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730. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Edgar Allan Poe  »

L’intensité constante de leur unique passion, le jet rectiligne de leur volonté, leurs sens aigus et surentendus, la subtilité de leurs pensées, leurs actions jamais instinctives, mais déduites et raisonnées dans les plus terrifiantes conjectures, font d’elles de parfaits mécanismes mus en leurs rouages par des courants électriques réglés. […] Cette réaction implique une action antérieure contraire, une irradiation de l’unité en pluralité qui dut, en vertu de l’hypothèse nébulaire de Laplace, remplir l’espace de matière diffuse également. […] Que l’on reparcoure encore la galerie de personnages du conteur, ces aines bizarres constituées de manies inconnues, de maladies mentales mal classées et jointes à une lucidité disparate, passionnées et froides, malades et rigide ; que l’on ajoute à ces marques d’originalité artistique une originalité scientifique incontestable, certaines propositions d’ Eurêka , des vues sur la métrique confirmées depuis par les travaux allemands, la vision latérale de l’œil établie il y a peu, la connaissance de l’action délétère de l’oxygène ; il semblera que dans aucune cervelle humaine n’ont jailli plus de visions, de groupes d’images et d’idées intégralement factices. […] Les œuvres de Poe, par contre, ont une étendue propre à leur assurer sur la sensibilité une action complète sans excès ni défaut. […] Sans fièvre d’inspiration, sans cette identification avec l’œuvre que pratiquent la plupart des auteurs, une merveille de mécanique littéraire a été produite, un admirable appareil à émouvoir, d’une action infaillible, intense et perpétuelle.

731. (1828) Préface des Études françaises et étrangères pp. -

Cependant, philosophes, poètes, historiens, vraiment dignes de ces noms, unissez-vous de cœur et d’action, au lieu de vous diviser par de vaines théories et de discuter pour de vaines préséances ; vous tenez les trois sceptres de la pensée, ne vous en faites point des armes les uns contre les autres, mais joignez-les en faisceau, et vous serez invincibles. […] Mais, nous dira-t-on, Phèdre, Iphigénie, Œdipe, etc. etc., n’étaient que des imitations des anciens, habilement appropriées à notre système et à nos mœurs dramatiques, et vous voulez imposer au public la représentation de traductions fidèles de Shakespeare. — Sans doute ; et en voici les raisons : la disposition des cirques antiques, l’intervention du chœur, les grandes robes et les masques des acteurs, les rôles de femmes joués par des hommes, enfin l’extrême simplicité de l’action et l’ordre tout païen des idées et des sentiments, eussent formé de trop choquantes disparates avec nos habitudes sociales et notre civilisation chrétienne, pour que la tragédie grecque pût être posée toute droite sur notre théâtre, comme une statue qui change de piédestal. […] Ce fut aussi un tribut que le grand homme a payé au mauvais goût de son temps ; mais tel est l’art qu’il a mis dans ces monstruosités mêmes, qu’elles peuvent s’enlever toutes, sans rien déranger à l’échafaudage de ses pièces et à la marche de l’action ; cette épuration, commencée par lui-même et continuée depuis en Angleterre, souvent avec peu de goût et de discernement, fait nécessairement partie du travail d’un traducteur français qui ne doit pas rejeter ou garder tout ce qu’ont gardé ou rejeté les arrangeurs anglais ; mais la traduction n’en sera pas moins littérale, en ce sens, que si elle ne donne pas tout Shakespeare, du moins elle ne contiendra rien qui ne soit de Shakespeare. […] Tout sera décidé en une soirée, et un parterre intelligent et impartial reconnaîtra sur-le-champ, que la question n’est pas dans la coupe matérielle des scènes et des actes, dans les passages subits d’une forêt à un château, et d’une province à une autre, toutes choses dont on fait aussi bien de se passer quand on le peut, et qu’on ne doit ni repousser ni rechercher, mais qu’elle est réellement dans la peinture individualisée des caractères, dans le remplacement continuel du récit par l’action, dans la naïveté du langage ou le coloris poétique, dans un style enfin tout moderne. […] J’ai conservé la forme lyrique des romances, en ayant soin de varier continuellement les rhythmes comme les tons ; et j’ai tâché de coordonner tous ces matériaux de manière à présenter un intérêt suivi, une espèce d’action dramatique ayant son exposition, son nœud et sa catastrophe.

732. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre VI. L’effort intellectuel »

Ribot, d’attribuer une importance décisive aux phénomènes moteurs concomitants, et surtout aux actions d’arrêt, est bien près de devenir classique en psychologie. […] et qu’est-ce que « savoir s’en servir » sinon esquisser machinalement, quand on le perçoit, l’action que l’habitude a associée à cette perception ? […] Mais si l’effort mental consiste en une série d’actions et de réactions entre un schéma et des images, on comprend que ce mouvement intérieur aboutisse, d’une part, à mieux isoler la représentation, et, d’autre part, à l’étoffer davantage. […] Dira-t-on que nous postulons ainsi la dualité du schéma et de l’image, en même temps qu’une action de l’un de ces éléments sur l’autre ? […] En vain on nous objecterait la difficulté de concevoir l’action du schéma sur les images.

733. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville »

Royer-Collard, baissant un peu le ton dans l’une des lettres suivantes, était plus dans le vrai lorsqu’il insistait sur l’action utile et prolongée de l’écrivain, sur cette vocation qui n’avait pas été la sienne, à lui, et qui était de nature moins viagère ; on ne saurait définir d’une manière plus noble toute l’ambition permise à une littérature élevée, toute sa portée dans l’avenir, en même temps que ses difficultés, ses arrêts et ses limites : « … Vous, monsieur, il vous est donné de marquer autrement votre passage sur la terre et d’y tracer votre sillon ; vous l’avez commencé ; vous le suivrez sans l’achever jamais ; car aucun homme n’a jamais rien fini. […] Cependant vous seriez infidèle à la Providence si vous vous arrêtiez ; le prix n’en sera pas dans le retentissement de votre nom (vanitas vanitatum), il sera tout entier dans l’action que vous exercerez sur de nobles esprits… » Un jour, M.  […] A partir de cette époque, vous avez eu de grands jours ; mais l’action continue a cessé : c’est par l’époque de la Restauration que vous marquerez dans notre histoire. […] De là un rôle très-honorable, mais restreint et comme étouffé au point de vue de l’action.

734. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville (suite et fin.) »

Son rôle (je crois l’avoir dit déjà) est celui que, dans la haute comédie, appelle le rôle raisonneur, celui des Ariste, des Cléante, un rôle qui honore et ennoblit la pièce, mais qui n’intéresse pas l’action. […] Il me semble que ma vraie valeur est surtout dans ces travaux de l’esprit ; que je vaux mieux dans la pensée que dans l’action ; et que, s’il reste jamais quelque chose de moi dans ce monde, ce sera bien plus la trace de ce que j’ai écrit que le souvenir de ce que j’aurai fait. […] Cependant, voilà la jeunesse passée, et le temps qui marche ou, pour mieux dire, qui court sur la pente de l’âge mûr : les bornes de la vie se découvrent plus clairement et de plus près, et le champ de l’action se resserre. […] Thiers ; d’écrire l’action même de l’Empire, en évitant seulement de m’étendre sur la partie militaire que M. 

735. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre I. Les mondains : La Rochefoucauld, Retz, Madame de Sévigné »

La Rochefoucauld La vie de La Rochefoucauld peut se résumer en deux mots : une période d’action furieuse, où l’amour, l’ambition, la passion de jouer un rôle, ne lui attirent que déconvenues, désastres, ruine de ses affaires et de son corps ; une période de méditation amère, lorsque, infirme et vieilli avant l’âge, il se remet en mémoire ce que lui ont valu ses hautes aspirations, lorsqu’il raconte les faits auxquels il a pris part, dans ses Mémoires, et en tire la philosophie, dans ses Maximes. […] Les belles actions ne sont que de beaux dehors. […] Il s’entendait étonnamment à évaluer les actions ou les réactions que pouvait fournir chaque homme, de façon à y proportionner son jeu. […] Mais il marque un renversement d’influences, et le moment où la tragédie qui, jusque vers le milieu du siècle, fut sous l’action du roman, la repousse définitivement et lui renvoie au contraire la sienne.

736. (1890) L’avenir de la science « XXII » pp. 441-461

L’action paraît à plusieurs un moyen d’éviter la duperie où la frivolité suppose que se laissent tomber les hommes de pensée et de sentiment. […] Le critique voit trop bien les nuances pour être énergique dans l’action. […] La politique a fourni tout ce qu’elle pouvait fournir ; c’est désormais un champ aride et épuisé, une lutte de passions et d’intrigues, fort indifférentes pour l’humanité, intéressantes seulement pour ceux qui y prennent une action. […] Mais cette activité ne tardera pas à se proclamer elle-même impuissante, et l’on comprendra alors que la grande révolution ne viendra pas des hommes d’action, mais des hommes de pensée et de sentiment, et on laissera ce vulgaire labeur aux esprits inquiets, et toutes les âmes nobles et élevées, abandonnant la terre à ceux qui en ont le goût, tenant pour choses indifférentes les formes de gouvernement, les noms des gouvernants et leurs actes, se réfugieront sur les hauteurs de la nature humaine et, brûlant de l’enthousiasme du beau et du vrai, créeront cette force nouvelle qui, descendant bientôt sur la terre, renversera les frêles abris de la politique et deviendra à son tour la loi de l’humanité.

737. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre X. La littérature et la vie de famille » pp. 251-271

Corneille nous représente fréquemment l’amour noble, élevé, austère, inspirateur des beaux sentiments et des grandes actions. […] Tout cela se reflète dans les œuvres contemporaines : car les femmes exercent toujours une triple action, comme partie intégrante du public comme auteurs, comme conseillères ou inspiratrices d’un frère, d’un mari, d’un amoureux, d’un ami. […] Elles ont en pareille occurrence bien d’autres choses à faire qu’à s’occuper de vers, de grammaire, de questions d’art ; puis, comme elles prisent et encouragent avant tout les qualités fortes et masculines, elles s’intéressent plus aux hommes d’épée et aux politiques qu’aux hommes de lettres, et, si par hasard elles agissent sur ces derniers, le résultat de leur action est peu visible, parce qu’elles les portent à développer en eux ce qu’il y a de moins féminin. […] Cette action permanente que les femmes exercent ainsi, même sans y tâcher, explique bien des caractères de notre littérature  ; mais il me suffit pour l’instant de l’indiquer ; nous la préciserons un peu plus tard en étudiant les effets de la vie mondaine qui est l’intermédiaire ordinaire par où passe cette subtile et puissante influence.

738. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Discours préliminaire, au lecteur citoyen. » pp. 55-106

Un autre Prophete qui auroit ajouté : « Et alors, les mots signifieront chose contraire à ce qu’ils avoient signifié auparavant ; les actions produiront un effet opposé à celui qu’elles doivent produire ; quand on prêchera la licence, on croira qu’il s’agit de subordination ; quand on armera le fort contre le foible, le fripon contre l’honnête homme, le valet contre son maître, on criera vive la justice ; quand on bouleversera tout, qu’on encouragera tous les vices, qu’on brisera tous les liens de la Société, chacun s’écriera, voilà le rétablissement de l’ordre, tous les hommes vont être heureux ». […] Pour peu qu’on réfléchisse, disent-ils, on sera forcé de reconnoître que l’homme est nécessité dans toutes ses actions, & que son libre arbitre est une chimere Le Bon Sens. §. 8. […] Les Philosophes s’arrogent non seulement le privilége de diffamer leurs adversaires, ils prétendent encore que c’est-là faire une action juste & louable. […] Voici pour sa justification : Mais qu’un homme de bien [l’expression est modeste] dénonce à la société l’ennemi & le calomniateur des talens, il fait une action honnête & juste.

739. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XV »

J’allais oublier la rentrée de l’Etrangère, absente, en sa qualité de comparse, de la mêlée de l’action, et qui reparaît, à la dernière scène, pour abdiquer son amour entre les mains de la duchesse de Septmonts. […] Le dialogue n’est pas moins disparate et moins inégal que la conduite de l’action. […] Ce mari, peu intéressant d’ailleurs, commet-il vraiment une action capable d’exciter de pareilles fureurs ? […] Pour ma part, je mets la Princesse de Bagdad fort au-dessus de l’Étrangère, qui met en scène des situations et des personnages tout au moins aussi chimériques, et qui ne la vaut certes point, ni par la conduite de l’action, ni par la vigueur de l’exécution.

740. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre x »

Depuis deux ans et demi, ils conquièrent leur majorité, leurs Croix de guerre et leurs épaulettes coude à coude, et se forment sur le même modèle ; ils s’initient aux règles de la discipline et de la hiérarchie, au secret de toute action coordonnée ; ils amassent un trésor de pensées graves et d’amitiés qui fourniront à l’étendue de toute leur vie. […] Léo Latil quitte sa ville natale d’Aix-en-Provence où, près des siens, il a préparé sa licence en philosophie, sous la direction de Maurice Blondel, l’auteur insigne de l’Action.‌ […] Mais c’est dans l’action surtout qu’il s’instruira. « J’avais souvent rêvé de cette heure où j’entrerais dans la réalité. » Un jour, dans la tranchée, il songeait à la mort et lui cherchait un remède :‌ Il est infiniment doux, dans des moments comme celui-ci, de sentir qu’il y a d’autres âmes autour de nous, qui, si nous ne pouvons pas le faire, sauront élever bien haut le flambeau que nous venons de porter en avant…‌ Mais soudain il s’arrête, il écarte ce vol des oiseaux de deuil :‌ D’autres ? […] Il n’en est rien, et ça a été une grande surprise pour moi de constater que soldats et chefs ne sont pas toujours unis dans une seule et même pensée, celle de la victoire ; de constater que notre action doit s’exercer sur la mentalité de nos hommes pour les convaincre tout d’abord de la grandeur de la tâche à accomplir.

741. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Geoffroy de Villehardouin. — I. » pp. 381-397

On ignore les actions de sa jeunesse et de ses premières années ; on le voit déjà mûr, attaché au comte Thibaut III, qui parvint à la principauté en 1197, à l’âge de vingt-deux ans, et obtenant toute sa confiance. […] Cependant, au fond, et quand on suit l’enchaînement des faits chez Villehardouin, on voit assez clairement que la plupart de ceux qui affichent ces beaux motifs, et qui se rangeaient derrière les rigoristes scrupuleux, ne désiraient que rompre la promesse jurée et se dégager de leur vœu en faisant avorter toute grande action et conquête trop périlleuse. […] Et tous se précipitèrent, ceux des moindres vaisseaux sautèrent au rivage, et ceux des grands vaisseaux se jetèrent dans les barques, et tous abordaient à l’envi, à qui mieux mieux… La ville impériale ne fut pas prise ce jour-là ; mais l’action du vieux doge subsiste dans toute sa grandeur.

742. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — II » pp. 268-284

Il suppose en principe que les facultés d’un homme, comme les organes d’une plante, dépendent les unes des autres ; qu’elles sont mesurées et produites par une loi unique ; qu’il y a en nous une faculté-maîtresse dont l’action uniforme se communique différemment à nos différents rouages, et imprime à notre machine un système nécessaire de mouvements prévus. — Une fois qu’on a saisi la faculté maîtresse, dit-il ailleurs en parlant de Shakespeare, on voit l’homme se développer comme une fleur. […] Au second livre De l’orateur, cette même question des rapports de l’histoire avec le talent de la parole (« quantum munus sit oratoris historia ») est pareillement mise sur le tapis et discutée entre les interlocuteurs supposés, l’orateur Antoine et Catulus ; Antoine y indique très nettement les différences qui distinguent en propre le genre historique, — l’horreur du mensonge, la vérité des faits pour base, la description fidèle des événements, des lieux, l’exposé intelligent des entreprises, et un courant de récit plus égal, plus doux, épandu, naturel, exempt des violences et des secousses de l’action oratoire. […] Il est d’une nation où, tôt ou tard, les gens de talent, s’ils veulent produire tout leur effet et toute leur action utile, doivent se résoudre à plaire.

743. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Daphnis et Chloé. Traduction d’Amyot et de courier »

Indépendamment du cercle entier des saisons qui se déroulent sous nos yeux dans ce tableau varié de l’idylle, et où chaque saison, y compris l’hiver, passe tour à tour en offrant les scènes qui lui sont propres, des incidents romanesques ou mythologiques viennent retarder ou exciter la marche légère de l’action. […] L’originalité de l’œuvre n’est nullement dans l’action : elle est dans le caractère à la fois rustique et élégant de tout le début, dans la fraîcheur des petits tableaux nets et vifs qui se succèdent, et dans l’analyse graduelle, nuancée, du désir en deux cœurs adolescents, en deux pubertés naissantes et qu’on voit éclore. […] Un merveilleux mythologique assez ridicule vient terminer le seul incident qui sépare les jeunes aidants… » Il n’y a rien précisément de ridicule dans le merveilleux mythologique si ingénieusement imaginé et si bien adapté à l’action.

744. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Préface »

Le Sénat n’est pas apparemment, comme l’ordre des avocats, soumis à un conseil de discipline, et nul n’a droit de demander compte à un sénateur de ses actions, — surtout d’actions aussi étrangères à la politique active. […] il ne cherche pas à s’y justifier d’une action bien simple, mais il y donne des explications à des amis qui s’étaient émus de tout le tapage fait, à cette occasion, par de pieux journalistes.

745. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « APPENDICE. — CASIMIR DELAVIGNE, page 192. » pp. 470-486

L’action a paru lente : ce n’est pas évidemment de ce côté que l’auteur a voulu porter ses forces. […] J’avoue qu’elle me paraît suffisante pour défrayer l’action dans ce genre de comédie qu’a voulu M. […] Et l’autre lui répond : Ce monde, il est créé ; rends-le meilleur, plus pur… Je ne connais rien, dans l’ordre de poésie morale, dans ce genre philosophique de l’Essai sur l’Homme de Pope, de plus beau que cet endroit, et ici il est de plus en scène, il a son effet d’action.

746. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — II »

Son génie, naturellement recueilli et paisible, eût-il suffi à cette intensité d’action que réclame notre curiosité blasée, à cette vérité réelle dans les mœurs et dans les caractères qui devient indispensable après une époque de grande révolution, à cette philosophie supérieure qui donne à tout cela un sens, et fait de l’action autre chose qu’un imbroglio, de la couleur historique autre chose qu’un badigeonnage ? […] Talma, qui, dans ses dernières années, en était venu à donner à ses rôles, surtout à ceux que lui fournissait Corneille, une simplicité d’action, une familiarité saisissante et sublime, l’aurait vainement essayé pour les héros de Racine ; il eût même été coupable de briser la déclamation soutenue de leur discours, et de ramener à la causerie ce beau vers un peu chanté.

747. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Conclusion. »

D’ailleurs, on peut trouver dans la vie un intérêt, un mobile, un but, sans être la proie des mouvements passionnés ; chaque circonstance mérite une préférence sur telle autre, et toute préférence motive un souhait, une action ; mais l’objet des désirs de la passion, ce n’est pas ce qui est, mais ce qu’elle suppose, c’est une sorte de fièvre qui présente toujours un but imaginaire qu’il faut atteindre avec des moyens réels, et mettant sans cesse l’homme aux prises avec la nature des choses, lui rend indispensablement nécessaire ce qui est tout à fait impossible. […] Dans quels égarements ne s’est pas souvent perdue la pensée qui précède les actions, la pensée, ou quelque chose encore de plus fugitif qu’elle ? […] C’est dans la crise d’une révolution qu’on entend répéter sans cesse, que la pitié est un sentiment puérile, qui s’oppose à toute action nécessaire, à l’intérêt général, et qu’il faut la reléguer avec les affections efféminées, indignes des hommes d’état ou des chefs de parti ; c’est au contraire au milieu d’une révolution que la pitié, ce mouvement involontaire dans toute autre circonstance, devrait être une règle de conduite ; tous les liens qui retenaient sont déliés, l’intérêt de parti devient pour tous les hommes le but par excellence : ce but, étant censé renfermer et la véritable vertu et le seul bonheur général, prend momentanément la place de toute autre espèce de loi : hors dans un temps où la passion s’est mise dans le raisonnement, il n’y a qu’une sensation, c’est-à-dire, quelque chose qui est un peu de la nature de la passion même, qu’il soit possible de lui opposer avec succès ; lorsque la justice est reconnue, on peut se passer de pitié ; mais une révolution, quel que soit son but, suspend l’état social, et il faut remonter à la source de toutes les lois, dans un moment où ce qu’on appelle un pouvoir légal, est un nom qui n’a plus de sens.

748. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Qu’est-ce qu’un classique ? » pp. 38-55

Son Avare, où le vice détruit toute affection entre le père et le fils, est une œuvre des plus sublimes, et dramatique au plus haut degré… Dans une pièce de théâtre, chacune des actions doit être importante en elle-même, et tendre vers une action plus grande encore. […] Goethe a encore dit là-dessus le vrai mot quand il a remarqué que Byron, si grand par le jet et la source de la poésie, craignait Shakespeare, plus puissant que lui dans la création et la mise en action des personnages : Il eût bien voulu le renier ; cette élévation si exempte d’égoïsme le gênait ; il sentait qu’il ne pourrait se déployer à l’aise tout auprès.

749. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Les regrets. » pp. 397-413

L’espoir des grandes actions vous tente et vous soutient, j’aime à le croire : en attendant, les actions vaines ne prennent pas moins de place. […] Il me montrait l’endroit où ils étaient placés durant l’action : il me répétait ce que le roi lui avait dit ; il n’en avait pas oublié une parole. « Ici, me dit-il en parlant de l’une de ces batailles, je fus deux heures à croire que mon fils était mort : le roi eut la bonté de paraître sensible à ma douleur.

750. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « J. K. Huysmans » pp. 186-212

Huysmans l’expédie en quelques phrases et consacre ses chapitres non plus au récit d’une série d’événements, mais à la description d’une situation, d’une scène, procède non par narrations successives avec de courtes haltes, mais par de larges tableaux reliés de brèves indications d’action ; et, comme tous les écrivains de cette école  avec de profondes différences personnelles  il possède un vocabulaire étendu et un style riche en tournures, apte, par des procédés divers, à rendre l’aspect extérieur des choses, à reproduire les spectacles, les parfums, les sens, toutes les causes diverses et compliquées de nos sensations, de façon à les renouveler dans l’esprit du lecteur par la voie détournée des mots. […] Huysmans se figure le mécanisme de l’âme humaine, exagère certaines facultés, amoindrit l’action de certaines autres, que ses romans tranchent sur leurs congénères, se sont nécessairement revêtus d’un style original et aboutissent à une philosophie générale déduite jusqu’en ses extrêmes conséquences. […] Toute leur activité vitale aboutit à emmagasiner des visions et à en dégorger d’anciennes, à noter des aspects, à percevoir des colorations et des scintillements, et à évoquer, dans les périodes languissantes, d’anciennes vibrations lumineuses, entassées, endormies dans l’arrière-fonds de la mémoire, mais vivaces et aptes à reparaître à la suite d’une association d’idées, comme les altérations d’un papier sensibilisé, sous l’action d’un réactif.

751. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre I : Principe de la métaphysique spiritualiste »

Comment pourrais-je même passer de l’un à l’autre sans interruption, sans solution de continuité, s’il n’y avait pas en moi, outre la conscience de cette pluralité phénoménale, la conscience d’une unité continue, qui est la trame de toute ma vie, et qui en fait même l’intérêt, comme dans un drame l’unité d’action est l’âme et la vie du drame ? […] Or, la fatigue suppose l’action. La vie n’est donc pas seulement une existence, c’est une action, et le sujet pensant n’est pas seulement un être, c’est une force.

752. (1900) Le lecteur de romans pp. 141-164

Le cadre du roman, c’est toute l’atmosphère où se déroule l’action, c’est l’entourage, la maison, le mobilier aussi bien que la campagne ou le quartier, le reflet des choses sur les hommes. […] La longue description est donc généralement fausse en littérature, parce qu’elle est incompatible avec l’action. […] Il conte sobrement, avec des mots clairs et simples ; il a la phrase variée et solide ; il voit tout, et cependant il n’exprime de sa vision que ce qui est nécessaire à l’action.

753. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Appendice. [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 497-502

Et, en effet, L’Honneur de la maison est une pièce qui, une fois la donnée admise, donnée qui est antérieure au moment de l’action, nous présente une suite, un enchaînement de scènes vraies, touchantes, pathétiques ou terribles, tout un drame domestique où les seuls coupables sont punis. Le séducteur, et qui l’a été bien antérieurement à l’action, n’est pas seulement puni d’une manière sensible, douloureuse et finalement tragique ; mais, ainsi qu’on l’a remarqué, il joue dans tout le cours de la pièce, pour un homme brave et fier comme il est, un très sot rôle, ce qui, en France, n’est pas le moindre des châtiments.

754. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — V » pp. 123-131

Il paraissait confus quand il n’avait pas l’action en main pour s’éclaircir. […] Le public, disposé à tout blâmer, trouva, pour cette fois avec raison, que tout le monde avait tort : Voltaire, d’avoir offensé le chevalier de Rohan ; celui-ci, d’avoir osé commettre un crime digne de mort, en faisant battre un citoyen ; le gouvernement, de n’avoir pas puni la notoriété d’une mauvaise action, et d’avoir fait mettre le battu à la Bastille pour tranquilliser le batteur.

755. (1875) Premiers lundis. Tome III « Profession de foi »

Alors pourtant le Globe eut son unité, et cette unité pleine d’accidents, de saillies, de sentiments probes, de pensées utiles, fut, non plus une idée générale un peu vague et confuse dans sa réalité lointaine, mais un homme ; un homme de premier mouvement et d’action, d’une intelligence ouverte, d’une parole incisive, écrivain loyal, âpre et intrépide, tous les jours sur la brèche, à l’aise et en plein sur le terrain mouvant de la liberté ; répandant sur l’ensemble parfois discordant du journal l’unité passionnée, et sans cesse renaissante, de sa physionomie ; liant, non par des liens, mais par des étincelles électriques, en quelque sorte, les portions les plus excentriques du cercle ; nature impressive et rapide, embrassant par son impartialité la nuance doctrinaire, et par sa verdeur la nuance républicaine : c’est assez désigner M. […] Ce n’était plus, comme il y a sept ans, par des investigations historiques que l’œuvre d’association des peuples devait être servie ; on en était dorénavant à la pratique et à l’action.

756. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre I. Influence de la Révolution sur la littérature »

Mais ce qui soutenait le goût classique, c’était le monde, une aristocratie de privilégiés si bien dispensée des spécialisations et des actions professionnelles qu’elle en regardait la marque comme disqualifiant l’honnête homme : alors l’éducation pouvait n’avoir pour fin que l’ornement et le jeu de l’esprit. […] Même aujourd’hui, l’art qu’on aime est un art si simple, si naturel, si éloigné d’être un artifice ou une tricherie, qu’il ne peut convenir qu’à un public exercé à dégager lui-même ses sensations esthétiques de la matière brute : si les journaux ont contribué à nous amener là, leur action cette fois a été bienfaisante.

757. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Guy de Maupassant »

Pas de casse-tête psychologique, peu de commentaires des actions, et des commentaires limpides comme eau de roche. […] Les psychologues de profession s’évertuent à percer ces dessous, mais ne leur arrive-t-il pas d’inventer, d’imaginer des nuances de sentiment et de secrets mobiles d’action ?

758. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XV » pp. 175-187

Tout était académie : académie ne se bornant pas à lire, à écouter, à disserter ; mais académie en action, en inspirations, en conceptions, en création ; jugeant aussi, corrigeant, rebutant au moins les plus grosses erreurs de goût, et réprimant les écarts et les bizarreries. […] On pourrait croire que l’unité de ton était, au moins pour notre théâtre, la conséquence nécessaire de cette loi de l’art qui établissait l’unité de lieu, de temps, d’action : Qu’en un lieu, qu’en un temps, un seul fait accompli Tienne, jusqu’à la fin, le théâtre rempli.

759. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 9, de la difference qui étoit entre la déclamation des tragedies et la déclamation des comedies. Des compositeurs de déclamation, reflexions concernant l’art de l’écrire en notes » pp. 136-153

Ainsi ce furent des comédiens qu’on avoit fait venir d’étrurie qu’on vit dans ce tems-là sur notre théatre, où ils représentoient suivant la maniere de leur païs, c’est-à-dire, en faisant assez bien les gestes à la cadence des instrumens à vent, et en récitant des vers qui n’avoient point encore aucune déclamation composée, à laquelle nos comédiens fussent obligez d’assujettir leur action. […] L’action y étoit déja assujetie.

760. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Bruyère » pp. 111-122

Si nous consultons les mémoires de son temps, qui n’en parlent pas assez, ce grand Spectateur ne se mêla guères à l’action de son époque, et voilà pourquoi il la vit si bien ! […] Mais nous avons besoin, nous qui voulons connaître et les procédés de composition des hommes de génie, et l’action de leur esprit sur leur société, et la réaction de leur société sur leur esprit, nous avons besoin qu’on nous dévoile le secret de leurs inspirations et la variété de leurs sources.

761. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VIII. De Platon considéré comme panégyriste de Socrate. »

Les trois dialogues qui forment ce dénouement sont de véritables éloges sans en avoir le titre, et d’autant plus intéressants qu’ils sont en action. […] Le premier de ces trois discours est l’Apologie ; qu’on se peigne un vieillard de soixante-dix ans, qui toujours a été vertueux et juste, paraissant dans les tribunaux pour la première fois ; intrépide et simple devant ses juges, comme il l’était dans les actions ordinaires de sa vie, dédaignant l’artifice et les vains secours de l’éloquence, n’en connaissant d’autre que la vérité, et jurant de parler son langage jusqu’au dernier moment, priant ses juges avec l’autorité d’un vieillard et d’un homme de bien, d’examiner si ce qu’il va leur dire est juste ou ne l’est pas, parce que c’est là leur fonction, comme la sienne est de dire la vérité, parlant de ses accusateurs sans colère comme sans dédain, du reste, tranquille sur son sort, qu’il soit condamné ou qu’il soit absous, abandonnant à Dieu le succès, et se justifiant pour obéir à la loi : tel paraît Socrate dans son début.

762. (1894) Écrivains d’aujourd’hui

On devient impropre à l’action, et pour ainsi dire impropre à la vie. […] Brunetière croit fermement à l’action de la critique. […] Il a le style d’un homme d’action. […] Lavisse est surtout un homme d’action, il serait temps de voir en quelles matières s’est exercée son action et à quels résultats elle a abouti. […] Son action sur la jeunesse.

763. (1894) La vie et les livres. Première série pp. -348

Et cela suffit à montrer combien est efficace l’action des écrivains, lorsqu’ils comprennent ainsi leur office. […] Les virtuoses raffinés sont malhabiles à l’action privée et publique. […] L’impératif catégorique gouverne rarement leurs actions. […] Leconte de Lisle s’est défendu, lui aussi, contre la compassion aux humaines misères et contre les exigences de l’action. […] Maurice Blondel, qui nous prêche l’action.

764. (1907) Le romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et dans les idées au XIXe siècle

Théoricien de l’impérialisme : ses idées, son action (Paris, L’Artisan du livre, 1928). […] Les religions de l’Inde sanctifient l’horreur de l’action, la contemplation morose du grand « Tout », c’est-à-dire du rien. […] J’avais, depuis les cours d’amour jusqu’aux « ruelles », leur action ne s’était exercée que sur la sociabilité et les mœurs. […] Dans sa pensée seulement ; mais justement la pensée sublime ne descend pas à l’action. […] Impossibles, comment ces caractères engendreraient-ils aucune action ?

765. (1890) Les princes de la jeune critique pp. -299

Ganderax de la psychologie mise en dialogue et en action. […] Il a recherché l’action de la société, du climat, des événements sur l’individu. […] En constatant l’action exercée sur lui par ses livres préférés, il exerça sur ses lecteurs une action dans le même sens. […] Peu fait pour l’action, on pourrait dire qu’il trouve ses bonheurs les plus vrais à rêver le bonheur. […] Combien d’autres actions cette sensibilité affinée n’exerce-t-elle pas sur l’intelligence qui cohabite avec elle !

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