N’est-ce pas bien mystérieux, bien troublant, et cela n’échappe-t-il pas, pour la plus large part, à toutes les analyses et à tous les récits d’un romancier ? […] Il y a bien longtemps que vous la connaissez, que vous avez observé le fond d’envie de cette nature molle et d’imagination égoïste, sa perpétuelle et lointaine tentation d’échapper au devoir commun, d’être délivrée des soucis de sa vie de paysanne, obligée de soigner l’homme, les enfants et les bêtes.
Tout homme éminent porte en lui plusieurs âmes, on l’a dit, et c’est cette contradiction intérieure même qui fait sa force : si appliqué qu’il soit à réfléchir et à transformer en règles générales ses aptitudes personnelles, une partie de lui-même échappe toujours à sa réflexion, et ce qui lui échappe le plus c’est cette faculté intime, toute inconsciente et intuitive, qui est proprement son génie.
Nous n’avons pas tout ce qu’ils ont produit ; mais il seroit bien extraordinaire qu’aucun lambeau romanesque n’eût échappé aux ravages du temps & des incendies, qui ont respecté tant d’autres productions. […] On a peint le Prothée des anciens occupé à prendre mille formes différentes pour échapper à ceux qui le poursuivoient ; la raison n’est que trop souvent réduite à ces métamorphoses, pour s’approcher de ceux qui la fuient.
On sent, à quelques mots qui lui échappent, à certaines brusqueries presque involontaires, qu’il règne sous cette douceur un peu sauvage, à laquelle la plus exacte bienséance préside, une énergie puissante de retenue, et capable, si on la heurtait, de rude défense.
Ce qu’il laisse échapper à ce sujet dans son Introduction, est d’une éloquence douloureuse.
Les femmes sans esprit de conversation ou de littérature, ont ordinairement plus d’art pour échapper à leurs devoirs ; et les nations sans lumières ne savent pas être libres, mais changent très souvent de maîtres.
La tragédie de Voltaire Voltaire employa souvent ces artifices : mais il essaya souvent aussi d’y échapper.
Elle a souvent pour résultat l’ennui et l’impossibilité d’échapper à son propre isolement ?
L’individu qui adopte et s’efforce de faire triompher cette conception sociale n’échappe pas aux inévitables conflits entre l’indépendance de l’individu et les exigences de tout groupement quel qu’il soit.
Mais la vraie poésie de la Bible, qui échappait aux puérils exégètes de Jérusalem, se révélait pleinement à son beau génie.
Les facilités que Jésus trouvait en Galilée pour s’échapper et la faiblesse du gouvernement d’Antipas déjouèrent ces tentatives.
Mais Jésus échappa encore pour quelque temps.
C’est aussi son inconvénient : fausse ou mal formée, elle échappe au contrôle, car rendant inutile l’expérience personnelle, elle tend il la supprimer ; aussi propage-t-elle le mensonge et l’erreur avec la même force, avec laquelle elle propage les vérités.
Le charme des musiques devra de même être reproduit après leur analyse ; l’intime éclosion de rêves et d’actes que provoque le lent essor d’une voix dans le silence d’une nuit, le ravissement des mélodies, le suspens des longues notes tenues, le heurt douloureux des cris tragiques sera décrit et rappelé, comme les mâles et sobres éclats des pianos, le jeu des souples doigts, les élans atrocement rompus des marches, les prestos envolés, retombants, et voletants, ou la grave insistance de ces andantes qui paraissent exhorter et calmer et apaiser les sanglots qui traînent sur le pas des suprêmes décisions ; les violons nuanceront tout près de l’oreille et de l’âme leur voix sympathique, âpre et chaude, et l’on entendra passer leur chant captif sur les sourds élans des contrebasses, l’embrasement suprême des cuivres, le ricanement sinistre des hautbois, unis en cette gerbe montante de sons, de formes et de mouvements, qui s’échappe des orchestres et porte les symphonies.
Or, dès que le mérite d’un ouvrage attire l’attention du public, ces beautez que le public ne sçauroit comprendre sans quelqu’un qui les lui explique, ne lui échappent pas.
Oui, c’est l’avis formel de nos adversaires : on ne peut étudier ni traduire Homère, tout simplement parce que le vrai Homère nous échappe et que chacun nous présente un Homère différent.
Mme Swetchine, qui n’est pas auteur, — qui en a un jour couru le danger, mais qui y a échappé par cette conversion qui la jeta dans le grand sérieux de la vie et qu’elle n’a jamais racontée (trait caractéristique de la discrétion sur elle-même de cette sympathique femme du monde), Mme Swetchine, ne peut avoir eu que deux buts en écrivant sa pensée : — ou la fixer mieux en la parlant, pour la connaître et lui donner sa forme, pour qu’elle cessât d’être une rêverie et fût bien une pensée, — ou entrer par là dans la pratique morale, dans le conseil, dans le soulagement.
Elle peint superficiellement une société superficielle, dont la corruption, si elle est corrompue, lui échappe.
Négociateur qui ne réussissait pas toujours, mais qui avait le charme de se faire pardonner ses défaites par ceux qui l’employaient et qui défalquaient son talent de ses insuccès ; joueur effréné, mais plus heureux dans la vie qu’au jeu, il échappa à la disgrâce dont Louis XIV frappa le joueur Brienne, et, que dis-je ?
Et c’est l’aberration commune, et pour ainsi dire inévitable, que cette manière de juger Louis XIV ; nul écrivain n’y a échappé.
Le mot de bêtise, dans sa crudité, échappe, en effet, plus d’une fois à cette plume de grand seigneur, si sobre, si mesurée et si polie.
Elle fut dévorée par l’ennui, avec tout ce qui, en elle et hors d’elle, dans son être et dans sa société, aurait dû rendre cet ennui impossible, et malgré tous les efforts que cet esprit ravissant, si fin et si souple, ne cessa de faire, toute sa vie, pour y échapper !
Quand on est ce qu’ils sont, l’abjecte, dans Sophie Arnould, on peut ne pas la voir sous les roses de la courtisane et dans les fulgurations d’un esprit qui mit tout son siècle à feu ; mais l’imbécillité, tard venue, — mais enfin venue, — pouvait-elle échapper à qui aime tant les choses de l’esprit et se connaît tant aux choses de l’esprit ?
Dumas, elle eut triomphé plus tard immanquablement, parce qu’elle est dans la logique de ce temps, et que les peuples sont gouvernés par la logique des principes qu’ils ont posés, — et s’ils lui échappent une fois, deux fois, ils sont toujours repris par elle !
Soit qu’il lui échappe quelque ardente prière dans une note émue, ou qu’il révèle la sagacité renseignée de l’érudit dans un rapprochement ou une explication, on aime à retrouver l’individualité de l’homme qui a conçu le plan de cet ouvrage, tout ensemble utile et modeste, à le voir se rappeler de temps en temps avec talent et convenance au milieu des graves fragments qu’il groupe et coordonne.
La nature vraie du nègre aurait échappé à ce rude peintre, qui en fait saillir si admirablement les grimaces quand elles s’individualisent dans quelqu’un, et, comme tant d’autres, cet esprit, qui semblait n’avoir rien de commun avec les badauderies contemporaines, y échouerait… ce ne serait rien de plus qu’un homme à la mer !
II Elle y est, en effet, cette manie, un des derniers gestes de la décrépitude d’une société tout à la fois curieuse et blasée… Vieux de race, hébétés de civilisation, énervés, blasés, ennuyés, dégoûtés, ayant besoin pour nous secouer d’une originalité dont nous n’avons plus la puissance, nous ne comprenons plus rien à la beauté de la ligne droite dans les choses humaines, et nous la courbons, nous la tordons, nous la recroquevillons en grimaçantes arabesques, pour qu’elle puisse donner une sensation nouvelle à nos cerveaux et à nos organes épuisés… La simplicité du génie et de ses procédés nous échappe.
et, enfin, s’il échappe à Dorat, qui tient trop de place dans ce recueil, et veut remonter vers Desportes, il chante Raphaël.
Et cela seul, — ce petit bout d’oreille de lion échappé par hasard de la peau de Vacquerie, — ferait reconnaître que là-dessous il n’y a que Hugo !
On aime à voir le crime rendre hommage à la vertu, et l’homme libre échappé au tyran, célébré par le tyran même.
Tel est le fond du tableau que nous présente l’orateur ; il peint en même temps la jeune duchesse de Bourgogne, adorée de la cour, et dont les vertus aimables mêlaient quelque chose de plus tendre aux vertus austères et fortes de son époux ; il la peint frappée comme lui, expirante avec lui, sentant et le trône et la vie, et le monde qui lui échappaient, et répondant à ceux qui l’appelaient princesse : Oui, princesse aujourd’hui, demain rien, et dans deux jours oubliée.
Quelques détails gracieux et même quelques jolies pièces ont échappé à sa sévérité ; rien n’a échappé à son influence. […] Dites : « L’obscur dédale en lequel l’homme se perd dès qu’il veut pénétrer dans la syringe où se tient enfermée l’âme impénétrable de la créatrice des races. » Rougissez-vous d’avoir laissé échapper, après Peyrebrune, cette lapalissade trop visible : « Tout bonheur n’est parfait que s’il est complet ? […] Et l’ignominie de la politique envahira la moitié du pays qui jusqu’ici lui échappa. […] Tant pis ou tant mieux pour qui m’échappera. […] Ses tentatives d’épigrammes tournent en madrigaux et, si elle essaie un madrigal, c’est un dithyrambe qui lui échappe.
Le divin goinfre scandalise si fort les serviteurs, qu’un deux laisse échapper le secret d’Admète. […] Leur visage vivant nous échappera toujours. […] Et l’on n’a aucune peine à y échapper par de faciles distinguo. […] Si, au moins, il pouvait échapper un instant à cet énervant tête-à-tête, passer la soirée dehors ! […] Mais sans doute cela n’est pas dit où il fallait, ni comme il fallait, puisque cela a échappé à quelques-uns.
Nous fûmes très frappé en effet de voir comment le temps réel, qui joue le premier rôle dans toute philosophie de l’évolution, échappe aux mathématiques. […] Si l’on s’arrête, c’est pour échapper au vertige. […] Ils estiment que si tout passe, rien n’existe ; et que si la réalité est mobilité, elle n’est déjà plus au moment où on la pense, elle échappe à la pensée. […] Mais, par là, elle laisse échapper du réel ce qui en est l’essence même. […] Il échappait par son immatérialité.
Il faut au poète une grande connaissance du cœur humain, pour saisir le moment où le personnage doit laisser échapper le sentiment dont il est plein. […] Ce sont les modernes qui ont senti les premiers que chaque mot échappé à leur personnage devait peindre son âme, la montrer tout entière, la distinguer de tous les autres, d’une manière neuve et frappante, renforcer son caractère, et le porter au point par-delà lequel il cesserait d’être dans la nature. […] Un mot qui échappe du cœur, peint mieux que les menaces directes les plus violentes. […] Ma fille, de l’autel cherchant à s’échapper, Gémit-elle du coup dont je la veux frapper ? […] Souvent il échappe aux gens du peuple des aveux naïfs dont l’effet est toujours sûr au théâtre : c’est le secret de Molière dans presque toutes ses pièces de comique bourgeois.
Nous échapperont-ils toujours ? […] Il faudrait, pour y échapper, mettre sur les deux espèces d’ordre des noms différents, et ce n’est pas facile, à cause de la variété et de la variabilité des formes qu’elles prennent. […] Qu’elle cherche à mettre sous le mot une idée : elle trouvera que le désordre peut bien être la négation d’un ordre, mais que cette négation est alors la constatation implicite de la présence de l’ordre opposé, constatation sur laquelle nous fermons les yeux parce qu’elle ne nous intéresse pas, ou à laquelle nous échappons en niant à son tour le second ordre, c’est-à-dire, au fond, en rétablissant le premier. […] Imaginons donc un récipient plein de vapeur a une haute tension, et, çà et là, dans les parois du vase, une fissure par où la vapeur s’échappe en jet. […] Enfermé dans les habitudes de l’espèce, il arrive sans doute à les élargir par son initiative individuelle ; mais il n’échappe à l’automatisme que pour un instant, juste le temps de créer un automatisme nouveau les portes de sa prison se referment aussitôt ouvertes en tirant sur sa chaîne il ne réussît qu’à l’allonger.