L’un emprunte ses images et ses couleurs aux spectacles qu’il décrit ; et lors même qu’il veut peindre les douleurs morales, il s’attache plus à en faire voir la pantomime qu’à en analyser les effets intérieurs.
Une philosophie, perverse sans doute, m’a porté à croire que le bien et le mal, le plaisir et la douleur, le beau et le laid, la raison et la folie se transforment les uns dans les autres par des nuances aussi indiscernables que celles du cou de la colombe.
L’art, dans sa haute sérénité, peut devenir une consolation aux plus grandes douleurs, mais c’est à la seule condition qu’il n’y ait point de rapports entre lui et d’éternels souvenirs … Pour moi, lorsque j’entends la musique de Wagner, j’entends la marche des soldats du vainqueur, le chant de ses triomphes, les sanglots de la défaite.
La princesse, dans la tombée molle d’un grand manteau de laine, et sur la figure un foudroiement étonné, était superbe de douleur.
Tout devint littéraire à mes yeux, même ma propre vie, qui se répercutait, avec ses impressions, ses piétés, ses affections, ses joies ou ses douleurs, dans mes vers.
On y trouve des comparaisons heureuses qui ne servent qu’à irriter sa douleur, des images tristes, dont la recherche n’est que trop naturelle à une personne véritablement touchée.
Au sortir d’une crise rhumatismale, on peut éprouver de la gêne, voire de la douleur, à faire jouer ses muscles et ses articulations. […] Que dirait-on pourtant de celui qui ne verrait dans notre sentiment habituel de mouvoir bras et jambes que l’atténuation d’une douleur, et qui définirait alors notre faculté locomotrice par un effort de résistance à la gêne rhumatismale ?
… Il allait, s’oubliant dans les douleurs d’Élise.
Les habitants de Saint-Savin, dans les Pyrénées, « peignent avec des larmes de douleur leur consternation » à l’idée qu’on va supprimer leur abbaye de Bénédictins, seule fondation de charité dans ce pays pauvre.
Mais tous les témoins n’étaient pas dans le secret des royalistes ; tous n’étaient pas préparés à revenir sur leurs premières dépositions, et il restait un nommé Roland, autrefois employé dans l’armée, qui répétait avec douleur, mais avec une persistance que rien ne pouvait ébranler, ce qu’il avait avancé dès le premier jour.
Horace, brisé de douleur par la mort de Mécène, tomba malade à Rome le 27 novembre, et mourut d’amitié comme il en avait vécu.
Le scepticisme politique est un aveu de plus du néant de la vie ; cet aveu est une douleur de l’esprit, mais il n’est pas une offense à la vérité.
sa douleur est extrême.
L’intuition n’a de sens pour nous qu’à la condition de s’alimenter à la source de la vie, dans notre sensibilité personnelle, dans notre personnelle manière de sentir et de réagir, dans nos passions, nos joies et nos douleurs, dans toute notre nature sensible, spontanée et primesautière.
Elles nous en reproduisent les puissantes émotions par une représentation fictive, dont la douleur et la crainte égoïste seules sont exclues ou plutôt transmuées en un doux et lent frémissement de lointaine anxiété, tandis que s’exaltent par contre ce que le monde contient de grand, d’intense, d’embrasé.
Jérusalem, objet de ma douleur, Quelle main en un jour t’a ravi tous tes charmes ?
Je quitterai le fond de cet antre et j’y laisserai la mémoire importune du moment, dit une femme, et elle ajoute : si l’on m’a trompée et que la mélancolie m’y ramène, je m’abandonnerai à toute ma douleur.
Le changement le plus marqué qu’on y ait fait, est à ce vers : Ô ciel, pardonne-moi la douleur qu’il me donne.
Le 23 juillet 1898, étant assez malade et fort souffrant, j’ai prononcé, aux obsèques de mon noble ami, le recteur Auguste Couat, un discours où j’ai dit de quelles douleurs ce juste était mort : d’une terrible épreuve domestique, et de la patriotique tristesse que lui causait, dans le drame où l’on a vu et où l’on voit encore tout le parti de la nuit et du crime se liguer contre la réparation d’une erreur judiciaire, le spectacle « des maux et des hontes de son pays. » C’est presque inconsciemment que je parlais ; en toute franchise, je ne croyais rien faire ni rien dire d’extraordinaire ; je suivais une irrésistible et toute puissante impulsion intérieure de passion et de conviction ; simplement, je disais la vérité. […] Il semble, au contraire, que tu exultes de ce qui est un sujet de douleur et d’humiliation. […] Une vraie douleur doit l’étreindre à la pensée de tous ceux qu’elle ignorera nécessairement, en particulier de ces pauvres sots, qui ont peut-être du génie, et que leur fierté empêchera toujours de mendier la ligne encourageante dont leur début aurait tant besoin ! […] Souvent, dans les Salons et dans les ventes publiques, Lorron avait eu la douleur de voir ses œuvres exposées sous des noms étrangers qui les recommandaient… Il se tua. […] Ce sont des sentiments, tellement sûrs d’être fondés en raison, qu’ils exigent avec une foi intolérante que tout être raisonnable les partage, mais condamnés par leur nature même à l’humiliante douleur de ne pouvoir triompher de la contradiction par aucune preuve que la raison soit forcée de trouver victorieuse.
Un peu plus tard, et presque au moment où Corneille fit jouer sa première tragédie, Raissigner, avocat languedocien, protégé du duc de Montmorency et amant malheureux, lança sur la scène plusieurs pastorales de mauvais goût et qui peignaient la douleur de son âme méconnue. […] Elle lui dit : — Qui peut à vos douleurs donner de l’allégeance ? […] Il avait la pierre ; il entrait quelquefois en scène, souffrant le martyre et son visage accusant la douleur ; sa contenance triste, ses yeux baignés de larmes contrastant avec ses rôles plaisants et ses lazzis, réjouissaient outre mesure les nombreux spectateurs dont pas un ne soupçonnait la vérité. […] La douleur que ressentirent les deux autres membres de l’inséparable trio fut si grande, lorsqu’ils apprirent la mort de leur ami, que, dans la même semaine, l’un et l’autre descendirent au tombeau. […] Fuis de moi, femme, fuis ; et, cachant tes douleurs, Souviens-toi qu’un Romain punit jusques aux pleurs ?
qualifier d’âne un pauvre ignorant Malgré soi, qui, depuis soixante ans, s’étudie A lutter contre un mal qui, sans cesse empirant Par tout ce qu’on ignore et tout ce qu’on oublie, Ne prend fin qu’au séjour de l’éternelle vie, C’est trop fort ; pour de bon je me fâche, et dût-on Murmurer sur mes pas le vilain mot d’envie, Je vais dire pourquoi, le prenant sur ce ton, Il me traite, n’étant pas Voltaire, en Fréron : C’est qu’en son œuvre grande à la fois et difforme Où, pour lui prendre un mot qu’il a fort caressé, Tout, jusqu’à la chanson amoureuse, est énorme, Du détail ébloui, du tout je suis lassé ; Qu’une larme jamais par ses vers suscitée, De mon cœur frémissant à mes yeux n’est montée ; Qu’en aucun des sujets que résume l’humain, Dieu, l’âme, la douleur, la mort, son lendemain. […] La douleur que je ressentais en ces jours-là n’est pas tellement émoussée à cette heure, que j’en trouve après dix ans l’expression exagérée. […] Aujourd’hui, vieux, languissant, incapable de le détendre ni du bras, ni de la parole, ni de la plume, il faut que je le voie ravagé par la pire espèce de barbares, des barbares savants et méthodiques, qui ont inventé l’art de tuer les armées au jugé, et de vaincre sans voir ni être vus ; et je cherche, parmi tous les amours d’où nous viennent les suprêmes douleurs, lequel comparer à l’amour que je ressens pour mon infortuné pays.
Le second de ces recueils nous offre des poèmes inspirés de l’antiquité, « La Douleur d’Héraclès », « La Naissance d’Apollon », « La Prière d’Hippolyte », ou des descriptions de paysages. […] Vigoureuse et vaillante, la sève jaillit, une autre religion est née, celle des hommes et de l’univers : Celui qui me lira dans les siècles, un soir, Troublant mes vers, sous leur sommeil ou sous leur cendre, Et ranimant leur sens lointain pour mieux comprendre Comment ceux d’aujourd’hui s’étaient armés d’espoir ; Qu’il sache avec quel violent élan, ma joie S’est à travers les cris, les révoltes, les pleurs, Ruée au combat fier et mâle des douleurs, Pour en tirer l’amour, comme on conquiert sa proie. […] D’abord provoquée par un sentiment de justice, son humiliation lui procure bientôt une sorte de volupté ; au dernier acte, dans sa folle douleur, il puise une folle jouissance : sa confession devient une orgie.
Dans le second : le desespoir de sa famille, et la douleur sombre et effrayante avec laquelle il s’en sépare. […] Ces antithèses continues et qui sous de nouvelles figures redisent toujours la même chose, sentent bien plus un poëte qui réve un sonnet, qu’un amant qui exprime sa douleur. […] Il abandonne son maître dans le péril ; il revient sans blessure annoncer sa mort ; et le lâche est réduit, pour ne se pas perdre d’honneur, à feindre que son maître a peri dans une forêt sous les efforts d’un lion monstrueux : sa douleur et les vêtemens ensanglantés qu’il rapporte à Jocaste donnent du poids à son mensonge.
C’est à seize ans qu’il composait son Sursum corda, dont une simple Stance révèle toute l’inspiration : … Quand la douleur t’étreint, sois heureux de souffrir : Il vit, et tu vivras si tu le suis. […] A peine si tu la sentiras, c’est ce que je peux souhaiter de mieux à mes amis, à toi, à moi-même. » Et pour finir : « Le meilleur fruit de notre science est la résignation froide qui, pacifiant et préparant l’âme, réduit la souffrance à la douleur du corps. » En recopiant ces amères sentences, une après-midi me remonte à la mémoire du fond des années. […] Eux non plus, n’articuleront pas la sinistre accusation ; et quand elle se précipitera dans l’Océan, du haut de la falaise, en cravachant son cheval pour le lancer dans l’abîme, elle emportera son secret inexprimé dans un au-delà auquel pourtant elle croit, puisqu’à un moment elle a voulu prendre le voile, et cette discipline sauvagement reniée a du moins scellé ses lèvres. « Le reste est silence. » Ces derniers mots par lesquels Shakespeare ensevelit Hamlet pourraient servir d’épitaphe à cette passionnée qui fuit dans la mort et sa douleur et son forfait d’âme.
douleur non encore éprouvée ! […] ô douleur ! […] Elle était tombée dans une léthargie profonde ; son âme, usée par la douleur, n’avait plus la force que donne le désespoir ; dans l’excès de son abattement, son poignard était échappé de ses mains. […] J’étais déjà si proche de ma fin, par l’affaiblissement que le jeûne et la douleur m’avaient causé, que j’eus besoin de quantité d’efforts pour me tenir debout.
De là les bons effets de l’exemple, des discours, de l’éducation, du plaisir, de la douleur, des grandeurs, de la misère, etc. ; de là une sorte de philosophie pleine de commisération, qui attache fortement aux bons, qui n’irrite non plus contre le méchant que contre un ouragan qui nous remplit les yeux de poussière. […] Rousseau, vous devenez méchant, injuste, cruel, féroce, et j’en pleure de douleur. […] J’en ai pleuré de rage en votre présence ; j’en ai pleuré de douleur chez moi, devant votre associé, M. […] Je donne tout ce que j’ai aux indigents de toute espèce qui s’adressent à moi, argent, temps, idées ; mais je suis si pauvre, relativement à la masse de l’indigence, qu’après avoir tout donné la veille, il ne me reste rien le lendemain que la douleur de mon impuissance.
Pascal domptait la douleur par le travail, et Archimède, occupé de la résolution d’un problème, ne percevait pas le bruit du combat qui se livrait dans les rues de Syracuse. […] Quand nous sommes sollicités à la fois par un plaisir de l’esprit et par un plaisir des sens, nous ne pouvons nous dédoubler et jouir intégralement et également de l’un et de l’autre ; nous nous abandonnons à celui qui s’impose avec le plus de force, de même que de deux douleurs, la plus forte éteint la plus faible. […] Ainsi, dans la comédie, quand une jeune fille pleure elle porte son mouchoir à ses yeux, et son air ainsi que le mouvement de sa poitrine suffisent à dessiner l’image du chagrin, parce que ces différents traits sont généraux et se retrouvent à peu près dans l’expression de toutes les douleurs de l’âme. […] Dès que l’action dramatique éveille en nous la sympathie que nous ressentons pour toute douleur ou toute joie, le décor échappe rapidement à notre attention, et la mise en scène disparaît à nos yeux.
Et je ne crois pas qu’on puisse lire ces pièces sans pardonner au poète jusqu’à ce grief-là, tant est profonde la douleur qu’il en a, et sincère son désir de se corriger. […] Ma foi naïve et pieuse s’agenouille devant toi ; mon amour te suit, frêle et doux comme un agneau ; — ma volonté se fond sous la chaleur de ton regard ; — et le calice de tes lèvres assoupit ma douleur. […] « Déjà, tandis que toi, heureux de vivre, — tu mêlais la fraîcheur des roses au noir de tes cheveux, — déjà la douleur a mêlé des fils d’argent à mes tresses blondes. — Pourquoi me tenter ? […] Et c’est encore, je crois, un des objets de cet Intermezzo d’accentuer la tendance pessimiste du roman, en nous montrant ce qui se cache de douleur et d’anxiété sous les apparences du bonheur le plus assuré.
Et cependant, au milieu de ce tourbillon nouveau et continuel, entièrement libre de ma personne, avec ma fortune, mes dix-huit ans et une figure avenante, je trouvais au fond de toutes ces choses la satiété, l’ennui, la douleur.
Tu n’es pas déjà trop solide sur tes jambes, mon pauvre enfant, au moins que tu n’aies pas cette douleur de plus.
Quelle douleur pour le savant et le penseur de se voir par leur excellence même isolés de l’humanité, ayant leur monde à part, leur croyance à part !
Or, le vrai don poétique, le don qui a été, quand les poètes des Livres sacrés sous les créations théogoniques enclosaient ce qui était conscient en eux de la nature des Choses, le don qu’une conception renovée de la Poésie rendra, nous l’espérons, unique demain c’est, il me semble, celui de pénétrer intuitivement de douleur et de volupté immense, le plus du mystère de notre Moi et du Tout, à la fois.
Ces chants, ces modulations, ces plaintes musicales avaient fait, tout à coup, remonter à la surface de nos cœurs saignants et vides, des douleurs enterrées, — lui, son Armand, moi, mon Jules, — et tous deux, nous repleurions nos bien-aimés.
La douleur, logique, mène à Dieu.
Mais les larmes sont aussi vaines, Lorsque, par le destin, nous sommes poursuivis, Que ces tristes accens d’une femme éplorée, Qui croit, dans la douleur dont elle est pénétrée, Faire, à sa voix, sortir les morts de leur sommeil.
Cette douleur a été réservée à ceux qui vivent longtemps, que leur foyer, sans cesse décimé par de nouveaux trépas, condamne à vieillir dans une perpétuelle tristesse et sous des noirs vêtements de deuil !