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645. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Mémoires et journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guettée. — I » pp. 248-262

Le sermon de La Vocation, fait en vue de confirmer la conversion de M. de Turenne (1668), était mentionné par les carmélites, chez qui il fut prêché, comme un sermon d’une « exquise beauté », et des explications des épîtres faites à leur parloir vers le même temps sont données par elles comme ayant été d’une « beauté enchantée ». […] Il est naturellement l’homme le plus considérable d’alors dans l’ordre catholique et gallican, et partout où prévalait la parole ; et cette parole nous a été transmise presque dans toute sa beauté : que faut-il de plus ?

646. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Parny poète élégiaque. » pp. 285-300

J’admets pourtant que si un peu de science nous éloigne, beaucoup de science nous ramène au sentiment des beautés ou des grâces domestiques ; et alors l’élégie de Parny, vue à son heure, est, en effet, une des productions de l’esprit français qui mérite d’être conservée comme spécimen dans l’immense herbier des littératures comparées. […] Le Plan d’études : De vos projets je blâme l’imprudence : Trop de savoir dépare la beauté… est agréable. […] La seconde de ces élégies est de toute beauté, dans la première moitié surtout, où s’exhale une si poignante douleur, où le poète va demander au grand spectacle d’une nature bouleversée, à ce qu’on appelle le pays brûlé de l’île, l’impression muette et morne à laquelle il aspire et qu’il s’indigne de ne point éprouver : Tout se tait, tout est mort.

647. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MADAME TASTU (Poésies nouvelles.) » pp. 158-176

L’un, dès les premiers tons de sa lyre animée, A senti sa voix frêle et son chant rejeté, Comme une vierge en fleur qui voulait être aimée Et qui perd sa beauté. […] Comme les amours Psyché expriment une métamorphose de l’âme, les destinées de Peau-d’Ane représentent, selon le poëte, les destinées du siècle, de ce Siècle-Midas, de ce Siècle-Prose, lequel, sous son enveloppe matérielle, cache un germe à demi clos de foi, de poésie et de beauté. […] L’imprécation sur Florence, que le poëte traduit et développe en la détournant à notre patrie, a conservé sa mâle beauté et atteste combien les espérances patriotiques de ce noble cœur ont essuyé d’amertumes aussi et de désabusements.

648. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  second article  » pp. 342-358

Lorsque Ulysse, après avoir tiré vengeance des prétendants et avoir reconquis son palais, veut se faire reconnaître de Pénélope, l’intendante Eurynome le met au bain et le parfume ; puis, au sortir de là, Minerve le revêt de toute sa beauté première et même d’un éclat tout nouveau ; elle le fait paraître plus grand de taille, plus puissant encore d’attitude ; elle répand autour de sa tête, par boucles épaisses, sa chevelure semblable à une fleur d’hyacinthe : « Et comme lorsqu’un artiste habile, que Vulcain et Minerve ont instruit dans la variété de leurs arts, verse l’or autour de l’argent et accomplit ses œuvres gracieuses, ainsi elle verse la grâce autour de la tête et des épaules du héros, et il sort du bain tout pareil de corps aux Immortels… » Certes l’habile critique Aristarque, si bien enseigné qu’il fût par Minerve, n’en a pas tant fait pour son poëte ; il n’a pas ajouté la couche d’or, il n’a pas rehaussé l’Homère qui lui était transmis ; mais il l’a lavé de ses taches, il lui a enlevé la rouille injurieuse des âges et a dissimulé sans doute quelque cicatrice ; il l’a fait, en un mot, sortir du bain avec toute sa chevelure auguste et odorante, ambrosiæque comæ : c’est tel à jamais que nous le reconnaissons. […] Pour moi donc, n’en déplaise aux mânes du guerrier Pylæmenès, si, dans l’un et l’autre chant où il apparaît, je rencontre, jaillissantes à chaque pas, de ces beautés d’expression comme je viens d’en indiquer, et particulièrement de ces comparaisons uniques et aussi surprenantes que naturelles, j’ai ma réfutation intérieure suffisante, j’ai ma démonstration toute trouvée que c’est toujours du même Homère. […] Les héros, sans en rien perdre, ont conservé toute leur fleur de jeunesse, de beauté à demi sauvage, et leur immortelle attitude.

649. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Le Brun »

Mais, à force de méditer sur les prérogatives de la poésie, Le Brun en était venu à envisager les hardiesses comme une qualité à part, indépendante du mouvement des idées et de la marche du style, une sorte de beauté mystique touchant à l’essence même de l’ode ; de là, chez lui, un souci perpétuel des hardiesses, un accouplement forcé des termes les plus disparates, un placage extérieur de métaphores ; de là, surtout vers la fin, un abus intolérable de la Majuscule, une minutieuse personnification de tous les substantifs, qui reporte involontairement le lecteur au culte de la déesse Raison et à ces temps d’apothéose pour toutes les vertus et pour tous les vices. […] On lit en marge d’une édition de La Fontaine annotée par lui, à propos du poëme de la Captivité de saint Malc : « Ce petit poëme, quoique le sujet en soit pieux, est rempli d’intérêt, de vers heureux et de beautés neuves. » 40. […] Au livre second des odes de Le Brun, la quinzième A un jeune Ami s’adresse évidemment à André : Souviens-toi des mœurs de Byzance ; Digne de ton berceau, maîtrise la beauté !

650. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre II. L’homme »

Il a causé avec une comtesse poitevine, « assez jeune et de taille raisonnable », qui avait de l’esprit, déguisait son nom et venait de plaider en séparation contre son mari, « toutes qualités de bon augure ; j’y aurais trouvé quelque sujet de cajolerie, si la beauté s’y fût rencontrée. […] On n’est pas à l’aise devant cette volupté ardente ; sa crudité rebute ; on est inquiété par ce regard direct ; on a peur d’une beauté si énergique. […] Il s’était fait remettre des mémoires pour mieux décrire les beautés du château.

651. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre III. La commedia dell’arte en France » pp. 31-58

Mais comment fut-elle initiée aux beautés de la commedia dell’arte ? […] Enfin la beauté des costumes, la perfection des décors et des feintes ou machines, la musique employée dans les intermèdes et parfois dans les pièces, tout cela faisait connaître à la France un art savant et raffiné qu’elle devait être encore longtemps à atteindre elle-même. […] Née à Padoue en 1562, Isabelle brillait sur le théâtre depuis 1578, se faisait admirer par sa beauté, par ses rares talents, et, ajoutent tous les témoignages contemporains, par sa vertu.

652. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXV » pp. 259-278

Voilà ce qui donna du charme à sa beauté, de la grâce et de la vie à son esprit éminemment sage et éclairé, et une puissance infinie à sa conversation. […] La première fois que madame Scarron vit le roi, elle fut frappée de sa beauté, de son air de grandeur. […] À sa beauté elle joignait la grâce qui faisait passer dans ses traits, dans ses mouvements, dans sa parole quelque chose de l’âme la plus douce, la plus sensible, et de l’esprit le plus sage et le plus délié.

653. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « De la tragédie chez les Anciens. » pp. 2-20

Toutefois, comme cette ressemblance ne saurait être toujours si parfaite, qu’elle n’admette quelque différence en faveur des beautés de l’art, l’art même, pour ménager ces beautés, peut faire illusion au spectateur, et lui montrer avec succès une action dont la durée exige huit ou dix heures, quoique le spectacle n’en emploie que deux ou trois : c’est que l’impatience du spectateur, qui aime à voir la suite d’une action intéressante, lui aide à se tromper lui-même, et à supposer que le temps nécessaire s’est écoulé, ou que ce qui exigeait un temps considérable s’est pu faire en moins de temps. […] Mais la beauté des intrigues dépend du choix des actions ; et ce choix est souvent l’effet du bonheur plutôt que du discernement.

654. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Jules Janin » pp. 137-154

À l’heure de la vie où l’on est frivole et où l’homme tient à relever ses avantages extérieurs par les soins de la mise et les détails de la toilette, à une époque où tant de gens de lettres affectaient d’être des Beaux, parmi les de Musset, les Roger de Beauvoir, les Roqueplan, les Sue, qui furent des dandies, des gants jaunes, des furieux (un mot du jargon de la mode du temps), Janin, très à la mode par l’esprit et par le talent et très en vue, Jules Janin, qui n’était pas sans beauté alors, ne pensait point à la faire valoir, cette beauté, par les ressources que la mode offre à la coquetterie. […] Je ne suis pas bien sûr qu’il n’ait vanté Viennet… Il tenait pour l’Antiquité et le xviie  siècle, et quoiqu’il comprît les beautés d’une littérature puisée à une autre source, il revenait toujours à ces deux sources-là.

655. (1884) La légende du Parnasse contemporain

En ce temps d’opérettes et de romans bâclés à la diable, on se souciait peu de la beauté et de la perfection rêvées. […] Certes le sentiment de la beauté, l’horreur des niaises sensibleries qui déshonoraient alors la poésie française, nous les avions ! […] Que de trésors, que de beauté, que de joie !  […] Il vit dans la rêverie éternelle de la beauté et de l’amour. […] Celle-ci, moins attrayante, a sa beauté d’autant plus saisissante qu’elle est incontestable. » Prenez garde !

656. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) «  Chapitre treizième.  »

Cet intérêt de Bossuet pour la vie, pour les sociétés, pour l’homme en particulier, est la plus durable beauté de ses ouvrages. […] Dès sa jeunesse, il fut saisi des beautés de la Bible, et il s’y attacha, pour s’en nourrir jusqu’à la mort. […] L’autorité, la beauté de ces ouvrages sortent si naturellement du fond qu’on ne peut pas y trouver de plaisir sans s’engager dans le débat. […] Cette dame avait de la beauté, beaucoup d’esprit, et ce tour de piété que Fénelon admirait dans les mystiques : elle le charma. […] N’en pouvant pas donner le sens, il en développe la beauté, et il se tient pour content de sentir dans l’incompréhensible la toute-puissance divine.

657. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VIII »

C’est précisément à cette époque que Wagner fut pris d’une passion violente pour une femme, jeune et d’une grande beauté. […] Mais à côté de ses beautés évidentes, elle en contient de nombreuses que presque personne ne soupçonne. […] Pendant longtemps nous aurons le privilège de ne lui découvrir que de nouvelles beautés. […] Mais c’est là sa beauté incomparable. […] Un «  Wagner méditerranéen  » sinon «  africain  » pour reprendre l’adjectif cher à Nietzsche qui opposait Carmen à Parsifal, vantant la «  beauté africaine  » de l’opéra de Bizet.

658. (1926) La poésie de Stéphane Mallarmé. Étude littéraire

Et le vol de Nemrod, par quelle injustice superbe, quelle violence assyrienne, lève-t-il dans notre mémoire la splendeur déroulée de ses vers, pour étouffer la beauté triste de l’Azur mallarméen ? […] Il remercie ainsi des Esseintes du goût que celui-ci témoigna pour Hérodiade, muse de l’art baudelairien, madone diabolique de la stérilité, beauté inaccessible que l’on ne touche point sans l’annuler. […] Il aspire à descendre la Beauté. « Il n’y avait au monde pour conjurer la défection dans les curiosités que de recourir à quelque puissance absolue, comme d’une Métaphore. […] Gautier, qui intitulait Emaux et Camées un des livres que vénérait l’école écrivait de Banville dans son Rapport de 1867 : « Banvilleale sentiment de la beauté des mots. […] Elle peut se passer de tout sauf de la beauté des mots.

659. (1882) Essais de critique et d’histoire (4e éd.)

On aimait la beauté des dames, à peu près comme on aime une fleur ou une parure. […] Mais la beauté du style surpasse encore l’intérêt du récit. […] Personne ne blâme dans la frégate les ailes immenses, les pieds raccourcis : cette maigreur est une beauté dans le héron ; cette disproportion est une beauté dans la frégate. […] Quelle beauté, quelles espérances de vertu ! […] Aucun âge n’a le droit d’imposer sa beauté aux âges qui précèdent ; aucun âge n’a le devoir d’emprunter sa beauté aux âges qui précèdent.

660. (1857) Causeries du samedi. Deuxième série des Causeries littéraires pp. 1-402

On a vanté le contraste de madame de Mortsauf et de lady Arabelle Dudley, comme résumant deux genres de beautés et de destinées contraires. […] On a reproché au grand roi ces paroles, qui pourtant s’accordent bien avec la beauté et la majesté des œuvres accomplies sous son règne. […] Sa Réponse à un acte d’accusation, parsemée de beautés de même genre, donne lieu à des réflexions d’une autre sorte. […] Nous nous sommes attardé au discours préliminaire, comme on s’arrête au seuil d’un temple dont on pressent la beauté dès le péristyle. […] Cousin, même en décrivant la beauté vertueuse, sera toujours à l’abri de ce danger-là.

661. (1888) Études sur le XIXe siècle

Angélique beauté ! […] Tu es la seule source de toutes les grâces, la seule vraie beauté ! […] « La beauté, écrit-il une fois, est l’école des profondes passions » ; et l’on croirait entendre quelqu’un de ses ancêtres intellectuels proclamer que : « La source de l’amour est la beauté, principalement la beauté de l’âme5 », ou que « chacun est nécessairement plus ou moins noble ou parfait, selon qu’il connaît plus ou moins la beauté 6 ». […] J’adorais la beauté idéale de cette angélique créature, et mon amour n’avait rien de profane. […] épouvante du lâche, — joie du brave, santé du malade, — mystère immense, jeunesse infinie, — beauté formidable et charmante.

662. (1902) Propos littéraires. Première série

Car à quoi sert la beauté ?  […] La beauté ne sert à rien. […] La beauté est inutile et méprisable. […] L’enfant n’a créé aucune beauté. […] L’art qui crée de la beauté est un art faux.

663. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — II. (Fin.) » pp. 109-130

Quoique l’auteur ait dit dans une note que ce portrait est le seul qui s’applique réellement à une personne déterminée, je ne saurais croire que le portrait d’Ismène ou de la beauté sans prétention, à qui il n’a manqué pour être célèbre que de mettre enseigne de beauté ; que celui de Glycère, la femme à la mode, et qui « s’est fait jolie femme il y a vingt ans sans beauté, comme on se constitue homme d’esprit sans esprit, avec un peu d’art et beaucoup de hardiesse » ; — je ne puis croire que le portrait d’Herminie si entourée, si pressée d’adorateurs, si habile à les tenir l’un par l’autre en échec, et qui n’aime mystérieusement qu’un seul homme sans esprit, sans figure, qui n’est plus jeune, qui se porte très bien toutefois, et qui est… son mari ; — que le portrait d’Elvire, la femme de cinquante ans, qui s’avise soudainement d’un moyen de se rajeunir en s’attachant à un homme de soixante-quinze ; — que tous ces portraits si nets et si distincts n’aient pas eu leur application dans le monde d’alors. […] Pour ce sauvage qui n’a pas l’idée de la beauté, qui ne compare pas, dont une continuelle rivalité sociale n’entretient ni n’exalte l’imagination, rien de pareil n’existe, et « l’instant rapide du plaisir, selon l’heureuse expression de M. de Meilhan, est pour lui une flèche décochée dans l’air, et qui ne laisse aucune trace ».

664. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid (suite.) »

Corneille, en resserrant le Cid, en a fait saillir plus nettement quelques-unes des beautés un peu contraintes et les a lancées en gerbe au soleil comme par un jet d’eau nerveux et rapide. […] Dans l’Examen qu’il fit du Cid vingt-cinq ans plus tard, il indique avec complaisance quelques-unes de ces adresses qu’il a employées : il est aussi quelques-unes des beautés premières, tout à l’espagnole, qu’il a l’air de vouloir rétracter et dont il fait mine de se repentir : ainsi, à un endroit, l’offre que fait Rodrigue de son épée à Chimène et sa protestation de se laisser tuer par don Sanche « ne me plairaient pas maintenant, dit-il ; ces beautés étaient de mise en ce temps-là, et ne le seraient plus en celui-ci. […] La réponse de don Diègue est de toute beauté, ton et sentiment ; elle est d’une superbe amertume.

665. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [II] »

Être humaniste, c’était se borner à lire les Anciens, et, entre les modernes, ceux qui paraissaient dignes, par endroits, de s’appareiller aux Anciens ; c’était les comprendre, s’en pénétrer, les posséder, et en être venu, dans cette familiarité de chaque heure, à y découvrir chaque fois de nouvelles délicatesses, de nouvelles beautés. […] Tous les textes ont été soumis à révision ; on a bouleversé bien des habitudes ; de prétendues beautés, qui n’étaient que des fautes, ont disparu. […] Et qu’on ne croie point que je veuille, en ce moment, avoir l’air de rien blâmer de ce qu’amène le cours ou le progrès du temps, comme on l’appelle ; je ne fais le procès à rien de ce qui est nécessaire et légitime : j’ai tenu seulement à bien rendre l’idée du classique français dans cette période paisible, où, la première effervescence du xvie  siècle étant apaisée et calmée, une élite de gens de goût, vrais lettrés, jouissait comme d’une conquête acquise des dépouilles de l’Antiquité, en y mêlant le sentiment des beautés et qualités françaises, et sans ignorer ce qui s’y assortissait de meilleur et de plus agréable en Angleterre ou en Italie. […] Et n’était-ce point, en effet, pour un esprit poétique et cultivé qui se sentait vieillir, un agréable et bien doux emploi des heures plus lentes, une bien aimable manie, que de se mettre ainsi à côté et sous l’invocation d’un Ancien, et, sous prétexte de lutter avec un maître et en s’en flattant, de s’appuyer sur lui, de vivre avec lui dans un commerce intime qui faisait pénétrer dans tous ses secrets de composition, dans toutes ses beautés et ses grâces de diction ?

666. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE PONTIVY » pp. 492-514

Un voile couvrait sa voix ; un voile couvrait son âme et ses yeux et toutes ses beautés, jusqu’à ce que vînt l’heure. […] On aurait pu dire d’elle, en changeant quelque chose au vers du poëte : Et la grâce elle-même attendit la beauté. […] On était donc à s’étendre asse complaisamment à l’article des sollicitations de Mme de Pontivy, quand Mme de Tencin, qui venait de la complimenter sur son redoublement de beauté, ajouta tout d’un coup, comme saisie d’une inspiration lumineuse : « Mais que ne voit-elle M. le Régent ? […] Elle souffrait, et sa santé s’en altérait ; mais chaque jour, sous la langueur croissante, dans les traits un peu pâlis de sa beauté, redoublait la grâce.

667. (1900) Poètes d’aujourd’hui et poésie de demain (Mercure de France) pp. 321-350

C’est Baudelaire qui a ciselé, si l’on peut dire, la coupe suprême où but la Muse et c’est José Maria de Heredia qui a fixé au fond la large médaille d’or pur qui l’orne et la parachevé d’une effigie de Beauté. […] Ce fut dans son voile nombreux, nuancé et transparent qu’elle s’enveloppa, et c’est à travers cette transparence mobile qu’il fallut deviner les traits énigmatiques de sa mystérieuse beauté. […] Mais tous deux, il importe de le remarquer, prennent et utilisent la Légende et le Mythe dans sa beauté plastique et sa réalité supérieure. […] Ce qu’elle veut c’est se voir belle, et peu lui importe, pourvu qu’elle y mire sa beauté, la source naturelle des bois ou le miroir par lequel un artifice subtil lui montre son visage divin dans la limpidité cristalline d’une eau fictive et imaginaire.

668. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame Émile de Girardin. (Poésies. — Élégies. — Napoline. — Cléopâtre. — Lettres parisiennes, etc., etc.) » pp. 384-406

La jeune fille, aussi blonde que sa mère était brune, n’était pas moins belle, de cette beauté qui apparaît d’abord et qu’on ne s’aviserait pas plus de contester qu’on ne conteste le soleil. On eut de bonne heure auprès d’elle, et elle éprouvait elle-même, en l’inspirant, le culte et l’idolâtrie de la beauté. […] Mme de Girardin, avant tout, a le sentiment du monde extérieur, de la beauté qui y est conforme, de la régularité de lignes et de contours, de l’élégance : c’est ce qu’on trouve dans ses élégies. […] Il est remarquable comme la préoccupation perpétuelle de la beauté physique domine dans toutes les élégies de Mlle Delphine Gay, et en est comme l’inspiration directe et déclarée.

669. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame Necker. » pp. 240-263

Elle était belle, de cette beauté pure, virginale, qui a besoin de la première jeunesse. […] Elle surpassa ses espérances par ses progrès dans les sciences et les langues ; et, dans les courtes visites qu’elle fit à quelques-uns de ses parents à Lausanne, l’esprit, la beauté et l’érudition de Mlle Curchod furent le sujet des applaudissements universels. […] Un peu plus loin, je lis cette autre pensée : Je connais quelques esprits métaphysiques auxquels je ne parlerai jamais des beautés de la nature ; ils ont franchi depuis longtemps les idées intermédiaires qui lient les sensations avec les pensées, et leur esprit s’occupe trop d’abstractions pour qu’on puisse leur faire partager les jouissances qui supposent toujours les rapports de l’âme avec des objets réels et extérieurs. […] Elle n’eut point, comme tant d’autres femmes, le regret de la jeunesse qui fuyait et de la beauté évanouie.

670. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1881 » pp. 132-169

Il y avait en Russie une femme charmante, une femme dont le teint, sous des cheveux bouffants du blond le plus poussiéreux, était légèrement café au lait, et où les grains non fondus faisaient un tas de petits grains de beauté. […] Jeudi 30 juin Les vrais connaisseurs en art, sont ceux que la chose, que tout le monde trouvait laide, ont fait accepter comme belle, en en découvrant ou en en ressuscitant la beauté, — les autres sont les domestiques et les Quinze-Vingts du goût et de la mode qui règnent. […] * * * — Quelqu’un qui avait été ces jours-ci, aux Folies-Bergère, s’étonnait de la beauté des dents de toutes les putes qui étaient là, et attribuait, avec raison, cette beauté générale de la dentition féminine de maintenant, à la grande place prise par les dentistes américains dans le Paris contemporain.

671. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XII] »

Une autre idylle, intitulée le Malade, trop longue pour être citée, est pleine des beautés les plus touchantes. […] Nous apprenons de Moïse que ce grand et sage architecte, diligent contemplateur de son propre ouvrage, à mesure qu’il bâtissait ce bel édifice du monde, en admirait toutes les parties215 : Vidit Deus lucem quod esset bona : « Dieu vit que la lumière était bonne » : qu’en ayant composé le tout, parce qu’en effet la beauté de l’architecture paraît dans le tout, et dans l’assemblage plus encore que dans les parties détachées, il avait encore enchéri et l’avait trouvé parfaitement beau216. […] Que si les justes sont le spectacle de Dieu, il veut aussi à son tour être leur spectacle : comme il se plaît à les voir, il veut aussi qu’ils le voient : il les ravit par la claire vue de son éternelle beauté, et leur montre à découvert sa vérité même dans une lumière si pure qu’elle dissipe toutes les ténèbres et tous les nuages. […] » Trois choses contribuent ordinairement à rendre un orateur agréable et efficace : la personne de celui qui parle, la beauté des choses qu’il traite, la manière ingénieuse dont il les explique : et la raison en est évidente ; car l’estime de l’orateur prépare une attention favorable, les belles choses nourrissent l’esprit, et l’adresse de les expliquer d’une manière qui plaise, les fait doucement entrer dans le cœur ; mais de la manière que se représente le prédicateur dont je parle, il est bien aisé de juger qu’il n’a aucun de ces avantages.

672. (1759) Réflexions sur l’élocution oratoire, et sur le style en général

Prenons-en donc une autre dont on ne puisse contester la beauté, la première du cantique d’Ézéchias traduite par le même poète, et rapprochons-la de l’original. […] Mais dans ceux qui ont le talent de la poésie, cette contrainte même devient une source de beautés. […] Au reste, l’affectation et la contrainte, ennemies des beautés en tout genre, ne le sont pas moins dans celui-ci. […] L’affectation du style, toujours pénible et choquante, l’est principalement dans les matières philosophiques, qui doivent briller de leur propre beauté, ou l’ornement est le sujet même, et qui rejettent comme indigne d’elles toute parure empruntée d’ailleurs : c’est principalement à ces matières qu’on doit appliquer le beau passage de Pétrone : Grandis, et ut ita dicam, pudica oratio, naturali pulchritudine exurgit.

673. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Sainte-Beuve. Les Poésies de Joseph Delorme, Les Consolations, les Pensées d’août. »

Où est-elle, cette Muse inouïe, cette poésie faite avec des laideurs vraies, et parce qu’elles sont vraies, sensibles et douloureuses, ces laideurs, arrivant à un effet d’impression sur les âmes, égal à celui de la plus idéale beauté ? […] Et perles est bien le mot, car la perle ne jette pas de rayons ; elle n’a que des nuances lactées, rêveuses, berçantes, qui s’endorment ou s’éteignent, et elle jaunit aussi, comme si elle s’ennuyait de la vie, cette substance mystérieuse qui est, dit-on, malade, et qui doit sa plus grande beauté à la maladie ! […] La grâce, la grâce, qu’on aime peut-être mieux dans la laideur que dans la beauté, parce qu’étant toute seule, on l’y voit mieux, Joseph Delorme l’a dans ce contraste suprême, comme il a l’ardeur de la passion dans l’impuissance, et rappelle-t-il parfois, cet énervé du rêve moderne, l’eunuque des Lettres persanes, dont l’indigence avive le désir. […] Ça et là, en effet, on en retrouve la brûlante amertume dans plusieurs de ces pièces posthumes d’un Joseph Delorme qui se survit ; par exemple, dans celle où le poète ne s’est jamais mieux peint, parce qu’il veut qu’on le regrette, et où il a le sentiment si violent d’une laideur — qu’il a bien tort d’accuser, car elle est sa beauté, à lui !

674. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pommier. L’Enfer, — Colifichets. Jeux de rimes. »

On n’a pas voulu regarder dans quelles sources d’inspiration, méprisées par la génération présente, un poète du xixe  siècle avait eu la hardiesse d’aller puiser, et quelles beautés d’expression et de sentiment il en avait rapportées. […] Amédée Pommier, c’est d’avoir touché au sujet le plus difficile et littérairement le plus dangereux, en raison de sa beauté même. […] Puisqu’il s’emparait de l’idée chrétienne, de cette donnée qu’il faut accepter toute ou rejeter toute, car, si on est chrétien, il n’est pas permis de manquer à sa foi, et, si on est vraiment un homme, d’affaiblir par des arrangements de fantaisie, l’Évangile, l’Apocalypse, les Mystiques, la Légende et la Tradition, — puisque, ravi par la sombre splendeur du dogme de l’Enfer, il foulait d’un pied libre le cadavre de Voltaire, se souciant peu des rires que cet autre démon a semés sur les lèvres humaines, et se dévouant à chanter les supplices qui répugnent tant pour l’heure à notre spiritualisme épouvanté, il fallait qu’il allât jusqu’au cœur de l’idée chrétienne, il fallait qu’il la creusât dans tous les sens pour lui arracher toutes ses beautés ! […] Dès le début, le poète de L’Enfer, malgré la beauté de pose de ses strophes et leur roulement sombre, entremêle à l’ensemble pathétique et noir de ses tableaux des touches vulgaires en apparence, qu’on nous permette le mot : des clairs de vulgarité (Ébahis se frottent les yeux !

675. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’art et la sexualité »

Celui même qui a dressé dans son cerveau, avec des assises dans l’être entier, un autel au dieu des voluptés secrètes, contemplant sa propre image que des rides précoces lui interdisent seules de comparer à l’éclatante beauté d’un Narcisse, s’adresse à lui-même ces paroles dans la mystérieuse solitude de son être : « Restons de plus en plus en nous-mêmes, d’essence toujours plus rare et sans cesse plus précieuse ; ne troublons pas ce qui doit rester pur, pour dominer les vains fantômes illusoires des réalités et l’immense troupeau des apparences. […] … J’entends en moi naître et s’élever la mélodie des élus du silence… Et le solitaire, abîmé sans la contemplation de sa beauté, dont la simple clarté du jour ruinerait l’infinie délicatesse incomprise, se perd de plus en plus dans les abîmes de jouissance qu’il découvre en lui-même, en sculptant sa propre image, d’une main que l’art rend toujours plus mystérieusement habile. […] Il est absolument impossible pour moi qu’un homme sans vie produise de la beauté ; d’un être farouchement clos ne peut sortir aucune vivace mélodie, pas plus que du sol d’une cave ne peut naître une tige colorée. […] Si la vie, en développant ces jeunes êtres atrophiés, ne les détourne pas de l’excitation solitaire de leurs cerveaux, si elle ne parvient pas à submerger leurs délicatesses de mauvais aloi sous un torrent de brutalités, s’ils n’arrivent pas enfin à comprendre que pour créer il faut étreindre, et soulever la matière vivante, vibrer en elle et la faire vibrer en soi, et qu’en cette double action résident la vie et la beauté, s’ils continuent à n’être dans le monde, qui les méprise, que des spécialistes et des vendeurs de pommade, à quel titre pourrions-nous les admettre, si, malgré la plus exquise délicatesse de l’amoureux le plus exquis de lui-même, nous continuons à préférer franchement aux plaisirs solitaires, les joies solidaires ?

676. (1940) Quatre études pp. -154

Ainsi tous les thèmes lyriques se traitent en beauté, en grandeur. […] La poésie n’est pas, disait-il, une simple répétition, une imitation plus ou moins grossière des beautés formelles qui tombent sous nos yeux. Elle est une lutte pour appréhender les beautés supraterrestres que nous devinons par intervalles ; elle est un élan vers l’infini, vers l’éternel. […] Il y a plusieurs demeures dans la maison des poètes : et chacune a sa beauté. […] Par l’art, les emportements d’un cœur qui veut s’enivrer de la beauté des choses seront surveillés et restreints.

677. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La défection de Marmont »

Une des plus grandes beautés de la nature humaine sur la terre, c’est de faire son devoir les yeux en larmes et pourtant de le faire d’un cœur ferme. Eh bien, un peu de cette pathétique beauté se trouve dans le livre de Rapetti !

678. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Comte de Gramont »

Mais en poésie, où tout est Sentiment et Expression, ces deux purs dons de Dieu, comme la Beauté et la Naissance, le travail compte pour rien quand il est tout seul, et voilà pourquoi la Critique, qu’on croit dédaigneuse et qui ne veut pas même être sévère, laisse là, en fait de poésie, les violettes de la médiocrité, d’autant plus cachées sous le foin de leur gazon que leur parfum ne les trahit pas. […] Alors il passe dans la manière du poète un phénomène d’expression colorée, brûlante et sensuelle, que les vers qui suivent traduisent et peignent : Ne me demandez pas si sa prunelle est peinte Ou du céleste azur ou du bleu de la nuit ; Quelle nuance d’or, de jaspe ou d’hyacinthe A ses tempes se joue, en sa tresse reluit ; D’albâtre ou d’incarnat si sa joue est empreinte ; Si c’est grâce chez elle ou beauté qui séduit ; Ne me demandez pas quel espoir, quelle crainte, Se mêlant à mes feux, me guide ou me poursuit !

679. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Belmontet »

A part toute opinion politique, et pour qui ne veut voir que les grands effets et la beauté des choses telle que les artistes et les poètes la comprennent, nulle période dans le monde moderne ne fut poétiquement supérieure à cette période de l’Empire dont nous, prosaïque et pacifique génération, sommes si rapprochés et si séparés en même temps, — car il est des moments dans l’Histoire où la longueur d’une lame d’épée semble quelque chose d’infini. […] la Critique, qui reconnaît en lui de pareils dons et qui voudrait que l’homme qui les a en tirât parti davantage, comme une femme tire parti de sa beauté quand elle en a l’intelligence, la Critique, sympathique et pourtant sincère, n’a-t-elle pas le droit de regretter que l’incohérence des images, trop habituelle, vienne si souvent jeter son ombre heurtée sur des qualités faites pour être vues dans la lumière, et qui produiraient certainement l’effet imposant qu’on devrait en attendre si le poète savait les y placer et les y retenir ?

680. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre IV. Que la critique doit être écrite avec zèle, et par des hommes de talent » pp. 136-215

« Il y a dans l’art un point de perfection comme de beauté et de maturité dans la nature. […] Je vous écris ceci étant bien triste, car j’ai peur que toutes les beautés de cet ouvrage ne disparaissent sous tant de mauvais vouloir. […] Dans la pièce anglaise Lauzun est un marquis de bas étage, un triste ricaneur sans esprit, sans beauté, sans jeunesse, qui ne parle que de ses créanciers, comme ferait un des chevaliers de Regnard. […] Tu m’étais la pensée de cette vie remplissant l’univers d’amour et de sainteté, et revêtant de poésie la beauté humaine, etc. […] Il ne tient ni à la naissance, ni au nom, ni même à l’âge, fort peu même à la beauté ; tout lui convient, pourvu que cela soit vite fait.

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