Il ne serre pas d’assez près ses contours, il ne jette pas aux objets ou n’en reçoit pas de ces traits de flamme qui fixent l’image et qu’on emporte. […] Fortoul ; il ne faut pas trop s’en tenir à ce que dit Montesquieu de lui-même sur ce point : on lit dans les Mémoires de Garat une conversation de l’homme illustre, déjà bien près de finir, laquelle est, au contraire, tout étincelante d’images et de traits. […] Mais ce ne sont là que des traits accessoires auxquels le lecteur prend garde à peine, tant l’ensemble va, marche, se presse, tant le drame ne vous laisse pas ; tout est bien jusqu’au moment où Steven se trouve face à face avec Charles XII.
Dans Othello, l’amour est caractérisé sous des traits bien différents que dans Roméo et Juliette. […] Plusieurs de ses caractères sont peints avec les seuls traits admirés dans ces siècles où l’on ne vivait que pour les combats, la force physique et le courage militaire. […] Parmi la foule de traits philosophiques que l’on remarque dans les pièces de Shakespeare, même les moins célèbres, il en est un qui m’a singulièrement frappée.
J’ai lu votre ravissant livre d’un bout à l’autre, d’un trait, sans m’arrêter. […] Hippolyte Babou Les Odes funambulesques, c’est vous trait pour trait, c’est vous tout entier, avec votre fougue savante et votre lyrisme excessif, avec vos gammes tournoyantes d’allégresse, avec cette double force native qui ne s’est révélée qu’à demi, je le crois, dans les Cariatides et dans les Odelettes… J’ai entendu dire un jour à quelqu’un, qui songeait sans doute au vers de Boileau : La rime est une esclave, et ne doit qu’obéir, que vous étiez le commandeur de la rime.
Nous prendrons l’ordre inverse de nos premières bases ; c’est-à-dire, que nous commencerons par les lieux d’oraison dont on peut citer des traits courts et détachés (tels que le sublime et les comparaisons), pour finir par la simplicité et l’antiquité des mœurs. […] La Bible, pour tout cela, n’a qu’un trait : « L’impie, dit-elle, se flétrira comme la vigne tendre, comme l’olivier qui laisse tomber sa fleur110. » « La terre, s’écrie Isaïe, chancellera comme un homme ivre : elle sera transportée comme une tente dressée pour une nuit111. » Voilà le sublime en contraste. […] Les passages les plus fameux, les traits les plus connus et les plus admirés dans Homère, se retrouvent presque mot pour mot dans la Bible, et toujours avec une supériorité incontestable.
On reconnoît encore en nous la plûpart des traits que Cesar, Florus et les anciens historiens leur attribuent. […] Un autre trait fort marqué du caractere des françois, c’est la pente insurmontable à une gaïeté souvent hors de saison, qui leur fait terminer quelquefois par un vaudeville les refléxions les plus sérieuses. […] Néanmoins les traits dont Cesar et Tacite se servent pour caracteriser les bretons conviennent aux anglois.
Dessinons donc les traits de cet être fantastique, où personne ne se reconnaissant, on ne saurait m’accuser de manquer à personne. […] Cette image de la beauté divine que nous portons en nous-mêmes est d’abord quelque peu obscure ; il faut que les traits de cette beauté, aperçus par des yeux plus clairvoyants et reproduits dans les écrits qu’elle a inspirés, habituent peu à peu nos yeux à la distinguer. […] Un trait de satire bien lancé en passant fera mieux l’affaire ; on dort au sermon, mais on craint le ridicule.
Mais ce que veut le destin, ni les augures ni les cérémonies saintes ne le détourneront. » D’autres traits épars dans les poésies de Solon frappent sur les erreurs de la vie publique, l’avidité des citoyens à s’enrichir, l’injustice des chefs du peuple, le pillage des domaines sacrés et du trésor public, la corruption amenant l’esclavage qui ramène la sédition et réveille la guerre endormie. […] Souvent celui qui, à travers la bataille et le bruit des traits, a passé sain et sauf, la mort le surprend à son foyer. […] Celui-là est importun il ceux qu’il vient supplier, cédant au malheur et à l’affreuse pauvreté : il déshonore sa race ; il dément la noblesse de ses traits.
Un vague sourire de bienvenue passa sur ses traits vieillis lorsqu’il nous vit arriver. […] Et cette dureté des traits se fondait dans les brouillards d’une mine distraite qui regarde l’espace sans rien voir. […] On dit aussi que dans cette société ils prirent quelques traits de caractère à leurs nouveaux camarades. […] Les récits suivants ajoutent des traits nouveaux à la physionomie morale du petit garçon. […] Tâchons de rassembler ces traits insignifiants à première vue, et donnons-nous le plaisir d’une méditation à son sujet.
La satire n’enfonce pas, et le trait, lancé d’une main négligente, ne pénètre jamais bien avant. […] Ce sont des portraits à plaisir, où vous ne cherchez point de ressemblance, et vous n’avez qu’à suivre les traits d’une imagination qui se donne l’essor. […] ou ses traits visaient-ils à la religion même ? […] Mais ce qui est vrai du physique l’est encore bien plus du moral, où ce ne sont pas, Messieurs, cinq ou six traits seulement, mais une infinité de traits qui s’entrecroisent « en mille manières différentes », comme dit La Bruyère, et qui forment ainsi tout autant de combinaisons nouvelles, — et de complétions, et d’états, et de conditions. […] Ajoutons un trait encore, qui est bien de notre autour et de son temps à la fois.
Massillon, Fléchier, hasardaient quelques principes indépendants à l’abri de saintes erreurs ; Pascal vivait dans le monde intellectuel des sciences et de la métaphysique religieuse ; La Rochefoucauld, La Bruyère, peignaient les hommes dans le cercle des sociétés particulières, avec une prodigieuse sagacité : mais comme il n’y avait point encore de nation, les grands traits des caractères politiques, qui ne sont formés que par les institutions libres, ne pouvaient y être dessinés. […] Le caractère d’Achille, dans Iphigénie, avait quelques traits de la galanterie française ; on retrouvait dans Titus des allusions à Louis XIV.
Tous les traits de son éloquence simple & rapide sont mâles & sublimes. […] Trois ans après, Démosthène fut également exilé, mais pour un trait qui flétrit toutes ses belles actions.
Virgile, le plus doux, le plus modeste des hommes, ne put échapper aux traits de l’envie. […] Virgile, d’un seul trait, les peignit* : Si Bavius te plaît, aime aussi Mœvius.
Sporus, c’est en pure perte que la satyre lance sur toi ses traits. […] Il ne se contenta pas de faire imprimer un Avis au public, où il attestoit qu’il n’étoit pas sorti de sa maison le jour marqué dans la relation ; il voulut encore, pour se venger de ses ennemis, retoucher la Dunciade & y ajouter de nouveaux traits.
On croiroit que l’amour fut une passion gaie à oüir les gentillesses que ces galands disent aux personnes qu’ils aiment ; ils ornent leurs discours enjouez de ces traits ingenieux, de ces métaphores brillantes, enfin de toutes les expressions fleuries qui ne sçauroient naître que dans une imagination libre. […] Les amoureux que les uns et les autres ont introduits dans leurs ouvrages ne sont pas de froids galands, mais des hommes livrez malgré eux à des transports qui les maîtrisent, et qui font souvent des efforts inutiles pour arracher de leur coeur des traits dont la morsure les desespere.
Taine les examine de l’œil dont Henry Monnier collectionnait les traits de Joseph Prudhomme, avec la sympathie d’un Flaubert faisant parler les gens de Rouen pour orner son Homais, son Bouvard et son Pécuchet, avec l’accablement que le « bourgeois » donnait à Gautier. Seulement, comme il n’est point un dessinateur, ni un poète, ni un romancier, mais qu’il est un philosophe sociologue, le personnage qu’il nous présente diffère de Joseph Prudhomme, du « philistin » des romantiques, et de Homais ; il nous fait voir le fonctionnaire français, ou l’administré français, tout domestiqué par « l’esprit fonctionnaire », mais à des traits certains nous reconnaissons dans le type qu’il nous détaille un frère des grandes caricatures romantiques.
Il se moquait d’Arnolphe et riait de Sganarelle, et que de traits, pour les peindre, il empruntait à son propre caractère ! […] On a cherché dans les traits de M. de Montausier le portrait d’Alceste. […] cette pièce de Dom Juan est ainsi remplie de traits qui sont comme des cris jetés à l’avenir. […] Le chagrin a creusé et miné ces traits mâles et bons. […] — Il avait peut-être emprunté le trait aux premiers essais de Molière.
Il s’approche, sombre, terrible comme la nuit, s’arrête loin des vaisseaux et lance un de ses traits. L’arc d’argent retentit d’un son sinistre, etc. » Chacun de ces traits porte la mort aux animaux et aux hommes. […] L’idée de faire décrire au vieux Priam par la coupable et malheureuse Hélène, cause de cette guerre, les guerriers qui vont tout à l’heure immoler ses fils et l’immoler lui-même et brûler son palais, est un trait du pathétique qui fait de cette revue tout un drame. […] Leur conférence nocturne est peinte en traits aussi pénétrants que naturels. […] « Ils trouvent Diomède couché hors de sa tente, tout armé ; autour de lui dorment ses compagnons, la tête appuyée sur leurs boucliers, leurs lances plantées en terre par la poignée, les pointes d’airain resplendissant au loin à la lueur des feux, semblables à des traits de foudre de Jupiter.
Les personnalités puissantes ont généralement un trait distinctif, un caractère dominateur : Napoléon, c’est l’ambition ; Vincent de Paul, la bonté, etc. […] Elle était assise les jambes croisées sur une natte et faisait des traits par terre avec son doigt… — Je ne t’aime plus ; toi, tu m’aimes encore et c’est pour cela que tu veux me tuer. » Durant toute l’action, l’un des traits distinctifs des deux caractères, c’est que Carmen, plus froide, a toujours su ce qu’elle faisait et fait ou fait faire ce qu’elle voulait ; tandis que l’autre ne l’a jamais bien su. […] Tout le monde a remarqué, outre le matérialisme, le second trait du « système » métaphysique à la mode chez les romanciers du jour, le pessimisme. […] Un troisième trait du système philosophique substitué par les réalistes à l’observation de la réalité, c’est le fatalisme. […] Sylvestre est le trait d’union entre son frère et sa sœur adoptifs.
Au contact de l’Empire, la Gaule biffe d’un trait son existence ancienne et inaugure une vie nouvelle. […] Il nous suffira de noter au passage quelques traits importants de la vie spirituelle de nos pères. […] C’est peut-être là le trait le plus caractéristique et symptomatique du Latin, du moins vis-à-vis de l’homme du Nord. […] Tels, les traits capitaux de la pathologie latine. […] La médaille romaine offre, à son envers, une image dont les traits devraient nous rendre soucieux.
Cette sévérité, qu’il n’approuvait pas sans réserve, avait, dit-il, « subtilisé son goût de telle façon, et lui avait mis devant les yeux une telle idée de pureté, que les moindres souillures les offensaient, et qu’il ne trouvait pas supportable ce qu’il avait autrefois trouvé excellent. » Il dit ailleurs : « Je m’étais rendu si délicat en français et en latin, qu’il n’y avait rien de si aisé que de me faire rejeter un mauvais livre. » En français tout lui était suspect de gasconisme ; sur chaque mot d’un écrivain de province, il consultait l’oreille d’un habitant de Paris, et « peu s’en fallait, disait-il, que la Touraine, si proche de Paris, ne lui en parût aussi éloignée que le Rouergue. » On reconnaît à ce trait un disciple de Malherbe. […] Un autre poète du temps, Jean Sirmond, dans d’excellents vers latins, salue en Balzac la personnification de l’éloquence : « Telle apparaîtrait, dit-il, l’Éloquence, heureuse de se faire voir sous ses propres traits, si elle descendait du ciel, soit pour accabler le crime, soit pour diviniser la vertu8. » Il peint l’étonnement de la cour, entendant cette parole si vive et ce qu’il appelle les miracles de la déesse de la persuasion. […] Cette théorie d’un prince parfait d’après un idéal rêvé dans la solitude, loin des affaires et des princes, et dont Balzac, à la fin de chaque chapitre, rapportait uniformément les traits à Louis XIII, fut médiocrement goûtée. […] Tous les mauvais ministres, tous les vilains traits des gens de cour servaient d’ombre au portrait du cardinal. […] On pourrait reconnaître, dans la Relation à Ménandre, de grands traits de mélancolie, que Pascal semble avoir recueillis et placés en meilleur lieu ; dans la fameuse lettre sur Rome, et dans beaucoup de pensées de religion, la hardiesse et la pompe solide de Bossuet ; dans Aristippe et le Prince, des portraits que La Bruyère n’a fait que retourner.
. — Terrible image, répétée, trait pour trait, par l’histoire, à travers les siècles. […] Contre l’homme au Typhon, il envoie « l’irréprochable Hyperbios » qui porte religieusement sur son bouclier « Zeus debout, tenant en main le trait flamboyant ». […] diras-tu : Une place au tombeau de leurs pères. » La Bible a de cruels jeux de mots ; Hamlet, au cimetière d’Elseneur, lorsqu’il frappe du doigt sur les crânes vides de leurs convoitises et de leurs passions, a des sarcasmes qui font frissonner : — aucun plus terrible que ce dernier trait : « Leur haine a cessé, leurs vies se sont mêlées sur la terre. […] Après avoir indiqué Antigone d’un trait hâtif et superbe, il l’a léguée au poète qui devait en faire son plus pur chef-d’œuvre.
Il serait impossible de transporter sur notre théâtre cette singulière production du génie, de l’exactitude, et je dirai même de l’érudition allemande ; car il a fallu de l’érudition pour rassembler en un corps tous les traits qui distinguaient les armées du xviie siècle, et qui ne conviennent plus à aucune armée moderne. […] Les tragédies mêmes qui ont pour sujet des traits de nos propres annales sont exposées à beaucoup d’obscurité. […] Il me semble néanmoins facile de concevoir, malgré nos habitudes contraires, que ce trait, emprunté de la vie commune, est plus propre que la description la plus pathétique à faire ressortir la situation du héros de la pièce, d’un vieux guerrier couvert de gloire, fier de ses droits héréditaires et de son opulence antique, chef naguère de vassaux nombreux, maintenant renfermé dans un dernier asile, et luttant avec quelques amis intrépides et fidèles contre les horreurs de la disette et la vengeance de l’empereur. […] Ce trait, exprimé dans le dialogue le plus simple, et sans aucune pompe tragique, peint, selon moi, mieux que tous les efforts du poëte n’auraient pu le faire, la pusillanimité, la défiance et l’abjection du tyran demi-vaincu. […] Polyphonte n’a que des traits généraux, exprimés avec art, mais qui n’en font point un être distinct, un être individuel.
Il ne la cherchait pas et ne flattait personne, mais le peuple l’aimait parce qu’il sentait que son cœur lui était dévoué. » Goethe parla alors des autres membres de la famille grand-ducale, disant que chez tous brillaient de nobles traits de caractère. […] Goethe a parlé de Lavater et m’a dit beaucoup de bien de son caractère ; il m’a raconté des traits de leur ancienne intimité ; souvent ils couchèrent fraternellement dans le même lit. […] « Ce livre, dit-il, renferme de ces traits on ne peut plus précieux, que peuvent seuls donner des témoins oculaires. […] N’est-ce pas là un vrai trait de tragédie ? […] Étendu sur le dos, il reposait comme un homme endormi ; la fermeté et une paix profonde se lisaient sur les traits pleins d’élévation de son noble visage.
Tous ses Héros ont de la valeur ; mais les traits dont il peint leur courage sont aussi variés que leurs caractères mêmes. […] Ce trait piqua vivement notre Poëte burlesque ; & voici de quelle maniere il s’en plaint dans la rélation de ses aventures qu’il publia lui-même d’un style très-bouffon : “Ah ! […] Le parallèle d’Horace & de Juvenal, composé de traits puisés dans leurs écrits, est de main de maître. […] Il en est de beaucoup plus graves, & qu’on ne peut effacer d’un trait de plume. […] Parmi ses idées gigantesques & les emportemens de sa fougue, que de traits heureux !
Ici Joinville a des instincts d’historien : il sent qu’on ne peut rien comprendre à une expédition en Égypte si l’on n’a une idée du Nil, et il nous en fait au début une description qui est célèbre à la fois par quelques traits fidèles et par un mélange d’ignorance et de crédulité : « Il nous convient premièrement parler du fleuve qui vient d’Égypte et de Paradis terrestre… » C’est ainsi que plus tard il parlera des Bédouins, et cette fois en des termes plus exacts ; et aussi des mamelouks, qui jouaient déjà un grand rôle à cette époque. […] Joinville a des traits assez énergiques pour exprimer la maladie du camp, qui se produit surtout pendant le Carême et par suite de la mauvaise nourriture de l’armée, réduite, pour faire maigre, à vivre de poissons malsains. […] Cette armée de rudes croisés, qui ressemblent en leurs douleurs à une troupe de femmes en travail qui crient, c’est un trait énergique à joindre au tableau des pestes et épidémies célèbres6. […] C’est un dernier trait qui achève de peindre cette franche et droite nature
Mme Dacier pense d’ailleurs qu’on ne peut traduire en vers les poètes, ou du moins qu’on ne peut y réussir que par accident, et que ce n’est qu’à l’aide de la prose qu’on parvient à faire passer d’une langue dans une autre les détails et les traits particuliers d’un original. […] Dans une préface écrite avec sens et modestie, Mme Dacier explique son dessein : Depuis que je me suis amusée à écrire, dit-elle, et que j’ai osé rendre publics mes amusements, j’ai toujours eu l’ambition de pouvoir donner à notre siècle une traduction d’Homère, qui, en conservant les principaux traits de ce grand poète, pût faire revenir la plupart des gens du monde du préjugé désavantageux que leur ont donné des copies difformes qu’on en a faites. […] Et, dans une comparaison spirituelle, elle suppose qu’Hélène, cette beauté sans pareille chez Homère, est morte en Égypte, qu’elle y a été embaumée avec tout l’art des Égyptiens, que son corps a été conservé jusqu’à notre temps et nous est apporté en France ; ce n’est qu’une momie sans doute : On n’y verra pas ces yeux, pleins de feu, ce teint animé des couleurs les plus naturelles et les plus vives, cette grâce, ce charme qui faisait naître tant d’amour et qui se faisait sentir aux glaces mêmes de la vieillesse ; mais on y reconnaîtra encore la justesse et la beauté de ses traits, on y démêlera la grandeur de ses yeux, la petitesse de sa bouche, l’arc de ses beaux sourcils, et l’on y découvrira sa taille noble et majestueuse… C’est en ces termes véridiques et modestes que Mme Dacier annonçait sa traduction, et elle n’a rien dit de trop à son avantage. […] Elle entrait dans toutes mes occupations ; elle me déterminait souvent dans mes doutes ; souvent même elle m’éclairait par des traits qu’un sentiment vif et délicat laissait échapper.
Les traits qui parurent le mieux lancés ne portent plus. […] Dans ce salon de Mme Davillier, où se réunissaient toutes les illustrations libérales du temps, anciens ministres de l’Empereur, anciens généraux, députés de l’Opposition, académiciens alors populaires, Benjamin Constant était l’homme d’esprit par excellence, et il rayonnait de tous ses traits. […] Coulmann parle aussi très bien d’Alexandre de Humboldt, et il fait remarquer avec raison « qu’on n’a jamais vu un Allemand ni un Prussien plus jaloux et plus ambitieux que lui de la légèreté parisienne ; sa médisance tenait certainement plus du désir d’être amusant et agréable que de l’envie et de la malignité. » Ce sont là des traits heureux et justes. […] Ce n’était pas seulement Béranger qui jugeait ainsi de près Benjamin Constant ; M. de Barante, qui avait du trait en causant, mais qui n’était pas précisément caustique, disait de lui ce mot terrible .
Les portraits que trace Malouet dans un de ses premiers chapitres, et qui forment comme sa galerie des États généraux, n’approchent certes pas, même de bien loin, de ceux qu’un Retz a tracés dans sa galerie de la Fronde, et un Saint-Simon dans ses tableaux de la Régence ; mais les principaux traits sont fort justes, fort ressemblants, et le mot propre du caractère de chacun est souvent donné. […] La dernière des conférences nocturnes, dans laquelle Mirabeau expose ses idées et crayonne en traits de feu le rôle qu’il ambitionne de prendre, est une page d’histoire et d’éloquence qui paraît ici pour la première fois : elle rejoint bien, pour les compléter, les révélations du comte de La Marck. […] » Ce sont là de ces traits qui traversent un homme et qui sont versibles sur tout son passé. […] … il faut le croire puisque Malouet le dit ; mais la curiosité y était pour beaucoup, et une première fois n’est pas coutume. — Malouet adoucit les traits quand il parle de l’abbé Raynal ; évidemment il avait pour lui un faible, comme on en a pour les gens d’esprit sur lesquels on exerce de l’action.
Il effleure en passant ses amis les doctrinaires ; mais sur Chateaubriand le trait est plus enfoncé : « 28 août (1828), Valençay. […] Sir Henry Bulwer est un peu doux et poli dans ses appréciations, comme il sied à un Anglais qui a tant vécu dans la haute société française ; mais voici un de ses compatriotes qui est plus haut en couleur et plus mordant : ce jugement parut dans le Morning-Post, à l’époque de la mort de Talleyrand ; je crois qu’il ne déplaira pas à cause de quelques traits caractéristiques qu’on chercherait vainement ailleurs : « Lorsque Talleyrand, nous dit l’informateur anonyme, était ici engagé dans les protocoles, lui qui dormait peu, il avait coutume de mettre sur les dents ses plus jeunes collègues, et nous avons trop bien éprouvé qu’au temps de la quadruple alliance et en plus d’une autre occasion, ses yeux étaient ouverts tandis que lord Palmerston sommeillait. […] Cela est vrai si, par figure, on entend l’ensemble de la physionomie. — « Les traits, a dit La Bruyère, découvrent la complexion et les mœurs », et il ajoute : « mais la mine désigne les biens de fortune ». Talleyrand avait la mine, les traits et le visage de son moral.
Tout dévoués au réel, à l’effectif, au vrai, ils ne sont pas privés pour cela d’une manière de beauté et de bonheur ; beauté nue, rigide, sentencieuse, expressive sans mobilité, assez pareille au front vénérable qui réunit les traits sereins du calme et les traits profonds des souffrances ; bonheur rudement gagné, composé d’élévation et d’abstinence, inviolable à l’opinion, inaccessible aux penchants, porté longtemps comme un fardeau, pratiqué assidûment comme un devoir, et tenant presque en entier dans l’origine à cette âpre et douloureuse circoncision du cœur, dont on reste blessé pour la vie. […] Austère, scrupuleux en morale, dépourvu d’une jeunesse entraînante, dévoré d’une sensibilité vague qu’il désespérait de fixer sur un choix enchanté, désireux avant tout de s’asseoir dans une existence indépendante et rurale, M. de Sénancour se laissa dire, et se crut délicatement engagé : on peut saisir quelques traits de ces circonstances personnelles sous l’histoire de Fonsalbe, au tome second d’Oberman. […] Sénancour a plus d’un trait fraternel qui l’unit à vous, génie dévié avec l’un, génie entravé avec l’autre, exemple pareil d’un inexplicable naufrage, d’un achoppement boiteux de la destinée.
Enfin, quand, huit ou neuf mois après la rencontre de l’église, le masque tombe et qu’elle le juge déjà ou croit le juger, elle écrit : « Tu ne saurais croire combien il m’a paru singulier ; ses traits, quoique les mêmes, n’ont plus la même expression, ne me peignent plus les mêmes choses. […] Indépendamment du petit roman que j’ai tâché d’y faire saillir et d’en extraire, on trouvera avec plaisir dans ces volumes bien des anecdotes et des traits qui peignent le siècle. […] Les volumes de Lettres de Mme Roland nous arrivent tout tachetés de ces mouillures qui sautent d’abord aux yeux ; ce sont les lieux-communs de son siècle ; il n’y a que plus de fraîcheur et de grâce dans les traits originaux sans nombre dont ils sont rachetés. […] Son père se dérange et se ruine ; elle s’en aperçoit, elle veut tout savoir, et il lui faut sourire au monde, à son père, et dissimuler : « J’aimerais mieux le sifflement des javelots et les horreurs de la mêlée, s’écrie-t-elle par moments, que le bruit sourd des traits qui me déchirent ; mais c’est la guerre du sage luttant contre le sort. » Elle venait de lire Plutarque ou Sénèque, quand elle proférait ce mot stoïque ; mais elle avait lu aussi Homère, et elle se disait, dans une image moins tendue et avec sourire : « La gaieté perce quelquefois au milieu de mes chagrins, comme un rayon de soleil à travers les nuages.
Ce qu’on se plaît à tourner en dérision, sous une monarchie, ce sont les manières qui font disparate avec les usages reçus ; ce qui doit être l’objet, dans une république, des traits de la moquerie, ce sont les vices de l’âme qui nuisent au bien général. […] Tant que ce trait du caractère national ne sera point effacé parmi nous, les auteurs comiques auront toujours des sujets piquants à traiter, et le ridicule sera toujours une puissance qui peut servir aux progrès de la philosophie, comme la raison et le sentiment. […] Ce qui est vraiment beau, c’est ce qui rend l’homme meilleur ; et sans étudier les régies du goût, si l’on sent qu’une pièce de théâtre agit sur notre propre caractère en le perfectionnant, on est assuré qu’elle contient de véritables traits de génie. […] L’image de l’Amour prenant les traits d’Ascagne pour enflammer Didon en jouant avec elle, peint-elle aussi bien l’origine d’un sentiment passionné, que les vers si beaux qui nous expriment les affections et les mouvements que la nature inspire à tous les cœurs ?
Ce qui décide des grands succès pour les ouvrages d’imagination, c’est lorsque la création de l’auteur est telle, qu’une foule de contemporains, à la lecture, croient aussitôt s’y reconnaître : ils s’y reconnaissent d’abord par quelques traits essentiels qui les touchent, et ils finissent par s’y modeler pour le reste. […] Avec quelque exactitude que je veuille vous détailler mes traits, lui écrivait-elle, il me sera impossible de vous donner une juste idée de leur ensemble ; je n’y saurais que faire, et j’en suis fâchée. […] Si nos lecteurs n’ont pas tout à fait oublié un charmant Portrait, que nous avons cité autrefois, d’une grande dame du xviie siècle, se dépeignant elle-même, la marquise de Courcelles4, ils peuvent se représenter les deux tons et les deux siècles dans leur parfaite opposition : d’un côté, la grâce fine, délicieuse et légère ; de l’autre, des traits plus fermes, plus dessinés, nullement méprisables, et un tour de grâce auquel il ne manque qu’une certaine négligence aisée et naturelle. […] Mais le trait principal qui la distingue, et qui marque sa destinée, c’est d’avoir voulu être une Julie réelle, et, malgré ses titres, de n’avoir pu être agréée.
C’est dans son esprit qu’il faut chercher les traits fins et charmants qui la distinguent. […] On aura remarqué ce trait d’observation et de malice féminine, que la reine d’Angleterre n’ayant été belle que jusqu’à l’âge de vingt-deux ans, assignait involontairement ce terme à la beauté de toutes les femmes. Mme de Motteville a beaucoup de ces traits fins qui sont bien de son sexe. […] Ce n’est là qu’un trait piquant ; mais bientôt, parlant plus en détail de Mlle de Pons, aimée du duc de Guise, qui va conquérir Naples à son intention, et, avec cela, non contente ni rassasiée d’une telle proie : Cette âme gloutonne de plaisirs, dit-elle, n’était pas satisfaite d’un amant absent qui l’adorait, et d’un héros qui, pour la mériter, voulait se faire souverain… L’ambition et l’amour ensemble n’étaient pas des charmes assez puissants pour occuper son cœur ; il fallait, pour la satisfaire, qu’elle allât se promener au cours, et qu’elle reçût de l’encens de toutes ses nouvelles conquêtes.
Louis XIV, dès son enfance, était remarquable par des traits particuliers et des grâces sérieuses qui le distinguaient de tous ceux de son âge. […] Des plumes incarnates et des rubans de la même couleur achevaient sa parure ; mais les beaux traits de son visage, la douceur de ses yeux jointe à leur gravité, la blancheur et la vivacité de son teint, avec ses cheveux qui alors étaient fort blonds, le paraient encore davantage que son habit. […] La reine en reçut des marques d’amitié qui la touchèrent vivement… Ces premiers traits étaient essentiels à relever. […] Gravité et douceur, tous les contemporains sont d’accord pour noter ces deux traits apparents, bien que la douceur ait fait place de plus en plus à la gravité.
Il ne connut jamais beaucoup cette première Antiquité simple, naturelle, naïve, de laquelle Fénelon était parmi nous comme un contemporain dépaysé : l’Antiquité de Montesquieu était plutôt cette seconde époque plus réfléchie, plus travaillée, déjà latine ; ou, pour mieux dire, il les confondait ensemble, et dans toutes les époques, à tous les âges des anciens, depuis Homère jusqu’à Sénèque et Marc Aurèle, il allait demander des traits ou des allusions faites pour rehausser la pensée moderne. […] Un trait d’Homère, un vers de Virgile, fondus rapidement dans sa pensée, lui paraissaient la mieux achever et la consacrer sous forme divine. […] Qui ne sait le beau trait de sa vie, lorsqu’à Marseille où il allait souvent visiter sa sœur, il voulut un jour se promener hors du port dans une barque ? […] » Tout ce style est net, piquant, plein de traits, un peu mince ou aigu.