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711. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome I pp. 1-402

Ce n’est pas en quelques heures que les mots peuvent se discipliner. […] Et qu’on ne vienne pas me dire que je prends plaisir à éplucher des mots : il ne s’agit pas ici d’une règle de syntaxe ; il s’agit d’un mot employé par un poète justement applaudi. Or ce mot ne veut rien dire ou exprime une idée absurde. […] En un mot, nous possédons la raison des choses. […] Avec moins de mots, il lui eût été facile de dire davantage.

712. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre I. Succès de cette philosophie en France. — Insuccès de la même philosophie en Angleterre. »

Point de termes scientifiques ou trop abstraits ; ils ne tolèrent que les mots de leur conversation ordinaire. […] S’ils étale toute l’indécence des choses, c’est avec toute la décence des mots. […] Un mot piquant ne peut pas en être l’expression ; il n’en est que la parodie. […] Le moindre fait circonstancié, des anecdotes, des traits de mœurs, feraient bien mieux notre affaire ; c’est qu’aujourd’hui nous préférons l’éloquence précise des choses à l’éloquence lâche des mots. […] Recevoir, prendre et demander, voilà le secret en trois mots, etc. » — Et tout le monologue de Figaro, toutes les scènes avec Bridoison.

713. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Gustave Flaubert »

Qu’on me passe le mot ! […] Si je savais le mot tant répété : « Mais que diable allait-il faire dans cette galère ?  […] Il n’y a rien mis que des mots. […] Le mot malpropre est pour lui souvent le mot propre. […] Je suis de ceux qui croient que la passion qui embrase les mots les purifie, comme le feu allumé purifiait les lèvres du prophète.

714. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) «  Œuvres de Chapelle et de Bachaumont  » pp. 36-55

Je rappellerai en deux mots ce qu’étaient les auteurs. […] À cette époque d’ailleurs, être de bonne compagnie, c’était se montrer avant tout d’une gaieté franche, spirituelle et amusante (d’où est resté le mot de bon compagnon). […] Les anecdotes où Chapelle figure avec celui-ci et avec Molière sont devenues une sorte de légende ; on aimerait à savoir quelques-uns des mots gais, piquants, naïfs, qui composaient le sel de Chapelle et le faisaient tant estimer des illustres, comme étant lui-même une manière de génie. […] Routiers, voyageant en Suisse (1761), est déjà un disciple de Rousseau ; il cache son nom, il déguise sa condition, c’est un peintre de portraits, et qui fait semblant de chercher des pratiques pour vivre ; les honnêtes gens qui le prennent au mot se donnent de la peine pour lui en procurer ; en un mot, il joue à l’Émile de Jean-Jacques, et avec cela il imite à sa manière Chapelle et Bachaumont. […] En un mot, dans une classification (si elle est possible) des esprits, Chapelle me paraît appartenir à une tout autre famille, et à une famille moins noble.

715. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Le journal de Casaubon » pp. 385-404

Je ne veux parler que de son journal, et montrer l’homme au naturel, tel que plusieurs de ses contemporains l’avaient indiqué déjà, modeste, droit, sincère, plein de scrupule et de candeur, humble chrétien, père de famille éprouvé, le plus humain des doctes ; le digne ami de De Thou : — d’un seul mot, c’est tout dire. […] Cela fait le tissu le plus singulier, et cette bigarrure, qu’il portait jusque dans ses autres écrits, lui a été reprochée dans le temps même : elle est faite pour nous étonner bien plus encore aujourd’hui· Elle n’a d’ailleurs d’effrayant que le premier aspect ; avec un peu d’habitude des langues anciennes, on en vient bientôt à bout, sauf quelques mots qu’on peut négliger. […] Après sa prière, il s’est mis à lire du saint Basile ; ce mot de saint est de moi : car, en sa qualité de protestant, Casaubon s’interdit ces mots de sanctus, de divus, ce qui ne l’empêche pas de se nourrir avec délices de ces écrits des Pères. […] Après saint Basile vient Chrysostome ; après Chrysostome, c’est le tour d’Hippocrate ; puis Tertullien, Sénèque, Athénée, Polybe… : toujours un auteur ancien qu’il lit, qu’il s’explique à lui-même, qu’il répare pour le texte, qu’il éclaire de ses notes, de ses commentaires, et à propos duquel il amasse non seulement une science de mots, mais une grande abondance et richesse de pensées. […] Toutes les prétentions et les éruditions de Jacques Ier ne sauraient me faire oublier un admirable mot de Henri IV, ce prince qui, pour être peu fort sur les livres, n’en paraît que plus grand de cœur et d’esprit.

716. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

Sibour, dont le premier mot, en l’abordant, avait été : « J’ai lu toutes vos chansons. » — « Oh ! […] C’est une belle variante de ce mot des plus doctes et des plus humbles : O Altitudo ! […] Il s’en tirait par de jolis mots ; ainsi, à Cauchois-Lemaire, qui le consultait sur un écrit politique : « Je reviens à mon éternel reproche : il y a longueur selon moi. […] En un mot, le critique essayeurchez lui était loin d’être des plus sûrs. […] Les mots simples ne lui suffisent plus : elle enfle sa voix.

717. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. (Suite et fin) »

Lorsqu’un secrétaire d’État arrivait pour le travail à l’heure indiquée, son sac rempli de dossiers et de dépêches, il avait eu soin de laisser dans chaque affaire un point sans importance à résoudre, dans chaque dépêche un ou deux mots à suppléer ou à changer ; le secrétaire d’État suggérait : le roi résolvait, suppléait, changeait et signait. […] La grande Catherine de Russie, après quelque conversation avec les philosophes Diderot ou Grimm, disait en se levant pour aller vaquer aux affaires d’État : « Maintenant il faut songer au gagne-pain. » Ce n’est pas Louis XIV qui eût dit ce mot-là, qui a d’ailleurs sa bonne grâce ; ce n’est pas lui qui eût fait ainsi bon marché, même en paroles et d’un air de badinage, de ce qu’il considérait comme les plus importants et les plus sacrés de ses devoirs. […] » Ce mot proféré par Louis XIV, au plus beau moment de sa jeunesse et dans la plus grande ivresse de la conquête, me paraît répondre dignement à un autre mot prononcé par lui au moment le plus triste et le plus critique de son règne, sous le coup des plus grands désastres. […] Son bon esprit et sa fermeté, ajoute le témoin, ne font pas abandonné un instant, et, en parlant avec douceur et bonté à tous ceux à qui il a bien voulu parler, il a conservé toute sa grandeur et sa majesté jusqu’au dernier soupir. » En un mot, Louis XIV s’est montré roi jusqu’à la fin, avec la conscience et le respect de son rôle qui n’était pas un rôle pour lui, mais qui était un ministère. […] Je lisais l’autre jour ce mot d’un savant célèbre50: « Il faut entreprendre quatre fois plus qu’on ne peut faire. » C’est une maxime que les hommes d’action et les ambitieux en tout genre sont assez disposés à mettre en pratique.

718. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. (suite) »

Pas un mot ne sera dit entre eux de ces circonstances en quelque sorte étrangères ; les difficultés ne naîtront pas du dehors ni d’aucun événement contraire, et c’est en cela que le roman est d’une grande délicatesse : elles sortiront uniquement du cœur et de l’esprit des personnages, et viendront de la femme en particulier. […] Marie frissonnait à de certains mots, elle marquait du dégoût. […] Des mots d’histoire et de philosophie vous échappent. […] Marie a changé de ton ; elle met en avant les grands mots, « ce besoin d’aimer qui ne peut être satisfait par rien » ; ou encore : « Tout ce qui est grand, est triste. » Elle est femme à dire : « Je vous aime de toutes les puissances de mon cœur, et je ne veux pas de votre amour. » Que voulez-vous donc, Marie ? […] » Il y a un jour, un jour unique où ce nuage noir de Marie semble s’être dissipé, où il lui échappe de dire qu’elle veut être aimée tout bonnement « pour tout ce que Mme Denis regrette » ; mais ce mot naturel, ce mot que Michel appelle adorable, comme elle le reprend et le retire !

719. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite et fin.) »

Quoiqu’il puisse sembler ne pas avoir de compositions dans le sens vulgaire du mot, comme, au point, de vue pittoresque, il arrange ses tableaux ! […] Il y a une sorte de gris (c’est son mot) dans l’art français, qu’il peut estimer, mais qui ne l’enflamme guère. […] J’ai prononcé le mot de vocabulaire : Théophile Gautier a le sien qui est inépuisable et qui fait l’étonnement des connaisseurs par la précision et la distinction des nuances. […] Le mot indicible n’est plus français, depuis que ce nouveau maître en fait de vocabulaire a su tout dire. […] Car vous noterez encore que ce qui paraît un tour de force n’en est pas un pour lui : on croirait que ce style savant et dont chaque mot a sa valeur de ton est des plus travaillés, il est improvisé et facile ; il coule de source.

720. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

Un mot qu’il laisse échapper devant son excellent maître et ami l’abbé de La Tour éveille les craintes de ce dernier et, pour prévenir un malheur, l’abbé croit devoir révéler à son élève le mystère de sa naissance qu’il lui avait caché jusqu’alors. […] « Il n’y a plus à choisir entre la mort et un nom ; la gloire n’est plus qu’un mot creux : il ne sonne pas l’argent. […] Sa conduite, en ce dernier sens, fut des plus nobles, des plus dignes et, pour tout exprimer d’un mot, elle fut digne jusqu’au bout de l’illustre victime qu’il n’était pas allé chercher et dont il avait tout le premier essuyé le feu. […] « Que ces mots : « Je vais me battre en duel pour la cause la plus futile et la plus absurde », écrits d’une main calme et ferme par Dujarier, une heure avant qu’il reçut le coup mortel, ne s’effacent jamais de la mémoire d’aucun de nous. […] Il y a des mots pour cela, des étiquettes de pensée, des têtes d’article, il y a des formules saisissantes, pénétrantes, et qui réveillent le monstre en sursaut.

721. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Campagnes d’Égypte et de Syrie, mémoires dictés par Napoléon. (2 vol. in-8º avec Atlas. — 1847.) » pp. 179-198

Les natures simples des gens du peuple, dans les moments de passion, le prouvent assez ; ils ont le mot juste et souvent le mot unique. […] Chacun de ses pas désormais est marqué par une parole, par un de ces mots historiques qu’on retient parce qu’il est éclairé de gloire. […] Quand il a du pittoresque pur, ce n’est qu’un mot jeté en passant. […] Ces deux volumes d’un si beau récit, tout semés de mots caractéristiques qui ne peuvent venir que du grand témoin, et dont quelques-uns ont été ajoutés au crayon, sur la dictée, par Napoléon même, ne s’arrêtent pas au moment de son départ d’Égypte. […] Parmi les mots caractéristiques qu’on lit dans ces derniers volumes, il en est un qui me revient et que je me reprocherais de ne pas relever, car il trahit une pensée intime, et il est un de ceux que Napoléon a ajoutés de sa main au crayon sur le manuscrit.

722. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le père Lacordaire orateur. » pp. 221-240

Il n’y a jamais eu, en un mot, de catholiques évidemment moins légitimistes que M. de Montalembert et l’abbé Lacordaire. […] Il faut donc reconnaître que la forme de l’abbé Lacordaire est neuve, et même romantique si l’on veut : ce n’est pas nous qui aurions droit de considérer ce mot comme une injure. […] « Il ne s’agit pas de suivre les règles de la rhétorique, mais de faire connaître et aimer Dieu ; ayons la foi de saint Paul, ajoute-t-il, et parlons le grec aussi mal que lui. » Ici, pourtant, ne le prenez pas au mot. […] Souvent l’orateur joue sur les mots ; il se crée des définitions et en conclut ensuite ce qui serait précisément à prouver. […] Il est généreux, en un mot, pour tous ceux qui croient à quelque degré.

723. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « La Mare au diable, La Petite Fadette, François le Champi, par George Sand. (1846-1850.) » pp. 351-370

À cette fin elle reçoit et prend le mot et l’idée de gens qui, en vérité, lui sont inférieurs par maint endroit. […] Sous prétexte que c’est le chanvreur qui lui a raconté l’histoire à la veillée, elle garde le plus qu’elle peut des mots et des locutions qu’il employait. Elle adopte un genre mixte, comme si elle contait « ayant à sa droite un Parisien parlant la langue moderne, et à sa gauche un paysan devant lequel elle ne voudrait pas dire une phrase, un mot où il ne pourrait pas pénétrer. […] J’oubliais la suite de mon analyse, et je la finis en deux mots. […] En un mot, le mariage qui couronne le dévouement du Champi n’est pas un mariage d’amour, c’est un mariage à la fois de devoir, d’honneur et de tendresse.

724. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand. (Berlin, 1846-1850.) » pp. 144-164

Cela sent un reste de mauvais goût natif et de grossièreté septentrionale, et l’on a pu dire, avec une juste sévérité, des lettres de Frédéric : « Il y a de fortes et grandes pensées, mais tout à côté il se voit des taches de bière et de tabac sur ces pages de Marc Aurèle. » Frédéric, qui avait du moins le respect des héros, a dit : « Depuis le pieux Énée, depuis les croisades de saint Louis, nous ne voyons dans l’histoire aucun exemple de héros dévots. » Dévots, c’est possible, en prenant le mot dans le sens étroit ; mais religieux, on peut dire que les héros l’ont presque tous été ; et Jean Muller, l’illustre historien, qui appréciait si bien les mérites et les grandes qualités de Frédéric, a eu raison de conclure sur lui en ces mots : « Il ne manquait à Frédéric que le plus haut degré de culture, la religion, qui accomplit l’humanité et humanise toute grandeur18. » Je ne veux plus parler aujourd’hui que de Frédéric historien. […] Quand il en vient aux époques de la Réforme, de la guerre de Trente Ans, l’historien-roi définit en peu de mots ces grands événements par leurs traits généraux et dans leurs principes réels ; toujours et partout il démêle le fond d’avec les accessoires. […] Ayant à raconter la campagne de 1679, où le Grand Électeur chassa, en plein hiver, les Suédois qui avaient envahi la Prusse, il dira : « La retraite des Suédois ressemblait à une déroute ; de seize mille qu’ils étaient, à peine trois mille retournèrent-ils en Livonie, ils étaient entrés en Prusse comme des Romains, ils en sortirent comme des Tartares. » Il a de ces mots qui résument tout un jugement sur les hommes et sur les nations. […] Il a pour les héros un attrait visible ; il ne parle qu’avec respect et avec un instinct de haute fraternité, des Gustave-Adolphe, des Marlborough, des Eugène ; mais il ne se méprend pas à la grandeur, et n’en prodigue pas le mot : la reine Christine, avec son abdication par caprice, ne lui paraît que bizarre ; le duel de Charles XII et de Pierre le Grand à Poltava lui paraît celui des deux hommes les plus singuliers de leur siècle. […] De ce même Pierre le Grand il dira ailleurs énergiquement : « Pierre Ier, pour policer sa nation, travailla sur elle comme l’eau-forte sur le fer. » Pour peindre les hommes d’État, les ministres, il a de ces mots de haute pratique et d’autorité, de ces mots qui sont d’avance historiques et qui se gravent.

725. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Maintenon. » pp. 369-388

C’était alors le temps « des belles conversations, de la belle galanterie, en un mot, de ce qu’on appelait les ruelles ». […] Le témoignage le plus grave qu’on puisse alléguer contre elle est un mot de son amie Ninon, au sujet de M. de Villarceaux, leur ami commun ; mais, dans ce même malin propos, Ninon convient qu’elle ne sait pas jusqu’où allèrent les choses, et que Mme Scarron lui parut toujours « trop gauche pour l’amour ». […] Une fois accueillie, en un mot, elle ne l’était pas à demi ; par la parole comme par l’action, elle y devenait l’âme, la ressource, l’agrément du lieu. […] « Rien n’est plus habile qu’une conduite irréprochable », disait Mme de Maintenon en appliquant ce mot à sa conduite d’alors. […] Femme, elle avait des mots énergiques pour peindre cette satiété de tourments et d’angoisses qu’elle s’était donnés et qu’il lui fallait dissimuler par le sourire : « J’en ai quelquefois, comme l’on dit, jusqu’à la gorge. » On sait son mot, un jour qu’elle regardait de petits poissons bien malheureux et bien agités dans leur bassin propre et dans leur eau claire : « Ils sont comme moi, ils regrettent leur bourbe. » Mais c’est à Saint-Cyr que Mme de Maintenon aimait surtout à se réfugier dès qu’elle avait un moment, à se cacher, à s’épancher, à se plaindre, à se faire plaindre, à rêver sur son incompréhensible élévation, à se montrer en victime portant en elle seule tous les chagrins du royaume : « Oh !

726. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. » pp. 103-122

De La Harpe, a-t-on dit, l’impertinent visage Appelle le soufflet………………………… Le vers est de Le Brun, le mot est de Piron. […] Par son attitude, par son excellent débit de lecture comme par la qualité de sa parole, il justifie bien ce mot de Voltaire : « Vous avez toujours été fait pour le noble et l’élégant, c’est votre caractère. » Nous avons là un La Harpe critique encore, mais non plus polémiste, professeur et non plus journaliste. […] N’importe ; il est bon que cette première impression se donne, dût-on ensuite la pousser plus loin ; il est bon de se laisser faire avec lui, d’accueillir et de ressentir ce premier jugement, situé, si je puis dire, dans le vrai milieu de la tradition française ; il est bon en un mot d’avoir passé par La Harpe, même quand on doit bientôt en sortir. […] [NdA] Ceux qui prendront la peine de lire l’original de cette lettre à la Bibliothèque nayionale, trouveront ici un autre mot (pousse-c…) que j’ai remplacé par un équivalent. L’abbé Maury, en causant ou en écrivant familièrement, ne haïssait pas le gros mot ou même le mot grossier.

727. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Marguerite, reine de Navarre. Ses Nouvelles publiées par M. Le Roux de Lincy, 1853. » pp. 434-454

Puisqu’un mot vient d’être dit de la beauté de Marguerite de Navarre, qu’en faut-il penser ? […] Elle était sincère, « joyeuse et qui riait volontiers », amie d’une gaieté honnête, et, quand elle voulait dire un mot plaisant trop risqué en français, elle s’aidait au besoin de l’italien ou de l’espagnol. […] « Ne parlons point de celle-là, dit le roi, elle m’aime trop : elle ne croira jamais que ce que je croirai, et ne prendra jamais de religion qui préjudicie à mon État. » Ce mot résume le vrai : Marguerite ne pouvait être d’une autre religion que son frère, et Bayle a très bien remarque, dans une très belle page, que plus on refuse à Marguerite d’être unie de doctrine avec les protestants, plus on est forcé d’accorder à sa générosité, à son élévation d’âme et à son humanité pure. […] » Ce c’était moi, répété plusieurs fois et sur plus d’un ton, devient comique comme un mot de la farce de Patelin ou d’une scène de Regnard : mais il y a très peu de ces mots-là dans les contes de Marguerite. […] Le joli petit roman de Jehan de Saintré, où l’idéal chevaleresque se peint encore au début dans ce qu’il a de plus mignon, et qui prétend offrir un petit code en action de la politesse, de la courtoisie, de la galanterie, en un mot de l’éducation complète d’un jeune écuyer du temps, ce joli roman est rempli aussi de préceptes pédantesques, d’articles d’un cérémonial minutieux, et, vers la fin, il tourne tout à coup à la grossièreté sensuelle et au triomphe du moine selon Rabelais.

728. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre III. L’art et la science »

un quart de siècle, et représentez-vous l’incalculable somme de développement intellectuel que contient ce seul mot : tout le monde sait lire ! […] Le profond mot Nombre est à la base de la pensée de l’homme ; il est, pour notre intelligence, élément ; il signifie harmonie aussi bien que mathématique. […] La strophe, l’épopée, le drame, la palpitation tumultueuse de l’homme, l’explosion de l’amour, l’irradiation de l’imagination, toute cette nuée avec ses éclairs, la passion, le mystérieux mot Nombre régit tout cela, ainsi que la géométrie et l’arithmétique. […] Il savait d’innombrables choses, entre autres celles-ci : — La terre est plate. — L’univers est rond et fini. — La meilleure nourriture pour l’homme est la chair humaine. — La communauté des femmes est la base de l’ordre social. — Le père doit épouser sa fille. — Il y a un mot qui tue le serpent, un mot qui apprivoise l’ours, un mot qui arrête court les aigles, et un mot qui chasse les bœufs des champs de fèves. — En prononçant d’heure en heure les trois noms de la trinité égyptienne, Amon-Mouth-Khons, Andron d’Argos a pu traverser les sables de Libye sans boire. — On ne doit point fabriquer les cercueils en cyprès, le sceptre de Jupiter étant fait de ce bois. — Thémistoclée, prêtresse de Delphes, a eu des enfants et est restée vierge. — Les justes ayant seuls l’autorité de jurer, c’est par équité qu’on donne à Jupiter le nom de Jureur. — Le phénix d’Arabie et les tignes vivent dans le feu. — La terre est portée par l’air comme par un char. — Le soleil boit dans l’océan et la lune boit dans les rivières. — Etc. — C’est pourquoi les athéniens lui élevèrent une statue sur la place Céramique, avec cette inscription : À Chrysippe, qui savait tout. […] Ces mots, si souvent employés, même par les lettrés : décadence, renaissance, prouvent à quel point l’essence de l’art est ignorée.

729. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « IX. Mémoires de Saint-Simon » pp. 213-237

Tout ce qui a plume s’en est occupé et a tenu à dire son mot, quelquefois très long, sur un ouvrage qui n’a d’analogue ni dans notre langue ni dans aucune autre. […] Nous nous débarrassons de sa grandeur en lui passant autour du cou son fameux mot, « l’État, c’est moi » ; et nous croyons l’étrangler. Préoccupés de cette personnalité qu’on lui reproche, nous n’entendons pas la Fonction qui parle dans ce mot splendide ; et, quoique mieux placé que nous pour l’entendre, Saint-Simon ne l’a pas entendue. […] ajoute-t-il (ce serait plutôt à nous d’écrire ce mot-là), qu’il était bon et juste, ayant assez reçu de Dieu pour être un bon roi, et peut-être même un assez grand Roi !  […] Il va son train, il insulte, il raille, il remet sa langue de tigre au sang de la bête morte, mais pas un mot qui révèle que son esprit soit un peu plus haut que son mépris et que sa haine.

730. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Jean Richepin »

Les « Gueux », pour employer le mot insolent et narquois que la race gauloise inflige presque gaiement à ceux que l’Église, dans sa tendresse sublime, appelle « les membres de N. […] Tout un monde de gueux a passé dans son œuvre… Mais, qu’on me passe le mot ! […] Il va jusqu’à l’argot de ces arsouilles (le mot y est, et bien d’autres encore !) […] Elle a l’angoisse de l’homme qui s’est brisé la tête contre le Sphinx sans mot des choses. […] Shelley avait écrit le mot « athée », en grec, au bout de son nom, sur une cime des Alpes.

731. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre III : M. Maine de Biran »

Quand vous voudrez comprendre celui-ci, traduisez-le. » Là-dessus, il prit le livre, relut le passage, vérifia mot à mot la traduction. Un instant après, il fourra les quatre volumes dans ses poches, boutonna son paletot sans mot dire et s’en alla courant. […] On vous renverra à l’idéologie, et on vous prouvera par l’analyse que le mot pouvoir n’est rien qu’une expression générale. […] Le mot pouvoir n’est qu’un moyen de grouper ensemble une multitude indéfinie d’opérations semblables. […] Quant au mot nécessaire, rien de plus clair : il signifie ce dont le contraire est absurde.

732. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Une soirée chez Paul Verlaine » pp. 18-33

Sa conversation s’émaillait souvent de mots vifs, empruntés à l’argot des campagnes ou des faubourgs, sans jamais faillir à la décence. […] Pour lui, chaque pièce de vers devait être un roman, « le roman d’une heure, d’une minute, d’un moment psychologique et physiologique, avec le milieu, le cadre du Fait, un Fait signifiant quelque chose », et, dans le rendu de l’heure, de la minute, du moment, il essayait de « donner l’impression du milieu sur le corps, du corps sur l’âme, car il ne comprenait pas le corps sans le milieu, l’âme sans le corps, c’est-à-dire l’idée sans la sensation » et, pour la langue, il rêvait « au lieu du mot qui narre, le mot qui impressionne ». […] … » Il fallait entendre René Ghil réciter ce poème avec une voix étranglée de ferveur pour savoir jusqu’où peut aller la puissance émotionnelle des mots. […] C’était un homme de moyenne taille, avec un long collier de barbe noire, au complet de cheviotte bleue, qui hésita sitôt qu’il nous vit et fit mine de rebrousser chemin en chuchotant à un compagnon invisible des mots que nous n’entendions pas. […] Il y avait dans certains de ses mots comme la détonation d’une bouteille de champagne.

733. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Conclusion »

Ce mot n’est exact qu’autant qu’il exprime une communauté de principes et de méthode : — constituer la psychologie comme science naturelle, avec l’appui de l’expérience et en l’absence de toute métaphysique. […] Mais ces travaux, bien loin de tendre vers la métaphysique, reposent sur l’expérience, au sens strict du mot. […] Il sera plus utile pour nous de résumer en quelques mots ce qu’elle a fait. […] La conscience est le mot qui exprime, de la manière la plus générale, les diverses manifestations de la vie psychologique. […] Il faut rayer de la psychologie le mot « liberté », terme inexact qui n’est bon qu’à tout confondre, et y substituer le mot aptitude.

734. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre V. Les esprits et les masses »

D’abord, ce bonheur, d’autres le nommeraient d’un autre mot. […] Tous les mots n’avaient pas droit à la langue. […] Il ajouterait ici, si cela valait la peine d’être dit, que, la part faite à l’erreur possible, ce mot, sorti de sa conscience, a été la règle de sa vie. […] Il est curieux de rapprocher de ce mot l’avis donné par Voltaire au duc de Choiseul, conseil au ministre, insinuation au roi : « Laissez les badauds lire nos sornettes. […] Toutes-les révolutions de l’avenir sont incluses, amorties, dans ce mot : Instruction Gratuite et Obligatoire.

735. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Théodore de Banville »

Il y avait encore là, sous le travail idolâtre des mots, du sentiment et de la pensée. […] D’ordinaire, les poètes jeunes encore, les poètes aux pensées infinies, pour parler comme eux, ne s’enterrent pas de leurs propres mains dans ce titre solennel et un peu funéraire de Poésies complètes, qui implique la fin de leurs travaux et le dernier mot de leur manière ; mais un détail touchant de cette publication, c’est que Banville, quand il en eut l’idée, croyait mourir. […] IV Des sons et des mots, c’est là, en effet, toute la poésie de Théodore de Banville. […] Nous regrettons de ne pouvoir citer tout entière cette pièce singulière et délicieuse ; mais, nous ne craignons pas de le répéter, de tels prestiges par les mots, leur choix, leur distribution et leur place, cette espèce d’harmonica littéraire joué sur des verres (ou vers, pardon !) […] Ou bien, comme dans les Odelettes, les Funambulesques et même ces Œuvres complètes, qui ne nous répètent que le Banville que nous connaissons, sera-t-il éternellement réduit à la danse du châle des mots comme une bayadère, ou aux tours plus ou moins étonnants de ce singe de la fable qui avait trouvé une couronne et qui en faisait un berceau ?

736. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Conclusion »

C’est pour ne pas l’avoir compris que les philosophes ont dû distinguer deux espèces de quantité, l’une extensive, l’autre intensive, sans jamais réussir à expliquer ce qu’elles avaient de commun entre elles, ni comment on pouvait employer, pour des choses aussi dissemblables, les mêmes mots « croître » et « diminuer ». […] D’ailleurs ce changement n’implique pas succession, à moins qu’on ne prenne le mot dans une acception nouvelle ; sur ce point, nous avons constaté l’accord de la science et du sens commun. […] Ou bien encore on dira que l’acte est déterminé par ses conditions, sans s’apercevoir que l’on joue sur le double sens du mot causalité, et qu’on prête ainsi à la durée, tout à la fois, deux formes qui s’excluent. […] De quelque manière, en un mot, qu’on envisage la liberté, on ne la nie qu’à la condition d’identifier le temps avec l’espace ; on ne la définit qu’à la condition de demander à l’espace la représentation adéquate du temps ; on ne discute sur elle, dans un sens ou dans l’autre, qu’à la condition de confondre préalablement succession et simultanéité. […] Au lieu d’une vie intérieure dont les phases successives, chacune unique en son genre, sont incommensurables avec le langage, nous obtiendrons un moi recomposable artificiellement, et des états psychiques simples qui s’agrègent et se désagrègent comme font, pour former des mots, les lettres de l’alphabet.

737. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Pensées »

En un mot, j’aime à filer lentement l’idée comme le sentiment ; c’est là la parfaite philosophie, comme c’est le parfait amour. […] XIX Ce que j’ai voulu en critique, ç’a été d’y introduire une sorte de charme et en même temps plus de réalité qu’on n’en mettait auparavant, en un mot, de la poésie à la fois et quelque physiologie. […] En un mot, l’homme est instinctivement conduit par sa faculté à se faire telle ou telle opinion, à porter tel ou tel jugement, et à désirer, à espérer, à agir en conséquence. […] Le mot judicium des Latins a une acception plus étendue et un peu plus abstraite que notre mot goût. — Les gens d’esprit qui, à table, mangent au hasard et engloutissent pêle-mêle, avec une sorte de dédain, ce qui est nécessaire à la nourriture du corps (et j’ai vu la plupart des doctrinaires faire ainsi), peuvent être de grands raisonneurs et de hautes intelligences, mais ils ne sont pas des gens de goût.

738. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Alexandre Dumas. Mademoiselle de Belle-Isle. »

Aujourd’hui, on ne supporterait plus le mot si franc, si gros ; la chose passe toujours, et d’autant mieux, avec quelque ragoût rajeuni. […] D’Aubigny arrive ; mademoiselle de Belle-Isle ignore tout ; ils parlent longtemps sans s’entendre, et, lorsqu’il a expliqué enfin sa colère, elle ne peut l’éclairer d’un mot à cause de ce fatal serment que Mme de Prie lui a fait prêter devant nous dans une formule si rigoureuse. […] Dans la vie, c’est autre chose : on est entre soi, deux mots expliquent tout. […] En un mot, on applaudit ce rôle pathétique, mais on n’y pleure pas un seul instant. […] Leduc accourt à temps pour relever le chevalier de sa parole ; celui-ci ne dément pas son caractère solennel et achève de se poser dans ce dernier mot : « Mademoiselle de Belle-Isle, ma femme !

739. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — George Sand. Cosima. »

Au quatrième acte, lorsque Alvise, qui a entendu dans le parc les derniers mots d’adieu de sa femme et d’Ordonio, vient chez ce dernier lui demander raison de l’injure et lui raconter qu’il sait tout ; lorsqu’il arrive au moment même où sa femme était accourue chez le séducteur dans un accès de jalousie, et tout exprès (subterfuge du cœur !) […] Il y a dans le travail de cette pensée ardente, au moment de la production, une sorte de candeur conservée ; je ne sais pas d’autre mot, et je le livre aux habiles railleurs, aux écrivains de toutes sortes, incorruptibles champions de la morale sociale. […] C’est avec regret que nous avons vu Beauvall et refuser au rôle d’Ordonio la noblesse et la grâce qui en font une partie essentielle, et en charger sans nécessité l’odieux avec une brusquerie vulgaire, qui pouvait compromettre les mots les plus simples. […] Une certaine fraction du public paraissait s’attendre à un genre d’extraordinaire qui n’est pas venu ; cette sorte d’attention, nécessairement fort défavorable, lorsqu’elle a cherché à se porter et à se faire jour sur certains mots du dialogue, a été bientôt déjouée, car la suite ne répondait en rien à l’intention qu’on supposait voir percer et qu’on introduisait plus sottement encore que malignement. […] Il importe qu’aux prochaines représentations les acteurs aillent plus vite, se concertent mieux, que la pièce semble rapide comme elle doit l’être, et qu’en gagnant d’ensemble, elle ne perde pas non plus ses meilleurs mots et ses finesses.

740. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — De la langue Françoise. » pp. 159-174

On y ridiculise l’affectation à courir après les mots nouveaux, les pensées énigmatiques, les tours recherchés, les petites sentences coupées, ces finesses, ces expressions, ces traits saillans, ces gaités, ces familiarités ingénieuses, tous ces jeux d’une imagination déréglée, qui sont l’esprit des sots. […] Un mot singulier & nouveau, échappé au hazard, en fit naître l’idée à un des membres de cette société, qui l’exécuta avec ses confrères. […] De nouveaux usages, de nouvelles modes, &c. exigent de nouveaux mots. […] Si l’on peut empêcher que des mots ne vieillissent, on ne peut pas empêcher la création des mots nouveaux.

741. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Révolution d’Angleterre »

S’il ne le porte pas cependant, il faut prendre occasion de là pour admirer, dans un temps où toutes les sciences ont leur ivresse, la forte sobriété du procédé employé de préférence par l’homme qui doit la source de tous ses genres d’illustrations à l’Histoire, et qui, en écrivant de simples biographies, en dit profondément le dernier mot. Car, il ne faut pas s’y méprendre, la biographie est le dernier mot de l’Histoire. […] Je ne sais pas si Guizot, à une autre époque de sa vie intellectuelle, n’a pas cru à cette généralisation, à cette abstraction, à cette panthéification (qu’on me passe le mot !) […] Pour prouver la valeur de l’homme en histoire, Guizot n’a voulu que l’homme, l’homme dans toute l’infirmité de ce mot. […] Heureusement, le livre de Guizot porte dans son titre le mot qui nous remue, à tous, les entrailles.

742. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXV. Le Père Ventura »

Ventura a publié les sermons qu’il a prononcés devant Sa Majesté l’Empereur, à la chapelle des Tuileries, en 1857, et l’illustre théatin, dont la pensée, — comme l’on sait, — est toujours une pensée d’ensemble et d’unité profonde, les a publiés sous un titre collectif qui dit bien, en un seul mot, le sens particulier de ces discours. […] Ventura avait pour la Critique l’intérêt d’un esprit de l’ordre le plus élevé qui, jusque-là, s’était illustré dans de très puissantes polémiques, mais que l’événement et le choix de l’Empereur mettaient en demeure de se montrer fécond et net dans sa fécondité et de dire enfin le mot suprême que, sur toutes les questions, le christianisme, s’il rencontre un homme de génie, n’a jamais manqué de prononcer ! […] ce mot-là, le P.  […] On le cherche, et un tel mot ne se cherche pas ! […] … V Un mot encore sur ces sermons qui, s’ils ne sont pas davantage, resteront de très beaux discours prononcés devant Sa Majesté l’Empereur.

743. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Les snobs » pp. 95-102

Les snobs Le mot de snob est très employé depuis quelques années, — et par les snobs eux-mêmes, comme tous les mots à la mode. […] Or, cette docilité vaniteuse, cette fausse hardiesse d’esprits médiocres et vides, cette ardeur pour les nouveautés uniquement parce qu’elles sont des nouveautés ou que l’on croit qu’elles en sont, tout cela est très humain ; et c’est pourquoi, si le mot de snobisme est récent dans le sens où nous l’employons, la chose elle-même est de tous les temps. […] Tout critique affecte de voir à certains moments et finit par voir dans un ouvrage ce que les autres n’y voient pas, et pourrait dire comme Philaminte : Je ne sais pas, pour moi, si chacun me ressemble, Mais j’entends là-dessous un million de mots.

744. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre II. « Faire de la littérature » » pp. 19-26

L’étymologie du mot, littérature, confirme qu’il signifie, au juste, un moyen tout extérieur d’expression ou plutôt de publicité. […] On trouverait d’autres substantifs encombrants dans notre vocabulaire, par ailleurs assez pauvre, et ce n’est pas contre un mot de trop qu’il siérait noircir tant de lignes. […] Il est des gens bêtes, mais méchants, — des mots inutiles et en même temps dangereux. […] Même les esprits les plus droits, les plus inaltérables aux vils contacts, furent les dupes involontaires d’un mot, décidément insupportable.

745. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « ??? » pp. 175-182

Si son livre ne révèle aucune de ces manières éclatantes et familières au public qui disent, dès les premiers mots, les plumes dont elles sont sorties, il n’accuse pas non plus quelque grande manière nouvelle, — une initiative dans le fond ou la forme des choses ; il confirme assez modestement les bruits qui ont couru. […] le grand mot dont la lâcheté optimiste de ce temps a recouvert le dégoût des âmes qui ne voient pas s’allonger devant elles les allées du devoir comme les allées d’un jardin, et qui veulent à toute force aller faire des arabesques sur les plates-bandes ! La draperie de ce mot cache les plus grandes badauderies de la tête humaine. […] Chateaubriand a tatoué tellement le talent de l’auteur du Blessé de Novare, qu’il ne lui est plus permis d’effacer ce tatouage qui défigure ses traits primitifs… Quant à la manière dont l’Inde est peinte dans ce roman où elle a remplacé l’Amérique, prendre la flore d’un pays et la renverser, plante par plante, à travers une nature qu’on ne comprend pas, tant les mots indiens y abondent !

746. (1916) Les idées et les hommes. Troisième série pp. 1-315

Cette vérité, un mot sublime l’interprète. […] quels mots trouver ? […] Joffre a lâché le mot. […] Telle est, en peu de mots, la sagesse de M.  […] Nouveaux, surtout, les mots.

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