Mais, même après avoir signalé le côté injuste et tout ce qui manque au portrait de Villars comme général, on est forcé de convenir que l’homme, le glorieux, l’audacieux, est rendu au vif dans les pages de Saint-Simon et qu’on a sous les yeux le personnage en chair et en os.
Ce sont déjà les mystères du xve siècle : il n’y manque que le nom.
Aucun principe, aucune doctrine d’art n’est en jeu ; et c’est pourquoi nous pouvons ne pas nous arrêter aux pamphlets de Mairet, accusant Corneille de plagiat, aux Observations de Scudéry se faisant fort de démontrer : 1° que le sujet du Cid ne valait rien ; 2° qu’il choquait les règles ; 3° qu’il manquait de jugement en sa conduite ; 4° que les vers en étaient méchants — et qualifiant Chimène d’impudique et de parricide.
Surtout nous ne prétendons rien préjuger sur une très grave question qui ne peut manquer de s’élever bientôt, savoir, si ce n’est pas errer que de cultiver exclusivement l’image.
C’est encore, selon nous, un portrait manqué que celui du jeune comte d’Outreville, un petit neveu que le marquis a fait venir d’Avignon, pour le marier de sa main.
En toutes choses il me semble que les idées intermédiaires me manquent, ou m’ennuient trop. » Ces idées intermédiaires, s’il s’était donné la peine de les exprimer, ne nous ennuieraient pas, ce semble, mais plutôt nous reposeraient en le lisant.
Sohrab insiste et trouve étonnant qu’entre tant de chefs, le vaillant Roustem, le premier de tous, ait manqué cette fois à l’appel ; il presse de questions le prisonnier, qui lutte de ruse, et qui s’obstine, sur ce point, à lui cacher la vérité : « Sans doute, réplique celui-ci, le héros sera allé dans le Zaboulistan, car c’est le temps des fêtes dans les jardins de roses. » À quoi Sohrab, sentant bouillonner son sang, répond : « Ne parle pas ainsi, car le front de Roustem se tourne toujours vers le combat. » Mais Sohrab a beau vouloir forcer le secret, la fatalité l’emporte : « Comment veux-tu gouverner ce monde que gouverne Dieu ?
Vous avez bien de l’expérience ; mais il vous en manque une que, j’espère, vous n’aurez jamais : c’est la privation du sentiment, avec la douleur de ne s’en pouvoir passer.
L’aimable prélat le lui dit sur tous les tons, en le grondant, en le morigénant, et en voyant bien qu’il y réussit peu : Si vous alliez montrer ma lettre à quelque grave et sévère censeur, lui écrivait-il un jour (avril 1714), il ne manquerait pas de dire : Pourquoi ce vieil évêque (Fénelon avait alors soixante-trois ans) aime-t-il tant un homme si profane ?
Mais quand Frédéric admirait dans Voltaire le grand poète par excellence, quand il voyait dans La Henriade le nec plus ultra des épopées, et qu’il la mettait bien au-dessus des Iliade et des Énéide, il prouvait seulement son manque d’idéal, et à quel point il avait borné de ce côté ses horizons.
Devenu chancelier de France et ministre en 1717, sous la Régence, d’Aguesseau laissa trop voir alors ce qui lui manquait comme homme politique, et sa vertu, égarée entre Law, Dubois et le Régent, rencontra plus d’un piège qu’elle ne sut point éviter.
Il ne manquerait à ces distinctions pour les vérifier et les éclaircir, que des exemples que chaque lecteur aujourd’hui peut alléguer, depuis Hamlet de Shakespeare jusqu’à René.
Cependant il est certain qu’ils ont des petitesses méprisables, et qu’ils se déchirent les uns les autres plus encore que ne font les femmes… La connaissance que j’ai du monde m’attache encore davantage à vous : j’y trouve toutes les vertus et la bonté qui manque dans les autres.
Il en parla successivement à quatorze ministres qui se succédèrent en peu de mois, et ne rencontra chez tous qu’inattention et temporisation continuelle, quelques hommes dans les bureaux ayant intérêt, non à faire manquer l’affaire, mais à la tirer des mains de Beaumarchais pour y trouver eux-mêmes leur profit.
Vers la fin, engagé dans le parti libéral, il a fait quelques politesses à ce qu’on appelait les jeunes talents ; mais, en réalité, il n’a jamais prisé les plus remarquables des littérateurs et des poètes de ce siècle, ni Chateaubriand, ni Lamartine, qu’il raille tous deux volontiers à la rencontre ; il leur était antipathique ; c’était un pur Grec, et qui n’admettait pas tous les dialectes, un Attique ou un Toscan, au sens particulier du mot : « Notre siècle manque non pas de lecteurs, mais d’auteurs ; ce qui se peut dire de tous les autres arts. » C’était le fond de sa pensée.
Rarement ils ont manqué chez les nations spirituelles, aux époques pacifiées et heureuses.
En retour du bienfait reçu, Rousseau lui adresse pour remerciement une lettre altière, pédantesque, dans laquelle il fait ses conditions : « Vous voulez me donner du pain ; n’y a-t-il aucun de vos sujets qui en manque ?
La conséquence de ce qui précède, c’est que l’activité fondamentale, la « volonté » primitive, d’où naissent les peines et les plaisirs, est une activité mêlée de passivité, où l’élément agréable lié à l’action efficace est continuellement contrarié et contrebalancé par un élément pénible, à savoir le sentiment d’usure et de manque, qui accompagne la passivité et la résistance subie.
Rappelons-nous, en effet, que le plaisir est le plus ordinairement précédé ou accompagné d’une certaine peine due au besoin et à la non-satisfaction d’une tendance : si la souffrance n’est pas la condition nécessaire du plaisir, elle en est du moins un antécédent habituel, et, au point de vue organique, il n’y a guère d’acquisition de force qui n’ait été précédée d’un manque de force.
Puis, afin que tout soit bizarre, excentrique, fantastique, dans la rencontre, Judith s’excuse auprès de Flaubert, de l’avoir manqué la veille.
Si un vers défaille et manque d’une ou de deux syllabes, si tel autre dépasse le nombre qui donne au poème son allure, la marche du rythme emporte ces récalcitrants dans sa procession.
Ce qui lui manque encore en 1832, c’est la personnalité.
Elles nous manquent.
Il manquera d’eux, qui ne sont pas des niais, allez !
Le Père Frédéric Bouvier, érudit spécialisé dans l’histoire comparée des religions, tué à Vermandovillers, le 17 décembre 1916, en assistant des blessés, offre sa vie « pour ses compagnons d’armes du 86e, pour que tant d’hommes droits et bons à qui il ne manque plus que de vivre en Dieu et de vivre conformément à leur foi, se tournent définitivement vers lui ».
Quand ils veulent être agréables à un étranger, à un prince en voyage notamment, ils ne manquent guère de lui attribuer les goûts d’un Parisien.
Elle est l’extrémité d’une action, et les extrémités supposent un commencement où elles manquent.
Pour la faire d’une manière utile, il faudrait chercher les causes qui fortifient cette idée, par exemple gueil (Anglais), le manque d’imagination (Hollandais), l’habitude du péril (Sauvages), la réflexion habituelle et intense, la vie solitaire, etc ; la volonté n’est qu’un effet.
Il lui manque ce don de la présence, que le Rouge et le Noir possède au suprême degré. […] Ses feuilletons étaient les feuillets déchirés ou volants d’un beau livre sans suite. » Ils nous le montrent, jetant au papier, le samedi matin « ses douze colonnes, tantôt belles, rythmées, profondes et tendres comme un psaume, tantôt pleines de la vie, du feu de la passion d’un témoin contemporain. » Plus perspicaces qu’ils ne le sont d’habitude, — car le discernement des causes leur manque trop souvent, — les deux frères apercevaient le principe de cette supériorité du feuilletoniste : son énorme et passionné travail intérieur à la Gœthe. […] « Comme nous ne manquons point tous les jours de, prendre la réfection corporelle, et que pour cela nous avons quelque heure déterminée, ainsi ayons tous les jours quelque heure h particulière destinée à l’oraison. » Ainsi s’exprime un moraliste catholique de cette époque. […] J’espère ne pas manquer à cette règle en parlant du rare artiste littéraire qui s’est uni, sur le soir de ses jours, aux pires ennemis de cette civilisation gréco-latine dont il fut, dont il restera un des fils les plus brillants. […] Comme celui-là va lui manquer !
Thiers n’a jamais manqué, à l’occasion, de se prononcer contre cette disposition d’esprit si commune de nos jours, qui consiste à se replier sur soi, à s’analyser, à raconter ses propres émotions au lieu de chercher à s’en procurer de nouvelles ou d’en produire chez d’autres ; il appelle cela le genre impressif et le croit contraire à la destinée naturelle de l’homme, laquelle est plutôt dans le sens actif. […] Marseille, qui se croyait encore royaliste, y est démontrée la cité la plus démocratique du Midi ; et, lui promettant dans un très-prochain avenir l’union de la richesse et des lumières, l’auteur finit le tableau d’un trait : « Il tient à son sol, à son sang, de tout faire vite, le bien comme le mal. » Mais je n’aurais pas tout dit de cet écrit presque oublié, et je croirais manquer à ce que la critique doit aux premiers essais de l’auteur qu’il étudie, si je n’indiquais, ou plutôt si je n’extrayais tout un tableau qu’on ne songerait pas à y chercher, et qui me semble la perfection même.
Si ces canzones étaient égales au sujet, je sais bien qu’elles ne manqueraient ni de grandiose ni de véhémence… » Elles en sont empreintes en effet : bien que le sujet en semble aujourd’hui un peu usé, roulant sur cette plainte perpétuelle et cette désolation tant renouvelée depuis Dante, et se prenant à cette moderne Italie, à celle même d’Alfieri, de Corinne et de Childe-Harold, et de laquelle Manzoni a dit qu’elle était Pentita sempre e non cangiata mai, « Repentante toujours et jamais convertie ; » malgré cet inconvénient inévitable en telle rencontre, le poëte se sauve ici du lieu-commun par son impression sentie et profonde. […] « Je retournerai certainement à Florence à la fin de l’hiver pour y rester autant que me le permettront mes faibles ressources déjà près de s’épuiser : lorsqu’elles viendront à manquer, le détestable et inhabitable Recanati m’attend, si je n’ai pas le courage (que j’espère bien avoir) de prendre le seul parti raisonnable et viril qui me reste158… » « Vous attendez peut-être que je vous dise quelque chose de la philologie romaine.
Quinte-Curce dit la même chose ; mais il ajoute plusieurs circonstances et ne manque pas de saisir cette occasion pour mettre dans la bouche d’Hermolaüs et dans celle d’Alexandre des discours où il cherche à faire briller son éloquence. […] Quant à la forme du style de ce traité, elle est sans défaut ; et il n’y manque aucune perfection du style pensé ou raisonné : ordre, liaison, logique, clarté, conséquence du principe avec la conclusion, cela semble écrit par la logique elle-même.
— « Le cœur me manque ! […] Prométhée manque à cette galerie surhumaine, ou plutôt c’est d’Eschyle lui-même qu’on y regrette l’absence.
L’amitlé, au défaut de la justice, aurait dû retenir M. de Mirabeau lorsqu’il s’est senti entraîné à employer un moyen que nous avons souvent blâmé d’un commun accord, d’un moyen dont M. de Mirabeau lui-même a manqué d’être la victime, celui d’attirer les orages sur la tête des personnes qui ont une opinion particulière.
[NdA] Il écrivait cela à lord Sheffield dans un temps où ce dernier avait manqué sa réélection (11 mai 1784) ; Gibbon essayait, sans trop l’espérer, de le tirer à lui, et il lui disait ce mot qui était le fond de son cœur : « Si cet échec pouvait vous apprendre à rompre une bonne fois avec rois et ministres, et patriotes et partis, et Parlements, toutes sortes de gens pour lesquels vous êtes de beaucoup trop honnête, c’est pour le coup que je m’écrierais avec T… de respectable mémoire : “Bravo, mon cher !
Ces lèvres sont les tiennes ; — c’est bien ton doux sourire que je vois, le même qui me consola si souvent dans mon enfance : il ne leur manque que la parole ; à cela près, comme elles semblent dire clairement : « Ne te chagrine point, mon enfant, chasse loin toutes tes frayeurs !