/ 2731
931. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Essai sur Amyot, par M. A. de Blignières. (1 vol. — 1851.) » pp. 450-470

Aucun nom littéraire de son siècle (si l’on excepte Montaigne) ne jouit d’une faveur aussi universelle. […] On s’est demandé si, en un siècle aussi riche que le xvie , en un siècle qui possédait un si grand nombre d’écrivains énergiques, colorés, vifs, naïfs, ou même gracieux par endroits, il était juste de transférer tout l’honneur de la naïveté, de la grâce et de l’éloquence sur un simple traducteur. […] Ce sont tous ces trésors si neufs alors, trésors de morale, trésors d’héroïsme, qu’Amyot, le premier, versa si copieusement à la fois et si limpidement dans le torrent de la circulation au xvie  siècle, de ce siècle corrompu et fanatique, comme pour l’épurer et l’humaniser, et dont la reconnaissance universelle, le cœur de tous les honnêtes gens, lui sut un gré infini.

932. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — I. » pp. 471-493

Pour tous ceux qui liront ces Mémoires, il restera désormais démontré que Mallet du Pan doit être placé et maintenu au premier rang des observateurs et des juges les plus éclairés du dernier siècle. […] Parlant de l’Histoire philosophique de l’abbé Raynal, il en relève, dans ses Annales (15 juin 1781), toutes les déclamations ridicules ou dangereuses : Quelles que soient leurs opinions, demandait-il, que les philosophes regardent les mœurs de notre siècle, et qu’ils nous disent si le moment est arrivé de diminuer les motifs d’être vertueux… Quels remords n’aurait pas M.  […] Il savait les vices du siècle, parmi lesquels l’écrivaillerie était l’un des plus grands : « L’écrivaillerie, répétait-il d’après Montaigne, est le symptôme d’un siècle débordé.

933. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre quatrième. L’expression de la vie individuelle et sociale dans l’art. »

Et maintenant l’ouragan, comme il le fait depuis des siècles et comme il l’a fait pour les cabanes des Hollandais, va couvrir de lave ce lieu de labeur paisible. […] Le style, c’est l’homme même, conséquemment l’individu ; ajoutez que c’est en même temps la société présente à cet individu, c’est l’ensemble des imperceptibles modifications qu’apporte au sentiment personnel l’influence de toute une époque, c’est le « siècle », qui nécessairement passe. […] L’effet profond d’un morceau d’éloquence ne dépasse guère son siècle ou le suivant. […] Cette brutalité a sa part de convention, comme la généralité et le vague des siècles précédents.

934. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre I. Shakespeare — Sa vie »

Cette industrie de garder les chevaux aux portes existait encore à Londres au siècle dernier, et cela faisait une sorte de petite tribu ou de corps de métier qu’on nommait les Shakespeare’s boys. […] § V Tel était le théâtre vers 1580, à Londres, sous « la grande reine » ; il n’était pas beaucoup moins misérable, un siècle plus tard, à Paris, sous « le grand roi » ; et Molière, à son début, dut, comme Shakespeare, faire ménage avec d’assez tristes salles. […] Vers la fin du siècle, il était assez riche pour que le 8 octobre 1598 un nommé Ryc-Quiney lui demandât un secours dans une lettre dont la suscription porte : à mon aimable ami et compatriote William Shakespeare. […] Le contrat hypothécaire qui constate cet emprunt, en date du 11 mars 1613, et revêtu de la signature de Shakespeare, existait encore au siècle dernier chez un procureur qui le donna à Garrick, lequel l’a perdu.

935. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre v »

Beaucoup d’israélites, fixés parmi nous depuis des générations et des siècles, sont membres naturels du corps national, mais ils sont préoccupés que leurs coreligionnaires nouvellement venus fassent leurs preuves de loyalisme. […] Mais il est d’autres Israélites en grand nombre, enracinés depuis des siècles et des générations dans le sol de France et mêlés familièrement aux bonheurs, aux malheurs de la vie nationale. […]   Les libres penseurs issus du catholicisme ou du protestantisme vivent, pour une grande part, du vieux fonds chrétien ; durant des siècles, ils furent préparés dans les petites églises de village. […] Roger Cahen continue, renouvelle, élargit une conception de l’existence que nous avons tellement aimée, il y a un quart de siècle.

936. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DAUNOU (Cours d’Études historiques.) » pp. 273-362

Ainsi dans l’ordre des études et des idées : on pourrait dire qu’héritier fidèle, et, en un sens, héritier pieux des richesses d’un siècle dont il égalait presque la tâche à celle de l’esprit humain, il aima mieux classer que renouveler. […] Qu’on y voie du moins combien Daunou était radicalement de son siècle, et, sous ses airs timides, aussi rénovateur que Condorcet. […] Sans doute, il a été commis beaucoup d’injustices, essuyé beaucoup de malheurs durant ces soixante-dix-huit années ; mais ce sont encore celles, depuis le siècle des Antonins, oit il a été le moins difficile et le moins périlleux d’exister. […] Pour le français, il se resserrait encore dans ses prédilections, et, sauf une ou deux exceptions, ne faisait cas que de celui des deux derniers siècles. […] A ton amour, Fléchier, notre siècle a des droits.

937. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXVI » pp. 100-108

Ceux-ci ont répliqué, Michelet je ne sais où, Quinet a dû répondre dans le Siècle. […] Guizot, au début, l’avait aussi peu que possible, eu égard à sa distinction ; il a écrit peut-être quelques-unes des plus mauvaises pages qu’on ait lues en français (dans sa notice en tête de la traduction de Shakspeare) ; il s’est formé depuis au style écrit par l’habitude de la parole, et l’usage, le maniement si continuel et si décisif qu’il a eu de celle-ci, l’a conduit à porter dans tout ce qu’il écrit la netteté inséparable de sa pensée. — Cousin est peut-être celui des trois qui, sans effort, atteindrait le mieux au grand style d’autrefois et qui jouerait le plus spécieusement, plume ou parole en main, la majestueuse simplicité du siècle de Louis XIV. — Pour Villemain, par l’éclat même et les élégantes sinuosités de sa recherche, il trahit un âge un peu postérieur ; il enchérit à quelques égards sur le xviiie  siècle, en même temps qu’il le rafraîchit, qu’il l’embellit avec charme et qu’il l’épure.

938. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Sur l’École française d’Athènes »

Et à qui donc devrait-on l’introduction, la naturalisation de la langue grecque en Occident, sinon à ces savants des xive et xve siècles, aux Chrysoloras, aux Théodore Gaza, aux Chalcondyle, aux Lascaris, à ceux enfin qui arrivaient tout pleins, comme d’hier, des antiques trésors, qui les possédaient par héritage et par usage, en vertu d’une tradition bien prolongée sans doute, mais ininterrompue  ? […] Dans notre siècle positif, et avec nos habitudes, si excellentes d’ailleurs, de bon ordre administratif et de contrôle constitutionnel, on n’est guère disposé à rien essayer, à rien proposer qu’après des espèces de plans et de devis parfaitement rigoureux en apparence, et que la pratique ne laisse pas de déjouer souvent.

939. (1874) Premiers lundis. Tome I « Deux révolutions — I. De la France en 1789 et de la France en 1830 »

Au 14 juillet, l’orage populaire commençait ; toutes les haines amassées par l’ancien régime et descendues jusque des hauteurs du moyen âge débordaient à la fois, prêtes à entraîner dans leur cours, bastilles, palais, églises et châteaux : avant que ces haines, nourries durant des siècles, fussent taries, que ces passions implacables fussent étanchées, il fallait des monceaux de ruines, des torrents de sang ; il fallait de longs intervalles d’oubli, des révulsions puissantes ; il fallait surtout que rien ne restât debout du passé pour irriter les souvenirs. […] Ces conditions favorables du milieu ambiant et des propriétés de la masse sur laquelle on opère, qu’avaient un peu trop négligées les Constituants, et auxquelles, dans toute leur prévoyance, ils n’auraient pu suppléer, nous les réunissons aujourd’hui : nous devons en profiter ; jamais en aucun siècle ni en aucun pays la disposition de la société n’a été aussi heureuse, et n’a permis une application aussi féconde des principes éternels de la raison humaine.

940. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Préface »

À la fin du siècle dernier, pareille à un insecte qui mue, elle subit une métamorphose.. […] Dans l’organisation que la France s’est faite au commencement du siècle, toutes les lignes générales de son histoire contemporaine étaient tracées, révolutions politiques, utopies sociales, divisions des classes, rôle de l’Église, conduite de la noblesse, de la bourgeoisie et du peuple, développement, direction ou déviation de la philosophie, des lettres et des arts.

941. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Prosper Mérimée. »

A une époque où le génie français s’épanchait avec une magnifique intempérance, au temps de la poésie romantique, au temps des romans débordés, Mérimée, comme Stendhal (mais avec plus de souci de l’art), restait sobre et mesuré, gardait tout le meilleur de la forme classique  en y enfermant tout le plus neuf de l’âme et de la philosophie de notre siècle. […] C’est d’abord la vue la plus nette de ce qu’il y a de relatif dans la morale, et des différences foncières que les tempéraments, les siècles et les pays mettent entre les hommes.

942. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Guy de Maupassant »

Et Bel-Ami semblait une « remise au point », après un siècle et demi, du Paysan parvenu… Puis, l’angoisse vint… La volupté finit toujours, comme on sait, par être grande maîtresse de métaphysique. […] Très sommairement, son histoire est celle d’un primitif venu tard et modifié, peu à peu, par l’atmosphère morale de son temps, ressaisi par les inquiétudes spirituelles que nous ont léguées les siècles écoulés.

943. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé à Quimper »

Voilà une attitude que nous ferons bien de garder ; car le siècle, à force d’intransigeance, comme on dit m’a l’air de dégénérer en pugilat. […] Ils n’ont pas oublié que leurs aïeux, depuis des siècles, avaient pour profession de casser des têtes d’Anglais ou de se faire casser la leur ; c’était honorable, car c’était réciproque.

944. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XII. Ambassade de Jean prisonnier vers Jésus  Mort de Jean  Rapports de son école avec celle de Jésus. »

Quelquefois, à Élie on associait, soit le patriarche Hénoch, auquel, depuis un ou deux siècles, on s’était pris à attribuer une haute sainteté 564, soit Jérémie 565, qu’on envisageait comme une sorte de génie protecteur du peuple, toujours occupé à prier pour lui devant le trône de Dieu 566. […] Quant aux sectes d’Hémérobaptistes, de Baptistes, d’Elchasaïtes (Sabiens, Mogtasila des écrivains arabes 583, qui remplissent au second siècle la Syrie, la Palestine, la Babylonie, et dont les restes subsistent encore de nos jours chez les Mendaïtes, dits « chrétiens de Saint-Jean », elles ont la même origine que le mouvement de Jean-Baptiste, plutôt qu’elles ne sont la descendance authentique de Jean.

945. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre III. Parallèle de la Bible et d’Homère. — Termes de comparaison. »

Consacrés par les siècles, ces poèmes ont reçu du temps une espèce de sainteté qui justifie le parallèle et écarte toute idée de profanation. […] Cet autel doit dire aux siècles futurs que deux hommes des anciens jours se rencontrèrent dans le chemin de la vie ; qu’après s’être traités comme deux frères, ils se quittèrent pour ne se revoir jamais, et pour mettre de grandes régions entre leurs tombeaux.

946. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre III. Trois espèces de jurisprudences, d’autorités, de raisons ; corollaires relatifs à la politique et au droit des Romains » pp. 299-308

Corollaire relatif à la sagesse politique des anciens Romains Ici se présente une question à laquelle il semble bien difficile de répondre : lorsque Rome était encore peu avancée dans la civilisation, ses citoyens passaient pour de sages politiques ; et dans le siècle le plus éclairé de l’empire, Ulpien se plaint qu’ un petit nombre d’hommes expérimentés possèdent la science du gouvernement . […] Ainsi les faits nous apparaissent tellement séparés de leurs causes, que Bodin, jurisconsulte et politique également distingué, montre tous les caractères de l’aristocratie dans les faits que les historiens rapportent à la prétendue démocratie des premiers siècles de la république. — Que l’on demande à tous ceux qui ont écrit sur l’histoire du Droit romain, pourquoi la jurisprudence antique, dont la base est la loi des douze tables, s’y conforme rigoureusement ; pourquoi la jurisprudence moyenne, celle que réglaient les édits des préteurs, commence à s’adoucir, en continuant toutefois de respecter le même code ; pourquoi enfin la jurisprudence nouvelle, sans égard pour cette loi, eut le courage de ne plus consulter que l’équité naturelle ?

947. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la liberté de l’enseignement »

Des siècles après, quand l’Assemblée constituante mit fin à cette oppression, à cette iniquité séculaire, et rendit aux juifs le droit de cité, savez-vous ce qu’écrivait le lendemain la petite-fille de saint Louis, la digne et vertueuse Madame Élisabeth ? […] Il était réservé à notre siècle de recevoir comme amie la seule nation que Dieu ait marquée d’un signe de réprobation, d’oublier la mort qu’elle a fait souffrir à Notre-Seigneur et les bienfaits que ce même Seigneur a toujours répandus sur la France, en faisant triompher ses ennemis et leur ouvrant avec joie notre sein. […] messieurs, prenons garde de revenir à des siècles en arrière, quand le Parlement rendait des arrêts contre l’anti-moine ou contre l’émétique ! […] Prenons garde, messieurs, de renouveler ces déplorables conflits éteints depuis un siècle. […] Et au même moment, dans une lettre adressée au plus compromettant, au plus brouillon des prélats de France, il trouve moyen d’insulter un de vos ministres il prétend vous imposer sa destitution : ce qui ne s’était jamais vu de mémoire de roi dans l’ancienne France, durant les siècles de la religion gallicane.

948. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre deuxième »

Je juge moins Descartes comme auteur d’une philosophie plus ou moins contestée, que comme écrivain ayant exercé sur la littérature de son siècle une influence décisive. […] Après avoir régné pendant la seconde moitié du dix-septième siècle, il s’est vu discrédité au siècle suivant. […] Il veut connaître par la raison naturelle son existence, celle de Dieu, celle du monde extérieur ; il veut y arriver par sa propre force, sans le témoignage des siècles, sans donner au consentement de l’univers le poids d’une prémisse dans un raisonnement rigoureux ; poussant la difficulté à l’extrême pour rendre la solution plus évidente, et reculant par-delà le doute jusqu’à une sorte de néant de toute croyance, afin de rendre invincible celle où il se fixera. […] Après avoir suivi avec curiosité, dans les siècles antérieurs, ces vagues traditions de l’antiquité qui sont comme les lisières à l’aide desquelles l’esprit français marche d’un pas de plus en plus assuré, nous avons été heureux de voir de grands écrivains, Rabelais, Calvin, Amyot, Montaigne, égaler sur quelques points la pensée française à celle de l’antiquité, notre langue aux deux langues universelles. […] Sans accorder à ses contradicteurs qu’il était aussi instruit en toutes choses qu’homme de son siècle, et de beaucoup le plus instruit dans les matières de science et de philosophie, on peut dire que l’antiquité, qu’il avait arrachée de sa mémoire, comme corps de doctrines, y était restée comme méthode générale ; et c’est par l’effet d’une illusion qu’il crut inventer beaucoup de choses qu’il retrouvait.

949. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Victor Hugo »

Le peintre ardent des Orientales, le magnifique et le puissant de la Légende des Siècles, qui faisait ruisseler la couleur par si larges touches, n’a plus maintenant, pour peindre ce qu’il voit ou ce qu’il veut montrer, qu’un hachis de hachures pointues… Voyez son pendu, dans ce premier volume de l’Homme qui rit, cette description qui dure le temps d’une dissertation, et qui n’est, après tout, qu’un cul-de-lampe extravasé, malgré sa visée d’être un tableau net et terrible ! […] Il commence son livre par un coup de pied dans le ventre du xviie  siècle, qu’il appelle un siècle byzantin, puis au pape, « qui a besoin — dit-il — de monstres pour faire ses prières ». […] Mais nous ne nous doutions pas qu’aux travaux historiques et critiques signalés par nous en passant, contre la grosse balourdise des crimes des Borgia, il allait s’en ajouter un autre, définitif, sur le chef de la hideuse famille, sur le serpent générateur de toute cette nichée de serpents… Nous ne nous doutions pas qu’un livre sur Alexandre VI48 achèverait d’un dernier coup le monstre postiche devant lequel les imbécilles et les hypocrites vertueux se sont indignés ou ont tremblé depuis trois siècles avec une émotion si comédienne ou si dupe, et qu’il serait solennellement envoyé à Victor Hugo pour refaire son éducation sur cette question des Borgia, et lui montrer qu’il est plus honteux pour le génie que pour personne d’être, à ce point-là, mystifié. […] Évidemment ils sont sacrifiés au royaliste Lantenac, et le livre semble une Légende des Siècles de plus, — la légende du dernier siècle de l’antique et grande Monarchie française, — qu’Hugo l’ait voulu ou ne l’ait pas voulu ! […] Quand Walter Scott, qui est le Shakespeare du Roman, et quand Balzac, pour lequel je cherche un nom qui puisse dire sa place, plus haute que celle de Walter Scott, nous donnent ces récits qui sont les vraies épopées de ce siècle, ils ne procèdent point par heurts et par tableaux détachés.

950. (1882) Hommes et dieux. Études d’histoire et de littérature

De quelle avenue de siècles tu viens à nous, ô jeune souveraine ! […] Quarante siècles embaumés ! […] Il étonna le cinquième siècle, si habitué pourtant aux épouvantements. […] Encore un siècle, et l’Espagne s’éteint. » A la fin du siècle, en effet, on compte à peine six millions d’hommes clairsemés dans la Péninsule. […] Pendant deux siècles, l’Espagne n’a qu’un seul roi en quatre personnes.

951. (1920) Impressions de théâtre. Onzième série

Nous aurons été, dans ce siècle-ci, plusieurs milliers d’auteurs dramatiques. […] Weiss affirmait tranquillement la « dureté » de Molière qui était d’ailleurs, ajoutait-il, celle de tout son siècle. […] Et ce n’était que justice, car ce poète est bien une des figures les plus originales de ce siècle. […] C’était, au siècle dernier, un berger ou une bergère, ou bien un Inca et une jeune Indienne. […] Ecoutez-le parler de son siècle : N’en doutez pas, mon roi, c’est un siècle puissant !

952. (1894) La vie et les livres. Première série pp. -348

Un murmure lointain, arrivant à travers les siècles, éveillait en lui de charmants souvenirs, bien faits pour le distraire des ennuis du présent. […] Lorsqu’il sortit de cet ermitage, il était devenu presque indifférent aux élégances du siècle. […] Un beau rêve de pureté et de bonheur l’entraîne : elle veut, dans sa traversée du siècle, approcher le plus possible de la béatitude promise aux élus. […] Bonvalot a remonté, pour son plaisir, la série de siècles qui les sépare. […] Comme tous les poètes de ce siècle, comme Victor Hugo, Lamartine, Michelet, Taine, il a été tour à tour déçu et consolé par elle.

953. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre second » pp. 200-409

Sans ce tribut, la sagesse accumulée des siècles serait un don gratuitement accordé à des ingrats. […] « Sénèque, je dirai hardiment de toi, qu’aucun des philosophes des siècles passés ne t’égala, qu’aucun des siècles suivants ne te surpassa dans la philosophie morale. […] Quoique la dépravation ait fait de grands progrès depuis un siècle, nous n’en sommes pas encore venus jusqu’à louer l’adultère. […] Cette difficulté d’enfants a occupé dans tous les siècles les têtes les plus fortes. […] Faut-il être l’homme de tous les temps, ou l’homme de son siècle ?

954. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome I

Conçus dans les entrailles de leur siècle, tout le cœur humain se remue sous leur enveloppe. […] Rien n’y peut faire, ce sont vingt siècles de chrétienté qui le séparent des Maures. […] Ceux même qui s’insurgent contre leur siècle en font partie dans cette révolte même. […] Elle-même est une durée, une communion avec les bonnes volontés de tous les siècles. […] Il semble donc que cette cérémonie aurait dû revêtir un caractère purement historique et déjà nous voyons que l’opinion s’émeut passionnément à ce propos, comme si un siècle entier — et quel siècle ! 

955. (1884) Les problèmes de l’esthétique contemporaine pp. -257

Au reste, nous avons eu, même de nos jours et malgré nos canons, des équivalents modernes de l’épopée, comme La Légende des siècles. […] D’un groupe du public littéraire à un autre groupe, il y a parfois autant de différence qu’entre un siècle et un autre siècle : chacun d’eux a son art, ses talents, ses réputations ; ces groupes ne peuvent guère plus se passer les uns des autres qu’un grand siècle historique ne peut se passer des périodes de fermentation sourde qui l’ont précédé et produit. […] D’ailleurs il est impossible de juger les peuples dont l’existence nationale date d’un siècle et qui sont pour ainsi dire en voie de formation, sortes de nébuleuses humaines. […] À aucune époque de l’histoire, la rime riche ne fut tenue en aussi grand honneur que pendant ces deux siècles. […] Les types mêmes de la beauté varient d’un siècle à l’autre, d’un lieu à l’autre, en peinture comme en sculpture.

956. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Dupanloup, homme d’éloquence et de zèle, mais d’un zèle qui n’est pas toujours sûr, il lui sembla tomber dans un monde tout nouveau : au sortir d’une nourriture chrétienne classique, sévère et sobre, il était mis à un régime bien différent ; il avait affaire pour la première fois à ce catholicisme parisien et mondain, d’une espèce assez singulière, que nous avons vu, dans ses diverses variétés, naître, croître chaque jour et embellir ; catholicisme agité et agitant, superficiel et matériel, fiévreux, ardent à profiter de tous les bruits, de toutes les vogues et de toutes les modes du siècle, de tous les trains de plaisir ou de guerre qui passent, qui vous met à tout propos le feu sous le ventre et vous allume des charbons dans la tête : il en est sorti la belle jeunesse qu’on sait et qu’on voit à l’œuvre. […] Mais notre siècle, mal abrité et ouvert à tous les vents, ne permet plus ces établissements éphémères : les beaux nuages d’un Malebranche seraient de nos jours bien vite balayés par les tempêtes ou les moindres souffles qui partent chaque matin de tous les points de l’horizon. […] Certes, l’homme qui s’exprime ainsi n’est pas irréligieux : il me paraîtrait même conserver et introduire dans sa conclusion dernière une légère part de mysticisme ou d’indéterminé sous le nom d’idéal ; et je serais plutôt tenté, quand je considère l’histoire du monde, la vanité de notre expérience, la variété et le recommencement perpétuel de nos sottises ; quand je viens à me représenter combien de lacunes en effet dans ce cabinet des types et échantillons qu’il appelle magnifiquement la conscience du genre humain, combien de pertes irréparables et que de hasard dans ce qui a péri et ce qui s’est conservé, combien d’arbitraire et de caprice dans le classement de ce qui reste, et que ce restant dont nous sommes si fiers, si l’on excepte les tout derniers siècles qui nous encombrent, et dont, nous regorgeons, n’est, en définitive, qu’un trésor composé d’épaves comme après un naufrage ; — quand je me représente toutes ces interruptions, ces oublis, ces brusqueries et ces croquis de souvenirs, ces ignorances complètes ou ces à-peu-près, et à vrai dire, ces quiproquos qui ne sauraient pourtant revenir tout à fait au même, — je serais, je l’avoue, plutôt tenté de trouver que M. 

957. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — II »

C’est nous donner le change et se payer de mots, que d’identifier le problème de la destinée de l’humanité avec celui de la destinée du moi ; la métaphysique et la psychologie ne détermineront pas l’histoire ; l’individu quelconque, s’observant isolément d’après la méthode expérimentale appliquée aux faits de conscience, n’atteindra que certaines formes constantes de sa nature, certains éléments abstraits de son esprit ; il n’acquerra que des probabilités éloignées sur l’immortalité de son âme, et il ne sera nullement en droit ni en mesure de conclure de là au développement de l’espèce à travers les siècles, à l’explication de sa perfectibilité croissante, de son émancipation progressive, de ses conquêtes au sein de la nature ; à la prédiction de son avenir sur cette terre ; pas plus que le chimiste habile qui aurait décomposé et analysé une portion du lobe gauche ou droit du cerveau humain, qui aurait vu certains gaz se sublimer et certains sels se déposer, ne serait en mesure ni en droit de conclure de cette décomposition morte à la loi physiologique du règne animal et de ses évolutions organiques. […] Vous supposez dès le début que l’homme est condamné à chercher ici-bas la vérité, seul, par lui-même, à la sueur de son front ; et tout cet effort infatigable de l’humanité pendant des siècles, ce sang, ces larmes répandues à travers ses diverses servitudes, ces joies quand elle se repose et se développe harmonieusement, ces religions qui fondent, ces philosophies qui préparent ou détruisent, cette loi de perfectibilité infinie et d’association croissante, tout cela n’aura abouti pour vous qu’à la conception mélancolique et glacée d’un ensemble d’êtres rationnels avant tout, destinés à s’observer, à se connaître, s’ils en ont la capacité et le loisir, à chercher concurremment ce qu’aucun ne sait, ce qu’aucun ne saura ; honnêtes gens tristes et solitaires, sortis d’un christianisme philosophique d’où la foi et la vie ont disparu, ayant besoin d’espérer, s’essayant à croire, oubliant et rapprenant la psychologie tous les ans, pour s’assurer qu’ils ne se sont pas trompés, et pour vérifier sans cesse les résultats probables de leur observation personnelle. […] Il a montré le gouvernement, comme la société, en quête de l’idée nouvelle et ne la possédant pas ; l’ordre moral nul, l’ordre matériel ne subsistant que parce que tout le monde se rend compte du péril et y prend garde ; il n’a vu dans la liberté et dans les diverses conséquences qu’on en réclame que des moyens pour atteindre à un but inconnu ; et durant tout le temps qu’il appuyait ainsi le doigt sur ces plaies du siècle, l’auditoire jeune et fervent, comme un malade plein de vie, palpitait ; il était suspendu en silence aux lèvres du maître éloquent, et il attendait jusqu’au bout le remède : le remède n’est pas venu.

958. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre V. De la lecture. — Son importance pour le développement général des facultés intellectuelles. — Comment il faut lire »

Sinon on court risque d’explorer des chemins frayés et de refaire après quatre siècles la découverte de Christophe Colomb. […] Ils y saisiront surtout avec plus de facilité le rapport du livre et de la vie, l’étroite liaison de l’idée et de la réalité : ils sentiront que ce ne sont point des fantaisies en l’air dont on les entretient ; ils apercevront dans ces mots, ces éternels mots, dont tant de siècles ont fatigué leurs oreilles, toute la vie de l’humanité et leur propre vie. […] Leur goût se développerait et s’affinerait, à faire ainsi la part du tempérament de l’artiste et du génie de son siècle, à reconnaître la couleur et la forme accidentelles que peut prendre une vérité universelle.

959. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre III. Poésie érudite et artistique (depuis 1550) — Chapitre I. Les théories de la Pléiade »

Il avait pour trois siècles au moins donné la haute poésie à l’alexandrin. […] 4° On ne craindrait pas de mêler au langage courtisan les meilleurs mots de tous dialectes et patois français, « principalement ceux du langage wallon et picard, lequel nous reste par tant de siècles l’exemple naïf de la langue française ». […] Le tort qu’il a eu, c’est d’essayer cela deux siècles et demi trop tôt : nos romantiques ont légué à nos naturalistes le goût des substantifs abstraits mis à la place des adjectifs classiques.

960. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre II. La critique »

La première partie du siècle appartient à Villemain854, qui met à l’épreuve les idées de Mme de Staël, et aux théoriciens du romantisme, qui, plus ou moins confusément, expliquent ou justifient la révolution accomplie dans les œuvres. […] Étalant à nos yeux son ample collection de petits faits significatifs, il a encore ici fait jouer ses trois forces, race, milieu, moment, avec une étonnante vigueur d’imagination philosophique : quelques erreurs dans l’estimation des sources, de violents partis pris dans l’interprétation de l’enchaînement des faits, ne diminuent pas la solidité de l’œuvre, ni surtout sa richesse suggestive867 Taine est un des grands esprits de ce siècle : il a eu au suprême degré l’intelligence et la volonté. […] Dans Tennyson entre en composition l’Anglo-Saxon, dont la formule a été fixée au début de l’ouvrage ; et cette formule s’est retrouvée à chaque siècle comme élément de tous les écrivains.

961. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Joséphin Soulary »

» Les mieux renseignés ajouteront : « C’est un poète de Lyon, un ciseleur de vers et le plus grand sonnettiste du siècle. » Voilà, je crois, sur M.  […] Soulary est le poète du siècle qui a fait le plus de sonnets ; ce n’est pas la même chose que d’en être le premier sonnettiste. […] Il est dans notre siècle le représentant inattendu du gai savoir et de la poésie menue des cours d’amour.

962. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Les femmes de France : poètes et prosateurs  »

II Voici la contemporaine de Jeanne d’Arc, l’excellente Christine de Pisan, si digne, si naïve, si pleine de vertu et de prud’homie, qui, raide comme un personnage de vitrail, s’applique, avec le grand sérieux des bonnes âmes du moyen âge, gauchement et gravement, à enserrer la langue balbutiante de son siècle dans la forme du style cicéronien comme dans un heaume lourd et trop large. […] Si je ne me trompe, nous retrouverons quelque chose de cette honnête candeur chez Madeleine de Scudéry, la vierge sage, d’âme héroïque et d’esprit prolixe  Voici Marguerite d’Angoulême, très savante, très entortillée, toute fumeuse de la Renaissance, souriante, gaie et bonne à travers tout cela, avec son grand nez sympathique, le nez de son frère François Ier  Puis, c’est l’autre Marguerite, Marguerite de Valois, point pédante celle-là, dégagée, galante avec une entière sécurité morale, que rien n’étonne, qui raconte si tranquillement la Saint-Barthélémy ; la première femme de son siècle qui écrive avec simplicité ; une inconsciente, un aimable monstre, comme nous dirions, aujourd’hui que nous aimons les mots plus gros que les choses  Je mets ensemble les enamourées, les femmes brûlantes, les Saphos, chacune exhalant sa peine dans la langue de son temps : Louise Labé mettant de l’érudition dans ses sanglots ; Mlle de Lespinasse mêlant aux siens de la sensibilité et de la vertu, Desbordes-Valmore des clairs de lune et des saules-pleureurs… Mlle de Gournay est une antique demoiselle pleine de science, de verdeur et de virilité, une vieille amazone impétueuse que Montaigne, son père adoptif, dut aimer pour sa candeur, une respectable fille qui a l’air d’un bon gendarme quand, dans son style suranné, elle défend contre Malherbe ses « illustres vieux ». […] Les rêves les plus généreux de ce siècle, les chimères sociales des bons utopistes et leurs philosophies mystiques se réfléchissent toutes dans vos livres, un peu pêle-mêle quelquefois, car vous aviez souci de les refléter plus que de les éclaircir, chère âme grande ouverte !

963. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens II) Henry Fouquier »

Il n’ignore rien de ce que tous les esprits originaux de ce siècle ont pensé et senti ; il le repense avec une hardiesse légère, il le ressent avec une vivacité d’impression jamais émoussée. […] Grec de la décadence, Florentin d’il y a trois siècles, roué du siècle dernier, Parisien d’aujourd’hui et Français de toujours, homme de plaisir et homme d’action…, voilà bien des affaires !

964. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Barbey d’Aurevilly. »

Ce qui rend l’âme de M. d’Aurevilly peu accessible à ma bonhomie, ce n’est pas qu’il soit aristocrate dans un siècle bourgeois, absolutiste dans un temps de démocratie, et catholique dans un temps de science athée (je vois très bien comment on peut être tout cela) ; mais c’est plutôt la manière dont il l’est. […] Mais il l’est avec une si hyperbolique furie, une satisfaction si proclamée de n’être pas comme nous, un étalage si bruyant, une mise en scène si exaspérée, qu’une défiance m’envahit, que l’intérêt tendre que je tenais tout prêt pour ce revenant des siècles passés hésite, se trouble, tourne en étonnement, et que je ne crois plus avoir devant moi qu’un acteur fastueux, ivre de son rôle et dupe de son masque. […] Mais notre siècle a inventé une forme nouvelle du péché de malice, quelque chose de bâtard et de contradictoire : le péché de malice sans la foi, le plaisir de la révolte par ressouvenir et par imagination.

965. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Deux tragédies chrétiennes : Blandine, drame en cinq actes, en vers, de M. Jules Barbier ; l’Incendie de Rome, drame en cinq actes et huit tableaux, de M. Armand Éphraïm et Jean La Rode. » pp. 317-337

Une tragédie chrétienne dont l’action se passe à un moment quelconque des trois premiers siècles de l’Empire, de Néron à Dioclétien, cela comporte un certain nombre de personnages sans doute inévitables. […] Et je sais bien que, il n’y a guère plus d’un siècle, des magistrats lettrés, et qui peut-être composaient de petits vers, faisaient « questionner » des misérables sous leurs yeux ; que l’on venait en foule voir « rouer » en place de Grève ; qu’aujourd’hui encore, des chevaux éventrés par un taureau, lui-même tout ruisselant sous les flèches des banderilles, forment un spectacle délicieux pour des gens qui sont cependant nos frères, et qu’enfin il se rencontre des personnes distinguées pour aller voir guillotiner sans y être obligées professionnellement. […] des manières de « cléricaux. » Mais avec tout cela, il est certain que les chrétiens devaient être assez exactement, aux yeux de la société régulière des premiers siècles, ce que les plus violents révolutionnaires sont pour la nôtre.

966. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre premier. La critique et la vie littéraire » pp. 1-18

Bien qu’il y ait un peu plus de dix-neuf siècles qu’on observe le caractère « irritable des poètes », j’ai la naïveté de m’en étonner et l’humilité de m’en plaindre. […] Brunetière se met à écrire avant que de sentir, et malgré la force de son intelligence, il est un critique pour l’histoire seulement, pour Bossuet, pour Massillon, non pour la littérature qui se vit, qui se fait, qui se sent dans son siècle. […] Mais, outre que le risque est de nos jours assez rare, les couronnes tressées à des médiocres ne sont pas moins ridicules auprès un siècle.

/ 2731