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286. (1940) Quatre études pp. -154

Mais ils ne sont pas allés jusqu’à la sensibilité pure, comme on dirait aujourd’hui ; encore moins jusqu’aux sensations primitives qui échappent à la conscience claire. […] Il a généralement préféré les solutions positives aux solutions négatives dans les grands problèmes qui n’ont jamais cessé de se présenter à la conscience. […] Ils ont été, plus qu’eux, conscients d’une discipline morale qu’ils violaient quelquefois, mais qu’ils n’oubliaient pas, et qui restait présente à leur conscience. […] C’est ainsi qu’il en va souvent : le créateur, qui a conscience de sa qualité unique, n’a pas conscience des moyens qu’il doit employer pour traduire son être profond. […] Voir Paul Hazard, La Crise de la conscience européenne, Paris, Boivin, 1935, II, 228 et suivantes.

287. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre IV. La philosophie et l’histoire. Carlyle. »

Et ce n’est point simplement de sa part conscience, habitude ou prudence, mais besoin et passion. […] —  Le bonheur d’une conscience satisfaite ? […] C’est qu’ils n’étaient point des fous, mais des hommes d’affaires ; toute la différence entre eux et les gens pratiques que nous connaissons, c’est qu’ils avaient une conscience : cette conscience était leur flamme : le mysticisme et les rêves n’en étaient que la fumée. […] Happiness of an approving conscience ! […] But what, in these dull unimaginative days, are the terrors of Conscience to the diseases of the liver !

288. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVe entretien » pp. 317-396

Cependant, qui que vous soyez, amis ou ennemis, mais hommes de cœur, sachez-le bien, vous ne m’enlèverez pas la conscience de vous avoir aidés pendant vos tempêtes. […] la religion recevra des hommes les temps qu’ils doivent au Tien (Dieu). » Les cinquante-huit chapitres du livre de Confucius sont partout pleins de ces maximes de religion rationnelle et de ces règles de gouvernement par la conscience. […] diront certains Européens. » VII Ce livre, comme nous l’avons dit, a donné l’empire aux lettrés comme à ceux dont l’intelligence, cultivée par de continuelles études, éclairait le mieux la conscience des règles de gouvernement consignées dans le texte de la philosophie raisonnée de Confucius. […] L’histoire est le miroir de ma conscience : dans les autres je vois ma propre image, et j’entends, dans le jugement que je porte de mes prédécesseurs, le jugement qu’on portera de moi-même. » « Ces sortes de journaux sont dans les mœurs de la nation chinoise. […] C’est pour moi, ajoute-t-il, une angoisse de conscience de juger selon les lois et de condamner ou de pardonner avec discernement.

289. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIIe entretien. Littérature politique. Machiavel (2e partie) » pp. 321-414

Sa conscience lui disait que la guerre n’était pas chrétienne, et qu’il valait mieux être un pontife de paix irréprochable devant Dieu qu’un grand tribun armé de l’Italie devant les hommes. Il écouta sa conscience. […] La conscience du pape s’y refusa une seconde fois à tout risque ; son ministre modérateur Rossi fut assassiné. […] Les cours l’accusaient de gâter, par excès de conscience, le métier de roi. […] Le Piémont reste immobile, le pape recule, la conscience du pontife universel retient le souverain.

290. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIe entretien. Balzac et ses œuvres (1re partie) » pp. 273-352

» Tout le monde finit par être de son avis : la conscience d’un écrivain de génie intimide les sots, foudroie les méchants, rassure les lâches ; c’est ce que Balzac trahit à mes yeux. […] Il faut se défier des hommes de conscience. […] Il se lia avec des libraires, et sacrifia quelque temps sa conscience à ses besoins. […] C’était une gaieté triste au fond, un désespoir de verve qui lui donnait la conscience de son prodigieux talent, mais le repentir de l’usage qu’il en faisait. […] mais j’ai aujourd’hui la conscience de ce que je suis et de ce que je serai !

291. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre V. Jean-Jacques Rousseau »

Un immense orgueil enfle ses théories : amour-propre de sensitif, suffisance d’autodidacte, vanité de timide, fierté aussi d’une conscience qui s’est faite péniblement, et de chute en chute s’est élevée toute seule à la moralité. […] A quelle influence Rousseau a-t-il été soumis, qui l’ait tiré de ses turpitudes, qui lui ait donné la conscience, qui l’ait élevé enfin à la moralité ? […] Il avait le droit, après ses propres expériences, de chanter ses hymnes à la conscience et à la liberté, par lesquelles il s’était relevé. […] Dans une crise douloureuse de sa conscience, Julie se relève de sa faute, purifie son âme, et la crée à nouveau : elle sort de l’église, où on la mène malgré elle, avec une volonté prête à l’effort moral. […] Et le pis est qu’après avoir demandé à l’homme le sacrifice de sa conscience, de sa pureté, de sa droiture, elle ne lui tient pas la promesse de bonheur par où elle l’a séduit.

292. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIe entretien » pp. 5-85

La main sur la conscience, et sans vouloir flatter personne ni nous flatter nous-même, nous ne le pensons pas. […] On ne se fait ni sa nature, ni sa conviction, ni sa conscience : à tort ou à raison, j’étais républicain conservateur. […] C’est ce scrupule de conscience seul qui me fit faire le manifeste à l’Europe. […] Je ne le nie pas, mais quelquefois un scrupule de conscience est la plus habile politique. […] Je laisse à la réflexion et à la conscience à prononcer.

293. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Il va jusqu’à dire que ce n’est pas seulement dans la mémoire et la conscience de l’humanité que subsiste, selon lui, l’œuvre de quiconque est digne de vivre, car il y en a, et des meilleurs, qui sont restés obscurs ; il ajoute que « c’est aux yeux de Dieu seul que l’homme est immortel. » Il peut y avoir dans tout ceci, je le sais, la part à faire à un certain langage poétique, métaphorique, dont l’écrivain distingué se prive malaisément. […] Dieu m’est témoin, vieux pères, que ma seule joie, c’est que parfois je songe que je suis votre conscience, et que, par moi, vous arrivez à la vie et à la voix. » Et voilà l’homme qu’une partie de la jeunesse française refuserait d’écouter avec respect, parlant dans sa chaire des études et des lettres religieuses et sacrées, sous prétexte qu’il a, comme critique, des opinions particulières ! […] C’est sa voie directe en effet, c’est sa vocation principale ; il ne se croit pas libre en conscience de l’éluder ; il s’obstine à cet enseignement, à ce but de toute sa vie scientifique, comme à un devoir. […] À peine, aux moments douteux, un frémissement léger (car toute foule est vivante) a-t-il averti le professeur qu’il vient d’effleurer une partie délicate et tendre de la conscience humaine et qu’il à à redoubler de délicatesse : et il est homme plus que personne à le sentir et à en tenir compte.

294. (1914) Une année de critique

Ils ne veulent pas étouffer l’appel pressant de leur conscience. […] De là une déformation de la conscience, une manière de quiétisme très particulier. […] Mais la volonté n’est que duperie, aux yeux de celui pour qui la conscience coïncide toujours avec une douleur. […] Nous embrassons ainsi d’un seul regard et la conscience de Félix, au moment où il croit aimer, et sa conscience au moment où il a fini d’aimer, la première nous étant révélée par le récit de l’auteur, la seconde par le commentaire de l’auteur. […] Les deux phases de conscience que distingue M. 

295. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface d’« Hernani » (1830) »

N’est-il pas permis à ceux autour desquels s’amassent incessamment calomnies, injures, haines, jalousies, sourdes menées, basses trahisons ; hommes loyaux auxquels on fait une guerre déloyale ; hommes dévoués qui ne voudraient enfin que doter le pays d’une liberté de plus, celle de l’art, celle de l’intelligence ; hommes laborieux qui poursuivent paisiblement leur œuvre de conscience, en proie d’un côté à de viles machinations de censure et de police, en butte de l’autre, trop souvent, à l’ingratitude des esprits mêmes pour lesquels ils travaillent ; ne leur est-il pas permis de retourner quelquefois la tête avec envie vers ceux qui sont tombés derrière eux, et qui dorment dans le tombeau ? […] Cette œuvre, non de talent, mais de conscience et de liberté, a été généreusement protégée contre bien des inimitiés par le public, parce que le public est toujours, aussi lui, consciencieux et libre.

296. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre III. Montaigne »

Son affection avait-elle conscience de ne lui rien devoir ? […] Il croit à la conscience, et à la raison, tellement qu’il s’en sert pour condamner la nature, ou la rectifier. […] Par elles, il est arrivé à cette grande vérité, qui, si l’on y regarde bien, est la conclusion de toute son argumentation prétendue sceptique : c’est que l’homme, en haut-de-chausses, en toge, ou dans sa nudité naturelle, assis dans un trône ou courbé sur la terre ingrate, est toujours l’homme, « ondoyant et divers » sans doute, mais identique à lui-même dans cette ondoyante diversité, portant partout dans le cœur les mêmes instincts plantés par la commune mère nature, et les mêmes notions essentielles dans la conscience et la raison. […] L’article essentiel de son programme, le blanc où il faut viser, c’est de former un bon jugement : c’est-à-dire une raison qui aille à la vérité, une conscience qui aille au bien. […] La conscience et la raison sont les pièces principales de cette délicate machine, dont l’éducation monte les ressorts pour la vie.

297. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’expression de l’amour chez les poètes symbolistes » pp. 57-90

Le monde s’est affranchi du dogme chrétien, mais sa momie pèse toujours sur les consciences. […] Chevrier dans la Revue indépendante (nºs d’août 1884 et de février 1885) réclame la liberté de la chair comme corollaire de la liberté de conscience et propose que tout être humain soit maître souverain de son être et de son corps comme de sa pensée, que le goût de l’individu soit la seule loi de ses passions et décrète que la morale, définie règle des mœurs, est une atteinte à la liberté. […] Même contradiction chez Remy de Gourmont qui juge la Chasteté « une aberration » mais qui y conforme ses humeurs et qui, après avoir raillé, comme puérils, ces scrupules de conscience, y revient avec une telle insistance qu’il ne fait que les renforcer et redouble son anxiété avec la nôtre. […] Or, voici à la suite de son exposé et de ses recherches sur la pathogénèse expérimentale, les réflexions qu’il nous suggère : L’humanité, issue de sa larve primitive, n’est arrivée à la conscience d’elle-même qu’après bien des avatars et il lui en reste davantage à parcourir avant qu’elle n’ait rempli ses destins et réalisé son point de perfection. […] Lisez les notes qu’il a publiées sous le pseudonyme de Tristan Noël, vous y trouverez une conscience tourmentée, des sentiments confus et troubles, tout le désarroi romantique, et ce subjectivisme aigu qui est tout l’opposé de l’enseignement des Maîtres.

298. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « André Chénier, homme politique. » pp. 144-169

Il montre ces efforts subversifs toujours renaissants et infatigables, et les oppose, pour la stimuler, à la tiédeur des honnêtes gens qui, ennemis de tout ce qui peut avoir l’air de violence, se reposant sur la bonté de leur cause, espérant trop des hommes, parce qu’ils savent que, tôt ou tard, ils reviennent à la raison ; espérant trop du temps, parce qu’ils savent que, tôt ou tard, il leur fait justice ; perdent les moments favorables, laissent dégénérer leur prudence en timidité, se découragent, composent avec l’avenir, et, enveloppés de leur conscience, finissent par s’endormir dans une bonne volonté immobile et dans une sorte d’innocence léthargique. […] Lui, qui eût été un digne soldat de l’armée de Xénophon, il sent toute sa conscience héroïque se soulever à l’idée de cette violation de la discipline et de l’honneur érigée en exploit. […] Par un sentiment délicat, il voudrait faire arriver une parole de consolation à son cœur : Puisse-t-il lire avec quelque plaisir, écrit-il, ces expressions d’une respectueuse estime de la part d’un homme sans intérêts comme sans désirs, qui n’a jamais écrit que sous la dictée de sa conscience ; à qui le langage des courtisans sera toujours inconnu ; aussi passionné que personne pour la véritable égalité, mais qui rougirait de lui-même s’il refusait un éclatant hommage à des actions vertueuses par lesquelles un roi s’efforce d’expier les maux que tant d’autres rois ont faits aux hommes ! […] Enfin, pour achever de dessiner cette noble figure d’un poète honnête homme et homme de cœur qui, dans la plus horrible révolution moderne, comprit et pratiqua le courage et la vertu au sens antique des Thucydide et des Aristote, des Tacite et des Thraséas, il ne faut que transcrire cette page testamentaire trouvée dans ses papiers, et où il s’est peint lui-même à nu devant sa conscience et devant l’avenir : Il est las de partager la honte de cette foule immense qui en secret abhorre autant que lui, mais qui approuve et encourage, au moins par son silence, des hommes atroces et des actions abominables. […] Quand les tréteaux, les tavernes et les lieux de débauche vomissent par milliers des législateurs, des magistrats et des généraux d’armée qui sortent de la boue pour le bien de la patrie, il a, lui, une autre ambition ; et il ne croit pas démériter de sa patrie en faisant dire un jour : Ce pays, qui produisit alors tant de prodiges d’imbécillité et de bassesse, produisit aussi un petit nombre d’hommes qui ne renoncèrent ni à leur raison ni à leur conscience ; témoins des triomphes du vice, ils restèrent amis de la vertu et ne rougirent point d’être gens de bien.

299. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre III : Examen de la doctrine de Tocqueville »

Or le bien des démocraties, quand elles sont sages et honnêtes, c’est qu’il y a un plus grand nombre d’hommes protégés dans leur honneur, dans leur conscience, dans leurs familles, dans leur travail. […] J’en citerai principalement trois : la liberté de penser, la liberté de conscience, la liberté de l’industrie. […] Enfin, s’il y a lieu à de graves discussions sur les rapports de l’Église et de l’État, il n’y en a pas sur l’indépendance de la conscience. […] Guizot au Père Lacordaire, les preuves vivantes et les heureux témoins du sublime progrès qui s’est accompli parmi nous dans l’intelligence et le respect de la justice, de la conscience, des droits, des lois divines, si longtemps méconnues, qui règlent les devoirs mutuels des hommes, quand il s’agit de Dieu et de la foi en Dieu. […] L’un aimait à se replier sur lui-même et à surprendre dans l’intimité de la conscience les différences les plus subtiles des faits intérieurs ; l’autre portait un regard non moins attentif sur les faits du dehors : il les démêlait avec le même plaisir, avec la même finesse, avec la même sincérité.

300. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Introduction »

Un second résultat, c’est de faire naître des questions vaines, factices, comme celle-ci : La conscience est-elle une faculté distincte ? […] Dans cette espèce de phraséologie, l’esprit apparaît souvent comme une sorte de champ dans lequel la perception, la mémoire, l’imagination, la raison, la volonté, la conscience, les passions produisent leurs opérations, comme autant de puissances alliées entre elles ou en hostilité. […] Mais l’investigation méthodique des faits de conscience demandant autant d’exactitude et de précision que n’importe quelle recherche de physique ou de mathémathiques, la méthode des facultés lui ressemble à peu près, comme le calcul de mon ami ressemble à un plan trigonométrique dressé avec soin. […] A étudier les états psychologiques au dehors, non au dedans, dans les faits matériels qui les traduisent, non dans la conscience qui leur donne naissance. […] On peut comprendre d’abord sous le nom de psychologie descriptive l’étude des phénomènes de conscience, sensations, pensées, émotions, volitions, etc., considérés sous leurs aspects les plus généraux.

301. (1874) Premiers lundis. Tome II « Étienne Jay. Réception à l’Académie française. »

Mais comme ç’aurait pu être par dédain de grand seigneur autant que par scrupule de conscience honnête, il a été constaté en outre que M. l’abbé de Montesquiou ne faisait pas fi des jetons, non pas des jetons de présence, puisqu’il ne venait pas, mais de la modique rétribution attachée foncièrement au fauteuil, même où l’on ne s’est jamais assis. Par cette espèce de juste milieu, l’abbé ex-ministre ne blessait ni Louis XVIII, ni sa conscience, ni l’Académie.

302. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Hartley »

., et de les résoudre en associations d’états primitifs de conscience, Hartley méconnaît ou esquive ces difficultés. […] En rapprochant, sur la foi d’une hypothèse d’ailleurs, la vibration nerveuse de la sensation, il pose les premières bases d’une explication nouvelle du rapport physique et du moral, qui consiste à tout réduire, en dernière analyse, à l’association d’un état de conscience et d’un mouvement ; nous la verrons se produire dans la deuxième période de notre Ecole.

303. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre VI. Harmonies morales. — Dévotions populaires. »

Nous ne parlerons point de ces Jubilés substitués aux jeux séculaires, qui plongent les chrétiens dans la piscine du repentir, rajeunissent les consciences, et appellent les pécheurs à l’amnistie de la religion. […] L’antiquité, plus sage que nous, se serait donné de garde de détruire ces utiles harmonies de la religion, de la conscience et de la morale.

304. (1887) La Terre. À Émile Zola (manifeste du Figaro)

Notre protestation est le cri de probité, le dictamen de conscience de jeunes hommes soucieux de défendre leurs œuvres — bonnes ou mauvaises — contre une assimilation possible aux aberrations du Maître. […] Il est nécessaire que, de toute la force de notre jeunesse laborieuse, de toute la loyauté de notre conscience artistique, nous adoptions une tenue et une dignité en face d’une littérature sans noblesse, que nous protestions au nom d’ambitions saines et viriles, au nom de notre culte, de notre amour profond, de notre suprême respect pour l’Art.

305. (1930) Physiologie de la critique pp. 7-243

Le libéralisme politique est la conscience d’un pluralisme dans l’État, conscience de plusieurs partis irréductibles, que le libéral ordinaire tolérera de bonne foi, mais dont le libéral raffiné, intégral, verra la pluralité, la coexistence, comme un bien à maintenir. […] Ces opinions, en s’opposant, prennent mieux conscience d’elles-mêmes, et en même temps elles se neutralisent. […] Si nous laissons de côté l’œuvre polémique de Boileau, si nous ne considérons que son apport de critique positive, nous voyons que l’objet de cette critique, c’est de prendre conscience de la nature, des limites et des règles des différents genres, et de donner aux écrivains la conscience claire de leurs genres, comme on donne à un artilleur ou à un cavalier la conscience de son arme, à un fonctionnaire la conscience de son administration, à un congréganiste la conscience de son ordre. […] Nous ne sommes pas juges de sa qualité morale : le juge c’est notre conscience morale. […] Alors, comme le bouquet et le corps, se marient dans le goût le plaisir et la conscience clairvoyante du plaisir.

306. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (5e partie) » pp. 65-128

Pour que cette communauté des biens soit juste, il faut supposer à tous les hommes la même conscience, la même application au travail, la même vertu. […] Comme ce peintre qui, désespérant de rendre l’expression complexe d’un sentiment mixte, jeta un voile sur la figure de son modèle et laissa un problème au spectateur, il faut jeter ce mystère à débattre éternellement dans l’abîme de la conscience humaine. […] — Non, répliqua le duc d’Orléans, je te remercie ; mais je ne veux d’autre œil que le mien dans ma conscience, et je n’ai besoin que de moi seul pour mourir en bon citoyen. » Il se fit servir à déjeuner, mangea et but avec appétit, mais non jusqu’à l’ivresse. […] Tu le vois, la route s’abrège, le but approche, songe à ta conscience et confesse-toi.” […] je leur ai tout donné, rang, fortune, ambition, honneur, renommée de ma maison dans l’avenir, répugnance même de la nature et de la conscience à condamner leurs ennemis !

307. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « M. Deschanel et le romantisme de Racine »

Le développement de la conscience psychologique emporte une certaine maîtrise de soi, mais non point peut-être une diminution de souffrance. […] Toute cette mythologie fait un singulier mélange avec le raffinement d’esprit et de conscience de la plus troublante des femmes de Racine. […] Il se peut que ce contraste même ravisse certains lecteurs, justement parce qu’il échappe à première vue et qu’on se sait gré de le découvrir, parce que Racine peut-être ne s’en doutait pas toujours, et qu’on se croit beaucoup d’esprit de démêler ce dont il n’avait pas conscience. […] Les personnages sont ainsi d’une clarté qui ne laisse rien à désirer ; aucun de leurs mobiles ne nous échappe ; aucun anneau ne se dérobe dans la chaîne serrée de leurs sentiments et de leurs états de conscience. […] Le phénomène moral qui consiste à céder à sa passion tandis qu’on l’observe et qu’on sait où elle vous conduit, la conscience parfaite et minutieuse dans le mal, dans le consentement à la passion funeste, n’est point rare chez les hommes extrêmement civilisés, à une époque où la sensibilité est plus fine, l’intelligence plus aiguisée et la volonté moins vigoureuse.

308. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre II : M. Royer-Collard »

Impérieuse et spontanée comme les connaissances de la raison et de la conscience, elle est digne de foi comme les connaissances de la raison et de la conscience. […] Pour achever, allez à la Salpêtrière : là, des hallucinations persistantes, d’une netteté accablante, indestructibles à la conscience la plus éclairée et à la raison la mieux avertie, vous montreront l’idée représentative dans toute sa plénitude et dans tout son ascendant. […] Donc la perception extérieure est une représentation du dedans, projetée et réalisée dans le dehors. — De la nature de la perception extérieure, de ses précédents, de ses suites, de ses vérités, de ses erreurs, jaillit cette phrase dix fois répétée et dix fois démontrée : la connaissance sensible est la conscience d’un simulacre intérieur, lequel paraît extérieur, sorte d’hallucination naturelle, ordinairement correspondante à un objet réel, opération qui mène par l’illusion à la vérité, qui trompe l’homme pour l’instruire, et, par les fantômes du dedans, lui révèle les substances du dehors13.

309. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « I. Leçon d’ouverture du Cours d’éloquence française »

Larroumet, ayant conscience de ce qu’il y avait d’inusité dans son procédé, s’en excusait dans sa préface, et plaidait presque humblement la cause de sa méthode. […] Il n’a fait pour le succès que ce que sa conscience d’historien autorisait. […] C’était chez lui conscience.

310. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre IV. L’antinomie dans l’activité volontaire » pp. 89-108

Que le moi se réduise, comme le veut Guyau, à une collection de petites consciences ; qu’il ne soit, comme le soutient M.  […] Guyau semble le faire dans le passage suivant : « De même que le moi, en somme, est, pour la psychologie contemporaine, une illusion, qu’il n’y a pas de personnalité séparée, que nous sommes composés d’une infinité d’êtres et de petites consciences ou états de conscience, ainsi l’égoïsme, pourrait-on dire, est une illusion. » (Esquisse d’une morale sans obligation.)

311. (1890) L’avenir de la science « Préface »

Pour nous, cependant, l’histoire de l’homme garde sa primauté, puisque l’humanité seule, autant que nous savons, crée la conscience de l’univers. […] Pour nous autres, idéalistes, une seule doctrine est vraie, la doctrine transcendante selon laquelle le but de l’humanité est la constitution d’une conscience supérieure, ou, comme on disait autrefois, « la plus grande gloire de Dieu » ; mais cette doctrine ne saurait servir de base à une politique applicable. […] Les hommes de bonne volonté ont toujours ainsi la conscience en repos.

312. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. John Stuart Mill — Chapitre I : De la méthode en psychologie »

Il rejette totalement, comme un procédé sans vertu, l’observation psychologique proprement dite, la conscience interne. […] Comte à l’expérience ainsi qu’aux écrits des psychologues, comme preuve que l’esprit peut non-seulement avoir conscience de plus d’une impression à la fois et même en percevoir un nombre considérable (six, d’après M.  […] D’ailleurs, en fait, nous savons ce qui se passe en nous-mêmes, soit grâce à la conscience, soit grâce à la mémoire, par voie directe dans les deux cas et non pas (comme cela arrive pour ce que nous avons fait en état de somnambulisme) uniquement par leurs résultats.

313. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — IV »

Du point de vue métaphysique, elles sont les moyens précisément par lesquels l’Être unique se conçoit autre qu’il n’est, en prenant conscience de lui-même dans la multiplicité phénoménale. […] Les vérités morales, c’est-à-dire celles qui, dans l’ordre vital, semblent aussi les dernières venues et se sont constituées, comme les vérités scientifiques, avec la collaboration ou tout au moins sous le regard de la conscience humaine, les vérités morales vont aussi nous laisser voir, malgré le masque rigoureusement dogmatique qu’elles affectent durant le temps de leur règne, leur caractère éphémère et leur rôle secondaire de moyens pour procurer des fins très différentes des buts vers lesquelles elles ordonnent de tendre. […] C’est ainsi que la vérité chrétienne ayant réalisé en Europe l’un de ses effets indirects les plus importants, le peuplement des grands territoires occidentaux, s’effrite peu à peu parmi les consciences.

314. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre V. Les esprits et les masses »

Existence, c’est conscience. […] Il ajouterait ici, si cela valait la peine d’être dit, que, la part faite à l’erreur possible, ce mot, sorti de sa conscience, a été la règle de sa vie. […] La salle est comble, la vaste multitude regarde, écoute, aime, toutes les consciences émues jettent dehors leur feu intérieur, tous les yeux éclairent, la grosse bête à mille têtes est là, la Mob de Burke, la Plebs de Tite-Live, la Fex urbis de Cicéron, elle caresse le beau, elle lui sourit avec la grâce d’une femme, elle est très finement littéraire ; rien n’égal les délicatesses de ce monstre.

315. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

Ce sont des questions de littérature et d’art presque toujours rattachées à l’analyse de la conscience et du cœur. […] Les grands esprits, les saintes consciences, sont ainsi environnés d’une atmosphère qui calme et fortifie. […] La grâce est donnée à tous ; toute conscience humaine est libre d’y concourir. […] La poésie primitive est une voix spontanée sortie de la conscience même des générations. […] Quelle est, dans la conscience de César, le point de départ de ses aspirations à gouverner Rome et le monde ?

316. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Jean-Jacques Rousseau »

Et tous et chacun de ces dix mille n’étaient-ils pas l’incarnation vivante de la justice, de la conscience et de la loi ? […] Il ne fut question ni d’enfants, ni de pères, ni de majeurs, ni de mineurs, ni de hiérarchie, ni de famille, mais de boules ; et l’honneur, la vérité, la conscience, ce fut le scrutin.

317. (1915) La philosophie française « II »

C’est toujours à la conscience qu’elle fait appel ; seulement, elle note les indications de la conscience chez le malade, au lieu de s’en tenir à l’homme bien portant.

318. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins » pp. 185-304

Mais il y a une plus haute critique qui touche à la morale et qui est, pour ainsi dire, la conscience du genre humain ; c’est celle qui s’attache à l’histoire et qui, au lieu d’être une grave controverse de mots, est une sévère correction de principes. […] Ce n’est point un acte de contrition, c’est un acte de conscience : on en jugera. […] Cela révoltait en moi ma conscience de royaliste et d’honnête homme. […] Il n’y avait, pour un jeune royaliste tel que moi et pour un homme de gouvernement quand même, aucune conscience, aucune décence, aucun honneur à se jeter dans ce parti comme dans un asile de vaincu cherché parmi les vainqueurs de 1830. […] Je n’achève pas, mais je vous déclare en conscience que, bien qu’étranger et voulant rester étranger personnellement à la cause de la dynastie qui représente en ce moment la royauté, je sors d’ici l’esprit épouvanté pour mon pays des conséquences de la résolution que vous venez de prendre.

319. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1860 » pp. 303-358

Il nous arrête à une petite image de bal qui ressemble à un bal d’insectes, et dont il moque la maigreur, et la conscience des parquets, et le fini et le précieux, mais où il rencontre l’animation du bal, et une opposition assez satisfaisante des blancs et des noirs, des habits et des robes, — toutefois en déclarant que, dans ce temps, il n’avait pu encore arriver ni aux noirs ni aux gris veloutés. […] Il y a des esprits qui naissent domestiques et faits pour le service de l’homme qui règne, de l’idée qui réussit, du succès : ce terrible dominateur des consciences, — et c’est le plus grand nombre, et ce sont les plus heureux. […] « C’est inadmissible, dit Gautier, vous figurez-vous mon âme gardant la conscience de mon moi, se rappelant que j’ai écrit au Moniteur, quai Voltaire, 13, et que j’ai eu pour patrons Turgan et Dalloz… » Coupant Gautier, Saint-Victor jette : « L’âme de M.  […] Moi je n’ai peur que de ce passage du moment, où mon moi entrera dans la nuit, où je perdrai la conscience d’avoir été… — Il y a cependant un grand horloger, balbutie timidement Claudin. — Ah ! […] Nous causons ce soir de la vie antédiluvienne qu’on doit mener ici, une vie qui ne doit pas avoir plus de conscience d’elle-même que la conscience du sable dans le sablier… Et comme, en causant, nous tripotons quelques bibelots achetés ici, Saint-Victor nous conte à ce sujet le plus beau trait d’amour et de bibeloterie qui soit : Charles Blanc rapportant à sa maîtresse, de Copenhague à Paris, un service à thé de porcelaine de Saxe, — sur ses genoux.

320. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre V. Le Bovarysme des collectivités : sa forme idéologique »

Au xvie  siècle, tandis que les nations du sud de l’Europe, assagies et civilisées naguère par la culture romaine, se contentaient du frein catholique dont la puissance était déjà amoindrie, les races du nord plus proches de la sauvagerie barbare et qui avaient besoin pour se maîtriser de contraintes majeures, composèrent avec le protestantisme une religion nouvelle : celle-ci plus proche du christianisme des origines, exigeant un exercice constant de la conscience individuelle, leur donna un frein d’une puissance d’inhibition plus grande et mieux appropriée à leur violence. […] De fait il semble que, sous couleur d’anticléricalisme, une forme nouvelle de la moralité, cette religion humanitaire qui fut élaborée par la nation anglaise, travaille à s’insinuer dans les consciences françaises et à s’y substituer à la croyance des uns et au scepticisme des autres. […] Prenant conscience de lui-même dans le cerveau des nouveau-venus, il va se concevoir autre qu’il n’est, s’essayer à des gestes auxquels il est inhabile et qui ne sont pas appropriés à son anatomie. […] Mais il suit de là également que la collectivité nationale va pâtir si elle est dupé du déguisement idéologique sous lequel un intérêt étranger tente de s’imposer à sa conscience. […] C’est cette religion qui à son tour fixa la forme des institutions sociales et voici les premiers actes par lesquels la croyance ancienne, retirée du terreau physiologique où elle avait germé, abstraite et détachée du souci humain dont elle était la servante, devint une idée dogmatique à qui il appartint de gouverner des consciences sans justifier de son droit.

321. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre septième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie. »

Il serait étrange de refuser aux hommes supérieurs la conscience de leur propre valeur, toujours amplifiée par l’inévitable grossissement de l’illusion humaine. « L’Eternel m’a nommé dès ma naissance, s’écriait le grand poète hébreu. […] Le savant aura beau sourire des larmes du poète ; même dans l’esprit le plus froid, il y a une multitude d’échos prêts à s’éveiller, à se répondre ; une simple idée, venue par hasard, suffit à en appeler une infinité d’autres, qui se lèvent du fond de la conscience. […] La conscience de notre ignorance, qui est un des résultats de la philosophie la plus haute sera toujours un des sentiments inspirateurs de la poésie. […] On reconnaît la Profession de foi du vicaire savoyard mise en beaux vers, avec un accent qui rappelle les idées de Swedenborg sur le ciel intérieur à la conscience même, sur l’enfer également intérieur. […] Il semblerait qu’il ait eu conscience de l’affinité qui existe entre lui et « cet âge » qu’il nous confesse avoir toujours aimé « à la folie ». — « C’est mon opinion de gâter les enfants », ajoute-t-il bien vite.

/ 1833