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334. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre douzième. »

Ce vers, dont le tour est très-hardi, est fort beau pour exprimer la rapidité avec laquelle Louis XIV fit plusieurs conquêtes, celle de la Franche-Comté, par exemple ; le secret du roi avait été impénétrable jusqu’au moment où l’on se mit en campagne. […] Le perfide ayant fait tout le tour du rempart. […] Ce tour est froid.

335. (1894) Critique de combat

Et Karl Marx a dit à son tour : Il n’y a pas de route royale pour la science. […] Nos faiseurs de livres et de pièces imitent à leur tour nos couturiers. […] A qui le tour ? […] Non, ce serait lui jouer un mauvais tour que de l’ensevelir sous les fleurs. […] C’est aujourd’hui le tour de la littérature.

336. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome II

— des ornements de style gothique superposés à des arcs romains, et c’est, à côté, le campanile auquel son inclinaison a fait donner le nom de tour penchée, avec ses six étages à colonnettes supportant des arcs cintrés. […] Les bourgeois à leur tour deviennent l’objet de l’envie de ce même peuple, qui jette à bas cette oligarchie ploutocratique. […] Le syndic s’y rend à son tour, pieds nus, lui aussi, en chemise. […] Quand à son tour la Germanie déborda sur cet Empire, l’invasion se fit par tribus séparés, et l’effort de Charlemagne pour réduire cette multiplicité n’aboutit qu’à un succès momentané. […] Voici que notre petit tableau des Trois Grâces de Raphaël est à son tour soumis à l’enquête.

337. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Appendice » pp. 511-516

Léon Laya, renouvellent avec fraîcheur et dans un tour bien moderne ce thème, si cher à l’ancienne comédie depuis et même avant Les Adelphes de Térence, de deux pères ou oncles, l’un sévère, l’autre indulgent, et qui, par ce régime contraire auquel ils soumettent leurs fils ou leurs neveux, arrivent en leur personne à un résultat opposé qui juge la méthode et donne en définitive gain de cause à l’indulgence. […] Ce panier de pêches a fait fortune dès le premier jour, il a fait le tour de la société.

338. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Jules Laforgue » pp. 36-47

À vingt ans, avec cette suractivité cérébrale qu’on remarque chez certains phtisiques, il a fait le tour de toutes les civilisations. […] Et il se bat les flancs pour mal écrire en vers, à la façon du clown qui use à rater ses tours, plus d’adresse qu’il n’en faudrait pour y réussir.

339. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mes petites idées sur la couleur » pp. 19-25

Proposez à Madame Vien de faire un portrait, et portez ensuite ce portrait à la Tour. […] Les fruits, les fleurs changent sous le regard attentif de la Tour et de Bachelier ; quel supplice n’est donc pas pour eux le visage de l’homme, cette toile qui s’agite, se meut, s’étend, se détend, se colore, se ternit selon la multitude infinie des alternatives de ce souffle léger et mobile qu’on appelle l’âme ?

340. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Henri Rochefort » pp. 269-279

… Eh bien, cette plaisanterie, qui est, en fin de compte, tout le livre, cette plaisanterie qui pourrait être originale et appartenir au tour d’esprit de l’écrivain, cette plaisanterie qui n’est pas française, puisqu’elle n’est pas gaie, il me semble que j’en connais l’accent, et qu’ailleurs je l’ai entendue ! […] Il y a un passage dans son livre où l’auteur des Français de la décadence se moque, comme il sait se moquer (à tort ou à raison, ce n’est pas la question), des percements de rue qui ont lieu à Paris en ce moment ; et, pour exprimer les ironiques inquiétudes que lui causent tous ces percements de rues nouvelles (pages 290 et suivantes), non seulement il parle avec effroi d’une rue qui traverserait les tableaux du Titien et de Raphaël : Les Noces de Cana et La Belle Jardinière, lesquels sont actuellement au Louvre, mais encore d’une « autre rue, qui traverserait à son tour, d’outre en outre, les deux pots de réséda posés sur sa fenêtre, et qui continuerait jusqu’à son lit de plumes, en passant sur sa table de nuit ».

341. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Les honnêtes gens du Journal des Débats » pp. 91-101

En effet, si la critique n’est plus maintenant et ne doit plus être qu’un salut à tour de bras et jusqu’à terre à tout le monde, le Journal des Débats est plus que personne au niveau de la difficulté. […] Mirabeau disait, lui, ce grand cynique : « Quand je me compare, j’ai quelque estime pour moi ; mais quand je m’isole, je me méprise. » Le comte de Maistre, auquel nous demandons respectueusement pardon de le citer après Mirabeau, disait à son tour : « Je ne sais pas, Dieu en soit loué !

342. (1880) Goethe et Diderot « Diderot »

Je ferai le tour de son esprit. […] Le tour est toute la supériorité de Diderot, de cet esprit qui n’a que du mouvement et de la verve. […] Maintenant, c’est le tour de l’auteur dramatique et de son théâtre, — de son théâtre, très inférieur à ses autres ouvrages, même aux yeux de ceux-là qui croient le plus au génie de cet homme surfait. […] les éditeurs auraient pu, à leur tour, économiser ces révélations des économies de Diderot. […] Même les plus indignes petits grimauds qui mirent la main à ce torchis de l’Encyclopédie, qui se donnait les airs superbes d’une tour de Babel, signaient orgueilleusement leurs travaux.

343. (1908) Esquisses et souvenirs pp. 7-341

Son style est dans le tour. […] C’est que, comme Ronsard, il rimait chaque jour avec génie et à tour de bras. […] Malheureusement je retournai à L… l’année suivante, et le Diable eut son tour. […] une savonnette, un tour de rasoir, la barbe sera faite. […] Le fait est que je négligeai et l’architecture des tours et l’art de saint Luc.

344. (1894) Écrivains d’aujourd’hui

On voit par là quel est le tour habituel de sa rêverie. […] S’il a un tour habituel de mélancolie, c’est qu’aussi bien la tristesse est au fond des choses. […] Son tour d’esprit. […] A son tour, c’est la Prusse qui a fait l’unité allemande. […] Puis il a lui-même posé les objections auxquelles répondait à son tour M. l’abbé de Gibergues.

345. (1769) Les deux âges du goût et du génie français sous Louis XIV et sous Louis XV pp. -532

Au lieu de faire tourner le soleil au tour de notre petit globe, il soutint que ce grand astre est immobile au centre du monde ; que Vénus, la Terre, Mars, Jupiter & Saturne, font leur mouvement dans six cercles au tour du soleil ; mais que la Terre a un autre mouvement au tour de son axe, tandis que la Lune fait son circuit au tour de la Terre. […] Il admira l’énergie & la vivacité de leur tour, mais il passa promptement aux autres. […] Il s’excusa sur ce que Plutarque avait été bien traduit par Amiot, & que celui-ci avait besoin de l’être à son tour. […] Quel agréable tour d’expression ! […] C’est toujours le même tour, la même marche.

346. (1896) Études et portraits littéraires

On lui trouve dans l’esprit le tour, le fond d’accent de ceux qui se gargarisent avec l’eau de la Garonne. […] On y reconnaît, au surplus, sa marque, son tour, et il nous renseigne curieusement sur son degré de formation littéraire à vingt-six ans. […] D’un brusque tour de main, il dégage du capuchon son cou perdu dans l’ampleur de l’étoffe. […] Ainsi il renouvelle par un tour inattendu les sujets les plus familiers à la prédication chrétienne. […] À droite, la tour de Saint-Michel, belle ruine peuplée de corneilles, se dressait en plein champ.

347. (1933) De mon temps…

Elle ne s’est pas confinée dans la solitude de la Tour d’Ivoire et, comme l’a dit de lui-même un autre grand poète, elle est demeurée « au centre de tout ». […] D’ailleurs ses prévisions se réalisèrent et je fus élu au premier tour par dix-huit voix contre seize qu’avait obtenues mon concurrent, M.  […] Assez souvent j’allais y rejoindre Mallarmé, et parfois Méry Laurent témoignait du désir d’aller, vers la fin du jour, faire un tour de promenade. […] Jacquesson de la Chevreuse la lançait par la fenêtre dans la cour où les élèves frileux allaient, chacun à son tour, la chercher et la remontaient, ce qui leur mettait le sang en mouvement et leur dégourdissait les jambes. […] Lorsque j’arrive en avance sur l’heure où l’on se réunit, le jeudi, pour travailler au Dictionnaire, je ne manque pas d’aller faire un tour au jardin.

348. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre X, Prométhée enchaîné »

On entend sonner le marteau, crier les vis, grincer les ferrailles ; on voit s’allonger et se tordre le serpent d’airain qui enroule à triple tour le corps du patient. […] Les chants de femmes qui monteront plus tard vers le prisonnier dans sa tour, auront cette douceur. — « Ne crains rien, c’est une troupe amie qui vient à toi sur ce rocher. […] Cronos, à son tour, après la victoire de Zeus, avait été déporté dans la vice-royauté lointaine des Iles bienheureuses, séjour indéterminé des âmes justes. […] Il est leur aîné, il les a vus naître et surgir sur des dieux tombés ; il les verra décroître, périr à leur tour. […] Ézéchiel se retourne vers un contradicteur invisible, du tour de tête courroucé qu’on voit au Titan défiant Hermès.

349. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

La langue, à son tour, est le germe de la société entre les esprits. […] L’homme, dont le cœur seul, dans l’univers, a conçu la justice, disparaîtra, et la terre disparaîtra à son tour, et le ciel entier, avec ses étoiles, s’abîmera dans l’éternelle nuit. […] Coppée l’a compris et, à son tour, il chante les Humbles. […] Mme Ackermann, reprenant le même sujet, mais avec beaucoup moins de poésie, nous montre à son tour le contraste de la réalité qui passe avec les aspirations infinies de l’amour : Regardez-les passer, ces couples éphémères ! […] Chacun veut à son tour les avoir, Ces salopes que tout le monde a possédées.

350. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « MÉLEAGRE. » pp. 407-444

Ceux qui ont le mieux critiqué Barthélemy et fait ressortir ses infidélités, ses enjolivements de ton, n’auraient peut-être osé eux-mêmes tout aborder, tout rendre de cette poésie qu’ils admiraient si bien, et ils avaient à leur tour des adoucissements qui l’auraient par endroits voilée. […] Et quoi de plus propre à cet effet non-seulement que la reproduction fidèle des modèles grecs, mais aussi que la multitude d’efforts, de souplesses de tour et de grâces de langue qu’il faudrait retrouver ou acquérir en les rendant ! […] Quant au Fontenelle, c’est-à-dire à ce tour d’esprit volontiers moqueur d’un certain goût simple, il était aisément partout dans les salons, dès qu’il s’agissait de poésie, et on en découvrirait plus d’une dose jusque dans Voltaire. […] De la subtilité, de la manière sophistique, du mauvais goût, il en a certes beaucoup trop, et nous le dirons tout à l’heure ; mais tâchons auparavant de bien pénétrer son genre de passion, de tendresse même (car il en a aussi), et de saisir son tour d’imagination hardie et vive. […] Et si l’on me demande à mon tour pourquoi ce souci perpétuel du nouveau, et à quoi bon Méléagre à cette heure plutôt que tant d’autres, je répondrai avec Ulysse en son récit chez Alcinoüs : « Je ne puis souffrir de venir répéter aujourd’hui ce qui a été dit (par moi ou par d’autres) assez clairement hier. » 15 décembre 1845.

351. (1875) Premiers lundis. Tome III « Les poètes français »

Il y a, entre autres, une mémorable scène, c’est quand Bernier, le loyal vassal, qui a retrouvé sa mère religieuse dans un couvent de ce même pays du Vermandois qu’on va ravager, est tout d’un coup surpris par l’incendie de l’abbaye, à laquelle Raoul, le fougueux baron, avait pourtant la veille accordé la paix ; mais un incident survenu a retourné soudainement sa volonté aveugle et enflammé sa colère ; il a commandé qu’on mit le feu, et il a été trop bien obéi : Brûlent les cellules, s’effondrent les planchers ; Les vins s’épandent, s’enfoncent les celliers ; Les jambons brûlent et tombent les lardiers ; Le sain-doux fait le grand feu redoubler ; Il (le feu) s’attache aux tours et au maître-clocher : Force est bien aux couvertures de trébucher ; Entre deux murs est si grand le brasier, Que toutes cent (les nonnains) brûlent écrasées ; Marcens y brûle, qui fut mère à Bernier, Et Clamados, la fille au duc Renier… De pitié pleurent les hardis chevaliers. […] Ce qui est certain, c’est qu’il possédait un talent original ; c’est qu’au milieu des polissonneries et des tours pendables où il se gaudissait et où il était maître, il avait l’étincelle sacrée. […] Poète d’esprit plutôt que de génie et de grand talent, mais tout plein de grâce et de gentillesse, qui n’a point la passion, mais qui n’est pas dénué de sensibilité, il a des manières à lui de conter et de dire, il a le tour ; c’est déjà l’homme aimable, l’honnête homme obligé de plaire et d’amuser, et qui s’en acquitte d’un air dégagé, tout à fait galamment. […] Concilions-les du moins dans notre critique ouverte, équitable, nous gardant de les imiter dans leur mutuelle injustice, et de rendre, à notre tour, la pareille au rigoureux Malherbe pour s’être donné le tort de rebuter une telle poésie et de s’aliéner un tel compère ! […] Il l’est, poète, dans la conversation, par le jet pétillant de l’esprit, par l’étincelle perpétuelle, par le tour vif et charmant qu’il donne à toute chose.

352. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre II. Le quinzième siècle (1420-1515) »

La mort, idée centrale du dogme chrétien, se détache de plus en plus de toutes les croyances qui lui donnent sa haute moralité et sa vertu consolante, pour devenir une horreur matérialiste de la fin fatalement assignée aux voluptés égoïstes : terreur des grands, des riches, de tous ceux qui ont et qui jouissent, revanche des petits, des meurt-de-faim, de ceux qui manquent et qui souffrent,, dont elle adoucit le désespoir par la satisfaction qu’elle donne à leur férocité égalitaire, la mort inexorable, universelle est un thème que tous les écrivains représentent à leur tour : lieu commun, sans doute, mais lieu commun non banal, où déborde la pensée intime, obsédante de chaque âme. […] Les choses prenaient un vilain tour : l’évêque n’était pas disposé à lâcher le mauvais garçon, quand Louis XI, récemment sacré, passa près de Meung, donnant des lettres de rémission aux prisonniers dans toutes les villes où il s’arrêtait. […] Le bon droit de ses adversaires n’est pas toujours plus clair que le sien : mais ils profitent à leur tour du temps. Commynes rentre à la cour : aussitôt ses procès prennent un meilleur tour. […] Une marchande de Tours qui plaida contre lui, disant avoir été égorgée dans un contrat passé sous Louis XI, écrivait dans un mémoire ; le sieur d’Argenton qui pour lors était roy.

353. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Du génie critique et de Bayle »

Le fait est que Bayle aimait peu les champs, qu’il n’avait aucun tour rêveur dans l’esprit, rien qui le consolât dans le commerce avec la nature. […] Il me rappelle le vieux Pasquier avec un tour plus dégagé, ou Montaigne avec moins de soin à aiguiser l’expression. […] Montesquieu, qui conseillait plaisamment aux asthmatiques les périodes du Père Maimbourg, n’a pas échappé à son tour au défaut de trop écourter la phrase ; ou plutôt Montesquieu fait bien ce qu’il fait ; mais ne regrettons pas de retrouver chez Bayle la phrase au hasard et étendue, cette liberté de façon à la Montaigne, qui est, il l’avoue ingénument, de savoir quelquefois ce qu’il dit, mais non jamais ce qu’il va dire. Bayle garda son tour intact dans sa vie de province et de cabinet, il ne l’eût pas fait à Paris ; il eût pris garde davantage, il eût voulu se polir ; cela eût bridé et ralenti sa critique.

354. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Francisque Sarcey »

Et vous vous rappelez ce que disait Montaigne de ceux qui critiquaient son livre : « Je veux qu’ils donnent une nazarde à Plutarque sur mon nez et qu’ils s’eschauldent à injurier Sénèque en moy. » Bien qu’il ne s’agisse plus ici que du tour général du style, prenez bien garde de donner une pichenette à Voltaire sur le nez de M.  […] Je pense qu’on entrevoit maintenant le tour habituel de cette plaisanterie. […] c’est le métier de l’écrivain dramatique. » — « La scène est superbe, écrit-il à propos de la Tour de Nesle, absurde si l’on veut parce qu’elle est d’une invraisemblance monstrueuse, mais superbe !  […] Sarcey aime trop la Tour de Nesle.

355. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Ferdinand Fabre  »

Je ne vois guère que le Curé de Tours, de Balzac, où elle eût été déflorée. […] L’abbé Célestin et l’officier de santé Anselme Benoît la retrouvent, une nuit, dans une vieille tour abandonnée. […] Dans l’admirable conversation de l’évêque Jourfier avec le cardinal Finella (Balzac eût certainement signé ces pages), le subtil cardinal a une réflexion qui éclaire jusqu’au fond le caractère de « Lucifer » et toute cette histoire d’un prêtre qui n’est qu’un honnête homme : Le ton de votre langage m’épouvante, et c’est, moins par sa vivacité, hors de toute mesure, que par un tour trop direct où, passez-moi une expression hasardée, ne sonne pas assez l’âme ecclésiastique. […] oui, l’homme est ainsi fait, Rufin Capdepont, plus faible, eût été plus modéré peut-être… » Et quelle pédanterie naïve dans ce tour de phrase : « Sa tête surtout paraissait transfigurée.

356. (1895) La musique et les lettres pp. 1-84

Alors je me demande si de pareilles institutions, neutres à la brutalité qui en battrait le mur, ne demeurent d’autre part comme qui dirait en avance : certes si, élan d’un gothique perpendiculaire, la basilique là-bas du « Jesus » ou cette vigilante tour de « Magdalen », hors de jadis ne surgissent — quant à un spectateur impartial — très droit délibérément en du futur. […] Ou, que ceux, jeunes, à leur tour et à leur péril, recherchant la trace de surnaturels ancêtres, si argent il y a, aient qualité à le savoir là : en raison de la signification de ce patrimoine, le seul, pour eux, convenable. […] Le tour de telle phrase ou le lac d’un distique, copiés sur notre conformation, aident l’éclosion, en nous, d’aperçus et de correspondances. […]   Le vers par flèches jeté moins avec succession que presque simultanément pour l’idée, réduit la durée à une division spirituelle propre au sujet : diffère de la phrase ou développement temporaire, dont la prose joue, le dissimulant, selon mille tours.

357. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre troisième »

Ou ils devaient s’opiniâtrer d’autant plus à mépriser la prédication de la parole, que Calvin les y déclarait prédestinés, ou ils pouvaient à leur tour se prétendre les élus et Calvin le réprouvé. […] Ces contrastes si frappants, ces caractères et ces tours d’esprit si opposés, qui se produisent à la même époque et sous les mêmes influences, je n’imagine pas que ce soit pur hasard. […] A ne regarder dans Calvin et Rabelais que les excès de leur tour d’esprit particulier, on ne comprendrait pas que la perfection de l’esprit français dût être le fruit d’une contradiction si étrange. […] Par une autre conformité non moins marquée avec cet esprit, tandis que Rabelais se modelait sur les Grecs, Calvin se formait sur la langue latine, et en naturalisait parmi nous bon nombre de tours et d’expressions qui y sont demeurés.

358. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Appendice »

En vérité, mon ami, n’est-il pas vrai que Dieu m’a joué un bien mauvais tour ? […] Heureusement il n’en est pas ainsi ; nous sommes heureux grâce à une inconséquence et à un certain tour qui nous fait prendre en patience ce qui avec un autre tour deviendrait un supplice. J’imagine que vous avez dû éprouver ceci : il se passe en nous, relativement au bonheur, une espèce de délibération, où du reste nous sommes fatalement déterminés, par laquelle nous décidons sur quel tour nous prendrons telle ou telle chose ; car il n’est personne qui ne doive reconnaître qu’il porte en lui mille causes actuelles qui pourraient le rendre le plus malheureux des hommes.

359. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre X. La littérature et la vie de famille » pp. 251-271

Elles ont une influence continue sur la littérature, de même que la littérature à son tour les modifie incessamment. […] Sa femme le regarde du haut d’une tour et elle refuse de faire ouvrir. — Vous fuyez, lui dit-elle. […] Comme il arrive toujours, les mœurs à leur tour réagissent sur la littérature et il est parfois difficile de décider quand les poètes et les romanciers prennent ou fournissent des modèles à la société environnante. […] Il ne craint pas de répondre, quand on l’injurie : « C’est mon habit qui est un coquin. » Il y a déjà dessous un homme qui réfléchit et soupçonne que son tour de commander pourrait venir un jour.

360. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

Il ne me semble pas beaucoup plus nécessaire de prouver que la littérature réagit à son tour sur les mœurs : on sait assez que les personnages créés par les poètes ou les romanciers servent fréquemment de modèles aux jeunes gens ; que les sentiments ou les idées exprimés dans des ouvrages qui réussissent peuvent devenir ainsi des motifs d’action. […] Ce jour-là les types littéraires changent à leur tour. […] L’un s’engage à remuer du bout de son petit doigt une énorme boule de fer qui git dans une salle du palais ; un autre se flatte de faire éclater les mailles d’un haubert en gonflant les veines de son cou et les muscles de sa poitrine ; un troisième prétend toucher un écu sur le haut d’une tour en lançant une flèche d’un quart de lieue. […] Voici Villon qui célèbre les Repues franches, c’est-à-dire les festins qu’il s’est offert aux dépens d’autrui, et certains tours d’adresse qu’on qualifierait aujourd’hui d’escroqueries.

361. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Études sur Saint-Just, par M. Édouard Fleury. (2 vol. — Didier, 1851.) » pp. 334-358

Il y mêle des considérations politiques qui sont toutes dans le sens de l’ordre et de la défense sociale : mais, même quand il serait plus sobre de ce genre de discussions, le seul tableau des faits, la suite même des textes, les pièces à l’appui qu’il produit avec étendue, fournissent une base de jugement irréfragable, et tout lecteur, en se laissant conduire par le biographe, peut statuer à son tour en connaissance de cause et en sûreté de conscience. […] Tout annonce qu’il s’y distingua, et l’on croira sans peine qu’en appréciant la précocité de son talent, ses maîtres eurent de bonne heure à reconnaître le tour peu maniable de son caractère. […] En ce sens Saint-Just fut le doctrinaire de la Montagne : il le fut par le tour comme par les idées. […] Il a rendu ce méchant sentiment avec toute l’énergie dont il était capable, dans un de ses rapports où il est dit : « Il serait juste que le peuple régnât à son tour sur ses oppresseurs, et que la sueur baignât l’orgueil de leur front. » Selon Barère, une telle proposition ne trouva que résistance au sein même du Comité ; on répondit que nos mœurs répugnaient à un tel genre de supplice ; que la noblesse pouvait bien être abolie par les lois politiques, mais que les nobles conservaient toujours dans la masse du peuple un rang d’opinion, une distinction due à l’éducation, et qui ne permettait pas d’agir à Paris comme Marius agissait à Rome : Eh bien !

362. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1859 » pp. 265-300

On cherche une taille comme on ne cherche pas une épithète, on poursuit un effet de griffonnis comme on ne poursuit pas un tour de phrase. […] Et voir laver la planche, la voir noircir, la voir nettoyer, et voir mouiller le papier, et monter la presse, et étendre les couvertures, et donner les deux tours, ça vous met des palpitations dans la poitrine, et les mains vous tremblent à saisir cette feuille de papier tout humide, où miroite le brouillard d’une image à peu près venue. […] Allons, nous voilà dans les mains un outil d’immortalisation pour ce que nous aimons, pour le xviiie  siècle, et nous roulons projets sur projets de livres à figures, popularisant par l’estampe les hommes et les choses de ce temps : d’abord une série sur les artistes par fascicules et dont la première livraison, Les Saint-Aubin, s’imprime dans ce moment chez Perrin de Lyon ; puis un Paris au xviiie  siècle, donnant les tableaux et les dessins inédits ; enfin les personnages célèbres peints au pastel par La Tour, les masques et les têtes reproduites dans leur grandeur nature. […] si par hasard il voulait se montrer méchant, ou si Antonelli faisait quelque tour.

363. (1913) La Fontaine « IV. Les contes »

L’onde, pour la toucher, à longs flots s’entre-pousse ; Et d’une égale ardeur chaque flot à son tour S’en vient baiser les pieds de la mère d’Amour. […] Elle devient, comme il arrive quelquefois, elle devient à son tour sujette de l’amour, esclave de l’amour, et elle s’éprend d’un jeune cavalier qui, de son côté, comme vous pouvez vous y attendre, la dédaigne. […] Et il se décide à traduire en vers lui aussi, lui à son tour, un conte de Boccace ; il le fait en hésitant… Sera-ce trop que d’enhardir ma muse Jusqu’à tenter de traduire à mon tour.

364. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le Roman de Renart. Histoire littéraire de la France, t. XXII. (Fin.) » pp. 308-324

La femme gardienne du ménil, comme c’était le soir, vient appeler ses poules et s’aperçoit du malheur ; maître Costant arrive à son tour : on court sus de tous côtés à Renart ; on le poursuit de menaces et de huées. […]  » Mais pour cela il lui fallut ouvrir la bouche ; le Coq, qui n’attendait que l’instant, en profita, battit des ailes et s’envola sur un pommier, d’où à son tour il fit en souriant la leçon au cousin Renart. […] Dans les tours que fait Renart il en est d’odieux, il en est d’infâmes, et qui sont de la profanation la plus effrontée.

365. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — I. » pp. 446-462

Lorsque Ramond fit imprimer ces petits volumes à l’étranger, il avait déjà commencé son tour de Suisse ; mais la plupart des Élégies étaient composées bien auparavant, de 1773 à 1775, et quand il n’avait que dix-huit à vingt ans. […] Goethe a très bien raconté comment, ayant écrit Werther, il se trouva tout d’un coup soulagé et guéri ; mais, en s’en débarrassant, il avait inoculé son mal aux autres ; ce fut le tour de bien des lecteurs, par le monde, d’être atteints de la même fièvre. […] En parlant de la célèbre abbaye de Notre-Dame-des-Ermites ou d’Einsielden, dans le canton de Schwitz, William Coxe, ministre et chapelain anglican, s’était permis bien des ironies sur les pèlerins et leur dévotion qu’il appelait superstitieuse : ici Ramond prend à son tour la liberté d’abréger, dans sa traduction, ces sarcasmes trop faciles, et il exprime pour son compte un tout autre sentiment : Je l’avoue, dit-il, l’aspect de ce monastère m’a ému ; sa situation au milieu d’une vallée sauvage a quelque chose de frappant ; son architecture est belle, et son plan est exécuté sur de grandes proportions ; rien de plus majestueux que les degrés qui s’élèvent à la plate-forme de l’édifice et qui la préparent de loin par une montée insensible… Il est impossible d’entrer dans cette chapelle dont le pavé est jonché de pécheurs prosternés, méditant dans un respectueux silence et pénétrés du bonheur d’être enfin parvenus à ce terme de leurs désirs, à ce but de leur voyage, sans éprouver un sentiment de respect et de terreur.

366. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal du marquis de Dangeau — I » pp. 1-17

Mais en ce qui est du journal, ce qui amusait véritablement Mme de Maintenon (elle le dit et ce devait être, elle flatte peu, même ses amis), ce qui lui rappelait ce qu’elle avait oublié et qui l’obligeait parfois à rectifier quelques-uns de ses souvenirs, n’est-ce donc rien pour nous, et ne devons-nous pas savoir gré à celui qui nous met à même d’avoir comme vécu à notre tour en ce temps-là ? […] Dangeau avait de la littérature ; il rimait en homme du monde, faisait des impromptus au moment où on le croyait tout occupé ailleurs, et gagnait des gageures par des tours de force d’esprit : ce sont là des mérites bien minces de loin, mais qui sont comptés de près ; et lorsque l’on voit dans la notice des éditeurs tous ses talents divers, un peu à la guerre, un peu dans la diplomatie, sa manière de s’acquitter de bien des emplois avec convenance, ses assiduités surtout, ses complaisances bien placées, sa sûreté de commerce et son secret, on n’est pas étonné de sa longue faveur, et on est obligé de convenir qu’il la méritait ou la justifiait. […] [NdA] M. de Vivonne, Mme de Montespan et ses sœurs avaient dans l’esprit un tour inimitable, ce qu’on a pu appeler l’esprit Mortemart, le don de dire « des choses plaisantes et singulières, toujours neuves et auxquelles personne ni eux-mêmes, en les disant, ne s’attendaient. » (Saint-Simon.)

367. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres complètes de Saint-Amant. nouvelle édition, augmentée de pièces inédites, et précédée d’une notice par M. Ch.-L. Livet. 2 vol. » pp. 173-191

Le jour, je me promène sous des hêtres pareils à ceux que Saint-Amant dépeint dans sa Solitude ; et depuis six heures du soir que la nuit vient, jusqu’à minuit qui est l’heure où je me couche, je suis tout seul dans une grosse tour, à plus de deux cents pas d’aucune créature vivante : je crois que vous aurez peur des esprits en lisant seulement cette peinture de la vie que je mène. […] Chacun apportait son mets et son fruit : Thalie, de la part d’Apollon, présenta à son tour le melon, qui obtint le prix au jugement des gourmets immortels. — Une autre pièce que Perrault trouvait fort agréable, et que je suis fort tenté aussi de trouver jolie, est celle de La Pluie ; le poète y décrit au naturel l’effet bienfaisant que produit sur la terre, après une aride attente et une sécheresse de canicule, une ondée longtemps désiré. […] Le malheur est que le talent, fût-il des plus riches, ne suffit pas à ces tours de force ; on ne se dédouble pas ainsi.

368. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Tallemant et Bussy ou le médisant bourgeois et le médisant de qualité » pp. 172-188

On en chercherait vainement le charme dans les narrations de Bussy ; il n’y a ni douceur ni ardeur ; mais il a le tour fin, délicat, et le piquant de la malice. […] Ils parlaient bien, ils raillaient avec grâce, avec tour, ils jouaient d’un trait bien appuyé, bien acéré, et tout d’un coup, sans qu’on sache pourquoi, un petit délire soi-disant poétique les prend, ils s’arment d’un violon de village et font, pendant une minute ou deux, un crin-crin qui écorche les oreilles. […] Sa politesse de diction, sa simplicité de tour fait mieux ressortir de certains fonds.

369. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — II » pp. 268-284

C’est un tour de force, et un tour de force sérieux. […] Taine peut répondre que, quand on déclare la guerre à une école puissante, on la fait comme on l’entend, et que, quel que soit le tour de sa forme, il n’a rien sacrifié du fond des questions.

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