de nos biens : Les pensers amusants, les vagues entretiens, Vains enfants du loisir, délices chimériques, Les romans et le jeu, peste des républiques, Par qui sont dévoyés les esprits les plus droits, Ridicule fureur qui se moque des lois, Cent autres passions des sages condamnées, Ont pris comme à l’envi la fleur de mes années.

1200. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Mathurin Regnier et André Chénier »

Je ne veux point, couvert d’un funèbre linceuil, Que les pontifes saints autour de mon cercueil, Appelés aux accents de l’airain lent et sombre, De leur chant lamentable accompagnent mon ombre, Et sous des murs sacrés aillent ensevelir Ma vie et ma dépouille, et tout mon souvenir.

1201. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre VI, « Le Mariage de Figaro » »

Ce ne seront plus, au lieu de nos sévères jardins français, que parcs à l’anglaise, pelouses, perspectives adroitement ménagées, ponts rustiques, grottes artificielles, lacs et rivières d’ornement, montagnes en miniature couronnées de temples grecs dédiés à l’amour ou à l’amitié, propres bosquets dans l’ombre desquels se dérobe une statue sentimentale ou quelque autel symbolique.

1202. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Jean Richepin »

Là, il me semble bien qu’on ne retrouve même pas l’ombre d’un sentiment sincère, si ce n’est le besoin même d’étonner et de scandaliser, et un puéril instinct de révolte — pour rien, pour le plaisir.

1203. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre quatrième »

La foi du théologien transporte saint Bernard si loin et si au-dessus de la vie, qu’il néglige ces indications si lumineuses ; et quand il se rencontre dans les livres saints quelques fortes peintures ou des récits attachants de la vie, il les tourne à la figure, comme pour mettre une ombre mystique entre la réalité et lui.

1204. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XIII »

La victime chante, tandis que des mains encore invisibles la lient dans l’ombre et vont la tuer.

1205. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres inédites de la duchesse de Bourgogne, précédées d’une notice sur sa vie. (1850.) » pp. 85-102

Voilà le beau côté, le côté apparent et tout gracieux ; mais, à ne voir que celui-là, on prendrait peut-être du moral de la jeune princesse une idée trop flattée, ridée de quelque chose de trop accompli, et on ne sentirait pas assez non plus à quel point devait être grand en elle le charme, puisqu’il avait à triompher de certains défauts et de certaines ombres, dont il sera à propos de parler.

1206. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le surintendant Fouquet. (Article Fouquet, dans l’Histoire de Colbert, par M. P. Clément.) 1846. » pp. 294-312

Une de ses grandes distractions dut être lorsqu’on lui donna en 1671 Lauzun, le favori disgracié, pour compagnon et voisin de captivité ; quand ils parvinrent à communiquer entre eux, ils étaient comme deux ombres dans les enfers, s’entretenant des choses fabuleuses d’un autre monde.

1207. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Regnard. » pp. 1-19

On regrette en cet endroit que Regnard n’ait pas fait comme pour ses autres voyages, qu’il n’ait pas donné un récit tout nu et sans ombre d’art : ce serait aujourd’hui plus intéressant pour nous.

1208. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre III : La littérature du xviiie et du xixe  siècle »

Il sait parfaitement que cela ne vit pas, et que les vers hardis et nouveaux d’Alfred de Musset ont une autre vitalité que ces pâles ombres que l’on décore du nom de tragédies.

1209. (1912) L’art de lire « Chapitre VIII. Les ennemis de la lecture »

Presque personne n’a plus le temps de s’enfermer « à l’ombre » pendant plusieurs jours pour lire un livre.

1210. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Fervaques et Bachaumont(1) » pp. 219-245

Mais il ne trouva ni en lui, ni hors de lui, de couleur pour peindre ces ombres pâles.

1211. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — La banqueroute du préraphaélisme »

La peinture a vécu jusqu’à nos jours, à de rares exceptions près, d’un poncif de lumière et d’ombre, du jour de l’atelier.

1212. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre premier. Le problème des genres littéraires et la loi de leur évolution » pp. 1-33

De ce sentiment, qui avait été pour Caton payen le désespoir, le christianisme fit la mélancolie… La nouvelle poésie se mettra à faire comme la nature, à mêler dans ses créations l’ombre à la lumière, le grotesque au sublime, en d’autres termes, le corps à l’âme, la bête à l’esprit.

1213. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IX : M. Jouffroy écrivain »

Il y eut telle page qui rappela les lamentations sublimes de Byron et de Lamartine ; l’accent fut si sincère, la douleur si grande, l’expression si riche, qu’il faut tout citer53 : Le jour était venu où, du sein de ce paisible édifice, de la religion qui m’avait recueilli à ma naissance, et à l’ombre duquel ma première jeunesse s’était écoulée, j’avais entendu le vent du doute, qui de toutes parts en battait les murs et l’ébranlait jusque dans ses fondements.

1214. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XII : Pourquoi l’éclectisme a-t-il réussi ? »

. — Sorti du sein des tempêtes, nourri dans le berceau d’une révolution, élevé sous la mâle discipline du génie de la guerre, le dix-neuvième siècle ne peut en vérité contempler son image et retrouver ses instincts dans une philosophie née à l’ombre des délices de Versailles, admirablement faite pour la décrépitude d’une monarchie arbitraire, mais non pour la vie laborieuse d’une jeune liberté environnée de périls97.

1215. (1902) Le chemin de velours. Nouvelles dissociations d’idées

En cela je comparerais volontiers le succès à la conscience, flambeau qui s’allume en nous, éclaire nos actions et nos pensées, mais n’a pas plus d’influence sur leur nature que son ombre, par une nuit de lune, sur la marche du train qui passe. […] Elle se fait belle et presque vivante ; des ondes émotionnelles s’en détachent et viennent, ainsi que des vagues, déferler sur le peuple enivré et haletant ; l’organisme tout entier est en fête ; stupide et beau, le génie de l’espèce sourit dans l’ombre. […] Il ne l’a ramassé sur aucun champ de bataille, il ne l’a ni chipé ni conquis : il l’a sorti de son derrière, et quand il le déploie, ce n’est pas pour conduire des ombres à l’assaut de vaines entités. […] Aucun mot n’est resté dans l’ombre : tous parlent. » Voilà peut-être ce qu’on a dit de mieux sur le style des auteurs de Renée Mauperin. […] A première vue, l’impression du nu féminin parmi le nu marmoréen est plutôt pénible ; on est contrarié par le ton de la peau, ce mélange de rose et de jaune, par la mobilité de la face et des muscles de tout le corps, brisé souvent en une attitude sans grâce, par les cheveux, par d’autres ombres, par l’absence de calme et de lignes fixes et aussi, par ce que l’on sent de fugitif, de personnel, en l’académie correcte de cet être qui s’érige bêtement, nu et ennuyé, sur une table.

1216. (1885) L’Art romantique

Je dois ajouter, au risque de jeter une ombre sur sa mémoire, au jugement des âmes élégiaques, qu’il ne montrait pas non plus de tendres faiblesses pour l’enfance. […] Revenu récemment des ombres de la mort, il aspire avec délices tous les germes et tous les effluves de la vie ; comme il a été sur le point de tout oublier, il se souvient et veut avec ardeur se souvenir de tout. […] De temps à autre il les parcourt, les feuillette, les examine, et puis il en choisit quelques-uns dont il augmente plus ou moins l’intensité, dont il charge les ombres et allume progressivement les lumières. […] Ses retraites se remplissent de brumes automnales, d’ombres bleues, de rayons jaunes, d’effulgences rosées, ou de minces éclairs qui hachent l’obscurité comme des coups de sabre. […] Et comme tous les êtres du monde extérieur s’offraient à l’œil de son esprit avec un relief puissant et une grimace saisissante, il a fait se convulser ses figures ; il a noirci leurs ombres et illuminé leurs lumières.

1217. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Camille Jordan, et Madame de Staël »

Soutenez l’État sur son penchant… Vous, juges vertueux, intègres administrateurs, que vos départements ont le bonheur de conserver encore, continuez à exercer dans l’ombre des vertus que sentent vos concitoyens et qu’ignorent vos tyrans ; que des mesures atroces s’adoucissent en passant par vos bienfaisantes mains, et que du moins le magistrat se montre meilleur que la loi. […] Cet écrit sur le consulat à vie est nécessaire pour juger tout Camille… » J’ajouterai que ce même écrit est nécessaire aussi dans une histoire politique du consulat pour qu’il n’y ait pas lacune ; il y manquerait, si l’on ne l’y faisait entrer comme une ombre au tableau. […] La voici en ce qu’elle a d’essentiel ; il s’adresse, par manière d’apostrophe, à ses compatriotes lyonnais : « Après avoir prouvé que jamais votre ville n’avait joui d’un calme plus profond que depuis trois mois à l’ombre des paternelles administrations qu’elle s’était choisies, montrant que si, à des époques plus reculées, quelques assassinats y avaient été commis, comme dans toutes les autres parties de la République, par la négligence du gouvernement, ils n’appartenaient à aucun système réfléchi, à aucun mouvement contre-révolutionnaire, mais à la seule impulsion de la vengeance individuelle, je disais : Et dans quelle ville une telle vengeance dut-elle paraître davantage, je ne dis pas excusable ou permise, mais naturelle ?

1218. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DAUNOU (Cours d’Études historiques.) » pp. 273-362

Qu’on ait trouvé à Juilly, dans les tiroirs des anciens oratoriens, quelques cahiers contenant des extraits de Spinosa, matière de curiosité ou de réfutation peut-être, cela est moins parlant, moins significatif que ce qui se passait à voix basse dans le jardin, à l’ombre du marronnier d’Houbigant, autour du doux vieillard Dotteville. […] Daunou, fidèle à ses sentiments humains, à ses principes d’équité miséricordieuse, ne conçoit pas l’ombre d’une réaction et d’une vengeance à exercer contre les ennemis de sa cause, et ce qu’il a de plus épouvantable à leur offrir en perspective, c’est l’horreur de se voir pardonnés. […] Il résulte pourtant de la pensée du mémoire que, sous ces noms divers et assez vagues du Destin et de ses synonymes, les doctrines de la Providence et d’un Dieu intelligent, éclairé, étaient déjà celles des sages anciens, et que par conséquent le christianisme n’aurait pas eu à innover à cet égard autant qu’on l’a dit ; c’était comme un dernier trait hostile que Daunou rapportait du séjour de Rome, une arme d’idéologue sourdement forgée à l’ombre du Vatican.

1219. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre premier. La Formation de l’Idéal classique (1498-1610) » pp. 40-106

Toujours est-il qu’à partir de 1560 ou environ, et en dépit de quelques efforts, — tels que ceux d’Henri Estienne, dans sa Conformité du langage françois avec le grec, — on voit la langue d’Homère et de Platon se retirer pour ainsi dire de la circulation de l’usage et se réfugier dans l’ombre des collèges. […] 2º Le Pamphlet ; — et qu’il n’en faut exagérer ni le mérite, qui est tout à fait secondaire, ni la hardiesse, ni les conséquences. — La Satire n’a point « donné la France à Henri IV », puisqu’elle a paru en 1594, et que la guerre civile n’a été pacifiée qu’en 1598 ; — il n’y a point de hardiesse : 1º à se mettre cinq pour écrire un livre, et nous savons assez que la division des risques est le principe même de l’assurance ; — il n’y en a pas non plus : 2º à garder l’anonyme ; — et 3º à avoir publié un pamphlet de cette nature neuf mois après la conversion, et trois mois après la rentrée d’Henri IV à Paris. — Toute la bravoure des auteurs ne consiste donc qu’à avoir royalement injurié des gens à terre et que d’ailleurs ils n’avaient pas eux-mêmes renversés. — Les auteurs de la Ménippée : Pierre le Roy, Gillot, Nicolas Rapin, Jean Passerat, Florent Crestien et Pierre Pithou : — et qu’ils n’ont pas fait preuve en se coalisant d’un talent qu’aucun d’eux ne possédait personnellement. — Il y a d’ailleurs dans quelques passages de la Satire une certaine verve de caricature ; — de satire même ; — et presque d’éloquence [Cf. la Harangue, souvent citée, du lieutenant civil Dreux d’Aubray]. — Mais on n’y trouve pas ombre d’élévation ni de noblesse ; — ce sont des bourgeois furieux d’être gênés dans leurs plaisirs ; — ce sont aussi de grands ennemis des Jésuites ; — et ils ont sans doute aimé leur patrie ; — mais la Satire Ménippée n’en est pas moins à rayer du nombre des « grands monuments de l’esprit français ». […] — De ce qu’il a plu à Boileau de le tirer de l’ombre ; — de ce qu’il est Gaulois ; — et de ce qu’en un certain sens, par la force de quelques-uns de ses vers, il fait un des anneaux entre Rabelais, par exemple, et Molière.

1220. (1902) Propos littéraires. Première série

Un être impersonnel, un semblant d’être, le reflet de je ne sais quelles ombres ! […] Elles prouvent qu’ils sont vivants, qu’ils ont leurs jours de soleil et leurs jours d’ombre, et leurs moments de faveur et leurs instants de discrédit, comme des auteurs qui écrivent tous les jours. […] Je n’aurais, en m’appliquant, du reste, qu’une ombre de reproche à adresser à cet exquis petit roman, ou plutôt je n’aurais à son propos qu’un doute à exprimer. […] Ils se regardaient dans les yeux avec franchise et sans l’ombre d’une réticence. […] De beauté, il n’y en a pas l’ombre dans cette affaire.

1221. (1880) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Première série pp. 1-336

C’est justement ici le cas : sauf cette unique mention, nous ne connaissons d’ailleurs ombre ni trace du chapitre des Fondements. […] Jules Loiseleur : Les points obscurs de la vie de Molière 75, il reste encore beaucoup à faire, et toutes les ombres ne sont pas dissipées ; mais aussi ne sommes-nous pas trop curieux ? […] Il serait bon, je crois, de prendre son parti de laisser dans l’ombre certains côtés de leur vie mortelle. Pascal disait que le froid est agréable, « pour se chauffer » ; de même, l’ombre est utile, amassée sur quelques points, ne fût-ce que pour mieux éclairer les autres. […] Un poète est toujours poète, et dans le xviiie  siècle tout entier vainement chercheriez-vous l’ombre d’un poète.

1222. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Benjamin Constant et madame de Charrière »

Un voyage qu’il fait en Suisse, dans l’été de 1793, dut contribuer à le détromper ; quelques années de plus, quelques derniers automnes avaient achevé de ranger Mme de Charrière dans l’ombre entière et sans rayons. […] Quant à la conjecture sur l’esprit originel du grand ouvrage, ce n’en est pas une, à vrai dire, et tout ce qui trahit les sentiments philosophiques de l’auteur à cette époque ne laisse pas une ombre d’incertitude. […] J’ai voulu conserver à ce père l’ombre d’un fils qu’il pourrait 137 aimer. […] J’ai écrit il y a longtemps au malheureux Knecht (un ami) : Je passerai comme une ombre sur la terre entre le malheur et l’ennui !

1223. (1903) Le problème de l’avenir latin

La chute napoléonienne consommée, l’ombre peu à peu s’appesantit sur la France, tandis que s’affirme et s’élargit la place au soleil des peuples germaniques. […] C’est qu’en effet il y a des régions qu’en sa révolution le soleil de la civilisation et de la grande vie sociale laisse dans l’ombre, et la région méditerranéenne est actuellement une de celles-là. […] Elle est comme un arbre dont le feuillage léthifère s’étend sur le monde latin, flétrissant tout ce qui vil dans l’étendue de son ombre et distillant dans l’atmosphère respirée par tous son subtil poison. […] L’ombre de ce destin commence à se profiler sur les peuples du Midi. […] N’assassinons-nous pas, pour notre subsistance et sans l’ombre de pitié, animaux et plantes, ces êtres dont il serait difficile de nier le droit, équivalent au nôtre, à l’existence ?

1224. (1907) Propos de théâtre. Quatrième série

Demain viendra le jour, demain, désabusée, La trop fidèle Noun, par la douleur brisée, Rejoindra sous les eaux l’ombre d’Ophélia. […] Les nouvellistes ont pu, sans avoir reçu l’ombre d’une confidence de M.  […] L’ombre de Sarcey : « Mais, mon cher ami, vous avez manqué la scène à faire et fait la scène à ne faire point… Oui, je vous vois me demander quelle était la scène à faire… Mais c’est limpide ! […] … » Voilà ce que dit l’ombre de Sarcey, et je crois bien qu’elle a tort. […] Mon sort est ici-bas le meilleur et le pire, Je me tiens dans votre ombre et marche dans vos pas Mon amour est semblable à l’air : on le respire ; On ne l’aperçoit pas.

1225. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — I. » pp. 234-253

Bien qu’il s’élève quelquefois contre la templomanie, il y mêle encore un peu trop d’autels, de statues et d’allégories selon le goût du temps ; mais il y a, dans les jolis dessins où il se joue, des plans et des devis tout naturels et pour toutes les fortunes : Je ne voudrais point, dit-il, faire venir l’ombre et l’eau dans mon jardin, que j’abandonnerais pour les chercher ailleurs.

1226. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — I. » pp. 431-451

Durant les saisons qu’il passait à Buriton, résidence de campagne de son père, il dérobait le plus d’heures qu’il pouvait aux devoirs de la société et aux obligations du voisinage : « Je ne touchais jamais un fusil, je montais rarement à cheval ; et mes promenades philosophiques aboutissaient bientôt à un banc à l’ombre, où je m’arrêtais longtemps dans la tranquille occupation de lire ou de méditer. » Le sentiment de la nature champêtre n’est pas étranger à Gibbon ; il y a dans ses Mémoires deux ou trois endroits qui prêtent à la rêverie : le passage que je viens de citer, par exemple, toute cette page qui nous rend un joli tableau de la vie anglaise, posée, réglée, studieuse.

1227. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — II. (Suite.) » pp. 434-453

Par là vous avez mis à l’aise nombre d’amateurs de l’un et de l’autre sexe, et l’Ombre même de Collin.

1228. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — II » pp. 159-177

Une fée charmante avait alors traversé son ombre et s’était introduite un moment dans sa vie.

1229. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La Margrave de Bareith Sa correspondance avec Frédéric — I » pp. 395-413

Dans un voyage que la margrave fait pour sa santé en Italie, elle lui cueille à Naples une branche du laurier de Virgile, et la lui envoie comme un don offert par l’ombre du poète au héros rival d’Alexandre.

1230. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le baron de Besenval » pp. 492-510

Cet échec final, qui concourt avec la chute de l’Ancien Régime et la défaite de la monarchie, a laissé une ombre sur la figure de Besenval : on se le représente volontiers malencontreux et disgracié de la fortune, comme les généraux vaincus devant les révolutions.

1231. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. »

Il a à vaincre, en 1668, pour les fortifications des places de Flandre et d’Artois, le chevalier de Glerville, qui conserve encore une ombre de crédit et qu’il s’agit de jeter décidément de côté, lui et ses plans.

1232. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Maurice et Eugénie de Guérin. Frère et sœur »

Combien de fois, surpris par la nuit, j’ai suivi les courants sous les ombres !

1233. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Les quatre moments religieux au XIXe siècle, (suite et fin.) »

L’un d’eux, l’abbé Émery, offrait dans sa personne, à ce commencement du siècle, comme le type de ces vénérables survivants : l’abbé Émery, celui qu’on a pu appeler « le suppléant des évêques », l’oracle du Clergé et sa boussole dans l’orage, le modérateur pendant les tempêtes, le centre caché où venaient aboutir les consultations, la lampe dans l’ombre où venaient s’éclairer toutes les consciences chrétiennes.

1234. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Œuvres complètes de Molière »

Mais laissons-le dans l’ombre !

1235. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Le mariage du duc Pompée : par M. le comte d’Alton-Shée »

On aurait ainsi, à leur moment de délire et d’abandon, le signalement des générations si nombreuses que de loin l’on confond, et à qui l’on ne peut plus que dire avec le poète : Passez, passez, Ombres légères, Allez où sont allés vos pères Dormir auprès de vos aïeux… On saisirait en quelques traits leur physionomie distincte.

1236. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite et fin.) »

Cervantes, tout philosophe qu’il nous semble, est un Espagnol de sa date et de pure race ; il n’y a pas en lui ombre d’incrédulité.

1237. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Leckzinska (suite et fin.) »

C’était proprement une coterie, mais une coterie douce et sûre, sans ombre de tracasserie et où l’on ne songeait entre soi qu’à se complaire.

1238. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat. »

Tout considéré, et sauf quelques ombres, quelques grains plus marqués çà et là dans la physionomie, nous verrons le même Catinat, le vrai Catinat déjà connu, le plus vertueux des hommes de guerre de son temps, obéissant pourtant à sa consigne, et docile de point en point à Louis XIV, à Louvois ; puis, le guerrier une fois quitte de son service, nous aurons le philosophe et le sage, non pas absolument celui qu’on a arrangé au xviiie  siècle, et sur lequel on avait répandu une légère teinte de liberté de pensée, mais enfin un modèle de modestie, de raison, de piété morale, et un bon citoyen, celui qui disait ; « J’aime mon maître et j’aime ma patrie. ».

1239. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les fondateurs de l’astronomie moderne, par M. Joseph Bertrand de l’académie des sciences. »

Non, l’immortalité ne serait qu’une ombre sans l’activité… C’est la vie éternelle que nous voulons, et non la mort éternelle. » Nous apprécions certes, nous admirons même l’esprit ingénieux, inventif, le talent littéraire, la fertilité spéculative, qui ont fait trouver à M. 

1240. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre »

Il n’y manque que les reflets et les ombres, ce qui anime et accentue une physionomie.

1241. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée par le chevalier d’Arneth »

On a vécu jusqu’ici, en ce qui le concerne, sur le portrait, vraiment odieux, que Mme Campan avait tracé de lui : « Cet abbé de Vermond, dit-elle, dont les historiens parleront peu parce que son pouvoir était resté dans l’ombre, déterminait presque toutes les actions de la reine.

1242. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Idées et sensations : par MM. Edmond et Jules de Goncourt. »

Dans l’eau, ridée par une botte de paille qu’un homme trempe au lavoir pour lier l’avoine, les joncs, les arbres, le ciel, se reflètent avec des solidités denses, et sous la dernière arche du vieux pont, près de moi, de l’arc de son ombre se détache la moitié d’une vache rousse, lente à boire, et qui, quand elle a bu, relevant son mufle blanc bavant de fils d’eau, regarde. » Une telle page, assurément, est ce qu’on attend le moins d’un littérateur : elle semble détachée de l’album d’un peintre, d’un Troyon consciencieux, sincère, qui ne marcherait point sans son carnet.

1243. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La comédie de J. de La Bruyère : par M. Édouard Fournier. »

C’est mon cas en bien des endroits ; mais que le jour vienne où était l’ombre, et peut-être nous fera-t-il voir les choses où je les ai mises.

1244. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « HISTOIRE de SAINTE ÉLISABETH DE HONGRIE par m. de montalembert  » pp. 423-443

Si pourtant je n’avais affaire chez M. de Montalembert qu’à l’artiste, j’eusse désiré dans son tableau quelque omission sur ces points, ou du moins quelque ombre.

1245. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « JASMIN. » pp. 64-86

Dans une jolie pièce de vers, adressée à un riche agriculteur de Toulouse qui lui donnait ce conseil, il réfute agréablement les raisons flatteuses par un tableau de ses goûts et de ses simples espérances : « Dans ma ville, où chacun travaille, laissez-moi donc comme je suis ; chaque été, plus content qu’un roi, je glane ma petite provision d’hiver, et après je chante comme un pinson, à l’ombre d’un peuplier ou d’un frêne, trop heureux de devenir cheveux blancs dans le pays qui m’a vu naître.

1246. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DISCOURS DE RÉCEPTION A L’ACADÉMIE FRANÇAISE, Prononcé le 27 février 1845, en venant prendre séance à la place de M. Casimir Delavigne. » pp. 169-192

Il avait gravé au fond du cœur l’antique programme d’Horace : « Quem tu, Melpomene, semel… Celui, ô Melpomène, que tu as regardé d’un œil d’amour au berceau, celui-là, il ne sera ni lutteur aux jeux de Corinthe, ni vainqueur aux courses d’Élide, ni général triomphateur au Capitole ; mais il aimera les belles eaux de Tibur, et il trouvera la gloire par des vers nés à l’ombre des bois. » Et dans le cas présent d’ailleurs, il y avait mieux, il y avait de quoi tenter et retenir toute l’ambition d’une âme de poëte.

1247. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVe entretien. Littérature grecque. L’Iliade et l’Odyssée d’Homère » pp. 31-64

Soit qu’Isménias fût trop pauvre pour nourrir la mère et l’enfant, soit que la naissance de ce fils sans père eût jeté quelque ombre sur la réputation de Crithéis, il la congédia de son foyer.

1248. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre I. La tragédie de Jodelle à Corneille »

On apprend ainsi qu’il faut dans une tragédie des monologues, des chœurs, des songes, des ombres, des dieux, des sentences, de vastes couplets, de brèves ripostes, un événement unique, illustre, un dénouement malheureux, un style élevé, des vers, un temps qui ne dépasse pas un jour : tout cela pêle-mêle, sans subordination ni sens intérieur.

1249. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Le père Monsabré »

Malgré tout, cette lamentation lointaine qui recommence, cette lumière tamisée venant on ne sait d’où, cette ombre douce et solennelle, cela berce et caresse l’âme à la faire pleurer.

1250. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Émile Zola, l’Œuvre. »

L’auteur ne veut pas nous laisser oublier que, si Angélique est sage, c’est parce qu’elle brode des chasubles et qu’elle vit à l’ombre d’une vieille cathédrale, mais que, dans d’autres conditions, elle eût pu aussi bien être Nana.

1251. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre IV. Ordre d’idées au sein duquel se développa Jésus. »

Ces montagnes, cette mer, ce ciel d’azur, ces hautes plaines à l’horizon, furent pour lui non la vision mélancolique d’une âme qui interroge la nature sur son sort, mais le symbole certain, l’ombre transparente d’un monde invisible et d’un ciel nouveau.

1252. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Campagnes d’Égypte et de Syrie, mémoires dictés par Napoléon. (2 vol. in-8º avec Atlas. — 1847.) » pp. 179-198

J’ai connu des gens de goût, mais d’un goût restreint et nourri à l’ombre du cabinet, qui, en jugeant Napoléon pour son talent de parole, en étaient restés sur cette première impression : Daunou, par exemple, écrivain d’un style pur, châtié et orné.

1253. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le Livre des rois, par le poète persan Firdousi, publié et traduit par M. Jules Mohl. (3 vol. in-folio.) » pp. 332-350

Le poète a eu raison de dire, au début de son livre, en le comparant à un haut cyprès : « Celui qui se tient sous un arbre puissant, sera garanti du mal par son ombre. » Ce sentiment de moralité profonde est égayé, chemin faisant, par des parties brillantes et légères, comme il convenait à un poète nourri dans le pays du pêcher et de la rose.

1254. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits de Fénelon. (1850.) » pp. 1-21

À chacun sa gloire et ses ombres.

1255. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Nouveaux documents sur Montaigne, recueillis et publiés par M. le docteur Payen. (1850.) » pp. 76-96

« Qui ne me voudra savoir gré, dit-il, de l’ordre, de la douce et muette tranquillité qui a accompagné ma conduite, au moins ne peut-il me priver de la part qui m’en appartient par le titre de ma bonne fortune. » Et il est inépuisable à peindre en expressions vives et légères ce genre de services effectifs et insensibles qu’il croit avoir rendus, bien supérieurs à des actes plus bruyants et plus glorieux : « Ces actions-là ont bien plus de grâce qui échappent de la main de l’ouvrier nonchalamment et sans bruit, et que quelque honnête homme choisit après, et relève de l’ombre pour les pousser en lumière à cause d’elles-mêmes. » Ainsi la fortune servit à souhait Montaigne, et, même dans sa gestion publique, en des conjonctures si difficiles, il n’eut point à démentir sa maxime et sa devise, ni à trop sortir du train de vie qu’il s’était tracé : « Pour moi, je loue une vie glissante, sombre et muette. » Il arriva au terme de sa magistrature, à peu près satisfait de lui-même, ayant fait ce qu’il s’était promis, et en ayant beaucoup plus fait qu’il n’en avait promis aux autres.

1256. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Rulhière. » pp. 567-586

c’est avoir peur de son ombre. » Mais lui-même il est à bout de son crédit.

1257. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — III. (Suite et fin.) » pp. 242-260

En rabattant de l’exaltation bien naturelle à un vieillard, plein d’imagination, qui se souvient de son plus beau moment de gloire, on sent en plus d’un passage l’accent de la conviction et d’une sincérité persuasive Beaumarchais, dans ses souvenirs, oubliait sans doute bien des détails qui eussent apporté de l’ombre au tableau, mais il avait raison en parlant de cet intérêt public, de cet aspect patriotique et général sous lequel avait toujours eu soin de placer et de voir même son intérêt particulier.

1258. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — II. (Suite et fin.) » pp. 436-455

Même lorsqu’il est le mieux traité et le plus choyé dans ses voyages à Paris, lorsque chacun le caresse et veut le retenir, Bernardin ne soupire pas moins après sa solitude champêtre ; il sent que la vie s’écoule, que ses dernières pages à achever le réclament, et il écrit alors naïvement à sa jeune femme : Je suis comme le scarabée du blé, vivant heureux au sein de sa famille à l’ombre des moissons ; mais, si un rayon du soleil levant vient faire briller l’émeraude et l’or de ses élytres, alors les enfants qui l’aperçoivent s’en emparent et l’enferment dans une petite cage, l’étouffent de gâteaux et de fleurs, croyant le rendre plus heureux par leurs caresses qu’il ne l’était au sein de la nature.

1259. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — I. » pp. 186-205

Dans un des exercices publics qui avaient lieu dans la grande salle du collège, voyant entrer M. de La Visclède, secrétaire perpétuel de l’Académie de Marseille, et bien que l’auditoire fût en partie composé des plus jolies femmes de la ville : « Je ne voyais, dit-il, que M. de La Visclède, et mon cœur palpitait en le voyant. » Tel était Barthélemy à quinze ans : âme modérée, affectueuse et fine, esprit vif, curieux, délié, avide de savoir, ne mettant rien au-dessus des belles et nobles études qui se cultivent paisiblement à l’ombre des académies et des musées, on aurait dit que quelque chose de la pénétration et de la douceur des anciens Grecs, de ces premiers colons et civilisateurs de la contrée phocéenne, avait passé jusqu’à lui, et qu’il avait assez goûté de leur miel pour ne plus vouloir s’en sevrer jamais.

1260. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Marguerite, reine de Navarre. Ses Nouvelles publiées par M. Le Roux de Lincy, 1853. » pp. 434-454

Dès le matin, la compagnie se rassemblera dans la chambre de Mme Oisille pour assister à sa leçon morale, et de là ira entendre la messe ; puis on dînera à dix heures ; après quoi, s’étant retiré chacun en sa chambre pour ses affaires particulières, on se réunira sur le pré à midi : Et s’il vous plaît que tous les jours, depuis midi jusques à quatre heures, nous allions dedans ce beau pré, le long de la rivière du Gave, où les arbres sont si feuillés que le soleil ne saurait percer l’ombre ni échauffer la fraîcheur ; là, assis, à nos aises, dira chacun quelque histoire qu’il aura vue ou bien ouï dire à quelque homme digne de foi.

1261. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre III. L’art et la science »

Un homme, un mort, une ombre, du fond du passé, à travers les siècles, vous saisit.

1262. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 38, que les peintres du temps de Raphaël n’avoient point d’avantage sur ceux d’aujourd’hui. Des peintres de l’antiquité » pp. 351-386

Quant au clair-obscur et à la distribution enchanteresse des lumieres et des ombres, ce que Pline et les autres écrivains de l’antiquité en disent est si positif, leurs recits sont si bien circonstanciez et si vrai-semblables, qu’on ne sçauroit disconvenir que les anciens n’égalassent du moins dans cette partie de l’art, les plus grands peintres modernes.

1263. (1911) Jugements de valeur et jugements de réalité

Elle mêle les règnes, elle confond les contraires, elle renverse ce qu’on pourrait regarder comme la hiérarchie naturelle des êtres, elle nivelle les différences, elle différencie les semblables, en un mot elle substitue au monde que nous révèlent les sens un monde tout différent qui n’est autre chose que l’ombre projetée par les idéaux qu’elle construit.

1264. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VI. Daniel Stern »

Ils craindraient, disent-ils, d’être moins aimés. » Et elle ajoute comme une objection renversante : « Ombre d’Héloïse, levez-vous et répondez-leur ! 

1265. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Macaulay »

Quand le sujet tourne à l’histoire, le talent de Macaulay entre dans l’ombre de ses préjugés d’Anglais, et il y disparaît comme sous une voûte ; mais quand il revient à un homme ou à une question de littérature, son talent reparaît comme par enchantement dans la lumière, et il a sa vraie vie alors ; car l’auteur des Œuvres diverses est fait non seulement par le fond de l’esprit, comme tout le monde, pour la lumière, mais il est fait pour elle par la forme extérieure de sa pensée.

1266. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « J. de Maistre » pp. 81-108

Plus tard encore, une Correspondance diplomatique, tirée de l’ombre des chancelleries épaissie par la précaution, et misérablement altérée dans un intérêt de parti, révélait encore assez du de Maistre des Œuvres complètes pour qu’à côté du mensonge de l’altération on vît éclater la vérité de l’irréductible génie et tomber et passer sur l’imposture comme une rature sublime !

1267. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre iii »

Il faut bien prendre notre parti de laisser dans l’ombre des groupes importants de soldats catholiques.

1268. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVI. Des oraisons funèbres et des éloges dans les premiers temps de la littérature française, depuis François Ier jusqu’à la fin du règne de Henri IV. »

En effet, qu’on suppose un orateur doué par la nature de cette magie puissante de la parole, qui a tant d’empire sur les âmes et les remue à son gré ; qu’il paraisse aux yeux de la nation assemblée pour rendre les derniers devoirs à Henri IV ; qu’il ait sous ses yeux le corps de ce malheureux prince ; que peut-être, le poignard, instrument du parricide, soit sur le cercueil et exposé à tous les regards ; que l’orateur alors élève sa voix, pour rappeler aux Français tous les malheurs que depuis cent ans leur ont causés leurs divisions et tous les crimes du fanatisme et de la politique mêlés ensemble ; qu’en commençant par la proscription des Vaudois et les arrêts qui firent consumer dans les flammes vingt-deux villages, et égorger ou brûler des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, il leur rappelle ensuite la conspiration d’Amboise, les batailles de Dreux, de Saint-Denis, de Jarnac, de Montcontour, de Coutras ; la nuit de la Saint-Barthélemi, l’assassinat du prince de Condé, l’assassinat de François de Guise, l’assassinat de Henri de Guise et de son frère, l’assassinat de Henri III ; plus de mille combats ou sièges, où toujours le sang français avait coulé par la main des Français ; le fanatisme et la vengeance faisant périr sur les échafauds ou dans les flammes, ceux qui avaient eu le malheur d’échapper à la guerre ; les meurtres, les empoisonnements, les incendies, les massacres de sang-froid, regardés comme des actions permises ou vertueuses ; les enfants qui n’avaient pas encore vu le jour, arrachés des entrailles palpitantes des mères, pour être écrasés ; qu’il termine enfin cet horrible tableau par l’assassinat de Henri IV, dont le corps sanglant est dans ce moment sous leurs yeux ; qu’alors attestant la religion et l’humanité, il conjure les Français de se réunir, de se regarder comme des concitoyens et des frères ; qu’à la vue de tant de malheurs et de crimes, à la vue de tant de sang versé, il les invite à renoncer à cet esprit de rage, à cette horrible démence qui, pendant un siècle, les a dénaturés, et a fait du peuple le plus doux un peuple de tigres ; que lui-même prononçant un serment à haute voix, il appelle tous les Français pour jurer avec lui sur le corps de Henri IV, sur ses blessures et le reste de son sang, que désormais ils seront unis et oublieront les affreuses querelles qui les divisent ; qu’ensuite, s’adressant à Henri IV même, il fasse, pour ainsi dire, amende honorable à son ombre, au nom de toute la France et de son siècle, et même au nom des siècles suivants, pour cet assassinat, prix si différent de celui que méritaient ses vertus ; qu’il lui annonce les hommages de tous les Français qui naîtront un jour ; qu’en finissant il se prosterne sur sa tombe et la baigne de ses larmes : quelle impression croit-on qu’un pareil discours aurait pu faire sur des milliers d’hommes assemblés, et dans un moment où le spectacle seul du corps de ce prince, sans être aidé de l’éloquence de l’orateur, suffisait pour émouvoir et attendrir ?

1269. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

Cette idée que nous portons en nous, de l’infini, de l’absolu, correspond à la seule véritable et positive réalité, dont les réalités extérieures ne sont que les ombres grossières. […] Dans notre curieux empressement pour les hommes dont la grandeur intellectuelle nous étonne, nous désirons connaître leur existence tout entière ; nous cherchons à nous en expliquer toutes les circonstances, à en faire disparaître toutes les ombres, à trouver enfin leur vie aussi exempte de fautes que nous voyons leurs œuvres exemptes d’erreurs, en un mot, nous voulons pouvoir les aimer autant que nous les admirons. […] Vous rencontrez souvent la facilité, le talent même sans l’ombre de génie ; et ce qui semble étrange, le génie n’est pas toujours accompagné de la facilité et du talent. […] Les vallons pleins d’ombres et les collines empourprées se déroulent en ondoyant devant vous comme les vagues du gigantesque océan. […] Sans doute les passions fougueuses de la jeunesse et de l’héroïsme ont mêlé quelques ombres à la splendeur de cette belle vie terminée à trente-deux ans ; mais quelle auréole de générosité, de beauté, de poésie rayonne autour de cette figure, la seule aimable entre toutes les figures de conquérants !

1270. (1855) Louis David, son école et son temps. Souvenirs pp. -447

Mais je lis dans vos yeux votre incertitude ; vous pensez qu’en homme pusillanime, j’ai fait préparer ce vêtement pour m’en parer dans l’ombre de notre réduit, et en votre présence seulement ? […] Vien, ajoutait David, fus-je d’abord frappé, dans les tableaux italiens qui s’offrirent à ma vue, de la vigueur du ton et des ombres. […] C’est dans l’ombre qu’il médite ses forfaits et rive les fers de ses victimes. […] Il faut faire disparaître ces ombres du scélérat dont la France vient d’être débarrassée. […] Il serait difficile et peu amusant de décrire minutieusement cette prodigieuse quantité de figures de bardes écossais et de généraux français présentées sous l’apparence d’ombres, et réunies dans le palais d’Odin.

1271. (1895) Nouveaux essais sur la littérature contemporaine

Mais tel est le pouvoir d’une idée générale, qu’aussitôt qu’on la pousse à ses dernières applications, elle n’en devient pas plus vraie, quand elle est fausse, mais de toutes parts les questions se lèvent, en quelque sorte, et voici que des aspects de la nature et de la vérité, jusqu’alors enveloppés d’ombre, ou même inaperçus, s’éclairent brusquement d’une lumière nouvelle. […] … Miroir profond et sombre Où des anges charmants, avec un doux souris Tout chargé de mystère, apparaissent à l’ombre Des glaciers et des pins qui ferment leur pays. […] Ce que d’autres avaient fait avant lui pour la jurisprudence, Montesquieu, par exemple, ou pour l’histoire, comme Voltaire, de les tirer des in-folio poudreux et de l’ombre des bibliothèques, M.  […] l’ombre sans le corps, le parfum sans le vase ? […] Mais, ni lui, ni l’ombre de celui qui fut François Buloz, ne m’en voudront si j’ose avouer que, de tant d’encouragements, ce sont encore les vôtres qui m’ont été le plus précieux ; et si j’ajoute qu’en m’appelant parmi vous, vos suffrages, messieurs, m’ont seuls achevé de délivrer d’un doute qu’aux heures de lassitude je n’ai pu quelquefois m’empêcher d’éprouver.

1272. (1927) Approximations. Deuxième série

La profondeur des personnages stendhaliens est de telle sorte que l’amour, même à ses heures de complet désintéressement, ne peut que creuser et comme souligner d’une ombre la solitude de l’âme. […] Du mystère spirituel il a au plus haut point la curiosité, mais il n’a pas foi dans l’attaque directe et il y répugne : en chacun de ses personnages il respecte une zone d’ombre, — celle où il devine que si l’on portait brutalement la main, une ombre nouvelle et plus épaisse aurait tôt fait de se former. […] « Des espaces d’ambiguïté, des abîmes d’ombre, constituent une notable partie du revêtement qui convient à certains effets que doit produire un romancier ». […] Victime, lui aussi, de la tyrannie d’une certaine notion régnante de la sincérité sur laquelle il faudra bien s’expliquer un jour parce qu’à son ombre trop de choses sont tapies ; mais victime, lui du moins, tout à fait sincère, — sincère jusqu’à la naïveté. […] Personne aujourd’hui ne vit avec la même intensité que Rivière ; personne n’est aussi radicalement soustrait à ce royaume des ombres que trop souvent nous constituons ici-bas.

1273. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre II. Lord Byron. » pp. 334-423

Byron n’y manque pas, et ajoute à toutes ces séductions la fantasmagorie de la scène, le décor oriental ou pittoresque ; les vieux châteaux des Alpes, les vagues de la Méditerranée, les soleils couchants de la Grèce, le tout en haut relief, avec des ombres marquées et des couleurs voyantes. […] On les tua pour s’en nourrir. —  La Guerre, qui pour un moment s’était apaisée, —  s’assouvit de nouveau : ils achetèrent un repas — avec du sang, et chacun, morne, s’assit à part, —  se gorgeant dans l’ombre. […] Les jeunes filles reposent dans le large appartement silencieux, comme de précieuses fleurs apportées de tous les climats dans une serre. « L’une a posé sa joue empourprée sur son bras blanc, —  et ses bouclés noires font sur ses tempes une grappe sombre. —  Elle rêve ainsi dans sa langueur molle et tiède. —  L’autre, avec ses tresses cendrées qui se dénouent, laisse pencher doucement sa belle tête, —  comme un fruit qui vacille sur sa tige, —  et sommeille, avec un souffle faible, —  ses lèvres entr’ouvertes, montrant un rang de perles. —  Une autre, comme du marbre, aussi calme qu’une statue, —  muette, sans haleine, gît dans un sommeil de pierre, —  blanche, froide et pure, et semble une figure sculptée sur un monument1309. » Cependant les lampes alanguies n’ont plus qu’une clarté bleuâtre ; Dudu s’est couchée, l’innocente, et si elle a jeté un regard dans son miroir, « c’est comme la biche qui a vu dans le lac — passer fugitivement son ombre craintive. —  Elle sursaute d’abord et s’écarte, puis coule un second regard — admirant cette nouvelle fille de l’abîme1310. » Que va devenir ici la pruderie puritaine ?

1274. (1848) Études critiques (1844-1848) pp. 8-146

Excepté dans Don Paez il ne saurait se réjouir d’un dénouement puisqu’il a en vain compté sur une histoire ; il a marché toujours en avant, courant après une ombre, et l’ombre s’est tout à coup évanouie. […] Toujours les mêmes êtres sont reproduits, semblables de taille, de traits, et de visage, et s’il faut déclarer notre impression franchement la voix de l’amante ne nous paraît qu’un écho lointain de l’Haïdée de Byron, et le cœur du héros, qu’une ombre rapetissée de Childe Harold.

1275. (1910) Rousseau contre Molière

Or, il n’y a pas l’ombre de pareille chose non seulement dans Molière, mais dans Rousseau. […] Pas plus d’ombre de civisme, de républicanisme, dans le sens le plus étendu du mot, qu’il n’y en a de patriotisme dans toute l’œuvre de Molière. […] Il est à remarquer que la Julie de la Nouvelle Héloïse n’a pas l’ombre de coquetterie. […] De duel entre la nature et la convention, pas l’ombre. […] Comme dans Don Juan, de duel entre la nature et la convention, pas l’ombre.

1276. (1892) Portraits d’écrivains. Première série pp. -328

Pour ce qui est de M. de Sainte-Agathe, le jésuite de robe courte, mêlé de cafardise et d’ambition, grotesque et redoutable, qui possède les secrets des familles et trame dans l’ombre d’odieuses machinations, c’est Rodin si ce n’est Croquemitaine. […] Au-dessous de vous, dans l’ombre et sans bruit, se prépare un nouveau tiers état qui vous remplacera par la force des choses comme vos grands-pères ont remplacé la caste dont vous reprenez les errements. […] Pour des apparences encore, pour l’ombre d’une faute et pour le fantôme d’un malheur. […] Il nous dira, par exemple, que Charlotte de Camp-vallon « était grande, blonde, avec des yeux profonds, un peu à l’ombre sous l’arc proéminent de ses sourcils presque noirs. […] Et il préparait sa vengeance dans l’ombre.

1277. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. THIERS. » pp. 62-124

Je voyais à peine les arbres les plus voisins de moi, et leurs troncs se dessinaient comme des ombres à travers la vapeur. […] Le résultat même de ses études les plus habituelles, les plus antérieures, il le produit et le déroule volontiers sous une lumière légère et sur une surface sans ombre.

1278. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (3e partie) » pp. 249-336

Thiers rentre dans sa nature ; il manœuvre, il décrit en tacticien, il combat avec une supériorité de lumière, de feu, qui ne laisse ni une pensée des généraux, ni un général, ni un soldat, ni une goutte de sang, ni un accident du fleuve ou du terrain dans l’ombre ; c’est une inondation de clarté sur quatre cent mille combattants sortant des ténèbres de la nuit pour s’entrechoquer au bord du Danube. […] Encore une fois, non ; son histoire est sans vertu, bien qu’elle ne soit pas sans honnêteté, mais honnêteté bourgeoise et timide qui semble craindre d’aborder corps à corps une si grande ombre !

1279. (1860) Cours familier de littérature. X « LIXe entretien. La littérature diplomatique. Le prince de Talleyrand. — État actuel de l’Europe » pp. 289-399

L’ombre de la monarchie universelle s’était évanouie avec l’unité de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Espagne et de la Belgique. […] C’étaient les ministres de la religion, avec lesquels sa dernière signature l’avait réconcilié quelques jours auparavant, et qui venaient constater tardivement sa résipiscence ; les ambassadeurs de toutes les cours, avec lesquelles il avait négocié depuis Louis XVI, le Directoire, la République, l’Empire, les deux Restaurations, la monarchie légitime et illégitime, qui lui devaient les mêmes honneurs ; les anciens sénateurs, les nouveaux pairs de France, les membres de l’Institut, fiers d’avoir compté dans leurs rangs l’art de négocier comme le premier des arts de la paix ; les employés du ministère des affaires étrangères sous tous les régimes, qui tous avaient eu à se louer de sa bonté et à profiter de ses leçons ; enfin quelques vieux survivants de son cabinet intime, rouages inconnus de la grande machine européenne, rédacteurs consommés de ses hautes pensées, qui l’avaient d’autant plus admiré qu’ils avaient, pour ainsi dire, plus vécu à son ombre ou dans sa sphère.

1280. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (2e partie) » pp. 97-191

Mais s’il est des questions qu’on peut laisser dans l’ombre, soit qu’on les dédaigne, soit qu’on les oublie, ce ne doit jamais être que des questions secondaires. […] L’âme est alors en rapport avec les Idées, c’est-à-dire, avec les notions générales et universelles, dont elle ne voit dans le monde des sens que des cas particuliers et des ombres.

1281. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

» et, dans une apothéose, Brünnhilde, redevenue Walküre, conduit Siegfried, à travers les nuages, vers Walhall ; En somme : adaptation fort habile ; pas l’ombre d’un drame psychologique. […] — où un sage tyran comprendra que seule la joie des artistes a quelque raison d’être : où il écartera des artistes les vaines ombres meurtrières de l’humanité démocratique ; où il les entretiendra dans la santé de leurs estomacs, l’élégance de leurs vêtements, et la liberté sereine de leurs âmes ! 

1282. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre quatrième. L’idée du temps, sa genèse et son action »

Toute sensation présente paraîtrait nouvelle si, en même temps, il n’y avait pas une image mnémonique de la même sensation et si la conscience ne les apercevait pas toutes deux à la fois, comme un homme et son ombre dans une même lumière. […] Bien plus, si nous apercevions les choses en elles-mêmes, Kant nous apprend (comme s’il y était allé voir) que le temps s’évanouirait ; ce prétendu objet pur d’une intuition pure finit donc par être une ombre, une illusion de la caverne.

1283. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « L’abbé de Bernis. » pp. 1-22

En ce qui est de l’harmonie, je ferai remarquer ce que d’autres ont déjà remarqué avant moi : il y a de temps en temps chez Bernis, et par exemple dès la fin de cette première pièce, ou encore dans celle du Soir ou dans celle de La Nuit, quatre ou cinq vers de suite qui, à l’oreille, donnent déjà le sentiment de la stance de Lamartine : L’ombre descend, le jour s’efface ; Le char du soleil qui s’enfuit Se joue en vain sur la surface De l’onde qui le reproduit.

1284. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Joinville. — II. (Fin.) » pp. 513-532

Si ce beau règne exista quelque part dans le passé, ce fut certes sous saint Louis, durant ces quinze années de paix, à l’ombre du chêne de Vincennes, et c’est par la plume de Joinville qu’il nous a légué sa plus attrayante image.

1285. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Le président Hénault. Ses Mémoires écrits par lui-même, recueillis et mis en ordre par son arrière-neveu M. le baron de Vigan. » pp. 215-235

douce, simple, m’aimant uniquement, crédule sur ma conduite qui était un peu irrégulière, mais dont la crédulité était aidée par le soin extrême que je prenais à l’entretenir, et par l’amitié tendre et véritable que je lui portais. » Mme Du Deffand est très bien traitée dans ces Mémoires, et s’y montre presque sans ombre, sous ses premières et charmantes couleurs ; mais la personne évidemment que le président a le plus aimée est Mme de Castelmoron, « qui a été pendant quarante ans, dit-il, l’objet principal de sa vie. » La page qui lui est consacrée est dictée par le cœur ; il y règne un ton d’affection profonde, et même d’affection pure : « Tout est fini pour moi, écrit le vieillard après nous avoir fait assister à la mort de cette amie ; il ne me reste plus qu’à mourir. » On raconte que dans les derniers instants de la vie du président et lorsqu’il n’avait plus bien sa tête, Mme Du Deffand, qui était dans sa chambre avec quelques amis, lui demanda, pour le tirer de son assoupissement, s’il se souvenait de Mme de Castelmoron : Ce nom réveilla le président, qui répondit qu’il se la rappelait fort bien.

1286. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — II » pp. 316-336

et, bien qu’ils ne fussent plus qu’ombres d’hommes vivants, essayant d’obtenir par leurs députés un traité général appelé traité de paix et non un simple pardon, et d’y faire comprendre Mme de Rohan.

1287. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Vie de Maupertuis, par La Beaumelle. Ouvrage posthume » pp. 86-106

Malgré l’ignorance qui nous environne, nous étudions, nous disputons sans cesse, et cette soif de savoir n’est jamais assouvie ; il me semble, en lisant les philosophes et les théologiens, voir des aveugles qui errent dans l’obscurité, qui s’entre-heurtent, qui, en voulant s’éviter, se font choir, qui embrassent l’ombre pour le corps, et qui se servent quelquefois, pour s’assommer, du bâton qui leur a été donné pour se conduire, Un petit nombre, tel que vous, Euler et Clairaut, élevés dans une plus haute région, rient de leurs folies et de leurs méprises, Qu’est-ce qui produit tant de faux jugements ?

1288. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « L’abbé de Marolles ou le curieux — II » pp. 126-147

» — « Je fais tout ce que je peux, lui répondit Marolles, pour allonger la vie et les jours, mais j’ai beau faire, ils me paraissent s’enfuir comme une ombre.

1289. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La comtesse d’Albany par M. Saint-René Taillandier (suite et fin.) »

Il y a mis sans nécessité, ce me semble, quelques taches et trop d’ombres.

1290. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette »

À vrai dire, je trouve que l’on s’exalte un peu trop ; on se montre délicat et chatouilleux à tous les endroits sur cette reine brillante et infortunée ; on ne veut aucune tache ni aucune ombre à cette figure.

1291. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.). Guerre des Barbets. — Horreurs. — Iniquités. — Impuissance. »

Il n’est point de tableau sans ombres : j’ai dû ne pas dissimuler ces taches dans un portrait fidèle.

1292. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée par. M. le Chevalier Alfred d’Arneth »

L’Ombre de Béranger doit être contente.

1293. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de La Mennais »

Le fruit, déjà formé et mûri à l’ombre, n’attendait que ce coup de soleil pour se dorer.

1294. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « GRESSET (Essai biographique sur sa Vie et ses Ouvrages, par M. de Cayrol.) » pp. 79-103

Envoyé en pénitence à La Flèche, par une punition fort douce, convenons-en, et de bien peu de durée, il ne revint à Paris que pour récidiver de plus belle : la Chartreuse courut avec la pièce des Ombres, qui en est la suite, et un libraire les imprima.

1295. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « DU ROMAN INTIME ou MADEMOISELLE DE LIRON » pp. 22-41

DU ROMAN INTIME ou MADEMOISELLE DE LIRON11 Quelque agités que soient les temps où l’on vit, quelque corrompus ou quelque arides qu’on les puisse juger, il est toujours certains livres exquis et rares qui trouvent moyen de naître ; il est toujours des cœurs de choix pour les produire délicieusement dans l’ombre, et d’autres cœurs épars çà et là pour les recueillir.

1296. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

Il ne suffit pas de remuer l’âme ; il faut l’éclairer ; et tous les effets qui frappent seulement les yeux, les tombeaux, les supplices, les ombres, les combats, on ne peut se les permettre, que s’ils servent directement à la peinture philosophique d’un grand caractère ou d’un sentiment profond.

1297. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre II. De l’expression »

198 Les derniers traits de l’ombre empêchent qu’il ne voie Le filet.

1298. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre V. Transition vers la littérature classique — Chapitre I. La littérature sous Henri IV »

Neveu de Desportes, il adorait Desportes, et Ronsard, et la Pléiade : quand Malherbe se mit ¿î maltraiter ses dieux, il voulut les venger, et écrivit contre l’irrespectueux réformateur une admirable et incohérente satire, où déborde la poésie, mais où il n’y a pas ombre de sens critique.

1299. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre III. Montesquieu »

Il n’y a pas ombre de pénétration psychologique dans les Lettres persanes.

1300. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VIII. La question de gout ce qui reste en dehors de la science » pp. 84-103

Comme on l’a dit30 : « A la longue et par un effet à peu près certain de justice distributive, les rangs se rétablissent, les suprématies usurpées se perdent, l’ombre et la lumière se répartissent avec une sorte d’équité finale entre les auteurs ; le temps, aidé de la raison qui n’abdique jamais complètement, remet chaque chose et chacun à sa place. » Il est certains procès qui sont pour la postérité définitivement vidés.

1301. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre I : La loi d’évolution »

Ce procédé prend l’ombre pour la réalité.

1302. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre IX, les mythes de Prométhée »

Prométhée resta honoré en Grèce, et presque adoré, mais dans une sorte d’ombre craintive.

1303. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XII »

Au troisième acte, M. de Montègre se remet en chasse ; mais il n’attrape que l’ombre de la proie qu’il croyait tenir.

1304. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. Tome IXe. » pp. 138-158

Sa méthode d’exposition, si développée et si lumineuse, ne nous dérobe rien des erreurs et de leurs conséquences ; il en traite comme il avait fait précédemment pour les parties heureuses, et ne laisse rien dans l’ombre.

1305. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Œuvres de Barnave, publiées par M. Bérenger (de la Drôme). (4 volumes.) » pp. 22-43

tu n’es plus qu’un souvenir, qu’une pensée fugitive : la feuille qui vole et l’ombre impalpable sont moins atténuées que toi.

1306. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Fontenelle, par M. Flourens. (1 vol. in-18. — 1847.) » pp. 314-335

Déjà, dans Thomas Corneille, ces qualités secondaires et purement spirituelles de son illustre frère se montraient plus ouvertement et, pour ainsi dire, sur le premier plan, n’étant plus tenues en bride et comme ramassées à l’ombre du génie ; mais, chez Thomas, il s’y mêlait encore de la verve et du feu de poésie.

1307. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Jasmin. (Troisième volume de ses Poésies.) (1851.) » pp. 309-329

Après la messe, il faut voir tout le village assemblé comme s’ils attendaient un grand seigneur, et Marthe, la fille au front pur, à côté du vieux prêtre, tous riants et plantés là, debout, à l’entrée du chemin : vous avez le tableau, et le grand chemin devant vous dans sa longueur : Rien au milieu, rien au bout de cette longue raie plate, rien que l’ombre déchirée à morceaux par le soleil (encore un de ces vers heureux qui peignent sans rien interrompre).

1308. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Mémoires du cardinal de Retz. (Collection Michaud et Poujoulat, édition Champollion.) 1837 » pp. 40-61

Ce sage et juste milieu qui, en France, a toujours été plutôt à l’état de vœu, de regret ou d’espérance, qu’à l’état de pratique réelle, avait pourtant quelque ombre d’effet et de coutume dans le pouvoir attribué au Parlement, et Retz montre tous les rois sages, saint Louis, Charles V, Louis XII, Henri IV, empressés à se modérer eux-mêmes et à s’environner d’une limite de justice.

1309. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « M. Fiévée. Correspondance et relations avec Bonaparte. (3 vol. in-8º. — 1837.) » pp. 217-237

Par penchant et par habitude, il était encore plus homme de presse qu’il ne l’avait été de consultation et de cabinet : « Comme écrivain, disait-il, entre m’adresser au public ou à un souverain, fût-il dix fois plus élevé que la colonne de la place Vendôme, je n’hésiterai jamais à préférer le public ; c’est lui qui est notre véritable maître. » En laissant dans l’ombre les côtés faibles et ce qui n’est pas du domaine du souvenir, et à le considérer dans son ensemble et sa forme d’esprit, je le trouve ainsi défini par moi-même dans une note écrite il n’y a pas moins de quinze ans : Fiévée, publiciste, moraliste, observateur, écrivain froid, aiguisé et mordant, très distingué ; une Pauline de Meulan en homme (moins la valeur morale) ; sans fraîcheur d’imagination, mais avec une sorte de grâce quelquefois à force d’esprit fin ; — de ces hommes secondaires qui ont de l’influence, conseillers nés mêlés à bien des choses, à trop de choses, meilleurs que leur réputation, échappant au mal trop grand et à la corruption extrême par l’amour de l’indépendance, une certaine modération relative de désirs, et de la paresse ; — travaillant aux journaux plutôt par goût que par besoin, aimant à avoir action sur l’opinion, même sans qu’on le sache ; — Machiavels modérés, dignes de ce nom pourtant par leur vue froide, ferme et fine ; assez libéraux dans leurs résultats plutôt que généreux dans leurs principes ; — sentant à merveille la société moderne, l’éducation moderne par la société, non par les livres ; n’ayant rien des anciens, ni les études classiques, ni le goût de la forme, de la beauté dans le style, ni la morale grandiose, ni le souci de la gloire, rien de cela, mais l’entente des choses, la vue nette, précise, positive, l’observation sensée, utile et piquante, le tour d’idées spirituel et applicable ; non l’amour du vrai, mais une certaine justesse et un plaisir à voir les choses comme elles sont et à en faire part ; un coup d’œil prompt et sûr à saisir en toute conjoncture la mesure du possible ; une facilité désintéressée à entrer dans l’esprit d’une situation et à en indiquer les inconvénients et les ressources ; gens précieux, avec qui tout gouvernement devrait aimer causer ou correspondre pour entendre leur avis après ou avant chaque crise.

1310. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — II. (Fin.) » pp. 63-82

En peignant si en beau le gouvernement des Anglais, qu’il avait pourtant vu de près avec ses ombres, il ne paraît pas s’être demandé de quel effet ces tableaux seraient en France.

1311. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

. — Mécontent de ce refus de mon Eurydice, j’ai pris tout de suite la résolution de quitter ces ombres ingrates, et de revenir en ce bon monde revoir le soleil et vous.

1312. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le cardinal de Richelieu. Ses Lettres, instructions et papiers d’État. Publiés dans la Collection des documents historiques, par M. Avenel. — Premier volume, 1853. — I. » pp. 224-245

Il est l’âme de ce premier petit ministère, composé d’hommes assez obscurs, mais fortement unis entre eux ; cabinet vigoureux, énergique, auquel il ne manqua, pour accomplir de grandes choses, que de durer plus longtemps, et de n’être pas né à l’ombre du patronage du maréchal d’Ancre et avec cette enseigne qui le rendait impopulaire.

1313. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — II. (Fin.) » pp. 350-370

Pour mettre sa sensibilité plus à son aise, par un singulier et subtil accommodement il supposait que c’était d’un autre que lui qu’il parlait : C’est d’un moi que je parle, et non pas de moi ; car, loin des hommes, au pied des hautes montagnes, au bruit d’une onde monotone qui ne présente d’autre idée que la marche égale du temps, et sans autre aspect qu’une longue solitude, une retraite silencieuse que bordent déjà les ombres d’une éternelle nuit, je n’ai plus de rapport avec ce ministre naguère emporté par les événements, agité par les passions du monde, et sans cesse aux prises avec l’injustice ; je n’ai plus de rapport avec lui que par les émotions d’une âme sensible… Il revient à chaque instant, avec des cris de David ou de Job, sur cette calamité, qui véritablement n’était pas si grande qu’il le supposait : Quelquefois seulement, au pied de ces montagnes où l’ingratitude particulière des représentants des Communes m’a relégué, et dans les moments où j’entends les vents furieux s’efforcer d’ébranler mon asile, et renverser les arbres dont il est environné, il m’arrive alors peut-être de dire comme le roi Lear : « Blow, winds, … Soufflez, vents impétueux !

1314. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — I. » pp. 455-475

Mon cher Diaphane, faites bien vos réflexions, je vous en prie, et, pour une vaine ombre d’établissement, n’allez pas commettre un meurtre en votre propre personne.

1315. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Arnault, de l’Institut. » pp. 496-517

De protégé qu’il fut le voilà protecteur, Abritant, nourrissant des peuplades sans nombre ;         Les troupeaux, le chien, le pasteurj         Vont dormir en paix sous son ombre ; L’abeille dans son sein vient déposer son miel.

1316. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre quatrième. L’expression de la vie individuelle et sociale dans l’art. »

Dans tout art, comme dans la peinture, il y a des effets de raccourci, d’ombre et de lumière, des questions de premier et de second plan.

1317. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre I. Shakespeare — Sa vie »

Tandis que les acteurs gesticulaient et déclamaient, les gentilshommes et les officiers, avec leurs panaches et leurs rabats de dentelle d’or, debout ou accroupis sur le théâtre, tournant le dos, hautains et à leur aise au milieu des comédiens gênés, riaient, criaient, tenaient des brelans, se jetaient les cartes à la tête, ou jouaient au post and pair ; et en bas, dans l’ombre, sur le pavé, parmi les pots de bière et les pipes, on entrevoyait « les puants1 » (le peuple).

1318. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Saint-Simon »

D’un autre côté, quoiqu’on ait rendu justice au peintre, au Titien historique qu’il fut, on a souvent trouvé dans les magnifiques peintures de ses Mémoires ce qu’on appelle vulgairement des « ombres au tableau ».

1319. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Rivarol » pp. 245-272

Tel est le mérite de ces pages de Rivarol, tirées si tard, mais enfin tirées de l’ombre et replacées sous nos yeux, et qui révèlent en cet homme, d’une littérature que sa phénoménale conversation a fait oublier, un autre homme qu’on n’y cherchait passait pour l’histoire et les choses sévères de l’histoire.

1320. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — L’inter-nationalisme »

A mesure que le nationalisme se constitue sur des bases scientifiques, l’internationalisme doit peu à peu sortir de l’ombre ; car le défaut d’équilibre entre la vie intérieure et la vie extérieure est aussi funeste à « l’être social » qu’à l’individu.

1321. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre III. “ Fantômes de vivants ” et “ recherche psychique ” »

Cela n’était pas possible, parce que, à l’aube des temps modernes, la science mathématique existait déjà, et qu’il fallait nécessairement commencer par tirer d’elle tout ce qu’elle pouvait donner pour la connaissance du monde où nous vivons : on ne lâche pas la proie pour ce qui n’est peut-être qu’une ombre.

1322. (1828) Introduction à l’histoire de la philosophie

Mais si Dieu n’est pas entièrement incompréhensible, il l’est par plus d’un côté ; cela est vrai, et c’est à cause de cela même que les ombres et les défaillances se mêlent à la foi la plus assurée57. […] Elle s’appliquera moins à régler la vie qu’à en enseigner le mépris, à la montrer comme une ombre sans aucun prix : elle offrira surtout des représentations fantastiques de ce qui fut avant la vie et de ce qui sera après elle. […] L’homme débute par une conception vague sans doute, mais puissante et accablante, de Dieu ; et, sous le poids de cette grande idée, il se considère à peine comme une ombre de celui qui seul existe. […] L’ombre seule du mysticisme l’épouvante, comme aussi celle du catholicisme, et aussitôt qu’il aperçoit quelque système qui a la plus légère apparence de l’un ou de l’autre, on est sûr de voir s’élever une grêle d’arguments et de formules kantiennes contre ce pauvre système. […] Et ce n’est pas non plus le Dieu-Univers du panthéisme, avec ses magnificences mêlées de tant d’ombres, simulant l’infinité et l’éternité sans les posséder réellement, ne se suffisant point à lui-même, et incapable de rendre raison d’un seul de ses mouvements, d’une seule de ses lois.

1323. (1896) Écrivains étrangers. Première série

Il y avait, là aussi plus d’ombres qu’il n’y avait d’hommes. […] Un scrupule généreux porte tous ceux qui l’ont intimement connu à ensevelir dans l’ombre de l’oubli ses faiblesses, ou plutôt tous les traits distinctifs de sa personnalité, et à insister uniquement sur sa production littéraire. […] Je vois d’un côté la partie dans l’ombre, où les dormeurs dorment, et de l’autre côté la partie éclairée du Soleil. Je vois les curieux changements, silencieux, de la lumière et de l’ombre. […] Encore n’est-ce pas d’héroïsme qu’on peut parler à son sujet, car il n’y avait pas l’ombre chez Whitman de cet effort, ni même de cette réflexion, qui donnent tant de mérite aux actions des héros.

1324. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre V. La Renaissance chrétienne. » pp. 282-410

Le petit Latimer étudia âprement, prit ses grades, et resta longtemps bon catholique, ou, comme il disait, « dans les ténèbres et l’ombre de la mort. » Vers trente ans, ayant fréquenté Bilney le martyr, et surtout ayant connu le monde et pensé par lui-même, il commença « à flairer la parole de Dieu et à abandonner les docteurs d’école et les sottises de ce genre », bientôt à prêcher, et tout de suite à passer « pour un séditieux grandement incommode aux gens en place qui étaient injustes. » Car ce fut là d’abord le trait saillant de son éloquence ; il parlait aux gens de leurs devoirs, et en termes précis. […] Dans la fournaise rouge où bout le fer, dans le cri du cuivre meurtri, dans les noirs recoins où rampe l’ombre humide, il aperçoit la flamme et les ténèbres d’en bas, et le grincement des chaînes éternelles. […] Cependant la route se rétrécit, les ombres tombent plus épaisses, les flammes sulfureuses montent le long du chemin : c’est la vallée de l’Ombre de la Mort.

1325. (1778) De la littérature et des littérateurs suivi d’un Nouvel examen sur la tragédie françoise pp. -158

Il est tems de briser le Talisman qui nous fait voir la perfection dans un Auteur uniquement doué d’un style magique, tandis que nous oublions la multitude des personnages à faces caractérisées qui sont demeurés pour lui dans l’ombre & le néant. […] Mais, nous qui tendons à rétrograder dans les ombres de la barbarie (54) en voyant de loin le vôl de ces enfans de lumière, nous leur dirons : eh ! […] En peignant cette passion primitive, & ne la mélangeant point, Molière a ôté au tableau les ombres & les lumieres dont l’accord seul produit la force & la vérité. […] Les lumieres & les ombres consistent sur la scène dans le mélange des passions différentes, qui font, avec la passion nante, le caractere de l’homme ; sans ce mélange les traits seront durs, extrêmes, n’exprimeront qu’un personnage forcé, & la vie réelle ne transpirera point d’une maniere douce & insensible.

1326. (1856) À travers la critique. Figaro pp. 4-2

, le soleil lance sur l’univers ses mille cavaliers de flamme. » Puis, lorsqu’il s’est suffisamment vautré sur les cailloux pointus : « La terre s’endort ; et, pendant qu’elle dort, le rayonnant magicien (toujours le soleil) accroche une émeraude à chacune des feuilles d’arbres… les fleuves roulent des perles en bâillant… l’ombre se pelotonne, s’amincit, se ramasse. » Avez-vous suffisamment remarqué avec moi les transformations successives que MM. de Goncourt font subir à ce pauvre soleil qui n’en peut mais ? […] À une heure aussi avancée, la critique court le risque de mordre dans le vide et de dépecer l’ombre d’une pièce. […] Voici donc un nouveau chapitre de l’Histoire des variations de la critique qui m’a paru digne d’être consigné : Opinion de Léon Gatayes sur Mme Lauters « L’ombre de Weber aurait tressailli aux chants mélancoliques et tendres, aux purs et radieux accents d’Anna. […] Messieurs de la critique avaient pourtant mieux à faire que de troubler par de stériles clameurs le fantôme d’un poète comique et l’ombre d’une pièce.

1327. (1882) Essais de critique et d’histoire (4e éd.)

… Tout immobiles que sont leurs pics, ils créent sous eux et autour d’eux une agitation éternelle, des courants violents, contradictoires, qui se battent entre eux, si furieux parfois qu’il faut attendre. « Que je passe plus bas, les torrents qui hurlent dans l’ombre avec un fracas de noyades, ont des trombes qui m’entraîneront. […] Il faut admirer ce que nous avons et ce qui nous manque ; il faut faire autrement que nos ancêtres et louer ce que nos ancêtres ont fait. — Entrez dans Notre-Dame ; au bout d’une demi-heure, lorsque dans l’ombre des piliers énormes vous avez contemplé l’essor passionné des frêles colonnettes, l’enchevêtrement douloureux des figures bizarres et le rayonnement divin des rosaces épanouies, vous comprenez l’extase mystique de la foule maladive qui, agenouillée aux sons des orgues, apercevait là-bas, dans une lumière d’or, le sourire angélique de la Vierge et les mains étendues du Christ. — Un quart d’heure plus tard, au musée de la Renaissance, une statue de Michel-Ange vous montrera, par la fierté de sa structure héroïque, par l’élan effréné de ses bras tordus, par la montagne des muscles soulevés sur son épaule, les superbes passions, la grandeur tragique, le déchaînement des crimes et le paganisme sublime du xvie  siècle. — Ouvrez maintenant un volume de Racine ou cette Princesse de Clèves, et vous y verrez la noblesse, la mesure, la délicatesse charmante, la simplicité et la perfection du style, qu’une littérature naissante pouvait seule avoir, et que la vie de salon, les mœurs de cour, et les sentiments aristocratiques pouvaient seuls produire. — Ni l’extase du moyen âge, ni le paganisme ardent du xvie  siècle, ni la délicatesse et la langue de Louis XIV ne peuvent renaître. […] Nulle ombre de vie publique : la violente conquête et la savante administration romaine avaient changé les cités libres et les peuples indépendants en autant de fermes régulières où l’unique souci était d’obtenir une exemption d’impôt.

1328. (1896) Impressions de théâtre. Neuvième série

Ainsi l’ombre, à la fin du jour, grandit, mais ne quitte pas le pied de l’arbre. » — « Voilà un homme heureux. […] pleinement, — odorante et élastique, déchaînée parmi des Ombres. […] Les deux femmes, ayant vu venir de loin deux ombres, se cachent derrière un arbre. Les deux ombres s’arrêtent pour s’entretenir de leurs petites affaires : c’est Zaccharia et Grégoras. […] Ce n’est qu’une ombre, et j’y consens.

1329. (1905) Propos littéraires. Troisième série

Sur cette période de transition une époque de littérature constituée a passé qui l’a rejetée dans l’ombre, un peu trop, toujours. […] » est charmant : Et l’ombre, hélas ! […] Page 106 : « … Souvent elle tressaillait à l’apparition de cette ombre glissant tout à coup. » — Le texte de la Revue portait : « De cette ombre qui passait tout à coup ». — Et je crois savoir pourquoi. […] C’était son ombre, son double, son indécise image spectrale. […] Ô terre, ô mer, pitié pour son ombre anxieuse !

1330. (1905) Pour qu’on lise Platon pp. 1-398

Les poètes me parurent dans le même cas et je m’aperçus en même temps qu’à cause de leur faculté poétique, ils se croyaient les plus sages des hommes dans toutes les autres choses, bien qu’ils n’y entendissent rien. » Quelle « vanité » du reste, comme dira plus tard Pascal, quelle inanité et quelle insignifiance que cet art tout d’imitation, qui arrive au troisième degré pour ainsi dire de l’imitation, qui imite ce qui est déjà imité et qui est comme l’ombre d’une ombre ! […] Les arts sont des illusions de l’art et ombre, très belle, du reste, qu’on peut prendre pour proie. […] L’homme qui gouverne pour l’injustice est un homme qui lâche la proie pour l’ombre et qui en se repaissant de l’ombre augmente les forces de sa proie et lui donne une vie nouvelle. […] Elle substitue l’ombre à la proie, en montrant la proie vile et l’ombre creuse. […] On ne demande pas de moralité à une farce, parce qu’il est bien entendu que ce ne sont pas des hommes, en vérité, qu’on a sous les yeux, mais des ombres d’hommes, dont les actes n’ont aucun sens profond, et qui ont des gestes plutôt qu’ils n’accomplissent des actes.

1331. (1889) Ægri somnia : pensées et caractères

Ce bonheur n’est pas le vrai ; à peine en est-il l’ombre. […] Berryer ou l’orateur-avocat I Tandis que le brillant historien des Césars, M. de Champagny, successeur de Berryer à l’Académie française, prononçait l’éloge de l’orateur-avocat, cherchant honnêtement ce qui est resté de l’homme dans « l’ombre d’un grand nom », il me semblait voir une main se promenant par les airs pour tâcher de saisir le vent. […] Quintius ou l’éloquent I « J’ai peur, mon excellent ami, écrit Horace à Quintius, que sur ton propre fond, tu en croies plus les autres que toi-même10. » Le Quintius, dont il s’agit ici, est-il celui que le poète, dans une ode gracieuse, exhorte à ne pas s’agiter pour les besoins d’une vie à laquelle si peu suffit, mais plutôt à venir boire, de compagnie avec lui, à l’ombre d’un platane ou d’un pin, la tête parfumée du nard d’Assyrie ? […] Vous jugez à huis clos, dans l’ombre du privé, après vous être assuré si l’on ne vous entend pas du dehors ; en public, vous délaissez vos opinions. […] Ces royaumes de l’ombre, où l’errant en détresse, Pour trouver son chemin, au poète s’adresse.

1332. (1914) Une année de critique

Il coupe des ombres, fait ressortir les objets, s’insinue et circonscrit. […] Quant à son inspiration, il la définit en ces termes : On dirait que ce sont des cendres de pensée… La lumière est éteinte et les mots malgré moi Tendent un dessin vide à l’ombre nuancée Dont les égarements sont traduits par ma voix, Et je ne cherche pas ce que cela veut dire, Un vers chante un instant, disparaît et revient, Un mot sanglote, un mot semble vouloir sourire, Le secret de la nuit vient se mêler au mien… Puis le rêve s’esquisse et devient une phrase Où quelque sens humain pénètre obscurément, Et j’aperçois un peu sous une triple gaze Un visage penché vers moi, divinement… … Souffle mystérieux, ô vol noir qui m’emportes, Pour dire la chanson pure que tu voudrais, Il faut des yeux fermés, il faut des lèvres mortes, Et nul amour, nul souvenir et nul regret… On devine combien une telle esthétique aboutit presque nécessairement à une poésie un peu floue, mobile, fluide et comme évanescente. […] Sa phrase a la netteté d’un objet qui, sous le soleil de midi, ne fait pas d’ombre. […] Tout se passe entre des idées, dans l’abstrait, chez les ombres. […] On se dira qu’en ces moments sa raison, merveilleusement lucide, n’a pu triompher du tempérament, d’un simple mouvement d’humeur, du dépit causé par une ombre importune, du désir d’étonner… Si M. de Gourmont écrit : Le symbolisme se rattache au romantisme, dont il découle, d’ailleurs, directement, ainsi que toute littérature digne de ce nom.

1333. (1933) De mon temps…

C’était un chant nouveau, d’une irrésistible allégresse lyrique, d’une abondance si aisée qu’on en écoutait avec ravissement l’harmonie naturelle et comme involontaire, un chant qui, en son divin désordre, restait toujours humain, mais qui, triomphal, était déjà douloureux et pathétique en sa juvénile ivresse, un chant d’aurore sur qui planait déjà, comme un encore lointain, mais inévitable présage, l’ombre des jours. […] Je le regarde dans l’ombre de la voiture. […] Dans le délire de ses heures suprêmes, ce fut avec eus qu’il se retrouva, et leurs Ombres armées marchèrent derrière le char qui emportait vers sa dernière demeure celui qui eût été fait pour vivre de leur vie de partisans et de soldats et qui les avait ressuscités en son œuvre si admirablement et si prodigieusement vivante.

1334. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre II. Les directions divergentes de l’évolution de la vie. Torpeur, intelligence, instinct. »

Le langage même, qui lui a permis d’étendre son champ d’opérations, est fait pour désigner des choses et rien que des choses : c’est seulement parce que le mot est mobile, parce qu’il chemine d’une chose à une autre, que l’intelligence devait tôt ou tard le prendre en chemin, alors qu’il n’était posé sur rien, pour l’appliquer à un objet qui n’est pas une chose et qui, dissimulé jusque-là, attendait le secours du mot pour passer de l’ombre à la lumière. […] Les choses se passent comme si la cellule connaissait des autres cellules ce qui l’intéresse, l’animal des autres animaux ce qu’il pourra utiliser, tout le reste demeurant dans l’ombre. […] Du côté de l’intuition, la conscience s’est trouvée à tel point comprimée par son enveloppe qu’elle a dû rétrécir l’intuition en instinct, c’est-à-dire n’embrasser que la très petite portion de vie qui l’intéressait ; — encore l’embrasse-t-elle dans l’ombre, en la touchant sans presque la voir.

1335. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — III » pp. 132-153

Il vivait tantôt à Paris, tantôt à la campagne ; il avait loué à Segrès, près Arpajon, une maison très agréable : Rien, disait-il, ne ressemble plus aux champs Élysées, séjour des ombres heureuses, que cette maison de Segrès : il y a un jour doux, et non brillant comme celui des vues étendues sur le bord des grandes rivières ; cet affaiblissement du jour vient de quantité de montagnes vertes qui rendent ce séjour sauvage avec peu d’échappées de vues.

1336. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — II » pp. 150-171

J’ai, connu un bossu, homme d’ailleurs de beaucoup d’esprit, qui n’avait jamais pu se familiariser avec son ombre ; je lui devins à charge, et il m’évita enfin, ne pouvant soutenir la petite guerre que je lui faisais pour lui ôter ce faible : pour moi, j’ose dire que je soutiens galamment ma disgrâce ; j’en atteste mes amis, qui, pour faire honneur à mon courage, ne me font plus apercevoir dans notre commerce cette retenue excessive, cette circonspection humiliante qui n’est due qu’aux faibles.

1337. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire du règne de Henri IV, par M. Poirson » pp. 210-230

Les robustes filles de village sciaient les blés, comme les garçons ; et le travail des uns et des autres était entrecoupé de temps en temps par un repas rustique, qui se prenait à l’ombre d’un cormier ou d’un poirier, qui abattait ses branches chargées de fruits jusqu’à la portée de leurs bras.

1338. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « François Villon, sa vie et ses œuvres, par M. Antoine Campaux » pp. 279-302

Rien de pareil chez Villon ; pas l’ombre d’un arbre, pas le plus petit reflet de ciel, ne fût-ce que dans le ruisseau ; jamais rien qui ressemble au cri d’Horace : O rus, quando ego te aspiciam !

1339. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.) »

Mais, ce qui était pis, Vauban, l’autorité même, Vauban semblait croire que Catinat aurait pu agir autrement et tenir le poste de La Pérouse ; il le disait à qui voulait l’entendre : « Je t’assure, écrivait Catinat à son frère, qu’il n’y a ombre de raison à ce dire, et qu’il aurait de la confusion de l’avoir avancé s’il était sur les lieux et qu’on lui dît de disposer ce poste pour être soutenu contre une armée qui a du canon… Je suis assurément rempli d’un grand fonds d’estime et d’affection pour M. de Vauban ; mais je voudrais bien voir jusqu’où iraient ses lumières et la tranquillité de son esprit, s’il était chargé en chef des affaires de ce pays-ci : je crois qu’il y serait pour le moins aussi fécond en inquiétudes qu’il l’était à Namur, où il était demeuré après la prise. » Catinat d’ailleurs n’en veut point à Vauban, et il trouve, pour l’excuser de ce léger tort à son égard, une belle explication amicale : « M. de Vauban est de mes amis ; sa franchise naturelle l’a surpris et l’a fait parler d’une chose qu’il a pensée et qu’il ne sait point, et avec peu de ménagement pour un homme qu’il aime ou qui est en droit de le croire. » Bien qu’endurci par l’expérience à tous les propos, Catinat était donc en ce moment fort fécond en soucis et des plus travaillés d’esprit ; toutes ses lettres adressées du camp de Fénestrelles à son frère nous ouvrent le fond de son âme : « Personne n’est à l’abri du discours, c’est un mal commun à tous ceux qui sont honorés du commandement : il faudrait que je fusse bien abîmé dans un esprit de présomption pour que je pusse imaginer que cela fût autrement à mon égard.

1340. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Essai de critique naturelle, par M. Émile Deschanel. »

Et pourtant je sens la force ou plutôt l’agrément des raisons qu’on m’oppose ; je le sens si bien, que je suis tenté parfois de m’y associer et de pousser aussi mon léger soupir ; tout en marchant vers l’avenir, je suis tout prêt cependant, pour peu que j’y songe, à faire, moi aussi, ma dernière complainte au passé en m’écriant : Où est-il le temps où, quand on lisait un livre, eût-on été soi-même un auteur et un homme du métier, on n’y mettait pas tant de raisonnements et de façons ; où l’impression de la lecture venait doucement vous prendre et vous saisir, comme au spectacle la pièce qu’on joue prend et intéresse l’amateur commodément assis dans sa stalle ; où on lisait Anciens et Modernes couché sur son lit de repos comme Horace pendant la canicule, ou étendu sur son sofa comme Gray, en se disant qu’on avait mieux que les joies du Paradis ou de l’Olympe ; le temps où l’on se promenait à l’ombre en lisant, comme ce respectable Hollandais qui ne concevait pas, disait-il, de plus grand bonheur ici-bas à l’âge de cinquante ans que de marcher lentement dans une belle campagne, un livre à la main, et en le fermant quelquefois, sans passion, sans désir, tout à la réflexion de la pensée ; le temps où, comme le Liseur de Meissonier, dans sa chambre solitaire, une après-midi de dimanche, près de la fenêtre ouverte qu’encadre le chèvrefeuille, on lisait un livre unique et chéri ?

1341. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [V] »

Le fait est que la mémoire ou (pour entrer dans la donnée mythologique) que l’Ombre de Napoléon n’a eu à se plaindre d’aucun des écrits de Jomini.

1342. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. EUGÈNE SCRIBE (Le Verre d’eau.) » pp. 118-145

Molière est né sous les piliers des halles ; Boileau dans la Cité, à l’ombre du Palais de Justice ; et Béranger a joué avec les écailles d’huîtres de la rue Montorgueil.

1343. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. CHARLES MAGNIN (Causeries et Méditations historiques et littéraires.) » pp. 387-414

Pourtant, encore une fois, c’est moins au nom de cette perspective, toujours si pâle et si mêlée d’ombres, qu’il faut s’adresser au vrai critique et le convier à ne pas cesser ; la vérité voilà ce qui l’inspire, la vérité littéraire, le plaisir de la dire avec piquant ou avec détour, l’amour d’une étude courante et animée.

1344. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « HISTOIRE DE LA ROYAUTÉ considérée DANS SES ORIGINES JUSQU’AU XIe SIÈCLE PAR M. LE COMTE A. DE SAINT-PRIEST. 1842. » pp. 1-30

Ni le glaive ni les édits n’avaient pu dissiper le prestige charmant de ce panthéisme rural, immortalisé par Hésiode et par Virgile : l’Ager romanus, les vallons de l’Arcadie ou de la Sabine, conservèrent longtemps ces fêtes gracieuses où Pan et Palès, à l’ombre des platanes, au bruit des fontaines murmurantes, recevaient la brebis marquée de cinabre et la fleur de pur froment.

1345. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE PONTIVY » pp. 492-514

Un jour qu’ils étaient à une grande fête de Sceaux (quand la duchesse du Maine, dans les années qui suivirent sa prison, eut rouvert sa cour), la soirée avait été belle ; la nuit étoilée repoussait de sa blancheur les flambeaux qui luttaient avec elle d’éclat ; les promenades s’étaient prolongées tard dans les parterres, au bruit des orchestres voilés, et les couples fuyants et reparus, les clartés scintillantes dans le feuillage, les douces bizarreries des ombres sur les gazons, devenaient une magie complète où ne manquait pas le concert des deux amants.

1346. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Pierre Corneille »

Les grands hommes eux-mêmes contribuent souvent à fortifier cette double illusion par leur façon d’agir : jeunes, inconnus, obscurs, ils s’effacent, se taisent, éludent l’attention et n’affectent aucun rang, parce qu’ils n’en veulent qu’un, et que, pour y mettre la main, le temps n’est pas mûr encore ; plus tard, salués de tous et glorieux, ils rejettent dans l’ombre leurs commencements, d’ordinaire rudes et amers ; ils ne racontent pas volontiers leur propre formation, pas plus que le Nil n’étale ses sources.

1347. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Le comte de Ségur »

Ce que ne gardèrent pas moins, en général, les personnages de cette époque et de ce rang qui survécurent et dont la vieillesse honorée s’est prolongée jusqu’à nous, c’est une fidélité remarquable, sinon à tous les principes, du moins à l’esprit des doctrines et des mœurs dont s’était imbue leur jeunesse ; c’est le don de sociabilité, la pratique affable, tolérante, presque affectueuse, vraiment libérale, sans ombre de misanthropie et d’amertume, une sorte de confiance souriante et deux fois aimable après tant de déceptions, et ce trait qui, dans l’homme excellent dont nous parlons, formait plus qu’une qualité vague et était devenu le fond même du caractère et une vertu, la bienveillance.

1348. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre II. Clément Marot »

… Sous bel ombre, en chambre et galeries Nous pourmenans, livres et railleries.

1349. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XIII. Retour de Molière à Paris » pp. 225-264

— Lasciamo quest’ ombre.

1350. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre douzième. »

Je ne les note point comme des progrès du bien au mieux dans un genre, mais comme des beautés d’un même fonds, dont aucune ne fait ombre à l’autre.

1351. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Il apportait avec lui tout le trésor de sa poésie dans un cœur de vingt ans, et dans un esprit fécond autour duquel veillaient le souvenir de sa mère et les ombres vénérées des maîtres immortels.

1352. (1911) La valeur de la science « Troisième partie : La valeur objective de la science — Chapitre X. La Science est-elle artificielle ? »

Le second cas pris pour exemple est celui d’une éclipse où le phénomène brut est un jeu d’ombre et de lumière, mais où l’astronome ne peut intervenir sans apporter deux éléments étrangers, à savoir une horloge et la loi de Newton.

1353. (1900) Poètes d’aujourd’hui et poésie de demain (Mercure de France) pp. 321-350

Ils se demandaient où étaient les robes éclatantes qu’elle portait au temps des Romantiques, les colliers et les joyaux qu’avaient ciselés pour elle les bons artisans du Parnasse et, à la voir ainsi enveloppée de voiles mouvants et nombreux, ils pensaient n’avoir devant eux que son ombre vaine, oubliant qu’il suffisait d’écarter ces voiles pour retrouver derrière leurs plis le visage éternel de celle qui ne meurt pas.

1354. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Huet, évêque d’Avranches, par M. Christian Bartholmèss. (1850.) » pp. 163-186

Les objets du dehors qui se présentent aux yeux ne sont vus que du côté de l’ombre, qui en dérobe tout l’agrément.

1355. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chansons de Béranger. (Édition nouvelle.) » pp. 286-308

Pour couper court avec ceux qui se souviendraient que j’ai autrefois, il y a plus de quinze ans, fait un Portrait de Béranger tout en lumière et sans y mettre d’ombre, je répondrai que c’est précisément pour cela que je veux le refaire.

1356. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Gil Blas, par Lesage. (Collection Lefèvre.) » pp. 353-375

Le Diable boiteux précède très bien les Lettres persanes, mais il les précède d’un pas léger, sans aucune prétention au trait et sans fatigue ; il n’y a pas l’ombre de manière dans Lesage.

1357. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame Émile de Girardin. (Poésies. — Élégies. — Napoline. — Cléopâtre. — Lettres parisiennes, etc., etc.) » pp. 384-406

Vois les ombres de l’oubli répandues sur la trace de chaque idole qui s’en est allée.

1358. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame de La Vallière. » pp. 451-473

Aimer pour aimer, sans orgueil, sans coquetterie, sans insulte, sans arrière-pensée d’ambition, ni d’intérêt, ni de raison étroite, sans ombre de vanité, puis souffrir, se diminuer, sacrifier même de sa dignité tant qu’on espère, se laisser humilier ensuite pour expier ; quand l’heure est venue, s’immoler courageusement dans une espérance plus haute, trouver dans la prière et du côté de Dieu des trésors d’énergie, de tendresse encore et de renouvellement ; persévérer, mûrir et s’affermir à chaque pas, arriver à la plénitude de son esprit par le cœur, telle fut sa vie, dont la dernière partie développa des ressources de vigueur et d’héroïsme chrétien qu’on n’aurait jamais attendues de sa délicatesse première.

1359. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — II. (Lettres écrites du donjon de Vincennes.) » pp. 29-50

C’est l’honneur, disons-le hautement, c’est le rachat moral de Mirabeau d’avoir ainsi souffert, d’avoir été homme en tout, non seulement par ses fautes, par ses entraînements, et, nommons les choses à regret, par ses vices, mais aussi par le cœur et par les entrailles ; d’avoir été pauvre et d’avoir su l’être ; d’avoir été père et d’avoir pleuré ; d’avoir été laborieux comme le dernier des hommes nouveaux ; d’avoir été captif et persécuté, et de n’avoir point engendré le désespoir, de ne s’être point aigri ; d’avoir prouvé sa nature ample et généreuse en sortant de dessous ces captivités écrasantes, à la fois dans toute sa force et dans toute sa bonté et même sa gaieté, ni énervé, ni ulcéré, sans ombre de haine, mais résolu à conquérir pour tous, à la clarté des cieux, les droits légitimes et les garanties inviolables de la société libre et moderne.

1360. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Hégésippe Moreau. (Le Myosotis, nouvelle édition, 1 vol., Masgana.) — Pierre Dupont. (Chants et poésies, 1 vol., Garnier frères.) » pp. 51-75

Enfant, j’ai bien souvent, à l’ombre des buissons, Dans le langage humain traduit ces vagues sons ; Pauvre écolier rêveur et qu’on disait sauvage, Quand j’émiettais mon pain à l’oiseau du rivage, L’onde semblait me dire : « Espère !

1361. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mademoiselle de Scudéry. » pp. 121-143

Or, il y est dit : « Quant aux romans, Cassandre fut estimé pour la délicatesse de la conversation ; Cyrus et Clélie, pour la magnificence de l’expression et la grandeur des événements. » Ce qui nous avertit qu’il ne faut pas, après deux siècles, venir tout d’un coup magnifier l’importance et célébrer la grandeur des événements, tels qu’on les trouve rapportés dans ces romans de société et de ruelle : l’Ombre de Chapelle en sourirait.

1362. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame Necker. » pp. 240-263

Ainsi, loin de regretter le monde qui nous fuit, nous le fuyons à notre tour ; nous échappons à des intérêts qui ne nous atteignent déjà plus ; nos pensées s’agrandissent comme les ombres à l’approche de la nuit, et un dernier rayon d’amour, qui n’est plus qu’an rayon divin, semble former la nuance et le passage des plus purs sentiments que nous puissions éprouver sur la terre à ceux qui nous pénétreront dans le ciel.

1363. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « L’abbé Maury. Essai sur l’éloquence de la chaire. (Collection Lefèvre.) » pp. 263-286

Ce que j’en veux seulement conclure, c’est que cette nature impétueuse et improvisatrice s’était gâtée alors en abondant sans mesure dans son propre sens, et qu’elle ne perdait en aucun sujet cette habitude de parler à tout propos et quand même, de prendre les choses grosso modo et de s’en tenir aux à-peu-près, sauf à revêtir le tout d’une draperie oratoire ; et il n’y avait plus même ombre de draperie quand il causait familièrement.

1364. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Rivarol. » pp. 62-84

Mais le côté social du Rivarol de la fin est trop resté dans l’ombre : il m’était très bien indiqué en peu de mots dans l’article de M. 

1365. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Histoire » pp. 179-240

Elle représentera cet âge sur son théâtre même, au milieu de ses entours, assis dans ce monde de choses, auquel un temps semble laisser l’ombre et comme le parfum de ses habitudes.

1366. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre premier. La solidarité sociale, principe de l’émotion esthétique la plus complexe »

Pour comprendre le rayon de soleil, il faut vibrer avec lui ; il faut aussi, avec le rayon de lune, trembler dans l’ombre du soir ; il faut scintiller avec les étoiles bleues ou dorées ; il faut, pour comprendre la nuit, sentir passer sur nous le frisson des espaces obscurs, de l’immensité vague et inconnue.

1367. (1888) La critique scientifique « La critique et l’histoire »

Que l’on conçoive un travail psychologique, historique, littéraire de cette sorte, accompli parfaitement pour l’art, les artistes et les admirateurs dans une époque, dans un peuple ; que l’on sache celui-ci divisé par un procédé approximatif, en une série de types intellectuels et de similaires, à constitution déterminée par termes scientifiques précis : que ces types soient connus et posés comme des hommes vivants et en chair, ces foules comme des agrégats tumultueux, vivants, animés, logés, vêtus, gesticulant, ayant une conduite, une religion, une politique, des intérêts, des entreprises, une patrie, — qu’à ces groupes ainsi déterminés et montrés, on associe, si l’histoire en porte trace, cette tourbe inférieure ne participant ni à l’art ni à la vie luxueuse ou politique communeee, et dont on peut vaguement soupçonner l’être, par le défaut même des aptitudes reconnues aux autres classes ; que l’on condense enfin cette immense masse d’intelligence, de cerveaux, de corps, qu’on la range sous ses chefs et ses types, on aura atteint d’une époque ou d’un peuple la connaissance la plus parfaite que nous puissions concevoir dans l’état actuel de la science, la plus profonde pénétration dans les limbes du passé, la plus saisissante évocation des légions d’ombres évanouies.

1368. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XII] »

Les ombres, d’un rouge mêlé de noir, sont également épaisses depuis le haut jusqu’au bas de la figure, et conséquemment ne font point fuir les objets.

1369. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Plan, d’une université, pour, le gouvernement de Russie » pp. 433-452

C’est que rien ne lutte avec tant d’opiniâtreté contre l’intérêt public que l’intérêt particulier ; c’est que rien ne résiste plus fortement à la raison que les abus invétérés ; c’est que la porte des compagnies ou communautés est fermée à la lumière générale qui fait longtemps d’inutiles efforts contre une barrière élevée pendant des siècles ; c’est que l’esprit des corps reste le même tandis que tout change autour d’eux ; c’est que de mauvais écoliers se changeant en mauvais maîtres, qui ne préparent dans leurs écoliers que des maîtres qui leur ressemblent, il s’établit une perpétuité d’ignorance traditionnelle et consacrée par de vieilles institutions ; tandis que les connaissances brillent de toutes parts, les ombres épaisses de l’ignorance continuent de couvrir ces asiles de la dispute bruyante et de l’inutilité.

1370. (1860) Ceci n’est pas un livre « Hors barrières » pp. 241-298

En rhétorique, il haïssait et jalousait le premier ; à ***, il hait et jalouse Jacques Monleau, qui lui fait ombre de sa large personnalité.

1371. (1920) Action, n° 4, juillet 1920, Extraits

Au chef futuriste dont les audaces me divertissaient s’était joint comme un antagoniste nécessaire le plus lauré des fantômes, l’ombre énorme et désuète de M. 

1372. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre X. Première partie. Théorie de la parole » pp. 268-299

Elle choisit son temps pour paraître, et, si cela lui convient, pour se réfugier ensuite dans l’ombre comme une courtisane.

1373. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pommier. L’Enfer, — Colifichets. Jeux de rimes. »

Ce n’est pas sans dessein qu’il a pris Virgile pour conducteur et pour maître dans ces ombres où l’Énéide se reflète comme un demi-jour.

1374. (1868) Curiosités esthétiques « VII. Quelques caricaturistes français » pp. 389-419

Les ombres sont noires et nettes.

1375. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre IV. Le rêve »

Les paupières ont beau être closes, l’œil distingue encore la lumière de l’ombre et reconnaît même, jusqu’à un certain point, la nature de la lumière.

1376. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre II. Réalité des idées égalitaires »

Et ce seraient les pensées de ce mystère, les rêves de cette ombre, qui seules mériteraient le titre d’idées sociales ?

1377. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Première série

Mieux sauvé que les morts et plus inaccessible, Tu ne sortiras pas de l’ombre ou je dormais ! […] Et ailleurs : Il me semble que ce que j’appelle l’école intime, intérieure, domestique, va disparaître… Assez d’ombres, assez de demi-jour, assez de ciels du Nord ont été peints depuis trois siècles, pour ne vous parler que de peinture. […] La maison de la rue de Choiseul devient un « temple » où d’infâmes mystères s’accomplissent dans l’ombre. […] Ce ventre « lui semble jeter son ombre sur la propreté froide de la cour… et emplir l’immeuble d’une chose déshonnête dont les murs gardent un malaise — « Dans les commencements, explique-t-il, ça se voyait à peine ; c’était possible ; je ne disais trop rien. […] Ou bien faut-il prendre des airs, comme Théophile Gautier dans une préface connue, conspuer les pudeurs bourgeoises, les vertus rances et les chastetés suries, déclarer que les gens convenables sont toujours laids et font d’ailleurs des horreurs dans l’ombre, proclamer le droit de l’artiste à l’indécence et dire sérieusement que l’art purifie tout ?

1378. (1920) Impressions de théâtre. Onzième série

Lui accorder une ombre de liberté, soit matérielle, soit morale, serait d’une extrême imprudence. […] Mon vieil ami Baliveau voudrait une lettre de cachet pour mettre à l’ombre un coquin de neveu. […] L’ombre fuit : tout renaît. […] On voit, des demi-ténèbres, émerger de petites ombres. […] Pourtant, ils ont recité leurs rôles sur le ton de mélopée uniforme qui convenait ici, et avec des voix d’ombre, autant qu’ils ont pu.

1379. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Alexis Piron »

Au même docteur Maret, à la date du 2 août 1769, il écrivait encore, mais d’un ton plus désespéré, et de plus en plus assombri ; car chaque année, quoiqu’il regimbât de son mieux, lui apportait un peu plus d’ombre : « Encore si, ne pouvant plus écrire, j’avais du moins ici la consolation de savoir à qui parler et de m’entretenir de vous, de vos nouvelles littéraires, de notre fervente ( ?) […] On remarqua que de MM. les Quarante, qui tous avaient été invités, aucun ne se trouva à son enterrement. « C’est qu’ils ont encore peur, même de son Ombre », dit un malin.

1380. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre premier. — Une leçon sur la comédie. Essai d’un élève de William Schlegel » pp. 25-96

Qu’on veuille bien y réfléchir ; ne sommes-nous pas enclins à croire qu’il n’y a pas de disposition vraiment sérieuse sans une ombre marquée de tristesse, et que le rire qui éclate sur les lèvres d’un homme ou dans les pages d’un livre est un signe non équivoque de gaieté ? […] C’est l’hôte d’un monde ancien et fantastique, qui de loin en loin vient visiter notre vie lasse et désenchantée, traverse notre ombre d’un rayon de lumière et remonte au ciel avec la poésie.

1381. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins » pp. 185-304

Et quand j’aurais tenté ce contresens à moi-même, l’aurais-je pu accomplir avec l’ombre de succès un peu durable ? […] C’est là l’épreuve de l’immoralité et de la perversité des coalitions, c’est que leur seule œuvre est de saper et de ruiner un gouvernement, sans pouvoir en édifier même l’ombre avec les débris de ce qu’elles renversent.

1382. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XI : Distribution géographique »

L’océan serait entré en ébullition, et dans l’ombre, dans les ténèbres, tous les êtres vivants eussent été réduits à l’état de marrons ou de homards cuits en vases clos, ce qui serait bien loin d’expliquer la grande extension des glaciers. […] Que serait-elle donc devenue, puisqu’elle a cessé de de nous faire ombre et de nous cuire ?

1383. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion dynamique »

Une imperceptible inquiétude, qui planait sur l’extase, descend et s’attache à elle comme son ombre. […] Habituée pour un temps à l’éblouissante lumière, elle ne distingue plus rien dans l’ombre.

1384. (1927) Des romantiques à nous

Quelle peine trouvez-vous à déverser dans un trou d’ombre, auquel vous n’avez pas à confier votre nom et où tout s’ensevelit pour ne jamais remonter au jour, le récit de vos plus lamentables faiblesses et de vos pires turpitudes ? […] Ses appréciations éparses sur Victor Hugo se résument, se composent en un jugement d’ensemble équilibré, pondéré, non moins attentif aux mérites qu’aux défauts, aux splendeurs qu’aux ombres. […] Des lecteurs subjugués expriment à l’écrivain un sentiment d’enthousiasme, ou plutôt d’extase quasi-religieuse, que n’ombre aucune réserve : « Mme de Verdelin soutient que Julie est une femme incomparable et que vous êtes un homme divin. […] La perte de ce compagnon si cher de toute ma vie répand sur cette terre béarnaise qui nous réunissait, où nous courions au devant l’un de l’autre, une ombre qu’aucune lumière ne dissipera.

1385. (1890) Le massacre des amazones pp. 2-265

Cécile admire haineusement cette femme fatale et incompréhensible, « toujours sur la brèche du caprice », « petite âme de Slave à la fois cruelle et dominatrice », « figure muette sans écho », qui « devait planer comme une ombre » et qui « avait dû boire le lait d’une tigresse ». […] Je me contente d’indiquer ce vers où les r roulent plus drus que dans Leconte de Lisle : Pour voir leur ombre errer au ras des flots encor. […] Mais elle donne la nostalgie de Théophile Gautier, adorable rivière à la fois claire et clapotante, au mouvement nombreux et sinuant et qui reflète tant de nuages chimériques comme des rêves, tant de paysages précis, tant de frémissements d’ombre et tant de rayons. […] Si Mme Pognon n’est pas une simple ambitieuse, je m’étonne de la voir, si peu réaliste, oublier la proie pour l’ombre et ne point réclamer l’affranchissement des deux sexes. […] L’Académie a justement récompensé cet effort pour se renouveler : elle a couronné Jacques Germain, ombre de livre élégant, petit-fils anémié de telle idylle de George Sand.

1386. (1908) Jean Racine pp. 1-325

À peine, dans cette conception qui donne tout à Dieu, le jansénisme peut-il sauver verbalement une ombre de liberté humaine. […] Auprès de cette grotte sombre Où l’on respire un air si doux, L’onde lutte avec les cailloux Et la lumière avecque l’ombre. […] L’ombre de cette fleur vermeille Et celle de ces joncs pendants Paraissent être là-dedans Les songes de l’eau qui sommeille. […] Et ces trois déments font d’autant mieux ressortir la beauté morale de la divine Andromaque, dont les deux amours — le conjugal et le maternel — sont purs, sages et « dans l’ordre » ; le premier d’autant plus pur qu’il s’adresse à un souvenir, à une ombre. […] Et, tandis qu’ils s’agitent dans cette ombre funèbre, nous avons l’impression que quelqu’un des esclaves noirs qu’on voit glisser au fond de la scène conclura le drame.

1387. (1922) Le stupide XIXe siècle, exposé des insanités meurtrières qui se sont abattues sur la France depuis 130 ans, 1789-1919

Ils se ruaient à l’insanité avec une sorte d’allégresse et de défi, entraînant derrière eux ces stagnants, qui ont peur des mots et de leur ombre, peur de leurs contradicteurs, peur d’eux-mêmes. […] Le but de la psychologie est de tirer en pleine lumière précisément ce qui, sans elle, demeurerait dans la pénombre, ou dans l’ombre. […] De même, Manet et Monet ont peint des ombres colorées, comme elles le sont en effet par les journées de soleil, où tout se combine de violet et d’or. […] De 1830 à 1880, il fut entendu, convenu, réglé que l’ombre était grise et que le soleil consistait dans une bande jaune. […] Pour Michelet, la « Bible de l’Humanité » est ainsi constituée par une série de révélateurs, d’entraîneurs de masses, s’avançant, du fond de cette ombre, qui est le passé, vers cette lumière, qui est l’avenir.

1388. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — II. (Fin.) » pp. 180-203

Il désavoue toute autre passion antérieure récente, et celle même de Rome qui a fait de l’éclat : « Ne soyez plus jalouse de la princesse de Hanovre, je n’ai jamais rien senti pour elle qui approche de ce que je sens pour vous. » Si on avait à être jalouse de quelqu’un, ce serait du seul souvenir et de l’ombre de Marianne : La mort et bien des années ne pouvaient, sans vous, effacer de mon cœur le seul amour qu’il ait jamais senti avant que de vous aimer ; il durerait encore si je ne vous avais point connue : je ne sais pas même si tout celui que j’ai pour vous l’a bien éteint ; et, si vous avez à être jalouse, c’est de cet amour que vous devez l’être.

1389. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de la Mennais (suite et fin.)  »

Loin de m’applaudir du succès de mon livre, j’y vois la ruine du seul bien qui me restait pour me rendre la vie supportable, une profonde obscurité ; et je ne me connais pas seulement l’ombre d’une petite consolation. » Il répète le même refrain presque dans chaque lettre.

1390. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

« Il a rencontré dans l’escalier une jeune ombre qu’il a prise pour Kitty-Bell, — voilà tout.

1391. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres mêlées de Saint-Évremond »

L’amitié, ne l’oublions pas, aime avant tout l’ombre et les sentiers.

1392. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. EUGÈNE SUE (Jean Cavalier). » pp. 87-117

Enfin cette révolte désespérée produisit son homme, son héros, héros assez équivoque sans doute, figure peu achevée et très-mêlée d’ombre, mais par cela même un commode personnage de roman, Jean Cavalier.

1393. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « UNE RUELLE POÉTIQUE SOUS LOUIS XIV » pp. 358-381

La chasse court, le cerf fuit, le cor sonne : Pour prolonger ce que l’ombre pardonne, Vous ménagiez le feuillage aux, berceaux, Doux Vents d’automne !

1394. (1875) Premiers lundis. Tome III «  À propos, des. Bibliothèques populaires  »

. — Entre lui et moi, il n’y a pas dans tout ceci une ombre de question ou de cause ; il n’y a qu’une offense, dont je poursuis la réparation.

1395. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

Derrière Alexandre s’élevait encore l’ombre de la Grèce.

1396. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Introduction »

ce n’est pas assez d’avoir juré, que dans les limites de son existence, de quelque injustice, de quelque tort qu’on fut l’objet, on ne causerait jamais volontairement une peine, on ne renoncerait jamais volontairement à la possibilité d’en soulager une ; il faut essayer encore si quelque ombre de talent, si quelque faculté de méditation ne pourrait pas faire trouver la langue, dont la mélancolie ébranle doucement le cœur, ne pourrait pas aider à découvrir, à quelle hauteur philosophique les armes qui blessent n’atteindraient plus.

1397. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre premier. De l’illusion » pp. 3-31

Si vous avez l’imagination nette et si, tranquille au coin de votre feu, vous vous laissez absorber par cette rêverie, vous verrez bientôt les moires luisantes de la surface, les feuilles jaunâtres ou cendrées qui descendent le courant, les faibles remous qui font trembler les cressons, la grande ombre froide des deux files d’arbres ; vous entendrez presque le chuchotement éternel des hautes cimes et le vague bruissement de l’eau froissée contre ses bords.

1398. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIIe entretien. Poésie sacrée. David, berger et roi » pp. 225-279

Ces arbres rares gardent un pan de leur ombre aux troupeaux sur ce sol calciné.

1399. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLIXe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

sous son ombre propice, la lyre de Phœbus rendait des sons plus touchants, la voix du poëte se modulait en accents plus remplis de charme.

1400. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre III. Littérature didactique et morale »

Celui-là a aimé la lumière, les eaux, les fleurs, les ombrages ; il a noté quelque part, sans ombre de libertinage, les blancheurs de « la chair lisse ».

1401. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre II. La jeunesse de Voltaire, (1694-1755) »

A travers cet éblouissement, comment remarquer une ombre qui passe ?

1402. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre IV. Le théâtre romantique »

Rien de plus anodin que sa Petite Ville (1801), délayage d’un mot de La Bruyère : et quant aux trop fameux Ricochets (1807), le ressort « psychologique » joue avec la précision d’un jouet mécanique : il n’y a pas là ombre de vie ni de vraisemblance.

1403. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre neuvième »

En s’occupant plus des sciences curieuses et des beaux-arts que des compagnies de commerce maritime, Colbert avait pris, disait-on, l’ombre pour le corps.

1404. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre douzième »

On les exerce, en septembre, au maniement des armes à feu et aux manœuvres de la tactique des Grecs ; on les fait dormir sur l’herbe, « à l’ombre des forêts. » Les maîtres des Écoles de la patrie ne prennent pas la qualification de maîtres ni de docteurs, comme dure et orgueilleuse ; leurs noms, tirés du grec, signifient les amis de l’enfance, les pères de la patrie.

1405. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Appendice »

J’ai été d’ailleurs surpris de la bonté cordiale et franche que j’ai trouvée en ces jeunes gens : je puis dire que je n’ai pas eu en cette maison une ombre de désagrément et que j’ai éprouvé de sincères regrets, en la quittant.

1406. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre VIII »

Voici la cour du château ; moitié ferme et moitié donjon, avec ses tours en pigeonniers tapissées de lierre ; une table rustique, reluisante de plats et de pintes d’étain, se dresse, à l’ombre des grands châtaigniers.

1407. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de Pompadour. Mémoires de Mme Du Hausset, sa femme de chambre. (Collection Didot.) » pp. 486-511

C’est dans ce sens surtout qu’il y eut scandale ; la grande ombre de Louis XIV fut invoquée.

1408. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chateaubriand homme d’État et politique. » pp. 539-564

Et il ajoute, parlant toujours des femmes et de l’amour : Quand vous vous desséchez sur le cœur qui vous aime, Ou que ce cœur flétri se dessèche lui-même ; Quand le foyer divin qui brûle encore en nous Ne peut plus rallumer la flamme éteinte en vous, Que nul sein ne bat plus quand le nôtre soupire, ………………………………………………… Alors, comme un esprit exilé de sa sphère Se résigne en pleurant aux ombres de la terre, Détachant de vos pas nos yeux voilés de pleurs, Aux faux biens d’ici-bas nous dévouons nos cœurs.

1409. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — I. (Dialogues inédits.) » pp. 1-28

Le marquis n’eut pas l’ombre d’un soupçon : il le plaignit, il discuta tous les détails de son récit, et me laissa dans l’admiration, etc., etc., etc.

1410. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1879 » pp. 55-96

Samedi 1er novembre Vierge un dessinateur du plus grand talent, l’unique illustrateur de l’heure présente, mais en ce moment sur la pente de l’ombre chinoise.

1411. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vi »

Pas l’ombre de difficultés dans le premier manifeste où les socialistes se sont montrés et qui fut lancé en décembre 1914.

1412. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre x »

Mais je crois entendre avec émerveillement cette jeune bouche d’ombre.

1413. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre I. La conscience et la vie »

Mais supposons même que le métaphysicien ne lâche pas ainsi la philosophie pour la critique, la fin pour les moyens, la proie pour l’ombre.

1414. (1898) Émile Zola devant les jeunes (articles de La Plume) pp. 106-203

Vous osez projeter cette ombre terrible sur les esprits les plus clairs, troubler de cette équivoque des intelligences jusque-là lucides et qui, angoissées par vos audacieuses affirmations, peuvent se laisser un instant détourner de l’accomplissement du grand devoir qu’elles ont assigné à leur activité, la défense du prolétariat travaillant et souffrant ! […] Mais, voyez-vous, mon cher critique, on l’a dit excellemment, — et c’est la sagesse des poètes qui l’affirme : Il n’y a que de beaux vers et de mauvais vers, — il n’y a que de bons et de mauvais écrivains que l’on reconnaît à leur don d’exprimer la vie, créée en eux, reflétée, ou vue simplement à travers leur tempérament particulier, — car les idées évoluant selon l’ombre ou la lumière des âges sont communes à tous les hommes, et le génie se révèle par l’empreinte qu’il laisse au front des mots choisis pour les formuler !

1415. (1911) Nos directions

Mais tandis que le vieux Parnasse, ainsi qu’une ombre flasque se traînait, roi pompeux d’un royaume d’ombres, le Réalisme alors magnifié par vingt romanciers, prôné par autant de critiques, semblait vivre de la plus authentique des vies, de la plus saine, de la plus riche, de la plus organique, — et on l’eût pris pour l’Art, s’il n’eût été si près de la Science, et si semblable à la Critique. […] Car le signe d’un art décadent, ce n’est pas l’anarchie, l’impatience de créer autrement, la folie, mais bien précisément cette sagesse moutonnière qui se réfugie dans le souvenir d’une perfection révolue, qui s’exténue à en évoquer l’ombre, qui use monotonement chaque touche d’un instrument déjà usé. […] Je cite encore : L’ombre de trois cyprès sur le gazon progresse, Et tandis qu’au lointain s’argente un ciel de Grèce, Près d’une eau qui s’égoutte en creusant des viviers, Les dieux se sont assis dans un bois d’oliviers. […] Toutes ces œuvres ont été publiées à la fin des années 1890, en pleine crise des valeurs symbolistes ; Émile Verhaeren, Les Visages de la vie : 1899 ; Gustave Kahn, Livre d’images : 1897 ; Vielé-Griffin, La Clarté de vie : Chansons à l’ombre ; Au gré de l’heure ; « In memoriam » ; En Arcadie : 1897 ; Ghéon fait allusion à La Chanson d’Ève dans ses « Notes sur le drame poétique » : voir supra.

1416. (1873) Molière, sa vie et ses œuvres pp. 1-196

On le trouvait surtout admirable dans l’Ombre du père d’Hamlet, et, à dire vrai, il ne faut pas être médiocre pour interpréter un tel personnage. […] Ce qu’il leur faut à présent, c’est le silence et l’ombre. […] » Brave et excellent, il écrivit L’Ombre de Molière, imprimée à la suite des œuvres du maître. […] Cette édition contient L’Ombre de Molière, de Brécourt. — La tradition relative au grand-père de Molière est sans doute apocryphe.

1417. (1902) Le critique mort jeune

Chères montagnes, tantôt voilées dans les nuages, tantôt couchées au ras des flots, tantôt groupées comme des Mauresques au cimetière, mais jamais sèches ni dures, et que vers le soir, les ombres vêtent des plus souples velours ! […] Vaincus par ces grandes magies, nous avions perdu toute notion du réel, quand des taches graves apparurent, grandirent sur l’eau, puis nous prirent dans leur ombre. […] Son existence semblait circonscrite d’avance comme l’ombre au vieux cadran de pierre où son père avait aimé jadis à voir tourner l’heure au soleil. » Ce n’est pas que les mots soient mal choisis, que les épithètes ne soient justes. […] Cette « peur de vivre » qui nous rend semblables à ces tristes ombres « qui vécurent sans blâme et sans louanges » et que Dante a marquées d’un mépris immortel, c’est le mal auquel M. 

1418. (1932) Les idées politiques de la France

Mais en ce qui concerne le second, la question du libéralisme est posée au minimum, puisque le libéralisme envers les personnes ne représente qu’une forme pâle, une ombre timide de la charité chrétienne, et que, le corps de la charité paraissant à la lumière de Dieu, l’ombre ne peut que suivre le corps. […] Première raison : à droite, une société de pensée sera plus ou moins une ombre ou timide ou fantaisiste de la grande société de pensée qu’est l’Église catholique (la condamnation de l’Action française montre quel sort attend à droite une société de pensée qui n’est pas assez catholique pour éviter les censures et qui l’est trop pour n’être pas grièvement blessée par elles). […] Voici l’ombre de Chateaubriand !

1419. (1891) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Quatrième série

Non pas qu’elles en aient dissipé toutes les ombres ; et, au contraire, je dirais volontiers qu’elles en ont épaissi quelques-unes ; mais, du milieu de ces ombres mêmes, elles ont dégagé ce qu’il nous fallait uniquement savoir. […] Mais, en religion, c’est bien autre chose encore, et, en isolant, comme il faisait, en reléguant, pour ainsi dire, les vérités de la foi dans l’ombre du sanctuaire, Descartes, selon l’expression du temps, « faisait encore pour eux ». […] On sait, au surplus, que le style de Descartes, un peu long et traînant, sans relief ni couleur, sans creux, pour ainsi parler, et sans ombres, toujours également éclairé de la même lumière18, n’ayant aucune des qualités qui forcent l’attention, n’en avait aucune aussi de celles qui attirent les imitateurs. […] « Va, va, Pascal, laisse-moi faire — écrivait Voltaire dans une lettre bien connue à son ami d’Argental, au lendemain même de la publication de ses Lettres philosophiques, — tu as un chapitre sur les prophéties où il n’y a pas l’ombre de bon sens ; … attends, attends !  […] Toutes ces considérations de droit public et de jurisprudence, toutes ces matières de politique et d’économie, la théorie des gouvernements comme celle du change, ou l’interprétation des lois civiles comme celle des lois pénales, enfouies jusque-là dans les livres savants et spéciaux des Cujas ou des Barthole, des Grotius ou des Puffendorf, des Domat ou des Pithou, l’Esprit des lois, pour la première fois, les faisait sortir de l’enceinte étroite des écoles, de l’ombre des bibliothèques, et, les mettant à la portée de tous, accroissait ainsi le domaine de la littérature de toute une vaste province de celui de l’érudition.

1420. (1910) Études littéraires : dix-huitième siècle

De ces histoires si nombreuses, si diverses, aucune ne dépasse le personnage, ne l’absorbe, ne le noie dans son ombre. […] Cela leur fait un peu de tort : ils n’ont pas de belles oraisons funèbres, ni, ce qui est plus flatteur encore pour une ombre, de batailles sur leurs tombeaux. […] Il l’était, dit-on, de caractère, par sa sensibilité, sa susceptibilité très vive, une certaine timidité, l’absence d’énergie et de persévérance, une grande bonté et une grande douceur dans une sorte de nonchalance, et après des caprices d’ambition, des retours vers l’ombre et le repos. […] Vauvenargues a de ce travers ; Massillon aussi ; Le Sage n’en a pas l’ombre. […] Il n’y a chez lui aucun art de « composition », j’entends de composition factice, il n’y a pas l’ombre de « métier ».

1421. (1890) Impressions de théâtre. Quatrième série

Des lamentations comme celle-ci : « Le bonheur, une ombre suffit à le détruire ; le malheur, un coup d’éponge humide, comme d’un trait, en efface le souvenir : amer oubli, plus amer que le malheur même » ; et des chants d’espérance et de joie comme ceux qui terminent les Euménides. […] « Elle ne sait pas qu’un des petits princes a été sauvé du massacre, et que le grand prêtre Joad l’élève dans l’ombre du sanctuaire. […] Aimes-tu dans la nuit sombre, Le murmure frémissant Des peupliers qui dans l’ombre Chuchotent avec le vent ? […] Allons, Mesdemoiselles, passez à l’ombre, rangez un peu vos voitures ! […] Cela, sans ombre d’hésitation ni de faiblesse.

1422. (1898) Essai sur Goethe

sur son cheval blanc : la lumière du jour l’entoure, et les mouvantes ombres aiguës l’accompagnent ! […] Mais là-bas, il y a une ombre ! […] Vous vous arrêterez à des phrases comme celles-ci : « Je voyage dans le désert où il n’y a point d’eau ; mes cheveux sont mon ombre, mon sang est ma source » ; ou bien : « Le jour du vendredi saint, je voulais creuser une tombe sacrée pour ensevelir la silhouette de Charlotte : elle est encore là, et elle y restera jusqu’à ce que je meure !  […] Dans l’ombre, je vis se dresser une fleurette, luisante comme les étoiles, belle comme de petits yeux. […] Il est à Tasse ce que Weislingen est à Gœtz, ce que Méphistophélès est à Faust, son complément, l’ombre inséparable qui dépend de lui, bien qu’elle semble le contredire ou même le railler : telle, dans la vieille légende, l’ombre moqueuse de Marcolf suivant le grave roi Salomon.

1423. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Werther. Correspondance de Goethe et de Kestner, traduite par M. L. Poley » pp. 289-315

Il me semble cette fois que l’ombre de Kestner lui-même y a souri, et qu’il a pardonné enfin sans aucune réserve à ce glorieux ami dont il devient, bon gré mal gré, le compagnon dans l’immortalité.

1424. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite et fin.) »

La sérénité de son ciel se voilait, les ombres avançaient et se projetaient devant lui, mais c’était par degrés qu’elles se faisaient, et elles laissaient place encore à quelques belles et bonnes heures.

1425. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [III] »

Tel sonnet commence magnifiquement : Pâles Esprits et vous Ombres poudreuses, Qui jouissant de la clarté du jour… etc.

1426. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Diderot »

Pourtant, dans un ouvrage qu’il composa durant sa vieillesse et peu d’années avant de mourir, l’Essai sur la Vie de Sénèque, il s’est plu à traduire le passage suivant d’une lettre à Lucilius, qui le transporte d’admiration : « S’il s’offre à vos regards une vaste forêt, peuplée d’arbres antiques, dont les cimes montent aux nues et dont les rameaux entrelacés vous dérobent l’aspect du ciel, cette hauteur démesurée, ce silence profond, ces masses d’ombre que la distance épaissit et rend continues, tant de signes ne vous intiment-ils pas la présence d’un Dieu ? 

1427. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Bruyère »

La chaleur modérée de tant de nobles œuvres, l’épuration continue qui s’en était suivie, la constance enfin des astres et de la saison, avaient amené l’atmosphère des esprits à un état tellement limpide et lumineux, que du prochain beau livre qui saurait naître, pas un mot immanquablement ne serait perdu, pas une pensée ne resterait dans l’ombre, et que tout naîtrait dans son vrai jour.

1428. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre II. Lois de la renaissance et de l’effacement des images » pp. 129-161

Quand j’imagine le monument, je retrouve bien les lignes qui toutes les fois sont demeurées les mêmes ; mais les coupures d’ombre et de lumière, les valeurs changeantes des tons, l’aspect du pavé grisâtre ou noirci, la bande du ciel au-dessus ; bleuâtre et vaporeuse dans un cas, charbonneuse et ternie dans un autre, tantôt d’un blanc enflammé, tantôt d’une pourpre sombre, bref, toutes les diversités qui, selon les moments divers, sont venues se joindre à la forme permanente, s’effacent mutuellement.

1429. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre II. De la rectification » pp. 33-65

. — Je suis couché bien tranquille à l’ombre d’une haie, écoutant de petits cris d’oiseaux et le long bruissement des insectes ailés qui, l’été, tourbillonnent dans l’air ; tout d’un coup il se fait un roulement lointain qui va s’enflant et, avec un grincement et un grondement furieux, arrive sur moi comme un tonnerre ; je sursaute, c’est un train de chemin de fer qui passe ; j’étais sans m’en douter à dix pas de la voie.

1430. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (3e partie) » pp. 5-56

Ce serait ainsi qu’une femme inspirée, une sainte Thérèse d’une religion pacifique et unanime, aurait à son insu laissé dans l’âme du philosophe sceptique et mobile de Genève la pensée de ce christianisme primitivement révélé par la conscience, encore sans ombre, à l’humanité, et destiné à réconcilier toutes les morales, tous les schismes et tous les cultes de l’esprit dans une lumière, dans une adoration et dans une charité communes.

1431. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXIXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (2e partie) » pp. 5-63

« Je m’étais déjà retourné mainte fois dans ma lente ascension, pour admirer ces merveilleux aspects qui s’étendent des montagnes de la Thrace et de l’Asie Mineure, des murs du sérail et des rivages de Chalcédoine, s’avançant sur leurs flancs et à leur ombre jusqu’aux rivages plus rapprochés de Calki et d’Antigone, fermant ainsi le cercle du lac le plus vaste et le plus azuré.

1432. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

« Le temps destructeur t’avait couvert de ses ombres affreuses ; la triste vieillesse s’était appesantie sur toi, et voici que tu reparais à nos yeux avec un visage aimable et riant, le front ceint de fleurs odorantes !

1433. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre IV. Racine »

Ariane, ma sœur, etc… La fille de Minos et de Pasiphaé… Moi-même, il m’enferma dans des cavernes sombres, Lieux profonds, et voisins de l’empire des ombres… Et tant d’autres vers, qui font que la tragédie s’élargit avec l’imagination du public, et devient apte à recevoir toutes les impressions que notre éducation archéologique et esthétique nous fait rechercher dans la représentation de l’antiquité.

1434. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre cinquième »

Mais ce n’étoit qu’une ombre Ne nous hâtons pas de plaindre Desportes il goûte tant de contentement à souffrir, qu’il ne craint rien plus que d’être sans tourment : Je fais un magasin de soucis et de peines.

1435. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre septième. »

Ce nombre infini de nuances dans les idées et de particularités dans les faits, cette curiosité insatiable, l’essentiel perdu dans le superflu, rien d’oublié, rien d’omis, et l’incertitude sur toutes choses offerte aux esprits comme l’ombre de cette liberté dont ils sont si jaloux, voilà d’où vient l’illusion de ces personnes.

1436. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre dixième. »

J’en crois voir quelques traits   ; mais leur ombre m’abuse70 .

1437. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quinzième. »

C’est le châtiment de la vanité qui fait écrire de telles lettres ; pour vouloir y briller, on laisse dans l’ombre ce qu’on a de meilleur.

1438. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 janvier 1886. »

c’est Charmant, mais qui recule Devant l’ombre d’un geste oublieux et moqueur… Les hochets promis à la Belle stagnent, frustes Pièges éventés, dans les ténèbres augustes.

1439. (1881) La psychologie anglaise contemporaine «  M. Georges Lewes — Chapitre I : L’histoire de la philosophie »

Lewes, n’a pas l’ombre d’une réponse à faire.

1440. (1863) Le réalisme épique dans le roman pp. 840-860

Et cependant aujourd’hui même, en secret, dans l’ombre, ils sont pratiqués encore, ces sacrifices exécrables1 ! 

1441. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XII, les sept chefs devant Thèbes. »

Ce spectre indomptable, c’est Capanée qui se croit toujours le damnéde Zeus, et ne distingue pas l’Enfer chrétien du Tartare : Et l’Ombre, s’apercevant que je parlais d’elle à mon maître, cria : « Tel je fus vivant, tel je suis mort. — Quand Jupiter fatiguerait son forgeron duquel, dans sa colère, il prit la foudre aiguë dont je fus frappé, à mon dernier jour, — et quand il fatiguerait l’un après l’autre tous ses noirs ouvriers de l’Etna en criant : Aide-moi, aide-moi, bon Vulcain !

1442. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Sieyès. Étude sur Sieyès, par M. Edmond de Beauverger. 1851. » pp. 189-216

Mais on peut dire, malgré ces résumés substantiels et judicieux, que, si le personnage public a donné sa formule, l’homme, chez Sieyès, ne nous apparaît que dans une sorte d’éloignement et d’ombre.

1443. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre troisième. La reconnaissance des souvenirs. Son rapport à l’appétit et au mouvement. »

Aussi le contraste s’établit-il tout seul entre la perspective d’images faibles constituant le passé et le tableau d’images vives constituant le présent, comme font contraste au grand soleil mon corps et son ombre, parce que les différences sont données ensemble et éclairées d’une même lumière.

1444. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre II : Examen critique des méditations chrétiennes de M. Guizot »

Dire qu’il faut laisser les querelles dans l’ombre parce que le temps n’est pas opportun, cela peut se comprendre, quand on a fait un choix, et que l’on sait à quoi s’en tenir ; mais ceux que l’on veut ramener, car je suppose que l’on n’écrit pas pour les convertis, ceux que l’on appelle de la philosophie au christianisme, ont le droit de dire : A quel christianisme nous appelez-vous ?

1445. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre III. Le théâtre est l’Église du diable » pp. 113-135

Le Malade imaginaire est complètement un imbécile, sans une ombre de goût et d’esprit, en dehors de sa maladie ; le Bourgeois gentilhomme, autre victime : on ne lui laisse pas même assez de bon sens pour se conduire, au-delà de sa passion d’être et de paraître. — Tout ou rien, voilà la comédie ; ou la honte absolue, ou la gloire sans tache !

1446. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Μ. Ε. Renan » pp. 109-147

Il n’y a nulle virilité de tempérament, nulle ombre de musculature dans ce talent mou, et il n’a réussi que parce qu’il ne les avait pas.

1447. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Octave Feuillet »

Ainsi, il tombe comme un milan sur la femme de son meilleur ami, laquelle ne lui fait pas ombre de résistance, et après l’avoir possédée, il lui crache son mépris à la figure.

1448. (1879) L’esthétique naturaliste. Article de la Revue des deux mondes pp. 415-432

Zola a voulu simplement dire que l’artiste devait ouvrir les yeux, regarder autour de lui et s’efforcer de peindre l’humanité telle qu’elle est, il n’a fait que répéter le conseil que formulent tous les critiques depuis qu’il y a des critiques, et qu’ont pratiqué instinctivement tous les artistes depuis qu’il y a des artistes : voilà sa grande découverte réduite à une vérité de la Palisse, et il va rendre jaloux l’ombre de Joseph Prudhomme.

1449. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome I

Ce sont des ombres tragiques que le jour de la raison fait disparaître. […] Je puis le dire sans blesser le respect dû à l’antiquité, puisque Quintilien déclare que les Romains avaient à peine une ombre de la comédie grecque : vix umbram assequimur .

1450. (1882) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Deuxième série pp. 1-334

Il est d’ailleurs tout à fait indifférent que des personnes laïques, d’une piété droite, n’aient pas vu dans l’enseignement de la prophétesse l’ombre seulement d’un danger, Cela est vrai : ni la duchesse de Béthune, ni le duc et la duchesse de Chevreuse, ni le duc et la duchesse de Beauvilliers, ni la duchesse de Mortemart, ni la comtesse de Guiche, non plus que Mme de Maintenon elle-même, ni tant d’autres, n’aperçurent dans le Moyen court quoi que ce soit de répréhensible. […] Leurs mines, comme dit le poète, Leurs mines et leurs cris aux ombres d’indécence Que d’un mot ambigu peut avoir l’innocence, ce n’est peut-être pas tant que le mot lui-même alarme leur pudeur ou seulement offense la délicatesse de leurs oreilles ; mais elles sentent que Molière est de ceux qui pourront bien les adorer ; quant à les aimer et les traiter en égales, jamais. […] La sécurité de l’avocat général, Omer Joly de Fleury, quand il invite Malesherbes « à suspendre le débit du livre jusqu’à ce qu’il ait pu s’en faire une opinion », ne semble pas du moins indiquer qu’il ait l’ombre seulement d’un doute sur l’intégrité de son droit. […] Je ne vois pas qu’il y ait dans les Salons ombre d’une réponse à tous ces problèmes. […] Il sait encore l’art d’établir des conformités morales et des analogies mystérieuses : « Si vous peignez une chaumière et que vous placiez un arbre à l’entrée, je veux que cet arbre soit vieux, rompu, gercé, caduc ; qu’il y ait une conformité d’accidents, de malheur et de misère entre lui et l’infortuné auquel il prête son ombre les jours de fête. » Il sait l’art enfin de faire parler éloquemment les ruines, au moyen d’inscriptions et devises, dans le goût de ces banderoles que les imagiers d’autrefois faisaient naïvement sortir de la bouche de leurs personnages.

1451. (1899) Musiciens et philosophes pp. 3-371

Ils ont ceci de commun avec les avocats qu’ils ne manifestent pas l’ombre d’inquiétude en abordant un sujet sur lequel ils sont, en général, assez imparfaitement renseignés, et le plaisant, c’est qu’ils affectent une sûreté et une netteté de vues d’autant plus grandes qu’ils sont plus complètement à côté de la question. […] C’est ainsi que, jusqu’à un certain point, elle évoquera l’idée de mouvement, elle donnera même l’idée de lumière et d’ombre au moyen de jeux de sonorités, par l’opposition des timbres, par exemple, ou des harmonies ; mais cette évocation ne sera jamais parfaite ni intégrale ; rien ne sera en elle déterminé : ni les dimensions, ni les reliefs, ni les contours, ni la couleur, rien de ce qui constitue la forme concrète d’un être ou d’un objet. […] Avec une naïveté adorable, librettistes et musiciens, persuadés qu’ils suivaient en cela les traces du maître de Bayreuth et se conformaient à son esthétique, se sont emparés de ces sujets légendaires sans l’ombre de discernement, prenant à droite, à gauche, au hasard de la rencontre, sans se préoccuper autrement de savoir si ces sujets reposaient véritablement, dans leur sens profond, sur ce haut et noble sentiment philosophique du Malheur fatal, implacable, éternel, d’où découle l’impression tragique. […] La richesse en couleurs, en atténuations d’ombres, en secrets de lumière mourante, gâte tellement l’auditeur, qu’ensuite, tous les autres musiciens lui paraissent trop robustes. » Ici, le paradoxe touche vraiment à l’aberration. […] On sait que, dans l’original, il n’y a sur aucune de ces compositions l’ombre d’une indication de mouvement, pas même les plus élémentaires, ni allegro, ni andante, ni adagio, ni presto ; il n’y a que les chiffres traditionnels après l’armature de la clef.

1452. (1925) Comment on devient écrivain

Manon n’a pas l’ombre de sens moral jusqu’à sa mort. […] Mais de tout cela il ne sort pas l’ombre d’un enseignement. […] Newton ne voulait pas publier son Traité sur l’optique, à cause des objections qu’on lui faisait. « Je me reprocherais mon imprudence, disait-il, si j’allais perdre une chose aussi réelle que mon repos pour courir après une ombre. » On dit que Pythagore, ayant fait quelques remarques un peu rudes à un de ses disciples, celui-ci alla se pendre, et depuis ce temps le grand philosophe ne reprit plus personne en public. […] Il prenait pour des idées personnelles la manie du classement, l’abus de la logique et certaines inventions stériles, comme sa théorie de l’évolution des genres, qui n’avait pas l’ombre du sens commun et à laquelle il fut promptement obligé de renoncer. […] Mais Télémaque s’élança loin (de lui) ayant laissé là même des Amphinome la lance à la longue ombre, car il craignait grandement que quelqu’un des Achéens ou, s’étant élancé, ne frappât de (son) glaive ou ne blessât (du glaive) penché en avant (lui) retirant la longue lance.

1453. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre deuxième. La connaissance des corps — Chapitre II. La perception extérieure et l’éducation des sens » pp. 123-196

Mais, cela fait, quel que soit l’objet, une sphère, un cube, même une étendue considérable, par exemple une rue, ils le pensent d’un seul coup et se le représentent en bloc. « Il ne nous manque, disent-ils, que ce que vous appelez l’idée de la couleur ; l’objet est pour nous ce qu’est pour vous un dessin, une épreuve photographique sans ombres portées, plus exactement encore un ensemble de lignes. […] Nous avons trouvé que les objets que nous nommons corps ne sont que des fantômes internes, c’est-à-dire des fragments du moi, détachés de lui en apparence et opposés à lui, quoique au fond ils soient lui-même sous un autre aspect ; qu’à proprement parler ce ciel, ces astres, ces arbres, tout cet univers sensible que perçoit chacun de nous, est son œuvre, mieux encore son émanation, mieux encore sa création, création involontaire et spontanément opérée sans qu’il en ait conscience, épandue à l’infini autour de lui, comme l’ombre d’un petit corps dont la silhouette, à mesure qu’elle s’éloigne, va s’élargissant et finit pour couvrir de son immensité tout l’horizon. — Nous avons trouvé ensuite que nulle de nos sensations n’est située à l’endroit du corps où nous la plaçons, que plusieurs d’entre elles, quoique étant nôtres, nous apparaissent comme étrangères à nous, que, parmi celles-ci, quelques-unes nous semblent les qualités permanentes d’un être autre que nous ; tandis qu’elles sont en effet des moments passagers de notre être. — Ainsi l’illusion s’est montrée dans tous nos jugements, à propos du monde extérieur comme à propos du monde interne, et nous ne sommes plus étonnés de voir le philosophe bouddhiste réduire le réel aux événements momentanés de son moi.

1454. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre second » pp. 200-409

Nous aimons à visiter leurs demeures, nous éprouverions une douce émotion à l’ombre d’un arbre sous lequel ils se seraient reposés ; nous voudrions voir et converser avec les sages dont les travaux ont augmenté le pouvoir de la vertu et les trésors de la vérité. […] C’est là qu’il dit de la gloire, qu’elle est à la vertu ce que l’ombre est au corps, Lettre LXXIX ; que l’amour de la vertu est un élan continuel de l’âme vers son origine céleste ; que c’est être né pour bien peu de monde que de n’avoir vécu que pour son siècle, et que, pour un œil perçant, le mensonge est diaphane. […] A chaque beau vers, à chaque sentiment vertueux, je verrais l’ombre d’Acilia s’élever entre son fils et moi ; et je croirai sans peine que le censeur n’est pas sujet à ces apparitions-là. […] — Et lorsque vous voulûtes vous reposer, par un soleil ardent, à l’ombre d’un, arbre peu touffu, le seul qui eût pu croître parmi les rochers pointus dont le sol était hérissé ; vous souvenez-vous qu’un de vos soldats étendit sur vous son manteau ? […] pourquoi ces meubles recherchés, ces vins, plus vieux que vous, ces projets qui se succèdent sans fin, ces arbres qui ne rendent que de l’ombre ?

1455. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome I

Je lus ainsi, dans l’ombre de mes dictionnaires, tous les volumes, les uns après les autres, de cette Comédie humaine. […] Quel roman réel à propos de romans rêvés, et plus pathétique encore, que cette impuissance dans la puissance, que ce soudain déferlement d’ombre sur des visions qui s’effacent, qui se brouillent, qui s’abîment dans un esprit incapable maintenant de les susciter de nouveau ! […] On le voit, sous la tente, épuisé par le labeur du jour, retrempant son courage parmi les ombres de ceux qui lui léguèrent de hauts exemples. […] Nous vivons d’une ombre, du parfum d’un vase vide. Après nous on vivra de l’ombre d’une ombre. » Il concluait, dissimulant, sous un sourire, à son habitude, les anxiétés de ses prévisions : « Je crains par moments que cela ne soit un peu léger. » Renan se trompait.

1456. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. VILLEMAIN. » pp. 358-396

Villemain, ne semble pas moins singulier qu’eux et moins bizarre, nous souffrons d’une dispensation si inégale de la part du critique fait pour donner la loi à ces Ombres flottantes du public des poëtes, encore plus que pour la suivre.

1457. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « George Farcy »

Platon parmi les Ombres Te dit le Verbe pur, Pythagore les Nombres.

1458. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre V. Le roman romantique »

Mais vivante surtout est la cathédrale dont l’ombre couvre la ville ; Notre-Dame de Paris est le seul individu qui ait vraiment une âme dans le roman ; ce monstre terrible et séduisant, où le poète a saisi un « caractère », est le vrai héros de l’œuvre.

1459. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre I. Le broyeur de lin  (1876) »

Je ne serai, quoi que je fasse, pour lui qu’une ombre, qu’un fantôme, qu’une âme entre cent autres ?

1460. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 15 décembre 1886. »

— Compositeur lui-même, Fétis ne vit chez l’auteur du Tannhauser qu’un incommensurable orgueil sans l’ombre d’un talent.

1461. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — CHAPITRE VI »

Et, au lieu de le transporter bien vite dans son lit, de lui faire jouer son rôle difficile à l’ombre des rideaux, dans le clair-obscur de l’alcôve, derrière une rangée de gardes-malades et de valets affairés, ce perfide complice l’expose au grand jour, sur un canapé, devant un homme défiant et hostile, qui va étudier son agonie feinte du même oeil dont un délégué de l’Institut observerait les jongleries d’un spirite !

1462. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre premier. La sélection et la conservation des idées dans leur relation à l’appétit et au mouvement. »

Maudsley, Huxley Taine, et Ribot vont jusqu’à dire que la conscience, qui reconnaît les idées conservées et se reconnaît elle-même à travers le temps, est un simple « accompagnement » des fonctions nerveuses ; aussi est-elle incapable de réagir sur elles, pas plus que l’ombre n’agit sur les pas du voyageur qu’elle escorte.

1463. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XIII] »

Tout cela a disparu et s’est évanoui comme un songe, comme une fleur, comme une ombre.

1464. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Villemain » pp. 1-41

Il est au contraire impossible d’être plus lui-même qu’il ne l’est dans son livre, et plus, en même temps, la voix de ce groupe d’ombres égyptiennes qui se lamentent entre elles, enveloppées dans leurs bandelettes écrites et solennellement immobilisées dans la grimace de leur chagrin.

1465. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Appendices de, la deuxième édition »

Mais l’horloge qui, partant du point O, commence aussitôt à prendre du retard est une horloge devenue, dès ce moment, fantasmatique, n’étant plus l’horloge réelle du physicien réel : celui-ci est resté avec son horloge au point O, ne détachant sur le disque envisagé comme mobile qu’une ombre de lui-même et de son horloge (ou bien alors, chaque point du disque où il se placera effectivement devenant, par là même, immobile, son horloge restée réelle se trouvera partout immobile et fonctionnera partout de la même manière).

1466. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome I

L’antique cité d’Albe la Longue aurait surgi de l’ombre du passé, comme la Carthage de Salammbô, avec ses remparts, ses palais, les costumes de ses habitants et leur physionomie, le tout éclairé par l’ardente lumière d’une imagination chauffée au feu de la science. […] » Qu’aurait pensé le classique abbé de cette autre cantilène sur le clair de lune qui se trouve au chapitre XIII de la seconde partie de Madame Bovary : « … La tendresse des anciens jours leur revenait au cœur, abondante et silencieuse comme la rivière qui coulait, avec autant de mollesse qu’en apportait le parfum des seringas, et projetait dans leurs souvenirs des ombres plus démesurées et plus mélancoliques que celles des saules immobiles qui s’allongeaient sur l’herbe. » L’abbé eût rangé l’auteur de ce morceau de prose, si musicalement exécuté, dans la coupable école littéraire où il avait déjà rangé le premier, — et, pour cette fois, il aurait eu raison sans conteste. […] L’église, où brillait une étoile au fond, ouvrait sa grande ombre noire, que refoulait du dehors le jour vert des crépuscules pluvieux, et l’enfant qui éclairait sur le seuil passait toujours la main sur sa chandelle pour empêcher le vent de l’êteindre. […] Que c’est bien le même homme qui écrivait à Mme Sand : « Je donnerais toutes les légendes de Gavarni pour certaines expressions et coupes des maîtres, comme : — L’ombre était nuptiale, auguste et solennelle, de Victor Hugo, ou ceci, du président de Montesquieu : — Les vices d’Alexandre étaient extrêmes comme « ses vertus. […] Les meubles sur lesquels la songeuse promène ses yeux, que noie une ombre intérieure, donnent à la chambre comme un visage par leur rangement familier et leur forme connue.

1467. (1891) Enquête sur l’évolution littéraire

Je le constate sans une joie démesurée, mais aussi sans l’ombre d’un regret. […] La nuit était venue, une grande place d’ombre s’étendait devant nous ; pas une âme ne passait. […] Le sublime Idéalisme de Platon est cruel pour notre Monde qu’il appelle monde d’apparence et d’ombres. […] Les ombres de Platon me semblent des lanternes vénitiennes dont il faut savoir soulever le papier pour entrevoir la flamme intérieure. […] là, jamais rien, une fois dans cette boîte, jamais l’ombre d’une pensée mauvaise… Mes sens n’existent plus… » Expliquez cela !

1468. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Mémoires du général La Fayette (1838.) »

Depuis, j’ai souvent repassé en esprit, comme le revers et l’ombre de bien des ovations, cette humble image du commandant populaire79. […] Je puis dire que, pendant trente-quatre ans, je n’en ai pas éprouvé un instant l’ombre de gêne ; que toutes ses pratiques étaient sans affectation subordonnées à mes convenances ; que j’ai eu la satisfaction de voir mes amis les plus incrédules aussi constamment accueillis, aussi aimés, aussi estimés, et leur vertu aussi complètement reconnue que s’il n’y avait pas eu de différence d’opinions religieuses ; que jamais elle ne m’a exprimé autre chose que l’espoir qu’en y réfléchissant encore, avec la droiture de cœur qu’elle me connaissait, je finirais par être convaincu.

1469. (1927) André Gide pp. 8-126

André Gide sait l’allemand, ainsi que l’anglais, l’italien, le latin et le grec, et il cite beaucoup de textes dans ces diverses langues : les textes grecs sans l’ombre d’accentuation, malheureusement). […] Il y a aussi des ombres au tableau.

1470. (1904) Zangwill pp. 7-90

Mais, si on l’ouvre pour examiner l’arrangement intérieur de ses organes, on y trouve un ordre aussi compliqué que dans les vastes chênes qui la couvrent de leur ombre ; on la décompose plus aisément ; on la met mieux en expérience ; et l’on peut découvrir en elle les lois générales, selon lesquelles toute plante végète et se soutient. » Je me garderai de mettre un commentaire de détail à ce texte ; il faudrait écrire un volume ; il faudrait mettre, à chacun des mots, plusieurs pages de commentaires, tant le texte est plein et fort ; et encore on serait à cent lieues d’en avoir épuisé la force et la plénitude ; et je ne peux pas tomber moi-même dans une infinité du détail ; d’ailleurs nous retrouverons tous ces textes, et souvent ; c’était l’honneur et la grandeur de ces textes pleins et graves qu’ils débordaient, qu’ils inondaient le commentaire ; c’est l’honneur et la force de ces textes braves et pleins qu’ils bravent le commentaire ; et si nul commentaire n’épuise un texte de Renan, nul commentaire aussi n’assied un texte de Taine ; aujourd’hui, et de cette conclusion, je ne veux indiquer, et en bref, que le sens et la portée, pour l’ensemble et sans entrer dans aucun détail ; à peine ai-je besoin de dire que ce sens, dans Taine, est beaucoup plus grave, étant beaucoup plus net, que n’étaient les anticipations de Renan ; ne nous laissons pas tromper à la modestie professorale ; ne nous laissons d’ailleurs pas soulever à toutes les indignations qui nous montent ; je sais qu’il n’v a pas un mot dans tout ce Taine qui aujourd’hui ne nous soulève d’indignation ; attribuer, limiter Racine au seul dix-septième siècle, enfermer Racine dans le siècle de Louis XIV, quand aujourd’hui, ayant pris toute la reculée nécessaire, nous savons qu’il estime des colonnes de l’humanité éternelle, quelle inintelligence et quelle hérésie, quelle grossièreté, quelle présomption, au fond quelle ignorance ; mais ni naïveté, ni indignation ; il ne s’agit point ici de savoir ce que vaut Taine ; il ne s’agit point ici de son inintelligence et de son hérésie, de sa grossièreté, de son ignorance ; il s’agit de sa présomption ;  il s’agit de savoir ce qu’il veut, ce qu’il pense avoir fait, enfin ce que nous voyons qu’il a fait, peut-être sans y penser ; il s’agit de savoir, ou de chercher, quel est, au fond, le sens et la portée de sa méthode, le sens et la portée des résultats qu’il prétend avoir obtenus ; ce qui ressort de tout le livre de Taine, et particulièrement de sa conclusion, c’est cette idée singulière, singulièrement avantageuse, que l’historien, j’entends l’historien moderne, possède le secret du génie. […] Qui répondra de demain ; comme dit ce gigantesque Hugo, si éternel toutes les fois qu’il n’essaie pas d’avoir une idée à lui : Non, si puissant qu’on soit, non, qu’on rie ou qu’on pleure Nul ne te fait parler, nul ne peut avant l’heure              Ouvrir ta froide main, Ô fantôme muet, ô notre ombre, ô notre hôte, Spectre toujours masqué qui nous suit côte à côte,              Et qu’on nomme demain !

1471. (1853) Propos de ville et propos de théâtre

Enfin, il paraît que tous les arbres des boulevards et des jardins de Paris sont couverts de feuilles depuis quinze jours et pourraient fournir une ombre aussi épaisse que dans le mois de juin. […] Partout où va sa maîtresse, il faut qu’il aille, la suivant comme son ombre, ombre mélancolique et désolée, et jetant sur l’idole les mêmes regards effarés que doit avoir un avare en voyant son coffre-fort s’ouvrir de lui-même et étaler toutes ses richesses au milieu de gens qui ne dissimulent pas leur convoitise. — Chaque soirée est un combat, chaque bal une bataille où la lutte a lieu dans la proportion de un contre cent ; car, pour ne pas perdre un pouce de terrain dans le cœur de sa maîtresse, il faut qu’il ait à lui seul autant d’esprit que tous les hommes qui lui font la cour ; il faut qu’il ait le nœud de sa cravate aussi bien fait, ou la jambe aussi bien tournée ; car le retour des culottes vient d’ajouter un nouvel élément aux moyens de séduction, et le mollet, au dire de nos aïeux, passait jadis pour être irrésistible. […] Elle qui n’avait jamais souri ni accordé l’ombre d’une espérance, — dans un moment où elle se sentait mourir de chaleur, — elle a donné sourire et promesse en échange d’un verre d’eau sucrée à la glace.

1472. (1853) Portraits littéraires. Tome II (3e éd.) pp. 59-300

Comme les pâtres de la campagne romaine, il s’assied sur un tronçon de colonne et suit les progrès de l’ombre qui s’abaisse ; il mesure d’un œil indolent la marche de la nuit envahissante et les derniers reflets de la lumière sur les cimes dorées de l’horizon. […] Le devoir du romancier, même en racontant des scènes où la politique ne joue pas le premier rôle, était de ne pas effacer, de ne pas rejeter dans l’ombre les qualités qui assurent à Louis XIV un rang si glorieux dans l’histoire. […] Si M. de Chateaubriand n’a vu dans la littérature anglaise qu’un prétexte ingénieux pour parler de lui-même, nous le plaignons sincèrement ; nous pardonnons à tous les hommes que la gloire a touchés du doigt de s’estimer très haut, pourvu qu’ils osent le dire ; mais nous ne saurions pardonner à l’écrivain le plus renommé de se réfugier derrière Shakespeare et Milton pour respirer plus à l’aise l’odeur de l’encens qu’il a lui-même allumé, et de se servir de ces deux grandes ombres comme d’un bouclier contre ses contemporains. […] Interpréter l’histoire poétiquement, c’est agrandir, exagérer à propos les parties sur lesquelles on a résolu d’appeler l’attention, et qui, dans le modèle historique, n’ont qu’une importance secondaire ; c’est éclairer d’une lumière abondante les faces d’un événement ou d’un caractère que l’histoire a laissées dans l’ombre.

1473. (1891) Esquisses contemporaines

Le monde entier n’est qu’un peu d’éther condensé, l’éther qu’un peu d’espace et l’espace qu’un point, qui fut doué de la susceptibilité d’étaler un peu d’étendue, lorsqu’il serait développé, mais qui n’en avait presque aucune quand Dieu l’émit hors de son sein… Avec ses gravitations, ses attractions, ses impulsions et toutes ses forces aveugles dont les savants font tant de bruit, avec les énormes niasses qui effraient nos yeux, la matière toute entière n’est qu’une parcelle de métal, qu’un grain de verre rendu creux, une bulle d’eau soufflée, ou le clair-obscur fait son jeu, une ombre enfin, où rien ne pèse que sur soi, n’est impénétrable qu’à soi, n’attire ou ne retient que soi, et ne semble fort et immense qu’à l’extrême exiguïté, à la petitesse infinie des particules de ce tout qui est à peu près rien. […] Ceux qui s’avancent à la rencontre du soleil ne remarquent pas l’ombre qui les suit ; les yeux fixés sur l’aube naissante, ils courent au-devant des clartés éternelles. […] Cette âme, baignée d’ombre et de mystère, se lève lentement au sein de la génération nouvelle. […] afin que je sois tout lumière sans aucun mélange d’ombre et de faux.

1474. (1884) Propos d’un entrepreneur de démolitions pp. -294

Et qu’ils pleurent dans l’ombre et en silence, — celui qui ont des larmes amères ! […] J’abandonne aux archéologues et aux romanciers le curieux inventaire de ce cabinet aux antiques où les poètes vont boire et où j’ai vu de mes yeux l’ironique auteur des Lamentations de la lumière, Émile Goudeau, à travers l’ombre infiniment transparente de Walter Scott. […] Ce fut là toute sa vie jusqu’au moment où cet ennemi timide de Dieu s’endormit dans les affres sans grandeur d’une indigestion de blasphèmes, à l’ombre ridicule du Saucissonnier à l’ail qui fut le mancenillier de cette grande imbécillité méconnue. […] et feront beaucoup mieux comprendre que les vaines formules d’un article tel que celui-ci, l’exceptionnelle façon d’exister de cette planète désorbitée de la Poésie, flottant tantôt dans l’ombre et tantôt dans la lumière, mais ne se précipitant jamais complètement de son ciel !

1475. (1884) L’art de la mise en scène. Essai d’esthétique théâtrale

En se plaçant à un point de vue très général, on peut dire qu’il y a deux sortes d’imaginations ; premièrement, celle qui est surtout séduite par les contours et les formes, les rapports des formes entre elles, leur agencement, les qualités extérieures et superficielles des objets ; deuxièmement, celle qui se laisse charmer par la couleur, les effets d’ombre et de lumière, les rapports de nature entre les objets, leurs qualités substantielles et leur agencement pittoresque dans les profondeurs de l’espace. […] C’est que toute autre est l’imagination substantielle et pittoresque du poète ; elle est une représentation embellie, agrandie et en quelque sorte outrée de la nature, et l’être humain s’y montre toujours à l’état héroïque, ou grandiose ou grotesque, sous une lumière intense qui rend les ombres plus profondes. […] À ses drames conviennent les décorations splendides, les ameublements somptueux, les foules innombrables de la figuration ; car partout et toujours, derrière la décoration, derrière les personnages, comme un dieu impalpable derrière un héros de l’Iliade, on devine la grande ombre du poète dont la volonté puissante assemble les choses ou pousse et fait mouvoir ses personnages à nos yeux. […] Nos sensations optiques se réduisent au coloris des objets, aux relations de tons entre les ombres et les lumières et à la nature plus ou moins brillante ou mate des reflets. […] Cela ne pourrait se tenter qu’en rentrant habilement dans les lois les plus certaines de la mise en scène, c’est-à-dire en agissant préalablement sur le spectateur, en concevant une décoration capable, par la grandeur, la hauteur et la profondeur de la scène, ainsi que par des effets d’ombre ou de lumière, de faire naître une impression morale, que le spectateur transporterait alors dans le personnage.

1476. (1892) Sur Goethe : études critiques de littérature allemande

Boileau est à peine nommé dans cette étude ; il semble pourtant que l’ombre de Boileau revienne se placer d’elle-même en face de nous, chagrine et irritée, dès que nous parlons de Herder. […] Les rayons de la lune se jouent au milieu des atomes flottants et leur prêtent en un instant des milliers de formes ; les chênes projettent leurs ombres à droite et à gauche, et derrière s’agite et frémit un océan de feuillage obscur, indécis, immense. […] Combien de visages, amis ou ennemis, jetés par la fortune sur la route qu’il suit, le dominent, l’effacent, le rapetissent, et, concentrant sur eux toute la lumière, le rejettent dans l’ombre et l’obscurité! […] Une figure néanmoins, dans ce choc léger des classes, attire sur elle l’attention, bien qu’on ne l’entrevoie qu’à de rares intervalles dans l’ombre où elle se cache, c’est celle du Principal T.  […] Là où la famille est demeurée un sentiment, et, pour parler avec plus de justesse, une passion profonde ; là où elle est une grande institution naturelle et non pas seulement une unité de convention, maintenue par la loi civile et décomposée par les mœurs, il n’y a rien à craindre pour les vertus antiques ; elles continueront de fleurir à l’ombre des antiques croyances.

1477. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE VIGNY (Servitude et Grandeur militaires.) » pp. 52-90

« Mercredi, 17, à sept heures et demie précises du soir, le More de Venise vivra et mourra par-devant vous, mon ami ; si vous voulez faire asseoir l’Ombre de Joseph Delorme à ce banquet funèbre, sa place est réservée comme celle de Banquo.

1478. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LEBRUN (Reprise de Marie Stuart.) » pp. 146-189

Heureux qui de son espérance N’étend pas l’horizon trop loin, Et, satisfait de peu d’aisance, De ce beau royaume de France Possède à l’ombre un petit coin !

1479. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre I. Succès de cette philosophie en France. — Insuccès de la même philosophie en Angleterre. »

Comme une espèce favorisée par le sol et le climat, elle envahit tous les terrains, elle accapare l’air et le jour pour elle seule, et souffre à peine sous son ombre quelques avortons d’une espèce ennemie, un survivant d’une flore ancienne comme Rollin, un spécimen d’une flore excentrique comme Saint-Martin.

1480. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre II. Le quinzième siècle (1420-1515) »

L’humeur individuelle diversifie les tons : Antoine de la Salle, dans son Jehan de Saintré, bafoue la chevalerie, sous ombre de l’exalter, avec une délicieuse et impitoyable légèreté d’ironie.

1481. (1912) Enquête sur le théâtre et le livre (Les Marges)

Tragédie dans la rue, comédie au salon, tout finit par la pose, et la photographie indiscrète double d’une ombre éternelle, hélas, les attitudes les plus éphémères, sinon les plus ridicules.

1482. (1857) Articles justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des « Fleurs du mal » pp. 1-33

Ce qui leur manque, c’est le concours loyal, désintéressé de ceux il qui le public, trop occupé et trop affairé, a dévolu la charge de l’éclairer et de l’avertir, de faire pour lui le dépouillement des réputations, et qui, à force de lui crier au loup pour des ombres, finissent par l’endormir dans son indifférence.

1483. (1828) Préface des Études françaises et étrangères pp. -

Mais l’ombre d’André Chénier ne devait être évoquée que par une voix toute poétique : M. 

1484. (1913) La Fontaine « VIII. Ses fables — conclusions. »

Le firmament se meut ; les astres font leur cours ; Le soleil nous luit tous les jours ; Tous les jours sa clarté succède à l’ombre noire, Sans que nous en puissions autre chose inférer Que la nécessité de luire et d’éclairer, D’amener les saisons, de mûrir les semences, De verser sur les corps certaines influences.

1485. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre II. Axiomes » pp. 24-74

La certitude de la loi n’est qu’une ombre effacée de la raison (obscurezza) appuyée sur l’autorité.

1486. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre premier. » pp. 15-203

Nous sortons d’une table somptueuse, nous respirons le parfum des fleurs, nous goûtons la fraîcheur de l’ombre dans des jardins délicieux, ou, si la saison l’exige, nous sommes renfermés entre des paravents dans des appartements bien chauds ; nous digérons, nonchalamment étendus sur des coussins renflés par le duvet, lorsque nous jugeons le philosophe Sénèque : nous ne sommes pas en Corse, nous n’y sommes pas depuis trois ans, nous n’y sommes pas seuls. […] Il faut convenir qu’il est fou, qu’il est atroce d’immoler, en mourant, ses amis, ses ennemis pour servir de cortége à son ombre : de sacrifier la reconnaissance, la discrétion, la fidélité, la décence, la tranquillité domestique à la rage orgueilleuse de faire parler de soi dans l’avenir ; en un mot, de vouloir entraîner tout son siècle dans son tombeau, pour grossir sa poussière. […] XV, cap. xxxvii), il se couvre la tête d’un voile nuptial ; les aruspices sont appelés ; la dot est stipulée, le lit préparé ; les torches de l’hymen sont allumées : il se marie à Pithagoras, un des infâmes acteurs de la fête, et se soumet, à la clarté des lumières, à ce que la nuit couvre de ses ombres dans l’union légitime des deux sexes164. […] Des leçons données, pour ainsi dire, dans l’ombre, mais illustrées par l’honneur d’avoir concouru aux premiers soins de votre jeunesse, n’étaient que trop bien acquittées : et cependant, seigneur, vous avez rassemblé sur moi une faveur sans bornes, une richesse immense ; c’est à tel point, que je me dis souvent à moi-même : Né dans la province, et dans l’ordre des chevaliers, on te compte parmi les grands de la ville ! […] Censeurs, vous transplanterez-vous toujours de vos greniers, de la poussière de vos bancs, de l’ombre de vos écoles, au milieu des palais des rois, et prononcerez-vous intrépidement de la vie des cours d’après vos principes monastiques et votre régime collégial ?

1487. (1930) Le roman français pp. 1-197

J’imagine que son ombre, toujours hautainement ironique, accepterait cette conséquence. […] Le sujet avait déjà tenté un autre romancier, Édouard Rod, dans L’ombre descend sur la montagne. […] Il se l’est tracé à lui-même, mettant en scène deux chambrières qui le soignent dans un hôtel de ce Bolbec, en Normandie, tout parfumé encore de ses souvenirs d’enfance et de « l’ombre des jeunes filles en fleurs ». […] Il me souvient de l’enthousiasme du grand, du généreux Rosny aîné lors de la publication de À l’ombre des jeunes filles en fleurs ; et celui-là se moque du public et de la publicité.

1488. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome IV pp. -328

Le Sorcier Ismène qui fait un talisman avec une image de la vierge Marie, l’Histoire d’Olinde & de Sophronie, personnages qu’on croiroit les principaux du poëme, & qui n’y tiennent point du tout ; les dix princes chrétiens, métamorphosés en poissons, le perroquet, chantant des chansons de sa composition ; ce mêlange d’idées payennes & chrétiennes ; ces jeux de mots & ces concetti puériles, tout cela dépate sans doute la Jérusalem delivrée : mais, ce qui la fera toujours lire avec plaisir, malgré la critique des académiciens de Florence, & celle de Despréaux, c’est le choix du sujet du poëme, la vérité des caractères & leur variété, la conduite de l’ouvrage, l’art singulier d’amener les aventures, la sage distribution des ombres & des lumières, ce tableau mouvant des allarmes de la guerre & des délices de l’amour, ce grand intérêt qui croît de livre en livre, ce stile clair, élégant, enchateur, majestueux ou simple nerveux ou fleuri, selon la convenance des sujets. […] Despréaux lui-même n’avoit pas manqué de rendre un tribut poëtique à son ombre : mais Santeuil étoit lié de tout temps avec les jésuites. […] Il se représente l’ombre du grand Arnauld, irritée, & lui reprochant sa perfidie(**) : En tous lieux, en tout temps, à mon esprit présente, L’ombre du grand Arnauld me remplit d’épouvante.

1489. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Les nièces de Mazarin et son dernier petit-neveu le duc de Nivernais. Les Nièces de Mazarin, études de mœurs et de caractères au xviie  siècle, par Amédée Renée, 2e éd. revue et augmentée de documents inédits. Paris, Firmin Didot, 1856. » pp. 376-411

Imitez-le sans le contrefaire, et soyez son ombre sans être son singe.

1490. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE LONGUEVILLE » pp. 322-357

Ne serait-ce point que l’un des chevaliers, en s’engageant de plus en plus, et se croyant plus favorisé sans doute, a aussi par trop pris des héros de la Fronde l’air glorieux et conquérant, de ces airs de triomphe qui n’admettent plus ombre de rivalité et de partage ?

1491. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre II. Le public en France. »

Le petit groupe de sceptiques qu’on apercevait à peine sous Louis XIV a fait ses recrues dans l’ombre ; en 1698, la Palatine, mère du Régent, écrit déjà « qu’on ne voit presque plus maintenant un seul jeune homme qui ne veuille être athée505 ».

1492. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIe entretien. Biographie de Voltaire »

Il était anti-chrétien, parce que les dogmes du christianisme, selon lui altérés et viciés par la crédulité populaire, lui paraissaient être une usurpation de l’homme sur la divinité pure ; mais il abhorrait les symboles, les regardant comme des ombres de Dieu présentés aux hommes pour Dieu lui-même.

1493. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre III. Les immoralités de la morale » pp. 81-134

Le sultan Mourad est souillé de tous les crimes et de tous les vices, mais il a un jour poussé du pied vers l’ombre un porc expirant que brûlait le soleil.

1494. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre III. Le Petit Séminaire Saint-Nicolas du Chardonnet (1880) »

J’ai passé treize ans de ma vie entre les mains des prêtres, je n’ai pas vu l’ombre d’un scandale ; je n’ai connu que de bons prêtres.

1495. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre IV. Le Séminaire d’Issy (1881) »

Une autre mare plus petite, Si l’on retourne vers le mont, Par l’ombre de son boys invite De passer sur un petit pont, Pour aller au lieu de délices, Au plus doux séjour du plaisir, Des mignardises, des blandices, Du doux repos et du loysir.

1496. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mai 1886. »

Nous voyons autour de nous des arbres, des maisons, des hommes, et nous les supposons vivants : ils ne sont, ainsi perçus, que des ombres vaines, tapissant le décor mobile de notre vision : ils vivront seulement lorsque l’artiste, dans l’âme privilégiée duquel elles ont une réalité plus intense, leur imposera cette vie supérieure, les recréera devant nous.

1497. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 novembre 1886. »

C’est ainsi qu’à peine entrevu, Tristan rentra dans l’ombre pendant quatre années, jusqu’au jour où M. et Mme Vogl le chantèrent avec grand succès, toujours à Munich, en juin 1869.

1498. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « IV »

Alors l’ombre du grand Sébastien Bach lui était apparue, et il avait modifié sa manière.

1499. (1908) Dix années de roman français. Revue des deux mondes pp. 159-190

Une solidarité fraternelle très éclairée, un grand dégoût des agitations malfaisantes dues aux politiciens, tels sont les sentiments qui dominent l’œuvre actuelle de l’auteur de l’Ombre descend sur la montagne, et c’est ce que nous trouverons à la base de son pessimisme attristé.

1500. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — IV. La Poësie dramatique. » pp. 354-420

Il se plaint de n’être plus, de ne présenter que l’ombre de lui-même au lecteur : mais c’est toujours le même écrivain ; c’est toujours la même abondance, la même simplicité, la même vigueur, la même précision & la même harmonie de stile.

1501. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre I. Du comique en général »

Mais supposez un original qui s’habille aujourd’hui à la mode d’autrefois : notre attention est appelée alors sur le costume, nous le distinguons absolument de la personne, nous disons que la personne se déguise (comme si tout vêtement ne déguisait pas), et le côté risible de la mode passe de l’ombre à la lumière.

1502. (1895) Hommes et livres

Mais on ne choisit pas toujours ses procès, et il faut plaider, quand on est attaqué, fût-ce sans ombre de raison. […] On recherche toutes les nuances de l’amour du siècle, ses applications diverses, les ombres de passions dont il s’accompagne, la jalousie, point meurtrière, occasion de piques légères et de mines gracieuses, l’indiscrétion, les caprices, l’éveil des sens chez les adolescents, leur réveil chez les vieillards. […] Il reprit l’ébauche de Molière et en fit d’après nature un dessin très poussé ; il rechercha tous les détails que le maître avait éliminés de ses larges études, accusant les moindres traits et les plus fines ombres. […] Ils font ce qu’on appelle la pure littérature : c’est-à-dire que, vides de toute connaissance précise, incapables de toute réflexion profonde, ils donnent à des ombres de pensées la plus agréable et parfaite forme.

1503. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

L’ignorance, selon Montaigne, qui le répète en mille endroits, est la gardienne de tous les biens : à son ombre on apprend à souffrir, à mourir, à conserver la paix. […] Voici la conclusion du chapitre sur la vanité : « La vanité a esté donnee à l’homme en partage : il court, il bruit, il meurt, il fuit, il chasse, il prend un ombre, il adore le vent. […] Malheureusement l’histoire ne s’attache qu’aux figures éminentes et laisse dans l’ombre, au fond du tableau, le gros de la population. […] Vous voyez bien comme ils se conduisent au grand jour ; mais il faut les observer dans l’ombre et les voir sans être vu : car « la parfaite valeur est de faire sans témoins ce qu’on serait capable de faire devant tout le monde202. […] Que d’éclairs jetés dans les ombres du cœur humain !

1504. (1910) Propos de théâtre. Cinquième série

Sec, Voltaire, terriblement sec, et pas l’ombre en lui de détachement. […] Racine ramène à trois ou quatre vers la longue élégie romantique d’Euripide : « Que ne puis-je m’étendre à l’ombre des peupliers ! […] Il n’y a plus l’ombre d’une tache sur la robe d’hermine de l’honorable M.  […] qui, sans s’être prosternés dans la poussière sacrée des chemins d’Athènes, sans avoir vu, dans la lumière pourpre des soirs, passer les grandes ombres dont le défilé solennel anime les cimes de l’Hymette et les plaines de la mer de Salamine, sans avoir vu cette terre d’Hellas où les Dieux, les Dieux éternels vivent encore, vivent à jamais dans leur gloire et dans leur beauté, sans être sortis de la boue de leur ville ténébreuse, se sont permis de peindre les héros, se sont permis de faire parler les filles de Sparte et d’Argos, se sont permis de corriger Euripide et d’apprendre à vivre à Sophocle ! 

1505. (1914) En lisant Molière. L’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

Ne demandant partout qu’à trouver le vin bon, Bernant Monsieur Dimanche et disant à son père Qu’il serait mieux assis pour lui faire un sermon : C’est l’ombre d’un roué qui ne vaut pas Valmont. […] Corrompant sans plaisir, amoureux de lui-même, Et pour s’aimer toujours voulant toujours qu’on l’aime, Regardant au soleil son ombre se mouvoir ; Dès qu’une source est pure et que l’on peut s’y voir Venant, comme Narcisse, y pencher son front blême Et cherchant la douleur pour s’en faire un miroir. […] Ils contiennent ce beau passage sur les plans, sur la distribution de l’ombre et de la lumière, sur le clair-obscur, qui a été justement admiré comme modèle de vers techniques ; et cette comparaison de la fresque et de la peinture à l’huile qui est très forte, très brillante, très juste et qui est devenue classique : … La fresque, dont la grâce à l’autre préférée, Se conserve un éclat d’éternelle durée, Mais dont la promptitude et les brusques fiertés Veulent un grand génie à toucher ses beautés. […] Il y a Cléante, mais le rôle de Cléante, on le sait et c’est historique, n’est qu’un paratonnerre, ajouté après coup à l’édifice, destiné à le garantir contre les foudres de l’autorité ; et de plus Cléante prêche tellement une dévotion « humaine, traitable », discrète, à petit bruit et sans bruit, qu’il a toujours l’air de dire le mot de Pauline à Polyeucte : Adorez-le dans l’ombre et n’en témoignez rien. […] Il a eu cocher, cuisinier, laquais et chevaux, il a fondu cocher et cuisinier dans un seul homme ; mais il a encore cuisinier-cocher, deux laquais et des ombres de chevaux.

1506. (1906) Propos de théâtre. Troisième série

Si je fais tourner la pièce sur Etéocle et Polynice, c’est Ménécée qu’il faut supprimer ou reléguer tout à fait dans l’ombre ». […] Ne me parle donc plus que de sujets de joie, Souffre qu’a mes transports je m’abandonne en proie, Et sans me rappeler des ombres des enfers, Dis-moi ce que je gagne et non ce que je perds. […] Car rien, ni le sommeil à l’ombre des forêts, Ni… Ni… Ni… Ni même. […] Du reste, il parle bien, le gaillard ; il faut confesser qu’il ne parle pas mal : Donc, le vallon paisible et la plaine innocente Que d’un baiser vermeil dore l’ombre naissante. […] Guéri, par la raison, des faiblesses vulgaires, Il se met au-dessus de ces sortes d’affaires Et n’a garde de prendre aucune ombre d’ennui De tout ce qui n’est pas pour dépendre de lui.

1507. (1905) Études et portraits. Sociologie et littérature. Tome 3.

Avant-propos Les morceaux qui composent cette troisième série des Études et Portraits se distribuent en deux groupes. Le premier comprend l’exposé et la discussion de quelques problèmes de politique si l’on donne à ce mot le sens où le grand Aristote l’employait déjà : — la recherche des lois naturelles de la cité, par voie d’observation. Le titre même sous lequel sont réunies ces Notes sociales indique la modestie du dessein de leur auteur. Il n’a voulu qu’apporter une nouvelle « contribution » — c’était la formule chère à Taine — à la doctrine du traditionalisme qui fut la sienne, d’abord par instinct, puis par réflexion, depuis qu’il a commencé d’écrire. Le thème fondamental de son livre de début, les Essais de psychologie, n’était-il pas l’affirmation d’une étroite solidarité entre les intelligences et les sensibilités des générations successives ?

1508. (1876) Romanciers contemporains

Mais partout ailleurs quels excès, quel singulier mélange de lumière éclatante et d’ombre, de beautés de premier ordre et de basses trivialités, et souvent quel abaissement moral dans la peinture des sentiments les plus respectables de l’homme ! […] Il a gardé pour lui la solitude et la contemplation, l’ombre et la fraîcheur, la nature et la rêverie. […] Seul, au milieu de cette vie montante, le grand Christ, resté dans l’ombre, mettait la mort, l’agonie de sa chair barbouillée d’ocre, éclaboussée de laque. […] Les feux tachaient l’ombre de points sanglants, des chants lointains venaient, par souffles affaiblis ; toute la vague étendue, noyée sous les buées blanchâtres de la lune, s’agitait confusément, avec de brusques frissons de colère.

1509. (1846) Études de littérature ancienne et étrangère

Il ne pouvait supporter aucune ombre de liberté ; et son esprit amer et juste était dégoûté de la servitude. […] À Rome, cette nouvelle excita de tels transports de joie, que l’on courait en foule, les uns disant qu’il fallait le jeter dans le Tibre, les autres suppliant la Terre et les dieux Mânes de ne donner asile à son ombre que parmi les impies ; d’autres demandaient le croc et les gémonies pour son cadavre. […] Jaloux avec passion de l’ombre de liberté qui restait à ses concitoyens, sous l’abri de la conquête romaine, il les invitait à terminer leurs affaires et leurs procès par la juridiction de leurs propres magistrats, sans jamais recourir à la liante justice du proconsul ou du préteur. […] Il y a des sons, des phrases, des formes de style, des apparences, et, s’il est permis de le dire, des ombres de pensées ; mais il n’y a plus d’âme, plus de vie. […] Mais déjà le jeune Richard, vaine ombre de Cromwell, avait disparu ; et les parodies républicaines essayées dans Westminster sous la protection de l’armée, tombaient devant le retour désiré de Charles II.

1510. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre II. Le théâtre. » pp. 2-96

—  Dans quelle ombre, dans quel profond puits d’obscurité vit cette pauvre humanité craintive ! […] —  Il n’en est que plus noble. —  Il est plein d’ombres effrayantes !

1511. (1893) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Cinquième série

Ni son talent, tout personnel — et même singulier, presque secret, pour ainsi parler, ami de l’ombre et de l’intimité, — ne convenait au siècle, ni le siècle de son côté n’était capable de l’apprécier ou seulement de le comprendre. […] … s’écriait l’auteur des Méditations, Mais l’auteur des Contemplations, génie moins lumineux, ne voyait, lui, dans la Mort que « la quantité d’ombre et d’horreur » qu’elle mêlait à la joie de vivre. […] Mais encore faut-il bien savoir que nos subtilités se développent à l’ombre, pour ainsi parler, de notre ancienne littérature, si c’est elle autrefois qui a fait la fortune de l’esprit français. […] S’amuse à regarder son ombre. […] Catholique ou protestant, comme Bayle, un chrétien qui s’émancipe des enseignements de sa religion ne pourrait-il pas si bien faire qu’il n’en retînt quelque chose, une ombre, pour ainsi parler, laquelle, en s’y mêlant, ne saurait manquer d’obscurcir la lucidité de ses négations ?

1512. (1924) Critiques et romanciers

Alors, il aime mieux les Nouvelles genevoises et, preuve de son abnégation, se place énergiquement sous le patronage et comme à l’ombre du Genevois qui « n’avait pas son pareil pour faire rire les honnêtes gens aux dépens de leurs petits travers ». […] Et il s’émerveillait, pendant ses promenades, de trouver un banc rustique « à chaque point où l’ombre est plus douce, la vue plus étendue, la nature plus attachante ». […] Le soir, quand il épie la minute où la beauté de Vicence va se noyer dans l’ombre, il suppose Vicence aux prises de ses ennemis et délivrée par lui, Tito Bassi, qu’une foule en délire acclamera, fera passer sous des arcs de triomphe, l’épée à la main, conduira même jusqu’à la basilique, où le podestat, timide et plein de gratitude, lui mettra aux tempes la couronne de vert laurier. […] Vous l’avez d’abord aperçue, toute petite et qui, pendant le siège, en plein hiver, se promène, parmi les tombes, sous les marronniers, les charmes et les peupliers blancs du Père-Lachaise : elle semblait une ombre douce et inquiète. […] Au logis où elle séjourne, chaque objet raconte des jours ajoutés aux jours… Qu’elle passe comme une ombre dans le tumulte de la rue, elle offre un monde à deviner par les traits expressifs de son visage que la vie a sculpté… L’ardeur et la beauté de sa vie intérieure font de cette créature instinctive un type d’humanité supérieure. » Cécile ne commet ni une faute ni une erreur seulement ; et, en toutes circonstances, elle sait ce que lui commandent le bon sens et le bon cœur.

1513. (1788) Les entretiens du Jardin des Thuileries de Paris pp. 2-212

On n’a plus qu’une ombre d’existence pour le monde, dit très-bien le plus jeune qui se livroit aux mathématiques avec passion ; aussi, ajouta-t-il, je me regarde comme aux trois quarts mort pour la société ; je n’y parois que pour penser à mes calculs, que pour regretter mes livres, que pour me rendre ridicule, car chacun m’y voit absorbé, ne riant que du bout des levres, & ne cherchant que le moment de m’esquiver. […] Alors la verdure des prairies, la variété des fleurs dont elles sont parsemées, la surface des eaux qu’argente le soleil, la symétrie des arbres qui s’entrelacent de maniere à retracer les ombres de la nuit, deviennent autant de tableaux qui épanouissent l’ame, & qui l’identifient en quelque sorte avec les beautés de la nature, pour en jouir plus délicieusement. […] Il ne se mouche qu’à trois temps, il regarde son ombre. […] Je me contentai de lui répondre qu’il n’y avoit point d’ouvrages qui n’eût deux côtés, que ce n’étoit point en détachant des propositions qu’on devoit juger d’un livre, que la meilleure production possible, comme le plus excellent tableau, avoit des ombres ; que, d’ailleurs, le préjugé étoit en faveur de l’auteur, dont toute la France connoissoit le génie & la vertu.

1514. (1894) Écrivains d’aujourd’hui

Quelles ombres ont pu obscurcir pour lui la notion du bien ? […] Cette image de la Mort est partout dans l’œuvre de Maupassant ; elle y répand partout son ombre : elle se dresse au moment qu’on s’y attend le moins, comme une rencontre imprévue et hideuse. […] des images qu’il fait passer devant nos yeux l’impression se lève d’une nature paradisiaque, terre d’éternel printemps, tiède et parfumé, où les arbres n’ont point d’ombres perfides, où les plantes n’ont pas de sucs dangereux, où les bêtes sont inoffensives, où les hommes sans besoin ignorent le travail, où la vie s’écoule indolente et charmée dans un rêve de volupté. […] Elle s’évanouira comme le parfum d’une fleur, et laissera au cœur de tous ceux qui l’auront rencontrée le souvenir d’une petite ombre charmante… » Cela est exquis ; et c’est justement la « poésie de la maladie », thème fort exploité du temps de Millevoye.

1515. (1716) Réflexions sur la critique pp. 1-296

de l’ode intitulée : l’ombre d’Homere. […] J’évoque l’ombre d’Homere, avec tout le respect que luy doit un poëte, pour apprendre de luy-même comment je dois l’imiter pour plaire à mon siécle. […] sans doute l’amour de Mr Dacier pour la vérité et la vertu, lui en ont grossi les apparences dans les philosophes payens, où il a pris l’ombre pour le corps.

1516. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon » pp. 423-461

Les différents endroits où il parle de lui sont d’admirables pages d’histoire ; le marquis n’a pas parlé de son père en des termes plus expressifs et mieux caractérisés que ne le fait Saint-Simon, qui n’y a pas mis d’ailleurs les ombres trop fortes : tant il est vrai que le talent de celui-ci le porte, nonobstant l’affection, à la vérité et à une sorte de justice quand il est en face d’un mérite réel et sévère, digne des pinceaux de l’histoire.

1517. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mars 1886. »

Malheureusement, il y a une ombre au tableau.

1518. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Introduction »

Quand il s’attache à éliminer toute métaphysique des sciences expérimentales, il rend encore un service, puisqu’il ne fait que suivre les règles d’une bonne méthode » en séparant le connaissable de l’inconnaissable, en nous empêchant de tout sacrifier aux hypothèses, de plier les faits aux théories et de lâcher la proie pour l’ombre.

1519. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1882 » pp. 174-231

De la scène, mes yeux vont à la loge en face, où est le président Grévy, et de là dans l’avant-scène au-dessous, où se tient dans l’ombre, Hugo, son immense front voilé de sa large main.

1520. (1914) Boulevard et coulisses

Ils acceptent exactement tout et sans l’ombre de protestation.

1521. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre III. Poëtes françois. » pp. 142-215

Il n’y a pas l’ombre de critique dans cette rapsodie, recherchée par les curieux ; & il paroît que Nostradame l’historien ne valoit pas mieux que Nostradame le prophête.

1522. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XII : Distribution géographique (suite) »

C’est qu’en effet les arbres semblent peu propres à émigrer jusque dans les îles océaniques éloignées, tandis qu’une plante herbacée, bien que fort incapable de lutter en stature avec un arbre déjà développé, lorsqu’elle vient à s’établir sur une île où elle n’a d’autres concurrents que des plantes herbacées comme elle, peut rapidement gagner l’avantage sur celles-ci par une disposition à acquérir une taille de plus en plus haute, jusqu’à couvrir ses rivales de son ombre.

1523. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE STAEL » pp. 81-164

Ce sont toujours (que la scène se passe en Afrique chez les nègres ou au fond de nos parcs anglais), ce sont des infortunés que la sensibilité enveloppe d’un nuage, des amants que la nouvelle funeste d’une infidélité réduit à l’état d’ombres ; c’est quelque tombeau qui s’élève au sein des bosquets. […] Voilà de Cestius la pyramide antique ; L’ombre au bas s’en prolonge et meurt dans les tombeaux.

1524. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre III. La Révolution. »

Ici872, sous des ciels noyés de brouillards pâles, parmi de molles ombres vaporeuses, apparaissent des têtes expressives ou réfléchies ; la rude saillie du caractère n’a point fait peur à l’artiste ; le bouffi brutal et bête, l’étrange oiseau de proie lugubre, le mufle grognon du mauvais dogue, il a tout mis ; chez lui, la politesse niveleuse n’a point effacé les aspérités de l’individu sous un agrément uniforme. […] « Parce qu’une demi-douzaine de sauterelles sous une fougère font retentir la prairie de leur importun bruissement, pendant que des milliers de grands troupeaux, reposant sous l’ombre des chênes britanniques, ruminent leur pâture et se tiennent silencieux, n’allez pas vous imaginer que ceux qui font du bruit soient les seuls habitants de la prairie, qu’ils doivent être en grand nombre, ou qu’après tout ils soient autre chose qu’une petite troupe maigre, desséchée, sautillante, quoique bruyante et incommode, d’insectes éphémères873. » La véritable Angleterre, « tous ceux874 qui ont sur leur tête un bon toit et sur leur dos un bon habit » n’a que de l’aversion et du dédain875 pour les maximes et les actes de la Révolution française

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