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386. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance de Buffon, publiée par M. Nadault de Buffon » pp. 320-337

On n’avait point jusqu’ici un recueil des lettres de Buffon ; on n’en avait que des extraits qui avaient servi de pièces à l’appui dans des biographies ingénieuses et savantes ; mais le lecteur aime, en fait de correspondance, à se former lui-même un avis ; il prend plaisir, quand il le peut, à aborder directement les hommes célèbres et à les saisir dans leur esprit de tous les jours. […] De bonne heure il déclare son goût pour la campagne, pour la résidence rurale et sa noble tranquillité ; il ne vient à Paris que pour affaires, à son corps défendant : il ne paraît en aucun temps avoir pris plaisir à se plonger dans le tourbillon. […] Ainsi encore, à propos des attaques dernières dont Les Époques de la nature furent l’occasion, et de je ne sais quel manuscrit de Boulanger qu’on l’accusait d’avoir pillé : « Il vaut mieux, disait-il, laisser ces mauvaises gens dans l’incertitude, et comme je garderai un silence absolu, nous aurons le plaisir de voir leurs manœuvres à découvert… Il faut laisser la calomnie retomber sur elle-même. » À M. de Tressan qui s’était, un jour, ému et mis en peine pour lui, il répondait : « Ce serait la première fois que la critique aurait pu m’émouvoir ; je n’ai jamais répondu à aucune, et je garderai le même silence sur celle-ci. » Ainsi pensait-il, et il ne se laissait pas détourner un seul jour du grand monument qu’il édifiait avec ordre et lenteur, et dont chaque partie se dévoilait, successivement à des dates régulières et longtemps à l’avance assignées. […] Ce fils, jeune officier aux Gardes, qui paraît avoir été assez aimable et gracieux, et d’un bon naturel sans rien de supérieur, l’occupe constamment ; il veille sur son avancement, sur sa santé, sur ses plaisirs.

387. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’Impératrice Catherine II. Écrits par elle-même. »

Mais il est plus probable que Catherine écrivait ces pages, destinées à rester secrètes et confidentielles, pour se rendre compte à elle-même de ses années de jeunesse, de souffrance et de plaisir, pour revenir sur les impressions mélangées, mais si vives, qu’elle y trouvait en y repassant. […] Méchancetés, indiscrétions, mensonges, faux rapports, tracasseries, toutes les bêtises de la malice humaine rassemblées dans un cercle étroit et redoublées par l’étiquette, elle éprouve tout cela dans ses relations avec sa mère, avec l’Impératrice, avec son fiancé, avec les femmes qu’on lui donne pour argus ; elle est obligée de garder des mesures avec chacun, et, malgré sa grande jeunesse et son goût vif d’amusement et de plaisir, elle s’en fait une loi : comme chez tous les grands ambitieux (Sixte-Quint, Richelieu), sa passion dominante est assez forte pour se plier à tout et s’imposer d’abord la souplesse ; son orgueil fait le mort et rampe pour mieux s’élever ; seulement, femme et charmante femme qu’elle est, elle a ses moyens à elle, et elle y met de la grâce : « Au reste, je traitais le mieux que je pouvais tout le monde, et me faisais une étude de gagner l’amitié, ou du moins de diminuer l’inimitié de ceux que je pouvais seulement soupçonner d’être mal disposés en ma faveur. Je ne témoignais de penchant pour aucun côté, ni ne me mêlais à rien ; j’avais toujours un air serein, beaucoup de prévenance, d’attention et de politesse pour tout le monde, et comme j’étais naturellement fort gaie, je vis avec plaisir que de jour en jour je gagnais l’affection du public, qui me regardait comme une enfant intéressante et qui ne manquait pas d’esprit. […] Elle s’y reportait avec un plaisir visible en retraçant les souvenirs de sa première vie.

388. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre X. De la littérature italienne et espagnole » pp. 228-255

Ils sont érudits ; mais ils n’approfondissent ni les idées, ni les hommes, soit qu’il y eût véritablement du danger, sous les gouvernements italiens, à juger philosophiquement les institutions et les caractères ; soit que ce peuple, jadis si grand, et maintenant avili, fût, comme Renaud chez Armide, importuné par toutes les pensées qui pouvaient troubler son repos et ses plaisirs. […] Depuis que ce pays a perdu l’empire du monde, on dirait que son peuple dédaigne toute existence politique, et que, suivant l’esprit de la maxime de César, il aspire au premier rang dans les plaisirs, plutôt qu’à de secondes places dans la gloire. […] Les opéras seuls sont suivis, parce que les opéras font entendre cette délicieuse musique, la gloire et le plaisir de l’Italie. Les acteurs ne s’exercent point à bien jouer les pièces tragiques, parce qu’elles ne sont point écoutées ; et cela doit être ainsi, lorsque le talent d’émouvoir n’est pas porté assez loin pour l’emporter sur tout autre plaisir.

389. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Conclusion. »

En peignant les jouissances de l’étude et de la philosophie, je n’ai pas prétendu prouver que la vie solitaire soit celle qu’on doit toujours préférer : elle n’est nécessaire qu’à ceux qui ne peuvent pas se répondre d’échapper à l’ascendant des passions au milieu du monde ; car on n’est pas malheureux en remplissant les emplois publics, si l’on n’y veut obtenir que le témoignage de sa conscience ; on n’est pas malheureux dans la carrière des lettres, si l’on ne pense qu’au plaisir d’exprimer ses pensées, et qu’à l’espoir de les rendre utiles ; on n’est pas malheureux dans les relations particulières, si l’on se contente de la jouissance intime du bien qu’on a pu faire, sans désirer la reconnaissance qu’il mérite ; et dans le sentiment même, si n’attendant pas des hommes la céleste faculté d’un attachement sans bornes, on aime à se dévouer sans avoir aucun but que le plaisir du dévouement même. […] Le législateur prend les hommes en masse, le moraliste un à un ; le législateur doit s’occuper de la nature des choses, le moraliste de la diversité des sensations ; enfin, le législateur doit toujours examiner les hommes sous le point de vue de leurs relations entre eux, et le moraliste considérant chaque individu comme un ensemble moral tout entier, un composé de plaisirs et de peines, de passions et de raison, voit l’homme sous différentes formes, mais toujours dans son rapport avec lui-même. […] heureuse aussi, si j’avais diminué de son activité, en présentant aux hommes une analyse exacte de ce que vaut la vie, une analyse qui démontrât que les destinées diffèrent entre elles bien plus par les caractères que par les situations, que les plaisirs que l’on peut éprouver, dans quelques circonstances que ce soit, sont soumis à des chances certaines, qui, à la longue, réduisent tout au même terme, et que ce bonheur qu’on croit toujours trouver dans les objets extérieurs, n’est qu’un fantôme créé par l’imagination, qu’elle poursuit après l’avoir fait naître, et qu’elle veut atteindre au-dehors, tandis qu’il n’a d’existence qu’en elle.

390. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre III. Trois ouvriers du classicisme »

La nature, les arbres, les eaux, le clair soleil, lui donnaient du plaisir, et sous ses grandes phrases on sent la sincérité de la jouissance : il a vraiment aimé la campagne, il l’a préférée à la société. […] Il a très bien compris, et très bien dit — et dit à Scudéry même, — que le Cid est beau, en dépit des règles, et que l’objet de la poésie est le plaisir par la beauté ; il a très finement écrit — et à Corneille même — sur la prétendue vérité historique de Cinna. […] Chapelain Ce beau monde, dont Balzac faisait l’éducation, était assez disposé, tant par ignorance que par suffisance, à prendre son seul plaisir pour critérium de la valeur des œuvres littéraires : principe séduisant, mais dangereux. […] L’affirmation de l’universalité de la raison engageait à poursuivre dans l’œuvre d’art aussi un objet universel, et à faire consister la perfection dans le caractère général du sujet étudié, dans le caractère commun du plaisir procuré.

391. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 24, des actions allegoriques et des personnages allegoriques par rapport à la peinture » pp. 183-212

Des personnages que nous connoissons pour des phantômes imaginez à plaisir à qui nous ne sçaurions prêter des passions pareilles aux nôtres, ne peuvent pas nous interesser beaucoup à ce qui leur arrive. […] Une telle composition est la répresentation d’une action qui n’arriva jamais, et que le peintre invente à plaisir pour répresenter un ou plusieurs évenemens merveilleux, qu’il ne veut point traiter en s’assujetissant à la verité historique. […] Les tableaux de la galerie du Luxembourg dont on regarde le sujet avec le plus de plaisir, sont ceux dont la composition est purement historique, comme le mariage et le couronnement de la reine. […] Des veritez, ausquelles nous ne sçaurions penser sans terreur et sans humiliation, ne doivent pas être peintes avec tant d’esprit ni répresentées sous l’emblême d’une allegorie ingenieuse inventée à plaisir.

392. (1912) L’art de lire « Chapitre IV. Les pièces de théâtre »

Un des plaisirs encore de la lecture des poètes dramatiques est de distinguer ce qui, comme pensée, est d’eux et ce qui est de leurs personnages. […] On voit aussi que cette recherche est difficile et qu’il n’y manque pas de chances de se tromper ; ce n’est qu’une raison de plus pour la faire, quand il s’agit de plaisir, et, dans le petit livre que j’écris, il n’est question que de cela ; le risque de se tromper aiguise le désir de voir juste et relève le plaisir d’avoir probablement raison, et il y a un plaisir, je ne dirai pas plus grand, mais plus piquant, à être à peu près certain qu’on a raison, qu’à en être pleinement sûr.

393. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IV : M. Cousin écrivain »

De qui les hommes ont-ils reçu ces nobles principes : qu’il est plus beau de garder la foi donnée que de la trahir ; qu’il y a de la dignité à maîtriser ses passions, à demeurer tempérant au sein même des plaisirs permis ? […] Ainsi construite, elle laisse dans l’esprit un plaisir tranquille et une croyance sereine ; nous avons passé si aisément et si naturellement d’un point à l’autre, qu’il nous semble que nous sommes dans la vraie route, et nous nous abandonnons désormais à la sage main qui nous a si bien guidés jusqu’ici. […] On appelle conscience la connaissance que nous avons de nos sensations, idées, jugements, peines, plaisirs, résolutions, et autres opérations ou événements intérieurs. […] Cousin à la ligne suivante, « que la volonté seule soit la personne ou le moi. » Mes douleurs, mes plaisirs, mes idées, mes souvenirs, m’appartiennent très-certainement.

394. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VIII : M. Cousin érudit et philologue »

Faire cinq éditions, c’est prouver qu’on prend plaisir à en faire. […] D’autres traits, quoique singuliers, font plaisir ; toute passion vraie est aimable. […] J’eus le plaisir de rencontrer dans le manuscrit de la Bibliothèque royale les autographes de ces lettres, au nombre de six, écrites pour la plupart de la main de Leibnitz ou corrigées et signées par lui. […] le scepticisme en toutes choses : l’amour du plaisir dans la vie ; en politique, des goûts démocratiques et des mœurs serviles ; dans l’art, la prédominance de la grâce ; dans la religion, l’anthropomorphisme ; dans la philosophie, qui est l’expression la plus générale de l’esprit d’un peuple, un empirisme plus ou moins ingénieux, une curiosité assez hardie, mais toujours dans le cercle et sous la direction de la sensibilité.

395. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Stendhal, son journal, 1801-1814, publié par MM. Casimir Stryienski et François de Nion. »

Cela veut dire aussi qu’il ressent vivement le plaisir et la peine, qu’il est de tempérament voluptueux. […] Il voulait le plaisir sous toutes ses formes, mais particulièrement l’action grandiose, la domination sur les femmes et sur les hommes. Son idéal était celui de l’épicurien, non de celui que célèbrent les chansons du Caveau, mais de l’épicurien héroïque de l’antiquité ou de la Renaissance, pour qui l’action même et la « vertu » virile étaient le meilleur des plaisirs.

396. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XV. Les jeunes maîtres du roman : Paul Hervieu, Alfred Capus, Jules Renard » pp. 181-195

Et l’un des plus vifs plaisirs de son roman, c’est que, la première fois, nous lisons un ouvrage mondain, sans découpage des manuels de psychologie classique. […] Pourtant, je m’en voudrais, relisant un jour ces chroniques, de n’y trouver pas assez souvent le nom du meilleur fantaisiste dont elles étaient contemporaines et de ne pas avoir publié le plaisir que je lui avais dû. […] Les coins des Sourires pincés, les papillotes de ses Coquecigrues, les éclairs de sa Lanterne sourde, autant de petites pages à relire jusqu’à la mémoire par cœur sans altération du plaisir, puisqu’il n’y a pas là rire émoussable ou surprise de suite éventée, puis aussi qu’il ne fatigue point par les bavardages et les délayages où s’embourbent les vieux comiques, sous prétexte de récit « bon enfant », puis enfin qu’il surveille son style jusqu’à une maîtrise spéciale, menue et propre, excellente à dire ce qu’il veut sans plus.

397. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIII » pp. 109-125

Elle se dévoua à consoler de respectables douleurs, au lieu de rechercher des plaisirs ou des avantages personnels : en entrant dans le monde, elle sembla vouloir s’y placer sous un vénérable patronage qui la préservât des écarts et des calomnies. […] On n’y trouva une des lettres d’amour, parmi lesquelles étaient celles de madame de Sévigné. « Le roi prit un grand plaisir à les lire, parce qu’elles contrastaient avec les douceurs fades des autres lettres. » Le Tellier, qui les avait lues avec le roi, dit que le surintendant avait mal à propos mêlé l’amour et l’amitié42. […] On y lit aussi que l’hôtel d’Albret et l’hôtel de Richelieu « étaient une suite et une imitation de l’hôtel de Rambouillet, quoiqu’avec des correctifs, et qu’il leur manquât un Voiture pour en faire passer à la postérité les plaisirs et les amusements. » Avant les hôtels d’Albret et de Richelieu, j’aurais dû citer en première ligne les cercles de mademoiselle de Montpensier.

398. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre II. Filles à soldats »

Cette intelligence valétudinaire, préoccupée uniquement de ses petits malaises et des petits plaisirs paradoxaux que lui procurera son mal, est exactement, dans sa sécheresse, dans l’étriqué de ses gestes courts, pauvres, rapaces et frileux, le contraire de la large et généreuse intelligence créatrice. […] Le coassement de l’écœurante grenouille, avant de demander un roi, réclamait qu’un peu de plaisir lui grattât le ventre. […] Mais il leur arrive aussi, pauvres fils de soldat, d’écrire des énormités telles : « Comme aux tirs de foires autrefois, sur le mail, avec un plaisir d’enfant, fouetté d’un âpre vertige, il charge, épaule, tire.

399. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 45, de la musique proprement dite » pp. 444-463

C’est ainsi que le plaisir de l’oreille devient le plaisir du coeur. […] Ainsi, bien que ces symphonies soient en un certain sens inventées à plaisir, elles aident beaucoup néanmoins à rendre le spectacle touchant et l’action pathétique.

400. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « VIII »

Le lecteur ne nous pardonnerait pas de rouvrir ce débat, Je crois avoir suffisamment réfuté ces objections dans mon dernier volume le Travail du style, et j’avoue qu’il y a peu de choses qui m’aient donné autant de plaisir à écrire. […] Le plaisir d’écrire est perdu. Le plaisir d’écrire, c’était de vivre avec une pensée, de la mûrir, de la vêtir, de la faire forte et belle … Autrefois, on faisait un livre comme on élève un enfant, avec diligence, avec patience 28. » Quoi qu’on dise, Louis Veuillot n’eût donc pas désapprouvé une méthode comme la nôtre, qui enseigne, comme il en exprimait le désir, à méditer, à corriger, à produire avec labeur, avec diligence, avec patience. ‌

401. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Biot » pp. 306-310

Biot a voulu lire lui-même son discours ; il a pensé que la personne même donnait un intérêt de plus aux paroles, qu’elles n’avaient tout leur sens et tout leur accent que sur les lèvres de celui qui les disait comme il les avait trouvées ; et en effet, si la physionomie avec sa finesse, si le geste dans son naturel et sa bonhomie pouvaient suppléer au timbre et à l’organe, on aurait eu un plaisir complet. Ce plaisir, nous devons le dire, a été mêlé de regret pour une nombreuse partie de l’auditoire ; on écoutait, on saisissait quelques mots, on sentait que quantité de choses justes, délicates et fines passaient tout près de là ; on les devinait au sourire même de celui qui parlait, et à la satisfaction de tous ceux qui se trouvaient assez voisins pour en jouir ; on était bien sûr de ne pas se tromper en joignant ses applaudissements aux leurs, mais on éprouvait, en réalité, un peu du supplice de Tantale.

402. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. de Ségur. Mémoires, souvenirs et anecdotes. Tome II. »

Ce qui reste d’une conversation spirituelle et facile qui nous a intéressés, quelques traits fugitifs comme elle, le plaisir d’y avoir assisté, et l’embarras de la reproduire. […] En s’étendant un peu longuement sur ce séjour en Russie, M. de Ségur a cédé sans doute à plus d’un attrait ; là où lui-même a rencontré tant de plaisirs et de faveurs qu’il se plaît à redire, d’autres qui lui sont chers ont recueilli dans les dangers d’assez glorieux sujets à célébrer.

403. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 196-203

Un homme, continue-t-il, qui sait mêler les plaisirs & les affaires, n'en est jamais possédé ; il les quitte, il les reprend, quand bon lui semble. […] La Nature en eux, lassée d'incommodités & de peines, s'abandonne aux premiers plaisirs qu'elle rencontre ; alors ce qui avoit paru vertueux, se présente avec un air rude & difficile, & l'ame, qui croit s'être détrompée d'une vieille erreur, se complaît en elle-même de son nouveau goût pour les choses agréables.

404. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Panurge » pp. 222-228

Les plaisirs physiques, que nos corps supportent plus mal et moins longtemps, nous abandonnent, et d’ailleurs ne nous suffiraient pas. […] Nous avons les voyages, la dure distraction du travail, la chasse, le jeu, ce que Pascal appelle, « les plaisirs tumultuaires de la foule ».

405. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre II. Des Époux. — Ulysse et Pénélope. »

Les transports qui suivent la reconnaissance des deux époux ; cette comparaison si touchante d’une veuve qui retrouve son époux, à un matelot qui découvre la terre au moment du naufrage ; le couple conduit au flambeau dans son appartement ; les plaisirs de l’amour, suivis des joies de la douleur ou de la confidence des peines passées ; la double volupté du bonheur présent, et du malheur en souvenir ; le sommeil qui vient par degrés fermer les yeux et la bouche d’Ulysse, tandis qu’il raconte ses aventures à Pénélope attentive, ce sont autant de traits du grand maître ; on ne les saurait trop admirer. […] Elle dit : Ulysse et Pénélope, à qui le plaisir de se retrouver ensemble après une si longue absence, tenait lieu de sommeil, se racontèrent réciproquement leurs peines.

406. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre II. Le comique de situation et le comique de mots »

Trop souvent nous parlons de nos sentiments de plaisir et de peine comme s’ils naissaient vieux, comme si chacun d’eux n’avait pas son histoire. […] Combien de plaisirs présents se réduiraient pourtant, si nous les examinions de près, à n’être que des souvenirs de plaisirs passés ! […] Quelque réponse d’ailleurs qu’on fasse à cette question très générale, un point reste hors de doute : c’est qu’il ne peut pas y avoir solution de continuité entre le plaisir du jeu, chez l’enfant, et le même plaisir chez l’homme. […] C’est pourquoi l’idée ne serait pas venue de l’exagérer, de l’ériger en système, de créer un art pour elle, si le rire n’était un plaisir et si l’humanité ne saisissait au vol la moindre occasion de le faire naître. […] Il lui suffirait de laisser ses idées converser entre elles « pour rien, pour le plaisir ».

407. (1914) Une année de critique

les ouvrages techniques, les livres de gynécologie, plaisir des adolescents ! […] Il y a de l’esprit aussi, avec une émotion sincère, dans le Plaisir de rompre. […] Car le plaisir est roi du monde. […] Il ne se plaît qu’aux plaisirs de société. […] Encore une fois, nous lui devons, outre de grands plaisirs intellectuels, une gratitude infinie.

408. (1885) L’Art romantique

Une figure bien dessinée vous pénètre d’un plaisir tout à fait étranger au sujet. […] C’est le plaisir d’étonner et la satisfaction orgueilleuse de ne jamais être étonné. […] En réalité, ils existent bien plutôt pour le plaisir de l’observateur que pour leur plaisir propre. […] Veut-il créer l’hypocrisie pour avoir le plaisir de la récompenser ? […] J’admets tous les remords de saint Augustin sur le trop grand plaisir des yeux.

409. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Louis Veuillot »

« Quel plaisir de dauber sur ce troupeau de farceurs illustres et vénérés ! […] Sais-tu ce qui me reste de tous mes essais de plaisirs, de mes rages, de mes colères, de tant de pleurs versés et de temps perdu ? […] Et ne croyez pas qu’il outre à plaisir, et par une sorte de défi aux esprits superbes, l’humilité et la simplicité du cœur : on reconnaît, lorsqu’on l’a pratiqué un peu, qu’il est naturellement ainsi. […] Les lois de sa république ne nous permettraient pas d’écrire tout ce que nous voulons et nous retrancheraient, par conséquent, un de nos plus chers plaisirs. […] Vous y goûterez autre chose qu’un plaisir d’amusement, car l’homme, le chrétien et le publiciste ne se séparent guère chez Louis Veuillot, et des idées d’importance et toute sa vie publique s’entrelacent, dans ces causeries, aux détails de ménage et de pot-au-feu.

410. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome I

Les opéras comiques ne sont pas faits pour la postérité ; leur succès est fugitif et passager comme le plaisir qu’ils donnent. […] Au reste, cet intérêt de l’amour s’affaiblit beaucoup sur notre théâtre, et les deux visites de Rodrigue à Chimène ne sont pas les deux scènes qui font le plus de plaisir aujourd’hui dans le Cid. […] Il faut penser qu’il se trouve aujourd’hui de tels acteurs ; car on revoit ce poème avec un grand plaisir. […] Le Menteur de Corneille n’est donc point un escroc, un fourbe odieux ; c’est un jeune homme aimable, mais extravagant, qui met sa gloire et son plaisir à forger des histoires. […] Dorante arrive de Poitiers à Paris pour y faire son cours de galanterie ; il ne respire que plaisirs ; son imagination est pleine de bonnes fortunes ; sa bonne mine va subjuguer tous les cœurs.

411. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « [Appendice] » pp. 417-422

Tel la prêche les jours entiers Sur les doux plaisirs de la vie, Et tel autre lui sacrifie Toutes les belles de Poitiers. […] Ne crains pas pourtant que sa flamme Lui donne d’injustes transports : Nous avons les peines de l’âme Sans avoir les plaisirs du corps.

412. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Les brimades. » pp. 208-214

. — Imposer à des camarades des souffrances réelles et de réelles humiliations, les contraindre à de stupides et pénibles corvées, les priver de nourriture et de sommeil, — et y trouver plaisir, tranchons le mot : cela est odieux. Un tel plaisir ne se peut expliquer que par un éveil de l’antique férocité animale chez « l’élite de la jeunesse française », et par ce fait qu’une réunion d’hommes est plus méchante et plus inepte que chacun des individus qui la composent (meilleure aussi en certains cas, mais c’est infiniment plus rare).

413. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — Q. — article » pp. 572-580

Comment peut-on mettre treize Vers, nous ne disons pas au dessus, mais en comparaison de trois Pieces, dont une est restée au Théatre, où elle fait plaisir, & dont les deux autres annoncent plus de talens pour la Poésie en général que le meilleur Opéra de Quinault ? […] M. l’Abbé Genay, Avocat en Parlement, Littérateur estimable, à qui nous aurions consacré avec plaisir un article dans cet Ouvrage, si sa modestie ne l’avoit empêché jusqu’à présent de livrer au grand jour de l’impression plusieurs excellens morceaux de Littérature, qui ne sont connus que de ses amis.

414. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 12, qu’un ouvrage nous interesse en deux manieres : comme étant un homme en general, et comme étant un certain homme en particulier » pp. 73-80

On ne lit pas un poëme pour s’instruire, mais pour son plaisir, et on le quitte quand il n’a point un attrait capable de nous attacher. […] Il est vrai que toutes les nations de l’Europe lisent encore l’éneïde de Virgile avec un plaisir infini, quoique les objets que ce poëme décrit ne soïent plus sous leurs yeux, et quoiqu’elles ne prennent pas le même interêt à la fondation de l’empire romain que les contemporains de Virgile, dont les plus considerables se disoient encore descendus des heros qu’il chante.

415. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE CHARRIÈRE » pp. 411-457

laissez-nous ce plaisir, cette légère espérance pour consolation. […] J’ai demandé à mon patron si tous ces gens-là étaient parents, il m’a répondu qu’oui en quelque sorte : cela m’a fait plaisir. […] Il la retrouve à un bal pour lequel on lui avait envoyé, de deux côtés différents, deux billets ; un de ces billets, il en a disposé assez légèrement pour un ami de comptoir qui était présent lorsqu’il recevait le second ; il n’a pu résister à lui faire ce plaisir. […] J’étais bien content : jamais je n’ai dansé avec tant de plaisir. […] Je vous remercie, montagnes, neige, soleil, de tout le plaisir que vous me faites.

416. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VII. Les poëtes. » pp. 172-231

Leur plaisir, en lisant des vers, était de vérifier si le patron était exactement suivi ; l’invention n’était permise que dans les détails ; on pouvait ajuster là une dentelle, ici un galon ; mais on était tenu de conserver scrupuleusement la forme officielle, de brosser le tout avec minutie, et de ne paraître jamais qu’avec des dorures neuves et du drap lustré. […] Les lettrés faisaient comme ces coquettes pour qui les superbes déesses de Michel-Ange et de Rubens ne sont que des vachères, mais qui poussent un petit cri de plaisir à l’aspect d’un ruban à vingt francs l’aune. […] —  Ni les poireaux, ni le gruau d’avoine, ni les pommes de terre ne toucheront mon cœur1129. » L’autre berger répond dans le même mètre, et le duo chemine, couplet par couplet, à l’antique, mais cette fois parmi les navets, la bière forte, les porcs gras, éclaboussé à plaisir par les vulgarités de la campagne moderne et par les fanges d’un climat du Nord. […] Les titres de leurs ouvrages indiquent assez leurs caractères : l’un écrit un poëme « sur les plaisirs de l’imagination », l’autre des odes sur les passions et la liberté, celui-ci une élégie sur un cimetière de campagne et un hymne à l’adversité, celui-là des vers sur un village ruiné et sur le caractère des civilisations voisines, son voisin une sorte d’épopée sur les Thermopyles, un autre encore l’histoire morale d’un jeune ménestrel. […] À son avis, ce caractère se compose d’amour du plaisir et d’amour du pouvoir.

417. (1858) Cours familier de littérature. V « XXIXe entretien. La musique de Mozart » pp. 281-360

C’est le trésor de Bacchus, le plaisir du soldat. […] Doux plaisir ! Le plaisir est doux après la peine ! […] Il chante mélodieusement sur le mode lydien et dispose l’âme au plaisir. […] « Le trésorier des menus plaisirs du roi a remis hier à l’enfant, de la part du roi, quinze louis et une tabatière d’or.

418. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (2e partie) » pp. 97-191

La poésie a une tout autre origine que le plaisir servile produit en nous par l’imitation ; elle est née de l’homme même. Nous voudrions savoir quel est, dans la Marseillaise, chant national des Français modernes, le plaisir de l’imitation. […] « Puisque le but du poète doit être de nous procurer le plaisir qui vient de la pitié et de la terreur, il est clair qu’il faut qu’on trouve ces émotions dans les choses même que son œuvre nous représente. […] « Ainsi, la tragédie l’emporte par tous ces points, et en outre, par l’effet qu’elle produit dans les limites que l’art lui impose ; car l’épopée et la tragédie ne sont pas faites pour procurer un plaisir quelconque, mais seulement le plaisir que nous avons signalé. […] Les besoins du corps, ses passions, ses faiblesses, ses plaisirs et ses douleurs sont comme autant de clous par lesquels l’âme lui est rivée ; c’est par le corps qu’elle est entraînée dans ces régions inférieures et obscures où elle est en proie au vice et à l’erreur.

419. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (2e partie) » pp. 315-400

En général, avant de connaître le monde extérieur, je n’éprouvais de plaisir qu’à reproduire mon monde intérieur. […] Est-ce que je sers un de ces hommes qui ne vivent que pour leurs plaisirs en les faisant payer à un peuple ? […] On y parla des parties de plaisir des semaines précédentes et des projets semblables pour les semaines suivantes. […] Notre plaisir allemand du jeu de quilles paraît, en comparaison, grossier, commun, et il tient beaucoup du Philistin. […] dit Goethe en faisant arrêter ; voyons encore si un petit déjeuner dans ce bon air nous fera plaisir ! 

420. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre quatrième. L’idée du temps, sa genèse et son action »

Il n’est nul besoin, pour sentir une chose, d’avoir la penser ou le nom de cette chose : pour sentir la différence du plaisir à la douleur, il n’est pas besoin de penser ni de nommer cette différence ; de même, pour sentir cette différence particulière qui constitue un changement interne, il n’est nul besoin de faire appel à la pensée pure, à la raison qui compare, aux catégories, à la forme pure du temps. […] Quand vous attendez pour l’unique plaisir de savoir ce qui va arriver, vous désirez encore ce plaisir ; quand vous contemplez l’objet prétendu indifférent, vous désirez le connaître, vous tendez encore à lui. […] Il pourrait même avoir des affections de plaisir et de douleur uniquement présentes, il pourrait avoir des perceptions spatiales uniquement présentes ; il pourrait se figurer tout sous forme d’étendue tangible ou visible sans mémoire proprement dite, en vivant dans un présent continuel sans passé et sans avenir127. […] Admettons que vous ayez l’intuition du temps homogène, continu, infini : voulez-vous me dire comment vous saurez que le plaisir de manger est venu après la souffrance de la faim et non auparavant ? […] Je me représente des successions de sensations, de passions, de plaisirs, de peines, de volitions, de motions, etc. ; mais une succession toute seule, sans rien qui se succède, voilà ce que je ne parviens pas à me figurer, pas plus qu’un animal en soi, qui ne serait ni homme, ni cheval, etc.

421. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « LOUISE LABÉ. » pp. 1-38

Bayle, qui n’a pour autorité que Du Verdier, se donne le plaisir de broder là-dessus et d’accorder à sa plume, en cet endroit, tout le libertinage qui fait comme le grain de poivre de son érudition. […] Celui qui ne tasche à complaire à personne, quelque perfection qu’il ait, n’en a non plus de plaisir que celui qui porte une fleur dedans sa manche. […] Retraçant avec complaisance les artifices divers par lesquels les femmes savent, dans leur toilette, rehausser ou suppléer la beauté et tirer parti de la mode, il ajoute en une image heureuse : « et avec tout cela, l’habit propre comme la feuille autour du fruit. » Amour, au dire d’Apollon, est le mobile et l’auteur de tout ce qu’il y a d’aimable, de galant et d’industrieux dans la société ; il est l’âme des beaux entretiens : « Brief, le plus grand plaisir qui soit après Amour, c’est d’en parler. […] Ainsi prennent les plus sévères hommes plaisir d’ouïr parler de ces propos, encore qu’ils ne le veuillent confesser. » Et la poésie, qui donc l’inspire ? […] Tout à un coup je ris et je larmoye, Et en plaisir maint grief tourment j’endure ; Mon bien s’en va, et à jamais il dure ; Tout en un coup je sèche et je verdoye.

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