Il avait peigné mieux que d’habitude ses cheveux, qui tombaient en mèches irrégulières sur son grand front et sur ses joues creuses. […] Nous y voyons aussi l’action décisive de l’amour, de l’habitude, des passions et des manies, venant à la traverse des événements où la raison d’État semble régner avec une exclusive souveraineté. […] Que faisait-il, aux haltes, en dehors des moments où il étudiait les mœurs des indigènes et les habitudes des colons ? […] Ces colons ont pris les habitudes et quasiment le costume des indigènes : veste lâche, large pantalon, sandales traînantes. […] Ou plutôt son mari, selon l’habitude des hommes sincèrement amoureux, s’aima en elle.
Mais, après avoir lu votre poème, vous n’eûtes plus besoin de sa recommandation auprès de moi ; vous vous y rendîtes assez considérable par vous-même, et, tout inconnu que vous me fussiez, vous vous fîtes tout seul connaître à moi pour un homme de mérite et d’esprit qui n’aviez pas une médiocre habitude avec les muses, et qui étiez avantageusement partagé de leurs faveurs. […] On lit, au tome ixe de ses Œuvres complètes, un écrit intitulé : Réflexions sur les différents caractères des hommes, et qui, bien qu’on s’explique peu le motif qui le lui aurait fait composer, se rapporte assez bien à l’ordre d’idées, d’habitudes sociales et d’inclinations littéraires, où l’on sait que Fléchier a vécu et auquel il resta fidèle jusqu’à la fin.
À cet égard, l’habitude est si forte, qu’elle dure encore à la fin de 1789 ; les harangues qu’on va débiter à l’Assemblée nationale sont aussi des morceaux de bravoure qu’on répète au préalable, en soirée, devant les dames. […] À ce degré et en de tels sujets, il n’est plus qu’un effet de l’habitude et du parti pris, une manie de la verve, un état fixe de la machine nerveuse lancée à travers tout, sans frein et à toute vitesse
Les habitudes l’en écartaient comme les théories. […] Ce paysan, cet avocat au visage défiant combien de privations et de mésaventures a-t-il traversées pour atteindre ses habitudes de précaution et de patelinage ?
Cette étude, si aride et si opposée aux études poétiques dont il avait pris l’habitude et l’exemple chez son père, rebuta le jeune homme. […] La couleur de ses cheveux et de sa barbe tenait le milieu entre le noir et le blond, dans une telle proportion cependant, que le sombre l’emportait sur le clair, mais que ce mélange indécis des deux teintes donnait à sa chevelure quelque chose de doux, de chatoyant et de fin ; son front était élevé et proéminent, si ce n’est vers les tempes, où il paraissait déprimé par la réflexion ; la ligne de ce front, d’abord perpendiculaire au-dessus des yeux, déclinait ensuite vers la naissance de ses cheveux qui ne tardèrent pas à se reculer eux-mêmes vers le haut de la tête, et à le laisser de bonne heure presque chauve ; les orbites de l’œil étaient bien arqués, ombreux, profonds et séparés par un long intervalle l’un de l’autre ; ses yeux eux-mêmes étaient grands, bien ouverts, mais allongés et rétrécis dans les coins ; leur couleur était de ce bleu limpide qu’Homère attribue aux yeux de la déesse de la sagesse et des combats, Pallas ; leur regard était en général grave et fier, mais ils semblaient par moments retournés en dedans, comme pour y suivre les contemplations intérieures de son esprit souvent attaché aux choses célestes ; ses oreilles, bien articulées, étaient petites ; ses joues plus ovales qu’arrondies, maigres par nature et décolorées alors par la souffrance ; son nez était large et un peu incliné sur la bouche ; sa bouche large aussi et léonine ; ses lèvres étaient minces et pâles ; ses dents grandes, régulièrement enchâssées et éclatantes de blancheur ; sa voix claire et sonore tombait à la fin des phrases avec un accent plus grave encore et plus pénétrant ; bien que sa langue fût légère et souple, sa parole était plutôt lente que précipitée, et il avait l’habitude de répéter souvent les derniers mots ; il souriait rarement, et, quand il souriait par hasard, c’était d’un sourire gracieux, aimable, sans aucune malice et quelquefois avec une triste langueur ; sa barbe était clairsemée et, comme je l’ai déjà dépeinte, d’une couleur de châtaigne ; il portait noblement sa tête sur un cou flexible, élevé et bien conformé ; sa poitrine et ses épaules étaient larges, ses bras longs, libres dans leurs mouvements ; ses mains très allongées mais délicates et blanches, ses doigts souples, ses jambes et ses pieds allongés aussi, mais bien sculptés, avec plus de muscles toutefois que de chair ; en résumé, tout son corps admirablement adapté à sa figure ; tous ses membres étaient si adroits et si lestes que, dans les exercices de chevalerie, tels que la lance, l’épée, la joute, le maniement du cheval, personne ne le surpassait.
Parmi tous ces moines, ces pénitents et ces prêtres qui vont venir tous les jours pour t’exhorter et te préparer à la mort par les sacrements, il faut dire que tu préfères les frères de l’ordre des Camaldules, qui t’ont enseigné la religion dans ton enfance, et que tu serais plus résigné et plus content si l’on pouvait t’accorder pour confesseur le vieux frère Hilario, du couvent de la montagne, dont tu as l’habitude, et qui daignera bien descendre pendant quelques semaines à Lucques pour adoucir tes derniers moments ; le bargello m’a dit qu’on ne refusait rien aux condamnés de ce qui peut leur ouvrir le paradis en sortant de la prison ; la présence de cet ami de la cabane dans ton cachot et dans la ville de Lucques, où il est connu et aimé, qui sait ? […] La petite bête semblait comprendre qu’il y avait un mystère dans tout cela, et, couché sur les pieds de son maître ou sur le tablier de ma tante, il les regardait avec étonnement et il avait cessé d’aboyer, comme il avait l’habitude de faire à notre porte, au passage des pèlerins.
La prédiction d’un tel événement eût excité la rage ou le mépris de ceux qui gouvernaient alors la France, et qui se vantaient d’anéantir par leurs lois les croyances religieuses que la nature et l’habitude ont si profondément gravées dans les cœurs. […] Cependant je sens que j’aime la monotonie des sentiments de la vie, et si j’avais encore la folie de croire au bonheur, je le chercherais dans l’habitude.
Mithridate a l’habitude d’étrangler ses femmes pour s’assurer de leur fidélité. […] Néanmoins Racine connaît assez bien l’histoire, entrevoit la différence des milieux et des civilisations et comment ces différences se trahissent dans le caractère des hommes66 ; et tout cela, il cherche à le reproduire exactement ; mais, comme il étudie exclusivement le mécanisme des sentiments et des passions et élimine de parti pris presque tout le pittoresque de la vie humaine, sa « couleur locale » reste tout intérieure, toute psychologique, et est, par suite, moins saisissante : car c’est peut-être surtout par le détail des mœurs et des habitudes extérieures que se différencient les hommes des diverses époques et des divers milieux.
Simple Tourangeau, fils d’une race sensée, modérée et railleuse, avec le pli de vingt années d’habitudes classiques et un incurable besoin de clarté dans le discours, je suis trop mal préparé pour entendre leur évangile. […] Paul Verlaine, le catholicisme ait été un jour la seule religion possible, le refuge unique après des misères et des aventures où déjà sa raison avait pris l’habitude d’abdiquer.
Il leur eût sans doute été difficile d’être autrement : comment ne pas aimer, fût-ce en souriant un peu, cette passionnée tendre, aux propos naïfs et colorés, qui portait en elle un si grand foyer de charité et un si inépuisable trésor d’illusions, cette sainte échappée du chariot de Thespis, et que son indigence et ses habitudes de demi-bohème faisaient si particulière et pittoresque à son insu ? […] Il comprit que ni l’indépendance et l’infinie curiosité de son esprit toujours en quête, ni ses habitudes irrégulières de célibataire sans-gêne et assez peu dégoûté, n’auraient pu se plier à la loi du mariage.
Elle l’a englué dans la toile d’araignée de l’habitude ; elle l’a confiné dans les malpropretés et les médiocrités du petit ménage, elle l’a isolé de ses maîtres, de ses amis, du monde vivant, de l’air extérieur. Elle l’a pris par la paresse, par l’insouciance, par l’habitude, par les détails de la vie courante, par tous les boutons d’habit et de chemise qu’un artiste peut casser sur lui en un jour.
Telles sont ces lettres que j’ai voulu laisser dans toute leur naïveté et avec tout leur caractère, pour montrer dans leur juste proportion les différentes parties, tant poétiques et morales que prosaïques et vulgaires, de l’âme et de l’habitude ordinaire de Bernardin. […] [NdA] On conçoit qu’un pauvre voyageur comme l’était alors Bernardin de Saint-Pierre se préoccupe à ce point des détails de poche et d’économie, et y entre par sous et deniers : mais il n’en perdra jamais l’habitude, même lorsqu’il sera au-dessus du besoin.
Le caractère, l’éducation, les habitudes des Français n’ont rien d’artiste. […] Mais, nous dira-t-on, Phèdre, Iphigénie, Œdipe, etc. etc., n’étaient que des imitations des anciens, habilement appropriées à notre système et à nos mœurs dramatiques, et vous voulez imposer au public la représentation de traductions fidèles de Shakespeare. — Sans doute ; et en voici les raisons : la disposition des cirques antiques, l’intervention du chœur, les grandes robes et les masques des acteurs, les rôles de femmes joués par des hommes, enfin l’extrême simplicité de l’action et l’ordre tout païen des idées et des sentiments, eussent formé de trop choquantes disparates avec nos habitudes sociales et notre civilisation chrétienne, pour que la tragédie grecque pût être posée toute droite sur notre théâtre, comme une statue qui change de piédestal.
Les peintures que font les anciens historiens des mœurs, des habitudes, des institutions de ces peuples, semblent avoir été écrites aujourd’hui par des voyageurs qui en arrivent. […] Alors ils auraient pu, avec toute leur science, trouver la raison de la filiation des langues et des transformations des mots lorsqu’ils passent d’une langue dans une autre ; ils auraient pu, après avoir remarqué que le son de la voix est un trait physiognomonique très important dans l’homme, peut-être le plus important de tous ; ils auraient pu, dis-je, remarquer combien est caractéristique aussi l’accent qui signale les peuples divers et qui anime leurs langues ; ils auraient pu remarquer qu’il y a des familles et des nations distinguées par l’analogie des sons de la voix comme par celle des lignes de la figure, ou des couleurs de la peau et par les habitudes des cheveux.
Auguste Barbier, ce grand poëte d’un jour et d’une heure, que la renommée a immortalisé pour un chant sublime né d’un glorieux hasard, mais qui dans l’habitude, ainsi que l’atteste son recueil des Silves 36, est plutôt une âme douce, tendre, naïve ; une âme cherchante, un peu incertaine ; une muse timide, le croirait-on ?
Mais d’habitude il se range sous leur baguette, en se dédommageant par un brocard.
Les critiques d’humeur et d’habitude étaient pires que tout : gens hargneux, qui faisaient profession de tout déchirer, et de défaire à belles dents les réputations.
Lisez la lettre du prince de Ligne que je résumais tout à l’heure ; et vous verrez comment l’habitude des relations mondaines, de la pensée abstraite, du langage élégant et analytique a dégradé l’admirable thème lyrique que la disposition momentanée de son âme lui avait ouvert.
Mais en répondant à l’appel de Sainte-Beuve, il retint de la forte discipline de Benoist une méthode impersonnelle et rigoureuse, le respect des textes et des faits, l’habitude de l’enquête patiente et scrupuleuse, la défiance de l’esprit brillant et de l’esprit de système.
En un mot, nous avons eu longtemps beaucoup de très mauvaises habitudes ; nous en avons encore quelques-unes.
C’est l’habitude des philosophes anglais de comprendre, dans leur étude des phénomènes affectifs, celle des plaisirs et peines que nous causent le beau et le laid, le bien et le mal.
Avec les dispositions d’un pareil peuple, abandonner au hasard la direction des théâtres, ne s’en réserver aucune, ne pas user de ces grands organes, de ces foyers électriques d’action sur l’esprit public, ne pas assurer une existence régulière à trois ou quatre d’entre eux qui, à force de zèle et d’activité, à force de bonnes pièces, de nouveautés entremêlées à la tradition, fassent concurrence aux théâtres plus libres et empêchent qu’on ne puisse dire Paris s’ennuie, ou Paris s’amuse, à faire peur, ce serait méconnaître les habitudes et les exigences de notre nation, le ressort de l’esprit français lui-même.
C’est chez lui une ancienne habitude qui remonte à douze années.
Ce n’est donc que par l’habitude où nous sommes de nous prêter à toutes les suppositions établies sur le théatre par l’usage, que nous entrons dans celles qui font le noeud de l’Amphitrion et des menechmes, et je ne conseillerois à personne de composer une comédie françoise toute neuve dont l’intrigue consistât dans un pareil embarras.
Il y a une force interne qui les fixe en dépit des sollicitations à varier qui peuvent venir du dehors ; c’est la force des habitudes héréditaires.
On prend des renseignements sur l’aspect et la couleur du mouchoir où le grand homme enferme, la nuit, sa tête dantesque ; on apprend qu’il nourrit un goût dépravé pour les escargots cuits sur le gril ; — l’habitude malpropre qu’il a contractée de combattre ses irritations de nez avec du suif de chandelle n’est plus un mystère ; on sait que le pingre a refusé hier un manchon aux sollicitations de sa femme… On le guette, on le suit, on le traque — on le connaît de sa salle à manger à son alcôve.
D’abord tout bas, pour que l’on comprenne leur pensée ; car la plupart d’entre nous, par l’effet de l’habitude, ne comprennent guère qu’à moitié ce qu’ils lisent tout haut ; ensuite à haute voix, pour que l’oreille se rende compte du nombre et de l’harmonie, sans que, cette fois, l’esprit laisse échapper le sens, puisqu’il s’en sera préalablement rempli.
Ajoutez à ce tempérament de la race, développé pendant des siècles par toutes les habitudes sociales, le sentimentalisme imbécile de la vieillesse dans lequel s’effondrent les peuples autant que les individus.
Ce désaccord profond entre le tempérament, ou la seconde nature d’une longue habitude, et la métaphysique qu’on s’est arrangée dans l’intelligence, établit un contraste choquant entre l’esprit qui a pensé la Science de la main et le talent qui l’a écrite.
Louis Teste a insisté beaucoup dans sa biographie, avec la préoccupation moderne qui est de voir tout dans la science, sur les habitudes studieuses et la profonde érudition de Léon XIII.
Assurément, l’auteur de La Religion romaine a trop l’habitude de l’histoire pour ne pas savoir où il tend et où il va ; mais il a la finesse ou l’hypocrisie de ne pas le dire, et c’est la route faite que vous apercevez enfin où cet insinuateur vous a mené !
Theiner, qui, par la nature de son esprit autant que par les habitudes de sa vie, doit incliner aux méditations profondes, avant d’écrire son Clément XIV aura-t-il pensé à tout cela ?
Rat de bibliothèque, lui, et même un vieux rat, fonctionnant et perçant et trouant à travers les bouquins depuis des années, il ronge non pas d’une dent superbe, — dente superbo , — mais d’une dent qui a l’habitude de la chose, la bure ou la serge de la Carmélite.
Ses habitudes de bibliophile lui feraient-elles tort comme écrivain ?
D’organisation et d’habitude, elle a peut-être gardé d’un passé qu’on ignore je ne sais quelle pente vers les choses qui préoccupent et dominent la pensée et l’imagination de son temps ; peut-être même que sans l’amour, avec toutes les notions fausses qui circulent présentement autour de nos têtes, dans ce misérable siècle égaré, elle aurait incliné, elle aussi, vers le bas-bleuisme universel.
Flaubert, qui est un véritable nosographe de la corruption, est très-différent du premier de tous les vices acquis, de toutes les lâches habitudes contractées.