Il n’avait traversé la poésie qu’en courant, dans ses voyages, par aventure de jeunesse, et comme on traverse certains pays et certaines passions. […] Toutes nos erreurs nous sont connues ; l’âpreté de nos jugements d’autrefois nous revient à l’esprit avec honte ; on laisse désormais pour le monde le temps faire ce qu’il a fait pour nous, c’est-à-dire éclairer les esprits, modérer les passions. » Il n’était pas temps encore pour Farcy de rentrer dans l’Université ; le ministère de M. […] Farcy se disait pourtant que cette disproportion entre ce qu’il savait en idées et ce qu’il avait éprouvé en sentiments devait cesser dans son âme, et qu’il était temps enfin d’avoir une passion, un amour. […] Pourtant il l’était, quoique moins profondément qu’il n’eût fallu pour que cela fût une passion. […] Cet état convient mieux au pécheur qui va se régénérer ; il va plus mal au poëte qui doit toujours marcher simple et le front levé ; à qui il faut l’enthousiasme ou les amertumes profondes de la passion.
La passion désintéressée du beau dans la littérature et dans l’art. […] Mais avant de l’analyser en lui-même cet art, disons un mot de cette passion sereine et impersonnelle du beau qui possède certaines âmes d’élite venant en ce monde, qui les séquestre, pour ainsi dire, des vulgarités de notre vie à nous, active mais triviale, et qui les nourrit sans aliments visibles (excepté peut-être quelque amour sans récompense, voilé et innomé dans le rêve du cœur). […] Il faut les chercher dans la solitude ; c’est là que naissent ces grandes passions, entre ciel et terre, telles que celles que nous avons à vous signaler dans cette âme appelée je ne sais comment dans la langue des purs esprits, appelée ici-bas Louis de Ronchaud. […] Les poètes populaires, qui sont en général les tailleurs d’habits ou les ménétriers de village, y remplissent leurs veillées de légendes orientales ou d’idylles siciliennes ; la religion, l’amour et la guerre, les trois passions nobles des châteaux et de la chaumière, en sont les sujets. […] L’ermite de Saint-Lupicin s’enflamma pour elle d’une passion grecque, romaine, française, puisée dans Thucydide, dans Tacite, dans les Girondins.
J’y apportais une extrême passion ; ces combinaisons abstraites me faisaient rêver jour et nuit. […] Sa passion était un feu silencieux, intime, dévorant. […] L’amour est chez eux un sentiment tendre, profond, affectueux, bien plus qu’une passion. […] L’homme passionné du Midi tue son rival, tue l’objet de sa passion. […] Elle trompait ainsi sa passion et y trouvait des moments de volupté qui la rassasiaient pour des journées.
Les Romains de la fin de la République avaient des institutions qui mettaient en jeu les mêmes facultés, les mêmes passions que nous avons vues à l’œuvre ; ils assistaient à des révolutions analogues ; les caractères soumis aux mêmes épreuves prenaient les mêmes formes ; et, en se transportant parmi eux au siècle de Cicéron, on pourrait, au premier abord, se croire encore parmi nous. […] Tenir à la fois présents tous les ressorts, y avoir l’œil pour les tendre et les détendre insensiblement : prendre une détermination dans les crises, la maintenir ou ne la modifier qu’autant qu’il faut pendant les difficultés et les lenteurs de l’exécution ; être naturellement secret ; porter légèrement tout ce poids sans que le front en ait un nuage ; entremêler la paix à la guerre, et, sans faiblir, les mener de front, songer en toutes deux au nécessaire, c’est-à-dire aussi, chez de certaines nations, à la grandeur des résultats et à la gloire : dans le même temps exalter les courages et continuer d’apaiser les passions, les tenir comprimées de telle sorte que les gens de bien, selon la belle expression de Richelieu, dorment en paix à l’ombre de vos veilles, et que les laborieux dont la masse de la société se compose se livrent en tous sens au développement légitime de leur activité, que dis-je ? […] Serez-vous donc toujours les mêmes à jouer des passions des hommes, ô poëtes charmants si redoutés de Platon ?
L’incessante fermentation de cette population immense et hétérogène, barons hantant la cour du roi, bourgeois dévots et caustiques, écoliers batailleurs et disputeurs, prompts de la langue et de la main, et tout ce qui s’y remuait d’idées et de passions dans le conflit des esprits et des intérêts, étaient éminemment propres à susciter une poésie sinon très haute, du moins très vivante : le poète, cette fois, ne manqua pas. […] Il fut en son temps une sorte de journaliste, pas toujours indépendant, mais toujours original, toujours convaincu, soit qu’il travaillât sur commande, ou qu’il fût l’écho des passions populaires. […] Cette affaire mettait en jeu toutes les passions du poète : l’Université et son champion Guillaume de Saint-Amour luttaient désespérément pour interdire aux religieux des ordres mendiants, aux dominicains surtout, l’accès des chaires publiques, et pour défendre les maîtres séculiers d’une concurrence redoutable.
Sur ce point, sa correspondance fait mal à lire… Joignez à cela sa maladie nerveuse, dont il put bien hâter les progrès par des excès de toute sorte, mais qui était d’ailleurs héréditaire. « Mes ancêtres, écrit-il, idiots ou maniaques, dans des appartements solennels, tous victimes de terribles passions. »… Ah ! […] Et ce n’est pas tout : dans l’instant où l’on prétend exprimer la passion la plus ardente, on s’applique à chercher la forme la plus précieuse, la plus imprévue, la plus contournée, c’est-à-dire celle qui implique le plus de sang-froid et l’absence même de la passion Ou bien, pour innover encore dans l’ordre des sentiments, on se pénètre de l’idée du surnaturel, parce que cette idée agrandit les impressions, en prolonge en nous le retentissement ; on pressent le mystère derrière toute chose ; on croit ou l’on feint de croire au diable ; on l’envisage tour à tour ou à la fois comme le père du Mal ou comme le grand Vaincu et la grande Victime ; et l’on se réjouit d’exprimer son impiété dans le langage des pieux et des croyants.
Qu’on se figure, dans la position de madame de Maintenon, une femme d’un autre caractère : elle mettra en jeu tout ce que l’art de la galanterie aura de plus raffiné, d’abord pour nuire à sa rivale, ensuite pour plaire toujours plus qu’elle-même : elle disputera sa possession autant qu’il faudra pour en exalter le désir jusqu’à la passion. […] La fermeté tranchante du duc de Montausier pouvait n’être pas déplacée dans un homme de sa profession et surtout de son caractère ; mais la longue expérience de Bossuet et sa profonde connaissance du cœur humain lui avaient appris que la douceur, la patience et les exhortations évangéliques sont les véritables armes a un évêque pour combattre les passions et qu’elles servent plus souvent à en triompher que ces décisions brusques et absolues qui obtiennent rarement un si heureux succès. […] « Mais on serait également injuste envers madame de Maintenon, si on se plaisait à attribuer le chagrin de voir madame de Montespan revenir à la cour, à des motifs peu dignes d’elle, et à ces petites passions qu’on retrouve si souvent dans la société.
Fontanes de même, à sa manière : il vengeait avec passion Les Martyrs, si attaqués à leur naissance, et donnait le signal de les admirer. […] Cousin eut de bonne heure un double instinct, une double passion presque contradictoire. […] Charles Nodier avait su y introduire, en son temps, de la fantaisie et des manies charmantes ; mais, ici, on a l’utilité du but sous l’idéal de la passion.
Chaque jour, avec cette passion que comprendront les archéologues et les poètes, il explorait quelque ancien édifice démoli. […] Montrer dans le burg les trois choses qu’il contenait : une forteresse, un palais, une caverne ; dans ce burg, ainsi ouvert dans toute sa réalité à l’œil étonné du spectateur, installer et faire vivre ensemble et de front quatre générations, l’aïeul, le père, le fils, le petit-fils ; faire de toute cette famille comme le symbole palpitant et complet de l’expiation ; mettre sur la tête de l’aïeul le crime de Caïn, dans le cœur du père les instincts de Nemrod, dans l’âme du fils les vices de Sardanapale ; et laisser entrevoir que le petit-fils pourra bien un jour commettre le crime tout à la fois par passion comme son bisaïeul, par férocité comme son aïeul, et par corruption comme son père ; montrer l’aïeul soumis à Dieu, et le père soumis à l’aïeul ; relever le premier par le repentir et le second par la piété filiale, de sorte que l’aïeul puisse être auguste et que le père puisse être grand, tandis que les deux générations qui les suivent, amoindries par leurs vices croissants, vont s’enfonçant de plus en plus dans les ténèbres. […] Il se dit qu’il fallait que dans ce palais lugubre, inexpugnable, joyeux et tout-puissant, peuplé d’hommes de guerre et d’hommes de plaisir, regorgeant de princes et de soldats, on vît errer, entre les orgies des jeunes gens et les sombres rêveries des vieillards, la grande figure de la servitude ; qu’il fallait que cette figure fut une femme, car la femme seule, flétrie dans sa chair comme dans son âme, peut représenter l’esclavage complet ; et qu’enfin il fallait que cette femme, que cette esclave, vieille, livide, enchaînée, sauvage comme la nature qu’elle contemple sans cesse, farouche comme la vengeance qu’elle médite nuit et jour, ayant dans le cœur la passion des ténèbres, c’est-à-dire la haine, et dans l’esprit la science des ténèbres, c’est-à-dire la magie, personnifiât la fatalité.
Nisard : les unes qu’il appelle simples ou philosophiques, par exemple la peinture des mœurs, des sentiments et des passions ; les autres qu’il appelle morales, et qui sont des vérités de commandement. […] Quand il applique le premier, c’est-à-dire quand il se contente de rechercher dans les écrits les vérités qu’ils contiennent, sans distinguer si ce sont des vérités de tradition ou des vérités d’invention, des vérités de discipline ou des vérités de liberté, sa critique est large et sûre, à la fois souple et forte : elle rajeunit les sujets les plus épuisés par la manière mâle et solide dont elle les relève ; mais, quand il applique le second de ces principes, le principe de la discipline, sa critique prend quelque chose de partial, de jaloux, je dirais presque d’étroit : on sent que ce n’est plus de la critique absolue, mais de la critique relative faite pour un temps, pour combattre certaines passions, pour défendre certains écrits : c’est une critique de combat. Ce n’est plus la raison toute seule qui juge : c’est la raison unie à une certaine humeur, à une certaine passion, à un certain tour d’esprit, c’est de la critique personnelle.
Il laisse avec mélancolie errer ses regards en arrière ; il porte au-dedans de lui une vague inquiétude dont il ignore la cause ; il se crée des sentiments factices, et qu’il sait être ainsi, pour suppléer aux émotions qu’il ne retrouvera plus ; il s’étonne du désenchantement où il est plongé ; il a beau être séparé de la religion, ou par les passions dont il est devenu le jouet infortuné, ou par les séductions d’un esprit raisonneur, qui, à force de vouloir approfondir, égare ; il ne peut être sourd aux plaintes touchantes d’une mère, qui ne devait pas s’attendre à lui voir trahir ce qu’elle regardait comme ses plus chères espérances, ni aux terribles accusations de ses aïeux, qui lui reprochent, du fond de la tombe, d’avoir abandonné la portion la plus précieuse de leur héritage. […] Ils se sont trouvés sans bouclier contre le choc des passions, et sans dédommagement pour des penchants qu’ils ne pouvaient plus satisfaire. […] Disons qu’elle est nécessaire à toutes les classes de la société, parce-que toutes les classes de la société ont besoin de frein contre les passions, de consolation dans le malheur, d’avenir au-delà du tombeau.
C’est qu’en fin de compte, tous ces petits romans de Mme de Chandeneux et jusqu’à Une faiblesse de Minerve, qui a l’ambition d’être un roman de passion et qui se développe et se meut dans une autre atmosphère, sont des romans comme les piécettes qu’on joue au Gymnase sont des pièces de théâtre. […] Rien de ces romans n’est dans la passion sincère, dans la vérité du caractère et des mœurs. […] Sa gloire, de suffrage universel (une hontepour la gloire), s’est faite du plus mou consentement de tous, — comme sa statue a été placée au Théâtre-Français sansdiscussions préalables, sans élan, sans passion électrique ou embrasée.
Madame Geoffrin était la femme la plus équilibrée qui fut jamais, — normalement, la plus incapable de passion et même de caprice, la moins apte à se faire une illusion quelconque sur quoi que ce soit ; et si elle n’avait pas aimé les arts et les artistes (mais elle les aimait !) […] Charles de Mouy n’est pas un passionné et il n’a pas non plus le goût de la passion. […] Il n’y a jamais de ridicule dans une passion quand elle est vraie, et je pense même comme Madame de Staël, c’est que le ridicule ici est un mot inventé par le monde pour dégoûter des sentiments exaltés les âmes qui valent mieux que lui.
Le tendre Maniloff, à qui « on voudrait voir une passion, une manie, un vice, afin de lui savoir quelque chose », madame Koroboutchine, Nozdref le hâbleur, Pluchkine l’avare, — ces tics plutôt que ces passions, — ne peuvent pas être mis à côté de la magnifique variété d’individualités qui foisonnent dans la Comédie humaine, et qui sont taillées si profond que les gens qui ne voient pas à une certaine profondeur ne les croient plus vrais, les pauvres myopes ! […] Charrière a prétendu que le Pluchkine de Gogol faisait plus d’effet sur l’imagination que les avares de Balzac, cette légion digne de Rembrandt et de Shakespeare : Gigonnet, Grandet, et le terrible Gobseck lui-même ; et la raison qu’il en a donnée est une petite raison de philanthrope politique : « La raison, — dit-il, — c’est qu’un tel homme a des esclaves » ; comme si Gobseck, avec les passions qu’il déchaîne en leur montrant son or, n’en avait pas !
La passion ! […] Mérimée arrive, sans sourciller, aux résultats quelconques, immoraux ou criminels, de la passion, mais vous en chercheriez en vain dans ses œuvres les cris, les bouillonnements et les larmes. […] … A ce compte-là, s’il fallait l’admettre, l’art du roman ne serait plus que la puissance « de bâtir un Alhambra sur une pointe d’aiguille », et l’art dramatique, composé autrefois de caractères, de passion et d’esprit — le plus que l’on pouvait en mettre, et on n’en mettait jamais assez !
N’oublions pas que la lettre est adressée à Mme Récamier, favorable à tous les beaux cas d’amour et de délicate passion. […] Le ridicule n’y mordit pas ; le sublime de la passion le tua. […] Aussitôt après le retour de Goethe des eaux, on avait répandu ici le bruit qu’il avait fait à Marienbad la connaissance d’une jeune dame aussi jolie que spirituelle12, et qu’il s’était pris de passion pour elle. […] Je crois bien plutôt que cette passion pour une jeune dame, qui, l’été dernier, l’a saisi à Marienbad, passion qu’il veut combattre, doit être regardée comme la cause principale de sa maladie. » Nous avons connu, au même âge, une même aventure de Béranger qui disparut complètement du monde pendant quelques mois pour combattre l’amour par la solitude. […] Napoléon aurait blâmé Goethe d’avoir montré Werther conduit au suicide, non pas seulement par sa passion malheureuse pour Charlotte, mais aussi par les chagrins de l’ambition froissée.
Il va chez une bohémienne vendeuse de crimes, il achète un poison et un poignard pour accomplir sa vengeance avec le raffinement d’un voluptueux qui veut trouver même la saveur de la débauche dans le dernier soupir de la vie, paradoxe qui se trouve dans toutes les compositions de ce temps et qui n’est jamais dans la nature ; car entre deux passions extrêmes dans le cœur de l’homme, il n’y a jamais équilibre. […] …………………………………………………… Ici la mort les saisit dans l’affreux contre-sens de la passion et du meurtre. […] Ce tour de Scapin s’accomplit, la Camargo découvre la supercherie, elle jure de se venger du mépris que Raphaël a fait de sa passion pour lui. […] Puis il me raconte les déboires de sa première passion trompée. […] J’étais en Italie, en Angleterre, au fond de l’Orient, ou voguant d’une rive à l’autre de la mer d’Homère ; plus tard, j’étais absorbé par la politique, passion sérieuse obstinée et malheureuse de ma vie, bien qu’elle ne fût en réalité, pour moi, que la passion d’un devoir civil (et plût à Dieu, pour mon bonheur, que je n’eusse jamais eu d’autres passions que celles des beaux vers, de l’ombre des bois, du silence des solitudes, des horizons de la mer et du désert !
Son ciseau conduit par l’ignorance ou la passion vacille et se porte tantôt trop en dedans, tantôt trop en dehors. […] Mais le Joseph est un sot ; mais la femme est froide, sans passion, sans chaleur d’âme, sans feu dans ses regards, sans désir sur ses lèvres ; c’est un guet à pans qu’elle va commettre. […] … aux traits de la passion, se joignent sur le visage d’Hersé, la candeur, l’ingénuité, la douceur et la simplicité. […] Ni esprit, ni dignité, ni passion, ni poésie, ni mensonge, ni vérité. çà, maître La Grenée, car je ne l’appellerai jamais autrement, place-toi devant ton propre ouvrage et dis-moi ce que tu en penses. […] Si l’agriculture est la plus favorisée des conditions, les hommes seront entraînés où leur plus grand intérêt les poussera, et il n’y aura fantaisie, passion, préjugés, opinions qui tiennent.
Il dut à sa race, à sa trempe d’éducation et au rude milieu où il fut plongé, de conserver, à travers ses passions contradictoires et qu’il combattait très peu, un fonds de moralité qui étonne et qui ne fait souvent que leur prêter une plus verte sève : nature généreuse après tout, témoin subsistant d’un siècle plus robuste et plus endurci que les nôtres, et qui nous en rend au hasard et avec saillie les caractères les plus heurtés. […] il ne trouve ici qu’une courte réponse qu’il fit avec un soupir : Mon enfant, dit-il, rien n’est trop chaud pour un capitaine qui sent que son soldat n’a pas moins d’intérêt que lui à la victoire : avec les huguenots, j’avais des soldats ; depuis, je n’ai eu que des marchands qui ne pensent qu’à l’argent ; les autres étaient sevrés de crainte, sans peur, soudoyés de vengeance, de passion et d’honneur ; je ne pouvais fournir de rênes pour les premiers, ces derniers ont usé mes éperons. […] Il y a un point qu’il n’a pas assez vu, parce que ses passions le lui cachaient : c’est combien vite les guerres civiles corrompent et dénaturent les caractères ; il n’a voulu voir, sur son propre exemple, que le côté par où elles les trempent. […] Là, ils deviennent mercenaires : ici, ils n’ont d’autres loyers que la juste passion ; là, ils goûtent les délices : ici, ils observent une milice sans repos.
Les trois livres dont se compose l’ouvrage roulent : 1° sur l’homme, sa misère, ses faiblesses, ses passions ; sur la vie humaine, ses fluctuations et sa brièveté ; sur les différents états, conditions et genres de vie qui distinguent les hommes ; 2° sur la manière de s’affranchir des erreurs, de l’opinion ou des passions ; 3° enfin, sur les quatre vertus de prudence, justice, force et tempérance. […] Il ne s’en est pas tenu à Montaigne : en ce qui est des passions et affections particulièrement, il avertit qu’il n’a vu personne « qui les dépeigne plus naïvement et richement que le sieur du Vair en ses petits livrets moraux. » Il reconnaît donc qu’il s’en est fort servi. […] Mais en ce cas Charron n’aurait guère profité du commerce de son sage ami, puisqu’il était resté jusqu’en 1589 un prédicateur plein de passion.
Il avait d’ailleurs lui-même ses passions et ses entraînements. […] Je connus alors que vous aviez de si saines opinions de tout ce qui a accoutumé à tromper les hommes, que les choses qu’ils considéraient le plus en vous étaient celles que vous y estimez le moins, et que personne ne juge d’un tiers avec moins de passion que vous jugez de vous-même. […] Je le considère avec un jugement que la passion ne fait pencher ni d’un côté ni d’autre, et je le vois des mêmes yeux dont la postérité le verra. […] Nos passions et nos désirs taillent en nous, selon le temps et l’occurrence, plus d’une figure et d’un personnage.
Sans aller si loin que Bernardin de Saint-Pierre, Mme Sand, qui s’était peut-être ennuyée d’abord dans son Berry, ne s’est plu ensuite à nous le montrer que par des aspects assez attrayants ; elle ne nous a pas désenchantés, tant s’en faut, des bords de la Creuse ; en y introduisant même des personnages à théories ou à passions, elle a laissé circuler un large souffle pastoral, rural, poétique dans le sens des anciens. […] Cet enfant apportera dans sa vie un léger contrepoids, des retards au progrès du mal, des accès et comme des caprices de tendresse : pourtant ses entrailles de mère sont mal préparées ; le cœur est déjà trop envahi par les passions sèches et par les ambitions stériles pour s’ouvrir aux bonnes affections naturelles et qui demandent du sacrifice. […] Elle en vient, dans son égarement de passion, jusqu’à ne plus supporter un jour d’absence loin de Rodolphe, et à réclamer un enlèvement, à implorer une chaumière avec lui au fond des forêts, une cabane au bord des mers. […] Mme Bovary, en le disant, n’y a pas réfléchi ; mais elle est de ces femmes qui, au besoin et dans l’emportement de leur passion, ne reculeraient devant rien.
Pour Béranger, les passions en jeu étaient autrement vivaces ; toutes les anciennes rancunes ont profité de cette impatience du public (je ne dis pas du peuple, qui lui est resté fidèle) et se sont réveillées : rancunes légitimistes, rancunes religieuses, rancunes littéraires, et celles-ci très-vives, de la part des raffinés, qui méprisent sur toute chose le bourgeois et les succès qu’il consacre. […] Les passions royalistes de 1816 avaient opéré en lui en sens inverse : tant de violences mêlées à tant de ridicules avaient suscité sa gaîté vengeresse. […] L’homme de lettres, s’il avait été un moment primé par l’homme de passion et de combat, se réveilla alors en lui avec toutes ses inquiétudes, et il essaya de donner un dernier témoignage de soi, de ses idées et de son talent dans une production suprême ; il y réussit en 1833 par quelques pièces fort belles du Recueil qu’il publia, et qui, moins populaire que les précédents, eut un succès poétique et littéraire. […] Un jour, en 1815, au milieu de l’effervescence des passions politiques, entrant chez des amis, comme on lui demandait ce qu’il avait vu en venant, il lui arriva de répondre : « Ça va mal, ils chantent la Marseillaise !
Son indolence le portait à céder facilement à tout ce qu’ils lui proposaient, sans prendre la peine de l’examiner, encore moins de le contredire ; son jugement sain et l’expérience qu’il avait des affaires lui faisaient souvent désapprouver en secret leur conduite et leurs mesures ; rarement il se permettait des représentations, il n’y insistait jamais : la consolation de ces âmes indolentes, que la faiblesse domine sans leur ôter l’intelligence, est le mépris pour ceux qui les conseillent mal, soit par ignorance, soit par des passions particulières. […] Je lui répondis : « Je crois, Madame, le cœur du roi bien éloigné de ce qu’on appelle amour : vous n’êtes pas de même à son égard ; mais, croyez-moi, ne laissez pas trop éclater votre passion : qu’on ne s’aperçoive pas que vous craignez de la diminution dans ses sentiments, de peur que tant de beaux yeux qui le lorgnent continuellement ne mettent tout en jeu pour profiter de son changement. Au reste, il est plus heureux pour vous que le cœur du roi ne soit pas fort porté à la tendresse, parce qu’en cas de passion la froideur naturelle est moins cruelle que l’infidélité. » La glace était posée désormais, et c’est le vieux précepteur qui l’avait mise ; elle ne fit que s’entr’ouvrir et ne disparut jamais entièrement depuis. La reine avait de la tendresse et une passion des plus vives pour son jeune époux ; le roi, même dans le temps où il se contenait dans le devoir, ne lui marquait que peu de tendresse ; ces froideurs d’alors, nous assure-t-on, étaient moins éloignement pour la reine que timidité de la part du roi.
Dans la même année, il écrivait à madame de La Sablière : « Les pensers amusants, « Les romans et le jeu, « Cent autres passions des sages condamnées « Ont pris comme à l’envi la fleur de mes années. » Il finit par s’exhorter, il est vrai, sans grande espérance de succès, à embrasser un autre genre de vie : « Que me servent ces vers avec soin composés ? […] Dans la même année, il montra dans Titus la vertu triomphant d’une passion désordonnée ; c’était encourager le roi à la vertu par son propre exemple et rappeler à l’adorateur de madame de Montespan, le sacrifice qu’il avait pu faire de Marie de Mancini. […] Aux Perrins, aux Coras, est ouverte à toute heure : Là du faux bel esprit se tiennent les bureaux, Là tous les vers sont bons pourvu qu’ils soient nouveaux ; Au mauvais goût public, la belle y fait la guerre, Plaint Pradon opprimé des sifflets du parterre ; Rit des vains amateurs du grec et du latin, Dans la balance met Aristote et Cottin ; Puis, d’une main encor plus fine et plus habile, Pèse sans passion Chapelain et Virgile, Remarque en ce dernier beaucoup de pauvretés ; Mais pourtant confessant qu’il a quelques beautés, Ne trouve en Chapelain, quoi qu’ait dit la satire, Autre défaut, sinon qu’on ne le saurait lire, Et pour faire goûter son livre à l’univers, Croit qu’il faudrait en prose y mettre tous les vers. […] Il avait été frappé du plaisir qu’elle avoue avoir éprouvé à la lecture d’une critique de Bérénice, et n’avait pas remarqué que ce qu’elle appelle la folle passion de cette pièce lui déplaisait non seulement par sa folie, mais aussi parce que Bérénice rappelait cette Marie Mancini, nièce de Mazarin, que Louis XIV avait voulu épouser, et qui était odieuse à la société fréquentée par madame de Sévigné, Il n’avait pas lu ce qu’elle dit de Bajazet : La pièce m’a paru belle ; Bajazet est beau, mais Racine n’ira pas plus loin qu’Andromaque.
De la grande ère de 89 il garda toujours, en l’épurant de plus en plus à la flamme du sanctuaire intérieur, la passion active du bien, la soif du bonheur des hommes, de l’émancipation et de l’amélioration de ses semblables : il était et il resta en ce sens-là l’un des enfants de cette grande génération, et ce souffle qui, en se répandant alors sur les âmes, y rencontra tant de mélange et y enfanta les tempêtes, ne cessa de l’animer doucement, également, avec élévation et persévérance, jusqu’à ce que, dans les dernières années, il ne fût plus distinct en lui du zèle tout chrétien. […] Les brusques révolutions que font éclater les passions des hommes viennent sans doute déranger fréquemment cette marche générale et graduelle des choses ; la digue que les sages essayaient de construire se trouve tout à coup submergée. […] Il en est un peu, je le crains, de cet art de diriger les révolutions en modérant les passions, comme de l’art d’être heureux en réglant ses désirs ; cela n’est facile et possible que quand les passions sont déjà amorties.
Cette Convention, ainsi décapitée et privée des chefs qui faisaient sa terreur et sa force, n’est pourtant pas à mépriser ; Mallet du Pan n’a garde de s’y méprendre, et, en général, il pense que « c’est un mauvais conseil que le mépris de son ennemi. » — « Individuellement, dit-il, la Convention est composée de pygmées ; mais ces pygmées, toute les fois qu’ils agissent en masse, ont la force d’Hercule, — celle de la fièvre ardente. » Quant au peuple, au public en France, à la masse de la population, Mallet la connaît bien ; il ne lui prête ni ne lui ôte rien quand il la montre, au sortir du 9 Thermidor, n’ayant qu’un désir et qu’une passion, le repos et la paix, avec ou sans monarchie, et plutôt sans monarchie s’il est possible : Celle-ci (c’est-à-dire la monarchie), écrit-il à l’abbé de Pradt le 1er novembre 1794, n’a encore que des partisans timides. […] Pauvres gens qui n’aperçoivent pas que ce sont les passions beaucoup plus que les connaissances qui bouleversent l’univers, et que si l’esprit a été nuisible, il faut encore plus d’esprit que n’en ont les méchants pour les contenir et pour les vaincre ! […] Elles laissent en arrière d’elles tous les systèmes de liberté connus : elles enivrent l’imagination des sots, en même temps qu’elles allument les passions populaires. […] Il y dressa aussitôt sa batterie de guerre, son Mercure britannique, publication destinée à combattre avec suite, et par des tableaux mêlés de discussions, la politique du Directoire : « L’expérience est perdue, disait Mallet, si on ne la grave pas au moment même par des écrits qui en fixent l’impression. » La passion déclarée et le parti pris de l’attaque n’empêchent point dans ce Mercure la sagacité et, jusqu’à un certain point, l’impartialité des jugements.
Tout, dit-il, était passion chez lui, en attendant les passions mêmes. […] Mais il écrivait surtout parce qu’il avait la passion d’écrire et parce qu’il voulait la gloire. […] Et cela ne prouve rien, sinon que les passions des hommes sont toujours à peu près les mêmes, ce que l’on savait. […] Ce chrétien victime de ses passions, et qui est martyr, ce semble, par point d’honneur ! […] Il y a eu des passions nouvelles : la haine paradoxale de la nature, l’amour de Dieu, la foi, la contrition.
Ces passions-là portent avec elles leur pardon. […] Sur leurs passions, leurs haines, leurs ambitions, leurs amours, plane une menace générale et impartiale de mort. […] La passion farouche et toute sensuelle de la Sultane lui inspire une invincible répugnance. […] Les grandes passions sont rares à la campagne ; mais, quand elles y éclatent, elles ont bien ces allures. […] Par eux, la vertu devient ce qu’elle est restée : l’empire sur les passions.
On a un premier jour de folle joie universelle et d’ivresse ; mais le lendemain on se retrouve divisé en partis, en présence des hommes, des intérêts et des passions. […] Il ne faudrait cependant pas juger absolument des masses et des foules, même aux jours d’orage, par les passions qui se démènent et font fureur aux premiers rangs.
Au contraire, nos classiques, n’apercevant dans les passions qu’ils représentent que des mouvements de l’âme, se soucient peu des corps qui enferment ces âmes et des milieux où s’agitent ces corps. Profondément incapables, ainsi que Descartes, de comprendre la communication de l’esprit et de la matière, ils ont étudié avec une incroyable finesse l’action et les réactions d’une âme sur une âme, d’une idée sur un sentiment, d’une passion sur une raison : jamais, ou à peu près, l’influence du tempérament, ou du monde sensible.
Le but que l’Auteur s’y propose, est de développer les erreurs dans lesquelles nous entraînent les sens, l’imagination, les préjugés, l’esprit, quand il est abandonné à lui seul, & principalement les passions, principe général de toutes nos méprises. […] La Métaphysique & la Morale forment, à la vérité, les premiers traits du Tableau de ses passions ; mais elles n’indiquent que les causes, au lieu que l’Histoire nous en découvre les effets, & par-là les différens ressorts.
N’en prenez sujet ni de louange ni de reproche : son humeur est ainsi ; il a reçu en naissant ce qu’on appelle un naturel philosophe : « Je puis dire de moi une chose assez extraordinaire et assez vraie, c’est que je n’ai presque jamais senti en moi-même ce combat inférieur de la passion et de la raison : la passion ne s’opposait point à ce que j’avais résolu de faire par devoir ; et la raison consentait volontiers à ce que j’avais envie de faire par un sentiment de plaisir… » Ses passions, — c’est trop dire, — mais ses goûts et sa raison ont, de tout temps, fait bon ménage en lui. […] Il éprouva le plus cruel chagrin qu’il fût capable de ressentir à la mort de cette amie, dont les passions orageuses ou les caprices avaient si souvent troublé son repos et déconcerté sa sagesse. […] Elle a fait des passions très-violentes, et tout ce qu’il y a eu de courtisans galants et aimables, trente ans durant, ont eu des affaires avec elle.
Cette opinion chez eux, non pas de pur instinct et de passion comme chez plusieurs, mais très-raisonnée, très-suivie76 et beaucoup plus arrêtée que chez leurs jeunes amis libéraux du monde, donna du premier jour à leur attaque toute sa portée et imprima à l’ensemble de leur direction intellectuelle une singulière précision. […] Selon lui, les intentions quelconques, même des principaux personnages, les passions et intérêts individuels, ont leurs limites d’influence et ne sauraient contrarier ni affecter puissamment le système général de l’histoire. […] Ce détail infini des intentions et des motifs divers ne donne, selon lui, que le temps avec sa couleur particulière, avec ses mœurs, ses passions et quelquefois ses intérêts ; mais les circonstances déterminantes des grands événements sont ailleurs, et elles ne dépendent pas de si peu ; la marche de la civilisation et de l’humanité n’a pas été laissée à la merci des caprices de quelques-uns, même quand ces quelques-uns semblent les plus dirigeants. […] Un homme de passion et de génie sortit de ces flots par lesquels il avait sauvé son pays, et c’est Guillaume III qui a suscité Marlborough et tous les succès de la reine Anne. La hauteur personnelle de Louis XIV et ses ténacités d’orgueil compliquèrent toujours et traversèrent plus ou moins la vue de ses vrais intérêts comme roi ; son rare bon sens, en se mettant au service de cette passion personnelle, ne la dominait pas assez.
On déduit sa passion en raisonnements bien liés. […] Il se refuse à exprimer les dehors physiques des choses, la sensation directe du spectateur, les extrémités hautes et basses de la passion, la physionomie prodigieusement composée et absolument personnelle de l’individu vivant, bref cet ensemble unique de traits innombrables, accordés et mobiles, qui composent, non pas le caractère humain en général, mais tel caractère humain, et qu’un Saint-Simon, un Balzac, un Shakespeare lui-même ne pourraient rendre, si le langage copieux qu’ils manient et que leurs témérités enrichissent encore, ne venait prêter ses nuances aux détails multipliés de leur observation366. […] Il ne fait pas des individus véritables, mais des caractères généraux, le roi, la reine, le jeune prince, la jeune princesse, le confident, le grand prêtre, le capitaine des gardes, avec quelque passion, habitude ou inclination générale, amour, ambition, fidélité ou perfidie, humeur despotique ou pliante, méchanceté ou bonté native. […] L’imagination sympathique, par laquelle l’écrivain se transporte dans autrui et reproduit en lui-même un système d’habitudes et de passions contraires aux siennes, est le talent qui manque le plus au dix-huitième siècle. […] Tous ont les mêmes goûts, les mêmes passions, les mêmes mœurs, parce qu’aucun n’a reçu de forme nationale par une institution particulière. » (Rousseau, Sur le gouvernement de Pologne, 170.)
Ces maîtres de l’homme sont le tempérament physique, les besoins corporels, l’instinct animal, le préjugé héréditaire, l’imagination, en général la passion dominante, plus particulièrement l’intérêt personnel ou l’intérêt de famille, de caste, de parti. […] De là en lui un excès de sensibilité, des afflux soudains d’émotion, de transports contagieux, des courants de passion irrésistible, des épidémies de crédulité et de soupçon, bref l’enthousiasme et la panique, surtout s’il est Français, c’est-à-dire excitable et communicatif, aisément jeté hors de son assiette et prompt à recevoir les impulsions étrangères, dépourvu du lest naturel que le tempérament flegmatique et la concentration de la pensée solitaire entretiennent chez ses voisins Germains ou Latins ; on verra tout cela à l’œuvre […] Le premier intérêt de l’État sera toujours de former les volontés par lesquelles il dure, de préparer les votes qui le maintiendront, de déraciner dans les âmes les passions qui lui seraient contraires, d’implanter dans les âmes des passions qui lui seront favorables, d’établir à demeure, dans ses citoyens futurs, les sentiments et les préjugés dont il aura besoin448. […] M. de Barante, Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle, 318. « On s’imaginait que la civilisation et les lumières avaient amorti toutes les passions, adouci tous les caractères.