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653. (1860) Cours familier de littérature. IX « XLIXe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier » pp. 6-80

Heureuses les femmes qui n’ont point de portraits ; c’est qu’elles sont au-dessus de l’art ! […] Heureux les hommes qui sont assez âgés pour avoir vu fleurir ce visage de seize ans ! […] Que j’aurais voulu la voir alors, et qu’heureux sont les yeux qui se rafraîchirent et s’enivrèrent de son premier rayonnement ! […] Malgré la faiblesse et la monotonie de sa propre voix, l’effet fut plus saisissant, mais non plus heureux. […] Le gouvernement du Directoire, sorte de halte entre la mort et la vie d’un peuple, laissait respirer à pleine poitrine toutes les classes de la société européenne, heureuse de revivre et pressée de jouir après avoir tant tremblé.

654. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE VIGNY (Servitude et Grandeur militaires.) » pp. 52-90

Elle y revient, non plus comme faculté heureuse et naturelle, mais comme une maladie pénétrante, subtile, une affliction plutôt qu’un don, une rosée amère à des tempes douloureuses. […] Si l’art, la poésie, se doivent jamais appeler le produit précieux d’un mal caché, ce n’est pas de l’art, de la poésie d’Homère et de Sophocle, ni de celle de Dante, ni de celle de Shakspeare, de Molière et de Racine, qu’on peut dire cela : ces sortes de poésies, quelque travaillées qu’elles semblent, demeurent toujours le riche et heureux, couronnement de la nature, ramis felicibus arbos ; mais c’est bien de la poésie de Jean-Jacques, de Cowper, de Chatterton, du Tasse déjà, de Gilbert, de Werther, d’Hoffmann, et de son musicien Kreisler, et de son peintre Berthold de l’Église des Jésuites, et de son peintre Traugott de la Cour d’Arthus, c’est de toutes ces poésies, et c’est aussi de celle de Stello, qu’on peut à bon droit le dire. […] Soumet, Alfred, Victor, Parseval, vous enfin Qui dans ces jours heureux vous teniez par la main, Rappelez-vous comment au fauteuil de mon père Vous veniez le matin, sur les pas de mon frère, Du feu de poésie échauffer ses vieux ans, Et sous les fleurs de mai cacher ses cheveux blancs. […] Il est bien heureux, celui-là ; nous allons être sa postérité tout de suite, et il aura son immortalité sur-le-champ, et il peut dire tout ce qui lui passe par la tête, et on aura mille égards peur lui par humanité. […] J’avais produit ma manière de voir à son égard ; j’eusse été heureux d’être rectifié, s’il y avait lieu, et de m’éclairer.

655. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. » pp. 124-157

Mais elle est mère, mère heureuse : de là surtout des sources consolantes et renouvelées. […] Me voilà occupée et heureuse pour bien des jours. […] Tu me rends bien heureuse de m’avouer la tendance de ton âme à prier, mon bon frère. […] Tout ce qui est resté gravé dans ma mémoire, c’est que nous avons été bien heureux et bien malheureux, et qu’il y avait pour nous bien du soleil à Sin51, bien des fleurs dans les fortifications ; un bien bon père dans notre pauvre maison, une mère bien belle, bien tendre et bien pleurée au milieu de nous !  […] Une seule circonstance heureuse en rompt la note uniforme et triste, parfois déchirante, le mariage de sa fille Ondine, si tôt suivi d’une fin funeste : « (24 décembre 1849)… Mon bon Richard, si votre amitié n’est pas sans inquiétude sur nous et notre silence, je suis tout à fait de même sur tout ce qui vous concerne ; — et quoique je ne sache de quel côté donner de la tête, je prends sur la nuit pour vous écrire, — la nuit de Noël, mon cher Richard, qui changerait les destinées de ce triste monde et la vôtre, si le Sauveur écoutait son pauvre grillon, humblement à genoux dans la cheminée… où il y a bien peu de feu, mon celui de mon âme, très-fervente, très en peine !

656. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1878 » pp. 4-51

dans mon lit, j’avais là, mais vraiment, la tentation de me relever et de filer au chemin de fer, laissant mon monde continuer son voyage… J’ai besoin de Paris, de son pavé… Les quais, le soir, avec toutes ces lumières… Vous ne croyez pas qu’il y a des jours, où je me sens tout heureuse de l’habiter… Ça été si longtemps mon désir d’y venir… Non, quand je ne suis plus en France, il y a un trouble en moi, j’ai le diable au corps d’y revenir, d’y être, de me trouver avec des Français… Et la première fois que j’ai mis le pied sur de la terre française, en août 1841, il était deux heures du matin, « le premier pantalon garance » que j’ai aperçu, ça été plus fort que moi, je suis descendue de voiture pour l’embrasser… Oui, je l’ai embrassé !  […] Mais ce doux empoignement de mes cheveux, avec ce seul mot, quelquefois cela me revient, et d’y penser, ça me rend tout heureux. » Puis on cause de l’état d’âme après la satisfaction amoureuse. […] Au fond les hommes d’imagination, quand ils ont quitté, un mois, leur domicile, s’attendent, en y rentrant, à y trouver de l’imprévu heureux, et cela n’est jamais. […] Samedi 12 octobre Vaguant dans les rues campagnardes de Montmorency, en sa belle santé, la princesse appuyée sur mon bras, et souriant au beau soleil de la journée, au bonheur de son heureuse vie entourée de l’affection d’une petite société amie, me dit, s’arrêtant soudainement : « Oui, ce serait bien dur de m’en aller, je l’avoue, je trouve la vie bonne !  […] Lundi 30 décembre Un joli mot d’une vieille femme de mes amies, à qui sa bru disait qu’elle aimait à lire, à faire de la musique, mais détestait les travaux de femme, la tapisserie, la broderie, etc., etc. : « Ma chère, c’est que vous avez été toujours heureuse, que vous n’avez pas eu de chagrins… Oui, bien souvent ces travaux sont une occupation mécanique, derrière laquelle on s’enfonce dans ses regrets ! 

657. (1828) Préface des Études françaises et étrangères pp. -

Après avoir montré la France des deux derniers siècles, infiniment supérieure par sa prose à toutes les autres nations ensemble, il nous a fallu avouer son évidente infériorité dans les hauts genres de poésie, qui n’ont été réellement cultivés que par l’école actuelle ; nous sommes heureux de pouvoir lui rendre sa suprématie dans la littérature dramatique. […] Nous venons à une époque où le besoin de vérité en tout, est universellement senti, et en cela les poètes actuels sont plus heureux que leurs prédécesseurs. […] Aucun amour-propre, aucun intérêt hors de l’art ne nous a dirigés ; nous n’avons d’autre ambition que de faire connaître le grand poète anglais au public français ; si nos ouvrages sont applaudis, c’est Shakespeare qu’on applaudira ; si Shakespeare n’est pas compris, ce sera la faute de ses interprètes ; d’autres plus habiles ou plus heureux viendront, et nous serons les premiers à servir et à proclamer leur triomphe. […] Lorsque la grande épreuve de Shakespeare aura été faite, lorsque notre public connaîtra la plus belle poésie dramatique des temps modernes, comme il a appris celle des temps antiques dans les chefs-d’œuvre de notre scène, alors, toutes les questions étant éclairées, tous les trésors mis à découvert, tous les systèmes comparés et appréciés, un homme de génie viendra peut-être, qui combinera tous ces éléments, leur donnera une forme nouvelle, et plus heureux que nos grands maîtres des grands siècles, en fera jaillir la véritable tragédie française, un drame national, fondé sur notre histoire et sur nos mœurs, sans copier qui que ce soit, pas plus Shakespeare que Racine, pas plus Schiller que Corneille, comme le dit M.  […] Sans doute, avec du travail et une organisation assez heureuse, on parvient dans les vers, comme dans tous les arts, à une certaine élégance vulgaire, à une froide correction, à une mélodie molle, que n’ont pas quelquefois au même degré les hommes d’un vrai génie.

658. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Alphonse Daudet »

Et c’est la modification, l’heureuse et profonde modification que je trouve dans ce roman de la manière de l’écrivain ; c’est le retour marqué vers cette manière qu’il eut longtemps, et qu’il semblait avoir dans ses derniers ouvrages, abandonnée. […] Il n’appartient plus, et nous espérons qu’il n’y retournera jamais, au Réalisme, dont son nouveau livre n’est ni entiché ni maculé… La Critique, heureuse de ce retour, tuerait le veau gras — si elle en avait un !  […] le pinceau, c’est-à-dire ce qui appartient le plus à l’artiste ; — le pinceau, qui est à lui plus intimement que la composition et l’idée même de son œuvre ; le pinceau, qui lui appartient autant que sa main dont il est le prolongement ; qui est fait de ses cheveux que des Dalila coupent toujours ; trempé dans la source de ses larmes, — de celles qu’il a versées ou de celles qu’il versera, — et coloré de son sang, rose quand il est heureux, et qui devient si noir après les expériences de la vie ! […] Voyez cette page, par exemple, sur une danseuse (un des personnages du roman), une espèce de danseuse composite, faite de deux réverbérations de ces deux êtres évaporés, Fanny Elssler et Taglioni, et qui, vieillie, brisée, anéantie, le spectre charmant d’elle-même, se remet un soir à danser sous l’influence d’une impression heureuse, et demandez-vous si ce poète, qui a chancelé un moment du côté du Réalisme, a eu jamais davantage ce que le Réalisme, cette brosse qui se croit un pinceau, a le moins :   la nuance opalisée, la transparence, la grâce, l’immatérialité ! […] … Chose heureuse, d’ailleurs, et d’importance, en cette époque où la littérature, vieille et décadente, a la prétention d’être moderne par rage d’être décrépite, cette question d’histoire, qui pouvait porter dans ses entrailles la fortune d’un romancier, est une question moderne, pour le coup !

659. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure  »

A l’occasion d’une édition de Boileau qu’il préparait (1727) : « Des Maizeaux fera pis que des vignettes, écrit Marais ; il fera des Notes de sa façon, qui sont toujours basses et plates, et nous donnera un Despréaux aussi beau que sa Vie 5 ; je sais qu’il s’est adressé à M. de Valincour qui, sur son nom seul, a refusé tout éclaircissement, et moi de même. » Et voilà pourtant l’homme qui est chargé d’introduire dans le monde savant les Lettres de Bayle et d’écrire sa Vie ; on est encore trop heureux de l’avoir, faute de mieux. […] » s’écriait Marais ; « je vous assure, madame (il parle à Mme de Mérigniac), qu’il n’y manquerait rien. » Et mêlant un cri de l’âme ces choses de l’esprit, il disait encore : « Que l’on est heureux, madame, d’avoir des amis officieux et qui trouvent dans leurs cœurs des ressources contre la tyrannie de la mort et ses oublis éternels !  […] Les objections de Bayle sont disséminées ; on est libre avec lui, comme avec Montaigne, de ne pas les ramasser et, selon l’heureuse expression de Marais, de ne pas « mettre en corps cette armée-là. » Bayle fait la part des nécessités de la société, des infirmités des hommes, et de ce qu’il faut accorder aux impressions machinales qu’excitent les passions. […] Il y a plus de mérite à un écrivain d’observer cette même loi du fond de son cabinet, et c’est en cela que Marais a fait un heureux et délicat détournement du sens.

660. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville »

Au milieu de ma douleur, il y a une idée qui me soutient : il est peut-être heureux d’avoir cessé de vivre dans les circonstances où nous vivons. Il est parti pour un monde meilleur, nous laissant tous sinon heureux, du moins encore tranquilles. […] Il n’y a presque pas d’hommes qui aient été continuellement malheureux : il n’y en a pas qui soient continuellement heureux. […] « Vous êtes bien heureux d’avoir vécu dans un temps où il fût possible de se proposer un but, et surtout un but haut placé.

661. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de la Mennais (suite et fin.)  »

… « Heureux celui qui vit de ses revenus, qui n’éprouve d’autre besoin que celui de digérer et de dormir, et savoure toute vérité dans le pâté de Reims, que nul n’oserait censurer en sa présence ! J’ai bien peur que l’heureuse révolution ne se borne à l’échange d’un despotisme fort contre un despotisme faible. […] Enfin elle est ce qu’elle est, et tout ce qui me reste à faire est de m’arranger de mon mieux, et, s’il se peut, de m’endormir au pied du poteau où l’on a rivé ma chaîne : heureux si je puis obtenir qu’on ne vienne point, sous mille prétextes fatigants, troubler mon sommeil ! […] Après cela il est à croire qu’il se trompait, même en se ravisant et en se créant en idée après coup une autre vie plus heureuse.

662. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. VINET. » pp. 1-32

La concaténation ininterrompue, comme il dirait peut-être, remplace souvent sans nécessité le libre jeu de l’esprit ; l’attention se reposerait utilement dans des endroits de diffusion heureuse. […] Combien d’heureux traits d’une concision ingénieuse, où la pensée se double, en quelque sorte, dans l’expression, et fait deux coups d’un même jet ! […] Vinet, égarait la poésie loin de la veine heureuse, que son siècle et lui-même avaient rencontrée. » Il est impossible de plus enfermer en un l’adoucissement dans la critique, de plus précisément greffer l’éloge dans le blâme. […] Dans son Précis, il a écrit sur Quesnel une phrase de vif éloge, qui semble indiquer qu’il n’a pas été étranger à l’heureux choix des pensées de cet auteur, que le Semeur a publié.

663. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre VIII »

Autre méprise et autre surprise ; elle repousse les présents du joueur heureux, avec la fierté d’une femme qui n’entend pas mêler l’argent à l’amour. […] Il est heureux, la voyant heureuse en lui et par lui. […] — dit-il, — comme il est heureux que tu sois mon frère ! 

664. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chateaubriand homme d’État et politique. » pp. 539-564

Et il continue modestement : « Je contribuai à lui donner une seconde fois la couronne par l’heureuse issue de la guerre d’Espagne. » S’il était de bon goût à Louis XVIII de dire de cette brochure qu’elle lui avait valu une armée, il l’est bien peu à l’auteur de n’être pas satisfait de cet éloge hyperbolique et de vouloir surenchérir encore. […] Mais Mme de Duras, « qui m’avait pris sous sa protection, dit-il, fit tant, qu’on déterra pour moi une ambassade vacante, l’ambassade de Suède : Louis XVIII, déjà fatigué de mon bruit, était heureux de faire présent de moi à son bon frère le roi Bernadotte. […] Decazes (c’est tout simple), comme favori du maître, n’obtint que ses injures : mais le noble duc de Richelieu ne fut pas plus heureux. […] … Pauvres songes, c’est fort heureux pour eux !

665. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Bussy-Rabutin. » pp. 360-383

Roger de Rabutin, a-t-il dit de lui-même, avait les yeux grands et doux, la bouche bien faite, le nez grand tirant sur l’aquilin, le front avancé, le visage ouvert et la physionomie heureuse, les cheveux blonds, déliés et clairs (tous les signes de haute et fine race). […] Il nous le peint, selon son usage, en quelques coups de crayon rapides et heureux : Il avait la tête fort belle, tant pour le visage que pour les cheveux, et c’était un très grand dommage qu’il eut la taille gâtée ; car, à cela près, c’était un prince accompli. […] Je n’y ai ni maître ni maîtresse, parce que je n’ai ni ambition ni amour ; et j’éprouve, ce que je croyais impossible il y a deux ans, qu’on peut vivre heureux sans ces deux passions. […] Qu’on se rappelle cette première scène délicieuse où le spirituel valet, en exposant ses misères, ne fait que décrire la servitude et les attaches du courtisan d’alors auprès des Grands :        Cependant notre âme insensée S’acharne au vain honneur de demeurer près d’eux, Et s’y veut contenter de la fausse pensée Qu’ont tous les autres gens, que nous sommes heureux.

666. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1861 » pp. 361-395

En voulant lui couper la moustache, l’autre jour, la lèvre est venue avec les poils… La dernière fois que j’ai vu Murger, au café Riche, il y a de cela un mois, il avait la mine d’un bien portant, était gai, heureux. […] Des boulevards, de grandes artères… oui il n’a plus laissé de coins, dans des rues ignorées, où l’on pouvait jadis vivre caché et heureux… Et en toutes choses, les falsifications, les sophistications, le mensonge. […] 11 avril Nous sommes bien heureux de vendre à la Librairie Nouvelle, notre roman de Sœur Philomène, à 20 centimes l’exemplaire, mais nous sommes consolés de notre triste succès, après lequel encore il nous a fallu courir en trouvant chez nous une lettre d’un éditeur russe, nous demandant à traduire tout notre œuvre historique. […] Une odeur d’Orient et l’apparence d’une religion heureuse.

667. (1913) La Fontaine « IV. Les contes »

A côté de cela, il y a, dans Clymène, des vers élégiaques qui sont tout à fait heureux et que je ne veux pas vous priver de connaître ou de reconnaître. […] Qu’une belle est heureuse, et que de doux moments, Quand elle en sait user, accompagnent sa vie ! […] … Fallait-il être heureuse avant qu’être coupable ? […] « Que si l’auteur (préface de la deuxième partie des Contes), que si l’auteur a changé quelques incidents et même quelques catastrophes (c’est-à-dire quelques fins de récit), ce qui préparait ces catastrophes, et la nécessité de les rendre heureuses l’y ont contraint.

668. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre premier. »

Noble Aglaé, Euphrosine qui te plais aux mélodies, soyez aujourd’hui propices : et toi aussi, Thalie, amoureuse du chant, vois cette fête s’avancer, sons une heureuse fortune. […] « Ce que je dois faire pour te plaire, ô dieu de la foudre, fils de Cronos, pour être aimé des Muses et pour rester sous la garde du calme heureux de l’âme, voilà ce que je demande de toi12. » Une telle foi, un tel amour devaient inspirer d’autres images que les souvenirs de la fable, un autre sublime que celui d’Homère. […] « Tous », disait-il dans un hymne, dont le reste a péri, « arrivent par une fatalité heureuse à l’issue qui termine les maux. […] Pindare semblait en juger ainsi, dans ces deux vers qu’a conservés Clément d’Alexandrie : « Heureux qui a vu les mystères d’Éleusis, avant d’être mis sous terre !

669. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XI. »

Ce jeune Shelley, mélancolique ennemi d’une société où il était né heureux et riche, et où il vivait libre, ce poëte sceptique qui, sur le registre des moines hospitaliers du mont Saint-Bernard inscrivait ironiquement son nom de visiteur, en y ajoutant l’épithète Ἄθεος, dans son rêve du passé et sa folle anticipation de l’avenir, faisait, sous le titre antique de Promet fiée délivré, une sorte de dithyrambe pour l’âge de raison de Thomas Payne, vaine tentative méditée par des esprits faux, dès l’abord noyée dans le sang par des furieux, stérilement reprise par des plagiaires insensés, et dont l’apparente menace ne sert qu’au pouvoir absolu, qu’elle arme d’un prétexte étayé sur la peur publique ! […] il est temps pour les vaisseaux agiles volant sur les flots a d’aborder, sous une heureuse étoile, alors qu’Ajax, derechef oublieux du mal, accomplit toutes les offrandes aux Dieux, les adorant avec grande piété. […] C’est pour lui que le poëte a ses plus heureuses saillies de verve lyrique, parfois à l’improviste, sans même l’élan des strophes et dans la simplicité rapide du mètre ïambique. […] Aussi les vignes, les jeunes figuiers et nos plantes de toutes sortes sont heureuses et riante tes du bonheur de te revoir. » Mais la plus libre, la plus singulière de ces effusions lyriques, est sans doute celle qui se mêle aux scènes fabuleuses de la comédie des Oiseaux.

670. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De la dernière séance de l’Académie des sciences morales et politiques, et du discours de M. Mignet. » pp. 291-307

Mignet, qui a décrit en termes heureux le talent de l’homme, avait voulu traiter du philosophe un peu à fond et sans précautions fausses, il aurait insisté sur ces pages dont l’accent pénètre et doit trouver grâce auprès de tous. […] La recherche du vrai dans toutes les théories, le goût du beau sous toutes les formes, la jouissance du droit conquis par la raison publique et consacré par la loi commune, l’application rapide de toutes les découvertes utiles et l’échange des productions multipliées de l’univers, devinrent en philosophie, en littérature, en politique, en industrie, le travail, l’ambition, le partage de l’heureuse génération à laquelle appartenait M.  […] Conclusion : Ne nous célébrons pas sans mélange dans le passé, ne nous complimentons et ne nous adonisons pas si constamment en arrière en nous revoyant dans notre heureuse génération et dans notre jeunesse.

671. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le Roman de Renart. Histoire littéraire de la France, t. XXII. (Fin.) » pp. 308-324

Le songe est un lieu commun et une machine en usage dans les romans de chevalerie : ici la parodie en est heureuse et très spirituelle. […] ; Renart y fut pris cette fois ; l’idée lui parut heureuse, et, au premier cri que lança Costant, il lâcha ce mot d’ironie : « Oui, malgré vous ! […] Le bon chevalier Beaumanoir va vers lui, et lui dit dans un sentiment tout humain qui est rare au Moyen Âge, qui manque chez Froissart, historien de cour, et qu’on est heureux de retrouver ici : Chevaliers d’Angleterre, vous faites grand péché De travailler les pauvres, ceux qui sèment le blé… Si laboureurs n’étaient, je vous dis ma pensée, Les nobles conviendrait travailler en l’airée (aux champs), Au fléau, à la houe, et souffrir pauvreté ; Et ce serait grand peine quand n’est accoutumé.

672. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres de François Arago. Tome I, 1854. » pp. 1-18

Ici l’embellissement qu’on met à les raconter n’est pas un mensonge ; la couleur qu’on y voudrait ajouter après coup ne sera jamais qu’un pâle reflet de cette lumière heureuse et première qui nous éclairait. […] Combien de fois, en voyant les nuages s’élever du fond des vallées et monter en rampant sur le flanc des rochers jusqu’à la cime où nous étions, n’avons-nous pas recherché dans leurs oscillations les présages heureux ou malheureux d’un ciel couvert ou serein ! […] De la porte de notre cabane, nous avions une des plus belles vues du monde : à notre gauche, mais fort au-dessous de nous, le cap Oropeza élevait dans les airs ses aiguilles qui servent de signaux aux navigateurs ; derrière nous, en se prolongeant dans l’ouest, s’étendaient les chaînes de montagnes noirâtres qui, comme un rideau, abritent le royaume de Valence du côté nord et conservent à cet heureux climat la douce température dont il jouit.

673. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — I. » pp. 19-35

Toujours maître de l’oreille et du cœur de ceux qui l’écoutent, il ne leur permet pas d’envier ni tant d’élévation, ni tant de facilité, de délicatesse, de politesse ; on est assez heureux de l’entendre, de sentir ce qu’il dit, et comme il le dit… C’était avec son esprit, avec son âme, avec son goût, que Fénelon fut orateur comme il fut tout ce qu’il voulut être, et on ne désirait rien déplus en l’écoutant. […] Mme de Grammont s’en plaignait quelquefois et semblait croire que de plus heureux qu’elles occupaient ses soins comme directeur. […] Les stoïciens, Épictète par exemple, posaient en principe que, pour être heureux et sage, il faut se retrancher en soi et dans les seules choses qui dépendent de nous, en coupant court à ce qui est du dehors, aux accidents, et en levant pour ainsi dire à chaque fois le pont-levis, de telle sorte que la communication ne se fasse que par manière d’acquit et sans nous affecter essentiellement.

674. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — I. » pp. 343-360

Dans cette contrée, selon lui favorisée entre toutes alors, et à l’abri des inondations comme des volcans, un peuple heureux et sage aurait, durant un long cours de siècles insensibles, vécu en paix et cultivé les hautes sciences ; et ce ne seraient que les restes de cette science primordiale, après la ruine et la dispersion du peuple fortuné, ce n’en seraient que les débris que l’on découvrirait ensuite chez les Chaldéens, chez les Indiens, chez les Chinois, tous peuples dépositaires plutôt qu’inventeurs : Mais je dois renvoyer ici, ajoutait Buffon, à l’excellent ouvrage que M.  […] C’était une heureuse occasion pour Bailly, déjà adopté si magnifiquement par Buffon, de devenir le correspondant de Voltaire, et d’entreprendre publiquement de le convertir à une opinion qui était celle du grand naturaliste. […] En même temps qu’il admet que le souvenir du Déluge se montre partout comme un fait historique conservé par la tradition et dont l’idée funeste ne serait point venue naturellement à l’homme, il reconnaît que le souvenir de l’âge d’or peut être le produit d’une imagination heureuse et complaisante qui jette des reflets sur le passé, et pourtant il répugne à y voir une pure fiction : « J’y vois les embellissements de l’imagination, dit-il, mais j’y crois découvrir un fond réel.

675. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — I. » pp. 446-462

Les langues, les sciences, le droit public, la médecine, entrèrent pour beaucoup et presque à la fois dans cette éducation que favorisait la plus heureuse intelligence. […] Seulement ce n’étaient là que des aspirations d’une âme ardente et, par ce côté, plus germanique que française ; il manquait à cette muse novice et trop contrainte la première condition d’une poésie faite pour charmer, la grâce de ces heureux mortels qui sont nés avec un talisman dans leur berceau et avec la flûte d’ivoire sur les lèvres. […] Je lui parlai de cette étonnante conformité, il me fit cette modeste et remarquable réponse : « Il ne manquerait rien à ma gloire si je ressemblais en tout à M. de Voltaire ; mais peut-être serait-il plus heureux s’il me ressemblait davantage. » — Bodmer fit présent à Ramond du recueil de ses Tragédies historiques et politiques, dont la lecture lui prouva que le genre dans lequel le président Hénault avait échoué n’en était pas moins, dit-il, un genre excellent.

676. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres complètes de Saint-Amant. nouvelle édition, augmentée de pièces inédites, et précédée d’une notice par M. Ch.-L. Livet. 2 vol. » pp. 173-191

En un mot, il y a des pèlerins pour toute chapelle qui a ses reliques, et cela est fort heureux, fort consolant, surtout quand on aspire soi-même à laisser un jour sa relique dans l’histoire littéraire. […] Boileau, à ce sujet, a dit de Saint-Amant : Ce poète avait assez de génie pour les ouvrages de débauche et de satire outrée, et il a même quelquefois des boutades assez heureuses dans le sérieux : mais il gâte tout par les basses circonstances qu’il y mêle. […] Tout en reconnaissant les heureux traits épars dans cette Solitude de Saint-Amant et en m’expliquant très bien le succès qu’elle eut à sa date, je me dis qu’à la relire aujourd’hui, je n’y trouve ni la solitude du chrétien et du saint, celle dont il est écrit « qu’elle bondira dans l’allégresse et qu’elle fleurira comme le lis » ; ni la solitude du poète et du sage ; ni celle de l’amant mélancolique et tendre ; ni celle du peintre exact et rigoureux.

677. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — II » pp. 268-284

Au sens littéraire, il n’y aurait rien à objecter à cette définition, et elle serait heureuse. […] Vers 1817, âgé de cinquante ans, délicat et maladif, mêlé malgré lui aux agitations de la politique alors si ardente, Maine de Biran s’en, isolait le plus qu’il pouvait ; homme de recueillement, il habitait en lui, n’était heureux que là, les jours où la pensée lui était plus facile. Il écrivait dans son journal intime à la date de janvier de cette année 1817, et confessait ingénument de la sorte son peu de capacité à se produire au dehors : 15 janvier. — J’ai eu, ces deux jours, de ces moments heureux d’expansion interne et de lucidité d’idées qui ne m’arrivent que quand je suis seul, en présence de mes idées.

678. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « L’abbé de Marolles ou le curieux — I » pp. 107-125

Doué d’une mémoire heureuse pour toutes les choses extérieures, il a retracé quelques tableaux d’enfance avec plus de vivacité, ce semble, qu’à lui n’appartient. […] Parlant quelque part du jeu de tarots, que la princesse Marie aimait beaucoup, dont elle avait renouvelé et diversifié les règles (et elle avait même chargé Marolles de les rédiger et de les faire imprimer), le bon abbé remarque que c’est presque le seul jeu auquel il se soit plu, bien qu’il ne fût heureux ni à celui-là ni à aucun autre : « Mais depuis que l’exaltation de cette princesse, ajoute-t-il, m’a privé du bonheur de la voir, ni je n’ai plus aimé ce jeu, ni je ne me suis plus soucié de voir le grand monde, et je me suis contenté de mes livres et de recevoir quelques visites de peu de mes amis. » À l’arrivée des ambassadeurs polonais envoyés pour demander la princesse en mariage, et dès leur première visite confidentielle à l’hôtel de Nevers, ce fut Marolles qui les alla recevoir au bas du degré et leur fit en latin un compliment, auquel ils répondirent dans la même langue. […] Heureux ceux qui sont d’un pays, d’une province, qui en ont le cachet, qui en ont gardé l’accent, qui font partie de son caractère et de son histoire !

679. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Œuvres de Maurice de Guérin, publiées par M. Trébutien — I » pp. 1-17

Il a des vers de détail très heureux, très francs, mais sa phrase traîne, s’allonge, se complique prosaïquement ; il ne sait pas assez la couper, l’arrêter à temps, et, après un certain nombre de vers accidentés, irréguliers, redonner le ton plein et marquer la cadence. […] Celui qui était encore l’abbé de Lamennais célébrait dans la chapelle la messe pascale, — sa dernière messe2 —, et y donnait de sa main la communion à de jeunes disciples restés fidèles, et qui le croyaient fidèle aussi : c’étaient Guérin, Élie de Kertangui, François du Breil de Marzan, jeune poète fervent, tout heureux de ramener à la sainte table une recrue nouvelle, un ami plus âgé de dix ans, Hippolyte de La Morvonnais, poète lui-même. […] Et pourtant, ce même M. de Lamennais écrivait, quelques mois après, à l’une de ses pieuses amies en Italie : Vous allez entrer dans le printemps, plus hâtif qu’en France dans le pays que vous habitez ; j’espère qu’il aura sur votre santé une influence heureuse.

680. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Sainte-Hélène, par M. Thiers »

Plus d’un roi et empereur aussi, ou dictateur, a vécu après avoir abdiqué : qui ne connaît et ne s’est figuré Sylla sans licteurs, dialoguant et discourant d’après Montesquieu, Dioclétien heureux jardinier à Salone, Charles-Quint sombre et solitaire, retiré en son cloître près des moines de Saint-Just ? […] Il n’était pas de ces génies qui acceptent la force des choses comme solution commode ; il n’était pas du tout persuadé qu’une bataille de plus ou de moins, gagnée ou perdue deux mois auparavant, un ennemi de plus ou de moins, repoussé, tout cela revenait à peu près au même, que sa situation en 1815 était de prime abord comme désespérée, que les plus heureux efforts et la plus belle entrée de jeu n’auraient pu en réparer le vice radical ; que Waterloo même gagné n’eût été qu’un répit. […] Or, je défie de répandre une telle couleur sur des tableaux de notre temps, quelque tragiques que soient les époques que nous reproduisons. » C’est là un post-scriptum à joindre désormais à la célèbre préface du XIIe volume, c’est un dernier éclaircissement que je suis fier d’avoir provoqué et heureux de produire.

681. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La comtesse d’Albany par M. Saint-René Taillandier. »

Elle avait vingt-cinq ans, un goût très-vif pour les lettres et les beaux-arts, un caractère d’ange, et, malgré toute sa fortune, des circonstances domestiques pénibles et désagréables, qui ne lui permettaient d’être ni aussi heureuse ni aussi contente qu’elle l’eût mérité. » Ces circonstances, on peut assez les préciser aujourd’hui. […] Des tribulations pourtant s’y mêlèrent encore : le monde romain eut de ces susceptibilités auxquelles il est peu sujet d’ordinaire ; on estima que la comtesse et Alfieri étaient trop promptement et trop aisément heureux. […] On dirait qu’il ne peut se faire à l’idée de la vie, humainement heureuse, que va désormais mener sa charmante et si éprouvée comtesse : il cherche partout des punitions et des châtiments à ce qui réellement n’en a pas eu et ne méritait point d’en avoir.

682. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc »

Viollet-Le-Duc, en citant sur les monuments d’Athènes à la plus belle époque une page de Plutarque qui m’a toujours semblé des plus heureuses, et que je demande à offrir ici dans l’entière vérité d’une traduction plus exacte qu’on ne se les permet d’ordinaire. […] Prenant pour exemple, sur l’Acropole même d’Athènes, l’Erechtheïum, « ce groupe de trois temples ou salles dont deux se commandent, avec trois portiques à des niveaux différents », se replaçant en idée dans ce bel âge de la Grèce, il suppose que le monument terminé, au moment où l’échafaud disparaît et où l’effet d’ensemble se révèle, un mécontent, un critique sort de la foule et accuse publiquement l’architecte d’avoir violé les règles au gré de sa fantaisie ; et l’artiste alors, heureux d’avoir à s’expliquer devant un peuple véritablement artiste et qui saura le comprendre, réfute agréablement son contradicteur, non sans flatter un peu son auditoire : « Celui qui vient de parler si légèrement, Athéniens, est probablement un étranger, puisqu’il est nécessaire de lui expliquer les principes d’un art dans l’exercice duquel vous dépassez les autres peuples. […] Viollet-Le-Duc se sépare des architectes classiques proprement dits, à le suivre dans les fines et savantes explications qu’il a données de l’architecture française des XIIe et XIIIe siècles, sa grande et principale étude, son vrai domaine royal, si je puis ainsi parler, et à y reconnaître avec lui, sous des formes si différentes à l’œil, et si grandioses à leur tour ou si charmantes, quelque chose de ces mêmes principes et de ce libre génie dont l’art s’est inspiré et s’inspira toujours aux époques d’invention heureuse et de florissante originalité ; tellement qu’à ne voir que l’esprit, il y a plus de rapport véritable entre les grands artistes de la Grèce et nos vieux maîtres laïques bâtisseurs de cathédrales, qu’entre ces mêmes Phidias ou Ictinus d’immortelle mémoire et les disciples savants, réguliers, formalistes, qui croient les continuer aujourd’hui.

683. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite.) »

Les personnages mis en scène sont si bien venus et si vivants, ils sont nés sous une si heureuse étoile, ils sont d’une physionomie si originale et ont un caractère si marqué (y compris leurs deux montures, inséparables des deux maîtres), qu’on s’attache et qu’on s’affectionne à eux tout d’abord, indépendamment de la moralité finale que l’auteur prétend tirer de leurs actions. […] Je ne sais si je vais par trop le dégrader, mais, lui-même, il n’était qu’un homme du plus aimable génie, de la plus fertile imagination et de la plus belle humeur, dont les heureuses qualités ont jailli jusqu’à la fin, comme par un miracle de nature, du sein de la pauvreté extrême et de l’infortune. […] Une partie du bonheur des auteurs heureux, c’est qu’on leur prête encore plus d’habileté qu’ils n’en ont eu.

684. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — II »

Port-Royal avait toute son âme ; il y puisait le calme, il y rapportait ses prières ; il était plein des gémissements de cette maison affligée, quand il fit entendre, pour l’heureuse maison de Saint-Cyr, la mélodie touchante des chœurs d’Esther 26. […] Sur la foi de ses pleurs ses esclaves tremblèrent ; De l’heureux Bajazet les gardes se troublèrent : Et les dons achevant d’ébranler leur devoir, Leurs captifs dans ce trouble osèrent s’entrevoir. […] Le style de Racine convient à ravir au genre de drame qu’il exprime, et nous offre un composé parfait des mêmes qualités heureuses.

685. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VIII. De l’invasion des peuples du Nord, de l’établissement de la religion chrétienne, et de la renaissance des lettres » pp. 188-214

Quand l’infortune est générale dans un pays, l’égoïsme est universel ; une portion quelconque de bonheur est un élément nécessaire de la force nationale, et l’adversité n’inspire du courage aux individus atteints par elle, qu’au milieu d’un peuple assez heureux pour avoir conservé la faculté d’admirer ou de plaindre. […] Heureux si nous trouvions, comme à l’époque de l’invasion des peuples du Nord, un système philosophique, un enthousiasme vertueux, une législation forte et juste, qui fût, comme la religion chrétienne l’a été, l’opinion dans laquelle les vainqueurs et les vaincus pourraient se réunir ! […] La jurisprudence romaine, qu’il était trop heureux de faire recevoir à des peuples qui ne connaissaient que le droit des armes, devint une étude astucieuse et pédantesque, et absorba la plupart des savants échappés à la théologie.

686. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Alphonse Daudet  »

Le charme, c’est peut-être une certaine aisance heureuse, une fleur de naturel même dans le rare et le recherché ; c’est, en tout cas, quelque chose d’incompatible avec des qualités trop laborieuses et trop voulues : ainsi le charme ne se rencontre guère chez les chefs d’école. […] Le nouveau venu n’est pas plus heureux que les autres. […] L’âme de ce cher petit Chose, qui n’a pas eu une enfance heureuse et qui a songé des songes si jolis et si tendres, continue de flotter, légère, sur les romans vrais de M. 

687. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XVI. Les derniers temps de la comédie italienne en France » pp. 311-338

C’est tout comme ici… Et les femmes sont-elles heureuses, seigneur, dans votre empire ? […] Il faut parler toujours sans rien dire pour sembler spirituelle ; rire sans sujet pour paraître enjouée ; se redresser à tout moment pour étaler sa gorge ; ouvrir les yeux pour les agrandir, se mordre les lèvres pour les rougir ; parler de la tête à l’un, de l’éventail à l’autre ; donner une louange à celle-ci, un lardon à celle-là ; enfin, badiner, gesticuler, minauder60. » L’arrivée du printemps, qui amène le départ des officiers, jette le désarroi dans le monde des promeneuses, et les force à se rabattre sur les robins et les petits collets fort peu demandés en hiver : Heureux les bourgeois de Paris, Quand le plumet court à la gloire ! Du beau sexe ils sont tous chéris, Sans combattre ils chantent victoire ; Heureux les bourgeois de Paris !

688. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Qu’est-ce qu’un classique ? » pp. 38-55

Marie-Joseph Chénier a tracé la poétique de ces écrivains modérés et accomplis dans ces vers ou il se montre leur heureux disciple : C’est le bon sens, la raison qui fait tout, Vertu, génie, esprit, talent et goût. […] Un jour que lord Bolingbroke écrivait au docteur Swift, Pope mit à cette lettre un post-scriptum où il disait : « Je m’imagine que si nous passions tous trois seulement trois années ensemble, il pourrait en résulter quelque avantage pour notre siècle. » Non, il ne faut jamais légèrement parler de ceux qui ont eu le droit de dire de telles choses d’eux-mêmes sans jactance, et il faut bien plutôt envier les âges heureux et favorisés où les hommes de talent pouvaient se proposer de telles unions, qui n’étaient pas alors une chimère. […] Heureux ceux qui lisent, qui relisent, ceux qui peuvent obéir à leur libre inclination dans leurs lectures !

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