Je ne vous parlerai point de l’effet de ce tableau, je vous demanderai seulement sur quelle toile vous le croyez peint. […] On voit par l’ouverture des arcades les galeries tourner autour de la cour du palais que l’artiste a peinte inondée. […] écurie et magasin à foin, peints d’après nature à Rome . du même. […] Comment cette lumière peinte sur la même surface que le fond ce fond n’est-il pas éclairé ? […] Celui-ci nous a fait voir comment des ruines devaient être peintes et comme Machy ne les peignait pas.
Lucas-Montigny ne se soit grossi les inconvénients de certains détails nouveaux, et que ses idées sur la dignité du genre n’aient ajouté un peu trop de rigueur à sa louable morale « Nous pourrions, dit-il, donner une relation très-circonstanciée de l’emploi du temps passé follement aux Verrières, de la route suivie par les deux amants quand il se furent décidés à s’éloigner, de tous les accompagnements de cet acte de démence et de désespoir ; mais un tel récit serait mélangé d’incidents scandaleux que nous rejetterons toujours, parce qu’ils sont indignes de l’histoire, parce qu’ils la dégradent, parce que même ils la font mentir, puisqu’elle doit peindre les grands faits et non les passagers accidents de la vie des personnages dont elle s’occupe, les traits saillants de leur physionomie et non les difformités secrètes. » De telles maximes crûment énoncées par un biographe sont elles-mêmes la critique la plus sévère du procédé qu’il suit : nous ne nous arrêterons pas à les réfuter. […] Hugo a tout d’abord tendu la main à ce haut et grave vieillard ; c’est ainsi qu’il les aime, qu’il les peint et qu’il les rêve : don Ruy Gomès de Sylva, dans Hernani, n’est pas d’une autre souche ; et lui-même, poëte, il m’a fait souvent l’effet de représenter cette sorte de type inflexible, transporté, dépaysé dans la littérature et dans l’art de nos jours : de là en partie, j’imagine, ce qu’il y a de faussé dans sa puissance. […] Mirabeau lui-même, écrivant à une personne à laquelle il ne parlait que le langage de la plus sincère conviction, disait : « Mon père a autant de supériorité sur moi par le génie, qu’il en a par l’âge et le titre de père. » Après un admirable récit de la vie de son grand-père, Jean-Antoine, récit composé dans une captivité au château d’If sur les notes de son père, il termine par ces mots : « Ceux qui seraient étonnés des couleurs que nous avons osé employer pour peindre un homme qui n’est resté ni dans les fastes des cours qu’on appelle histoire des nations, ni dans les recueils mensongers des gazettes, auraient tort, à ce qu’il nous semble…. […] Ailleurs c’est Buzot et Pétion qui sont peints l’un comme plus dévorant, l’autre comme plus bref d’esprit, qu’on ne les a jamais vus. […] En nous montrant ce revers de style pâteux, mal lié, mou aux extrémités des phrases, avec des mosaïques bizarres de métaphores peu adhérentes, en nous offrant en regard le cachet du grand prosateur et la substance particulière dont est fait le grand style, souple et molle d’abord, et puis figée, lave d’abord, et puis granit, il a peint lui-même sa manière, il a donné l’empreinte et le moule de son procédé.
D’Olivet, qui est malheureusement trop bref sur le célèbre auteur, mais dont la parole a de l’autorité, nous dit en des termes excellents : « On me l’a dépeint comme un philosophe, qui ne songeoit qu’à vivre tranquille avec des amis et des livres, faisant un bon choix des uns et des autres ; ne cherchant ni ne fuyant le plaisir ; toujours disposé à une joie modeste, et ingénieux à la faire naître ; poli dans ses « manières et sage dans ses discours ; craignant toute sorte d’ambition, même celle de montrer de l’esprit138. » Le témoignage de l’académicien se trouve confirmé d’une manière frappante par celui de Saint-Simon, qui insiste, avec l’autorité d’un témoin non suspect d’indulgence, précisément sur ces mêmes qualités de bon goût et de sagesse : « Le public, dit-il, perdit bientôt après (1696) un homme illustre par son esprit, par son style et par la connoissance des hommes ; mes ; je veux dire La Bruyère, qui mourut d’apoplexie à Versailles, après avoir surpassé Théophraste en travaillant d’après lui et avoir peint les hommes de notre temps dans ses nouveaux Caractères d’une manière inimitable. […] Ce même Saint-Simon, qui regrettait La Bruyère et qui avait plus d’une fois causé avec lui139, nous peint la maison de Condé et M. le Duc en particulier, l’élève du philosophe, en des traits qui réfléchissent sur l’existence intérieure de celui-ci. […] Comme il nous dessine dans un jour favorable la petite ville qui lui paraît peinte sur le penchant de la colline ! […] Il a peint les autres dans son amas d’invectives, et dans le discours qu’il a prononcé il s’est peint lui-même… Fier de sept éditions que ses Portraits satyriques ont fait faire de son merveilleux ouvrage, il exagère son mérite… » Et le Mercure conclut, en remuant sottement sa propre injure, que tout le monde a jugé du discours qu’il était directement au-dessous de rien.
Il fut envoyé à Rome, je ne sais en quelle qualité, et il voyagea durant trois années à cheval par toute l’Italie : ce furent là ses véritables études, et auxquelles il dut les couleurs si vraies et si senties avec lesquelles il a su peindre depuis, en toute occasion, ces belles contrées. […] On me le peint encore, dans cette même demi-teinte à la fois fidèle et adoucie, arrivant tard à la littérature sérieuse, ne s’y naturalisant qu’avec effort ; s’en distrayant souvent ; s’essayant de bonne heure à des sujets de poésie plus ou moins imités de l’anglais, de l’allemand, à de petites pièces remarquables de ton et de coloris, mais où l’expression trahissait la pensée, et qu’il a corrigées et retravaillées depuis, sans les rendre plus parfaites et plus faciles ; « nature exquise pour l’intelligence, avec des moyens de manifestation insuffisants ; point d’amour-propre en tête-à-tête, humble aux observations dans le cabinet, douloureux et hargneux devant le public ; généreux de mœurs et désintéressé, mais faisant mille tours à ses amis et à lui-même. » D’un cœur ardent, passionné, d’un tempérament vif et amoureux, il avait un grand souci de sa personne et de tout ce qui mène à plaire. […] Voici un trait qui le peint, et sous sa forme la plus innocente et la plus légère. […] Ici, ce n’est point le monstre tel qu’il se présentait à vous, et tel, je crois, qu’il ne faut pas le peindre. […] La reconnaissance alors se peignait si vive dans ce regard-là, que toute idée de pour quittait les timides.
Il s’agit d’une femme, et, entre toutes les femmes, de celle-là qui, par sa naissance, ses mœurs, sa vie tout entière, son esprit et son âme, devait le moins tenter la plume brillante et sèche d’un écrivain, qui n’avait jusqu’ici exprimé que des idées et qui, sur le tard de la vie, quand le rayon divin pâlit chez les autres hommes, s’essaie à peindre des sentiments. […] Fasciné par celle qu’il eût peinte, M. […] C’est que, pour l’esprit, on ne peint pas seulement avec des mots qui expriment des accidents de couleur et de forme, mais avec des analogies qui remuent des mondes ! C’est que peindre n’est pas décrire ! […] Au moins, s’il rata Grandisson, Richardson avait peint Clarisse.
Sa faiblesse répondait à la faiblesse de son siècle ; deux anémies également peintes ! […] Il n’avait à peindre que celle de Marc-Aurèle, qui, nous dit-il, résumait le mieux la sagesse antique et préfigurait le mieux la sagesse chrétienne… Selon lui, Marc-Aurèle, c’est le colosse de Rhodes de l’Histoire. […] J’ai voulu voir si ce diminueur en histoire, cet homme qui gratte les grandes choses comme les gamins grattent les monuments, diminuerait et gratterait ces magnifiques horreurs historiques et s’il saurait les peindre au lieu de les gratter ; car ils prétendent, ses partisans, pour lui payer sans doute ses insolences envers le Christianisme, qu’il a un pinceau avec son grattoir. […] Mais voici des faits difficiles à dissoudre, difficiles à râper et à réduire à rien, tant l’épaisseur en est formidable : Néron, l’incendie de Rome, le siège de Jérusalem, et il s’agit de savoir s’il va bien les peindre ! […] Renan lui a ôté le talent de peindre, car un peintre d’histoire est, hors des lettres ou dans les lettres, un grand artiste, et un grand artiste ne peut être un sceptique, un trembleur qui tremble de la tête et qui tremble de la main.
Avec un pareil style on excelle à peindre les outrances, et l’on s’y plaît. […] Il a pris plaisir à les peindre ; il les a caressés, oserais-je dire, si le mot convenait aux brusqueries de sa brosse. […] Je voudrais dire comment Guy de Maupassant a peint les hommes et les choses des champs. […] Pourquoi, quand d’ailleurs on aime le vrai et qu’on le peint si juste ? […] Elle transcrit toutes chaudes ses impressions ; ses articles sont faits de « sensations peintes ».
Le Paris de la fin du règne de Louis XV y est peint d’une couleur très vive. Paris, la cour, les personnages de cette fin du xviiie siècle, qu’on a peints tant de fois, ont été rechampis par Paul Féval une centième fois de plus avec un pinceau infatigablement spirituel, audacieux et léger comme cette époque où les jolies manières avaient remplacé les bonnes mœurs. […] XIII En effet, peindre ainsi, c’est ressusciter. […] L’orgueil se glisse partout, jusque dans la sainte passion d’expier l’orgueil. » Que vous savez bien dire, au contraire, et que j’aime cette manière de peindre ! […] Ce n’est plus ici l’homme de ces grandes fresques qu’il a peintes toute sa vie, avec ce pinceau infatigable et ailé qui allait quelquefois trop vite et qui semblait capable défaire quatre-vingts lieues à l’heure, comme les ailes du martin-pêcheur.
Il fallait, à l’exemple de Montesquieu, considérer les révolutions qui sont arrivées dans les mœurs, dans la politique, dans la religion et dans les arts, en établir la réalité, en chercher les causes, en marquer les moments, en un mot, peindre les hommes comme vous l’aviez promis, et non peindre quelques hommes, comme vous l’avez fait. Il fallait faire passer tous les peuples du monde sous les yeux de votre lecteur… Il fallait, si vous le pouviez, imiter Tacite qui n’annonce pas fastueusement le tableau des nations, mais qui, sous le titre modeste d’Annales, peint l’univers… Cela veut dire qu’il ne fallait pas être Voltaire ; mais Voltaire, qui était lui et pas un autre, a peint à sa manière ce grand siècle dont un souffle avait passé sur son berceau, et il en a donné à tout lecteur impartial un sentiment vif, juste et charmant.
Ses paysages, à elle, ont de l’étendue ; un certain goût anglais s’y fait sentir ; c’est quelquefois comme dans Westall, quand il nous peint sous l’orage l’idéale figure de son berger ; ce sont ainsi des formes assez disproportionnées, des bergères, des femmes à longue taille comme dans les tableaux de la Malmaison, des tombeaux au fond, des statues mythologiques dans la verdure, des bois peuplés d’urnes et de tourterelles roucoulantes, et d’essaims de grosses abeilles et d’âmes de tout petits enfants sur les rameaux ; un ton vaporeux, pas de couleur précise, pas de dessin ; un nuage sentimental, souvent confus et insaisissable, mais par endroits sillonné de vives flammes et avec l’éclair de la passion. […] Les petits enfants, qu’elle aime à peindre, ont été plus précoces et ont parlé un langage plus impossible que jamais. […] « Mon père était peintre en armoiries ; il peignait des équipages, des ornements d’église. — Sa maison tenait au cimetière de l’humble paroisse Notre-Dame, à Douai. […] C’est pourtant ce que j’aime le plus au monde, au fond de ce beau temps pleuré. — Je n’ai vu la paix et le bonheur que là. — Puis une grande et profonde misère quand mon père n’eut plus à peindre d’équipages ni d’armoiries.
S’il nous fallait pourtant nous prononcer, nous dirions qu’à part la forme idéale, harmonieuse, unique, où un art divin s’emparant d’un sentiment humain le transporte, l’élève sans le briser, et le peint en quelque sorte dans les cieux, comme Raphaël peignait au Vatican, comme Lamartine a fait pour Elvire, à part ce cas incomparable et glorieux, toutes les formes intermédiaires nuisent plus ou moins, selon qu’elles s’éloignent du pur et naïf détail des choses éprouvées. […] Or Cécile a des rapports singuliers de contraste et de ressemblance avec Mlle de Liron ; écoutons sa mère qui nous la peint : « Elle est assez grande, bien faite, agile ; elle a l’oreille parfaite : l’empêcher de danser serait empêcher un daim de courir… Figurez-vous un joli front, un joli nez, des yeux noirs un peu enfoncés ou plutôt couverts, pas bien grands, mais brillants et doux ; les lèvres un peu grosses et très-vermeilles, les dents saines, une belle peau de brune, le teint très-animé, un cou qui grossit malgré tous les soins que je me donne, une gorge qui serait belle si elle était plus blanche, le pied et la main passables ; voilà Cécile… « Eh bien ! […] Nulle part la société du temps n’est mieux peinte ; nulle part une âme qui soumet l’amour à la religion n’exhale des soupirs plus épurés, des parfums plus incorruptibles.
Et le bon Ducis, qui demeura lui-même à Auteuil, comme il aime aussi et comme il peint les petits fonds riants et les revers de coteaux ! […] Dans une lettre à Brossette, on lit encore ce curieux passage : « L’autre objection que vous me faites est sur ce vers de ma Poétique : De Styx et d’Achéron peindre les noirs torrents. Vous croyez que Du Styx, de l’Achéron peindre les noirs torrents, seroit mieux. […] Il y peignait, en homme qui en sait jouir, les fraîches délices des champs, les divers détails du paysage ; c’est là qu’il est question de gaules non plantés, Et de noyers souvent du passant insultés.
On connaît son portrait par Coypel, qui l’a peinte en grand appareil de deuil, tenant son urne de Cornélie. […] Celle-ci a laissé de Fontenelle un portrait charmant qui la peint pour le moins autant elle-même que le philosophe qu’elle savait si bien apprécier : Les personnes ignorées, écrit Mlle Le Couvreur, font trop peu d’honneur à celles dont elles parlent, pour oser mettre au grand jour ce que je pense de M. de Fontenelle ; mais je ne puis me refuser en secret le plaisir de le peindre ici tel qu’il me paraît. […] Il nous peint en termes naturels l’étonnement et la douleur qu’elle témoigna à cette première nouvelle.
C’est un joli livre dans le genre de Duclos, et qui peint bien l’aspect des mœurs à sa date. […] L’auteur met en tête une note qui le peint lui-même par un de ses travers : « Il nous a semblé convenable, dit-il, d’avertir le lecteur qu’il va se trouver avec des gens de lettres. […] L’auteur vous promène dans Paris durant les années 1830-1833 ; il vous peint le bourgeois d’alors, le gamin et le Mayeux d’alors, l’émeute d’alors, et toutes les choses parisiennes de cette date. […] Il explique plus qu’il ne peint, mais une pénétration ingénieuse éclaire tous ses récits : et dans l’art si difficile de l’histoire, l’étendue et la précision des recherches, l’intelligence exacte des grandes choses, et le talent d’écrire soutenu dans un long ouvrage, sont des qualités rares, dignes d’un succès durable.
Voltaire, qui avait peint le siècle de Louis XIV avec tant de talent et de charme, mais en beau, et qui fut averti des contradictions que l’autorité de Saint-Simon pouvait lui susciter un jour, avait conçu le dessein de réfuter quelques parties de ces Mémoires. […] Saint-Simon ne peut s’empêcher de regarder tout ce qui se présente et de peindre tout ce qu’il voit. […] Son histoire est une fresque à la Rubens, jetée avec une fougue de pinceau qui ne lui permet pas de dessiner soigneusement et d’arrêter sa ligne avant de peindre : mais les physionomies, tant il en est plein, n’en ressortent que plus chaudement. […] Saint-Simon, au premier bruit de la rechute et de l’agonie, court donc chez la duchesse de Bourgogne, et y trouve tout Versailles rassemblé, les dames à demi habillées, les portes ouvertes, un pêle-mêle confus, et une des occasions les plus belles qu’il ait jamais rencontrées de lire à livre ouvert dans les physionomies des acteurs : « Ce spectacle, dit-il, attira toute l’attention que j’y pus donner parmi les divers mouvements de mon âme. » Et il se met à exercer sa faculté de dissection et d’analyse sur chaque visage en particulier, en commençant par les deux fils du moribond, par leurs épouses, et ainsi par degrés sur tous les intéressés : Tous les assistants, dit-il avec une jubilation de curieux qui ne se peut contenir, étaient des personnages vraiment expressifs ; il ne fallait qu’avoir des yeux, sans aucune connaissance de la Cour, pour distinguer les intérêts peints sur les visages, ou le néant de ceux qui n’étaient de rien ; ceux-ci tranquilles à eux-mêmes, les autres pénétrés de douleur, ou de gravité et d’attention sur eux-mêmes pour cacher leur élargissement et leur joie.
Théodore Leclercq a eu ce singulier bonheur pour un écrivain moraliste et dramatique, d’avoir rattaché son observation et sa fine moquerie à une époque distincte et à un moment de l’histoire : tellement que, pour faire bien comprendre ce que l’historien ne dit qu’en courant et ce qu’il ne peut que noter sans le peindre, il n’y a rien de mieux que de renvoyer à quelques-uns de ses jolis proverbes comme pièces à l’appui. […] Son père, riche manufacturier, avait, si je ne me trompe, fondé dans le faubourg Saint-Antoine une fabrique de papiers peints dans laquelle il eut pour successeur Réveillon, celui même qui fut odieusement pillé dans les premiers troubles de 1789. […] Théodore Leclercq a très bien peint sa douce paresse et son humeur peu ambitieuse, qui laissait à son observation tout son jeu et toute sa lucidité : « Assez bon observateur, dit-il, positivement parce que je reste en dehors des prétentions actives, je regarde faire, et j’écris sans remonter plus haut que le ridicule, qui est mon domaine, laissant des plumes plus fortes que la mienne combattre ce qui est odieux. » Là où il est le plus charmant et le plus naturellement dans son domaine, c’est quand il peint les légers ridicules dont il ne s’irrite point, mais dont il sourit et dont il jouit, les ridicules des gens qu’on voit et qu’on aime à voir, avec qui l’on joue la comédie sans qu’ils se doutent qu’ils la jouent doublement eux-mêmes.
Donnez un motif, un ressort de plus à ce sage, donnez-lui « la gloire, ce puissant mobile de toutes les grandes âmes », faites qu’il se la propose comme un but éclatant qui l’attire sans le troubler, et vous aurez Buffon lui-même, Buffon qui, pour peindre le plus noble idéal de l’homme, n’a eu qu’à en saisir les traits en lui. […] Mais, indépendamment du plaisir qu’il prenait en effet à la peindre avec la grandeur qu’il y voyait, ne sent-on pas que Buffon, par un tel morceau, visait à enlever tous les suffrages à la Cour ? […] En général, Buffon peint la nature sous tous les points de vue qui peuvent élever l’âme, qui peuvent l’agrandir, la rasséréner et la calmer ; il aime d’un mot à tout ramener à l’homme ; il a de la volupté souvent dans le pinceau, mais il n’a pas cette sensibilité où Rousseau et d’autres excelleront : Buffon est un génie qui manque d’attendrissement. […] On dit que Buffon aimait fort le romancier Richardson « à cause de sa grande vérité, et parce qu’il avait regardé de près tous les objets qu’il peignait ».
Il réussit à peindre — et au vif — une intoxication par l’arsenic, un cas d’asphyxie croupale, le tout sans paraître savoir qu’il existât des modes techniques de traiter ses tableaux. […] Du plus pur modernisme quand il peint l’ataxique de nos jours99 ou formule le dernier mode de traitement de la neurasthénie100, il redevient justement médiéval et surabonde en archaïsmes savoureux s’il remonte aux époques passées101.
Année 1851 2 Décembre 1851 Au jour du jugement dernier, quand les âmes seront amenées à la barre par de grands anges, qui, pendant les longs débats, dormiront, à l’instar des gendarmes, le menton sur leurs deux gants d’ordonnance, et quand Dieu le Père, en son auguste barbe blanche, ainsi que les membres de l’Institut le peignent dans les coupoles des églises, quand Dieu m’interrogera sur mes pensées, sur mes actes, sur les choses auxquelles j’ai prêté la complicité de mes yeux, ce jour-là : « Hélas ! […] dit l’un de nous à l’autre, avec cet affaissement moral et physique qu’a si bien peint Gavarni, dans l’écroulement de ce jeune homme tombé sur la chaise d’une cellule de Clichy.
Il aime à peindre la nature et la solitude. […] Il réussit surtout à peindre les mœurs, et il avait reçu quelque chose du génie de Théophraste et de La Bruyère.
Si l’on n’entend que moi, on me reprochera d’être décousu, peut-être même obscur, surtout aux endroits où j’examine les ouvrages de Sénèque ; et l’on me lira, je ne dis pas avec autant de plaisir, comme on lit les Maximes de La Rochefoucauld, et un chapitre de La Bruyère : mais si l’on jette alternativement les yeux sur la page de Sénèque et sur la mienne, on remarquera dans celle-ci plus d’ordre, plus de clarté, selon qu’on se mettra plus fidèlement à ma place, qu’on aura plus ou moins d’analogie avec le philosophe et avec moi ; et l’on ne tardera pas à s’apercevoir que c’est autant mon âme que je peins, que celle des différents personnages qui s’offrent à mon récit. […] Quand on ne présente sur la toile qu’un seul personnage, il faut le peindre avec la vérité, la force et la couleur de Van Dyck ; et qui est-ce qui sait faire un Van Dyck ?
Le prêtre catholique que madame George Sand a peint plus d’une fois dans sa vie y est repris et peint une dernière… mais on ne reconnaît plus ici le pinceau qui fit passer devant nos yeux, dans Lélia, le prêtre Magnus et le cardinal Annibal.
Leur ignorance des anatomies réelles était constante, extrême leur souci de l’expression : ils ont peint le corps humain et la nature tels que, dans la disposition précieuse de leurs âmes, ils les voyaient. […] Ils ont employé les couleurs et les lignes dans un pur agencement symphonique, insoucieux d’un sujet visuel à peindre directement. […] Assurément l’objet qu’ils peignent nous indiffère pleinement : ils ne nous montrent rien, ou ce qu’ils nous montrent est faux, impuissant à nous suggérer une Vie réelle de vision. […] Kroyer qui a peint une fonderie, dans le flamboiement torride de la coulée. […] Puis il osa peindre de jolis poèmes sans nul sujet décrit, des jeux de nuances, délicates et larges.
Ceux qui tiennent pour les mœurs fières & sévères de l’ancienne tragédie & pour les passions les plus dignes de l’homme, se prévalent de l’exemple de Corneille, qui peint toujours en grand, qui s’est presque toujours élevé au-dessus de ce ton de galanterie à la mode dans son siècle. […] Celui qu’il peint effraye, ainsi que tout ce qui sort de son imagination brûlante & noire. […] L’auteur, dès la première idée qu’il eut de mettre en action ce morceau d’histoire, sentit qu’il réussiroit ; qu’il feroit prendre l’intérêt le plus vif aux amans qu’il avoit à peindre*. […] On ne s’attachera plus à peindre les sottises humaines, à jouer les ridicules qu’on remarque dans la société. […] Ils sont très-peu reconnoissans du zèle de leur Démosthène : ils se plaignent qu’il les a mal peints, qu’il n’a crayonné que les mœurs de la populace.
Une fois, pendant que le shôgoun faisait sa promenade dans la ville de Yédo, Hokousaï fut invité par le prince à peindre devant lui. […] Et Hokousaï peint, en tête de l’album, une promenade de personnages de la cour dans la campagne. […] Et ce morceau de papier sur lequel Hokousaï devait peindre avait la superficie de 120 nattes. […] Ce ne fut pas la seule grandissime peinture que peignit Hokousaï. […] Il s’est fait construire, dans ce but, une jolie maison à la campagne et il me demande d’aller lui peindre un kakémono.
Au sortir des boudoirs, des toilettes et de tous ces bosquets de Cythère et d’Amathonte, dont il s’est tant moqué, mais dont il aurait dû se garder davantage, il se réfugie au sein de la nature, comme en un temple majestueux où il respire et se déploie plus à l’aise ; il la voit peu et sait peu la retracer sous les couleurs aimables et fraîches dont elle se peint autour de lui ; il préfère la contempler face à face dans ses soleils, ses volcans, ses tremblements de terre, ses comètes échevelées, et plonge avec Buffon à travers les déserts des temps. […] La Révolution, qui brisa tant de liens, dispersa tout d’abord la petite société choisie que nous aurions voulu peindre, et Le Brun, qui partageait les opinions ardentes de Marie-Joseph, se trouva emporté bien loin du sage André. […] Tandis que Le Brun écrivait ces horreurs en 93, David ne craignait pas de peindre Marat.
Il peint la cour comme La Bruyère ; mais, au lieu d’entrer dans l’indignation, il tourne prestement du côté de la bonne humeur. […] Voilà les louanges qu’il trouvait pour elle. « Vous que l’on aime à l’égal de soi-même. » Voilà le mot par lequel il peignait son sentiment. […] Une grosse toile vulgaire, uniforme, sur laquelle de loin en loin on aperçoit une belle fleur délicatement peinte, voilà l’image de notre condition ; celui-là seul est à envier qui peut montrer sur sa trame beaucoup de fleurs pareilles.
L’homme entre en colère, il est attentif, il est curieux, il aime, il hait, il méprise, il dédaigne, il admire ; et chacun des mouvements de son âme vient se peindre sur son visage en caractères clairs, évidents, auxquels nous ne nous méprenons jamais. […] Les passions se peignent plus facilement sur un beau visage. […] Si vous me peignez une chaumière, et que vous placiez un arbre à l’entrée, je veux que cet arbre soit vieux, rompu, gercé, caduc ; qu’il y ait une conformité d’accidents, de malheurs et de misère entre lui et l’infortuné auquel il prête son ombre les jours de fête.
N’interroger, n’écouter que lui pour peindre Louis XIV, c’est se condamner à l’ignorance et souvent à l’injustice. […] Mais à quoi bon peindre minutieusement la tendresse austère du père pour son fils, la tendresse respectueuse de la marquise pour son mari ? […] À mon avis, c’est une triste manière de comprendre et de peindre la vérité. […] Peindre l’Amérique dans le style d’Homère est assurément très inutile et très ridicule ; peindre la France dans le style des Sachems ne me semble pas moins digne de risée. […] Guizot avait à peindre et à juger la philosophie du xviiie siècle.
Molière, qu’aurait opprimé, je le crois, cette autorité religieuse de plus en plus dominante, et qui mourut à propos pour y échapper, Molière, qui appartient comme Boileau et Racine (bien que plus âgé qu’eux), à la première époque, en est pourtant beaucoup plus indépendant, en même temps qu’il l’a peinte au naturel plus que personne. […] Il peint l’humanité comme s’il n’y avait pas eu de venue, et cela lui était plus possible, il faut le dire, la peignant surtout dans ses vices et ses laideurs ; dans le tragique on élude moins aisément le christianisme. […] Molière, on le voit, débuta par la pratique de la vie et des passions avant de les peindre. […] Chapelle, qui croyoit être au-dessus de ces sortes de choses, le railla sur ce qu’un homme comme lui, qui savoit si bien peindre le foible des autres, tomboit dans celui qu’il blâmait tous les jours, et lui fit voir que le plus ridicule de tous étoit d’aimer une personne qui ne répond pas à la tendresse qu’on a pour elle. […] De redites sans nombre il fatigue les yeux, Et, plein de son image, il se peint en tous lieux.
Puis Heredia me lit des vers de sa seconde fille, qu’il me peint avec une petite tête ; aux longs cheveux, un œil parfois un peu en dedans, l’ensemble d’une physionomie du Vinci : une fillette de quatorze ans qui joue encore à la poupée, et qui s’amuse seulement, quand il pleut, à faire ces vers tout à fait extraordinaires. […] Il nous le peint comme un esprit de la même famille que le sien, comme un mystique, mais avec une touche mélancolieuse, venant d’une santé plus frêle, d’une nature plus délicate. […] Tout cela est dit, avec une parole légère sans appuiement, des mouvements d’un dessin élégant, et dans la pose et l’attitude doucement dédaigneuse, qu’elle me donne à peindre. […] Et Montesquiou est très intéressant à entendre développer la façon de peindre de Whistler, auquel il a donné dix-sept séances, pendant un mois de séjour à Londres. […] Pour moi c’est un tableau qui a l’air peint par un Rembrandt, né dans l’Inde.
L’homme extérieur se peint dans ses œuvres, l’homme intérieur se peint dans ses lettres. […] C’est que dans ses œuvres l’écrivain se peint tel qu’il désire paraître et que dans sa correspondance il se peint tel qu’il est : les œuvres, c’est la volonté ; les lettres, c’est la nature. On n’est jamais plus ressemblant que quand on se peint à son insu au lieu de façonner sa physionomie devant un miroir. […] Ma seule excuse, c’est que j’ai voulu peindre les hommes deux ans avant de les connaître ! […] Le grand artiste se dissèque intrépidement lui-même pour peindre, pour sculpter ou chanter les palpitations les plus douloureuses de ses fibres sans les sentir pendant qu’il les dénude à tous les yeux.
De ce trait gravé, je ferai tirer une centaine d’épreuves sur papier collé, et je m’amuserais à les aquareller de toutes les colorations qui se lèvent des brumes aqueuses de la Seine, de toutes les magiques couleurs, dont notre automne, notre hiver, peignent cet horizon de plâtre gris et de pierre rouillée. […] Aujourd’hui, à quatre heures, sur cet oreiller, à la lueur du grand cierge pascal peint et doré que le pape donna à son père, je revois la tête du pauvre enfant, avec de grands bleuissements sous ses yeux fermés, avec l’affreuse rétractation de ses lèvres violettes, sur le blanc des dents. […] Voillemot, pendant qu’il les peignait pour Billaut, était venu nous chercher, mon frère et moi, pour les admirer. […] Je me résous à mettre dans le renfoncement, et le vague d’un souvenir, toutes les scènes de b.., et de cour d’assises, que je voulais peindre dans la réalité brutale de la mise en scène, et les trois parties de mon roman se condensent en un seul morceau. […] Le duc d’Aumale, il n’y a qu’un mot pour le peindre : c’est le type du vieux colonel de cavalerie légère.
C’est par ce procédé naïf mais commode de l’anachronisme que le dogme se peint. […] Lui aussi il a une vie végétative, toute matérielle et toute extérieure, que les naturalistes se plaisent à peindre et à décrire. […] Marivaux a touché de son pinceau léger ce que Mercier a peint à la brosse dans le Tableau de Paris. […] Il a peint des natures mortes, une Raie très admirée ; il a peint, comme les Hollandais, des écureuses, des pourvoyeuses ; mais il a pénétré aussi dans l’intérieur bourgeois pour nous en laisser l’image exacte, saine, et, dirons-nous volontiers, édifiante. […] Munkacsy, n’ont pas cru devoir tout dire ni tout peindre.
Duclos, qui est philosophe et qui méprise l’astrologie, dit en deux mots : « L’on prédit, suivant l’usage, beaucoup de choses vagues, et flatteuses pour le prince régnant. » Je n’ai pas grand regret à la suppression du détail de l’horoscope ; mais, comme Duclos appliquera presque partout cette méthode de suppression et retranchera les détails qui peignent le temps, il en résulte à la longue maigreur et sécheresse, tandis que l’abbé Le Grand, qui ne songe qu’à raconter fidèlement et non à peindre, se trouve présenter un récit qui a plus de corps et de substance, et qui est nourri de ces choses particulières que l’esprit aime à saisir. […] pourquoi cela ne peint-il pas ? […] Duclos a connu personnellement la plupart des personnages qu’il a entrepris de peindre à la postérité. » Il n’avait pas soupé avec Louis XI, a remarqué Sénac de Meilhan, expliquant par là la froideur de la précédente Histoire ; il avait, au contraire, soupé avec bon nombre de ceux dont il fait mention dans ses Mémoires de la Régence et du règne de Louis XV.
Ainsi nous avons très rarement le portrait de l’esprit humain dans sa figure naturelle : on ne nous le peint que dans un état de contorsion ; il ne va point son pas, pour ainsi dire, il a toujours une marche d’emprunt… J’arrête la pensée au moment où lui-même il va en abuser, et tandis qu’il est juste encore et qu’il est clair. […] Ceux-ci, en effet, gens économes par nature, sont payés pour croire qu’on court après l’esprit quand on en a plus qu’eux : « Messieurs, lisez-moi, semblent-ils dire ; vous verrez un homme qui pense simplement, raisonnablement, qui va son grand chemin, qui ne pétille point : et voilà le bon esprit. » Selon Marivaux plaidant dans sa propre cause, « il y a un certain degré d’esprit et de lumières au-delà duquel vous n’êtes plus senti ; c’est même un désavantage qu’une si grande finesse de vue, car ce que vous en avez de plus que les autres se répand toujours sur tout ce que vous faites, embarrasse leur intelligence » ; on vous accuse d’être obscur par trop de subtilité ; et il conclut avec découragement, et en ayant l’air de consentir, par égard pour les lecteurs vulgaires, à ne plus être sagace qu’à demi : « Peignez la nature à un certain point, mais abstenez-vous de la saisir dans ce qu’elle a de trop caché ; sinon vous paraîtrez aller plus loin qu’elle, ou la manquer. » Tels étaient les ingénieux sophismes que le désir de se justifier suggérait à Marivaux, et sur lesquels il revient en vingt endroits. […] cette copie même, chez Marivaux, a un certain vernis et un certain glacis qui trahit la coquetterie de l’imitateur ; ses grotesques et ses masques soi-disant grossiers sont peints, en quelque sorte, sur porcelaine, et le tout miroite à la lecture. […] J’ai toujours pensé qu’il faut prendre dans l’écritoire de chaque auteur l’encre dont on veut le peindre ; j’en serai sobre pourtant avec Marivaux.