/ 2930
774. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre II. La commedia dell’arte » pp. 10-30

Aux quinzième et seizième siècles, la comédie improvisée devint un art très savant qui lutte avec la comédie régulière, qui crée plus que celle-ci des caractères durables, qui laisse dans l’imagination des peuples une trace plus profonde, et qui se vulgarise et se popularise dans toute l’Europe. […] Chacun pouvait se faire un fonds plus ou moins riche de traits conformes à son caractère. […] Il nous paraît bien représenter le type dans son caractère général : il a dans son vêtement l’ampleur que Pierrot a conservée jusqu’à nos jours ; il porte le sabre de bois qui resta propre à Arlequin ; il est coiffé du chapeau souple, susceptible de revêtir les formes les plus étranges, rendu célèbre notamment par le fameux pitre Tabarin.

775. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre X. L’antinomie juridique » pp. 209-222

Après avoir eu tout d’abord exclusivement le caractère d’une institution sociale, d’une force sociale contraignante, le droit est devenu de plus en plus un sentiment de la conscience individuelle. […] Il est vrai que beaucoup de juristes, aujourd’hui, protestent contre le caractère mécanique de l’administration de la justice et réclament l’individualisation de la peine. […] Le caractère absolutiste de la loi est atténué par plusieurs causes qui ont joué un rôle dans le passé et qui continuent encore à agir dans le présent. — L’une de ces causes est l’influence de la jurisprudence qui est une sorte de casuistique judiciaire, une adaptation du droit aux individus et aux cas particuliers.

776. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXVIII » pp. 305-318

. — L’indignation de La Bruyère sur les clefs des Caractères. […] Un poète qui peint des caractères fait comme le peintre de paysage : il emprunte des détails partout où il en trouve qui rient à son imagination et conviennent à ses vues ; il les rapproche, il les sépare de manière à en tirer des effets. […] Dans la clef qu’on a donnée des Caractères de La Bruyère, sur cent noms propres, il s’en trouve quatre-vingts dont l’auteur n’a jamais entendu parler.

777. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Abailard, et saint Bernard. » pp. 79-94

Ils ont commencé tous deux à décider la caractère des écrivains de la nation. […] Un homme de ce caractère n’aime point à voir sa considération partagée. […] Il mourut réputé le Thaumaturge de l’Occident, pour le nombre & le caractère de ses miracles ; un père de l’église, pour l’excellence de ses écrits ; un chef zélé de moines, pour le nombre & la magnificence des établissemens qu’il leur procura.

778. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Camille Desmoulins » pp. 31-44

Armé, il l’était comme personne ne le fut peut-être par la nature de son esprit étincelant, acéré et rapide ; mais il ne l’était pas par le caractère, les principes, la conviction réfléchie et la dernière ressource de la vie, — une profonde moralité. […] » Comme tous les hommes qui n’en ont pas, il parlait incessamment de son caractère, et demandait une caverne pour s’y retirer avec sa femme et son enfant… Je ne sais pas si je me trompe, mais la cave sinistre de Marat a plus de grandeur que cette caverne sentimentale et poltronne de ce mari de Greuze dans l’embarras. […] Il n’avait de langage et de style que la plume à la main, homme de lettres jusque-là que, quand vous lui ôtiez sa plume, il était désarmé de tout, et que son esprit valait alors son caractère.

779. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Duranty » pp. 228-238

Duranty, mais ce pathétique vient de gens et d’événements si communs qu’ils ne vous touchent plus ; et quand, parmi ces gens si profondément communs, tous tant qu’ils sont, il y a un caractère qu’au moins le romancier devrait sauvegarder de la vulgarité générale, puisque c’est celui de son héroïne, sur le malheur de laquelle il a pour but de nous attendrir, le croira-t-on ? […] J’ai pensé enfin qu’Henriette serait tout le roman, mais il a fallu en rabattre quand j’ai vu ce caractère, soutenu jusque-là, s’affaisser tout à coup au dénoûment du livre et finir par la platitude ordinaire de l’inconséquence, de la faiblesse et de la consolation ! […] d’aplatir Henriette, ce caractère qui n’aurait pas été moins vrai quand il serait resté plus ferme, et qui aurait été alors émouvant et beau.

780. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre V. Des Grecs, et de leurs éloges funèbres en l’honneur des guerriers morts dans les combats. »

La beauté du climat, en développant leur imagination, leur donnait un caractère enthousiaste et sensible ; la liberté élevait leurs âmes ; l’égalité des citoyens leur faisait mettre un grand prix à l’opinion de tous les citoyens ; la loi, en permettant à chacun d’aspirer aux charges, et de décider des affaires de l’État, leur défendait de se mépriser eux-mêmes ; les arts vils, abandonnés à des mains esclaves, les empêchaient de se flétrir sous les travaux ; les exercices et les jeux les donnaient continuellement en spectacle les uns aux autres ; la multitude des petits États établissait des rivalités d’honneur entre les peuples ; enfin, les grands intérêts et les victoires leur donnaient ce sentiment d’élévation qui aspire à la renommée. […] Tel était le pouvoir de l’éloquence sur ces âmes sensibles, et la vigueur du caractère qui, chez les femmes même, faisait préférer la gloire à la vie. […] Son caractère ardent voulut donner à ses concitoyens un mouvement qu’ils n’étaient pas en état de suivre : leurs âmes, qui avaient perdu l’habitude des grandes choses, n’avaient plus que de l’imagination pour les sentir.

781. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre V. Autres preuves tirées des caractères propres aux aristocraties héroïques. — Garde des limites, des ordres politiques, des lois » pp. 321-333

Autres preuves tirées des caractères propres aux aristocraties héroïques. — Garde des limites, des ordres politiques, des lois La succession constante et non interrompue des révolutions politiques liées les unes aux autres par un si étroit enchaînement de causes et d’effets, doit nous forcer d’admettre comme vrais les principes de la Science nouvelle. […] Ce caractère historique des premiers pères de famille nous est conservé par l’expression spondere, qui dans son propre sens, veut dire, promettre pour autrui ; de ce mot fut dérivé celui de sponsalia, les fiançailles. […] Toutefois dans cette confusion, ils rencontrent par hasard une vérité, c’est que plusieurs coutumes anciennes des Romains reçurent le caractère de lois dans les deux dernières tables ; ce qui montre bien que Rome fut dans les premiers siècles une aristocratie.

782. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre VII. Dernières preuves à l’appui de nos principes sur la marche des sociétés » pp. 342-354

Les fondateurs du droit romain ne pouvant s’élever encore par l’abstraction aux idées générales, créèrent pour y suppléer des caractères poétiques, par lesquels ils désignaient les genres. […] Mais ils n’ont point considéré l’autre caractère des droits, non moins important que le premier, leur éternité. […] Ainsi fut préparée la définition vraiment divine qu’Aristote nous a laissée de la loi : Volonté libre de passion  ; ce qui est le caractère de la volonté héroïque.

783. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre V. »

Ces hymnes, pour l’élégance des vers, ne sauraient venir qu’après ceux d’Homère ; mais ils leur sont supérieurs pour le caractère religieux56. » Cela même peut expliquer la renommée singulière d’Orphée et cette gloire poétique, sans ouvrages qui la consacrent. […] Ce caractère devait être surtout marqué dans les sujets qui s’y prêtaient d’eux-mêmes, dans les hymnes de reconnaissance aux dieux, les Péans, les Prosodies, les Parthénies. […] Cette poésie avait dû prendre bien d’autres caractères, toucher bien d’autres sujets, probablement sous cette forme lyrique ou gnomique, mais toujours concise, qui, ce semble, était le mieux assortie à l’esprit sévère et occupé de Sparte.

784. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VII. Les poëtes. » pp. 172-231

. —  Ses caractères, ses œuvres, sa portée et ses limites. —  Comment il a son centre dans Pope. […] —  Sa personne. —  Son genre de vie. —  Son caractère. —  Pauvreté de ses passions et de ses idées. —  Grandeur de sa vanité et de son talent. —  Sa fortune indépendante et son travail assidu. […] Je ne trouve d’invention personnelle que dans ses épîtres sur les Caractères. […] Voyez son épître sur le caractère des femmes, si dure. À son avis, ce caractère se compose d’amour du plaisir et d’amour du pouvoir.

785. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVe entretien. Alfred de Vigny (2e partie) » pp. 321-411

« Ainsi ont été représentés les trois grands caractères sur lesquels repose le drame. […] Il faut un terme qui concilie ces deux nécessités de notre territoire et de notre caractère. […] Cette loi du caractère français ne vient qu’après, si elle peut venir. […] Il ne se déguise rien de l’abaissement des caractères individuels de l’armée, d’un côté ; de la beauté des dévouements, de l’autre. […] Mais ceux qui ont su nous voir de plus près ont remarqué ce caractère de mâle détermination qui survit en nous à tout ce que le frottement des sophismes a usé déplorablement.

786. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (2e partie) » pp. 97-191

Or il y a deux causes qui déterminent naturellement toutes nos actions : ce sont l’esprit et le caractère, qui, dans la vie également, décident toujours de nos succès ou de nos revers. […] Le caractère ou les mœurs, c’est ce qui distingue les gens qui agissent et permet de les qualifier ; et l’esprit, c’est l’ensemble des discours par lesquels on exprime quelque chose, ou même on découvre le fond de sa pensée. […] La nutrition peut être isolée de toutes les autres ; mais la sensibilité, qui est le caractère propre et premier de l’animal, ne va jamais sans la nutrition ; la locomotion suppose nécessairement la sensibilité, comme celle-ci suppose la nutrition. […] L’homme s’aperçoit alors avec le caractère éminent qui lui est propre, avec le caractère unique de la pensée. […] Disons toutefois que dans la philosophie de Platon, ce dogme a une importance et un caractère qu’il n’a point ailleurs.

787. (1925) Proses datées

Nous en distinguons mieux le caractère régulateur, le caractère en quelque sorte à la Malherbe. […] Ces divertissements ont souvent un caractère. corporatif. […] Il reproche à Lamartine de manquer parfois de caractère. […] Cette révélation, Baudelaire en a exprimé le caractère dans une lettre souvent citée. […] Sur la frise, les beaux caractères arabes déroulaient leurs inscriptions ornementées.

788. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « L’abbé de Bernis. » pp. 1-22

Duclos, son ami, l’un de ceux qui ont le mieux parlé de lui, et dont la brusquerie habituelle s’est adoucie pour le peindre, a dit : « De la naissance, une figure aimable, une physionomie de candeur, beaucoup d’esprit, d’agrément, un jugement sain et un caractère sûr, le firent rechercher par toutes les sociétés ; il y vivait agréablement. » Marmontel enfin, moins agréable cette fois que Duclos, et avec moins de nuances, nous dit : « L’abbé de Bernis, échappé du séminaire de Saint-Sulpice, où il avait mal réussi, était un poète galant, bien joufflu, bien frais, bien poupin, et qui, avec le Gentil-Bernard, amusait de ses jolis vers les joyeux soupers de Paris. » Cette figure ronde et pleine, cette belle mine rebondie et à triple menton, qui frappe dans les portraits de Bernis vieilli, il la prit d’assez bonne heure : mais d’abord il s’y mêlait quelque chose d’enfantin et de délicat ; et toujours, jusqu’à la fin, le profil gardera de la distinction et de l’élégance : le front et l’œil sont très beaux. […] Ces lettres de Bernis et de Duverney, qui n’ont rien de bien intéressant par le sujet, et qui ont été imprimées en 1790 avec les notes les plus ridicules et les plus impertinentes qu’on puisse imaginer, sont curieuses quand on les lit, comme je le fais, au point de vue de la biographie et de la connaissance des deux caractères. En même temps qu’on y sent chez Duverney la grandeur d’âme accompagnée de bonté et même de bonhomie, le caractère modéré, noble, humain et assez élevé de Bernis s’y dessine naturellement ; son esprit y laisse échapper des nuances et des aperçus qui ont de la finesse. […] Laissons-le parler lui-même, nous ne saurions dire aussi bien que lui : Quand on a des affaires à traiter dans les cours étrangères, c’est la manière dont on les conduit, ces affaires, qui fixe l’attention et qui décide de l’estime qu’on a pour vous ; mais, lorsqu’on n’a rien à démêler avec une cour, on est alors jugé d’après le personnel ; ainsi, l’on a besoin d’une grande attention pour éviter la censure d’une infinité d’observateurs curieux et pénétrants qui cherchent à démêler votre caractère et vos principes, sans que vous puissiez jamais détourner leur attention. […] La première commotion passée, il se dit avec ce bon sens et cette réflexion sans amertume dont il était pourvu et qui formait la base de son caractère : « Je n’ai plus de fortune à faire : je n’ai qu’à remplir honnêtement la carrière de mon état, et à m’acquérir la considération qui doit accompagner une grande dignité : pour cela la retraite est merveilleuse. » C’est sous cette dernière forme, non plus politique, non plus tout à fait mondaine, non pas absolument ecclésiastique, mais agréablement diversifiée et mélangée ; c’est dans cette retraite suivie et couronnée bientôt d’une grande ambassade, qu’il nous sera possible de l’étudier désormais en sa qualité de cardinal, et que nous aimerons à reconnaître de plus en plus en lui le personnage considérable, d’un esprit doux, d’une culture rare et d’un art social infini.

789. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — I. » pp. 134-154

Au lieu de voir en lui ce qu’il était avant tout, un caractère et une capacité rare, diverse et complexe, formée avec travail et appliquée au fur et à mesure aux diverses circonstances et difficultés de son temps, on lui prêta une doctrine générale, philosophique, d’après le Télémaque ou d’après les économistes. […] Daru a dit : « Je ne sais si cette manière de présenter les faits est prescrite par les convenances d’un éloge académique, mais il n’en est pas-moins certain que Sully chercha à tirer de ses charges le plus d’argent qu’il put ; ce sont ses expressions. » Et j’ajouterai : C’étaient les mœurs du temps, desquelles le personnage et le caractère de Sully ne sauraient se séparer. […] Le vrai caractère de Sully se déclare déjà mieux dans cette attention publique et constante à la gravité que dans quelque infraction particulière, s’il y est tombé. […] On peut regretter en ce style incommode, dans lequel on s’adresse continuellement à lui à la seconde personne, de ne pas trouver l’agrément ni la rapidité des mémoires ordinaires, et de n’y reconnaître qu’à peine le trait d’expression et la marque originale du narrateur ou de l’inspirateur même : mais n’est-ce pas aussi un premier caractère d’originalité, et plus significatif que tous les autres, qu’une telle forme ainsi adoptée et imposée durant une narration si longue ; et n’y voit-on pas déjà le ton et l’étiquette rigoureuse qui régnait dans ce château de Sully quand on s’adressait au maître ? […] Les caractères forts ne sont pas des esprits forts pour cela.

790. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — I. » pp. 41-61

La vraie manière de bien s’en rendre compte et d’en tirer profit pour l’histoire du temps, c’est de voir comment Madame écrivait, dans quel esprit, ce qu’elle était elle-même par l’éducation, par le caractère. […] Dès sa jeunesse, Élisabeth-Charlotte se distingua par un esprit vif et par un caractère ouvert, franc et vigoureux : Mlle de Quadt, dit-elle, a été ma première gouvernante et celle de mon frère ; elle était déjà vieille : elle voulut une fois me donner le fouet, car j’étais un peu volontaire dans mon enfance ; mais je me débattis si fort, et je lui donnai avec mes jeunes pieds tant de coups dans son vieux ventre, qu’elle tomba tout de son long avec moi et faillit se tuer. […] La paix domestique ne régnait pas au foyer de l’électeur palatin ; il avait une maîtresse qu’il épousa de la main gauche ; la mère d’Élisabeth-Charlotte est accusée d’avoir eu un caractère acariâtre qui amena la séparation. […] Toute cette première partie de la vie et de la jeunesse de Madame serait curieuse et importante à bien établir : « J’étais trop âgée, dit-elle, quand je vins en France, pour changer de caractère ; la base était jetée. » Tout en se soumettant avec courage et résolution aux devoirs de sa position nouvelle, elle gardera toujours ses goûts allemands ; elle les confessera, elle les affichera en plein Versailles et en plein Marly, et cette cour, qui était alors la règle de l’Europe, et qui donnait le ton, aurait pu s’en choquer si elle n’avait mieux aimé en sourire. […] [NdA] La première traduction et édition française, publiée en 1788, sous le titre de Fragments de lettres originales de Madame, etc., et qui précéda d’un an la publication de l’original allemand, conserve sur les éditions françaises plus récentes l’avantage d’indiquer les dates des lettres et de laisser voir tout franchement le caractère d’extraits.

791. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres, publiées par M. de Falloux. »

Son esprit vif, aiguisé, subtil, sa fermeté et son élévation de caractère, un certain art suivi de serrer les liens et de rattacher sans cesse les relations de société à des convictions et à des espérances d’un ordre supérieur, créèrent son ascendant sur tout ce qui l’entourait et l’approchait : son influence peu à peu s’organisa. […] Elle eut un salon d’un caractère particulier, sérieux, ingénieux, extrêmement artificiel d’aspect, et qui, entre les divers salons de l’aristocratie européennes distinguait par une teinte théologique prononcée ; et si l’on m’avait dit, il y a trente ans, lorsque j’entendis parler d’elle pour la première fois, que ce salon deviendrait un jour un sujet d’entretien public, que tous les journaux de Paris en raffoleraient, que tous les critiques parisiens y rendraient hommage en tâchant de se monter au ton des initiés, je ne l’aurais jamais cru. […] Voici le passage dans lequel il parle du mariage de Mlle Soymonof (c’était le nom de famille de Mme Swetchine), âgée pour lors de dix-sept ans, et du choix que son père fit pour elle du général Swetchine, protecteur encore plus qu’époux : « C’était un homme d’une taille élevée et d’un aspect imposant, d’un caractère ferme, droit, d’un esprit calme et plein d’aménité. […] Pendant plusieurs années, la Religion eut pour moi ce caractère ; et le croiriez-vous, mon amie ? […] Il me parut que ce caractère d’autorité était chez elle un besoin.

792. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Réminiscences, par M. Coulmann. Ancien Maître des requêtes, ancien Député. »

L’auteur vient de parler des vexations et des procédés brutaux qu’il eut à essuyer de la part des Prussiens dans son domaine d’Alsace, à Brumath ; cela le conduit à une réflexion fort sage : « De ces excès, dit-il, dont aucune armée n’est innocente, soit qu’ils empruntent de la main lourde et de l’intelligence lente des Autrichiens un caractère de petitesse et de détail, à la fois étouffant et solennel ; soit que la demi-civilisation du Russe leur imprime une fourberie raffinée ou une violence sauvage ; soit que le Prussien y mette sa hauteur et sa prétention ; soit enfin que la malice et la moquerie rendent insupportables les ingénieux tourments que le Français sait infliger à ses victimes, je ne veux tirer qu’une conséquence : c’est que la guerre, quelquefois si légèrement commencée, laisse aux intérêts et aux amours-propres des plaies qu’un siècle cicatrise à peine. « C’est grand pitié que de la guerre : je croy que si les sainctz du paradis y allaient, en peu de temps ils deviendraient diables », dit Claude Haton en 1 553 déjà. » 1815 vient renflammer les plaies et aggraver tous les maux. […] Coulmann me plaît, dans ses Mémoires, par ce côté même d’absence de toute originalité : il est l’expression honnête et facile du milieu où il vit, et il nous en marque la température assez exacte, sans y mêler la résistance ou le surcroît d’un caractère trop individuel. […] Je ne sais plus quelles conséquences il n’en tirait pas pour notre caractère et pour notre histoire. […] Vous y tracez le portrait le moins ressemblant de mon caractère et poussez l’erreur jusqu’à prendre le change sur mes impressions. […] C’est manque de caractère chez eux.

793. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite.) »

Necker, après son premier ministère, une très haute idée : en le retrouvant à la tête des affaires et en s’entretenant avec lui, il dut en rabattre, et, en ne cessant de rendre justice à ses intentions, il s’aperçut de toute l’hésitation de son caractère, qui se conciliait avec une opinion très exagérée de son crédit et de son ascendant sur les esprits. […] Les portraits que trace Malouet dans un de ses premiers chapitres, et qui forment comme sa galerie des États généraux, n’approchent certes pas, même de bien loin, de ceux qu’un Retz a tracés dans sa galerie de la Fronde, et un Saint-Simon dans ses tableaux de la Régence ; mais les principaux traits sont fort justes, fort ressemblants, et le mot propre du caractère de chacun est souvent donné. On a ainsi le duc d’Orléans, Mirabeau, La Fayette, Mathieu de Montmorency, le futur consul Lebrun, ce dernier très agréablement dessiné ; car Malouet s’entend mieux à montrer ces caractères moyens qu’à exprimer les personnages extrêmes : « Enfin un homme dont la fortune s’est élevée depuis au niveau de ses talents, dont les opinions s’étaient manifestées pour la conservation des trois Ordres, arrive comme vaincu dans le camp des vainqueurs ; et là, sans se mêler jamais à aucune autre discussion que celle des finances, il abandonne la Constitution à sa triste destinée dans toutes ses conséquences politiques ; mais il la soutient, il la défend dans tout ce qui est relatif aux impôts, aux monnaies, aux assignats, aux recettes et aux dépenses de l’État. […] Qu’est-ce que la trempe de son caractère ou de son esprit ? […] Voici ses propres paroles : « A Lausanne, je rencontrai l’abbé Raynal, mais il ne me laissa aucune admiration, soit de ses talents, soit de son caractère.

794. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre III. Montesquieu »

Ses propres études, une fois qu’il aura échappé au collège, l’affermiront dans sa passion pour l’histoire ancienne, et particulièrement pour l’histoire romaine : car, peu touché de l’art, c’est des mœurs, des caractères, des actions, de l’histoire par conséquent, qu’il s’éprend. La forme antique, qui lui plaît et qu’il essaie d’imiter ; c’est une forme révélatrice d’un caractère antique, de la gravité simple et de la sublimité habituelle. […] Au même moment appartient un intéressant Essai sur les causes qui peuvent affecter les esprits et les caractères. […] Aussi le néglige-t-il tout à fait par la suite, et rien ne donne plus à son ouvrage le caractère d’un système abstrait, qu’aucune réalité vivante ne soutient. […] Le sérail et la bastonnade, voilà les caractères saillants de la société turque, telle qu’il l’aperçoit.

795. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur Bazin. » pp. 464-485

Le 23 du mois dernier, est mort dans la force de l’âge un homme dont le nom et les œuvres n’étaient guère connus que de ceux qui s’occupent des productions de l’esprit, mais qui était fort apprécié par les meilleurs juges, d’une intelligence rare, élevée, étendue et sérieuse, d’un goût fin, curieux, quelquefois singulier, mais distingué toujours, d’un caractère à part, ironique et original ; écrivain des plus spirituels et des moins communs, et qu’il serait injuste de traiter comme il semblait par moments désirer qu’on le fît, c’est-à-dire par l’omission et le silence. […] Mais il n’est pas douteux que l’importance excessive qu’il attacha à l’irrégularité que le Bulletin des lois laisse entrevoir et que nous n’avons pas ici à démêler, n’ait influé beaucoup sur son naturel et ne donne la clef de plus d’une singularité, inexplicable autrement, dans son caractère. […] Le caractère de la jeune rédaction de La Quotidienne était de ne donner (c’est tout simple) dans aucun des lieux communs libéraux du temps, d’en rire tout haut, et aussi de rire plus bas des déclamations et des lieux communs monarchiques et religieux qu’elle pratiquait de si près, qu’elle semblait partager et redoubler souvent, mais auxquels elle ne tenait en réalité que par le côté politique. […] Mais, en général, il juge bien les hommes, rend hommage aux avisés et aux vraiment habiles, et donne l’exacte mesure des caractères sans se laisser séduire ni entraîner. […] Bazin a très bien compris, dans ce curieux exemple du cousin de Mme de Sévigné, tout ce qu’on peut avoir de distinction et de mordant, ou même de justesse dans l’esprit, avec des travers de vanité et des vices de caractère.

796. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Diderot. (Étude sur Diderot, par M. Bersot, 1851. — Œuvres choisies de Diderot, avec Notice, par M. Génin, 1847.) » pp. 293-313

Il était l’aîné ; il avait une sœur d’un caractère original, d’un cœur excellent, brave fille qui ne se maria point pour mieux servir son père, « vive, agissante, gaie, décidée, prompte à s’offenser, lente à revenir, sans souci ni sur le présent ni sur l’avenir, ne s’en laissant imposer ni par les choses ni par les personnes ; libre dans ses actions, plus libre encore dans ses propos : une espèce de Diogène femelle ». […] Il avait de plus un frère avec qui on lui trouverait moins de ressemblance, singulier d’humeur, d’une sensibilité rentrée et contrainte, un peu bizarre d’esprit comme de caractère, de son état chanoine de la cathédrale de Langres, très dévot et l’un des grands saints du diocèse. […] J’avais en une journée cent physionomies diverses, selon la chose dont j’étais affecté : j’étais serein, triste, rêveur, tendre, violent, passionné, enthousiaste ; mais je ne fus jamais tel que vous me voyez là… » Et il ajoute, car il nous importe dès l’abord de le bien voir : « J’avais un grand front, des yeux très vifs, d’assez grands traits, la tête tout à fait d’un ancien orateur, une bonhomie qui touchait de bien près à la bêtise, à la rusticité des anciens temps. » Représentons-nous donc Diderot tel qu’il était en effet, selon le témoignage unanime de tous ses contemporains, et non tel que l’ont fait les artistes ses amis, Michel Van Loo et Greuze, qui l’ont plus ou moins manqué, à ce point que la gravure d’après ce dernier le faisait ressembler à Marmontel : « Son front large, découvert et mollement arrondi, portait, nous dit Meister, l’empreinte imposante d’un esprit vaste, lumineux et fécond. » On ajoute que Lavater crut y reconnaître des traces d’un caractère timide, peu entreprenant ; et il y a lieu de remarquer en effet qu’avec l’esprit hardi, Diderot avait le ressort de conduite et d’action un peu faible. […] L’ensemble du profil, ajoute le même Meister, se distinguait par un caractère de beauté mâle et sublime ; le contour de la paupière supérieure était plein de délicatesse ; l’expression habituelle de ses yeux, sensible et douce ; mais, lorsque sa tête commençait à s’échauffer, on les trouvait étincelants de feu. […] S’il y a dans un ouvrage, dans un caractère, dans un tableau, dans une statue, un bel endroit, c’est là que mes yeux s’arrêtent ; je ne vois que cela, je ne me souviens que de cela, le reste est presque oublié.

797. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire des travaux et des idées de Buffon, par M. Flourens. (Hachette. — 1850.) » pp. 347-368

Le génie de Buffon participe du poète autant que du philosophe ; il confond et réunit les deux caractères en lui, comme cela s’était vu aux époques primitives. […] On a dit qu’il tenait de Newton et de Descartes, et qu’il oscillait un peu entre leurs deux méthodes : j’oserai penser que c’est plutôt de Newton et de Milton qu’il participe, et que la part systématique chez lui avait surtout le caractère poétique le plus élevé. […] Au milieu de cette vie tumultueuse, de cette vie dissipée et morcelée du xviiie  siècle, Buffon s’isole ; il trouve dans la force de son caractère, dans son amour élevé de la gloire et dans le puissant intérêt de l’étude immense à laquelle il s’est voué, de quoi résister à toutes les irritations, à toutes les chétives tentations d’alentour. […] Dans cet ordre qu’il appelle le plus naturel de tous, et qui n’est que provisoire, Buffon ne va donc classer d’abord les animaux et les êtres de la nature que selon leurs rapports d’utilité avec l’homme, et non d’après les caractères essentiels qui sont en eux et qui peuvent en rapprocher de très éloignés en apparence. […] Ainsi, parlant de la fauvette babillarde, de cet oiseau au caractère craintif et si prompt à s’effrayer, il dira : Mais l’instant du péril passé, tout est oublié, et le moment d’après notre fauvette reprend sa gaieté, ses mouvements et son chant.

798. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Essai sur Amyot, par M. A. de Blignières. (1 vol. — 1851.) » pp. 450-470

Il s’exerce à parler à son peuple d’Auxerre un langage clair, pur et lucide ; et l’on se figure, en effet, quel pouvait être le caractère doux, abondant et moral de ces homélies, prononcées d’une voix un peu faible par le bon évêque Amyot. […] À côté de ces pages de la Vie de Numa, il faudrait en rappeler d’autres également connues de la Vie de Lycurgue, et dans lesquelles est nettement et vivement défini le caractère des jeunes guerriers spartiates avant et pendant le combat (chap.  […] Amyot a pu commettre, dans sa traduction de Plutarque, toutes les fautes et les inexactitudes soit de sens, soit historiques, géographiques, mythologiques, etc., dont on l’a taxé, et que Méziriac disait avoir remarquées jusqu’en « plus de deux mille passages » ; et cependant son mérite d’écrivain n’en est nullement atteint ; car ce mérite est d’un tout autre ordre, et il n’en est pas moins vrai, comme l’a dit Vaugelas, que personne n’a mieux su que lui le génie et le caractère de notre langue, n’a usé de mots et de phrases si naturellement françaises, sans aucun mélange des façons de parler des provinces : Tous les magasins et tous les trésors du vrai langage français, continue Vaugelas avec son enthousiasme du bien parler et du bien dire, sont dans les ouvrages de ce grand homme, et encore aujourd’hui nous n’avons guère de façons de parler nobles et magnifiques qu’il ne nous ait laissées ; et, bien que nous ayons retranché la moitié de ses phrases et de ses mots, nous ne laissons pas de trouver dans l’autre moitié presque toutes les richesses dont nous nous vantons et dont nous faisons parade. […] Vinet, nous en impose sur le vrai caractère de Plutarque ; mais ce qui est admirable, c’est que rien ne dénonce cette falsification involontaire. » M. de Chateaubriand avait déjà dit de Plutarque : « Ce n’est qu’un agréable imposteur en tours naïfs. » Amyot lui ôte l’imposteur, et lui prête le naïf. […] Joubert, qui parle admirablement de Plutarque et sans superstition, a dit : « Toute l’ancienne prose française fut modifiée par le style d’Amyot et le caractère de l’ouvrage qu’il avait traduit.

799. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — II. (Fin.) » pp. 63-82

En parlant des Romains, la langue de Montesquieu s’est faite comme latine, et elle a un caractère de concision ferme qui la rapproche de la langue de Tacite ou de Salluste. […] J’ai eu le bonheur de vivre dans les mêmes sociétés que lui, disait Maupertuis ; j’ai vu, j’ai partagé l’impatience avec laquelle il était toujours attendu, la joie avec laquelle on le voyait arriver. — Et qui n’aimerait, écrivait le chevalier d’Aydie à Mme Du Deffand, qui n’aimerait pas cet homme, ce bonhomme, ce grand homme, original dans ses ouvrages, dans son caractère, dans ses manières, et toujours ou digne d’admiration ou adorable ? […] Ce qu’il y a de beau chez Montesquieu, c’est l’homme derrière le livre, Il ne faut pas demander à ce livre plus de méthode, plus de suite, plus de précis et de positif dans le détail, plus de sobriété dans l’érudition et dans l’imagination, plus de conseils pratiques qu’il n’y en a en réalité ; il faut y voir le caractère de modération, de patriotisme et d’humanité que l’auteur a porté dans toutes les belles parties, et qu’il a revêtu de mainte parole magnanime. […] Sa figure maigre et longue, élégante, a bien le type du pays où il est né, le type bordelais ; son profil bien dessiné est d’un beau caractère et semble fait pour la médaille. […] On a ajouté que Montesquieu, dès qu’il en eut connaissance, fut au désespoir, qu’il alla trouver Mme de Pompadour et qu’il obtint qu’on arrêtât l’édition : « Elle fût hachée tout entière, dit Chamfort, et on n’en sauva que cinq exemplaires. » Cette anecdote, qui ferait tort au caractère de Montesquieu, et dont Fréron avait déjà touché quelque chose dans L’Année littéraire, me paraît suspecte.

800. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — I. » pp. 455-475

Un homme de mérite et d’un caractère respectable, M. le docteur Henry, pasteur de l’église française de Berlin, a examiné ce point dans un sentiment de patriotisme et de christianisme à la fois, et avec le désir de trouver Frédéric moins coupable qu’il ne paraît à travers Voltaire. […] Frédéric, en cette période de sa vie, n’a qu’un désir, celui d’arriver à la sagesse, à la vérité, à la constance, et de se perfectionner, « de prendre pour modèle tout ce qu’il y eut jamais de grands hommes, et, tirant de leurs caractères tout ce qui peut entrer dans celui d’un seul, de travailler sincèrement à en former le sien ». […] J’ai parlé de philosophie et de métaphysique : même à cette date où Frédéric s’y laisse le plus initier, il ne faut pas croire qu’il sorte pour cela de son tour d’esprit pratique et de son caractère. […] Ce passage a cela de remarquable qu’il définit admirablement à l’avance les caractères du génie et de la destinée du grand Frédéric, lequel en effet a dû s’appliquer à faire naître les circonstances, ou à s’y approprier au fur et à mesure qu’elles naissaient ; qui porte en tout et qui met à tout le cachet de la volonté, du travail et d’un certain effort, et qui ne le recouvre et ne le revêt point de splendeur, de spontanéité et de poésie, comme il arriva plus tard dans l’apparition étonnante et tout d’un jet de Napoléon. […] Mais les autres ne le lui permirent pas de sitôt ; et, après avoir commencé par être un envahisseur, force lui fut de rester pendant des années un infatigable donneur de batailles et de devenir le plus grand capitaine de son époque : mais, l’étoffe de l’esprit et du caractère y étant, on peut dire encore qu’il ne le devint que par la force des choses.

801. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre VI. Des Livres qui traitent de la Rhétorique. » pp. 294-329

Les préceptes que ce Rhéteur philosophe fournit sur le genre déliberatif, le démonstratif & le judiciaire ; la peinture qu’il fait des mœurs de chaque âge, de chaque état, de chaque condition, la maniere dont il explique les moyens d’exciter ou de calmer les passions ; les instructions qu’il donne par rapport aux preuves, aux caractères de la bonne élocution, au choix des mots, à la structure de la période, & à toute l’œconomie du discours oratoire, montre qu’il n’ignoroit rien de ce qui est essentiel à l’éloquence, & qu’il en avoit approfondi toutes les parties. […] On y trouve des caractères soutenus, des portraits d’après nature, des contrastes menagés avec art, une composition variée, des comparaisons justes. […] Il peut aussi y avoir des raisonnemens qui ayent le même caractère. […] Il ne veut pas, par exemple, qu’on emploie le pathétique dans le Barreau ; il en fait un caractère distinctif de l’éloquence des sophistes. […] Il remarque les différens caractères de la déclamation qui leur convient, selon les différentes sortes de discours qu’ils ont à prononcer.

802. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Doyen » pp. 178-191

Car elle paraît telle à son caractère, au luxe de son vêtement, à son cortège, aux marques d’honneurs de son mari ? […] Celle-ci qui aide la première dans ses fonctions, bien sur son plan, est belle, tout à fait belle de caractère et d’expression, mais il faut la restituer au Dominiquin. […] J’aime ses cheveux crépus et j’en suis content, sans compter qu’il a du caractère, et qu’il est on ne saurait plus vigoureusement colorié, trop peut-être, ainsi que l’enfant. […] Quel grand caractère elle a ! Quoique renversée en arrière et son visage vu de raccourci, comme elle conserve ce grand caractère et sa beauté, et comme elle les conserve dans la position la plus défavorable !

803. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Ernest Hello » pp. 207-235

Dans les écrits que nous avons de lui, mêlés, à grandes doses, de lumière et d’ombre, sa supériorité n’existe pas toujours au même degré ; mais quand elle existe, elle est absolue, et nul, parmi les moralistes chrétiens qui retournent le cœur et l’esprit de l’homme dans leurs mains curieuses, n’a montré plus d’acuité que cet homme tyrannisé par ses facultés et préoccupé tellement de voir, que, pour lui, l’absence de seconde vue est le caractère irrémissible de ce qu’il haïssait le plus au monde, — la Médiocrité ! […] Là où La Bruyère, dans ses Caractères, a manqué de l’art des transitions, Hello n’en a pas eu besoin, lui, tant l’Homme, qui est le sujet de son livre, en remplit bien toutes les parties, sous les noms divers qu’il leur donne ! […] — mais ni lui ni les autres ne sont inspirés dans le sens qu’une Critique profonde donne à ce mot, et c’est au contraire le caractère particulier de Hello que cette inspiration qui est Dieu en nous, le mens divinior ! […] Car tel est le caractère de ce travail, difficile à nommer d’un mot qui en précise l’idée, de ces esquisses en deux coups de pinceau, qui entrent plus vite dans l’esprit que des figures finies longtemps caressées et qui s’y fixent comme des dards. […] Il a voulu, dit-il, montrer à un siècle turbulent ceux qu’il appelle les Pacifiques ; et pour dire ces choses tranquilles et immortelles, il a choisi le temps où le monde passe en faisant son fracas… « L’Église — ajoute-t-il — a pour caractère son invincible calme.

804. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XV. La littérature et les arts » pp. 364-405

La musique, qui, étant le plus subjectif des beaux-arts, bénéficie comme la poésie de l’exaltation du sentiment, change de caractère avec la littérature. […] En réalité, la musique et la poésie sont deux arts complets, profondément différents, mais ayant quelques caractères communs. […] Or les chansons de geste, les poésies guerrières et galantes des troubadours et trouvères, les mystères, qui étaient souvent joués par toute la population d’une ville, ont dans leur ensemble les mêmes caractères. […] Les sujets traités, les caractères généraux, le style offrent chez les uns et les autres de frappantes ressemblances. […] Les canapés se changent en sophas, en ottomanes, en sultanes, en duchesses, et tous ces sièges à noms variés ont ce caractère commun d’être souples, mœlleux, capitonnés, de cacher le bois sous l’étoffe.

805. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre cinquième. Genèse et action des principes d’identité et de raison suffisante. — Origines de notre structure intellectuelle »

Au cas où se vérifierait l’hypothèse de ce dernier sur l’impossibilité de la transmission des caractères acquis, ce serait la négation du système de Lamarck, et aussi de Spencer, au profit du système de Darwin. […] Ce qui semble certain, c’est que l’action des habitudes acquises sur l’espèce (nous ne disons pas sur l’individu) a été notablement exagérée par Lamarck et Spencer ; autant l’hérédité des caractères congénitaux est certaine, autant celle des caractères acquis est douteuse. […] Ce sont la logique et les mathématiques qui finissent par imprimer à l’idée de loi son caractère de nécessité et de rationalité. […] De tous ces faits de conscience qui font notre réalité propre nous abstrayons les caractères trop particuliers, et nous ne conservons que l’idée d’action en général, ou de causation. […] En d’autres termes, au lieu de parler de l’action, Hume parle du caractère transitif de l’action et de son effet sur un patient quelconque, qui, à son tour, réagit.

806. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

Chapitre onzième La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. […] En somme, le trait caractéristique de la littérature des détraqués, c’est qu’elle exprime des êtres qui ne sont sociables que partiellement et par intermittence : ils s’isolent en eux-mêmes, vivent pour eux, et ils peuvent bien nous forcer à sympathiser avec leurs souffrances, mais non avec leur caractère. […] L’action tire toujours une grande partie de son caractère agréable de la fin qui la justifie : un but de promenade rend la promenade meilleure ; on n’aime pas à lever même un doigt sans raison ; il en est ainsi pour tout. […] C’est pour cela que les romanciers surtout et les dramaturges préfèrent les caractères vicieux aux caractères moraux. […] Enfin l’évolution d’un caractère vertueux est tout intérieure, tandis que la corruption d’un personnage peut être occasionnée par mille faits dramatiques.

807. (1898) Essai sur Goethe

Werner, Œlenschlæger, Arnim, Brentano et d’autres travaillent et produisent beaucoup, mais tout demeure sans forme et sans caractère. […] Ces rapports, à vrai dire, ce n’est point dans les caractères des auteurs qu’il faut les chercher. […] Mon intention est de me remplir l’esprit du caractère et du sort de ce poète, pour avoir quelque chose qui m’occupe en voyage. […] Ne s’offre-t-il à mes yeux aucun noble caractère, qui ait plus souffert que je ne souffris jamais, afin que je prenne courage en me comparant à lui ? […] Et la répartition des injures fut inégale : par sa situation, par son caractère, par sa vie, Goethe offrait aux tireurs une plus large cible.

808. (1863) Causeries parisiennes. Première série pp. -419

que son caractère égalait son génie. […] A-t-il voulu peindre des mœurs, des caractères ou des passions ? […] Tous sentaient que leur profession était honorée par le talent et le caractère de celui qu’ils fêtaient. […] Toujours est-il que le caractère mou et indécis de l’homme russe ressort à chaque ligne des écrits de M.  […] La charité chrétienne, l’amour universel qui embrasse tous les êtres, est la base de son caractère.

809. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XII : Distribution géographique (suite) »

Quelques espèces cependant ont pu s’étendre dans tout l’archipel, et néanmoins garder partout les mêmes caractères, de même que nous voyons sur nos continents quelques espèces prendre une grande extension et demeurer partout identiques. […] En vertu de la loi de divergence des caractères, les anciens organismes ont dû être moins différents les uns des autres que les organismes actuels ; et, si l’un va jusqu’au bout des conséquences du principe, il faut conclure qu’ils dérivent tous d’une forme unique. […] Mais, d’autre côté, il faut admettre aussi comme probable que la forme d’atavisme ou de réversion aux caractères des aïeux était très faible chez tous ces êtres nouvellement produits par une sorte de végétation spontanée ou d’enfantement de la planète. […] Cependant une sorte de concurrence universelle devait avoir lieu, tendant à fixer les lois générales de la vie à la surface de notre planète, selon les conditions partout uniformes qu’elle présentait alors ; et ces caractères généraux, acquis dès lors, seraient ceux-là mêmes qu’on observe encore aujourd’hui dans le règne organique tout entier, caractères peut-être contingents, en ce sens qu’ils sont exclusivement adaptés aux conditions de la vie terrestre, et que nous ne pouvons conséquemment étendre, que par une hypothèse toute gratuite, aux autres planètes du système solaire ou aux autres astres du ciel. La concurrence vitale devait donc tendre à cette époque primitive autant à unifier les caractères organiques qu’à les faire diverger, ou du moins elle peut avoir eu à la fois l’un et l’antre résultat, et dès le principe produit la diversité des types, des plans ou des formes de l’organisation en maintenant l’uniformité de ces lois générales.

/ 2930