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522. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La femme au XVIIIe siècle, par MM. Edmond et Jules de Goncourt. » pp. 2-30

Comme Mme du Deffand, Mme de Boufflers avait le talent ou la manie des couplets satiriques, alors en vogue ; elle lardait son monde à merveille : on le lui rendait bien. […] Toutes les femmes de la Cour savent vous persuader cela quand elles veulent, vrai ou non ; mais toutes ne savent pas, comme Mme de Luxembourg, vous rendre cette persuasion si douce, qu’on ne s’avise plus d’en vouloir douter… » C’est la seule page de cet admirable Xe livre que je veuille rappeler ici, et Rousseau lui-même, dans sa plus mauvaise humeur, ne pensa jamais à la rétracter. […] » C’est ce qu’elle écrit dans les mauvais jours, quand elle se laisse aller à son humeur ; mais cependant elle est obligée de convenir que cette maréchale juge très-bien les gens, qu’ils sont démêlés et sentis par elle à souhait, qu’elle rend toute justice particulièrement au mérite de cette charmante duchesse de Choiseul. […] Elle se console par la justice que lui rendent ceux qui la connaissent plus particulièrement, et par les sentiments qu’elle leur inspire. […] Mme de Souza, l’auteur délicat d’Eugène de Rothelin, nous a très-bien rendu, dans cette jolie production, une Mme de Luxembourg un peu adoucie sous les traits de la maréchale d’Estouteville6, et elle n’a pas oublié, auprès d’elle, le charmant contraste de la duchesse de Lauzun, devenue dans le roman Mme de Rieux.

523. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.) »

C’est ainsi que la forteresse de Montmélian, seule place du duché de Savoie qui ne fût pas encore en notre pouvoir, lui parut une conquête possible malgré la saison avancée et la forte position qui était « hideuse pour un assiégeant » ; il s’en rendit maître le 21 décembre de cette année 1691 si remplie. […] Il était à son poste, à la frontière d’Italie : le roi lui écrivit de sa main, de Versailles, le 27 mars 1693 : « Les services que vous me rendez me sont si utiles et agréables, que je crois ne pouvoir mieux vous le témoigner qu’en vous faisant maréchal de France. […] Vous en prêterez le serment quand le bien de mes affaires vous permettra de vous rendre auprès de moi. ». […] Grupel se glisse dans la place le 22 septembre, à la faveur d’un travestissement qui le rendait méconnaissable ; il est porteur de belles paroles. […] Il trouve cette fois, pour assembler son armée et la porter au-delà des monts, une vivacité de mouvement inaccoutumée ; il était rendu en Italie le 1er octobre et tenait la plaine.

524. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [I] »

Helbig nous rendait un autre poète flamand qui avait figuré à la cour des Valois sous le nom travesti de Sylvain (1861). […] Achille Genty, semblait s’être attaché de prédilection à Vauquelin de La Fresnaye dont il nous a rendu l’Art poétique (1862), mais qu’il n’a pu cependant faire réimprimer en entier, au grand regret de tous ceux pour qui le volume original, tout à fait rare et hors de prix, est inabordable. […] Par ce simple aperçu, que je ne me flatte pas d’avoir su rendre complet, j’ai tenu à bien montrer du moins l’ensemble du mouvement qui s’est produit, depuis une trentaine d’années, autour de cette famille particulière de vieux poètes. […] MM. d’Héricault et de Montaiglon ont rendu ce genre de service par les publications d’auteurs et de poètes du xve et du xvie  siècle qu’ils ont données dans la très-utile Bibliothèque elzèvirienne de M.  […] Pourquoi ne pas les imiter, ces grands modèles, rendus à notre admiration après un si long laps d’oubli ?

525. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre IV. Le patriarche de Ferney »

Au lieu de tout jeter à bas pour tout réédifier, il ne touche qu’à certaines parties de l’édifice, aux unes d’abord, puis aux autres ; et c’est en ramassant chaque fois toute sa verve, toute sa popularité sur un détail de l’organisation sociale, sur un cas particulier d’injustice ou d’oppression, qu’il rend son action efficace. […] Par la bruyante publicité qu’il donnait à toutes les erreurs de la justice, Voltaire contribua plus que personne à la réforme de la procédure ; il fit éclater à tous les yeux les vices du système, il les rendit intolérables. […] Il a l’opinion en main ; il en joue, il lui fait rendre tous les effets qu’il veut. […] Il n’a pas eu le grand goût, le sens profond de l’art, de la poésie : il a eu des timidités d’écolier, des répugnances de petite-maîtresse, devant la vraie nature et devant les maîtres qui l’ont rendue. […] Aussi est-il le philosophe qui peut-être a le plus fait pour préparer la forme actuelle de la civilisation ; il eût applaudi aux merveilleux progrès de notre siècle utilitaire et pratique, aux inventions de toute sorte qui ont rendu la vie plus facile, plus douce, et plus active, plus intense en même temps.

526. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 7761-7767

La Poésie, la Peinture, la Sculpture, l’Architecture, la Musique, la Danse, les différentes sortes de jeux, enfin les ouvrages de la nature & de l’art, peuvent lui donner du plaisir : voyons pourquoi, comment & quand ils les lui donnent ; rendons raison de nos sentimens ; cela pourra contribuer à nous former le goût, qui n’est autre chose que l’avantage de découvrir avec finesse & avec promptitude la mesure du plaisir que chaque chose doit donner aux hommes. […] Notre maniere d’être est entierement arbitraire ; nous pouvions avoir été faits comme nous sommes ou autrement ; mais si nous avions été faits autrement, nous aurions senti autrement ; un organe de plus ou de moins dans notre machine, auroit sait une autre éloquence, une autre poésie ; une contexture différente des mêmes organes auroit fait encore une autre poésie : par exemple, si la constitution de nos organes nous avoit rendu capables d’une plus longue attention, toutes les regles qui proportionnent la disposition du sujet à la mesure de notre attention, ne seroient plus ; si nous avions été rendus capables de plus de pénétration, toutes les regles qui sont fondées sur la mesure de notre pénétration, tomberoient de même ; enfin toutes les lois établies sur ce que notre machine est d’une certaine façon, seroient différentes si notre machine n’étoit pas de cette façon. […] Une longue uniformité rend tout insupportable ; le même ordre des périodes long-tems continué, accable dans une harangue : les mêmes nombres & les mêmes chûtes mettent de l’ennui dans un long poëme. […] L’architecture gothique paroît très-variée, mais la confusion des ornemens fatigue par leur petitesse ; ce qui fait qu’il n’y en a aucun que nous puissions distinguer d’un autre, & leur nombre fait qu’il n’y en a aucun sur lequel l’oeil puisse s’arrêter : de maniere qu’elle déplaît par les endroits même qu’on a choisis pour la rendre agréable. […] Ceci produit dans l’esprit différentes sortes de surprises ; nous sommes surpris du changement de style de l’auteur, de la découverte de sa différente maniere de penser, de sa façon de rendre en aussi peu de mots une des grandes révolutions qui soit arrivée ; ainsi l’ame trouve un très grand nombre de sentimens différens qui concourent à l’ébranler & à lui composer un plaisir.

527. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VIII. L’antinomie économique » pp. 159-192

Au fond l’invention prime et commande le travail que seule elle rend possible. […] On se rend maintenant très bien compte, à l’aspect du travail — c’est-à-dire de cette dure activité du matin au soir — que c’est là la meilleure police, qu’elle tient chacun en bride et qu’elle s’entend vigoureusement à entraver le développement de la raison, des convoitises, des envies d’indépendance. […] Le régime de la propriété individuelle assure sans doute ou du moins rend accessible aux individus une certaine indépendance économique et par voie de conséquence une certaine liberté de vie privée et une certaine indépendance morale. […] La consommation doit être inégalement répartie et rendre possible pour les favorisés la mise en œuvre des qualités qui font l’homme supérieur et rendent l’humanité grande. — Renan, sorti des classes moyennes habituées à être moins exigeantes en matière de différences de rang, de jouissances de luxe, de dépenses d’apparat, de magnificence nobiliaire, Renan croit que la supériorité intellectuelle peut s’allier à l’égalité économique. […] On rend ainsi inexplicable et injustifiable la propriété artistique et littéraire. » (Tarde, Logique sociale, p. 350, F. 

528. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les poètes décadents » pp. 63-99

On se donnait rendez-vous les soirs de liberté, indifféremment ici ou là, pour éviter la cohue et les promiscuités fâcheuses. […] Comme s’il avait voulu se targuer d’un joug secoué, son nom, sur la couverture jaune, s’étalait en plus gros caractères, mais la France littéraire rendit l’âme après trois ou quatre numéros ! […] La France, qui le fit barboter dans son auge aux fonds secrets, peut seule lui rendre un hommage que les Allemands lui refusent. […] Pour répondre à la curiosité du public et rendre notre doctrine plus saisissable, nous avions tenté d’incarner en Arthur Rimbaud le type idéal du Décadent. […] si tu veux la nuit douce, rends les Étoiles !

529. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chansons de Béranger. (Édition nouvelle.) » pp. 286-308

Pour rendre évidentes ces observations de détail, je n’ai rien de mieux à faire qu’à prendre une à une quelques-unes de ses plus belles et de ses plus célèbres pièces, et qu’à expliquer ma pensée. […] Frétillon nous rend la perfection de la verve purement égrillarde ; c’est la chose légère, le rien mutin et libertin dans toute sa grâce. […] Il faut rendre à Béranger cette justice qu’il n’a pas, le premier, recherché ces hommes réputés d’abord plus sérieux que lui, qui ne le sont pas, et à aucun desquels il ne le cède par l’esprit. Ils sont venus à lui ; oui, tous, un peu plus tôt, un peu plus tard, ils sont venus reconnaître en sa personne l’esprit du temps, lui rendre foi et hommage, lui donner des gages éclatants. […] Sainte-Beuve a rendu un immense service à la littérature et à la morale en attachant le grelot à la gloire de M. 

530. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre premier. La solidarité sociale, principe de l’émotion esthétique la plus complexe »

Elle semble produire jusque chez les individus normaux des effets que la statistique rend sensibles. […] Mais il ne faut pas oublier que l’ouïe et la vue rendent pour nous sensibles, dans les vibrations mêmes de l’air et de la lumière, les changements apportés à la direction et à l’amplitude de ces vibrations par les corps qu’elles ont rencontrés ; lorsque ces corps sont agités par des ondes nerveuses, celles-ci, arrivent Jusqu’à nous, portées pour ainsi dire par les ondes lumineuses ou sonores. […] Soit, parce qu’elle est déjà une harmonie ; mais ce qui la rend surtout esthétique, c’est le côté humain et sympathique de cette harmonie. […] Tous les arts, en leur fond, ne sont autre chose que des manières multiples de condenser l’émotion individuelle pour la rendre immédiatement transmissible à autrui, pour la rendre sociable en quelque sorte. […] La musique est du mouvement rendu sensible à l’oreille, une vibration de la vie propagée d’un corps à l’autre.

531. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « IX »

Camille Benoit a rendu à Wagner un fort mauvais service en donnant au public français la traduction soit de brochures sans importance, soit de fragments arrachés à ses écrits. […] En effet, ce livre contient un nombre infini de tout petits faits très exacts, des petits faits matériels, et c’est ce qui le rend précieux pour le spécialiste ; mais quant à tout le reste : le portrait que M.  […] Wagner a rendu au poème lyrique les droits qu’on avait presque entièrement méconnus. […] Œsterlein seul la mise en ordre de ces trésors et l’ensemble de mesures qui les rendrait utilisables. […] Mais je crois bien que l’on trouverait sans peine le moyen de rendre le Musée Œsterlein vraiment utile et précieux : il suffirait d’adjoindre à M. 

532. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — II. (Fin.) » pp. 361-379

L’abbé de Montesquiou, étant venu faire part d’un arrêté au nom de l’ordre du clergé, prononce un discours et loue le secrétaire de l’Assemblée, c’est-à-dire Bailly, comme l’ami des pauvres et l’écrivain des hôpitaux : J’ai promis, s’écrie Bailly, que mon âme serait ici toute nue, et en conséquence je dirai que cette justice qui me fut rendue inopinément au milieu de mes collègues, dans une si digne assemblée et par un autre ordre que le mien, me causa une vive et sensible émotion. […] On avait pour moi de l’affection et des bontés touchantes ; ma douleur intéressa, et je réussis à ramener le calme. » Aussi, lorsque le lundi 25 mai, après un mois de séance et de secrétariat à l’Archevêché, Bailly se rendit dans la salle des États généraux à Versailles avec les autres députés de Paris, il sentit qu’il changeait de milieu et comme de climat : J’entrai dans cette salle avec un sentiment de respect et de vénération pour cette nation que je voyais réunie et assemblée pour la première fois ; j’éprouvai peut-être un sentiment de peine de m’y sentir étranger et inconnu. […] Après le 14 Juillet, il fut au nombre des députés qui se rendirent de Versailles à Paris. […] La surprise ajoutant à ma timidité naturelle, et devant une grande assemblée, je me levai, balbutiai quelques mots qu’on n’entendit pasn, que je n’entendis pas moi-même, mais que mon trouble, plus encore que ma bouche, rendit expressifs… La députation se rend de là à Notre-Dame ; Bailly, dans son trouble, se voit séparé du gros du cortège ; un électeur, M.  […] Au milieu des pages fort mélangées que lui a consacrées son ami Mérard de Saint-Just, il en est une qui me paraît rendre avec réalité et sans complaisance sa figure, sa physionomie finale, et les qualités qui s’y dévoilaient peu à peu aux yeux de l’amitié : Grand et maigre, est-il dit, le visage long, des yeux petits et un peu couverts, la vue extrêmement basse, un nez d’une longueur presque démesurée, le teint assez brun, tout cet ensemble ne lui donnait pas une figure aimable : il l’avait sérieuse ; mais son air imposant, même un peu sévère, loin d’avoir rien d’austère ni de sombre, laissait paraître assez à découvert ce fonds de joie sage et durable qui est le fruit d’une raison épurée et d’une conscience tranquille.

533. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Madame Bovary par M. Gustave Flaubert. » pp. 346-363

On se donne souvent bien de la peine pour réveiller des choses passées, pour ressusciter d’anciens auteurs, des ouvrages que personne ne lit plus guère et auxquels on rend un éclair d’intérêt et un semblant de vie : mais quand des œuvres vraies et vives passent devant nous, à notre portée, à pleines voiles et pavillon flottant, d’un air de dire : Qu’en dites-vous ? […] Le voyage de nuit à cheval, les abords et l’aspect de la riche ferme dite des Bertaux, l’arrivée, l’accueil que lui fait la jeune fille qui n’est pas du tout une paysanne, mais qui a été élevée en demoiselle dans un couvent, l’attitude du malade, tout cela est admirablement décrit et rendu de point en point comme si nous y étions : c’est hollandais, c’est flamand, c’est normand. […] Gustave Flaubert des autres observateurs plus ou moins exacts qui, de nos jours, se piquent de rendre en conscience la seule réalité, et qui parfois y réussissent ; il a le style. […] Il faut rendre cette justice à Emma, elle y met du temps. […] Ce double rêve côte à côte et à perte de vue, du père abusé qui ne songe qu’à de pures douceurs et joies domestiques, et de la belle et forcenée adultère qui veut tout briser, est d’un artiste qui, quand il tient un motif, lui fait rendre tout son effet.

534. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. »

1815, par exemple, et ce qui suivit immédiatement la tempête des Cent-Jours, qui nous en rendra le vif sentiment ? […] Le Cabinet, qui était le second depuis la rentrée de Louis XVIII, et qui succédait à celui qu’avait présidé M. de Talleyrand, était présidé lui-même par le duc de Richelieu, noble figure, cœur loyal et resté français dans l’émigration et jusque sous le drapeau russe, et l’un des hommes qui firent le plus pour rendre la Restauration viable, si elle avait pu ou voulu l’être. […] quels étaient les auteurs de ces propositions ultra-royalistes et vraiment révolutionnaires, qui allaient pleuvoir coup sur coup, qui tendaient à tout remettre en question, les idées et les intérêts modernes, à constituer la société entière en état de suspicion, à aggraver toutes les peines, à proposer la peine de mort de préférence à toute autre, à substituer le gibet à la guillotine, les anciens supplices aux nouveaux40, à maintenir la magistrature dans un état prolongé et précaire d’amovibilité, à excepter de l’amnistie des catégories entières de prétendus coupables, à rendre la tenue des registres civils au Clergé, à revenir sur les dettes publiques reconnues, etc., etc. ? […] Je n’appelle pas mûrir ce qui arriva aux Corbière et aux Villèle, aux avisés et aux habiles, qui ne venant d’abord qu’au second rang et comme dans l’intervalle des forcenés, ne se dessinant que peu à peu, surent bientôt se rendre nécessaires. […] Monseigneur, il paraît qu’on va nous rendre nos anciens supplices. » 41.

535. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise par M. Taine. »

Je me suis laissé traîner à la remorque pour parler de ce livre important : c’est que, malgré le désir que j’avais de lui rendre toute justice, je sentais mon insuffisance pour en juger pertinemment et en pleine connaissance de cause, pour l’explorer et l’embrasser, comme il le faudrait, dans ses différentes parties. […] Enfin l’étincelle même du génie en ce qu’elle a d’essentiel, il ne l’a pas atteinte, et il ne nous la montre pas dans son analyse ; il n’a fait que nous étaler et nous déduire brin à brin, fibre à fibre, cellule par cellule, l’étoffe, l’organisme, le parenchyme (comme vous voudrez l’appeler) dans lequel cette âme, cette vie, cette étincelle, une fois qu’elle y est entrée, se joue, se diversifie librement (ou comme librement) et triomphe. — N’ai-je pas bien rendu l’objection, et reconnaissez-vous là l’argument des plus sages adversaires ? […] Au point de vue moral complet et de l’expérience, ce qui peut sembler surtout avoir fait défaut à ces existences si méritantes, si austères, et ce qui, par son absence, a nui un peu à l’équilibre, ç’a été de toutes les sociétés la plus douce, celle qui fait perdre le plus de temps et le plus agréablement du monde, la société des femmes, cette sorte d’idéal plus ou moins romanesque qu’on caresse avec lenteur et qui nous le rend en mille grâces insensibles : ces laborieux, ces éloquents et ces empressés dévoreurs de livres n’ont pas été à même de cultiver de bonne heure cet art de plaire et de s’insinuer qui apprend aussi plus d’un secret utile pour la pratique et la philosophie de la vie. […] Cette parcelle qu’Horace appelle divine (divinæ particulam auræ), et qui l’est du moins dans le sens primitif et naturel, ne s’est pas encore rendue à la science, et elle reste inexpliquée. […] Nous tous, partisans de la méthode naturelle en littérature et qui l’appliquons chacun selon notre mesure à des degrés différents18, nous tous, artisans et serviteurs d’une même science que nous cherchons à rendre aussi exacte que possible, sans nous payer de notions vagues et de vains mots, continuons donc d’observer sans relâche, d’étudier et de pénétrer les conditions des œuvres diversement remarquables et l’infinie variété des formes de talent ; forçons-les de nous rendre raison et de nous dire comment et pourquoi elles sont de telle ou telle façon et qualité plutôt que d’une autre, dussions-nous ne jamais tout expliquer et dût-il rester, après tout notre effort, un dernier point et comme une dernière citadelle irréductible.

536. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet »

L’odieux jugement dont il s’était vu flétri par le Conseil de Saint-Domingue fut cassé sur sa requête par un arrêt rendu en Conseil d’État, qui qualifia le précédent arrêt de faux et de calomnieux. […] Ce qui est vrai, c’est qu’il y a profit et plaisir à suivre Malouet dans ce voyage d’exploration en Guyane, dans ses visites chez les principaux colons, à les écouter, comme il fit lui-même, exposant chacun leurs observations pratiques. leurs expériences variées et concordantes sur ce sol trompeur qui rendait si vite, mais qui s’épuisait si promptement ; à le suivre encore dans ses courses à travers les forêts, à noter, chemin faisant avec lui, de curieux phénomènes d’histoire naturelle concernant les fourmis, les serpents, les singes, et en général sur les mœurs des animaux, qui, n’étant gênés par rien dans ces vastes solitudes, y forment librement des groupes et y atteignent atout le mode relatif de sociabilité dont ils sont capables. […] En un mot, il voit juste, et il rend comme il voit : il n’exagère rien. […] Jacques Des Sauts, quand il serait de quelque chose à Chactas, ne rendrait pas celui-ci moins étonnant, ni moins invraisemblable, et j’ajouterai, ni moins poétique. […] « Cependant, dans cette surabondance de moyens, il me manque ceux de rendre des comptes et de m’en faire rendre ; d’assurer les approvisionnements, de pourvoir aux besoins pressants, de régler les dépenses, de résister aux consommations, de m’occuper efficacement de ce qui est nécessaire et de proscrire ce qui est inutile ou nuisible, c’est-à-dire que ce que je ne fais pas constitue l’administration, et ce que je fais pourrait en être retranché, ainsi que ma place et une grande partie des papiers et des commis. » Quand on en est là dans tous les ordres, les réformes graduées, telles que les concevait Malouet et qu’il les provoquait de ses conseils comme de ses vœux, sont-elles possibles, et n’en est-on pas venu, bon gré, mal gré, à ce point extrême où, à moins d’un génie au sommet, il n’y a d’issue qu’une révolution ?

537. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DIX ANS APRÈS EN LITTÉRATURE. » pp. 472-494

La politique, à son tour, ayant graduellement épuisé ses ardeurs, a rendu quelque loisir, au moins de coup d’œil, à ceux qui s’y étaient d’abord absorbés. […] Cela rend possibles bien des accords. Cela les rend urgents aussi. […] Il s’agirait d’y rendre aujourd’hui, sous l’empire d’un sentiment moral tout pratique, le mouvement, le concert et l’action. […] c’est le radeau après le navire), la critique, par épuration graduelle et contradiction commune des erreurs, tend à se reformer et à fournir un lieu naturel de rendez-vous.

538. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre VI. Science, histoire, mémoires »

Arvède Barine931, par une création synthétique que dirige un remarquable sens psychologique, rend de pâles figures historiques aussi vivantes, aussi réelles que des personnages de roman. […] Mais, de plus, la précision extrême de son étude exprime toute la réalité : il sait obtenir les plus grands effets par les plus simples moyens, et quelques types compréhensifs, quelques faits caractéristiques — très peu nombreux, mais très soigneusement choisis — nous rendent la Grèce présente, en sa vivante originalité, ou Rome, ou la France des Mérovingiens. […] De là cette curieuse conséquence : pour nombre d’esprits, Renan a rendu la foi impossible, et il a rendu impossible aussi la guerre à la foi. […] Enfin, il a rendu à la critique l’essentiel service de lui donner l’exemple de la sympathie : personne n’a enseigné plus hautement, plus constamment à aimer l’homme, l’effort vers le vrai et vers le bien, même dans les formes qui répugnent le plus à notre particulière nature. […] Il y en a de toutes sortes, de toute origine et de toute qualité : hommes et femmes, civils et militaires, soldats et généraux, c’est à qui nous rendra, plus ou moins complète ou frappante, l’image de l’Empereur et de son immense aventure.

539. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre quatrième »

Il leur manque ce qui doit faire de l’un l’esprit humain, et rendre l’autre universelle. […] Un certain nombre de généralités et d’abstractions, tirées de quelques traités de ce dernier, et rendues plus magnifiques par le temps, l’éloignement et l’ignorance de la langue grecque, satisfaisaient, en le trompant, ce besoin de principes, éternel honneur de l’esprit humain. […] Nul repos, nulle sécurité ; aucune connaissance claire et familière des exemples des grandes nations, qui apprenne à la France à se connaître elle-même et rendre le présent meilleur. […] En la rendant impatiente du présent, ils l’ont rendue curieuse du passé ; or c’est par l’effet de ce double esprit qu’elle est devenue capable de concevoir à son tour et d’inspirer à ses écrivains des idées générales. […] L’étude des monuments des deux antiquités profane et chrétienne, rendue facile et populaire par l’imprimerie.

540. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Stéphane Mallarmé » pp. 146-168

Il se rendit à Londres pour se perfectionner dans cette langue et se faire un gagne-pain de son enseignement. […] Un jour, Coquelin l’aîné qui figurait au programme d’une représentation extraordinaire, annoncée à grand renfort de presse et où le Tout-Paris s’était assigné rendez-vous, se propose d’y déclamer un poème inédit et s’en ouvre à Banville. […] Il savait rendre, par sa parole animée, les maillots d’actrice un sujet digne de Platon. […] Le but du poète n’est pas de rendre ce qu’il voit, mais ce qu’il sent. […] Je contemplais à mon aise d’inappréciables instants : la fraction d’une seconde, pendant laquelle s’étonne, brille, s’anéantit une idée ; l’atome de temps, germe de siècles psychologiques et de conséquences infinies, paraissaient enfin comme des êtres, tout environnés de leur néant rendu sensible.

541. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Pline le Naturaliste. Histoire naturelle, traduite par M. E. Littré. » pp. 44-62

Machiavel, en des années de disgrâce où il se voyait forcément mêlé à une vie vulgaire, ne les lisait qu’à une certaine heure du jour, et après avoir fait sa toilette comme pour se rendre digne de les approcher. […] Pour y rendre attentifs les hommes de notre temps, si occupés à bon droit de leurs affaires, de leurs craintes, et qui, dans leurs courtes distractions, ne veulent pas du moins d’effort, je ne sais si tout l’art même suffirait. Les hommes pris en masse ne s’intéressent qu’à ce qui les touche, aux choses d’hier, à celles qui retentissent encore, aux grands noms qu’une gloire favorable n’a pas cessé de rendre présents. […] Ce que je tiens à marquer, c’est que des pensées comme celles que j’indique, et rendues avec une si forte expression, suffisent à classer un esprit, quoi qu’il puisse dire ensuite et avoir l’air d’accueillir ou de croire. […] Il rend à Tacite en grâce ce que celui-ci lui prête en autorité.

542. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — La banqueroute du préraphaélisme »

La méconnaissance de ce principe a engendré la ruine des Préraphaélites qui, tout en proscrivant le bitume de leurs toiles, n’ont pas su, pour cela, rendre aux couleurs leur authentique vérité.‌ […] Vous me direz : « L’office de l’artiste est de ne pas rendre servilement la réalité, mais d’y ajouter son tempérament. » Je suis d’accord avec vous, mais il s’agit alors de savoir si l’art a pour but le mensonge ou la vérité. […] D’où l’absence de toute couleur réellement vivante chez presque tous les maîtres anciens, qui toujours rendaient un ton réel par un ton faux, quand ils n’en atténuaient pas purement et simplement l’éclat véritable, considéré comme contraire à l’art. […] J’entends que le peintre moderne ne détournant plus son regard des mille couleurs qui viennent le frapper, a cessé de méconnaître l’importance du rendu scrupuleux de la lumière. […] Il repousse toute « intention » en ceci qu’il ne cherche pas à rendre à travers une forme notoirement insuffisante et sans vie, quelque idée sublime.

543. (1893) Alfred de Musset

J’aime à croire qu’il en rendit. […] rendez-moi mon amant, et je serai dévote, et mes genoux useront le pavé des églises !  […] Il faut pourtant la lui rendre, sur la foi d’un témoignage qui est pour moi irrécusable. […] Au mois de septembre 1840, Musset se rendait chez Berryer, au château d’Augerville. […] Son extraordinaire mobilité lui rendait la tâche assez facile.

544. (1905) Pour qu’on lise Platon pp. 1-398

Il lui proposait une métaphysique qui pût remplacer auprès de lui la religion et rendre les services spirituels que celle-ci avait rendus ou cru rendre, sans le mélange d’erreurs rationnelles et d’erreurs morales qu’elle contenait ou qu’elle traînait après elle. […] Si l’on tâche à la rendre indépendante de la vie, il faudra donc s’appliquer à la rendre indépendante de l’amour. […] Nous rendons l’esprit à lui-même par notre maïeutique ; ils rendent l’âme à elle-même par la maïeutique qui leur est propre. […] Elle doit lui rendre cet hommage de ne peindre comme ridicules que des hommes bas. […] Ils ne tiennent point de conseil en commun ; on ne rend pas chez eux la justice.

545. (1856) Leçons de physiologie expérimentale appliquée à la médecine. Tome II

Mais le procédé est plus commode en recherchant le canal à l’endroit où il se rend dans la cavité buccale. […] Un lavement d’amidon, par exemple, est rendu souvent à l’état d’eau sucrée. […] Dans la journée il rendit des excréments toujours décolorés, mais offrant quelques stries sanguinolentes dans les dernières portions d’excréments rendues. […] Les excréments rendus ce jour-là présentaient les mêmes caractères que la veille. […] Toutefois l’animal rendait des excréments sanguinolents.

546. (1856) Leçons de physiologie expérimentale appliquée à la médecine. Tome I

Je vais vous rendre témoins de ces caractères différentiels des sucres par l’expérience. […] La veine porte charrie dans le foie une quantité considérable de sang qui, à chaque période digestive, y arrive chargé des matériaux nutritifs rendus solubles par la digestion. […] Si l’on rend un animal malade, on fera disparaître, et au bout de très peu de temps, le sucre dans son foie. […] Nous allons, du reste, vous rendre témoins de toutes ces particularités en répétant l’expérience devant vous. […] On l’agita avec le gaz ; il resta rouge en contact avec tous les gaz, excepté avec l’hydrogène arsénié qui l’avait rendu très noir.

547. (1875) Premiers lundis. Tome III « Eugène-Scribe. La Tutrice »

Presque en même temps, une dame modestement vêtue, aux manières élégantes et simples, descend dans l’auberge, qui ressemble décidément, à ne pas s’y tromper, au terrain vague, rendez-vous si commode de tous les personnages du vieux théâtre. […] Elle est restée pure, sa vie est sans reproche ; Amélie explique les absences et les déguisements qu’on lui imputait à crime, en faisant connaître à Léopold que c’est elle qui, sous l’habit de religieuse, allait le veiller dans sa prison quand il était malade et qu’il avait le délire ; et, pour preuve, elle veut lui rendre un anneau qu’elle portait précieusement à son doigt depuis le jour où, dans un accès d’exaltation furieuse, il l’avait donné à la religieuse qui veillait à son chevet. Cet anneau, on le devine, sera bientôt l’anneau nuptial, et la tutrice, en devenant la femme de son pupille, lui rend de si beaux comptes de tutelle, qu’on voit bien que nous sommes dans un vieux château d’Allemagne.

548. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Discours prononcé à la distribution des prix du lycée d’orléans. » pp. 223-229

L’Île-de-France peut dire : « J’ai Paris » ; la Lorraine : « Je suis la frontière » ; la Flandre : « J’ai lutté pour la liberté des communes et j’ai vu quelques-unes des plus belles batailles de la Révolution » ; l’Auvergne : « J’ai Vercingétorix » ; la Normandie : « J’ai conquis l’Angleterre, qui, par malheur, a bien rendu ce mauvais procédé à la France » ; la Bretagne : « Je suis celtique, et les Celtes sont les aînés des Francs » ; la Provence : « Je suis romaine, et Rome fut l’éducatrice des Gaules » ; et ainsi de suite. — Mais l’Orléanais, c’est la France la plus ancienne, vera et mera Gallia ; son histoire ne fait qu’une avec celle de la royauté, et le sort de votre ville a été, à maintes reprises, celui de la France même. […] Car sa route glorieuse ou douloureuse, de Lorraine en Normandie, enveloppe toute la France comme d’une ceinture : et ainsi la Pucelle continue toujours son œuvre, et, morte depuis tantôt cinq siècles, elle contribue aujourd’hui encore au maintien de l’unité française, puisque le culte de Jeanne d’Arc, pieusement entretenu à toutes les étapes de son tragique pèlerinage, est un des sentiments par où cette unité est rendue sensible et se conserve vivante. […] Ce lien, elle l’a si profondément senti, que ce sentiment l’a faite capable d’actions héroïques ; que, par là, elle a révélé ce lien à beaucoup d’hommes de son siècle et l’a rendu plus réel qu’il n’était auparavant.

549. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 211-219

Il a dédaigné d’y mettre son nom, parce qu’il est moins jaloux de la célébrité, qu’animé du désir de se rendre utile. […] Près d’elle Jupiter a placé cette Balance dans laquelle il pese la Nature, & qui tempérant les feux du soleil, alonge les nuits, & rend leur empire égal à celui du jour ». […] Ils ont menti, Dorat, ceux qui le veulent dire, Que Ronsard, dont la plume a contenté les Rois, Soit moins que du Bartas ; & qu’il ait, par sa voix, Rendu ce témoignage ennemi de sa lyre, &c.

550. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 169-178

Qu’on ne croye cependant pas que ce Génie mystérieux ait tout tiré de son propre fonds : le plus souvent il n’a fait que copier les autres, ce qui le rend plus inexcusable d’être inintelligible. […] Diderot n’a pas jugé à propos de faire : il s’est contenté de se rendre sensible dans les notes ; mais une douzaine de notes suffisent-elles pour former un bon Livre ? […] Il ne faut pas croire au reste, que cette obscurité vienne du fond des matieres ; un esprit sage ne doit pas les traiter, quand il n’est pas capable de les éclaircir, & l’esprit net & méthodique sait rendre tout sensible : c’est ainsi que Bacon, Mallebranche, l’Auteur des Mondes, M. l’Abbé Condillac, ont trouvé moyen de mettre leurs idées à la portée de tout lecteur.

551. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 181-190

Il donne, pour ainsi dire, un corps aux choses les plus spirituelles, afin de les rendre universellement sensibles. […] Sa conversation rouloit sur les mêmes matieres que ses Livres : seulement, pour ne pas trop effaroucher la plupart des gens, il tâchoit de la rendre un peu moins chrétienne, mais il ne relâchoit rien du philosophique : on la recherchoit beaucoup, quoique si sage & si instructive….. Il ne venoit presque point d’Etrangers savans à Paris, qui ne lui rendissent leurs hommages.

552. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 20, de quelques circonstances qu’il faut observer en traitant des sujets tragiques » pp. 147-156

Mais ces poëtes avoient été élevez dans l’esprit republicain qui regnoit parmi les atheniens, et qui cherchoit toujours à rendre odieux le gouvernement d’un seul. […] Jamais aucun tragique grec ne tâcha de rendre les souverains odieux autant que mylord comte de Rochester l’a voulu faire dans sa tragedie de Valentinien. […] Mais la raison ou bien les reflexions nous ont rendu depuis le peuple de l’Europe le plus délicat et le plus difficile sur toutes les bienséances du théatre.

553. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » p. 205

Porée, est très-élégante, & rend très-bien l’Original. […] On a de lui un Recueil de Mémoires & de Plaidoyers, dont l’éloquence feroit plus à l’abri des reproches, si trop de négligence n’en affoiblissoit le style, si le fond des choses annonçoit plus d’examen & de réflexions, & si la maniere de les rendre étoit toujours conforme à la gravité qu’exigent ces sortes d’Ecrits.

554. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIe Entretien. Marie Stuart, (Reine d’Écosse). (Suite et fin.) »

La reine fut touchée de ce dévouement posthume qui lui rendait aux yeux de ses partisans l’innocence qu’elle ne recouvra jamais aux yeux de ses ennemis. […] Jésus crucifié pour nous et tous les saints martyrs nous rendent, par leur intercession, dignes de la volontaire offerte de nos corps à sa gloire ! […] Elle entendit sans trouble ce terrible rendez-vous. […] Rends partout témoignage de la vérité. […] Ses filles lui rendirent ces tristes soins en pleurant.

555. (1834) Des destinées de la poésie pp. 4-75

Mme de Staël, génie mâle dans un corps de femme : esprit tourmenté par la surabondance de sa force, remuant, passionné, audacieux, capable de généreuses et soudaines résolutions, ne pouvant respirer dans cette atmosphère de lâcheté et de servitude, demandant de l’espace et de l’air autour d’elle, attirant, comme par un instinct magnétique, tout ce qui sentait fermenter en soi un sentiment de résistance ou d’indignation concentrée, à elle seule, conspiration vivante, aussi capable d’ameuter les hautes intelligences contre cette tyrannie de la médiocrité régnante, que de mettre le poignard dans la main des conjurés ou de se frapper elle-même pour rendre à son âme la liberté qu’elle aurait voulu rendre au monde ! […] Homme qui cherchait l’étincelle du feu sacré dans les débris du sanctuaire, dans les ruines encore fumantes des temples chrétiens, et qui, séduisant les démolisseurs même par la pitié, et les indifférents par le génie, retrouvait des dogmes dans le cœur, et rendait de la foi à l’imagination ! […] Ce que j’ai écrit depuis ne valait pas mieux, mais le temps avait changé ; la poésie était revenue en France avec la liberté, avec la pensée, avec la vie morale que nous rendit la restauration. […] J’essayais de comprendre les paroles qu’elle murmurait ainsi et qui venaient jusqu’à moi ; mais mon drogman arabe ne put les saisir ou les rendre. […] Ils m’ont rendu bien au-delà de ce que je leur ai donné : je ne sais quel poète disait, qu’une critique lui faisait cent fois plus de peine que tous les éloges ne pourraient lui faire de plaisir.

556. (1856) Mémoires du duc de Saint-Simon pp. 5-63

Toutes deux vont dans Saint-Simon au même effet, qui est de le rendre historien. […] Cette piété un peu timorée contribua à le rendre honnête homme, et l’orgueil du rang confirma sa vertu. […] Moins d’un mois suffit à la pénétration de ces humains commissaires chargés de rendre leur compte de ce doux projet au Cyclope qui les en avait chargés. […] Nous n’imaginons les objets que par ces précisions et ces contrastes ; il faut marquer les qualités distinctives pour rendre les gens visibles ; notre esprit est une toile unie où les choses n’apparaissent qu’en s’appropriant une forme arrêtée et un contour personnel. […] Il n’est pas d’affaire qu’il n’anime, ni d’objet qu’il ne rende visible.

557. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » p. 174

Ce n’est pas pour ses Ouvrages, qui ne consistent qu’en quelques Plaidoyers, que nous lui donnons une place dans cette Galerie littéraire ; il a rendu aux Lettres des services plus réels, que ceux qu’ont cru lui rendre tant d’Ecrivains par leurs Ecrits.

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