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45. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre V. Suite du Père. — Lusignan. »

j’ai combattu soixante ans pour ta gloire ; J’ai vu tomber ton temple et périr ta mémoire ; Dans un cachot affreux abandonné vingt ans, Mes larmes t’imploroient pour mes tristes enfants : Et lorsque ma famille est par toi réunie, Quand je trouve une fille, elle est ton ennemie ! […] Tourne les yeux : sa tombe est près de ce palais, C’est ici la montagne où, lavant nos forfaits, Il voulut expirer sous les coups de l’impie ; C’est là que de sa tombe il rappela sa vie.

46. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre VI. La poésie. Tennyson. »

Tu es accouplée à un rustre, —  et la pesanteur de sa nature te fera tomber aussi bas que lui. […] —  Était-ce humain de me faire une tombe si rude, —  à moi qui ai toujours eu le sommeil léger ? […] Ida, indignée, veut partir ; son pied glisse, elle tombe dans la rivière ; le prince la sauve et veut fuir. […] C’est le soir de la dernière bataille ; tout le jour le tumulte de la grande mêlée « a roulé le long des montagnes près de la mer d’hiver » ; un à un les chevaliers d’Arthur sont tombés ; il est tombé lui-même, le crâne fendu à travers le casque, et sire Bedivere, son dernier chevalier, l’a porté tout près de là, « dans une chapelle brisée avec une croix brisée, debout sur une noire bande de terre stérile. […] Une clarté violente tombe sur ces crânes qui reluisent ; la plupart sont chauves avant trente ans.

47. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIe entretien » pp. 5-85

et contre l’évidence, un ami littéraire dans ses belles Lettres à un homme tombé (il aurait mieux fait peut-être de dire à un homme sorti). […] Nous n’y entrâmes qu’à la nuit tombée. […] À ces mots le livre tomba de mes mains, et je restai immobile et absorbé dans la contemplation de ce tombeau. […] Sa mort récente et prématurée, sa tombe à peine fermée par les mains de l’amour, et cette tombe illustrée par un chef-d’œuvre de Canova, lui-même immortel, ajoutaient à mon émotion, à l’aspect inattendu de ce sépulcre. […] La tombe la plus ignorée, sous un peu d’herbe, sans pierre et sans nom, est la plus désirable.

48. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Émile Zola »

Là est tombé son talent, — dans un saloir qui ne le salera pas ! […] Zola lui a donné la foi pour mieux montrer à quel degré de rachitisme intellectuel l’idée religieuse fait descendre la créature humaine, — aurait dû résister longtemps avant de tomber, et, s’il fût tombé, le flambeau de la foi, qui n’est pas toujours éteint par la chute, aurait pu allumer en lui le feu des remords. […] Zola n’a pas donné non plus à son abbé Mouret le grandiose tragique qu’a parfois le prêtre qui tombe, le prêtre porte-lumière, foudroyé comme Lucifer, mais par une foudre qui vient d’en bas et qui n’est plus lancée par la main de Dieu. […] Zola lui fasse une gloire de son repentir, de sa pénitence, de sa résistance obstinée à la femme qui le fit tomber et à la tentation des souvenirs ? […] … Mais, moi, je dis que, quand un homme tombe jusque-là, il sort de la littérature, et qu’il n’y a plus à s’occuper de ses élucubrations.

49. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Ernest Feydeau » pp. 106-143

Ces gens-là ne tombent pas de haut ! […] S’il est mérité, il oblige à un succès plus grand, sous peine de tomber de la hauteur qu’il vous a faite. […] Feydeau est tombée. […] Il ne reste donc que le langage, mais Chateaubriand peut se tenir tranquille dans sa tombe, il n’est pas encore détrôné ! […] De même, encore, le dominicain, dont le personnage est sacrifié à celui de Clara, et tombe dans le poncif du prêtre inventé par les romanciers de l’école Flaubert, et même Champfleury, que je défie bien, l’un et l’autre, en s’y adjoignant M. 

50. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — XVII. La flûte d’ybilis »

Il reprit sa flûte et sortit de la case malgré la pluie qui continuait à tomber à torrents. […] Et sa flûte disait : J’ai déterré des cadavres du côté du Levant Et du côté où tombe le soleil. […] Un jour enfin qu’il arrivait près d’un village il entendit un bilakoro174 jouer de la flûte : Et cette flûte disait : J’ai déterré des cadavres vers le Levant Et du côté où tombe le soleil Et nul de ceux-là ne m’a dit « Mère !

51. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Eugène Sue » pp. 16-26

Il est tombé dans le bruit de la mort de Béranger et il s’y est perdu, D’un autre côté, est-ce défiance ou ingratitude ? […] Sue s’était donné et dont il fut longtemps le coryphée, n’a encore jusqu’ici effeuillé que de très-petites fleurs sur sa tombe. […] Nous, de notre côté, en regardant dans quelles mains sont tombées les guides qui menaient naguères, comme un quadrige, trois ou quatre feuilletons à la fois, nous avons eu la preuve de cette vérité qu’il importe de répéter aux hommes d’une époque, dupe des choses physiques : c’est qu’il est plus aisé de produire beaucoup de volumes que d’en écrire un seul avec éclat, délicatesse et profondeur. […] Parti du pessimisme le plus enragé, il finit par tomber et rouler dans les niaiseries sociales, parce que là était le courant et qu’il y croyait les deux choses qu’il aimait, — l’argent et le bruit, — l’argent pour le luxe qu’il respirait avec une sensualité effrénée ; le bruit, nécessaire à sa flamboyante vanité ! […] Le silence s’assied déjà sur cette tombe d’hier.

52. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1890 » pp. 115-193

Groult se disposant à les porter dans la voiture, la femme qui venait de les lui vendre, lui disant : « Il y a encore une condition… ce sont mes aïeux… et je ne consentirai à les laisser sortir, que la nuit tombée. » Et la vendeuse promenait dans les vignes son vendeur jusqu’au crépuscule. […] Le jour tombé, il ne lisait pas, aux lumières, une ligne d’un journal, une ligne même d’une lettre : il la mettait dans sa poche, disant qu’il la lirait le lendemain. […] Chez Charpentier, je tombe sur Zola, qui vient d’apporter le commencement de la copie de son volume sur l’Argent. […] Et il me semble qu’un jour, en ce cimetière aux portes de la ville, où notre ami repose, quelque lecteur, encore sous l’hallucination attendrie et pieuse de sa lecture, cherchera distraitement aux alentours de la tombe de l’illustre écrivain, la pierre de Madame Bovary. […] C’est Antoine qui fait l’avocat, Janvier, ce jeune acteur plein de talent qui fait le pioupiou mystique, et une Hongroise tombée à Paris, et qui n’a joué que du Shakespeare, qui fait la fille Élisa.

53. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre v »

Le 18 août 1916, le sous-lieutenant Rothstein tombait à la tête de ses hommes, frappé d’une balle au front.‌ […] Au fond des tranchées, en première ligne, il note que les seuls événements de son histoire « ce sont les changements de l’ordre naturel, la tombée de la nuit, la naissance du jour, un ciel couvert ou étoilé, la chaleur ou la fraîcheur de l’air. […] Tombé au champ d’honneur, dans cette Argonne où, durant six mois, il avait inlassablement écouté dialoguer ses pensées, il est porté à l’ordre de la 18e brigade d’infanterie et pleuré, nous dit un sergent, par les hommes de sa compagnie.‌ […] Les vieilles familles enracinées par des générations dans le sol de France aimeront mieux prendre pour héros exemplaire et pour étendard, le grand-rabbin de Lyon, qui tombe au champ d’honneur en offrant un crucifix au soldat catholique mourant.‌ […] Il répond : « Je suis chargé d’une reconnaissance, il faut aller plus loin… », et presque aussitôt il tombe frappé à la tête d’une balle explosible.

54. (1882) Hommes et dieux. Études d’histoire et de littérature

On tua les esclaves qui creusèrent sa tombe. […] Il tomba bientôt dans la mélancolie la plus noire. […] Le sort redouté par le roi tombait sur la reine. […] Un chandelier énorme tombe droit de la voûte. […] Charles II n’est que Philippe II tombé en enfance.

55. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre V. Figures de construction et figures de pensées. — Alliances de mots et antithèses »

Borné dans sa nature, infini dans ses vœux, L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux. […] Voici une large période qui n’est au fond qu’une antithèse : Cent mille hommes criblés d’obus et de mitraille, Cent mille hommes couchés dans un champ de bataille, Tombés pour leur pays par leur mort agrandi, Comme on tombe à Fleurus, comme on tombe à Lodi, Cent mille ardents soldats, héros et non victimes, Morts dans un tourbillon d’événements sublimes, D’où prend son vol la fière et blanche Liberté, Sont un malheur moins grand pour la société, Sont pour l’humanité, qui sur le vrai se fonde, Une calamité moins haute et moins profonde, Un coup moins lamentable et moins infortuné Qu’un innocent, un seul innocent, condamné, Dont le sang ruisselant sous un infâme glaive, Fume entre les pavés de la place de Grève, Qu’un juste assassiné dans la forêt des lois, Et dont l’âme a le droit d’aller dire à Dieu : “Vois !

56. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « George Sand. »

Si ce romanesque est, pendant quelque temps, tombé en défaveur, c’est que nous sommes de grands misérables. […] Zola, lourdement, nous montre, dans Pot-Bouille, une petite bourgeoise qui tombe pour avoir lu André. […] celles qui ont pu tomber après avoir lu André ou Indiana étaient mûres pour la chute ; et peut-être que, sans Indiana, elles seraient tombées plus brutalement et plus bas.

57. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Dédicace, préface et poème liminaire de « La Légende des siècles » (1859) — La vision d’où est sorti ce livre (1857) »

C’était de la chair vive avec du granit brut, Une immobilité faite d’inquiétude, Un édifice ayant un bruit de multitude, Des trous noirs étoilés par de farouches yeux, Des évolutions de groupes monstrueux, De vastes bas-reliefs, des fresques colossales ; Parfois le mur s’ouvrait et laissait voir des salles, Des antres où siégeaient des heureux, des puissants, Des vainqueurs abrutis de crime, ivres d’encens, Des intérieurs d’or, de jaspe et de porphyre ; Et ce mur frissonnait comme un arbre au zéphire ; Tous les siècles, le front ceint de tours ou d’épis, Étaient là, mornes sphinx sur l’énigme accroupis ; Chaque assise avait l’air vaguement animée ; Cela montait dans l’ombre ; on eût dit une armée Pétrifiée avec le chef qui la conduit Au moment qu’elle osait escalader la Nuit ; Ce bloc flottait ainsi qu’un nuage qui roule ; C’était une muraille et c’était une foule ; Le marbre avait le sceptre et le glaive au poignet, La poussière pleurait et l’argile saignait, Les pierres qui tombaient avaient la forme humaine. Tout l’homme, avec le souffle inconnu qui le mène, Ève ondoyante, Adam flottant, un et divers, Palpitaient sur ce mur, et l’être, et l’univers, Et le destin, fil noir que la tombe dévide. […] Ce n’était plus, parmi les brouillards où l’œil plonge, Que le débris difforme et chancelant d’un songe, Ayant le vague aspect d’un pont intermittent Qui tombe arche par arche et que le gouffre attend, Et de toute une flotte en détresse qui sombre ; Ressemblant à la phrase interrompue et sombre Que l’ouragan, ce bègue errant sur les sommets, Recommence toujours sans l’achever jamais. […] C’est la tradition tombée à la secousse Des révolutions que Dieu déchaîne et pousse ; Ce qui demeure après que la terre a tremblé ; Décombre où l’avenir, vague aurore, est mêlé ; C’est la construction des hommes, la masure Des siècles, qu’emplit l’ombre et que l’idée azure, L’affreux charnier-palais en ruine, habité Par la mort et bâti par la fatalité, Où se posent pourtant parfois, quand elles l’osent, De la façon dont l’aile et le rayon se posent, La liberté, lumière, et l’espérance, oiseau ; C’est l’incommensurable et tragique monceau, Où glissent, dans la brèche horrible, les vipères Et les dragons, avant de rentrer aux repaires, Et la nuée avant de remonter au ciel ; Ce livre, c’est le reste effrayant de Babel ; C’est la lugubre Tour des Choses, l’édifice Du bien, du mal, des pleurs, du deuil, du sacrifice, Fier jadis, dominant les lointains horizons, Aujourd’hui n’ayant plus que de hideux tronçons, Épars, couchés, perdus dans l’obscure vallée ; C’est l’épopée humaine, âpre, immense, — écroulée.

58. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXIXe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe (2e partie) » pp. 161-232

» s’écrie-t-elle, « un flacon à respirer ou je tombe !  […] en être tombée là ! […] Les chaînes tombent.) […] Le monde est muet comme la tombe. […] Dorothée tombe aux genoux de l’aubergiste et lui demande pardon de sa fierté.

59. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1871 » pp. 180-366

Il tomba dans cette propriété des soldats et des officiers, parmi lesquels était M.  […] L’enfant n’a rien eu que la peur du plâtre tombé du plafond. […] Quatre gendarmes tombent devant son jardin. […] Il s’est sauvé, voyant des hommes tomber à côté de lui, à la gare Saint-Lazare. […] Les heures ne tombent plus dans le silence d’un lieu désert.

60. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Benjamin Constant »

Elle rappelle cette autre femme dont Alfred de Musset a dit : Elle faisait semblant de vivre ; De ses mains est tombé le livre Dans lequel elle n’a rien lu. Seulement, il mit du temps à tomber de ses mains charmantes ! […] Elle ne s’appuyait sur la vie que comme une feuille de saule tombée s’appuie sur l’eau… Elle n’avait d’esprit que celui-là que Rivarol exigeait des femmes et des roses, mais c’était assez pour que Madame de Staël, son amie, aimât à le respirer et en embaumât son génie ! […] — et ensuite parce qu’elle avait atteint l’homme qui devait le plus y échapper, — s’éteignit tout à coup, un jour, comme la flamme d’un grand incendie qui ne peut plus rien dévorer et qui tombe sur des débris fumants et noirs… Après avoir aimé Madame Récamier comme il l’avait aimée, Benjamin Constant retourna à la vie ordinaire de ces passions qui ne sont plus la passion unique, la passion despotique et torturante qui donne bien l’idée de ce que les catholiques entendent par leur possession du démon… Benjamin revint à la vie de la pensée, à ses travaux, à ses ambitions, à ses passions même ; car il en eut pour d’autres que Madame Récamier. […] Elle lui dit qu’il n’était plus Benjamin Constant, qu’il se dissolvait, qu’il tombait par morceaux, qu’il était changé à faire peur, qu’il perdait son talent, qu’il n’avait plus d’esprit, qu’il devenait bête et idiot, lui, le Voltaire du temps !

61. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Athanase Renard. Les Philosophes et la Philosophie » pp. 431-446

L’auteur des Philosophes, qui a mesuré le danger qu’elle court et l’abaissement dans lequel elle est tombée et où elle tombe chaque jour davantage, a donné dans son histoire critique la preuve de cette dégradation de la pensée par le Matérialisme, qui est à la fin de tout dans l’ordre philosophique : Finis Poloniæ ! […] » Il faut bien le reconnaître, malgré la tradition badaude des Écoles, malgré les phrases des pédants, dupes de celles qu’ils écrivent, malgré la popularité facile des idées abjectes, qui réussissent toujours, au fond, ce sont de pauvres hommes intellectuels dans l’ordre philosophique que Bacon, — grand de loin, petit quand on s’approche, — Locke, Condillac, Destutt de Tracy, Laromiguière, Cabanis lui-même et Broussais, — tombé de son propre matérialisme à lui dans le matérialisme fantoche de Gall et de ses bosses ! […] C’était Lamennais, chrétien encore, mais qui allait tomber dans l’abîme de cette démocratie qui l’a dévoré. Il y tomba sous la pression de cette idée du sens commun prise comme criterium de toute vérité, et que tous les esprits faussés par une révolte quelconque de l’esprit ou du cœur peuvent invoquer.

62. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Amédée Pommier »

Amédée Pommier, ce redoutable classique, bâti par l’instinct et l’étude pour tous les travaux d’Académie, aurait pu aisément, s’il l’avait voulu, se constituer, comme La Harpe, une rente perpétuelle de ces prix, qu’il eût relevés par son talent de l’abaissement dans lequel ils sont depuis longtemps tombés ; car ils sont tombés jusque dans des jupes !! […] — il eut cette fierté de ne pas se plaindre qui n’est pas la résignation, mais qui est plus belle que la résignation, parce qu’elle est plus douloureuse… Amédée Pommier, que la Revue des Deux-Mondes, cette boutique de publicité, avait accepté pendant quelque temps comme un de ses poètes » quoiqu’il en fût un, tomba dans l’oubli quand d’autres poètes, bien inférieurs à lui, tapageaient. […] Ce Gaulois oubliait sa framée… L’Apollon d’Amédée Pommier, qui avait son carquois plein de flèches, ne fit tomber que des rayons sur les jaloux de son talent ou sur les traîtres à sa gloire. […] Les trois en un tombèrent à deux· L’heureuse Trinité ne fut plus qu’une dualité douloureuse.

63. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XIII »

Maintenant, son parti est pris, sa dernière larme est tombée. […] Irrésistible aux deux premiers actes, il chancelle et tombe au dernier. […] La toile d’une pièce est rarement tombée sur une crise plus vive et plus saisissante. […] Ce valet craint que son maître ne tombe dans le piège et il vient prévenir madame du danger qu’il court. […] » A ce mot, la vengeresse tombe ; son caractère s’efface, son originalité disparaît.

64. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE IX »

Elle tomba avec grâce selon la tragique formule du cirque romain, et sa chute même fut une attitude. […] Ainsi furent écartés de son lit funèbre les créanciers qui allongeaient déjà, par-dessus sa tombe, la main des recors sur ses dépouilles. […] La pluie d’or brûlante de la convoitise tomba sur sa tombe comme sur son lit. […] La pécheresse retournera à l’infamie, la repentie redeviendra courtisane, son cœur se suicide dans sa poitrine, sa dernière larme est tombée. […] Marguerite Gautier a gardé, sans doute, le charme irritant qui fit son prestige : mais ces quinze ans ont marqué sur elle ; on ne la voit plus à travers les premières larmes d’attendrissement qu’elle a fait répandre : ce voile magique est tombé.

65. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE XIV »

Le coup part, elle tombe raide morte ! […] On dirait qu’elle a pour marraine une de ces fées qui chaque fois que leur filleule ouvre les lèvres, en font tomber une perle. […] Raymonde est tombée à genoux, le commandant la relève : — « Et ma fille ? […] Son pardon est trop subit et trop spontané ; il tombe des nues plutôt que d’une bouche humaine. […] Elle vient d’envoyer Adrienne chercher des joujoux dans la voiture qui l’a conduite au château ; elle se penche à la croisée et s’écrie que l’enfant vient de tomber entre les pieds des chevaux.

66. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIV. »

Alors que, dans une vicissitude continue, il tombait, se relevait, retombait encore, au bruit de mille voix je n’ai pas mêlé la mienne. […] Aujourd’hui elle s’est ouverte devant toi ; je sens ta main dans cette immensité, et ta voix retentit jusqu’à mon cœur dans le tonnerre éternel de ce fleuve qui tombe. […] Des couronnes de fleurs tombèrent aux pieds de l’auteur ; des sérénades la suivirent à sa demeure, et on la nomma la Melpomène castillane. […] Ni chants ni prières ne retentissent pour lui, sur cet âpre rocher, autour de sa tombe solitaire, mais éloquente dans son silence. […] « Sa tombe est Sainte-Hélène.

67. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Harmonies poétiques et religieuses — II »

On est en automne : la nature se dépouille, et le ciel s’attriste : C’est la saison où tout tombe Aux coups redoublés des vents  Un vent qui vient de la tombe Moissonne aussi les vivants. Ils tombent alors par mille, Comme la plume inutile Que l’aigle abandonne aux airs. […] Soudain le rythme change, il devient plus vif, plus pressant ; il palpite de sollicitude ; on dirait qu’à cette crainte d’un oubli le poète tombe à genoux, et qu’il prie à mains jointes, avec sanglots, pour obtenir des morts un souvenir miséricordieux : Ah !

68. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préfaces de « Marion de Lorme » (1831-1873) »

(Et si l’auteur vient de prononcer ici ce mot de censure sans y joindre d’épithète, c’est qu’il l’a combattue assez publiquement et assez longtemps pendant qu’elle régnait, pour être en droit de ne pas l’insulter maintenant qu’elle est au rang des puissances tombées. […] Il comprit qu’un succès politique à propos de Charles X tombé, permis à tout autre, lui était défendu à lui ; qu’il ne lui convenait pas d’être un des soupiraux par où s’échapperait la colère publique ; qu’en présence de cette enivrante révolution de juillet, sa voix pouvait se mêler à celles qui applaudissaient le peuple, non à celles qui maudissaient le roi. […] Aujourd’hui que trois cent soixante-cinq jours, c’est-à-dire, par le temps où nous vivons, trois cent soixante-cinq événements, nous séparent du roi tombé ; aujourd’hui que le flot des indignations populaires a cessé de battre les dernières années croulantes de la restauration, comme la mer qui se retire d’une grève déserte ; aujourd’hui que Charles X est plus oublié que Louis XIII, l’auteur a donné sa pièce au public ; et le public l’a prise comme l’auteur la lui a donnée, naïvement, sans arrière-pensée, comme chose d’art, bonne ou mauvaise, mais voilà tout. […] Les misérables mots à querelle, claßique et romantique, sont tombés dans l’abîme de 1830, comme gluckiste et picciniste dans le gouffre de 1789.

69. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre premier. Les caractères généraux et les idées générales. » pp. 249-295

Lorsque Oken, rencontrant un squelette de mouton, imagina que le crâne est un composé de vertèbres élargies et soudées, lorsque Goethe, observant des étamines pétaloïdes, supposa que tous les organes de fleur sont des feuilles transformées, lorsque Newton, voyant une pomme tomber, conçut la lune comme un corps pesant qui tend aussi à tomber sur la terre, ils répétaient l’opération mentale et retrouvaient le ravissement du petit garçon qui, voyant des chiens sur l’abat-jour, criait oua-oua. — Entre une vertèbre et le crâne, entre la feuille verte et un pistil ou une étamine, entre la pomme qui tombe et la lune qui chemine dans le ciel, entre le chien de chair et aboyant et la petite figure de l’abat-jour, la dissemblance est énorme ; il semble que les deux représentations diffèrent du tout au tout. […] De plus, ce n’est pas seulement vers le bas qu’ils tombent car, la terre étant ronde, ils tombent aux antipodes dans un autre sens que chez nous. Ainsi, tout ce qui est dans notre atmosphère tombe, et tombe vers le centre de notre planète. — Mais, pour qu’un corps tombe, il n’est pas nécessaire qu’il soit compris dans notre atmosphère ; des deux mouvements qui composent le mouvement total de la lune, l’un est une chute vers nous. — Encore deux pas, et l’épuration de notre idée s’achève. Ce ne sont pas seulement les corps disposés autour de la terre qui tendent à tomber sur elle : tous les corps de notre système solaire tendent à tomber l’un vers l’autre. […] « Quand une pierre tombe, écrit Galilée, si nous considérons la chose attentivement, nous trouvons que la manière la plus simple d’accroître la vélocité, c’est de l’accroître toujours de la même manière, c’est-à-dire d’y ajouter des accroissements égaux dans des temps égaux. » De cette conjecture, Galilée conclut que les espaces parcourus depuis le commencement du mouvement doivent être comme les carrés du temps, puis, admettant que les lois de la chute d’une boule sur un plan incliné doivent être les mêmes que celles d’un corps qui tombe librement, il vérifia son hypothèse par l’expérience.

70. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 240-246

Ce Recueil, tel qu'il est, suffit pour prouver que Sarasin ne mérite point l'oubli où il paroît tombé aujourd'hui. […] Comme un roc sourcilleux tombe dans la campagne, Arraché par les vents du haut d'une montagne, Ou du long cours des ans incessamment miné, Et par l'eau de l'orage enfin déraciné, Son énorme grandeur, par son poids emportée, Avec un bruit horrible en bas précipitée, Roule à bonds redoublés en son cours furieux, Et rompt comme roseaux les chênes les plus vieux ; Tel on vit, &c. […] L'Abbé d'Olivet dit que Pélisson, passant par Pezenas, quatre ans après la mort de Sarasin, qui avoit été son ami, se transporta sur sa tombe & l'arrosa de ses pleurs.

71. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre IX. Application des principes établis dans les chapitres précédents. Caractère de Satan. »

Le conseil infernal étant assemblé, le poète représente Satan au milieu de son sénat : « Ses formes conservaient une partie de leur primitive splendeur ; ce n’était rien moins encore qu’un Archange tombé, une Gloire un peu obscurcie : comme lorsque le soleil levant, dépouillé de ses rayons, jette un regard horizontal à travers les brouillards du matin ; ou tel que dans une éclipse, cet astre, caché derrière la lune, répand sur une moitié des peuples un crépuscule funeste, et tourmente les rois par la frayeur des révolutions. […] « Ô toi qui, couronné d’une gloire immense, laisses, du haut de ta domination solitaire, tomber tes regards comme le Dieu de ce nouvel univers ; toi, devant qui les étoiles cachent leurs têtes humiliées, j’élève une voix vers toi, mais non pas une voix amie ; je ne prononce ton nom, ô soleil ! […] ils me rappellent de quelle hauteur je suis tombé, et combien jadis je brillais glorieux au-dessus de ta sphère !

72. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIVe entretien. Alfred de Vigny (1re partie) » pp. 225-319

Enfin, il prend son parti, retourne contre lui-même son dard empoisonné, et tombe mort sur-le-champ. […] Elle tombe sur un fauteuil. […] et tous les orages tombent sur mon pauvre cœur. […] On voit Chatterton mourant et tombé sur le bras du Quaker. Elle crie, glisse à demi morte sur la rampe de l’escalier, et tombe sur la dernière marche.

73. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (2e partie) » pp. 305-367

Tout le monde répéta ce cri de bonne foi, parce que la réflexion ratifia ce que l’audace inspirée avait osé proposer à la nation chancelant sur le vide et prête à y tomber. […] Les événements le disent assez, la perfection idéale d’un gouvernement est le rêve qui les fait tous tomber, sans parvenir à rien de meilleur. […] Mes fleurs tombaient et je croyais les sentir remplacées par des fruits d’intelligence. […] Il tombe par la main de tous et paye pour tous au 9 thermidor et devant la postérité. […] Le roi lui-même, du fond de sa tombe, dans ses révélations posthumes, démentira, plus pertinemment que moi, son ministre.

74. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXIXe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin (2e partie) » pp. 321-384

Il tombe à genoux devant un gros fragment de rocher qui supporte ses coudes et ses deux mains jointes pour supplier son Père céleste. […] C’est plus joli, ces choses nouvelles, mais pourquoi est-ce que je regrette les vieilles et replace de cœur les portes ôtées, les pierres tombées ? […] quelle indifférence entoure la tombe ! […] Le bon livre d’examen qu’une tombe ! […] Le pied sur une tombe, on tient moins à la terre.

75. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Victor Hugo »

L’Empire était tombé. […] Malheureusement, en lisant le livre, on tombe de ce hamac. […] On a dit tout cela, et si tard qu’on l’ait dit, on avait droit de le dire, mais non de s’en étonner comme si on tombait de la lune (il est des gens qui en tombent toujours) ! […] Son Pape n’est que la même goutte d’eau connue et tombée tant de fois, essuyée et tombant toujours à la même place, avec une monotonie qui fait peu d’honneur à la fécondité de son cerveau. […] ……………………………………………………… Ils tombent dans ce gouffre obscur : tous les POSSIBLES !

76. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Dübner »

Émile Gaume, en présence de la tombe, a prononcé un discours plein de convenance et d’affection, dans lequel il a rappelé la pensée et le but de cette réunion commémorative. […] Mais, s’il exerça une heureuse influence sur les individus distingués, il échoua dès qu’il voulut introduire une partie de ses idées de réforme dans l’enseignement public ; il ne put faire brèche ; l’Université en corps résista, elle tint bon pour sa grammaire traditionnelle, qui avait été un progrès, en son temps, mais qui était certainement dépassée ; on eut même, je le crois, quelque peine à pardonner à Dübner sa tentative d’amélioration et ses insistances ; car il revint plus d’une fois à la charge, la polémique fut longue, bien des considérations étaient en jeu… N’insistons pas nous-même : le souvenir de ces désaccords et de ces démêlés ne serait point à sa place ici, en présence d’une tombe. […] Le jour même et en présence de la tombe, M.  […] « Je vous avouerai que les choses dites par moi à l’occasion de la Grammaire étaient plus vives dans ce qui a été lu sur la tombe : je les ai atténuées déjà dans le Moniteur. […] Je le dis pour avoir connu de près ses chefs et ses héros, Cousin et Villemain, et au-dessous d’eux, Nisard. — L’Académie des Inscriptions a aussi ses préjugés, quoique Quicherat ait essayé, sur la tombe même de Dübner, de réfuter, en balbutiant, le fait incontestable que j’avais rappelé.

77. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1854 » pp. 59-74

Afin de faire un peu d’exercice, de ne pas tomber malades, nous ne nous permettons qu’une promenade après dîner, une promenade dans les ténèbres des boulevards extérieurs, pour n’être point tirés, par la distraction des yeux, de notre travail, de notre enfoncement spirituel en notre œuvre. […] Ce riant pré de la Mort est tout ensoleillé, avec, par-ci par-là, la pâle et aérienne verdure d’un saule pleureur répandu sur une tombe comme les cheveux dénoués d’une femme en larmes. […] Et partout des rosiers qui mettent dans ce cimetière une odeur d’Orient, des rosiers de jardin qui ont le vagabondage de rosiers sauvages et enveloppent de tous côtés la tombe et, se traînant à son pied, la cachent sous des roses si pressées, qu’elles empêchent le passant de lire le nom du mort ou de la morte. […] Le propriétaire de la maison et du parc à jeux de bague, et qui avait, dit Gavarni, à la fois une tête de lapin et de serpent, était un usurier à nom nobiliaire, entre les mains duquel était tombée la propriété du journal Le Curieux, et qui, voulant avoir mon ami pour rédacteur, sans le payer, avait fait nouer par sa femme une intrigue épistolaire avec lui, et se laissait tromper à domicile. […] » l’autre, un séducteur par la force des poignets de tout le féminin qui lui tombait sous la main… Et mon ami ajoutait qu’il serait sûr d’avoir à lui tout seul l’héritage de son oncle, le coucheur dans les lits vides, s’il voulait prendre une maîtresse, et le choisir comme confident et comme intermédiaire pour carotter de l’argent à son père et à sa mère au sujet de l’entretien de ladite maîtresse.

78. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Papesse Jeanne » pp. 325-340

Il cache son nom comme la tortue, dont il a la lenteur, cache sa tête sous son écaille… Lorsque, pour ne parler que de ceux-là, François Hugo et Émile Montégut traduisirent Shakespeare, ils ne s’en cachèrent point, et ce fut avec une juste fierté qu’ils signèrent la traduction d’une œuvre qui faisait tomber sur leur nom un rayon de sa glorieuse beauté. […] Il a cette vieille goguenardise impie qui se vante d’être tombée du bonnet de Rabelais, dont le génie n’a pas mérité l’outrage d’être rappelé à propos des gargouillades de Rhoïdis, et qui, tombée de ce sublime bonnet, a glissé jusque dans les culottes cyniques de Diderot, pour aller se perdre dans les culottes, plus ordes encore, de l’auteur du Compère Mathieu. […] La légende de la Papesse Jeanne, qui avait dû régner, au mépris de la chronologie, deux ans et quelques mois, entre Léon IV (mort le 17 juillet 855) et Benoît III (élu dès juillet de la même année), cette légende du ixe  siècle qui a dupé l’imagination naïve du Moyen Âge, malgré son invraisemblance, et peut-être même en raison de son invraisemblance, était, comme une foule de légendes, tombée en désuétude et en oubli, de même qu’un champignon qui n’est pas vénéneux tombe silencieusement en poussière sur le fumier qui l’a produit, quand, de cette poussière ramassée, la Haine, un jour, voulut faire un poison, qu’on se mit alors à sévèrement analyser… On sait la date de ce jour-là.

79. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Th. Ribot. La Philosophie de Schopenhauer » pp. 281-296

Ermite là, espèce de Timon enragé dans la carapace d’obscurité qui l’écrasait, il publia, en 1836, un nouveau livre, qui tomba à pic dans l’oubli avec la précision des premiers : La volonté dans la nature. — Il n’en démordait pas, de la volonté ! […] Hégel, alors, penchait, dernier capucin de cartes de la philosophie qui allait tomber sur tous les autres ! […] Schopenhauer fit rouler sur le crâne aux chimères de Hégel la dernière pelletée de terre de la réalité, et planta sa métaphysique sur sa tombe. […] Ribot émerveillé, tomber en plein Orient. […] L’homme comprend que la réalité est une illusion, la vie une douleur ; que le mieux pour la volonté est de se nier elle-même, car du même coup tombent l’effort et la souffrance qui en est inséparable.

80. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Roger de Beauvoir. Colombes et Couleuvres. »

il est un torrent plus entraînant et plus turbulent que tous les torrents romantiques, qui tombent des Alpes et qui traversent les œuvres complètes de Chateaubriand : c’est celui de la publicité, tour à tour dévorante et dévorée, de notre temps. […] » Assurément, quand de pareils vers, purs, légers et tremblants comme les larmes mêmes dont ils parlent, ont pu tomber, comme une protestation de toutes les puretés du cœur, des lèvres du convive de la Maison d’Or, on peut dire qu’il aura toujours « de cette rosée » dans le talent, car il ne l’aurait plus, s’il avait pu la perdre et si les mauvaises ardeurs de la vie avaient pu jamais la sécher ! […] , Les Heures fatales, A un nuage passant sur le Marboré, Pandore, Fleur de tombe, à Venise, Le Livre inconnu et la plupart des pièces que le poète adresse à ses enfants. […] Non, elle ne doit plus en descendre… Quand la Pensée a pris de certains vols, elle ne peut plus revenir sur elle-même sans avoir l’air de tomber. […] Il doit laisser là les vers de tambours de basque et de castagnettes, ce facile Carnaval de l’Espagne, les amabilités aux danseuses et le marivaudage des albums, et se maintenir dans une région plus haute et moins exploitée par les petites gens de la poésie contemporaine qui vivent depuis vingt ans des miettes tombées de la table d’Alfred de Musset.

81. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Madame Ackermann »

I Ce n’était pas même un livre qui me tombait sous la main, c’était ce qu’en jargon de librairie on appelle une plaquette. […] Ils sont taillés dans un marbre radieux de blancheur idéale, avec une vigueur et une sûreté de main qui indique que l’artiste, ici, est son propre maître, et sans excuse, — comme Lucifer, qui ne tomba que parce qu’il voulut tomber. […] La Sapho sans Phaon qui est ici n’y tombe point, mais elle y entre lentement, toujours désespérée, comme une athée vaincue mais soulagée par le cri qu’elle a amassé dans son cœur et qu’elle pousse. […] Et au nom de son génie dont elle doit avoir la fierté aussi, qu’elle y pense, et qu’elle tombe à genoux devant ce qu’elle nie.

82. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Arthur de Gravillon »

Je ne dis pas qu’un jour le jeune écrivain, plus avancé dans la vie et dans l’expérience d’écrire, ne baissera pas de quelques tons une corde de lyre qu’il tend quelquefois trop ; je ne dis pas qu’il penchera toujours vers cette préciosité dont il ne faut pas dire trop de mal, après tout, puisqu’elle nous empêche, par un ressaut et un cabrement, de tomber dans ce vilain abîme du commun qui n’est qu’un trou, et dans lequel nous tomberions tous, comme des capucins de cartes, si nous ne nous rejetions pas entièrement de l’autre côté Mais je dis qu’il continuera d’être distingué, fût-ce malgré lui ; car la distinction est la chose, quand elle est en nous, la plus difficile à supprimer. […] Henri Heine, que, pour mon compte j’aime infiniment, quoique ce phalène des clairs de lune de l’Allemagne soit tombé et ait embarbouillé ses ailes de gaze dans la crème fouettée de Voltaire, ce fouetteur ; Henri Heine, comme les gens d’esprit, les génies et les jolies femmes n’y manquent jamais, a tourné toutes les têtes jeunes qui se croient de l’humour parce qu’elles n’ont ni raison ni suite dans les idées, mais, à la place, beaucoup de fumée de cigare sur la netteté de leur esprit. […] Séducteur pour le compte de la tombe, Gravillon est un poète, et son imagination est une Armide qui nous enlace dans des guirlandes de fleurs funèbres. […] Mais là même, dans ce livre où le feu est regardé sous tous les aspects, comme l’auteur de J’aime les Morts avait déjà regardé la tombe, il y a des passages — et ils sont nombreux — d’une poésie d’images teintées de tous les reflets de l’élément dont il fait l’histoire, et, de plus, comme dans J’aime les Morts, il y a cette autre poésie de la langue, aussi certaine en prose, quoique différente, que la poésie de l’idée et des vers.

83. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 193-236

En disant cela, ses yeux tombèrent involontairement sur le berceau du charmant enfant que son pied balançait avec distraction sur le plancher et qui dormait en souriant aux anges, comme on dit dans le patois de Lucques. […] Il porta à manger au meurtrier, mais le meurtrier, à ce qu’il me dit, ne toucha pas à ce qu’on lui avait préparé pour son repas de mort ou de noce ; il était muet déjà comme la tombe. […] et il tomba inanimé à mes pieds ; le ciel s’obscurcit, la tête me tourna et je me sentis évanouir dans les bras de mon époux. […] c’est lui, j’ai reconnu l’air, s’écria-t-elle, et, pâlissant comme si elle allait tomber à terre, ramassant l’enfant dans le berceau, elle le prit dans son sein, l’embrassa, et, s’échappant avec lui vers la porte, courut avec la rapidité de la pierre lancée de haut, au devant d’Hyeronimo ! […] Fior d’Aliza jouait avec son enfant sous le rayon du soleil qui tombait de l’arbre dépouillé, à travers les rameaux.

84. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « J.-K. Huysmans »

Il tomberait des mains. […] Eux seuls, ces esprits blasés et tombés dans l’enfance des vieilles civilisations, s’intéresseraient aux efforts et aux rétorsions de ce misérable Des Esseintes, corrompu par l’ennui, qui engendre toutes les autres corruptions, et qui s’imagine qu’on peut prendre à rebours la vie, — cette difficulté de la vie !  […] Assurément, je conçois très bien que les vulgarités de la vie répugnent à un esprit élevé et fier, mais, pour les fuir et pour les remplacer, il ne faut pas tomber dans l’infiniment petit des choses nabotes… Or, le Des Esseintes de M.  […] Cette vieille et inepte amoureuse d’histrions et de cochers s’abaissa et s’avilit aux choses petites dans lesquelles meurent les peuples qui furent grands, et qui, quand ils sont vieux, se voûtent jusqu’à terre, mais elle n’est pas tombée dans des choses aussi petites que les choses inventées par un romancier ennuyé de l’œuvre de Dieu !

85. (1902) La formation du style par l’assimilation des auteurs

Avec Cicéron, on risque de tomber dans le verbiage ; avec Démosthène, on risque de tomber dans la sécheresse. […] Et il tomba entre les bras de ses chers compagnons, rendant l’âme. […] Et le Troyen parlait encore, quand la tête tomba dans la poussière. […] La cendre commençait à tomber, mais elle était encore clairsemée. […] La neige tombe toujours.

86. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (2e partie) » pp. 365-432

Louis XVII, pauvre enfant d’un père tombé du trône, d’un père et d’une mère égorgés en cérémonie par tout un peuple, Louis XVII comparé au frère de Cartouche, innocent, supplicié en place de Grève ! […] De tout temps, l’élévation du rang d’où l’on est précipité fait partie, sinon du supplice de sang, du moins du supplice de l’âme : les Romains, si féroces dans la guerre, ne pensaient pas que tomber dans un trou fut la même chose que tomber de la roche Tarpéienne sur le pavé du Capitole. […] Tomber du trône dans les mains meurtrières du savetier Simon jusqu’à ce que mort s’ensuive, ne fut jamais la même chose que tomber d’un mur de dix pieds sur le pavé de la rue. […] Le fait est que, quand il a entendu le terrible évangile du terroriste qui lui confesse son patriotisme sans scrupule pour toute faute ou plutôt pour toute vertu, il tombe à ses pieds, et ne lui demande ni confession, ni repentir, ni sacrements : sa confession, c’est sa vertu mise au jour ; son repentir, c’est l’orgueil avec lequel il s’en va à Dieu, avec son bonnet rouge sur la tête et sa hache en main ; son viatique, c’est l’idéal, ce moi de l’infini ! […] Il était là seul avec lui-même, recueilli, paisible, adorant, comparant la sérénité de son cœur à la sérénité de l’éther, ému dans les ténèbres par les splendeurs invisibles de Dieu, ouvrant son âme aux pensées qui tombent de l’Inconnu.

87. (1834) Des destinées de la poésie pp. 4-75

Rien ne s’élevait au-dessus de cette mer de débris, et la nuit qui tombait des hauteurs déjà grises d’une chaîne de montagnes les ensevelissait successivement dans son ombre. […] Partout où l’œil tombait, il voyait la vallée, la montagne, les précipices s’animer pour ainsi dire sous son regard, et une scène de vie, de prière, de contemplation, se détacher de ces masses éternelles, ou s’y mêler pour les consacrer. Mais bientôt le soleil tomba, les travaux du jour cessèrent, et toutes les figures noires répandues dans la vallée rentrèrent dans les grottes ou dans les monastères. […] Le drame va tomber au peuple ; il était né du peuple et pour le peuple, il y retourne ; il n’y a plus que la classe populaire qui porte son cœur au théâtre. […] Le livre n’est point un livre, ce sont des feuilles détachées et tombées presque au hasard sur la route inégale de ma vie et recueillies par la bienveillance des âmes tendres, pensives et religieuses.

88. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (3e partie) et Adolphe Dumas » pp. 65-144

« C’était bien à vous, poète par nature, et civilisateur par votre nouvel écrit, qu’il appartenait de déposer encore une couronne sur la tombe d’un poète, civilisateur des temps antiques, tombe perdue comme son berceau dans l’obscurité des âges. […] J’aurai fermé les yeux pour adorer la tombe         Où j’ai mis tout ce que j’aimais. […] L’an passé encore, en allant de son lit à sa table de travail, il était tombé et s’était brisé l’autre jambe. […] nous qui avons moins bien mérité que lui de la Providence, et qui côtoyons les précipices où il est tombé ! Mais il n’y est pas tombé sans soutien et sans amis pour le soutenir, et pour retourner sa tête sur son chevet à sa dernière heure, comme on l’a écrit par erreur ou par prétention à l’effet dans certains récits.

89. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1869 » pp. 253-317

La nuit tombait doucement, et la parole du vieillard devenait, de plus en plus, une parole de clair-obscur, une parole s’approchant du grand silence. […] « Elle n’est pas tombée, dit-il, quand je l’ai frappée… je l’ai retenue !  […] Le jour tombe, et le résumé du président sort de sa bouche édentée, comme d’un trou noir. […] …………………………………………………………………………………………… En sortant de là, nous tombons chez la princesse, aujourd’hui tout animée, toute verveuse, et dans une robe de crêpe bleu, d’un délicieux bleu faux de Chine, et brodée de bouquets exotiques dont la broderie a l’épaisseur des fleurs. […] Il n’a jamais donné à dîner à personne, et l’on cite le nom d’un mortel qui, tombé chez lui à l’heure du déjeuner, y mangea une côtelette.

90. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Stéphane Mallarmé »

Stéphane Mallarmé a mis en tête de sa traduction des poèmes d’Edgar Poe8 ce sonnet préliminaire : LE TOMBEAU D’EDGAR POE Tel qu’en Lui-même enfin l’éternité le change Le Poète suscite avec un glaive nu Son siècle épouvanté de n’avoir pas connu Que la Mort triomphait dans cette voix étrange Eux comme un vil sursaut d’hydre oyant jadis l’ange Donner un sens plus pur aux mots de la tribu Proclamèrent très haut le sortilège bu Dans le flot sans honneur de quelque noir mélange Du sol et de la nue hostiles ô grief Si notre idée avec ne sculpte un bas-relief Dont la tombe de Poe éblouissante s’orne Calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur Que ce granit du moins montre à jamais sa borne Aux noirs vols du Blasphème épars dans le futur Qu’est-ce que cela veut dire ? […] Si, avec les images qu’il nous a suggérées, nous ne pouvons sculpter un bas-relief dont se pare sa tombe éblouissante, « Que du moins ce granit, calme bloc pareil à l’aérolithe qu’a jeté sur terre quelque désastre mystérieux, marque la borne où les blasphèmes futurs des ennemis du poète viendront briser leur vol noir. » C’est fort mal traduit, et pourtant j’ai fait de mon mieux. […] Le romarin salue la tombe, le lis flotte sur la vague… » La poésie de Poe est pareille à ce paysage.

91. (1891) La bataille littéraire. Quatrième série (1887-1888) pp. 1-398

Si bien qu’il faillit tomber dans le rond de voltige. […] — Être tombé à ça, balbutiait-elle, le misérable ! […] » Juste épitaphe pour sa tombe. […] La tombe de Baudelaire. […] Le revers d’un fossé reçoit l’homme qui tombe.

92. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre III. — Du drame comique. Méditation d’un philosophe hégélien ou Voyage pittoresque à travers l’Esthétique de Hegel » pp. 111-177

Étéocle, roi de Thèbes, et Polynice, chef de l’armée ennemie, venue d’Argos, frappés par leurs mains fratricides, sont tombés sous les murs de la cité thébaine ; l’armée argienne a fui. […] Ils tombèrent dans le pathétique sentimental, et les larmes qu’ils firent couler ne furent plus des larmes d’admiration193. […] Cet être tombé de la lune, comme Goethe le désignait, cet étrange et mystique esprit ne voit rien avec l’organe dont tous les habitants de notre globe se servent pour voir. […] Au bout d’une dizaine d’années, les nuits sont froides, les cheveux tombent, on s’enrhume, et il faut en définitive s’enfoncer sur la tête un bonnet moins galant que chaud. […] Il tombe simple et libre, s’harmonisant avec les poses, le maintien et les mouvements.

93. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXXXIXe entretien. Littérature germanique. Les Nibelungen »

Maint homme hardi tomba devant lui. […] Pourtant le landgrave tomba mort au pied du joueur de viole. […] que de braves combattants tombèrent morts devant eux ! […] Maintenant la Reine fait tomber sur nous sa colère d’une façon effroyable !  […] Ne laissez point tomber les brandons sur les visières de vos heaumes.

94. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre X, Prométhée enchaîné »

Dépossédé par ce fougueux conquérant, le vieil Océanos tomba par degrés à l’état de divinité honoraire. […] Cela, je ne dois point le révéler. » — « Et par cette épouse, il tombera du trône ?  […] Mais n’ai-je pas vu déjà tomber deux tyrans ? Le troisième qui règne maintenant, je le verrai bientôt tomber, lui aussi. […] Ce sera d’abord l’ensevelissement : Zeus, d’un coup de foudre, retournera son rocher et l’abattra sur lui, comme un couvercle de tombe ; de la torture au grand jour, il va tomber dans l’agonie souterraine.

95. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIIe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Les défenseurs des chrétiens tombèrent dans une faute qui les avait déjà perdus : ils ne s’aperçurent pas qu’il ne s’agissait plus de discuter tel ou tel dogme, puisqu’on rejetait absolument les bases… Il fallait prendre la route contraire. […] Mais tout à coup la voix tombe, l’oiseau se tait. […] Tout se trouve dans les rêveries enchantées où nous plonge le bruit de la cloche natale : religion, famille, patrie, et le berceau et la tombe, et le passé et l’avenir. […] Pourquoi n’y aurait-il pas dans la tombe quelque grande vision de l’éternité ? […] Votre sœur a expié sa faute ; mais, s’il faut dire ici ma pensée, je crains que, par une épouvantable justice, un aveu sorti du sein de la tombe n’ait troublé votre âme à son tour.

96. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre III. »

« Tombe sur eux le trouble et l’épouvante ! […] « Ton orgueil a été abaissé jusqu’aux enfers ; ton cadavre y est descendu : la pourriture sera ta couche et les vers ton vêtement, « Comment es-tu tombée des cieux, étoile qui te levais au matin ! […] » « Tous les rois des nations ont dormi avec honneur, chacun dans sa tombe. […]   « Tu n’auras pas avec eux même la société de la tombe ; car tu as ruiné ton pays, tué ton peuple ; et la semence des méchants ne sera pas nommée dans l’éternité. […] « Ô montagnes de Gelboë, que sur vous ne tombent plus la rosée ni la pluie ! 

97. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « X. Ernest Renan »

Il pense, lui aussi, comme Diderot12, qu’il faut élargir Dieu pour faire tomber les murs des Églises. […] Seulement, les formes à travers lesquelles ce fait s’exprime sont plus ou moins menteuses, vieillies et tombées, et elles tomberont toutes de plus en plus, jusqu’au jour où l’humanité arrivera à la culture de l’idéal pour l’idéal, si elle y arrive ! […] Seulement, qu’il suffise de savoir que, tout en relevant de Strauss, il se permet de le critiquer et tombe au-dessous de lui dans sa malencontreuse critique. […] Renan les met, il est vrai, à l’abri sous cette tolérance chère aux philosophes, sous ce paratonnerre où tombe le mépris ! […] Dans le récit qu’il nous a laissé, on voit Adam et Ève vis-à-vis de leur destinée tomber dans la chute et se faire les éducateurs du genre humain, qu’ils ont précipité avec eux.

98. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Marie Desylles » pp. 323-339

… Par ce temps d’imbécile clarté qui tombe sur tout avec indifférence, on se cache quelquefois pour mieux se montrer… Le voile impatiente, et, pour l’écarter, tente la main. […] Elles tombent sous ma coupe littéraire. […] Mais les lettres de Réa Delcroix ont, elles, ce caractère qu’il est impossible de ne pas les croire torrentueusement sorties du cœur pour tomber sans ratures sur le papier, salamandres vivantes dans un style qui est une flamme ! […] La femme, entraînée par son cœur, tombe ici de la hauteur immaculée d’où ne descendit jamais l’angélique Condé. […] C’est Réa qui l’a dit elle-même : « La pluie tombe dans la mer, mais cela ne l’empêche pas d’être la mer ! 

99. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VII. »

Le peuple, par imprévoyance, tombe sous l’oppression d’un seul. […] Sa tombe et ses enfants restent glorieux parmi les hommes, et les enfants de ses enfants et sa postérité. […] C’est une honte, en effet, que, tombé au premier rang, un vieillard soit gisant à terre, en avant des jeunes, avec une tête blanchie, une barbe grise, exhalant sur la poussière son âme courageuse, couvrant de ses mains les blessures sanglantes, hideuses, de son corps à nu : mais aux jeunes tout sied bien, tant qu’ils ont la fleur brillante du bel âge. Alors, le guerrier est beau à voir vivant ; il est aimé des femmes ; et il est encore beau tombé au premier rang. […] « Honte à celui qui tombe mort sur la poussière, le dos percé de la pointe du fer !

100. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre IV. Conclusion. — D’une république éternelle fondée dans la nature par la providence divine, et qui est la meilleure possible dans chacune de ses formes diverses » pp. 376-387

Lorsque les citoyens, ne se contentant plus de trouver dans les richesses des moyens de distinction, voulurent en faire des instruments de puissance, alors, comme les vents furieux agitent la mer, ils troublèrent les républiques par la guerre civile, les jetèrent dans un désordre universel, et d’un état de liberté les firent tomber dans la pire des tyrannies ; je veux dire, dans l’anarchie. […] Les peuples libres veulent secouer le frein des lois, et ils tombent sous la sujétion des monarques. […] Voilà, à ce qu’il semble, le caractère de l’éloquence romaine au temps de Scipion-l’Africain ; mais les états populaires venant à se corrompre, la philosophie suit cette corruption, tombe dans le scepticisme, et se met, par un écart de la science, à calomnier la vérité. […] La première nous porte par la grâce aux actions vertueuses pour atteindre un bien infini et éternel, qui ne peut tomber sous les sens ; c’est ici l’intelligence qui commande aux sens des actions vertueuses.

101. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre X »

Bref, Raymond commence à croire qu’une si rude grêle d’insolence ne peut guère tomber sur la fleur des pois. […] La gangrène particulière aux âmes blessées va s’emparer d’elle : je plains ceux qui tomberont entre les froides mains de cette morte qui sent déjà le vampire. […] Elle se déshabille lentement, pour ainsi dire, devant lui : à chaque scène, un pli tombe de sa toilette hypocrite, une draperie s’en va, un nœud se délace ; et lorsque le dernier voile est tombé et que sa nudité morale éclate dans toute sa froideur, elle prend une attitude si cambrée et si fière, que l’horreur fait place à je ne sais quel étonnement artistique. […] On se hait, on s’exècre, on se fait une guerre à mort, soit : mais on sait vivre, on est de Paris, une ville où il faut savoir tuer et tomber avec grâce, comme au Colisée. […] La faute qu’elle commet est donc incroyable ; c’est tendre soi-même le panneau où l’on va tomber.

102. (1889) La bataille littéraire. Première série (1875-1878) pp. -312

Mauperin lâcha le verre, qui glissa et tomba. […] Le vieillard chancela et tomba sans connaissance. […] Officier, laissez-moi là, je ne tomberai pas. […] Ou est-ce qu’elle ne serait pas tombée derrière le sofa ? […] Il tomba sur le lit en hurlant.

103. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre II. Le théâtre. » pp. 2-96

oui, et rêver peut-être. » Rêver lugubrement, tomber dans un cauchemar pareil à celui de la vie ; pareil à celui où nous nous débattons aujourd’hui, où nous crions, haletants, d’un gosier rauque ! […] que mon âme n’est-elle changée en petites gouttes d’eau pour tomber dans l’Océan, et qu’on ne la retrouve jamais !  […] Les rois y reviennent, du haut de leurs grandeurs fardées, comme des brouillards qui tombent. […] Il n’y a pas de cheveu planté sur ma tête qui, comme un morceau de plomb, ne m’enfonce dans ma tombe. […] —  Toujours trompé, il la blesse encore ; elle tombe mourante, mais sans colère. —  « Voici la fin.

104. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Ruy Blas » (1839) »

En se dissolvant elle se divise, et voici de quelle façon : Le royaume chancelle, la dynastie s’éteint, la loi tombe en ruine ; l’unité politique s’émiette aux tiraillements de l’intrigue ; le haut de la société s’abâtardit et de génère ; un mortel affaiblissement se fait sentir à tous au-dehors comme au-dedans ; les grandes choses de l’état sont tombées, les petites seules sont debout, triste spectacle public ; plus de police, plus d’armée, plus de finances ; chacun devine que la fin arrive. […] Quand le jour de la disgrâce arrive, quelque chose de monstrueux se développe dans le courtisan tombé, et l’homme se change en démon. […] De même, pour tomber d’une très grande chose à une très petite, ce drame, dont nous venons d’indiquer le sens historique, offrirait une tout autre figure, si on le considérait d’un point de vue beaucoup plus élevé encore, du point de vue purement humain.

105. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIV. Vaublanc. Mémoires et Souvenirs » pp. 311-322

I Dans cette poussière que font les événements qui passent et les choses qui tombent, il est de ces visages rayonnants qu’on voit distinctement toujours, — qui, à tout moment, percent la nuée ou sont plus hauts qu’elle. […] Mais il y a aussi des visages, imposants encore, qui ne se voient bien qu’au bout d’un certain temps, lorsque la poussière des choses contemporaines est un peu tombée, et ceux-là on peut les appeler les Seconds de l’Histoire, les branches cadettes dans la dynastie des grands hommes. […] Comme un homme qui se promènerait dans une longue galerie, au tomber du jour, Vaublanc se promène pour lui-même dans le souvenir de toute sa vie, et il ne se retourne pas une seule fois pour voir si quelqu’un le suit et profite de la lumière de son flambeau. […] C’est celui où Julien se dit en parlant de la femme qu’il aime et en mettant un pistolet chargé dans sa poche : « Je la presserai dans mes bras ce soir, ou je me brûlerai la cervelle. » À chaque péril qui peut le démoraliser, à chaque fatigue qui tombe sur son âme, Vaublanc a mieux que le pistolet de Julien ; il a son mépris qu’il se parle et qu’il se tient toujours chargé sur le cœur. « Tu es un lâche si tu fais cela », dit-il, et il ne le fait pas, le noble homme ; et il continue de vivre dans des conditions d’existence intolérables, traqué, mourant de faim, persécuté de gîte en gîte, mais ne voulant pas émigrer et ne voulant pas que ses ennemis qui le poursuivent pour le jeter à l’échafaud, aient plus d’esprit que lui en le prenant !

106. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Camille Desmoulins » pp. 31-44

qu’il ne puisse arriver que l’indifférence publique ne tombe sur une œuvre grande et qui eut son éclat, et n’étende une couche de silence ignorant sur ce qui fit le plus de bruit ; mais, dans le cas présent, rien de pareil n’était à craindre ou à supposer. […] Toute la littérature tombait au journal, comme toute la société tombait à la rue. […] Depuis le fameux jour, qui fut son destin, où il planta sur l’oreille de sa petite tête, vaniteuse et éventée cette cocarde verte de l’insurrection dont il fut l’enfant trouvé et gâté, jusqu’à l’autre jour, trop tôt venu, où il se fit couper la dernière mèche de cheveux pour sa Lucile sur cette tête qui allait tomber, il eut toujours les yeux en larmes… Sheridan appelait Pitt, pour le faire sortir de ses gonds, l’enfant colère… Mais la colère de cet autre enfant-ci avait des pleurs !

107. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Henri Murger. Œuvres complètes. »

Quant à la réalité exacte du talent qu’il avait, jugeons-la aujourd’hui sans faiblesse, dans le silence qui commence à s’établir autour d’une tombe, bruyante hier. […] Le bruit qui s’est élevé autour de sa tombe, trop tôt ouverte, ne fut donc point l’expiation ou la réparation d’une injustice, mais la continuation d’une faveur qui, comme bien des faveurs, fut une erreur aussi, par-dessus le marché. […] Il montait derrière le cabriolet d’Alfred de Musset et il en tombait quelquefois. […] mais les quelques gouttes qui ne sont pas tombées de cette coupe du pauvre ne lui ont jamais échauffé le front, pour lui communiquer la chaleur profonde, la vraie vie et la fécondité.

108. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Auguste de Chatillon. À la Grand’Pinte ! »

Je veux fortifier et réchauffer cette pensée d’un poète, qui, s’il a bu, je le crains bien, a bu surtout des larmes… de ces larmes qui restent longtemps aux yeux sans en tomber, qui coulent enfin et qu’on dévore. […] … Sa tombe doit avoir un intérêt pour toi :       Il n’eut, comme toi, chance aucune. […] Et si les hommes à regarder font trop de peine, regardez les choses, et dites, entre le Réalisme en art et en littérature et le Positivisme en philosophie, si l’Idéal peut encore tomber ! […] Nous tombons dans les types populaires, usés, boulevardiens.

109. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre II »

Ainsi agit Philiberte, et elle n’a pas de peine à faire tomber à ses pieds cet écervelé de chevalier, qui lui offre son cœur, sa main et l’héritage de son oncle par-dessus le marché. […] Il lui jette à la tête ses soixante ans et ses rhumatismes ; il le pousse à coups de chiquenaudes jusque sur le bord de sa tombe ; il rit au nez de ce visage vénérable qui a reflété Louis XIV soleillant dans sa gloire. Il y a un moment où le vieux gentilhomme, tombé à genoux devant Philiberte, se relève chancelant et courbé en deux sur sa grande canne patricienne : Houp là ! […] L’odeur de la farine du tréteau se mêle au parfum de la poudre à la maréchale ; Gautier Garguille donne à Marivaux des crocs-en-jambe qui le font tomber à plat, du haut de ses quintessences, sur le pavé du Pont-Neuf. […] Encore s’il était franc dans son cynisme et vrai dans sa turpitude ; mais on ne sait par quel bout prendre ce caractère faux, lâche et mou, qui se décompose à vue d’œil, pour ainsi dire, et tombe en pourriture d’un moment à l’autre.

110. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1872 » pp. 3-70

À la fin, elle me demande la place de la tombe de mon frère, pour y aller en cachette, un jour qu’elle aura beaucoup de visites à faire. […] Tout à coup la noce le voit dérouler des papiers enveloppant un flageolet, et il joue la valse de Weber, qui fait tomber en pâmoison la mariée. […] Un graveur qui travaillait d’après un tableau de la galerie de Versailles, va demander quelque chose à Soulié, et tombe dans le déjeuner de la famille. […] Puis le parleur tombe aussitôt dans un mutisme effrayant, dans une absence de lui-même qui épouvante, dans un anéantissement qui vous fait lui parler, pour être bien assuré que la vie intelligente est encore en lui. […] La conversation était tombée sur le roman.

111. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1874 » pp. 106-168

J’ai eu un parent très riche et très avare, qui aurait donné de son argent, et pas mal, pour voir tomber du ministère Lamartine, qu’il ne connaissait pas du tout. […] De temps en temps, un bruit à la fois crépitant et mouillé : ce sont des écrevisses qui tombent des balances dans un seau. […] La princesse faisait, demi couchée sur un grand divan, l’espèce de sieste réfléchissante, qu’elle a l’habitude de faire, tous les jours, à la tombée de la nuit. […] Là, est le grand divan de perse, où, à la tombée de la nuit, à cette heure qui l’attriste, elle fait sa petite sieste mélancolique. […] Je tombe au milieu de ce monde commissionnant, rangé autour d’une table verte, sous laquelle mon ami disparaît presque dans l’affaissement de son corps.

112. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 20, de quelques circonstances qu’il faut observer en traitant des sujets tragiques » pp. 147-156

J’en tombe d’accord, mais l’auditeur s’en souvient, il les redit lorsque le heros a vêcu dans un tems si voisin du sien, que la tradition l’a instruit de ces petitesses. […] Les poëtes grecs n’avoient point cette délicatesse, j’en tombe d’accord. […] Je n’ajouterai plus qu’un mot à cette observation : c’est qu’à l’exception de Bajazet, et du comte d’Essex, toutes les tragedies écrites depuis soixante ans, dont le sujet étoit pris dans l’histoire des deux derniers siecles, sont tombées, leurs noms mêmes sont oubliez.

113. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — XVIII. La bague aux souhaits »

Un jour qu’il était à la chasse, il a rencontré une guinnârou, dont les cheveux tombaient jusqu’à terre. […] Arrivés au fleuve, le chat grimpe sur le chien qui va le passer à la nage mais, quand ils sont au milieu de l’eau, le chien lui dit : « Montre-moi cette bague ; moi aussi je veux la voir. » Le chat prend la bague pour la faire voir à son camarade, mais elle lui échappe et tombe à l’eau. […] La « saleté » se déchire et la bague tombe à terre.

114. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface du « Roi s’amuse » (1832) »

Cette malédiction, sur qui est-elle tombée ? […] Sa plus grande crainte est qu’elle ne tombe dans le mal, car il sait, lui méchant, tout ce qu’on y souffre. […] Et puis, une fois sa fille séduite et perdue, il tendre un piège au roi pour la venger, c’est sa fille qui y tombera. […] Certes, si nous daignions descendre encore un instant à accepter pour une minute cette fiction ridicule, que dans cette occasion c’est le soin de la morale publique qui émeut nos maîtres, et que, scandalisés de l’état de licence où certains théâtres sont tombés depuis deux ans, ils ont voulu a la fin, poussés à bout, faire, à travers toutes les lois et tous les droits, un exemple sur un ouvrage et sur un écrivain, certes, le choix de l’ouvrage serait singulier, il faut en convenir, mais le choix de l’écrivain ne le serait pas moins. […] C’est un homme sincère et modéré, qui a déjà livré plus d’un combat pour toute liberté et contre tout arbitraire, qui, en 1829, dans la dernière année de la restauration, a repoussé tout ce que le gouvernement d’alors lui offrait pour le dédommager de l’interdit lancé sur Marion de Lorme, et qui, un an plus tard, en 1830, la révolution de juillet étant faite, a refusé, malgré tous les conseils de son intérêt matériel, de laisser représenter cette même Marion de Lorme, tant qu’elle pourrait être une occasion d’attaque et d’insulte contre le roi tombé qui l’avait proscrite ; conduite bien simple sans doute, que tout homme d’honneur eut tenue à sa place, mais qui aurait peut-être dû le rendre inviolable désormais à toute censure, et à propos de laquelle il écrivait ceci en août 1831 : « Les succès de scandale cherché et d’allusions politiques ne lui sourient guère, il l’avoue.

115. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1870 » pp. 321-367

* * * Après des mois, bien des mois passés, je reprends la plume, tombée des mains de mon frère. […] * * * À la tombée de la nuit, nous nous promenions, sans nous parler, dans le bois de Boulogne. […] Je ne peux dire la profonde tristesse dans laquelle je tombai, quand il me déclama, avec une solennité recueillie, ce petit morceau sur lequel nous ne nous étions pas concertés, et qui ne devait être fait que plus tard. […] * * * Il a une formule désespérante, quand, prenant un volume au hasard, il tombe sur un des siens. […] Il résista un peu, puis céda, et se levant pour sortir de la chambre avec moi, je le vis trébucher et aller tomber sur un fauteuil.

116. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIX. M. Cousin » pp. 427-462

Cousin, qui ne ferait pas une biographie de la Sainte-Vierge, si on la lui demandait, n’écrirait pas non plus celle de toutes les Hérodiades au petit pied qu’il rencontre ballant dans l’histoire du xviie  siècle, et tendant l’assiette à des têtes, qui, heureusement n’y tombèrent pas ! […] Les faits y sont regardés à travers le bandeau des sentiments, et ce bandeau-là tombe jusque sur le talent et il en éteint la lumière. […] Figure pincée, précieuse enfin, — le mot dit tout, — mais dont la vertu n’était guère qu’une question d’épingles, et d’épingles qui n’auraient pas blessé à mort la main qui les eût fait tomber. […] Lorsqu’on invente un roman dans l’histoire, le mal n’est pas bien grand, cela s’en détache bientôt et en tombe. […] et qui porte à la philosophie les restes d’une voix qui tombe et d’une ardeur qui s’éteint.

117. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Μ. Ε. Renan » pp. 109-147

Comme la tortue de la fable, dans les airs, entre les deux canards, qui voulut parler, lâcha le bâton et tomba, M. Renan, porté en haut aussi par les canards de sa renommée, est tombé de cette hauteur pour n’avoir pas voulu garder le silence… Il a crevé son écaille, et le reptile dénudé nous apparaît. […] On rit, mais on est dégoûté… On est dégoûté pour celui qui dit de telles sottises et pour le temps où on peut les dire sans tomber intellectuellement dans le plus irrémédiable des mépris ! […] Ernest Renan, qui est au fond un couard intellectuel, peut se croire quelque chose comme un porte-foudre, mais le coup de tonnerre dans la publicité de son premier volume ne se répéta pas, et il n’y eut plus que la petite pluie qui suit parfois un grand coup de tonnerre, — la petite pluie des volumes suivants… Jésus-Christ tombé, en effet, à n’être plus qu’un homme, à quoi les Apôtres tombaient-ils ? […] Son Saint Paul est tombé du silence dans l’oubli, et son Antechrist, qui est pourtant Néron, semble avoir été publié dans les catacombes… Qui s’en occupe que moi, à cette heure, pour dire qu’on ne s’en occupe pas ?

118. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier après les funérailles »

Hier la tombe se fermait sur Casimir Delavigne, elle s’ouvre aujourd’hui pour Charles Nodier. […] Comme un enchantement d’espérance et de joie, Il vient avec sa cour et ses chœurs gracieux, Où, sous des réseaux d’or et des voiles de soie, S’enchaînent des Esprits inconnus dans les cieux ; Soit que, dans un soleil où le jour n’a point d’ombre, Il me promène errant sur un firmament bleu, Soit qu’il marche, suivi de Sylphides sans nombre Qui jettent dans la nuit leurs aigrettes de feu : L’une tombe en riant et danse dans la plaine, Et l’autre dans l’azur parcourt un blanc sillon ; L’une au zéphyr du soir emprunte son haleine, A l’astre du berger l’autre vole un rayon. […] Ces idées, ces croyances du berceau et de la tombe, étaient de tout temps demeurées présentes à son imagination, à son cœur. Entouré de la famille la plus aimable et la plus aimée, d’une famille que l’adoption dès longtemps n’avait pas craint de faire plus nombreuse, de ses quatre petits-enfants qui Jouaient la veille encore, ne pouvant rien comprendre à ces approches funèbres, de sa charmante fille, sa plus fidèle image, son œuvre gracieuse la plus accomplie, Nodier a traversé les heures solennelles au milieu de tout ce qui peut les soutenir et les relever ; si une pensée de prévoyance humaine est venue par moments tomber sur les siens, elle a été comprise, devinée et rassurée par la parole d’un ministre, son confrère, l’ami naturel des lettres193.

119. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Société française pendant la Révolution »

; supposez enfin que toute cette gourme d’esprits faussés, mais non pas faux, qui est en eux, tombe un jour comme elle doit tomber sous peine de perdre le talent dont ils ont le germe, et vous aurez deux écrivains, — ou un écrivain à deux têtes, comme l’aigle d’Autriche — d’une expression étincelante, et chez qui la race mettra son feu ! […] Un écrivain sérieux aurait d’abord examiné ce qu’il y a de semblable et de différent entre Paris, ce caravansérail du monde et de la province, ce home de la France, — comme diraient les Anglais, — entre Paris, le vaste déversoir de toutes les vagues sociales qui viennent s’y engloutir avec leurs impuretés et leurs écumes, et la province, cette multitude de baies où le flot se circonscrit et séjourne ; — Paris, patrie anonyme de tous les hommes qui ont brisé le lien de la famille et qui ont quitté la province pour en éviter le regard qui tombait de trop près sur eux, et la province, cette vraie patrie de la famille française qui en garde plus austèrement l’honneur et les traditions ; — entre Paris enfin, spirituel, mobile, éloquent, au cœur un peu trop tendre aux révolutions, qui s’habille, babille, se déshabille et brille… de cet éclat de strass qui exagère les feux du diamant, et la province, perle sans rayon, mais d’un bon sens si tranquille et pourtant d’une action si puissante quand il s’agit de dire des mots décisifs, la province, qui a toujours répondu par des empires — parfaitement français — aux républiques parisiennes. […] Il vous reste juste leur livre : des miettes historiques tombées de quelques corbeilles, de quelques pamphlets, de quelques journaux, — des miettes historiques, des atomes, de la poussière de documents qui en eux-mêmes ne sauraient changer le caractère jugé de la Révolution, mais que de grands artistes broieraient seulement dans les couleurs de leur palette pour donner plus d’éclat et plus de vie à cette grande fresque d’une histoire qu’on ne fera jamais au pointillé.

120. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Ch. de Barthélémy » pp. 359-372

Journaliste qui défendit pendant toute une vie, qui fut longue, la Religion, la Royauté, la Morale dont on ne voulait plus, dans la démence universelle, on lui coupa, on lui hacha son journal avec les ciseaux d’une censure qui a déshonoré Malesherbes, lequel tenait, pour le compte des encyclopédistes, et faisait aller ces ciseaux, tombés depuis et lavés dans son sang, heureusement pour sa gloire ! […] Jusque-là, il avait mérité de s’appeler de ce beau nom qu’ils ont en Écosse, il était digne de s’appeler du nom de Marmor ; car, marbre il était, et les marbres, sur lesquels tout tombe sans rayer leur surface polie, n’avaient pas plus que lui de froide impassibilité. […] Il était un homme du xviie  siècle tombé dans le xviiie et qui, naturellement, ne s’y trouva pas à merveille. […] On a dit que ce régicide ne le devint que parce qu’on avait tué son père, en supprimant son Année littéraire au nom du roi, rendant ainsi, coup pour coup, à la royauté, le coup qu’il avait reçu d’elle… Crime plus grand que dans un autre, dans le fils d’un homme comme Fréron, qui dérogea si épouvantablement à sa naissance et aux vertus de son père, et à qui on pourrait appliquer le mot grandiose et terrifiant de Chateaubriand, parlant d’un autre fils coupable : « Si son père l’eût su dans sa tombe, il serait revenu lui casser la tête avec son cercueil ! 

121. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Mademoiselle de Condé »

Nous en sommes tombés à ce degré de crapulosité que nous faisons des livres crapuleux même sans intention d’immoralité. […] Je l’ai dit, une goutte d’éther tombée dans les fétidités de cet affreux xviiie  siècle. […] Elle ne dit jamais que « mon ami » à l’homme qu’elle adore, et sous ce mot répété mille fois on sent une tendresse qui déborde et mouille et pénètre l’âme comme la rosée pénètre les fleurs, sans qu’on la voie tomber du ciel ! […] , La Gervaisais lui écrivit un jour, seulement pour la prévenir d’un danger dont il la croyait menacée : c’était, je crois, quand le « malheureux homme » pour lequel elle priait tous les jours, depuis la mort du duc d’Enghien tomba de l’île d’Elbe sur Paris, où elle était Supérieure de l’Ordre du Temple, comme la foudre !

122. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Valmiki »

Toute cette furie est bien tombée. […] Arriver au point juste en toutes choses, diminuer l’hyperbole, diminuer le quelque chose d’énorme que Diderot nous donnait pour la définition de la poésie, et qui n’est la poésie que pour des enfants ou pour Diderot tombé en enfance sous la pression de son matérialisme grossier ; voir clair, — expression charmante pour dire la seule chose utile et digne de l’esprit humain, tout cela n’est, certes ! […] nous tombe à travers le cerveau et le cœur pour y faire lever tant de sentiments et de pensées inconnues aux civilisations qui ne sont pas chrétiennes, la poésie de l’Inde n’apparaît plus que comme un paganisme grossier, un joujou pour les yeux et pour les oreilles, une fantasmagorie, une inanité. […] On ne l’a pas assez remarqué : les Indiens sont, dans l’ordre intellectuel, des espèces de somnambules sans lucidité, des cataleptiques aux yeux retournés, tombés, depuis des siècles, dans la contemplation de leur moi imbécille, mais des cataleptiques qui sentent les coups malgré leur extase ; car ils tremblent devant le bambou qui les a toujours menés, dans quelque main de conquérant qu’il ait passé, depuis Alexandre jusqu’à Clive.

123. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre xi‌ »

Et, pour terminer ce tableau, où je cherchai, fidèle secrétaire de la France, à préparer les versets d’une Bible éternelle de notre nation, je veux raconter ce qui advint à la mort du plus étonnant des héros que j’ai nommés, à la mort du capitaine-prêtre Millon, qui tomba sous Verdun après avoir calqué ses derniers jours sur les derniers jours du Christ.‌ […] Si j’étais tombé le premier, il aurait dit une messe pour moi. […] A l’issue d’une guerre où tous les enfants de la France furent plus beaux que dans aucun siècle, la patrie doit un hommage aux femmes et aux mères des héros, l’enthousiasme glorieux de nos combattants est fait pour une grande part du courage et de l’abnégation des Françaises, et celles-ci, quand la funeste nouvelle tombe dans leurs foyers, sont dignes de recueillir (pour la défense de leur famille et de la patrie) le bulletin de vote du soldat dont l’âme était pareille à la leur.‌ […] Tous les partis et toutes les classes de la nation accomplissent leur devoir ; tous auront payé leur tribut à la mort ; en maintenant à ceux qui tombent pour la défense de la patrie leur droit de vote, nous évitons l’injustice sans ouvrir la porte à aucune surprise.‌

124. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1884 » pp. 286-347

À la gare de Saint-Germain, je tombe sur Dina, qui part pour acheter à Paris des effets de deuil, tout faits pour sa maîtresse. […] La femme de chambre le peignait au peigne fin, et pendant qu’elles le peignait, voyant sa tête ne plus se soutenir, s’affaisser, tomber, elle lui demandait ce qu’il avait, s’il souffrait toujours. […] » s’écrie-t-elle, et malgré les objections, la défense timide de son Alphonse, elle continue à tomber Michel, avec le doux entêtement et la parole placide, qu’elle apporte dans la contradiction. […] Si je tombais malade, si quelque grosse dépense relative à ma maison m’advenait. […] Et Mme Alphonse Rothschild sautant très bien, on prépare d’avance des obstacles, et l’on arrose l’herbe, pour que, dans le cas où tomberait la chasseresse, elle ne se fasse pas de mal.

125. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIe entretien. Épopée. Homère. — L’Iliade » pp. 65-160

Le sang, le feu, la fumée qui monte de la graisse des victimes, sont décrits avec une puissance de vérité qui, sans tomber dans le dégoût et dans l’horreur, font respirer aux sens l’odeur de l’holocauste. […] Elle tomba à la renverse sur le roc ; ses cornes, hautes de seize palmes, s’élevaient au-dessus de son front. […] Aucun guerrier ne peut me précipiter dans la tombe avant l’heure marquée, et, du moment où il respire, nul mortel, qu’il soit brave ou timide, ne peut échapper à la destinée ! […] « Tels que des moissonneurs, parcourant des sillons d’orge ou de froment dans les domaines d’un homme opulent, courbent les gerbes en monceaux, tels tombent les Troyens et les Grecs. […] La nuit se répand sur ses yeux ; elle tombe à la renverse et son âme est prête à s’exhaler ; de sa tête se dénouent les riches bandelettes qui retiennent sa chevelure.

126. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins » pp. 185-304

Tu auras vu tomber à son tour, presque sans secousse, ce roi mal assis sur les débris de sa maison, par la versatilité d’un peuple qui ne sait ni haïr ni aimer longtemps. […] Je ne voulais pas par honneur m’y affilier ; je voulais lui garder mes rancunes décentes de royaliste tombé avec les regrets de 1830 ; l’attitude me semblait obligée, le nom d’apostat du malheur m’eût déshonoré à mes propres yeux. […] Cette période de gouvernement parlementaire était de nature à dégoûter des régimes mixtes de gouvernement ; ce n’était qu’une oscillation sur l’abîme avant d’y tomber. […] Voici le fait : Le lendemain, de très grand matin, du jour où le ministère conservateur tomba en presque minorité dans la chambre, je reçus un mot de M.  […] On ne comprenait guère pourquoi l’un tombait, pourquoi l’autre s’élevait.

127. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Note I. De l’acquisition du langage chez les enfants et dans l’espèce humaine » pp. 357-395

Aucun animal, pas même le chat, le chien, ne fait cette étude continuelle de tous les corps qui sont à sa portée : toute la journée l’enfant dont je parle (douze mois) tâte, palpe, retourne, fait tomber, goûte, expérimente ce qui tombe sous sa main ; quel que soit l’objet, balle, poupée, hochet, jouet, une fois qu’il est suffisamment connu, elle le laisse, il n’est plus nouveau, elle n’a plus rien à en apprendre, il ne l’intéresse plus. […] D’autre part, le mot tem (donne, prends, regarde), dont j’ai parlé, est depuis deux mois tombé en désuétude ; elle ne le dit plus, et je ne vois pas qu’elle l’ait remplacé par un autre. […] Du douzième au dix-septième mois et jusqu’aujourd’hui (vingt et unième mois), il a continué à jacasser incessamment dans un langage qui est à lui, avec les inflexions les plus nuancées, et en nous regardant comme pour nous parler, absolument comme un étranger tombé d’une autre planète qui apporterait avec lui un langage complet et tâcherait de se faire entendre de nous. […] « Par exemple, il dut y avoir beaucoup d’imitations exprimant la chute d’une pierre, d’un arbre, d’une rivière, de la pluie, de la grêle ; mais à la fin elles se combinèrent toutes dans la racine simple pat, exprimant le mouvement rapide, soit pour tomber, soit pour fuir, soit pour courir. […] En sanscrit, nous trouvons patati, il vole, il plane, il tombe ; patagas et patangas, un oiseau et aussi une sauterelle ; patatram, une aile, la feuille d’une fleur, une feuille de papier, une lettre ; pattrin, un oiseau ; patas, tomber, advenir, accident et aussi chute dans le sens de péché ; — en grec, πέτομαι, je vole ; πετηνός, ailé ; ὡκυπέτης, qui vole ou court rapidement ; ποτή, fuite ; πτερόν et πτέρυξ, plume, aile ; ποταμός, rivière ; πίπτω, je tombe ; ποτμός, chute, accident, destin ; πτῶσις, chute, cas, d’abord dans le sens philosophique, puis dans le sens grammatical ; — en latin, peto, tomber dessus, assaillir, chercher, demander, et ses nombreux dérivatifs : impetus, élan, assaut ; præpes, qui vole rapidement ; penna, plume, anciennement pesna pour petna, etc.

128. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXVe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 321-384

Les derniers sons de la cloche d’argent des ermites résonnaient encore, comme une gaieté des anges, à travers les branches du châtaignier ; le soleil d’automne éblouissait dans les feuilles jaunes ; les châtaignes, presque mûres, tombaient une à une, avec les feuilles d’or, sur l’herbe court tondue par les brebis ; on entendait la cascade pleuvoir allègrement dans le bassin, et les merles siffler de joie en se frôlant les ailes et en se rappelant dans les lauriers. […] Hyeronimo avait ses guêtres de cuir serrées au-dessus du genou par ses jarretières rouges, son gilet à trois rangs de boutons de laiton, sa veste brune aux manches vides, pendante sur une épaule ; son chapeau de feutre pointu, bordé d’un ruban noir, qui tombait sur son cou brun et qui s’y confondait avec ses tresses de cheveux ; sa cravate lâche, bouclée sur sa poitrine par un anneau de cuivre, sa zampogne sous le bras gauche qui semblait jouer d’elle-même, comme si elle avait eu l’âme des deux beaux enfants dans son outre de peau. […] Allons, Bartholomeo del Calamayo, arrangez-moi cela avec votre bec de plume ; je vois bien que ce sera difficile, si ces enfants savent déjà s’aimer ; mais vous en savez plus que l’amour, astucieux paglietta (chicaneur) que vous êtes ; imaginez-moi quelque bon filet de votre métier pour faire tomber cette chevrette des bois dans ma carnassière. […] Faites donc de nous ce que vous voudrez ; partagez le bien et les bêtes, pourvu qu’on nous laisse la cabane et le châtaignier, dont les racines sont dessous et dont les branches tombent sur le toit, et un chevreau sur trois, et mon pauvre chien qui les garde et qui me conduit quand je monte à la messe les dimanches ; et nos deux enfants, qui sont bien à nous, puisque c’est nous qui les avons nourris et élevés, et qu’ils s’aiment bien et qu’ils nous aident comme nous les avons aidés dans leur enfance. […] le chagrin mûrit le cœur avant la saison ; quand le ver pique le fruit et que le vent secoue la branche, le fruit véreux tombe de lui-même ; ils ne savaient pas ce que c’était que de s’aimer, mais la peur de se perdre faisait qu’ils ne pouvaient pas plus se séparer en idée que deux agneaux nés de la même mère et qui ont sucé leur vie au même pis et à la même crèche.

129. (1856) Cours familier de littérature. I « Digression » pp. 98-160

Tu consoles les rois quand leur trône succombe, Et du pauvre oublié tu protèges la tombe ! […] … Il est heureux pour toi de dormir dans la tombe !… Mais pour grandir Octave, il faut bien que je tombe ! […] Au milieu de cette petite cour, une fontaine en marbre distillait mélancoliquement un filet d’eau sonore ; une pluie fine, semblable à un brouillard liquéfié, tombait froide et sans bruit sur les dalles de la cour. […] Ce tronçon brisé d’armes politiques ne sied pas sur une tombe de poète, encore moins sur une tombe de femme.

130. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

Je note dans Émile quantités de pensées délicates et pures sur les femmes : « La femme qui vous aime n’est qu’une femme ; celle que nous aimons est un être céleste dont tous les défauts se cachent sous le prisme à travers lequel il vous apparaît. » Ou encore : « Une femme dont on est aimé est une vanité ; une femme que l’on aime est une religion : vous serez tout pour moi, existence, vanité, religion, bonheur, tout. » « Les femmes, qui sont si habiles en dissimulation, feignent plus adroitement que nous un sentiment qu’elles n’éprouvent pas ; mais elles cachent moins bien que les hommes une affection sincère et passionnée, parce qu’elles s’y adonnent davantage. » Sur le bienfait, qui produit des effets si différents selon la terre qui le reçoit, selon les cœurs sur lesquels il tombe : « Toutes les fois que le bienfait ne pénètre et ne touche pas le cœur, il blesse et irrite la vanité. » Sur le désabusement qui vient si tôt, qui devance les saisons, et qui n’est pas même en rapport avec la durée naturelle de la vie : « Il y a un certain âge dans la vie où l’exaltation n’est plus possible ; la sensibilité peut être assez profonde pour assister au spectacle de tant de maux et de tant de douleurs sans être entièrement usée, mais l’exaltation n’a jamais résisté à l’expérience du cœur humain. […] Ayant vu, quelques années après, tomber également dans un duel mortel son collaborateur de La Presse, Dujarier, il prononça sur sa tombe, le 14 mars 1845, des paroles qui méritent d’être rappelées et qui témoignent d’un sentiment profond : « Si j’élève ici la voix, disait-il, ce n’est pas seulement pour exprimer de vains regrets et rendre un pieux hommage aux rares qualités que m’avaient fait reconnaître et honorer en lui des relations dont chacune était une épreuve journalière et décisive… Mais, placé entre la tombe qui est sous mes yeux et celle qui demeure ouverte et cachée dans mon cœur, je sens que j’ai un devoir impérieux à remplir, devoir trop douloureux pour n’être pas solennel ! […] Enfin au lendemain de février 1848, après la proclamation de la République, un projet de députation ayant été formé dans les Écoles pour aller rendre un hommage public à la mémoire d’Armand Carrel sur sa tombe, M. de Girardin déclara qu’il y serait des premiers et se joindrait au cortège, ce qu’il ne manqua pas de faire. Il se mêla le jeudi 2 mars à cette foule républicaine, qui partit de l’Hôtel de Ville pour le cimetière de Saint-Mandé, et il prononça sur la tombe de celui dont il portait en lui l’image voilée quelques paroles émues et simples qui obligèrent Marrast lui-même à lui donner la main.

131. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » p. 113

ce qui fit tomber la Piece, qui seroit tout aussi bien tombée sans cela.

132. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Démosthéne, et Eschine. » pp. 42-52

Cette ville, l’exemple des autres, l’asyle des beaux arts, des sciences & des vertus, alloit tomber sous un conquérant ambitieux. […] Il n’est jamais plus grand, plus redoutable, que lorsqu’on le voit suivre la marche de son ennemi, le terrasser à chaque pas, le faire tomber dans des contradictions grossières dont il profite habilement. […] Il aima mieux se la donner, que de tomber entre les mains d’Antipater.

133. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 29, si les poëtes tragiques sont obligez de se conformer à ce que la geographie, l’histoire et la chronologie nous apprennent positivement » pp. 243-254

Il fut soupçonné sous l’empire de Vespasien, le pere et le prédecesseur de Titus, d’intelligence avec les parthes, et il fut obligé de se sauver chez eux avec ses fils, dont l’Antiochus de Racine étoit un, pour éviter de tomber entre les mains de Cesennius Poetus qui avoit ordre de les enlever. […] Racine d’avoir fait un si grand nombre de fautes contre une histoire autant averée, et generalement aussi connuë que l’histoire des premiers empereurs des romains, comme d’être tombé dans des erreurs de geographie qu’il pouvoit aisément s’épargner. […] Monsieur Corneille est souvent tombé dans la même inattention, que M. 

134. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 30, de la vrai-semblance en peinture, et des égards que les peintres doivent aux traditions reçuës » pp. 255-265

La vrai-semblance mécanique consiste donc à ne point donner à une lumiere d’autres effets que ceux qu’elle auroit dans la nature : par exemple à ne lui point faire éclairer les corps sur lesquels d’autres corps interposez l’empêchent de tomber. […] L’erreur d’introduire dans une action des personnages qui ne purent jamais en être les témoins, pour avoir vêcu dans des tems éloignez de celui de l’action, est une erreur grossiere où nos peintres ne tombent plus. […] Quoique nous ne sçachions pas bien certainement comment saint Pierre étoit fait, néanmoins les peintres et les sculpteurs sont tombez d’accord par une convention tacite de le répresenter avec un certain air de tête et une certaine taille qui sont devenus propres à ce saint.

135. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre III. Le lien des caractères généraux ou la raison explicative des choses » pp. 387-464

. — Au dix-septième siècle, après les expériences de Galilée et de Pascal, on savait que tous les corps terrestres tendent à tomber vers la terre, et, depuis Copernic et Kepler, on comprenait que la terre et toutes les autres planètes tendent à tomber vers le soleil. […] À partir de ce moment, on sut pourquoi les corps terrestres tendent à tomber sur la terre et pourquoi les planètes tendent à tomber vers le soleil. […] Parce qu’à la surface de la terre toutes les pierres et plus généralement encore tous les solides ou liquides qui opposent à nos muscles quelque résistance tendent à tomber. — Pourquoi tous ces solides ou liquides tendent-ils à tomber ? Parce que toutes les masses à la surface de la terre, quelles qu’elles soient, solides, liquides ou gazeuses, tendent à tomber. — Pourquoi tendent-elles à tomber ? […] Ce dernier rapport, il est vrai, est le seul qui puisse tomber directement sous notre observation, et, lorsque nous définissons le premier par le second en faisant intervenir l’idée de limite, nous nous conformons aux conditions de notre logique humaine.

136. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la révolution française — I. La Convention après le 9 thermidor. »

Les premiers cris de vengeance qui s’élevèrent furent poussés contre Fouquier-Tinville et Lebon, et il faut avouer que, si dans les révolutions les victimes expiatoires servaient à apaiser les hommes ou les dieux, le choix ne pouvait tomber sur des têtes plus maudites. […] Rien n’était plus juste : des victimes aussi illustres, quoiqu’elles eussent compromis leur pays, méritaient des hommages ; mais il suffisait de jeter des fleurs sur leur tombe ; il n’y fallait pas du sang. […] Il transmet le couteau à Goujon, qui, d’une main assurée, se porte un coup mortel, et tombe sans vie. […] Mais ils appartenaient à un parti extrême, et un tel parti n’a jamais deux règnes dans une même Révolution : une fois tombé, il ne se relève pas ; il est maudit ; et ceux qui meurent à son service, fussent-ils dignes de regrets, ne peuvent espérer pour eux pitié et réparation qu’après un long temps et auprès de la postérité.

137. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre X. Mme A. Craven »

Et j’insiste sur cette différence, parce qu’elle seule peut expliquer que la femme qui a écrit le Récit à une sœur puisse écrire des livres comme le Mot de l’énigme, par exemple, — et que de la hauteur de son âme, désintéressée de toute prétention littéraire, elle ait pu tomber et rouler… rouler jusqu’au bas-bleu ! […] Ni la critique, ni le monde qui sait lire ne seront dupés de ces couronnes qui tombent peut-être jusque les yeux de Mme Craven et qui l’empêchent de se voir et de se juger. […] Elle ajoutera au tas de feuilles tombées… Mais puisque j’ai parlé de roses, pour elle, ce ne sera pas des feuilles de roses qui y tomberont !

138. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Tallemant des Réaux »

À Venise, l’impassible gueule du lion de bronze recevait aussi bien la dénonciation fausse ou troublée du goujat que le renseignement le plus vrai, tombé des mains les plus élevées et les plus pures de la République. […] Sa publication rentre dans les bonnes et anciennes traditions de la typographie ; et quand, au lieu de ce vieux archiviste des malpropretés du xviie siècle, il nous donnera quelque beau livre tombé en oubliance, comme, par exemple, la magnifique Histoire de Louis XI du grand Mathieu, ce chef-d’œuvre qui fait chrysalide pour la gloire dans la poussière des bibliothèques, d’où il faudrait le faire sortir, nous applaudirons de toute la force de notre plume. […] Grâce à cet homme, qui pêche des anecdotes comme on pêche des anguilles, jusque dans la vase, un esprit politique n’aurait-il pas, au moins, indiqué le mal de ce temps qu’on prend pour une époque de force et de virilité, et qui n’offre aux yeux fascinés que la ruine suspendue d’une société dont la tête va tout à l’heure porter contre le fond de l’abîme, mais qui, jusque-là, trouve doux de tomber ? […] Tant de légèreté en des esprits qui devraient être si mûrs nous étonne… Dès le temps de Tallemant des Réaux déjà, pour les hommes d’alors qui savaient observer, mais surtout pour nous qui reprenons l’histoire à revers et qui pouvons la remonter de marche en marche, il est cependant bien aisé de voir que tout était fini de cette majestueuse société qui défilait si majestueusement encore le long des galeries de Versailles, couverte d’or, de pourpre et de soie, et dont la sanie tombée, les guenilles immondes, la poussière cadavéreuse, s’appellent si joliment des Historiettes sous la plume stupide d’un bourgeois sans portée qui veut s’amuser.

139. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XII. MM. Doublet et Taine »

En voici deux pourtant qui, exceptionnellement, nous tombent sous la main et que nous pouvons mettre ensemble. […] L’homme tombe ; il perd Dieu, la lumière, l’intelligence. […] Nos puissances tombent en poussière à mesure que nous avançons dans la vie, et la vie elle-même n’est qu’un germe supérieur que nous décomposons jusqu’à la mort, Quant aux procédés de M.  […] Après avoir, par la main de Descartes — ce Robinson du mot, enfermé dans son je comme dans une île déserte, mais sans aucune espèce de Vendredi, — détrôné la scolastique qui valait mieux qu’elle, la psychologie est tombée dans le mépris de la Philosophie elle-même, et M. 

140. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « La Fontaine »

C’est très consciencieux, son travail… On peut dire qu’il ne tomberait pas un bouton de la culotte de La Fontaine, que Walckenaer ne se fit un devoir de le ramasser. […] Il fallait avoir l’instinct profond des choses poétiques, vibrer en accord parfait avec elles et surtout n’être pas enterré sous ce gazon qui fleurissait l’estimable crâne de Walckenaer comme une tombe, et M.  […] Comme jamais poète ne vécut plus que lui dans son rêve, au milieu du monde il était distrait et on se le montrait en souriant… Mais quand il tombait de son rêve, — et il avait plus l’habitude d’en tomber que d’en descendre, — il portait dans toutes les relations de la vie le charme de son génie bonhomme.

141. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Alfred de Vigny »

Je ne serais point étonné que le comte de Vigny n’eût lui-même défendu toute préface ou notice à la tête de ses œuvres, comme il avait défendu tout discours officiel sur sa tombe. […] Lui, qu’on pouvait croire faible parce qu’il était doux, n’a point eu cette faiblesse, et ses derniers poèmes, à cet homme tendre, fils de Virgile et de Racine, qui avait inventé des anges qui tombaient du ciel par pitié, ne sont ni des plaintes, ni des pleurs. […] À une époque, en effet, où la poésie est devenue tellement extérieure que toute son âme a passé par dehors et que les plasticités de Rubens sont la visée commune de tous les poètes, rien de plus curieux et de plus inattendu que ces quelques vers, qui n’ont pas jailli, mais qui sont tombés lentement d’une tête réfléchie comme le sang tombe lentement d’une blessure quand elle est trop profonde pour dégorger… Et ce n’est pas tout.

142. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (5e partie) » pp. 145-224

Gillenormand, et maintenant feuilles tombées de toutes ces branches sans racines, et roulées sur la terre par le vent. […] Les pensées qui tombaient du ciel étaient douces comme une petite main d’enfant qu’on baise. […] « Le gâteau tomba assez près du bord. […] La mort sur la barricade, ou la tombe dans l’exil, c’est pour le dévouement un en-cas acceptable. […] être monté, cela n’empêche pas de tomber.

143. (1841) Discours aux philosophes. De la situation actuelle de l’esprit humain pp. 6-57

Ces formes sont tombées, deux mille ans ont passé, et on voulait les faire renaître ! […] Encore une fois, l’édifice humain est à la fois ciel et terre, qui s’élèvent, durent, et tombent en même temps. […] Le ciel du moyen-âge aussi a disparu : la croyance au péché originel, à la rédemption, et au paradis, est tombée. […] Avec la croyance au ciel, les prêtres sont tombés ; avec la croyance à l’inégalité terrestre, les nobles sont tombés. […] Mais quand le Christianisme est tombé, elle se sont précipitées, et l’ont précipité avec elles.

144. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Questions d’art et de morale, par M. Victor de Laprade » pp. 3-21

L’Académie française n’avait pas d’œuvre à opposer, qu’elle estimât elle-même à la hauteur de la récompense ; car il ne pouvait tomber dans l’esprit de personne que les Symphonies de M. de Laprade pussent y atteindre ou y aspirer. […] Ce doux feuillage obscurcissait ta route, Son ombre aidait ton cœur à s’égarer ; La feuille tombe, et sillonnant la voûte, Un jour plus pur descend pour t’éclairer. […] si les bois, l’ombrage aimé du chêne, Ont trop caché la lumière à mes yeux, Soufflez, ô vents que Dieu sitôt déchaîne, Feuilles, tombez, laissez-moi voir les cieux. […] Pour que le souhait du poète fût tout à fait justifié, il faudrait qu’au moment où les feuilles tombent, le ciel fût le plus clair, le plus serein ; mais c’est au contraire quand les feuilles poussent et qu’elles sont le plus épaisses, que le ciel est le plus pur, le plus éclatant, et, quand elles tombent, le ciel est gris, brumeux et rabaissé, un ciel d’hiver, peu bon à voir.

145. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVIII et dernier. Du genre actuel des éloges parmi nous ; si l’éloquence leur convient, et quel genre d’éloquence. »

Les panégyriques doivent donc être tombés : on lit beaucoup moins d’oraisons funèbres : les dédicaces deviennent rares ; elles ne s’ennoblissent que lorsque la philosophie sait parler avec dignité à la grandeur, ou lorsque la reconnaissance s’entretient avec l’amitié. […] Mais la même raison qui a dû faire tomber tous ces genres d’éloges déclames ou chantés, écrits ou parlés, ou ridicules ou ennuyeux, ou vils ou du moins très inutiles à tout le monde, excepté à celui à qui on les paie, a dû au contraire accréditer les panégyriques des grands hommes qu’on peut louer sans honte, parce qu’on les loue sans intérêt, et qui, dans des temps plus heureux, ayant servi l’humanité et l’État, offrent de grandes vertus à nos mœurs, ou de grands talents à notre faiblesse. […] En quel endroit puis-je aller pleurer sur la tombe de L’Hôpital ? […] Alors il descendra dans la tombe avec moins de douleur, et ses yeux prêts à se fermer pourront n’être pas condamnés à verser des larmes. […] Sera-ce après la lecture d’un éloge froidement historique que l’on tombera dans cette rêverie profonde qui accompagne les impressions fortes ?

146. (1908) Esquisses et souvenirs pp. 7-341

Nous tombâmes d’accord qu’il ne fallait pas se fatiguer inutilement. […] Une paix tombe avec les rayons du soleil sur ces corps inertes. […] La nuit est tombée. […] De petites cascades tombent des rochers. […] Elle riait en regardant des étoiles tomber.

147. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre Premier »

Au treizième siècle, le trouvère Walter Vogelweide, laissant tomber sa tête dans sa main, s’écriait : « Cette vie, l’ai-je vécue ? […] C’était le vieillard amoureux, tombé en enfance, que bernent si cruellement les dames galantes du vieux répertoire. […] Mais Diane la fait tomber d’un geste, et, prenant sa jeune protégée par la main, elle se remet, avec elle, sous la sauvegarde des gentilshommes. […] Elle allait se réfugier chez madame de Rohan, sa marraine, quand elle est tombée au milieu des chasseurs de nuit qui l’ont poursuivie. […] C’est demain que Paul doit mourir, mais c’est demain aussi que la conspiration éclate et que le cardinal doit tomber sous les poignards. — « A quelle heure ? 

148. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1861 » pp. 361-395

18 janvier Murger est mourant d’une maladie où l’on tombe en morceaux, tout vivant. […] Seulement, comme fait presque toujours Rembrandt, ce n’est pas avec du jour, un jour égal qu’il a éclairé sa toile, mais avec un coup de soleil qui tombe de haut et éclate en écharpe sur les personnages. […] Et comme ses yeux tombent en ce moment sur une gouache de L’Île d’amour en 1793, il s’écrie : « Tiens, ça me rappelle la connaissance de Salvandy et de Béranger. » Un Anglais installé en France et demeurant à Belleville après la Restauration, donnait beaucoup à dîner. […] Malheureusement en ouvrant le volume, je suis tombé sur une lithographie, une ridicule lithographie le représentant avec une tête d’Andrieux idéologue. […] Puis dans cette préface, il pleut des larmes de famille : ce sont des éloges et des regrets en style lapidaire de tombe du Père-Lachaise.

149. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1879 » pp. 55-96

Aujourd’hui, sur quoi est-ce que je tombe, en passant, devant mes dessins exposés aux Beaux-Arts, sur une entrevue de mariage entre le cousin Marin, que je croyais à Bar-sur-Seine et une demoiselle ***. […] — nous dit, notre italien, — un arc de triomphe du temps de Valentinien, un arc de triomphe tombé comme un homme ivre à l’eau, et qu’on est en train de repêcher tout entier, avec ses quatre statues. […] En ce moment la porte s’ouvre, un gros homme entre, et butant, tombe en plein sur l’armée française, qu’il écrase et démolit presque entièrement. […] Il avait épousé par principe une femme quelconque, mais comme exutoire de la papillonne, nourrissait une passion platonique pour une Mme D… Or cette Mme D… mourut, et tous les jours Auguste Comte portait des fleurs sur sa tombe. […] Maspero, lui, raconte la fin de Jacques, qui tombé malade, comme mineur, et recueilli par des naturels du pays, avait épousé une fille très belle, mais une vraie guanche, qui ne savait que monter à cheval.

150. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vi »

Schiller, qui par la suite devait tomber au champ d’honneur, écrivait de la caserne deux lettres (publiées dans la Lanterne du 8 octobre 1916, sous ce titre : Ceux de l’école sans Dieu). […] Son capitaine, dans la lettre où il annonce sa mort, déclare qu’il est « glorieusement tombé en vendant chèrement sa vie ». […] Et enfin, de ces mouvements extraordinaires de son âme, s’élance la plus belle flamme : « Les obus tombent pas loin. […] Six semaines après, le 13 février 1916, il tombe en héros sur l’Yser. […] » Cette lutte s’estompe dans un passé qui paraît lointain, et, maintenant que les rancunes sont tombées, avec l’ardeur de la bataille, que les dangers communs ont réuni, côte à côte, les ennemis d’hier, il est plus facile d’apprécier sainement l’intention dans le fait, jugé autrefois répréhensible, lorsqu’une occasion nous reporte à ces anciennes histoires.

151. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXIIe entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff (suite) » pp. 317-378

Kondrate fit encore quelques remarques à haute voix ; mais l’éternel silence de la forêt finit par tomber sur lui-même, et le fit taire aussi. […] Un jour, je le rencontrai dans la forêt ; il tombait une grosse pluie. […] Tu ne veux pas te fixer à Lavriki, — cela te regarde ; seulement va saluer la tombe de ta mère, et aussi celle de ta grand-mère. […] « Me voilà tombé au fond de la rivière !  […] J’ai devant moi les ténèbres de la tombe, et non point un avenir couleur de rose. » Lavretzky eut pitié du vieillard et lui demanda pardon.

152. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIIe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin » pp. 225-319

Avec Platon : je n’osais pas le dire, mais il m’est tombé sous les yeux, et j’ai voulu faire sa connaissance. […] qu’il est doux, lorsque la pluie à petit bruit tombe des cieux, d’être au coin de son feu, à tenir des pincettes, à faire des bluettes ! […] Comme elle dormait tranquille sous la cheminée de la cuisine, une courge qui séchait lui est tombée dessus. […] le beau rayon de lune qui vient de tomber sur l’évangile que je lisais !  […] je suis tombée sur la théologie de l’Être !

153. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxve entretien. Histoire d’un conscrit de 1813. Par Erckmann Chatrian »

Trois femmes tombent à terre. […] Tout à coup je fus sur l’escalier ; et comme Catherine me demandait ce qui s’était passé, je poussai un sanglot terrible ; je serais tombé du haut en bas, si la tante Grédel ne m’avait pas soutenu. […] Goulden, dont les bras tombèrent. […] La pluie s’était mise à tomber vers le matin. […] À Hanau il tombe malade du typhus, Zébédé, son camarade de Phalsbourg, le sollicite de se relever pour atteindre les chariots de l’ambulance.

154. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Charles X, cette victime du temps, forcera un jour le temps à lui faire réparation sur sa tombe. […] Il est utile de montrer comment de ce sang répandu, dont il a méconnu la source, il ne retira rien, parce qu’on ne retire pas des flots les ombres qu’on y fait tomber ! […] C’était la même série d’études, mais c’était un autre homme à mettre debout, un autre monde à lever de la tombe, une autre erreur à démontrer. […] … Les matérialistes des vieilles civilisations les magnifient parce qu’elles filent des suaires brodés d’or et de pourpre aux nations sur le bord de leur tombe ; — mais la moindre vertu morale les empêcherait de s’y coucher ! […] En 1849, Audin, préoccupé incessamment de la Réforme, tourna un instant le dos à ses sources pour suivre les dégradations successives, les dépouillements religieux qu’elle subit avant d’arriver à la négation totale où elle est tombée.

155. (1859) Critique. Portraits et caractères contemporains

La première chose qui vous tombe sous la main, c’est le roman. […] Le conte n’est pas tombé si bas, qu’il n’ait produit d’excellentes pages. […] D’une misère, vous tomberez dans une autre misère. […] F. de ces croyances inviolables qui se démentent, et qui tombent aussitôt que le dieu est tombé. […] « Elle est tombée en poussière, et notre maison est tombée avec elle ! 

156. (1707) Discours sur la poésie pp. 13-60

Mais ce choix ne tombe point sur la poësie ; il caractérise seulement les différens poëtes, et non pas leur art, qui de lui-même est indifférent au bien et au mal. […] Qu’il me soit permis de le dire ; les grands esprits qui sont tellement frappés de l’obligation qu’on a aux anciens, qu’ils imputent à ingratitude d’y trouver quelques défauts, tombent ordinairement dans une espéce de contradiction. […] Mais cette raison tombe encore ; car le poëte épique ne donne pas non plus son ouvrage comme un travail humain, mais comme la révélation de quelque muse. […] Que vous ayez réveillé quelque idée, ou quelque image ; si ce que vous ajoutez, ne produit pas un nouvel effet, l’esprit du lecteur tombe aussi-tôt dans l’inaction, et son oreille même n’est plus flatée de ce qu’il sent d’oisif dans votre ouvrage. […] Cela est presque devenu le style de l’ode : les bons et les mauvais auteurs l’employent également ; et moi-même, à proportion, je suis tombé là-dessus dans les plus grands excès.

157. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 105-106

Dans une autre circonstance, Dancourt étant sur le point de tomber dans un escalier qu’il ne voyoit pas, le même Monarque, à qui il parloit dans ce moment, le retint par le bras, en lui disant : Prenez garde, Dancourt, vous allez tomber ; puis se retournant vers les Seigneurs qui l’environnoient ; il faut convenir , leur dit-il, que cet homme parle bien .

158. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — III » pp. 178-197

Ô avenues tombées ! […] Coup sur coup résonne le fléau régulier qui semble se balancer incertain, et qui pourtant tombe en plein sur l’épi destiné. […] Il n’est plus de chair qui palpite dans le cœur endurci de l’homme ; il ne sent plus rien pour l’homme : le lien naturel de la fraternité est tombé, comme le chanvre qui tombe brin à brin au toucher du feu. […] Quant à Cowper, il ne voyait pas l’abîme entrouvert, il se voyait lui-même et se sentait moralement tombé au fond de l’abîme, sans espérance, sans recours. […] On n’a jamais lutté avec plus de constance et de suite qu’il ne l’a fait contre une folie aussi présente et persistante, « une des plus furieuses tempêtes, disait-il, qui ait été déchaînée sur une âme humaine, et qui ait jamais bouleversé la navigation d’un matelot chrétien. » Une de ses dernières pièces de vers, intitulée Le Rejeté, est la peinture d’un matelot tombé en pleine mer pendant le voyage de l’amiral Anson, et s’efforçant de suivre à la nage le vaisseau d’où ses compagnons lui tendent en vain des câbles, et qu’emporte la tempête : il y voyait une image lugubre de sa destinée.

159. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET. » pp. 177-201

Un Mathurin Regnier, qui lui tomba sous la main, lui ouvrit une copieuse veine de style franc et nourrissant qu’il versa sans tarder sur la scène du corps de garde et du cabaret borgne dans Don Paez. […] Puis, tout à côté, jaillit l’apostrophe outrageante et impie aux vieillards, dérision dure qui les traîne devant nous par les cheveux, afin qu’ils nous récitent, un pied dans la tombe, leurs joies de vingt ans, comme s’il n’y avait de sacré au monde que la jeunesse, la beauté et l’amour. […] Le poëte de dix-neuf ans remuait l’âme dans ses abîmes, il en arrachait la vase impure à une étrange profondeur ; il culbutait du pied le couvercle de la tombe : à lui les femmes en cette vie, et le néant après ! […] Si j’ai dit que l’œuvre manquait d’unité, je me rétracte ; l’insaisissable unité se rassemble ici comme dans un éclair, et tombe magiquement sur ce visage : voilà l’objet d’idolâtrie. […] Les rimes sont partout réduites à leur minimum, griser et lévrier par exemple, Danaé et tombé : le poëte en cela a trouvé moyen de renchérir sur Voltaire.

160. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre II. De l’expression »

    Leur ennemi changea de note, Sur la robe du dieu fit tomber une crotte. […] La Fontaine s’est plu à tomber du ciel en terre, et à prendre le langage d’un marchand, après celui de Virgile. […] Il s’allonge, il s’accourcit, il tombe, il court, il s’arrête, selon tous les mouvements de l’âme. […] Ce long vers qui tombe sur un son étouffé ne peint-il pas à l’oreille la chute sourde du pesant sanglier ? […] Le vers tombe comme un chant solennel, avec l’autorité d’une sentence et la force d’une malédiction.

161. (1868) Curiosités esthétiques « VI. De l’essence du rire » pp. 359-387

De quelles lèvres pleines d’autorité, de quelle plume parfaitement orthodoxe est tombée cette étrange et saisissante maxime ? […] Elle tombe ici en pleine civilisation turbulente, débordante et méphitique, elle, tout imprégnée des pures et riches senteurs de l’Inde ; elle se rattache à l’humanité par la famille et par l’amour, par sa mère et par son amant, son Paul, angélique comme elle, et dont le sexe ne se distingue pour ainsi dire pas du sien dans les ardeurs inassouvies d’un amour qui s’ignore. […] C’est là le point de départ : moi, je ne tombe pas ; moi, je marche droit ; moi, mon pied est ferme et assuré. […] Ce n’est point l’homme qui tombe qui rit de sa propre chute, à moins qu’il ne soit un philosophe, un homme qui ait acquis, par habitude, la force de se dédoubler rapidement et d’assister comme spectateur désintéressé aux phénomènes de son moi. […] Le Pierrot anglais arrivait comme la tempête, tombait comme un ballot, et quand il riait, son rire faisait trembler la salle ; ce rire ressemblait à un joyeux tonnerre.

162. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Appendice — II. Sur la traduction de Lucrèce, par M. de Pongerville »

Sainte-Beuve lui eût donné plus d’essor, plus de grandeur ; les sévérités littéraires, et qui n’étaient que de pure forme, à l’égard d’un traducteur qui se montrait un si aimable solliciteur dans la vieillesse, n’auraient pas tenu : elles seraient tombées d’elles-mêmes, elles auraient disparu ; M.  […] — Ainsi parle M. de Pongerville dans la préface qui précède sa traduction ; mais, depuis Louis XIV, l’admirable poème de la Nature des choses était tombé dans un véritable discrédit. […] un scrupule m’est venu : en parcourant le volume de traduction en prose de M. de Pongerville, je suis tombé sur une préface qui n’est pas celle de sa traduction en vers. […] « Fidèle à la détestable méthode de collège, M. de Pongerville a tellement en aversion tous les mots qui servent de lien logique au langage, il les supprime si constamment, de peur de tomber en prosaïsme, que, pour peu que le raisonnement se prolonge, ce qui est très ordinaire chez Lucrèce, il devient impossible d’en suivre l’enchaînement chez son traducteur.

163. (1899) Esthétique de la langue française « Le vers populaire  »

Les plus communs comportent quatre, cinq, six, sept, huit, dix syllabes : (4) La belle Hélène (6) Dans la mer est tombée… (5) Il n’a pas vaillant La fleur d’une épine… (5) Tu n’es plus fillette A l’âge de quinze ans… (6) Tambour, joli tambour, Donne-moi ta fleur de rose… (7) Il la mène sous une ente. […] Le plus jeune des trois La prit par sa main blanche : — Soupez, soupez la belle, Ayez bon appétit, Entre trois capitaines, Vous passerez la nuit. —  Au milieu du souper La belle tombe morte. […] Au troisième tour de danse La belle est tombée morte, Ô beau rossignolet, Au troisième tour de danse La belle est tombée morte.

164. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface des « Burgraves » (1843) »

Les trois mille Océanides éplorées lui apparaissaient en foule dans les nuées au-dessus du Pinde ; dans les cent vallées de l’Œta il retrouvait l’empreinte profonde et les coudes horribles des cent bras des hécatonchires tombés jadis sur ces rochers, il contemplait avec une stupeur religieuse la trace des ongles crispés d’Encelade sur le flanc du Pélion. […] Quelquefois c’était dès le matin ; il allait, il gravissait la montagne et la ruine, brisait les ronces et les épines sous ses talons, écartait de la main les rideaux de lierre, escaladait les vieux pans de mur, et là, seul, pensif, oubliant tout, au milieu du chant des oiseaux, sous les rayons du soleil levant, assis sur quelque basalte verte de mousse, ou enfoncé jusqu’aux genoux dans les hautes herbes, humides de rosée, il déchiffrait une inscription romane ou mesurait l’écartement d’une ogive, tandis que les broussailles de la ruine, joyeusement remuées par le vent au-dessus de sa tête, faisaient tomber sur lui une pluie de fleurs. […] Là, seul comme le matin, plus seul encore, car aucun chevrier n’oserait se hasarder dans des lieux pareils à ces heures que toutes les superstitions font redoutables, perdu dans l’obscurité, il se laissait aller à cette tristesse profonde qui vient au cœur quand on se trouve, à la tombée du soir, placé sur quelque sommet désert, entre les étoiles de Dieu qui s’allument splendidement au-dessus de notre tête et les pauvres étoiles de l’homme qui s’allument aussi, elles, derrière la vitre misérable des cabanes, dans l’ombre, sous nos pieds. […] Ici, ce que l’auteur voulait placer et peindre, au point culminant de son œuvre, entre Barberousse et Guanhumara, entre la Providence et la fatalité, c’était l’âme du vieux burgrave centenaire Job le Maudit, cette âme qui, arrivée au bord de la tombe, ne mêle plus à sa mélancolie incurable qu’un triple sentiment : la maison, l’Allemagne, la famille.

165. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — L’abbé d’Aubignac, avec Ménage, Pierre Corneille, Mademoiselle de Scudéri et Richelet. » pp. 217-236

On crut alors la dispute tombée. […] L’équivoque de ce mot avec le mot latin Laverna, déesse des voleurs, occasionna l’épigramme* suivante, dont le sel tombe sur la réputation de frippier de vers que s’étoit faite Ménage. […] La Relation du royaume de Coquetterie lui tombe des mains en la lisant. […] Le grand traducteur de Procope Faillit à tomber en syncope Au moment qu’il fut ajourné Pour consommer son mariage.

166. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Histoire des Pyrénées »

… On y voit des faits recueillis dans tous les courants et tous les ravins de la chronique, des masses de faits, qui tombent un peu trop les uns sur les autres comme les avalanches tombent des montagnes, des faits dans leur brutalité muette et dans les obscurités de leur mystère, mais on n’y voit point assez la lumière d’une doctrine qui les éclairerait, les ferait parler et les ferait vivre. […] La tombe est pour les dynasties une espèce de prise de possession plus officielle et plus sainte que leur installation sur le trône. […] Ce pouvoir politique qui se prouve par les tombeaux, ces morts qui emportent la puissance, ces royaumes qui tombent parce qu’ils n’ont plus de cendres à fournir à leurs caveaux funéraires, tout cela nous touche comme la vraie beauté.

167. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Michelet » pp. 259-274

nous ne réclamons pas aujourd’hui son cadavre, et nous réprouvons, autant que jamais, la tendance générale et le mal absolu de ses Œuvres, mais nous réclamons ce qui appartient au sentiment chrétien dans ses Œuvres, à travers les plus mortelles erreurs… Et que cette réclamation tardive, faite sur sa tombe, soit la punition de sa mémoire ; car le meilleur châtiment du coupable, c’est de montrer, qu’il n’était pas fait pour son crime, et qu’en le commettant il ne transgressait pas seulement la loi divine, mais les plus profonds et les plus nobles instincts de son cœur ! […] Personne ne s’est plus vivement cabré que moi devant ses livres, qui me semblaient des précipices fascinateurs et dans lesquels je voyais tomber tant d’esprits. […] Ayant refusé de s’humilier, il a refusé toutes les gloires qui étaient suspendues en l’air, prêtes à tomber sur sa tête !  […] Mais on tombe à eux, quand on vient à eux de La Tour d’Auvergne.

168. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Raymond Brucker » pp. 27-41

Car, pour tous ceux qui ne sont pas dupes du bruit que le hasard ou les circonstances élèvent autour d’un nom ; pour tous ceux qui savent que le plus souvent la gloire, c’est le son de la flûte, tombée dans les grands chemins, et qu’un âne qui passe, en la flairant, fait résonner ; pour ceux enfin qui prennent les esprits dans leur propre substance et qui les comparent, il y a plus d’un rapport à faire saillir et à reconnaître entre M.  […] Ce vin de feu tombe en écumes folles par-dessus les bords de la cuve et en rompt les cercles sous la pression de ses flots puissants et ivres d’eux-mêmes… Comme une vaste fleur dont les parfums rayonnent, l’imagination de M.  […] Cependant, après et même avant cette époque (1833), un peu de désenchantement était tombé, comme une goutte d’eau glacée, dans les illusions de jeunesse et les erreurs à outrance de M.  […] Avant de tomber jusqu’au fond de l’abîme de sa vie, le rayon divin lui en dora les sommets.

169. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXI. De Mascaron et de Bossuet. »

Voyez, dans l’oraison funèbre de la reine d’Angleterre, comme il annonce avec hauteur qu’il va instruire les rois ; comme il se jette ensuite à travers les divisions et les orages de cette île ; comme il peint le débordement des sectes, le fanatisme des indépendants, au milieu d’eux Cromwell, actif et impénétrable, hypocrite et hardi, dogmatisant et combattant, montrant l’étendard de la liberté et précipitant les peuples dans la servitude ; la reine luttant contre le malheur et la révolte, cherchant partout des vengeurs, traversant neuf fois les mers, battue par les tempêtes, voyant son époux dans les fers, ses amis sur l’échafaud, ses troupes vaincues, elle-même obligée de céder, mais, dans la chute de l’État, restant ferme parmi ses ruines, telle qu’une colonne qui, après avoir longtemps soutenu un temple ruineux, reçoit, sans être courbée, ce grand édifice qui tombe et fond sur elle sans l’abattre. […] où retentit comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle : Madame se meurt, Madame est morte. » Et quelques moments après, ayant parlé de la grandeur d’âme de cette princesse, tout à coup il s’arrête ; et montrant la tombe où elle était renfermée : « La voilà, malgré son grand cœur, cette princesse si admirée et si chérie ; la voilà telle que la mort nous l’a faite ! […] Il suit les débris de l’homme jusque dans sa tombe. […] Heureux si, averti par ces cheveux blancs, du compte que je dois rendre de mon administration, je réserve au troupeau que je dois nourrir de la parole de vie les restes d’une voix qui tombe, et d’une ardeur qui s’éteint. » Dans cette péroraison touchante, on aime à voir l’orateur paraître, et se mêler lui-même sur la scène.

170. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Bossuet. Œuvres complètes publiées d’après les imprimés et les manuscrits originaux, par M. Lachat. (suite et fin) »

L’orateur vous enlève avec lui, il vous transporte avec lui à travers les rochers, sur les cimes escarpées : on est comme au bord du précipice… va-t-on y tomber ? […] Que si maintenant nous nous transportons brusquement à l’autre extrémité de la carrière de Bossuet, après qu’il a renoncé si solennellement à l’oraison funèbre et qu’il a déclaré réserver pour son peuple de Meaux « les restes d’une voix qui tombe, et d’une ardeur qui s’éteint », on peut se poser une question, et je la soumets par avance à M.  […] Venir s’y attaquer comme à l’un de ceux qui offrent le plus d’exemples de mauvais goût, c’est mal tomber vraiment et c’est avoir la main malheureuse.

171. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1851 » pp. 1-9

— Un original garçon que l’ami qui nous était tombé du bout de notre famille, un mois avant la publication d’En 18.. […] » Il nous quitte, bat les usuriers, imagine un frontispice où la foudre tombait sur l’Institut, avec les noms de Hugo, de Musset, de Sand dans les zigzags de l’éclair, achète un almanach Bottin, fait des bandes, et, le dernier coup de fusil du 2 décembre parti, le journal L’Éclair paraît. […] dit l’un de nous à l’autre, avec cet affaissement moral et physique qu’a si bien peint Gavarni, dans l’écroulement de ce jeune homme tombé sur la chaise d’une cellule de Clichy.

172. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Léon Bloy »

Voici où la semence de vérité jetée aux vents légers et imbécilles tomba ! Elle tomba dans le cœur du Pape qui gouvernait alors l’Église, et tout à coup elle y leva ! […] Otez, en effet, par la pensée, la personnalité de Christophe Colomb de la synthèse du monde, que, seule, l’Église embrasse, et que seule elle explique, et il ne sera plus qu’un homme à la mesure de la grandeur humaine ; mais avec l’Église et faisant corps avec elle, il devient immédiatement le grand homme providentiel, le bras charnel et visible de Dieu, prévu dès l’origine du monde par les prophètes des premiers temps… Les raisons de cette situation miraculeuse dans l’économie de la création, irréfragables pour tout chrétien qui ne veut pas tomber dans l’abîme de l’inconséquence, ne peuvent pas, je le sais, être acceptées par les esprits qui chassent en ce moment systématiquement Dieu de partout ; mais l’expression de la vérité, qu’ils prennent pour une erreur, est si grande ici, qu’ils seront tenus de l’admirer.

173. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIVe entretien. Madame de Staël. Suite »

(Elle se précipite vers Faust, et ses fers tombent.) […] La tombe est là dehors. […] Ils vont lier mes mains, bander mes yeux ; je monterai sur l’échafaud sanglant, et le tranchant du fer tombera sur ma tête… Ah ! […] Heureuse dans son berceau, heureuse dans sa vie, heureuse dans sa tombe. […] Que serait-ce qu’une femme sur la tombe de laquelle on ne pourrait écrire, pour toute épitaphe, que ce vain mot : Elle a brillé !

174. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « III »

Puis elle tombe foudroyée au milieu de l’effondrement du sortilège et, quand Parsifal s’en va, elle se relève et le suit d’un long regard. […] Quand Parsifal tombe inanimé, elle ne met plus de brusquerie à lui porter secours, mais elle apporte de l’eau avec un empressement humble. […] Nous allons démontrer, par le seul moyen de la mimique, l’erreur dans laquelle est tombé M.  […] Jamais l’exaltation, dans aucune œuvre, n’a eu un aussi grand caractère qu’à ce moment de repentir, de terrible frayeur, où Parsifal tombe à genoux. […] A quelques rares et mesquines exceptions près, l’on est tombé d’accord en estimant à sa réelle valeur le grand chef-d’œuvre qui vient de s’imposer au public belge.

175. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1876 » pp. 252-303

Philippe Sichel tombait alors sur un homme en train de monter les panneaux de la porte d’une habitation, et il se mettait à l’écouter, charmé, ravi, quand l’ouvrier faisant sauter un petit morceau de bois d’un panneau, le façonnait dans quelques minutes, en un petit animal sculpté qu’il tendait à l’étranger. […] … Je ne me rappelle pas, en ma vie, avoir été plus amoureux, plus excité, plus pressant… La femme se coucha sur une grande tombe… ……………………………………………………………………………………………………… — Tout ça, qu’est-ce auprès de ceci, s’exclame Flaubert, son coude se serrant contre sa poitrine — qu’est-ce auprès d’un bras de femme aimée, qu’on presse une seconde contre son cœur, en la menant à table. […] — ainsi que dit le poète chinois. — Eh bien, cette bonne petite pluie ne tombera donc jamais ? […] Lundi 21 août À la petite porte de fer battante du parc de Saint-Gratien, où j’ai l’habitude de me faire descendre, je tombe sur Anastasi. […] Je viens d’acheter une garde de sabre, où dans un ciel écorné par un quartier de lune d’argent, d’arbres qu’on ne voit pas, tombent à travers le ciel neigeux, deux jaunes feuilles d’automne.

176. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Edmond et Jules de Goncourt »

Au moment où tout le monde tombe par devant et de côté sur le catholicisme, on ne lui a jamais, sans avoir l’air de rien, donné dans le dos un plus dextre coup de couteau ! […] Cet écrivain d’un talent raffiné et d’un coloris si souvent charmant, sur qui j’aurais presque pleuré quand il tomba de ses premiers romans sur le trottoir de La Fille Élisa, est resté meurtri et taché de cette chute. […] Et M. de Goncourt se charge d’en faire tomber dans sa tirelire. […] Seulement, demandez-vous ce que devait devenir pareille idée sous une plume tombée à ne plus vivre que d’aumônes et à s’éparpiller dans des renseignements ramassés de toutes parts pour elle, et non par elle ! […] L’amour ne se coupe pas toujours, au pied, d’un seul coup de hache, et il faut le scier parfois bien longtemps pour le faire tomber dans les cœurs épris.

177. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre I. Du comique en général »

Il semble que le comique ne puisse produire son ébranlement qu’à la condition de tomber sur une surface d’âme bien calme, bien unie. […] C’est pourquoi l’homme est tombé, et c’est de quoi les passants rient. […] La victime d’une farce d’atelier est donc dans une situation analogue à celle du coureur qui tombe. […] Ce sont bien, eux aussi, des coureurs qui tombent et des naïfs qu’on mystifie, coureurs d’idéal qui trébuchent sur les réalités, rêveurs candides que guette malicieusement la vie. […] On tombera souvent sur quelque effet de ce genre.

178. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CLe entretien. Molière »

Ses beaux vers ou sa belle prose, peu importe, ne sont que la forme de ses idées, mais c’est l’idée seule qui est poétique, et Shakespeare a cette qualité du génie de plus ; il est poëte quelquefois comme Job, mais il l’est rarement ; et il tombe de son char comme Hippolyte emporté par ses coursiers, et il tombe très bas, par la faute de son parterre plus que par la sienne. […] Cela continua ainsi jusqu’au moment suprême où la Providence sépara le maître et l’élève et fit tomber, chargé d’années, le vieux tronc à côté du fruit vert. […] Mais cet éclaircissement causa un vacarme terrible ; la mère donna des marques de fureur et de désespoir, comme si Molière avait épousé sa rivale, ou comme si sa fille fût tombée entre les mains d’un malheureux. […] Avec toutes les précautions dont un homme peut être capable, je n’ai pas laissé de tomber dans le désordre où tous ceux qui se marient sans réflexion ont accoutumé de tomber. — Oh ! […] En un lieu, l’autre jour, où je faisais visite, Je trouvai quelques gens d’un très-rare mérite, Qui, parlant des vrais soins d’une âme qui vit bien, Firent tomber sur vous, madame, l’entretien.

179. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1891 » pp. 197-291

On me disait qu’on leur retenait par mois 50 centimes, pour la civière dans laquelle on les transporterait, le jour où ils tomberaient d’un toit. […] À cinq heures, Ajalbert et Mlle Nau tombent chez moi, sortant de la séance. […] Mme Crosnier qui ne laisse plus tomber les pénultièmes de ses mots a apporté dans son rôle, une énergie, une verdeur, une puissance qu’elle n’avait pas encore déployées. […] Un tableau devant lequel est tombé en extase le peintre Moreau, qui ne connaissait pas même Turner de nom. […] Les amours des chats étant extérieurs ne leur tombent pas sous la vue, tandis qu’on craint que la grossesse, la mise bas, la maternité des chattes, puissent éveiller la curiosité de l’amour chez ces femmes.

180. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1892 » pp. 3-94

Or ces paupières sanglantes prirent racine, à la place où elles étaient tombées sur la terre, et un arbrisseau poussa, donnant des feuilles, que les habitants cueillent, et dont ils font une infusion parfumée, qui chasse le sommeil. […] la grande jouissance, après ces temps, si implacablement beaux, de passer la soirée à entendre la pluie tomber, goutter, avec son doux bruit, sur les feuilles. […] Sa tête était tombée sur des épreuves fraîches du dictionnaire de Robert Estienne, qu’il corrigeait, et la sueur de la mort avait imprimé quelques caractères des épreuves sur son front. […] Une brise s’élève, et les fruits commencent à tomber. […] Demailly tombe mort ou mourant, pendant que sa femme continue à danser.

181. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 412-415

Mais leur gloire tombe par terre ; Et comme elle a l’éclat du verre, Elle en a la fragilité. Il y a dans la Tragédie : Toute votre félicité, Sujette à l’instabilité, En moins de rien tombe par terre ; Et comme elle a l’éclat du verre, Elle en a la fragilité.

182. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIIe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset » pp. 409-488

La plupart de ces débris tombent à terre sans que personne les ramasse. […] Mes mains tombèrent par hasard sur ces cinq volumes poudreux de Saint-Évremond, dans une vieille bibliothèque de famille, chez un de mes oncles, curieux de reliques d’esprit. […] Ce feu de l’enthousiasme était si ardent et si pur en elle, qu’à chaque instant on croyait voir cette enveloppe consumée tomber en une pincée de cendre et tenir dans une urne ou dans la main. […] Ce charme ne tombait pas avec ses parures ou ses couronnes de théâtre, il s’endormait et se réveillait avec elle. […] Ton trône de 1830 est tombé, et tu n’as pas levé un bras seulement pour le défendre.

183. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre V. Mme George Sand jugée par elle-même »

À chaque roman qui tombait de cette plume facile, c’étaient des applaudissements universels ! […] « L’insulte à la rectitude de la vie ne saurait aller plus loin, dit-il, mais Mme Sand fait tomber son talent dans l’abîme, comme j’ai vu (il avait toujours tout vu !) la rosée tomber sur la mer Morte. » Je crois même que M.  […] Ouvrez les Lettres à Marcie, qui ne sont pas longues, et voyez si vous ne vous ferez pas, en entrant là-dedans, l’effet d’être dans le vestiaire d’une rhétorique tombée en loques, à force d’avoir servi à tout le monde, — le pire des maîtres ! […] Toutes les siennes sont des images tombées vingt fois de leurs béquilles, et qu’elle relève, et qu’elle appuie contre sa phrase, pour qu’elles tiennent encore un peu debout.

184. (1925) Comment on devient écrivain

Mais prenons garde de ne pas tomber dans l’outrance pour vouloir éviter la fadeur. […] On peut étudier Bossuet sans tomber dans de pareils plagiats. […] Les prétendants frémirent dans la demeure quand ils virent l’homme tomber. […] Amelotte traduit : « Les étoiles du ciel tombèrent en terre, comme les figues tombent d’un figuier, lorsqu’il est agité par un grand vent. » Le P. Bouhours : « Les étoiles tombèrent du ciel sur la terre, de même que les figues qui ne mûrissent point tombent d’un figuier agité par un grand vent. » Richard Simon : « Les étoiles du ciel tombèrent sur la terre, comme les figues encore vertes tombent d’un figuier lorsqu’il est agité par un grand vent. » Godeau : « Et les étoiles tombèrent du ciel comme on voit tomber les figues-fleurs du figuier, lorsqu’elles sont secouées par un grand vent. » Bossuet dit : « Les étoiles tombèrent du ciel en terre, comme lorsque le figuier, agité par un grand vent, laisse tomber ses figues vertes. » Évidemment, c’est Bossuet qui est le plus près du texte.

185. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre III. La Phèdre de Racine. »

Je crois voir de ta main tomber l’urne terrible ; Je crois te voir cherchant un supplice nouveau, Toi-même de ton sang devenir le bourreau ! […] Cette femme, qui se consolerait d’une éternité de souffrance, si elle avait joui d’un instant de bonheur, cette femme n’est pas dans le caractère antique : c’est la chrétienne réprouvée, c’est la pécheresse tombée vivante dans les mains de Dieu ; son mot est le mot du damné.

186. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo en 1831 »

Certes, plus d’un vieillard sans flamme et sans cheveux, Tombé de lassitude au bout de tous ses vœux, Pâlirait, s’il voyait, comme un gouffre dans l’onde, Mon âme où ma pensée habite comme un monde, Tout ce que j’ai souffert, tout ce que j’ai goûté, Tout ce qui m’a menti comme un fruit avorté, Mon plus beau temps passé sans espoir qu’il renaisse, Les amours, les travaux, les deuils de ma jeunesse, Et quoique encore à l’âge où l’avenir sourit, Le livre de mon cœur à toute page écrit ! […] Après avoir chanté, j’écoute et je contemple, À l’Empereur tombé dressant dans l’ombre un temple, Aimant la Liberté pour ses fruits, pour ses fleurs, Le Trône pour son droit, le Roi pour ses malheurs ; Fidèle enfin au sang qu’ont versé dans ma veine Mon père vieux soldat, ma mère Vendéenne ! […] Il y tomba malade, et un jour qu’il avait entrevu quelque inquiétude sur la physionomie de son hôte, craignant de lui être un sujet de péril, et dans l’exaltation de la fièvre qui l’enflammait, il se fit transporter le soir même, sur un brancard, rue de Clichy, où Mme Hugo logeait alors.  […] Victor Hugo n’avait que douze ans ; une idée singulière, bizarre dans sa forme, le préoccupait au milieu de ce grand changement politique ; il se disait que c’était déchoir pour la France de tomber d’un Empereur à un Roi. […] … À l’Empereur tombé dressant dans l’ombre un temple… Dès 1824, lors de la retraite de M. de Chateaubriand, il avait pris parti pour l’opposition.

187. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE PONTIVY » pp. 492-514

Car, lui, il est l’âme même ; il vit d’une vie invisible ; il se guérit par ses propres baumes, il se répare, il recommence, il n’a pas cessé ; il va jusqu’à la tombe et s’éternise au delà. […] oui, je verrai, s’il le faut, M. le Régent, » quand M. de Murçay, qui jusque-là avait gardé le silence, s’avançant brusquement vers Mme de Pontivy, dont le bilboquet (c’était alors la fureur) venait fort à propos de tomber à terre, lui dit assez bas en le lui remettant et en lui serrant la main avec signification : « Gardez-vous en bien ! » Mme de Pontivy, qui allait consentir, rougit subitement, et sans trop savoir pourquoi, répondit avec bonheur : « Il serait peu convenable, j’imagine, de voir moi-même M. le Régent ; » et l’avis de Mme de Tencin, qui allait passer tout d’une voix, se retira et tomba de lui-même comme indifféremment. […] l’amour brisé comme un simple ressort, comme une porcelaine tombée des mains ! […] De subites larmes brillèrent dans leurs yeux, et ils tombèrent aux bras l’un de l’autre.

188. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — CHAPITRE VII »

Il allait l’épouser en secondes noces, mais Paul, alors enfant, est tombé malade à l’idée qu’une étrangère allait usurper, dans la maison, la place maternelle. […] Minuit sonne : elle tombe dans ses bras… Il avait vaincu sans combattre. […] La femme tombée se redressa courroucée, les yeux éclatants de larmes et de larmes. […] Il y tombe à deux genoux, et ne s’en relève que par un esclandre de fat malappris. […] Chaque fois qu’il tombe à plat dans le fiasco d’un faux pas, il croit s’en tirer par une pirouette qu’on dirait exécutée sur un talon rouge. « Saute, baron ! 

189. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre I. Après la mort — Shakespeare — L’Angleterre »

Pour qui n’a eu d’autre action que celle de l’esprit, la tombe est l’élimination de l’obstacle. […] Cette vie en tumulte tombe dans un trou ; le genre humain poursuit sa route, laissant derrière lui ce néant. […] Est-il vrai que le prophète Osée, pour montrer son amour de sa patrie, même tombée en opprobre et devenue infâme, ait épousé une prostituée, et ait nommé ses enfants Deuil, Famine, Honte, Peste, et Misère ? […] Tels sont les effets de la tombe sur les grands esprits. […] Le canon éclate, le rideau tombe, on découvre la statue qui semble dire : Enfin !

190. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « V. M. Amédée Thierry » pp. 111-139

Amédée Thierry fait tomber le colosse, exhaussé de tant de légendes, dans la curiosité historique, dans la recherche individuelle. […] Est-ce dans le mystère de la tombe, de l’oubli, de la destinée, ou dans la déposition de la tradition, éternellement retentissante ? […] Amédée Thierry est tombé de l’histoire dans la biographie. […] Cette caserne éclatante qui s’appelle Rome, a-t-elle un instant sérieux de grandeur intrinsèque et qui vraiment lui appartienne N’est-elle pas tombée, comme elle s’est élevée, — par miracle ? […] À les entendre, les Romains tombent de corruption et de sanie devant les Barbares qui les poussent du pied et qui passent.

191. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VII. De la littérature latine, depuis la mort d’Auguste jusqu’au règne des Antonins » pp. 176-187

Il est possible que, dans une telle situation, les écrivains tombent dans l’affectation, parce qu’il leur importe trop de rendre piquantes les formes de leur style. […] À l’honneur du peuple romain, les arts d’imagination tombèrent presque entièrement pendant la tyrannie des empereurs. […] Les nations du Midi tombèrent dans l’avilissement, et cet avilissement prépara le triomphe des peuples du Nord.

192. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Feuilles d’automne » (1831) »

Des feuilles tombées, des feuilles mortes, comme toutes feuilles d’automne. […] C’est l’écho de ces pensées, souvent inexprimables, qu’éveillent confusément dans notre esprit les mille objets de la création qui souffrent ou qui languissent autour de nous, une fleur qui s’en va, une étoile qui tombe, un soleil qui se couche, une église sans toit, une rue pleine d’herbe ; ou l’arrivée imprévue d’un ami de collège presque oublié, quoique toujours aimé dans un repli obscur du cœur ; ou la contemplation de ces hommes à volonté forte qui brisent le destin ou se font briser par lui ; ou le passage d’un de ces êtres faibles qui ignorent l’avenir, tantôt un enfant, tantôt un roi. […] Il n’insultera pas la race tombée, parce qu’il est de ceux qui ont eu foi en elle et qui, chacun pour sa part et selon son importance, avaient cru pouvoir répondre d’elle à la France.

193. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « II. M. Capefigue » pp. 9-45

certainement, nous l’aurions choisi, pour mieux montrer, du premier coup, à quel degré de déchéance et de radotage, l’Individualisme, qui écrit l’histoire, peut tomber. […] Le Bel, si l’auteur, qui ne se retiendra pas plus tard, ne se retenait encore ; cette absolution qui tombe sur tout le monde et sur toutes choses avec une largeur de bonté qu’on voudrait moins inépuisable, n’est point un parti pris ou une de ces combinaisons de l’esprit de parti, une de ces tentatives comme l’esprit de parti s’en permet quelquefois, et qui serait d’ailleurs malheureuse… Non, l’auteur est séduit ! […] Comme les femmes tombées qu’on a le malheur d’adorer, il ne l’a plus vue, cette époque, il ne l’a plus comprise, il ne l’a plus jugée, et devant elle il a perdu toute raison et même tout libre arbitre. […] Jamais on n’a secoué plus indolemment un grain de tabac sur son jabot de dentelles… mais aussi les grains d’infamie qui criblent la mémoire du dix-huitième siècle y resteront, et ce n’est pas en s’y prenant ainsi qu’on les fera tomber ! […] , une Maintenon jeune, légère et joyeuse, tombée dans le xviiie  siècle où tout se rapetisse en tombant, se casse et se souille, et y devenant une Du Barry !

194. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « APPENDICE. — LEOPARDI, page 363. » pp. 472-473

. —  Pour toi quand tout est mort, ami, tout vit pour moi : Ce déclin que l’Automne étale avec richesse Me parle, à moi, d’un temps de fête et d’allégresse, Du meilleur des saints jours, — alors qu’heureux enfants, Sur les bancs de la classe, en nos vœux innocents, Les feuilles qui tombaient ne nous disaient encore Que le très-doux Noël et sa prochaine aurore. Pour tout calendrier j’avais ma marque en bois ; Et là, comptant les jours recomptés tant de fois, Vite, chaque matin, j’y rayais la journée, Impatient d’atteindre à l’aube fortunée. —  Pour toi, dans ses douceurs la mourante saison N’est qu’un affreux emblème, et le dernier gazon Te rappelle celui de la tombe certaine, Durant ce long hiver où va la race humaine.

195. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 66-69

Il n'est pas possible qu'ils se dissimulent leurs méprises, à la vue de l'oubli où sont tombées & où tombent tous les jours quantité de Pieces, applaudies d'abord avec enthousiasme, & rejetées ensuite avec dégoût : tant la réflexion & le retour des vrais principes sont ennemis des Productions contraires à la raison & au bon goût !

196. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1870 » pp. 3-176

Autour, tombent toujours les grands arbres avec le frôlement sourd des branchages, tombent toujours les maisons avec le bruit de casse strident des vitres, se brisant sur le pavé. […] Me voilà devant sa tombe. […] Les morts, si oubliés le restant de l’année, ont autour d’eux un murmure de prières, de paroles… Pauvre tombe ! […] Cette tombe deviendra la pierre abandonnée des morts sans famille. […] Un pauvre vieil homme prend peur, à côté de moi, sur le pont-levis, et tombe dans le fossé.

197. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre IV. Suite du parallèle de la Bible et d’Homère. — Exemples. »

Les enfants sont tués, et ils ne sont point morts par l’épée ; ils ne sont point tombés par la guerre… « Le Seigneur vous couronnera d’une couronne de maux. […] Si le chantre d’Ilion peint un jeune homme abattu par la lance de Ménélas, il le compare à un jeune olivier couvert de fleurs, planté dans un verger loin des feux du soleil, parmi la rosée et les zéphyrs ; tout à coup un vent impétueux le renverse sur le sol natal, et il tombe au bord des eaux nourricières qui portaient la sève à ses racines. […] « Ulysse, prenant dans sa forte main un pan de son superbe manteau de pourpre, le tirait sur sa tête pour cacher son noble visage, et pour dérober aux Phéaciens les pleurs qui lui tombaient des yeux. […] Homère, ce nous semble, est d’abord tombé dans une erreur, en employant le merveilleux.

198. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 35, de l’idée que ceux qui n’entendent point les écrits des anciens dans les originaux, s’en doivent former » pp. 512-533

Je tombe d’accord que l’éneïde de Virgile en françois, tombe, pour ainsi dire, sous le même sens qui auroit jugé du poëme original, mais l’éneïde en françois n’est plus le même poëme que l’éneïde en latin. […] Juger d’un poëme sur la traduction et sur les critiques, c’est donc juger d’une chose destinée à tomber sous un sens sans la connoître par ce sens-là. […] En effet, le rapport uniforme des sens des autres hommes, est après le rapport de nos propres sens, la voïe la plus certaine que nous aïons pour juger du mérite des choses qui tombent sous le sentiment.

199. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IV. Des changements survenus dans notre manière d’apprécier et de juger notre littérature nationale » pp. 86-105

Mais je ne conçois point ce choix arbitraire et raisonné, dans nos anciennes illusions : les unes sont impitoyablement condamnées, et l’on voudrait continuer d’accueillir encore les autres, pendant que toutes se tiennent, que toutes sont en harmonie entre elles, que toutes doivent tomber ou subsister ensemble. […] Il est des choses qui tombent et s’évanouissent, uniquement parce qu’on veut les soumettre à l’examen. […] Cette économie des desseins de la Providence, dévoilée avec la prévision d’un prophète ; cette pensée divine gouvernant les hommes depuis le commencement jusqu’à la fin ; toutes les annales des peuples, renfermées dans le cadre magnifique d’une imposante unité ; ces royaumes de la terre, qui relèvent de Dieu ; ces trônes des rois, qui ne sont que de la poussière ; et ensuite ces grandes vicissitudes dans les rangs les plus élevés de la société ; ces leçons terribles données aux nations, et aux chefs des nations ; ces royales douleurs ; ces gémissements dans les palais des maîtres du monde ; ces derniers soupirs de héros, plus grands sur le lit de mort du chrétien, qu’au milieu des triomphes du champ de bataille ; enfin l’illustre orateur, interprète de tant d’éclatantes misères, osant parler de ses propres amertumes, osant montrer ses cheveux blancs, signe vénérable d’une longue carrière honorée par de si nobles travaux, et laissant tomber du haut de la chaire de vérité des larmes plus éloquentes encore que ses discours : tel est le Bossuet de nos habitudes classiques, de notre admiration traditionnelle. […] Oui, encore une fois, il me semble voir Bossuet s’enfoncer avec Isaïe et Jérémie dans la nuit des traditions antiques ; et le voile de l’inusité commencer à tomber sur sa grande stature.

200. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte Gaston de Raousset-Boulbon »

Un homme perd, tombe ruiné : « C’était un grand joueur, un beau joueur !  […] Tombé dans la fleur de sa force (il avait trente-six ans), ce jeune homme, ce Français, appartenait aux vieilles familles politiquement déchues, mais qui ont encore de ces descendants dans leur déchéance. […] Si les enfants tombaient quelque jour dans les idées ridiculement irréligieuses que j’ai eues quelquefois moi-même, fais-leur lire cette lettre et dis-leur que l’oncle Gaston qui, plein de vie, de force et de raison, est mort entre les mains d’un prêtre, était cependant un homme intrépide… » Comparez en beauté morale, et même en beauté dramatique, la mort de Raousset à celle de Lara, et vous verrez si la vérité historique n’est pas plus grande que l’invention du grand poète ! […] Est-ce la bête fauve ou la blanche colombe Qui dans l’ombre des nuits visitera ta tombe ?

201. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIe entretien. Phidias, par Louis de Ronchaud (2e partie) » pp. 241-331

Je ne pouvais croire qu’un homme vivant eût fait cela ; je me figurais que ce Génie, ce lion, ce groupe, étaient tombés de la voûte de Saint-Pierre de Rome, tout sculptés là-haut par quelque ciseau angélique du temps de Michel-Ange ou de Raphaël. […] Une tombe, on ne sait sur quel chemin du monde, loin de la tombe de ton père ! […] Il te fallut entendre combien les vaches avaient vêlé, et combien de fromages dorés étaient sortis des chaudières de la haute montagne où ils attendaient l’acheteur ambulant ; combien de meules de foin ou de seigle avaient embarrassé la cour et les granges ; combien de pigeons avaient doublé de nids dans le colombier ; combien de poires saines et savoureuses des vieux arbres étaient tombées au vent du midi et s’étalaient sur les rayons du fruitier pour l’hiver. […] que le beau, cette rosée du ciel qui tombe en plein sur cette terre, coule à pleine séve de tes recherches classiques dans tes souvenirs, et de tes souvenirs dans tes vers, et de tes vers ou de ta prose dans l’âme charmée de tes lecteurs ! […] J’entends les rumeurs qui s’en élèvent, les coups de marteau des tireurs de pierre dans les carrières de marbre du mont Pentélique, le roulement des blocs qui tombent le long des pentes de ses précipices, et toutes ces rumeurs qui remplissent de vie et de bruit les abords d’une grande capitale.

202. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (3e partie) » pp. 5-79

L’invraisemblance touche ici au paradoxe, et, si l’écrivain était moins consommé dans son art, le livre ici tomberait des mains de tout le monde comme il est tombé des miennes. […] « Ainsi, pendant ces dix-neuf ans de torture et d’esclavage, cette âme monta et tomba en même temps. […] Il a glissé, il est tombé, c’est fini. […] « Il se sent enseveli à la fois par ces deux infinis, l’océan et le ciel ; l’un est une tombe, l’autre est un linceul. […] Océan où tombe tout ce que laisse tomber la loi !

203. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — A — Ackermann, Louise (1813-1890) »

Ils sont taillés dans un marbre radieux de blancheur idéale, avec une vigueur et une sûreté de main qui indiquent que l’artiste, ici, est son propre maître, et sans excuse, comme Lucifer, qui ne tomba que parce qu’il voulut tomber.

204. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 10, objection tirée des tableaux pour montrer que l’art de l’imitation interesse plus que le sujet même de l’imitation » pp. 67-70

Je répons que, lorsque nous regardons avec application les tableaux de ce genre, notre attention principale ne tombe pas sur l’objet imité, mais bien sur l’art de l’imitateur. […] Les tableaux de l’école lombarde sont admirez, bien que les peintres s’y soïent bornez souvent à flater les yeux par la richesse et par la verité de leurs couleurs, sans penser peut-être que leur art fût capable de nous attendrir : mais leurs partisans les plus zelez tombent d’accord qu’il manque une grande beauté aux tableaux de cette école, et que ceux du Titien, par exemple, seroient encore bien plus précieux s’il avoit traité toujours des sujets touchans, et s’il eut joint plus souvent les talens de son école aux talens de l’école romaine.

205. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VII, seconde guerre médique. »

Leurs armes tomberaient d’elles-mêmes et leurs vaisseaux s’envoleraient, au retentissement de la Perse en marche. […] En passant à Troie, il fit sacrifier par les Mages aux héros asiatiques tombés dans cette plaine mémorable. […] Ils tombèrent atterrés sur le pavé du temple, laissant passer la colère du dieu. […] Léonidas tomba dans la mêlée, une lutte furieuse s’engagea autour de son corps. […] Mais il tomba mort en remettant l’étincelle aux prêtres.

206. (1767) Salon de 1767 « Peintures — La Grenée » pp. 90-121

L’œil droit va lui tomber de son orbite. […] Morphée le touche de ses pavots, et sa tête tombe en devant. […] Un de ses bras tombe mollement sur le coussin ; l’autre est jetté sur les épaules de Renaud. […] Une larme vraie ou fausse lui tombe de l’œil. […] Arrangez par derrière ce groupe, un écuyer immobile qui tiene la bride de la pie du maréchal ; qu’il regarde aussi son maître mort ; et qu’il tombe de grosses larmes de ses yeux.

207. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Alfred de Vigny »

Vigny, ce grand coupable aux yeux qui l’aiment, ne devait plus jamais retrouver que quelques flocons tombés des ailes de l’Ange qui s’en était allé pendant que son poète regardait la terre, et vous le verrez tout à l’heure. […] J’ai promis que je vous montrerais en cette belle prose les plumes tombées de l’aile d’Éloa, la muse évanouie, mais ressouvenue, mais ressentie toujours. […] Kitty Bell, c’est l’ange de la pitié aussi, mais sur la terre, dans sa robe grise de puritaine, tombant aussi par pitié dans Chatterton ; car elle tombe, quoique sa chute soit voilée par sa pitié même et par celle du romancier, qui n’ose pas la raconter ! […] Madame de Saint-Aignan, une Éloa qui va devenir mère et qui ne peut pas tomber, elle ! […] : Mademoiselle Sedaine, pour montrer que là où tombe un doigt comme le sien, il y reste toujours du parfum et de la lumière.

208. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVe entretien. Alfred de Vigny (2e partie) » pp. 321-411

Tout cela fût tombé à froid devant la chaleureuse émotion de M. de  Vigny. […] Nous étions tombés dans un calme plat, et c’était sous le 1° de latitude nord, au 27° de longitude. […] Il regarda seulement sa femme, et s’essuya le front, d’où tombaient des gouttes de sueur. […] je comprends, parce qu’il tombe de là dans la mer. […] du canot elle vit son mari tomber à la mer, fusillé.

209. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre dixième. Le style, comme moyen d’expression et instrument de sympathie. »

Cette longue chanson qui tombe des fontaines. […] Sur quels pieds tombez-vous, parfums de Madeleine ? […] Alors en effet le petit nombre de mots économise l’attention ; de plus, la voix tombe et se pose plus vite qu’on ne s’y attendait : il s’ensuit un silence imprévu, qui, en surprenant l’oreille, ranime l’attention et la fixe sur l’idée qu’on vient d’exprimer. […] Là tous nos beaux desseins tomberont par terre ; là s’évanouiront toutes nos pensées. […] Sur les montagnes, de grandes fleurs pleines de parfums qui fument, se balancent comme d’éternels encensoirs ; dans les citronniers plus hauts que des cèdres, des serpents couleur de lait font avec les diamants de leur gueule tomber les fruits sur le gazon ; 3.

210. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIe entretien. Sur le caractère et les œuvres de Béranger » pp. 253-364

Qui de nous, hommes qui avons traversé un demi-siècle de combats d’opinion, de presse, de tribune, peut se rendre témoignage qu’il ne regrette pas un mot tombé de sa bouche ou de sa plume ? […] Ce crime contre la bienséance a eu son expiation en 1848 ; leur gouvernement, miné par eux, est tombé sur eux, hélas ! et il est tombé sur moi, innocent, plus que sur eux, coupables. […] Les expériences, les confidences, les repentirs y tombent de plus haut de l’âme de l’un dans l’âme de l’autre, comme les grandes ombres des montagnes dont parle Virgile tombent sur leurs pieds à mesure que le soleil baisse : Majoresque cadunt altis de montibus umbræ. […] Nous n’y représenterons ni la démocratie en goguette, ni la jeunesse en orgie, ni l’armée de 1815 venant imposer les lois de la baïonnette à une nation libre et pacifiée, ni le trône tombé sous les chansons de 1830.

211. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre III. Des Ruines en général. — Qu’il y en a de deux espèces. »

Et pourquoi les ouvrages des hommes ne passeraient-ils pas, quand le soleil qui les éclaire doit lui-même tomber de sa voûte ? […] L’homme n’est lui-même qu’un édifice tombé, qu’un débris du péché et de la mort ; son amour tiède, sa foi chancelante, sa charité bornée, ses sentiments incomplets, ses pensées insuffisantes, son cœur brisé, tout chez lui n’est que ruines209.

212. (1894) La bataille littéraire. Cinquième série (1889-1890) pp. 1-349

Il tremblait, le vieux marquis, et la foule qui voulait que l’on tombât bien, répétait : « Le lâche ! […] Ses yeux tombèrent sur un journal. […] Tombe qui tombe. […] Essaye de tomber sur de bons clients. […] En sortant, je tombai sur M. 

213. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre III. Paradis perdu. »

Ève tombe par amour-propre : elle se vante d’être assez forte pour s’exposer seule ; elle ne veut pas qu’Adam l’accompagne dans le lieu où elle cultive des fleurs. […] Adam tombe dans le désespoir ; il désire de rentrer dans le sein de la terre. […] Les plaintes d’Andromaque, plus étendues, perdent de leur force ; celles de la mère d’Euryale, plus resserrées, tombent, avec tout leur poids, sur le cœur.

214. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 18, reflexions sur les avantages et sur les inconveniens qui resultoient de la déclamation composée des anciens » pp. 309-323

Ainsi dans les choses qui doivent tomber sous notre sentiment, les effets de la nature causent toujours en nous les mêmes sensations agreables ou desagreables, soit que nous observions, soit que nous n’observions pas comment la chose arrive, soit que nous nous embarrassions de remonter jusqu’aux causes de ces effets, soit que nous nous contentions d’en joüir : soit enfin que nous aïons réduit en methode l’art de ménager, suivant des regles certaines, l’action des causes naturelles, soit que nous ne suivions que l’instinct dans l’application que nous faisons de ces causes. Nous ne laissons pas donc de sentir les fautes où tombent nos comediens, quoique nous ne scachions pas l’art qui enseigne à ne les point faire. […] Enfin dès qu’on voudra bien tomber d’accord qu’il y aura toujours sur tous les théatres un plus grand nombre d’acteurs mediocres que d’excellents acteurs, on ne pourra plus disconvenir que la perte dont l’objection parle ne fut compensée de maniere qu’il y auroit dix à gagner pour un que l’on perdroit.

215. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Philippe II »

Lui qui méprise les esprits vulgaires et les démocraties qui ne sont jamais que le gouvernement de la Vulgarité, il est tombé, par le fait plus que par des paroles expresses, il est vrai, dans ce plat sophisme des esprits vulgaires qui retourne l’infamie du prêtre contre la sainteté de l’autel. […] même sans la foi religieuse qu’il n’a pas, l’historien n’a point le droit de n’en pas tenir compte dans la vie des hommes dont il écrit l’histoire ; car cette foi religieuse, même inconséquente, même violée et faussée par les passions qui entraînent hors de Dieu, fût-ce dans les voies les plus scélérates, cette foi religieuse, tombée et ravalée jusqu’au fanatisme de Philippe II, par exemple, est encore une grande chose, qui grandit l’homme par le Dieu qu’elle y ajoute, et qui, s’imposant au moraliste dans l’historien, doit le forcer à s’occuper d’elle. […] Dans un temps où l’on n’avait pas vu que Mayenne, — le dernier des Guise, de toutes les manières, — mais le grand Guise lui-même, le magnifique Balafré, le charmeur de la France, recevoir vingt-cinq mille écus par mois du roi d’Espagne, non pour les besoins de son parti, — ce qui eût été légitime, — mais pour les besoins de sa maison, de son luxe et de sa personne ; quand les plus grands seigneurs de France tendaient leurs mains gantées d’acier, et les évêques leurs mitres de soie, à l’argent du roi d’Espagne qui y tombait ; quand partout, dans l’abominable politique du temps, il n’y a que gens qui se marchandent, espions tout prêts qui se proposent, assassins qui s’achètent, la Ligue ne fut pas plus innocente que les autres des vices qui dévoraient son siècle, et elle y ajouta le sien, qui était d’être une Démocratie… Philippe II fut ruiné, du reste, avant d’avoir acheté la France, et les victoires d’Henri IV firent le reste.

216. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Louis Wihl »

La juive surtout : la nation à tête dure, que rien n’a pu amollir, ni la croix de Jésus-Christ tombée dessus, ni les ruines de Jérusalem, ni les coups du Romain, ni les coups du Moyen Age, ni les coups du Turc, et qui les a reçus comme l’enclume qui fait ressauter le marteau ! […] Les vers de Louis Wihl, ces vers, fils de la Bible et ressemblant à la Bible comme des enfants amoureusement faits ressemblent à leur mère, peuvent se lire après la Bible et ne pas tomber dans le néant où le rapprochement de la Bible fait tomber toute imitation qu’on fait d’elle.

217. (1880) Goethe et Diderot « Diderot »

Il secoue la vieille bouteille d’encre séchée de Luther pour en faire tomber deux gouttes encore. […] Ce drame est tombé avec la philosophie qui l’avait mis en crédit. […] Mais enfin il tomba dans la vérité, et y tomber, c’est une manière d’y entrer encore. […] Diderot, le pire, tombera par ce qu’il a de meilleur. […] Il tombera comme Chateaubriand.

218. (1826) Mélanges littéraires pp. 1-457

Elle est absolument tombée dans l’opinion publique ; elle n’a ni grands talents, ni véritable patriotisme. […] Young verse moins de larmes sur la tombe de sa fille unique, que Bossuet sur le cercueil de madame Henriette. […] Ne l’appelons plus notre mère, mais notre tombe. […] Elle divise les eaux qui tombent dans l’Atlantique de celles qui grossissent le Meschacebé, l’Ohio, et les lacs du Canada inférieur. […] Quand l’âme est élevée, les paroles tombent d’en haut, et l’expression noble suit toujours la noble pensée.

219. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre V. La Renaissance chrétienne. » pp. 282-410

Au bout de sept ans, nos dents tombent et meurent avant nous : c’est le prologue de la tragédie ; et à chaque fois sept ans, on peut bien parier que nous jouerons notre dernière scène. […] Nos cheveux tombent ; toilette funèbre qui annonce un homme entré bien avant dans la région et les domaines de la mort. […] Mais alors il me vint dans la tête : Et si le clocher aussi tombait ? […] Il passe devant une croix et le lourd fardeau des péchés qu’il portait à ses épaules se détache et tombe. […] Cependant la route se rétrécit, les ombres tombent plus épaisses, les flammes sulfureuses montent le long du chemin : c’est la vallée de l’Ombre de la Mort.

220. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « Appendice »

Or ils enlevèrent de la tête de lui Et son casque de peau de belette Et sa peau de loup Et son arc élastique Et sa lance longue… Traduction Leconte de Lisle Dolon, ne pense pas m’échapper, puisque tu es tombé entre nos mains, bien que tes paroles soient bonnes. […] Et le Troien parlait encore quand la tête tomba dans la poussière.

221. (1910) Variations sur la vie et les livres pp. 5-314

Alors les romans de Delatouche tombaient à plat et la rancune envahissait l’âme de l’auteur. […] Ceux qui n’ont rien à se reprocher passent facilement sur le pont, et les autres tombent dans l’eau, au pouvoir des diables. […] Un autre académicien, son grand appui, tomba malade. […] Ils ne parviennent jamais à l’unité d’un grand rôle ; emportés un instant avec bonheur, ils tombent tout à coup à plat. […] va plutôt tomber sous les pioches.

222. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIVe entretien. Cicéron (3e partie) » pp. 257-336

Lequel est le plus grand après la mort, de César ou de Cicéron qui pense seul à Tusculum, ou de la république qui tombe dépiécée entre les mains de trois ambitieux ? […] Il n’en est pas de même des âmes grossières, et, de plus, celles qui sont d’un caractère excellent ne tombent pas en toute sorte de maladie ; rien de ce qui est férocité, cruauté, ne les attaquera ; il faut, pour trouver prise sur elles, que ce soit de ces passions qui paraissent tenir à l’humanité, telles que la tristesse, la crainte, la pitié. […] « Quand ma patrie fut tombée dans ce dernier état, dépouillé de mes anciennes fonctions, je repris ces études, qui, tout en calmant mes douleurs, m’offraient de plus le seul moyen qui me restât d’être encore utile à mes concitoyens. […] « Il en est de même des lettres et des sciences. » Nous n’analyserons pas pour vous ce grand ouvrage d’incrédulité philosophique ; les superstitions tombées, qu’importent les réfutations ? […] L’espace nous manque pour le commenter en entier devant vous ; il fut composé au bruit des tempêtes de Rome, pendant que César tombait et qu’Antoine agitait à Rome le manteau sanglant du dictateur, pour faire tomber la dictature et pour la saisir à l’aide de la popularité attendrie des soldats et du peuple ; et cependant quel calme dans l’âme et dans le style de Cicéron !

223. (1857) Cours familier de littérature. III « XIIIe entretien. Racine. — Athalie » pp. 5-80

Ce qui échappait à l’Église tombait sous le glaive du roi, et ce qui s’insurgeait dans son cœur contre le roi tombait sous l’excommunication de l’Église. […] Athalie allait tomber de son génie, comme le fruit mûr tombe à son heure de l’arbre fertilisé par un sol, par une culture et par une saison de choix. […] Celui qu’il prononça après la mort de Corneille, son rival, ne fut pas digne de ce deuil, mené par l’émule d’Euripide devant la tombe de l’émule de Sophocle. […] On rougit de voir la religion et le génie oublier ainsi jusqu’à la pudeur de la reconnaissance, et triompher avec ce qui s’élève, en secouant la poussière de leurs souliers sur ce qui tombe. […] Aman tombe à ses pieds et porte sur elle ses mains suppliantes.

224. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Edgar Poe »

À cette vue, Legrand, ému, arracha le papier des mains de son ami, l’enferma sous clef et tomba dans une rêverie inexplicable, que Poe, effrayé, n’osa pas troubler en l’interrogeant. […] Il a essayé de faire une douce aurore à son soleil, dont les feux auraient blessé la vulgarité délicate s’ils étaient tombés d’aplomb sur ses paupières. […] et en supposant qu’on puisse l’employer heureusement dans un but de littérature, l’emploi de cette faculté ne tombe-t-il pas dans la rouerie ? […] Elle vient d’une grande chose : de la foi qui lui montre l’enfer à l’œil nud et de l’indignité sentie, qui lui dit qu’il y peut tomber, tandis que la peur d’Edgar Poe est la peur de l’enfant ou du lâche d’esprit, fasciné par ce que la mort, qui garde le secret de l’autre monde, quand la religion ne nous le dit pas, a d’inconnu, de ténébreux, de froid. […] Elles se bouchèrent le nez avec du chloroforme pour s’évanouir à temps et s’éviter les imprudences de la pitié, — et c’est alors que cet éternellement malheureux homme, qui ne trouvait pas un cœur auquel se raccrocher, tomba dans la plus affreuse désespérance, dans la démence du cœur et dans l’ivrognerie, l’ignoble ivrognerie dont on a tant parlé, et qui fut son coup de pistolet.

225. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre IV. Le Séminaire d’Issy (1881) »

— C’est l’effet du péché, c’est le principe du péché… — Si cela est, pourquoi ne tombez-vous pas à toute heure dans le péché ? […] — Oui… C’est le sentiment ordinaire des saints, parce que la chair est entraînée par un tel poids vers le péché que Dieu seul peut l’empêcher d’y tomber. […] En vérité, il n’y a aucune sorte de maux et de malheurs qui ne doivent tomber sur lui à cause de sa chair. -vous avez raison ; toute la haine, toute la malédiction, la persécution qui tombent sur le démon, doivent tomber sur la chair et sur tous ses mouvements. […] Tronson et M. de Noailles eurent de longues conférences sur le quiétisme et tombèrent d’accord sur les trente-quatre articles de la vie spirituelle, dits « articles d’Issy ».

226. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxive Entretien. Réminiscence littéraire. Œuvres de Clotilde de Surville »

… Dieu a fait de l’espérance un des aliments de l’esprit humain ; ne le nions pas, soyons-en soutenus sur notre route afin de marcher, mais n’en soyons pas ivres de peur de tomber comme des fous dans le délire du mieux. […] la tombe s’ouvre sans pitié sous les pas de ma jeunesse ; et pendant que je suis en proie aux plus cuisantes douleurs, je cherche à les tromper quelques heures en m’entretenant avec toi. […] À tout le moinz nous, que la Parque fiert, Espoir avons en la tombe nous suyvre, Qui tost, qui tard : ains trop ne nous hastons : Doulce est encor la coupe de la vie : Faut l’adorner de gracieulx festons ; N’aurons que trop, pour désarmer l’envie, Triste loysir de jongler des Catons. […] et tombe… Dieulx ! […] L’air au loing en mugist : Ludovic, aux aboys, Palist, tombe et s’escrye : « Ô trop heureuse France, « Rien n’est tel qu’ung héroz soubz la pourpre des roys ! 

227. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIVe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Nous inclinâmes sur l’oreiller la femme arrivée au repos ; elle pencha la tête ; quelques boucles de ses cheveux déroulés tombaient sur son front ; ses yeux étaient fermés, la nuit éternelle était descendue. […] Je n’aimais pas Napoléon, mais je me souviens que mon estime pour Chateaubriand tomba devant le grossier mensonge du pape traîné par les cheveux à Fontainebleau par les mains sacriléges de l’empereur. […] Il déroba la couronne tombée du front de sa famille pour la traîner de concession en concession, jusqu’au jour où il laissa lui-même, en fugitif, la double dépouille des siècles à la République. […] Raphaël était mieux écrit, mais il tomba faute de naïveté et de vérité complète. […] Son travail l’empêcha ainsi de tomber dans la misère, mais le laissa jusqu’à sa mort dans les difficultés de l’existence.

228. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — CHAPITRE VI »

Malheur à qui tombe dans ses froides mains, à qui lui demande ce qu’elle ne peut rendre, un sentiment vrai et sincère ! […] Tout se passe en échange de propos galants et en jeux d’esprit, lorsque la cote de la Bourse tombe au milieu du marivaudage. — « Deux francs de hausse !  […] Le baron la prend à témoin de l’abîme, aussi postiche qu’une trappe de théâtre, où il prétend avoir fait tomber sa victime, et de l’offre qu’il lui fait de sa main pour l’en retirer. […] Un régisseur payé pour faire tomber un mélodrame par l’absurdité de la mise en scène n’agirait pas autrement que lui. […] Posé d’abord en aventurier du grand monde, d’Estrigaud tombe, d’acte en acte, au niveau des fripons infimes qui jouent les travestis du chantage.

229. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Villemain » pp. 1-41

… Aurait-il l’aperçu, l’aperçu qui est de rigueur en critique et en histoire, sous peine de tomber dans le gros ou dans le menu des faits ? […] À tort ou à raison, il aura décoré son époque et il sera tombé avec elle. […] Cet oubli tombé sur l’œuvre de Pindare, cet oubli qui lui fait demander aujourd’hui à toute la France la charité d’une traduction, dans les trente-neuf chapeaux de ses confrères d’Académie ajoutés au sien, il ne s’en explique pas la cause. […] C’est toujours ce dictionnaire d’où il tombe, dans un certain ordre, des mots avec lesquels on fait du style et on joue la pensée, ce qui ravit les sots de voir qu’on peut se passer d’elle ! […] Le rayon du grand homme, qui y tomba une seconde, n’ouvrit pas ce front de jeune rhétoricien fermé à tout ce qui est grand.

230. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre premier. De l’illusion » pp. 3-31

Du même coup, nous comprenons et nous corrigeons l’erreur dans laquelle tombe naturellement la conscience à propos de la perception extérieure. […] Aussi ses compagnons dans le voyage s’amusaient perpétuellement à ses dépens. — Une fois, ils le conduisirent à travers toute une scène de querelle qui finissait par un duel, et, quand les parties furent supposées au rendez-vous, un pistolet fut mis dans sa main ; il lâcha la détente, et le bruit le réveilla. — Une autre fois, le trouvant endormi sur un coffre dans la cabine, ils lui firent croire qu’il était tombé par-dessus le bord et l’exhortèrent à se sauver en nageant ; aussitôt il imita les mouvements de natation. […] Là-dessus, ils lui firent des remontrances, mais en même temps ils accrurent ses craintes en imitant les gémissements des blessés et des mourants, et quand il demandait, ce qu’il faisait souvent, qui était tombé, ils lui nommaient ses amis particuliers. […] « En 1831, pendant une émeute, la femme d’un ouvrier, enceinte de huit mois et cherchant à rentrer chez elle, voit tomber son mari mortellement atteint d’une balle ; elle accouche ; dix jours après, le délire éclate ; elle entend le bruit du canon, des feux de peloton, le sifflement des balles et se sauve dans la campagne. […] Un autre avait lu, peu de temps avant de tomber malade, la relation d’un voyage dans l’Himalaya ; et c’est sur ce sujet que roulait principalement son délire. » — Les circonstances12 les plus effacées de nos premières années, les incidents les moins remarqués et les plus insignifiants de notre vie ressuscitent parfois avec cette hypertrophie monstrueuse.

231. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XV »

Mais son parti est pris, sa dernière pudeur est tombée. […] Ils partent donc, et, l’instant d’après, le duc de Septmonts tombe raide mort, comme un « petit lapin », visé, sous bois, par un braconnier. […] Cette fois, le public, aguerri pourtant aux coups d’audace de l’auteur, s’est résolument défendu : il a sifflé la pièce, et, le premier soir, il l’a fait tomber. […] Nourvady l’écarte d’un geste brutal, l’enfant tombe sur le parquet et reste sans mouvement, étourdi par cette brusque chute. […] Une brutalité qui lui échappe tombe sur son enfant : c’est la délivrance, c’est la goutte qui fait déborder ce cœur oppressé.

232. (1829) De la poésie de style pp. 324-338

En voici que nous prenons parmi les plus brèves : La guerre est la mue de l’Humanité : elle y perd ses vieilles plumes, soit qu’elles tombent, soit qu’on les arrache. […] * * * Ceux qui redoutent les lumières comme un danger pour les peuples ressemblent aux personnes qui craignent que la foudre ne tombe sur une maison par les fenêtres, tandis qu’elle ne pénètre jamais à travers les carreaux, mais par leur encadrement de plomb ou par le trou des cheminées qui fument. […] On tombe aussi généralement d’accord que les innovations dans le style doivent avoir, pour la langue elle-même, des conséquences heureuses ou fatales, mais en tout cas très graves. […] Il faut que l’herbe tombe au tranchant des faucilles ; Il faut que dans le bal les folâtres quadrilles         Foulent des roses sous leurs pas. […] Hugo : il lui doit ses plus grandes beautés et ses défauts les plus saillants ; c’est par là qu’il s’élève quelquefois à des effets jusqu’ici inconnus, et c’est là aussi ce qui le fait tomber dans ce qu’on prendrait pour de misérables jeux de mots10.

233. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre X. Les sociales »

Il était sincère, ce défenseur fortuit de la justice, quand il proclamait : « Votre très légitime inquiétude est l’état déplorable dans lequel sont tombées les affaires. » Les affaires, dans la pensée de ce bourgeois comme dans celle des douze autres, voilà le dieu légitime qui mérite toutes les adorations et toutes les immolations. […] [Comtesse Mélusine] La comtesse Mélusine est un ange tombé dans une bavarde. […] Je ne vous pardonne point, parleuse intarissable, les étourderies et les la palissades où vous tombez. […] Il pourrait être aussi un procureur de la république et de l’échafaud avec sa phrase qui tombe de haut comme le couperet de la guillotine et qui, comme lui, est froide, polie et coupante. […] Volontiers Tailhade tomberait dans la sottise de vilipender le poète, uniquement parce que des politiciens le vantèrent.

234. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. » pp. 103-122

Voltaire venait de mourir à Paris (30 mai), et la foule des petits auteurs, ennemis de La Harpe, n’attendait qu’une occasion pour tomber sur le disciple que la protection du maître ne couvrait plus. […] La publication de cette lettre, le 10 juillet, tombait juste à la veille de la première représentation des Barmécides qui avait lieu le lendemain. […] Ceux qui ont été habitués dès l’enfance à entendre parler de La Harpe comme d’un oracle, d’un dictateur du goût, et du Quintilien français, seront étonnés de voir à quel degré de discrédit il était tombé à ce moment. […] Le voile alors tomba de ses yeux, et la violence générale lui apparut dans tout ce qu’elle avait d’odieux et de criminel. L’idée religieuse aussi l’illumina en ce moment comme dans un éclair : il tomba à genoux et il pleura.

235. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1873 » pp. 74-101

Quand je ne serai plus indigné, je tomberai à plat !  […] Il se voit, je ne sais à propos de quel petit méfait, à la suite duquel il avait été sermonné par son précepteur, puis fouetté, puis privé de dîner, il se voit se promenant dans le jardin, et buvant, avec une espèce de plaisir amer, l’eau salée qui de ses yeux, le long de ses joues, lui tombait dans les coins de la bouche. […] Je tombe, sans le savoir, sur un homme livide, qui me dit être venu ici pour se faire soigner par Béni-Barde. […] 16 août Je suis tombé hier sur Hugo, en conférence avec La Rochelle, pour la représentation de Marie Tudor. […] » Et il termine, en disant qu’il pense que ça finira, comme en Chine, où il croit à une science primordiale complètement perdue, et réduite et tombée à des recettes industrielles.

236. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 33, que la veneration pour les bons auteurs de l’antiquité durera toujours. S’il est vrai que nous raisonnions mieux que les anciens » pp. 453-488

J’en tombe d’accord, aussi je ne nie point que nous ne raisonnions avec justesse. […] Cette découverte épargne à nos philosophes toutes les erreurs où sont tombez ceux qui l’ignoroient, en attribuant à l’horreur du vuide les effets de la pesanteur de l’air. […] La plûpart des sçavans de son temps furent persuadez de son opinion, et ils l’établirent même dans le monde autant qu’une verité physique, qui ne tombe pas sous les sens, y peut être établie, c’est-à-dire, qu’elle y passa pour un sentiment plus probable que l’opinion contraire. […] En verité le sens, la pénetration et l’étenduë d’esprit que les anciens montrent dans leurs loix, dans leurs histoires, et même dans les questions de philosophie, où par une foiblesse si naturelle à l’homme qu’on y tombe encore tous les jours, ils n’ont pas donné leurs rêveries pour les veritez dont ils ne pouvoient point avoir connoissance de leur temps, parce que le hazard qui nous les a revelées n’étoit pas encore arrivé, tout cela, dis-je, nous oblige à penser que leur raison étoit capable de faire l’usage que nous avons fait des grandes veritez que l’expérience a manifestées depuis deux siecles. […] Mais, repliquera-t-on, il faut du moins tomber d’accord que la logique, que l’art de penser est aujourd’hui une science plus parfaite que ne l’étoit la logique des anciens, et il doit arriver par une consequence necessaire, que les modernes qui ont appris cette logique et qui ont été formez par ses regles, raisonnent sur toute sorte de matieres avec plus de justesse qu’eux.

237. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Premiere partie. » pp. 12-34

Que l’ignorance confonde l’homme de Lettres avec ces hommes livrés à la paresse sous le nom de repos, qui se dérobent à l’agitation générale pour vivre dans le desœuvrement, qui dorment mollement sur des fleurs, en s’abandonnant au cours enchanteur d’une riante imagination ennemie du travail, & amie de la paix, dont la longue carrière peut être considerée comme un doux rêve, & qui tombent dans les bras de la mort, sans avoir daigné graver sur la terre le souvenir de leur existence ; cette injustice ne m’étonnera point, elle sera digne d’elle : mais l’œil qui aura suivi les travaux de l’homme de Lettres jugera différemment, il le verra souvent insensiblement miné par de longues études, périr victime de son amour pour les Arts, tomber en poursuivant avec trop d’ardeur la vérité, comme l’oiseau harmonieux des bois tombe de la branche au milieu de ses chants, ou plutôt comme ces illustres Artistes dont la main intrépide interrogeant dans la région enflammée de l’air le phénomene électrique, couronnent tout à coup leur vie par une mort fatale & glorieuse. […] Un spectacle succede à un autre ; dans ces champs antiques s’élevent de nouvelles Cités, elles tombent & d’autres s’asseyent sur leurs débris.

238. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XI »

. — « Oui, mon oncle », répond sèchement Jacques Vignot, et la toile tombe sur cette méchante épigramme. […] Ces tripotages, qui font tomber le père de l’odieux dans le ridicule, n’intéressent guère, et le vieil oncle y joue un rôle étrangement contraire aux traditions do sa classe, en patronnant si violemment le fils naturel contre la famille dont il est le chef. […] Puis, sur un mot dit avec une simplicité qui pénètre, la glace se rompt, le malentendu se dissipe ; ils tombent dans les bras l’un de l’autre, avec effusion. […] André tombe en roture devant son noble et généreux père.

239. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — I. La Poësie en elle-même. » pp. 234-256

Elle en fut indignée, & s’écria : « Il est tombé absolument en démence ; accident si ordinaire aux gens qui, comme lui, se mêlent de faire des vers, que j’aurois dû le prévoir, & ne pas souffrir qu’un pareil homme pût se vanter d’être connu de moi. » On en appelloit aux autres nations qui font plus de cas que nous des poëtes, & qui ne dédaignent pas quelquefois de les mettre à la tête du gouvernement. […] Un jour le gouverneur, poëte, plus rêveur que de coutume, étant sorti, en robe de chambre, d’une forteresse qui faisoit sa résidence, tomba entre leurs mains. […] Au nom d’Arioste, de l’auteur du poëme d’Orlando furioso, tous ces brigands tombèrent à ses pieds, l’assurèrent qu’il n’avoit rien à craindre, l’accablèrent d’honnêtetés, & le reconduisirent jusqu’à la forteresse ; ajoutant que la qualité de poëte leur faisoit respecter, dans sa personne, le titre de gouverneur. […] Une de ces modifications tombe sur les fables, que bien des gens voudroient bannir de la poësie.

240. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Corneille, et le cardinal de Richelieu. » pp. 237-252

Il suffisoit au ministre, pour exciter les talens, d’encourager ce grand poëte & de faire tomber sur lui les graces. […] Il voyoit tomber, soit au théâtre, soit à la lecture, presque toutes ses productions ou celles de ses bas protégés. […] Il soutient que le jeu des acteurs fait tout le mérite du Cid, & prophétise que la pièce tombera nécessairement à la mort de Mondori, de La Villiers & de leur troupe.

241. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Roger de Beauvoir »

— Les débris d’un miroir Que l’on retrouve un jour au fond d’un vieux tiroir ; La figure y grimace, et la glace brisée Nous y montre des traits dignes de la risée… Tombez, vieux chênes morts ! […] Ce ne sont pas là les larmes fières ou virilement désolées que j’aurais voulu voir tomber des yeux d’un poète qui a eu l’honneur de souffrir (c’est toujours un honneur que Dieu vous fait quand il vous frappe !) […] En soi, le talent existe : cela est sûr ; il est même évidemment très grand, quand on compare ces vers à tous les vers qui s’impriment dans ce temps de descripteurs qui se croient des poètes, de tricoteurs de vers qui n’ont pas une idée ou un sentiment à fourrer dans leur petit ouvrage, et de réalistes qui, comme Calemard de Lafayette, font tomber Delille dans de la bouse de vache ; — mais d’une vache personnelle, disait si drôlement Sainte-Beuve.

242. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 122-127

Boileau a très-bien jugé ce Poëte ; quand il a dit après avoir parlé de Marot : Ronsard, qui le suivit, par une autre méthode, Réglant tout, brouillant tout, fit un Art à sa mode, Et toutefois long-temps eut un heureux destin ; Mais sa Muse, en François, parlant Grec & Latin, Vit dans l'âge suivant, par un retour grotesque, Tomber de ses grands mots le faste pédantesque. […] Au reste, sa Franciade est un exemple de l'excès de platitude où peut tomber un homme qui s'exerce dans tous les genres, sans consulter celui qui lui est véritablement propre.

243. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XII. Suite des machines poétiques. — Voyages des dieux homériques. Satan allant à la découverte de la création. »

Surpris, il redouble en vain le mouvement de ses ailes, et comme un poids mort, il tombe. […] … Un monde nouveau pend au-dessus de mon empire, du côté où tes légions tombèrent.

244. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre IX. Des Epistolaires ou Ecrivains de Lettres. » pp. 265-269

Il ne faut pas pourtant les comparer aux Lettres Provinciales : ouvrage inimitable qui ne tombera pas, quoique les Jésuites qui en font le sujet soient tombés.

245. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 15, des personnages de scelerats qu’on peut introduire dans les tragedies » pp. 115-119

Il ne faut point encore que le principal interêt de la piece tombe sur les personnages de scelerats. […] La haine en tombe sur Venus.

246. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une conspiration sous Abdul-Théo. Vaudeville turc en trois journées, mêlé d’orientales — Troisième journée. Tout s’explique » pp. 234-240

Les lunettes de Monselet tombent et se brisent […] — (La toile tombe.)

247. (1890) La bataille littéraire. Deuxième série (1879-1882) (3e éd.) pp. 1-303

Il manqua de confiance pour son dénouement et tomba au dernier acte. […] Elle tomba agenouillée, la poitrine soulevée par les sanglots. […] Je recommençais, et sa petite tête pâle et veinée tombait sur l’oreiller. […] Elle met un peignoir et reste là devant la fenêtre ; elle regarde tomber la pluie. […] J’avais tout à l’heure envie de descendre dans sa tombe pour le fouler sous mes talons !

248. (1881) Le naturalisme au théatre

Phèdre est tombée à la première représentation. […] Ils sont tombés au mélodrame, et ils tomberont plus bas, car on tue une littérature, lorsqu’on lui interdit la vérité humaine. […] Quand une formule tombe aux mains des imitateurs, elle disparaît vite. […] J’ai écrit des pièces qui sont tombées. […] On ne peut imaginer les étranges phrases qui tombent là dedans.

249. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLIXe Entretien. L’histoire, ou Hérodote »

Lorsqu’elles furent terminées, et que le tumulte eut cessé autour du monument, le petit-fils de Midas, le fils de Gordius, l’infortuné Adraste, meurtrier de son propre frère, meurtrier de son bienfaiteur, désespéré, et s’estimant le plus malheureux des hommes, se poignarda sur la tombe. […] Après cette réponse, il recueillit ces tristes débris, les emporta dans sa maison et les réunit dans la tombe. […] Il fait ensuite prendre les armes à tous les habitants d’Ecbatane, jeunes et vieux, restés dans la ville, les mène contre les Perses, livre une bataille, la perd, et tombe vivant au pouvoir de l’ennemi : son armée y fut entièrement détruite. […] Car enfin, ajouta Astyage, puisque tu voulais donner la royauté à quelque autre et ne pas la garder pour toi, n’était-il pas juste, du moins, que la puissance tombât entre les mains d’un Mède, plutôt que dans celles d’un Perse ? […] Chacun d’eux possède sur ce sol artificiel une cabane, dans laquelle il vit : à l’intérieur, une sorte de porte ou de trappe qui se replie sur elle-même donne accès dans le lac à travers les pilotis ; et quand elle est ouverte, pour empêcher les enfants de tomber dans l’eau, ils ont soin de leur attacher un pied avec une corde.

250. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1875 » pp. 172-248

Et le triste jour, reflété par cette triste peinture, tombe morne et glacé sur les crânes d’en bas. […] Il est près de trois heures, et déjà les yeux me tombent des orbites. […] La mère meurt ; l’industrie tombe en ruine, et le jeune homme est atteint d’un rhumatisme articulaire terrible. […] Ils sont sans ressources, et tombés à Paris, avec de quoi vivre quelques jours. […] Oui, voilà, à quoi sont tombés ces farouches lames, ces aciers superbes !

251. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre sixième. Le roman psychologique et sociologique. »

C’est un excès dans lequel Balzac lui-même est souvent tombé. […] Elle tomba au second coup sans crier. […] Son but est d’exprimer la vie telle qu’elle est, la société telle qu’elle est ; comme les réalistes, il accumule le détail et la description, il tombe même dans le technique. […] Les planches sont mal jointes et il vous tombe des gouttes d’eau partout. […] Les magnifiques scélérats à plumet vert, invoqués par George Elliot, tombent un peu dans le domaine de la fantaisie : ce sont pures arabesques d’imagination de poète.

252. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 24-41

Il ne lui manque qu’un peu plus de nombre & de variété dans les tours ; car ses vers tombent presque un à un, deux à deux, sans former cet enchaînement si flatteur dans les Ouvrages de son pere. […] Virgile, dans ses Géorgiques, s’est bien gardé de tomber dans cet écueil : les images, les descriptions, les épisodes, tout se rapporte au but qu’il s’est proposé, l’instruction du Cultivateur. […] Il s’agit des ravages de la peste : Tout meurt dans le bercail, dans les champs tout périt ; L’agneau tombe en suçant le lait qui le nourrit ; La génisse languit dans un verd pâturage ; Le chien, si caressant, expire dans la rage ; Et d’une horrible toux les accès violens Etouffent l’animal qui se nourrit de glands.

253. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Japonisme » pp. 261-283

* * * Il y a des années, par un après-midi d’hiver, je tombais chez M.  […] Son château d’Akô fut confisqué, sa famille réduite à la misère, et ses gentilshommes tombés à l’état de ronins, de déclassés, de déchus, d’épaves, selon l’expression japonaise. […] Je vous servirai de second, et après avoir en toute humilité recueilli la tête de Votre Grâce, j’irai la déposer en offrande sur la tombe du seigneur Takumi. » Kotsuké ne se rendant pas à l’invitation qui lui était faite, Kuranosuké lui coupait la tête avec le petit sabre qui avait servi à son maître à s’ouvrir le ventre.

254. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Léopold Ranke » pp. 1-14

Dépendant également de la Raison et de l’imagination, l’Histoire tombe alternativement sous la seule et absolue domination de l’une ou de l’autre, tantôt fiction, tantôt théorie, souvent toutes les deux. » Nous en demandons bien pardon à Macaulay, mais si la difficulté de la composition historique ne venait que de l’accord qu’il faut savoir établir entre l’imagination et la Raison, elle ne serait que celle de tous les genres de composition littéraire, qui n’existent pas plus que l’Histoire sans la fusion harmonieuse de ces deux grandes facultés. […] — qu’il doit porter sur sa tête jusqu’à la tombe, comme nous y portons le soleil. […] Ranke est tombé dans un véritable fakirisme à propos de son idée abstraite de l’État.

255. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Crétineau-Joly » pp. 367-380

S’éteindre stoïquement sous un drapeau qu’on a gardé pur et l’emporter ainsi dans la tombe, voilà, pour Crétineau-Joly, le devoir suprême des grandes races qui n’ont pas su trouver de champs de bataille pour y tomber avec héroïsme. […] le plus honnête homme qu’il eût connu, — mais qui, à part le sang, dans lequel il ne tomba point, avait la même ambition que son père, cette ambition qui se remuait tortueusement et toujours, mais qui ne savait pas frapper le coup décisif et suprême ; car Louis-Philippe ne le sut jamais, ni avant d’être roi, ni après qu’il fut roi, ni depuis qu’il fut roi.

256. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Le docteur Revelière » pp. 381-394

… Eux, ses aînés, étaient morts dans leur influence sur les hommes, que ces ruines dont ils avaient prédit et calculé la chute leur pendaient encore sur la tête ; mais pour ce cadet attardé de leur génie, c’est avant que sa tombe, à lui, fût ouverte, qu’elles avaient entièrement croulé. […] Elle n’a peur d’aucun contresens et trouve une formule pour tous les gâchis… Après dix-huit ans de cet impudent concubinage, une république qui se croyait légitime sortit de cet adultère, et elle tomba, comme la première était tombée, sous un second Empire, et comme si la France, démonarchisée par la Révolution, avait pour destinée dans l’avenir de jouer à ce jeu alterné et sans fin des Républiques et des Empires.

257. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Francis Lacombe »

Parce que cette organisation appartenait au Moyen Âge, à une époque couchée dans la tombe, il n’a pas cru qu’elle en partageât la poussière ; il ne l’a pas cru finie, épuisée, impossible ; car une institution fondée sur la nature des choses doit échapper à la destinée de ces institutions ambulatoires que les siècles emportent avec eux. […] Eh bien, c’est cette organisation, tombée sous les combinaisons monarchiques de Richelieu et de Louis XIV, et achevée enfin par l’édit de suppression de l’économiste Turgot, que Francis Lacombe voudrait voir rétablie au xixe  siècle, tant au nom des intérêts de la démocratie qu’au nom de l’intérêt du pouvoir ! […] Point de doute, en effet, que si elles étaient appliquées universellement, la famille chrétienne, comme le catholicisme l’a maintenue, avec la pureté de sa morale et la sévérité de son dogme, ne tombât en ruines, peut-être pour ne plus se relever.

258. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Vte Maurice De Bonald »

Et il l’a écrite stoïquement, sans se soucier que ce qui tomberait de sa plume ce seraient les gouttes du sang de son cœur. […] Eh bien, il ne serait pas tombé à Sedan qu’il serait infailliblement tombé plus tard devant les révolutionnaires avec lesquels il fit la transaction de l’abandon de Rome !

259. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pécontal. Volberg, poème. — Légendes et Ballades. »

On en jugera par les premiers vers venus qui nous tombent sous la main, en ouvrant son poème : …….. […] Il est trop long pour que nous puissions le citer dans la variété de toutes ses modulations, mais dites si depuis les roucoulements des chœurs d’Esther ou d’Athalie vous avez vu des strophes de cette transparence tomber, avec ce mouvement de vapeur, dans un air léger : Une Vierge de Galilée Du nom de Marie appelée En ses deux lianes vous portera, Et dans une étable naîtra Le roi de la sphère étoilée ! […] Lorsque ces fils de la Vierge ne se rompent pas, on les croirait vraiment tombés du fuseau divin.

260. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Corneille »

Il fait tomber de haut l’imagination, s’il satisfait d’autres facultés. […] Jules Levallois, qui aurait dû, pour rester dans la mesure, appeler son ouvrage : Corneille méconnu, a tiré de l’oubli les tragédies qui y sont trop tombées : Attila, Théodore, Médée, Œdipe et tant d’autres, et il a prouvé, par le raisonnement et par les plus intéressantes citations, que l’auteur du Cid, de Polyeucte et des Horaces, n’avait pas versé tout son génie dans ces chefs-d’œuvre, dont on s’est servi pour borner et étouffer sa gloire, tout en la proclamant. […] Que le Corneille des jeunes années eût aimé Marie Courant, comme Byron aima Marie Chaworth, et ne fût pas plus heureux que Byron, car Marie Courant épousa un je ne sais qui, comme Marie Chaworth, c’est un malheur que la jeunesse — cette belle Hercule de la jeunesse, qui porterait le ciel sur ses épaules, s’il y tombait ! 

261. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre V. Des Grecs, et de leurs éloges funèbres en l’honneur des guerriers morts dans les combats. »

Je le renverse en luttant, disait un de ses rivaux ; mais lors même qu’il est à terre, il prouve aux Athéniens qu’il n’est pas tombé, et les Athéniens le croient. […] Il demande sur qui pourra tomber le choix. […] Alors il raconte qu’il était la veille chez Aspasie, et la conversation étant tombée sur le même sujet, cette femme, qui avait donné des leçons d’éloquence à Périclès, et qui alors en donnait à Socrate, se mit tout à coup à prononcer un éloge funèbre des guerriers, moitié fait sur-le-champ, moitié préparé.

262. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre V. »

On montrait sa tombe en Thrace ; et les habitants assuraient que les rossignols qui avaient eu leurs nids sur cette tombe chantaient avec plus de douceur. […] Un pâtre, endormi sur sa tombe, s’était mis à chanter dans le sommeil ; et les bergers accourus pour l’entendre, ayant, de leur foule tumultueuse, renversé la colonne qui portait l’urne funèbre, le soleil avait vu les restes d’Orphée.

263. (1858) Cours familier de littérature. V « XXIXe entretien. La musique de Mozart » pp. 281-360

Ce qui nous amène aujourd’hui à vous entretenir de la musique, c’est un petit livre traduit de l’allemand qui vient de tomber par hasard sous nos yeux. […] Il chanta Darius le Grand, le Bon, poursuivi par un destin trop sévère, et tombé, tombé, tombé, tombé du haut de sa grandeur et nageant dans son sang. […] Le père et la mère, qui s’en aperçurent les premiers, tombèrent à genoux pour remercier le Ciel de leur avoir donné pour fils un véritable ange de la musique. […] Il y a des moments où le rossignol contient toutes les gaietés de sons inspirés par le printemps de l’amour dans une roulade ; souvent il chancelle et tombe de la branche, l’oreille éblouie de sa propre mélodie, ivre-mort de l’ivresse musicale. […] Les trois derniers jours elle a eu un constant délire, et aujourd’hui, vers cinq heures vingt et une minutes au soir, elle est tombée en agonie et a perdu en même temps tout sentiment.

264. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (2e partie) » pp. 409-488

Il sortit son fusil à la main ; mais il tournait à peine l’angle de l’hôtel de Nantes, maison isolée et pyramidale qui existait seule sur le Carrousel, qu’un coup de feu de hasard vint l’atteindre en pleine poitrine ; il tomba philosophe, on le releva héros. […] Souvent, pendant que j’étais très jeune et que j’allais avec ivresse au bal, je me suis étonné, en sortant de la salle à la première pointe du jour, de voir des larmes de rosée trembler et briller sur toutes les feuilles des buissons et sur toutes les herbes qui me mouillaient les pieds ; ces gouttes d’eau rafraîchissantes étaient tombées en dehors à notre insu, en silence, pendant que la chaleur des bougies et la poussière du parquet nous brûlaient à l’intérieur de la salle. […] Dans un article inséré à la Revue des Deux-Mondes, sur M. de Lamartine, pendant son voyage en Orient (juin 1832), on lisait : « L’absence habituelle où M. de Lamartine vécut loin de Paris et souvent hors de France, durant les dernières années de la Restauration, le silence prolongé qu’il garda après la publication de son Chant d’Harold, firent tomber les clameurs des critiques, qui se rejetèrent sur d’autres poètes plus présents : sa renommée acheva rapidement de mûrir. […] En partant de ce lieu pour aller à Mantoue, lorsqu’on arrivait à l’endroit où le Mincio s’étend en un lac uni, on était à mi-chemin ; c’est ce que nous apprend le Lycidas de la neuvième églogue, en s’adressant au vieux Mœris, qu’il invite à chanter : “Vois, le lac est là immobile, qui te fait silence ; tous les murmures des vents sont tombés ; d’ici, nous sommes déjà à moitié du chemin, car on commence à apercevoir le tombeau de Bianor.” […] Sa constitution délicate et les maux de poitrine dont il était affecté le déterminèrent, vers l’année 714 ou 715, vers l’âge de trente ans, à chercher un ciel plus chaud…” « Mais ceci tombe dans la conjecture. — Le plus voyageur des critiques, M. 

265. (1866) Nouveaux essais de critique et d’histoire (2e éd.)

Son système se tient en l’air, prêt à tomber de tous côtés. […] Il est probable pourtant qu’il tomba à peu près dans le même état que Mahomet. […] La populace en profita le lendemain pour tomber sur eux. […] Quel monde à gouverner qu’un monde qui tombe ! […] Ces manifestations successives de Brahma ne sont que Brahma brisé, troublé, tombé, chaque fois tombé plus bas.

266. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — I. » pp. 41-61

Dès sa jeunesse, Élisabeth-Charlotte se distingua par un esprit vif et par un caractère ouvert, franc et vigoureux : Mlle de Quadt, dit-elle, a été ma première gouvernante et celle de mon frère ; elle était déjà vieille : elle voulut une fois me donner le fouet, car j’étais un peu volontaire dans mon enfance ; mais je me débattis si fort, et je lui donnai avec mes jeunes pieds tant de coups dans son vieux ventre, qu’elle tomba tout de son long avec moi et faillit se tuer. […] La dévastation et les incendies célèbres qu’entraînèrent ces luttes d’ambition lui causèrent des peines inexprimables : « Quand je songe aux incendies, il me vient des frissons… Toutes les fois que je voulais m’endormir, je revoyais tout Heidelberg en feu ; cela me faisait lever en sursaut, de sorte que je faillis en tomber malade. » Elle en parle sans cesse, elle en saigne et en pleure après des années ; elle en garda à Louvois une haine éternelle : « J’éprouve une douleur amère, écrivait-elle trente ans après (3 novembre 1718), quand je pense à tout ce que M.  […] Un jour qu’elle chantait sans y songer les psaumes calvinistes ou les cantiques luthériens (car elle mêle l’un et l’autre) en se promenant seule dans l’Orangerie de Versailles, un peintre qui était à travailler sur son échafaudage descendit en toute hâte et tomba à ses pieds, en disant avec reconnaissance : « Est-il possible, Madame, que vous vous souveniez encore de nos psaumes ?  […] Tombée au milieu d’une cour brillante et fausse, toute pleine alors de galanterie et de plaisirs qui cachaient bien des rivalités et des ambitions, elle démêla, avec un instinct de bon sens et une certaine fierté de race, à qui elle pouvait s’attacher parmi tout ce monde, et elle s’adressa avec droiture au plus honnête homme encore de tous, c’est-à-dire à Louis XIV lui-même. […] Elle tombe à ce sujet dans tout ce que peuvent imaginer aux jours de folie les plus grossières crédulités populaires : elle voit en Mme de Maintenon, même après la mort de Louis XIV et depuis qu’elle est ensevelie à Saint-Cyr, tantôt une accapareuse de blé, tantôt une empoisonneuse, experte dans l’art des Brinvilliers, une Gorgone, une incendiaire qui fait mettre le feu au château de Lunéville.

267. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — M. de Sénancour, en 1832 »

C’est, à une certaine heure de réveil, un bruit confus, un mouvement universel de ces filets qu’on retire à l’envi, et de ces filets qui tombent. […] Stapfer, Franck Carré, Sautelet, Bastide, faisaient partie, et qui, durant le silence public de l’éloquent professeur, se nourrissait de sérieuses discussions familières, en vit naître de très-passionnées au sujet d’Oberman, qui était tombé entre les mains de l’un des jeunes métaphysiciens : M. […] Ainsi livrés à tout ce qui s’agite et se succède autour de nous, affectés par l’oiseau qui passe, la pierre qui tombe, le vent qui mugit, le nuage qui s’avance, modifiés accidentellement dans cette sphère toujours mobile, nous sommes ce que nous font le calme, l’ombre, le bruit d’un insecte, l’odeur émanée d’une herbe, tout cet univers animé qui végète ou se minéralise sous nos pieds ; nous changeons selon ses formes instantanées, nous sommes mus de son mouvement, nous vivons de sa vie. » Cette abdication de la volonté au sein de la nature, cette lenteur habituelle d’une sensation primordiale et continue, il la trouve si nécessaire au calme du sage en ces temps de vertige, qu’il va jusqu’à dire quelque part que, plutôt que de s’en passer, on la devrait demander aux spiritueux, si la philosophie ne la donnait pas. […] Mais  disons-le, si notre reproche sincère tombe en plein sur plusieurs écrits du respectable philosophe, les Libres Méditations, quoique rentrant dans sa même vue générale, échappent tout à fait au blâme, grâce à l’esprit de condescendance infinie et de mansuétude évangélique qui les a pénétrées. […] Je recommande tout ce livre, qui est une belle fin consolante à méditer ; aliment rassis qui apaise, breuvage indispensable après le philtre, rosée du soir après un jour ténébreux, délicieuse à sentir, en vérité, quand elle tombe sur un front brûlant qui fut atteint du mal d’Oberman.

268. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — II. » pp. 195-213

Elle a beaucoup parlé dans ses Mémoires de La Blancherie, manière d’écrivain et de philosophe qui tomba assez vite dans la fadaise et même dans le courtage philanthropique ; elle le juge de haut, et, après quelque digression avoisinante, elle ajoute lestement en revenant à lui : Coulons à fond ce personnage. […] Enfin, quand, huit ou neuf mois après la rencontre de l’église, le masque tombe et qu’elle le juge déjà ou croit le juger, elle écrit : « Tu ne saurais croire combien il m’a paru singulier ; ses traits, quoique les mêmes, n’ont plus la même expression, ne me peignent plus les mêmes choses. […] C’est toutefois sur ces parties que j’aurais voulu que l’éditeur fit tomber de nombreuses coupures. […] De nos jours, les trois quarts des gens ne croient à rien après la tombe, et ne se doutent pas qu’ils sont athées pour cela ; ils font de la prose sans le savoir, en parfaite indifférence, et on ne le remarque guère. […] Mais moi-même je m’aperçois que je tombe dans l’inconvénient reproché, et que je vais empiéter sur la zone un peu terne et prosaïque de la vie.

269. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIIIe entretien. Chateaubriand, (suite) »

Il ne faut rien moins que la main d’un ami pour panser les plaies du cœur, et pour vous aider à soulever doucement la pierre de la tombe. […] Il voit l’impératrice tombée faire un reproche touchant à la seule suivante qui lui reste, et qui elle-même l’abandonne ; il observe l’anxiété augmentant à chaque minute sur le visage de cette malheureuse princesse, qui dans une vaste solitude écoute attentivement le silence. […] Les femmes tombaient en délire ; M. de Fontanes, attaché alors aux charmes de madame Bacciochi, se conduisit en ami sincère et désintéressé, et présenta Chateaubriand à la future grande-duchesse de Toscane et à Lucien Bonaparte. […] Madame de Beaumont tomba malade de la poitrine. […] Avant son départ pour Rome, Lucien l’avait conduit à une fête chez le premier consul ; Bonaparte le reconnaissant dans la foule, s’approcha de lui, et lui dit : « En Égypte, j’étais toujours frappé quand je voyais les cheiks tomber à genoux au milieu du désert, se tourner vers l’orient, et toucher le sable de leur front.

270. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre IV »

Il faut citer, en partie du moins, ce récit navrant, dont chaque vers tombe lentement exprimé comme une goutte de sang : La maternité vint bientôt… Que te dirai-je ? […] La vénalité, chez la femme galante, peut ne pas exclure une certaine fierté ; chez l’épouse tombée, elle se contrefait en mendicité sentimentale et plaintive : l’une réclame le prix de son corps, l’autre en demande humblement l’aumône. […] La toile tombe sur ce baiser, auquel la situation donne la valeur d’un calice d’amertume vidé courageusement jusqu’à la lie par une héroïne. […] Pressée par l’heure, Séraphine, aidée de sa soubrette, empaquette à la hâte, pour le Mont de Piété, tout ce qui lui tombe sous la main de bijoux, d’argenterie, de dentelles. […] Le soir venu, il se réfugie dans le seul asile qui lui reste, il entre chez Thérèse, tombe sur un fauteuil, brisé, glacé, mortellement malade ; et, là, entre sa fille adoptive et celui qu’il appelle son fils, ouvre son cœur gonflé et en laisse sortir tout ce qu’il tient de fiel et de larmes.

271. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — II. (Fin.) » pp. 63-82

Quand on a beaucoup lu Montesquieu et qu’on est Français, une tentation vous prend : « Il semble, a dit de lui un critique sagace17, enseigner l’art de faire des empires ; on croit rapprendre en l’écoutant ; et, toutes les fois qu’on le lit, on est tenté d’en construire un. » Montesquieu ne dit pas assez à ceux qui le lisent : « Pour considérer l’histoire avec cette réflexion et avec cette suite, et pour en raisonner si à l’aise et de si haut, vous n’êtes pas, je ne suis pas moi-même un homme d’État. » Le premier mot et le dernier de L’Esprit des lois devrait être : « La politique ne s’apprend point par les livres. » Que nous tous, esprits qui formons le commun du monde, nous tombions dans ces erreurs et dans ces oublis d’où nous ne sommes tirés que rudement ensuite par l’expérience, rien de plus naturel et de plus simple : mais que le législateur et le génie qui s’est levé comme notre guide y soit jusqu’à un certain point tombé lui-même, ou qu’il n’ait point paru se douter qu’on y pût tomber, là est le côté faible et une sorte d’imprudence. […] Parlant des critiques étroits qui s’attaquent à un grand ouvrage par des chicanes d’école et des scrupules de secte : Cette manière de critiquer, disait-il, est la chose du monde la plus capable de borner l’étendue et de diminuer la somme du génie national… Rien n’étouffe plus la doctrine que de mettre à toutes les choses une robe de docteur… Vous ne pouvez plus être occupé à bien dire, quand vous êtes effrayé par la crainte de dire mal… On vient nous mettre un béguin sur la tête, pour nous dire à chaque mot : « Prenez garde de tomber ! […] Ainsi tombe l’explication maligne de Chamfort.

272. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Rivarol » pp. 245-272

Rien de plus triste en réalité que cette brillante destinée… Pour moi, du moins, qui ai la faiblesse d’aimer Rivarol lorsque je devrais le condamner, — et qui ramasserais comme un trésor les points et les virgules tombés de sa plume, persuadé que je serais qu’ils devraient pétiller de quelque chose encore, — je ne connais rien de plus lamentable que cette ruine anticipée d’une gloire qui ne se leva jamais, que cette déperdition d’un génie qui aurait pu être si beau ! […] On savait bien que le tourbillon d’une politique qui prenait la France aux cheveux au temps de Rivarol, faisait tourner toutes ces folles têtes qui allaient tomber. […] Jamais impersonnalité plus détachée et plus haute, jamais sang-froid plus saisissant et plus tuant ne sont tombés d’une plume, depuis Tacite ! […] En se faisant royaliste, il se classait… Les uns le disaient comte, d’une ancienne famille tombée. […] Il émigra devant un gouvernement tombé bien plus bas qu’en quenouille… M. de Lescure, dans sa biographie, dit quelque part, pour grandir peut-être l’émigration de Rivarol, qu’il croyait mieux servir sa cause à l’étranger et qu’un moment il y noua des relations avec Pitt.

273. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLe entretien. Littérature villageoise. Apparition d’un poème épique en Provence » pp. 233-312

… La feuille tomba, puis de nouveau, comme pluie ; et puis, venu l’instant où ils la mettaient au sac, la main blanche et la main brune, soit à dessein ou par bonheur, toujours venaient l’une vers l’autre, mêmement qu’au travail ils prenaient grande joie. […] « La perche que le prêtre, afin de l’éprouver, lui montrait, était un rayon de soleil qui tombait obliquement dans la chapelle. […] Le ciel est là-haut, plein d’étoiles ; le vent tombe, mais les étoiles en te voyant pâliront. » — « Pas plus que du murmure des branches de ton aubade je me soucie. […] « Avec sa barbe blanche et rude qui lui tombait jusqu’aux hanches, maître Ambroise à son fils répondit : “Écervelé, assurément tu dois l’être, car tu n’es plus maître de ta bouche ! […] l’écho de ces stances est un perpétuel applaudissement de l’âme et de l’imagination qui vous suit de la première jusqu’à la dernière stance, comme, en marchant dans la grotte sonore de Vaucluse, chaque pas est renvoyé par un écho, chaque goutte d’eau qui tombe est une mélodie.

274. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIIe entretien. Littérature politique. Machiavel (2e partie) » pp. 321-414

Il faut, pour ne pas tomber en ruine, qu’elle soit la capitale de quelque chose de grand ; ce quelque chose, c’est la papauté. […] Voici l’empire du monde romain qui s’écroule, emparons-nous d’un des débris de cet empire, livré aux barbares, occupons sa capitale, abandonnée au flux et au reflux des nations sans maîtres, établissons-y un nouvel empire, dont un pauvre prêtre du Christ sera d’abord l’évêque, puis le patriarche, puis le consul, puis le souverain spirituel, puis le roi temporel, dès que l’héritage impérial sera tombé par déshérence du lieutenant de César au serviteur des serviteurs de Dieu. […] Le diplomate piémontais a tendu un piège au congrès, et le congrès de 1856 y est tombé. […] Constantinople alors était ouverte à toutes les colonies de trafiquants avec l’Inde ; sur le continent lombard, Venise étendait ses conquêtes ; François de Carrare, maître de Padoue, de Vicence, de Vérone, étant tombé dans leurs mains avec trois de ses fils, le conseil des Dix les fit étrangler juridiquement dans leur prison. […] Revenus plus irrités et plus forts pour y venger leurs compatriotes massacrés, ils s’emparèrent de Nicosie, capitale de Chypre, et ils épargnèrent généreusement les femmes et les filles des Cypriotes tombées dans leurs mains.

275. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VII »

« Je vis tomber la vierge… sous le fer criminel de lâches assassins » (31)49. […] L’accent principal tombe sur le mot ent-sagt (re-nonce), dont la syllabe accentuée forme le point central de la phrase, et qui se chante sur une blanche. Les deux autres accents tombent sur la syllabe appuyée des mots Minne et Liebe, qui tous les deux signifient Amour ; c’est chaque fois une noire et demie sur la partie la plus forte du rhythme. […] Il est donc absolument indispensable, pour la compréhension du drame musical, que deux fois le mot Amour vienne tomber sous la même note que dans le texte allemand et dans la phrase de Woglinde. […] L’accent principal, la mesure entière vouée à l’implacable contrainte, tombe ici sur le mot ivresse » !

276. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre II. Les génies »

Quelques-uns tombent. […] Tombé, il devient gigantesque. […] Tomber dans la vérité et se relever homme juste, une chute transfiguration, cela est sublime. […] Dans Shakespeare, les oiseaux chantent, les buissons verdissent, les cœurs aiment, les âmes souffrent, le nuage erre, il fait chaud, il fait froid, la nuit tombe, le temps passe, les forêts et les foules parlent, le vaste songe éternel flotte. […] Shakespeare la secoue et en fait tomber des étoiles.

277. (1856) Cours familier de littérature. II « XIe entretien. Job lu dans le désert » pp. 329-408

Quel livre que celui qui peut passer dans votre main de la vie au néant, du soleil sous la terre, du temps à l’éternité, sans pâlir à vos yeux, et qu’on peut lire des deux côtés de la tombe sans changer de feuillet ! […] Cette ombre s’accroît et s’épaissit tous les jours avec la rapidité d’un crépuscule des tropiques qui tombe sur le jour sans lui laisser à peine la dégradation des heures du soir. […] Vous déposez votre cœur tout entier, comme un fardeau qui pèse à porter, dans le sein d’une épouse jeune et adorée qui ne doit vous le rendre qu’à la tombe, la mort la cueille dans vos bras, sous vos baisers, et le fossoyeur ensevelit sans le voir deux cœurs dans un seul cercueil ! […] … Que les yeux tombent de leurs orbites ; ils ne servent plus à rien ! […] un autre inconnu, plus terrible que le premier, au-delà de l’inconnu de la tombe, et qu’il tremble de n’embrasser qu’un rêve fugitif dans ses bras désespérés, en croyant embrasser enfin l’éternelle réalité d’où il émane et à laquelle il retourne !

278. (1890) L’avenir de la science « XII »

Molière, si enclin à se moquer des savants en us, ne serait-il pas quelque peu surpris de se voir tombé entre leurs mains ? […] Voilà la loi de l’humanité : vaste prodigalité de l’individu, dédaigneuses agglomérations d’hommes (je me figure le mouleur gâchant largement sa matière et s’inquiétant peu que les trois quarts en tombent à terre) ; l’immense majorité destinée à faire tapisserie au grand bal mené par la destinée, ou plutôt à figurer dans un de ces personnages multiples que le drame ancien appelait le chœur. […] Quand on songe au vaste engloutissement de travaux et d’activité intellectuelle qui s’est fait depuis trois siècles et de nos jours, dans les recueils périodiques, les revues, etc., travaux dont il reste souvent si peu de chose, on éprouve le même sentiment qu’en voyant la ronde éternelle des générations s’engloutir dans la tombe, en se tirant par la main. […] Les résultats de tel livre obscur et tombé en poussière durent encore et dureront éternellement.

279. (1896) Hokousaï. L’art japonais au XVIIIe siècle pp. 5-298

Un chapeau de femme en paille, au fond de crêpe rouge, laissé au milieu d’une allée de jardin et dans lequel sont tombées de feuilles d’arbres. […] L’explication n’en est guère donnée que par un jardin où l’on voit de nombreux papillons, parmi lesquels est un papillon mort, tombé à terre. […] Un aveugle appuyé sur un bâton, son chapeau tombé sur le dos, traversant un gué. […] La tête et le fond, comme éclairés par une lumière lunaire, où il tomberait de la neige. […] Je citerai des oiseaux, une sauterelle sur une lanterne aux ombres chinoises, un champignon tombé sur des feuilles de momiji, etc.

280. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXIV » pp. 294-298

La politique a été très-vive ce mois-ci ; le ministère Guizot s’est trouvé plus malade qu’il ne le croyait, et il a failli succomber sur l’affaire de Taïti ; il serait même tombé s’il avait interprété le sentiment public, mais ce sont des choses que les gouvernants n’entendent pas à demi-mot. […] Bientôt, monsieur, appelé à leurs assemblées intérieures, vous les connaîtrez, vous les verrez tels qu’ils sont, affectueux, bienveillants, paisibles. » — On a cru voir dans certains de ces passages des admonitions tombées de haut sur la critique, cette tracassière des grands hommes.

281. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — III »

Les échanges sont supprimés entre des peuples qui tombent dans l’oubli les uns des autres, un rideau tombe devant des regards sur une partie du spectacle du monde.

282. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Théâtre français. » pp. 30-34

Ils tombent bientôt après dans une grande misère, et ont recours à ce fils à qui ils ont tout donné. […] À l’instant, le crapaud tombe du visage de ce jeune homme, qui, suivant l’ordre du pape, vient se jeter aux pieds de son père et de sa mère pour leur demander pardon : et il l’obtient.

283. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes de l’Évangile » pp. 89-93

Trop élevé, trop pratique, trop acte, en un mot, pour tomber sous le regard d’une critique purement littéraire, le livre du P.  […] En effet, Michelet, qui a une passion malheureuse pour les idées générales, Michelet, qui veut toujours aller du fait à l’idée, — ce qui est un glorieux chemin, mais dans lequel il tombe toujours, — Michelet se préoccupe beaucoup, dans son histoire des Femmes de la Révolution, de la destinée future de la femme, et nous vous dirons qu’à plus d’une page il n’est pas médiocrement embarrassé.

284. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « L’abbé Cadoret »

Le socialisme de nos jours a ramassé l’erreur, tombée déjà de tant de mains ; mais, en cela plus heureux que le prêtre qui fit taire en lui les voix de la science, il l’a ramassée avec une avidité d’ignorance qui, du moins, sauve sa bonne foi. […] Quoique cette polémique soit animée de l’esprit de charité de son auteur, elle doit nuire cependant à l’effet d’un livre qui, s’il fût resté à cette hauteur de généralité et d’enseignement d’où tombent plus largement et avec plus de poids dans les esprits les idées justes et les connaissances approfondies, eût dissipé beaucoup d’erreurs courantes dans un milieu où les grands publicistes catholiques, comme Suarez et Bellarmin par exemple, ne pénètrent pas.

285. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LEBRUN (Reprise de Marie Stuart.) » pp. 146-189

Les applaudissements en tragédie, comme le tonnerre sur les temples, doivent tomber là où il faut. […] Tu verras comme moi s’alarmer ta tendresse, Surtout si c’est l’enfant sorti de ta vieillesse, S’il a survécu seul à ses frères nombreux, S’il est l’unique bien que t’aient laissé les Dieux, S’il est l’appui dernier d’une maison qui tombe, Et si tous ses aïeux le suivent dans la tombe. […] Les inconvénients de ce trop de respect nous ont sauté d’abord aux yeux ; ils devraient être jugés moins sévèrement aujourd’hui que nous savons l’excès contraire et que nous sommes tombés dans le déshabillé. […] On raconte que lorsque le bourreau décoiffa, pour la faire tomber, cette tête charmante, on découvrit que ses beaux cheveux avaient légèrement blanchi. […] On lit au tome III des Mémoires d’Ouvrard : « Au mois de septembre 1826, Talma se trouvant à dîner à la Conciergerie avec plusieurs personnes, à la fin du dîner la conversation tomba sur le théâtre. — Que pensez-vous du romantique ?

286. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIe entretien. Vie du Tasse (1re partie) » pp. 5-63

» car j’avais lu les belles pages de Chateaubriand sur le couvent et l’oranger de Saint-Onufrio. « Oui », me dit négligemment le frère, et il m’ouvrit sans autre entretien la porte extérieure de la chapelle, et, me montrant du geste une tablette de marbre incrustée dans le pavé de l’église, j’y tombai à genoux, et j’y lus l’inscription célèbre par sa simplicité, que le marquis Manso, l’ami du poète, obtint la permission de faire graver sur la pierre nue qui couvrait le cercueil de son ami. […] Je ne regrettais pas pour lui un plus somptueux monument : en fait de tombe, la plus ignorée est la plus désirable ; les survivants chers savent la trouver, les indifférents la profanent, les ennemis l’outragent. […] Nous avons nous-même respiré souvent ces brises au pied de ces mêmes lauriers noueux, dont les feuilles tombèrent sur le berceau du Tasse. […] « Assister un pauvre gentilhomme qui, sans aucun tort de sa part et pour demeurer, au contraire, fidèle à l’honneur, est tombé dans le malheur et dans l’indigence, est le privilège d’un esprit noble et magnanime tel que le vôtre ; et sans cette assistance, Madame, mon pauvre vieux père mourra bientôt de désespoir, et vous perdrez en lui un de vos admirateurs les plus affectionnés et les plus dévoués. […] L’approche de l’armée des Impériaux qui venaient assiéger Rome, et la crainte de tomber dans les mains des Espagnols, ses ennemis, chassèrent Bernardo de ce dernier asile ; il envoya son fils à Bergame aux soins d’un prêtre de ses parents, pour achever son éducation.

287. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXVIIIe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 65-128

Sa liberté et son amante étaient deux mobiles plus que suffisants pour le décider à l’évasion : ses fers, limés dans la nuit, tombèrent sans bruit sur la paille ; il scia un barreau de la loge où il était seul encore depuis la mort de son compagnon. […] Mes yeux se voilaient, mes tempes battaient, des gouttes de sueur froide suintaient de mon front ; quand je fus à une enjambée ou deux de la lucarne ferrée, au fond de laquelle j’allais apercevoir celui qu’ils appelaient le meurtrier, mes jambes refusèrent tout à fait de faire un dernier pas, mes mains froides s’ouvrirent d’elles-mêmes, le trousseau de clefs d’un côté, la cruche pleine d’eau de l’autre, tombèrent à la fois sur les dalles, et je tombai moi-même contre la muraille, entre le trousseau sonore et la cruche d’eau cassée. […] soupirait-elle en soulevant son beau nourrisson endormi du mouvement de sa poitrine, à présent qu’il n’y est plus, je ne pense plus seulement à la musique ; quand un air ne tombe pas dans un cœur, qu’importe ? […] Comment, vermisseau comme elle était, ainsi que nous, aux yeux des riches et des puissants, parviendrait-elle soit à pénétrer vers son cousin dans des cachots, soit à s’introduire dans des palais gardés par des sentinelles, pour tomber à genoux devant monseigneur le duc ? […] À ce mot, monsieur, nous tombâmes, ma belle-sœur et moi, à la renverse contre la muraille, les mains sur nos yeux, en criant : « Est-il bien possible !

288. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Crétineau-Joly »

On pouvait donc, à la rigueur, se risquer à répéter le vieux train de calomnies qui va de Pasquier à Pascal, de Pascal à Voltaire, et de Voltaire qui tombe si bas, qu’on se détourne avec dégoût de toute cette plèbe de noms ennemis. […] Une ligue se forma dont les agents furent des hommes d’État sans génie, sans conscience du pouvoir, tombé, fourvoyé dans leurs mains. […] En 1767, l’arrêt de proscription tomba sur l’Institut et l’arracha à la terre la plus catholique de la chrétienté, avec une brutalité presque sauvage. […] En vain Clément invoquait Louis XV, ce roi sans cœur et sans mains, à qui il ne restait qu’un œil clairvoyant pour voir l’abîme dans lequel il tombait : « Je ne puis pas — dit le Pape dans ses lettres — condamner un Ordre exalté par dix-neuf de mes prédécesseurs. […] Tombé évanoui sur le marbre après avoir tracé sa signature, Clément n’y fut relevé que le lendemain.

289. (1864) Le roman contemporain

Qu’une torche tombe sur la terre nue et dépouillée, elle s’éteint. […] Il vise à l’originalité, et finit par tomber dans l’affectation et dans la manière. […] Plus tard, le succès lui vint ; avec le succès, la passion tomba. […] Un cri perçant retentit, un homme tombe ! […] Ces secrets de for intérieur ne sont connus que de la tombe où les âmes entrent nues.

290. (1864) Histoire anecdotique de l’ancien théâtre en France. Tome I pp. 3-343

Ce dernier tomba mort et écrasa dans sa chute l’actrice qui représentait Marie. […] Ils tombent dans la misère et ont recours à leur enfant. […] Elle tomba. […] Quoique cette pièce fût fort belle, elle tomba à la huitième représentation. […] Il y a sottise à tomber dans l’un ou l’autre de ces jugements.

291. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Mémoires »

Religieusement, il ne tombe plus à l’esprit de personne de chicaner M. de Chateaubriand sur quelques désaccords qui pouvaient faire le triomphe et la jubilation de l’abbé Morellet, de Ginguené, de Marie-Joseph Chénier. […] Cette impossibilité de durée et de longueur dans les liaisons humaines, cet oubli profond qui nous suit, cet invincible silence qui s’empare de notre tombe et s’étend de là sur notre maison, me ramènent sans cesse à la nécessité de l’isolement. […] Vous étiez jusqu’ici comme ces héros tombés avant Agamemnon, et qui ont manqué de poëte sacré ! […] Il est admirable surtout, quand, remontant le torrent qui se jette dans le port, jusqu’à un certain coude, et ne voyant plus rien qu’une vallée étroite et stérile, il tombe en rêverie ; et si le vent lui apporte alors le bruit du canon d’un vaisseau qui met à la voile, il tressaille et pleure. […] Flins a beau être mort de toute la mort d’une médiocrité spirituelle, une goutte d’ambre est tombée sur son nom et le conserve ; il y a quelque chose de lui enchâssé dans la base de marbre de cette statue immortelle.

292. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Diderot »

Les révolutions passent sur les peuples, et font tomber les rois comme des têtes de pavots ; les sciences s’agrandissent et accumulent ; les philosophies s’épuisent ; et cependant la moindre perle, autrefois éclose du cerveau de l’homme, si le temps et les barbares ne l’ont pas perdue en chemin, brille encore aussi pure aujourd’hui qu’à l’heure de sa naissance. […] C’est le même ton de franchise, c’est la même sensibilité ; mon luxe est de fraîche date, et le poison n’a point encore Agi. » Et que n’eût-il pas ajouté, si l’éternelle redingote de peluche s’était trouvée précisément la même qu’il portait ce jour de mardi gras où, tombé au plus bas de la détresse, épuisé de marche, défaillant d’inanition, secouru par la pitié d’une femme d’auberge, il jura, tant qu’il aurait un sou vaillant, de ne jamais refuser un pauvre, et de tout donner plutôt que d’exposer son semblable à une journée de pareilles tortures ? […] On comprendra, d’après de telles circonstances, comment celui des philosophes du siècle qui sentit et pratiqua le mieux la moralité de la famille, qui cultiva le plus pieusement les relations de père, de fils, de frère, eut en même temps une si fragile idée de la sainteté du mariage, qui est pourtant le nœud de tout le reste ; on saisira aisément sous quelle inspiration personnelle il fit dire à l’O-taïtien dans le Supplément au Voyage de Bougainville : « Rien te paraît-il plus insensé qu’un précepte qui proscrit le changement qui est en nous, qui commande une constance qui n’y peut être, et qui viole la liberté du mâle et de la femelle en les enchaînant pour jamais l’un à l’autre ; qu’une fidélité qui borne la plus capricieuse des jouissances à un même individu ; qu’un serment d’immutabilité de deux êtres de chair à la face d’un ciel qui n’est pas un instant le même, sous des antres qui menacent ruine, au bas d’une roche qui tombe en poudre, au pied d’un arbre qui se gerce, sur une pierre qui s’ébranle ?  […] Les fondations ne plongent pas en terre : l’édifice roule, il est mouvant, il tombera ; mais qu’importe ? […] On lit au tome second des Essais de Nicole : « … En considérant avec effroi ces démarches téméraires et vagabondes de la plupart des hommes, qui les mènent à la mort éternelle, je m’imagine de voir une île épouvantable, entourée de précipices escarpés qu’un nuage épais empêche de voir, et environnée d’un torrent de feu qui reçoit tous ceux qui tombent du haut de ces précipices.

293. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre III »

Tous les deux combattent pour la tradition et contre la nouveauté ; c’est pourquoi, après avoir défendu le passé contre le pouvoir arbitraire, ils le défendront contre la violence révolutionnaire et tomberont, l’un dans l’impuissance et l’autre dans l’oubli. […] À présent la parade tombe, parce que l’état-major s’est dissous. […] Le sang bouillonne à la seule idée qu’il fut possible de consacrer légalement à la fin du dix-huitième siècle les abominables fruits de l’abominable féodalité… La caste des nobles est véritablement un peuple à part, mais un faux peuple qui, ne pouvant, faute d’organes utiles, exister par lui-même, s’attache à une nation réelle, comme ces tumeurs végétales qui ne peuvent vivre que de la sève des plantes qu’elles fatiguent et dessèchent. » — Ils sucent tout, il n’y a rien que pour eux. « Toutes les branches du pouvoir exécutif sont tombées dans la caste qui fournit (déjà) l’église, la robe et l’épée. […] Ce sont là des feux de paille, tout au plus des feux de cheminée : mais, avec un seau d’eau froide, on les éteint ; et d’ailleurs ces petits accidents nettoient les cheminées, font tomber la vieille suie. » Prenez garde : dans les caves de la maison, sous les vastes et profondes voûtes qui la portent, il y a un magasin de poudre. […] Geffroy, Gustave III et la cour de France, « Paris, avec son esprit républicain, applaudit ordinairement ce qui est tombé à Fontainebleau. » (Lettre de Mme de Staël, du 17 septembre 1786.)

294. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXIXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (2e partie) » pp. 5-63

La tombe, comme le lever du vrai jour, rendra à M. de Marcellus toute la justice que l’ignorance ou le préjugé des partis lui a fait attendre. […] Il élève la Restauration à son apogée, il restaure la monarchie des Bourbons en Espagne, il tombe enfin, mais dans son triomphe, sous l’animadversion très méritée, mais très imprudente, de M. de Villèle. […] Le nom de M. de Talleyrand, dit M. de Marcellus, ne tombe jamais de la plume de M. de Chateaubriand sans y avoir été marqué d’un fer chaud à son passage. […] Que la pitié de la terre et la bénédiction de Dieu la suivent dans sa tombe ! […] si la Panagia me l’accorde par sa grâce, et punit les voleurs, et que je revoie mon bélier au milieu de son parc, je rôtirai un agneau le jour de Pâques, jusqu’à ce qu’il tombe de la broche.

295. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XII, les sept chefs devant Thèbes. »

Aussi mémorable par ses prodiges que par ses exploits : la foudre y avait combattu à côté des lances, des géants étaient tombés sous ses murs, comme les Titans au pied de l’Othrys. […] Les bombes pleuvent sur lui comme des météores, les éclairs de l’artillerie partent d’un nuage aussi obscur que ceux des tempêtes ; on tombe sans voir la main qui vous frappe. […] Monter sur les tours, s’y faire proclamer roi, entonner le Pœan de la conquête, courir sur toi, tomber sur ton cadavre après t’avoir tué, ou, si vous survivez au combat, t’infliger l’infamant exil !  […] Étéocle sera enseveli dans la terre natale, car il a défendu la ville, et « il est tombé là où il est beau aux jeunes hommes de tomber ». […] Car moi-même, bien que femme, je creuserai sa tombe, et je le couvrirai de la terre apportée dans le pli de ma robe de lin.

296. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1856 » pp. 121-159

* * * — J’entends un timbre : c’est un bruit net, sec, mécanique, anglican, toujours semblable à lui, qui dit qu’on sonne et non qui sonne : la détente d’un ressort d’acier qui tombe dans le vide de votre attente, de vos espérances. […] * * * — Je suis triste, et j’entends sur le marbre de la servante du salon tomber, une à une, avec un bruit mou et floche — une chute à voix basse — les feuilles d’un gros bouquet de pivoines — et, au-dessus et au-dessous de ma chambre, des éclats de rire de femmes. * * * — Je suis tombé sur du Victor Laprade. […] 21 septembre Il tombe chez nous. […] Il vient de lui tomber, je ne sais d’où, un trésor merveilleux de gravures, de dessins du xviiie  siècle, vingt Boucher, des Watteau superbes.

297. (1874) Premiers lundis. Tome I « Victor Hugo : Odes et ballades — II »

Son activité s’imprime sans ménagement à tout ce qui tombe sous sa prise ; sa brusque imagination, pour une ou deux fois qu’elle rencontre avec bonheur, est vingt fois en défaut, froissant ce qu’elle ne devait que toucher, dépassant ce qu’il lui suffisait d’atteindre. […] Peut-être plusieurs des cacophonies de détail ne sont-elles, dans son intention, que des essais de poésie imitative ; peut-être, quand il a dit d’un rocher : Son front de coups de foudre fume, n’a-t-il voulu que rendre au naturel le sifflement du tonnerre qui tombe. […] Ainsi, dans l’Hymne oriental : Les tout petits enfants écrasés sous les dalles ; dans l’ode à M. de Chateaubriand : Toi qu’on voit à chaque disgrâce Tomber plus haut encor que tu n’étais monté.

298. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 22, que le public juge bien des poëmes et des tableaux en general. Du sentiment que nous avons pour connoître le mérite de ces ouvrages » pp. 323-340

Si une piece tombe, on peut dire qu’elle seroit tombée de même quand le public entier auroit eu l’intelligence de ces beautez voilées. […] Les hommes persuadez par instinct que le mérite d’un discours oratoire, ainsi que le mérite d’un poëme et d’un tableau, doivent tomber sous le sentiment, ajoutent foi au rapport de l’auditeur, et ils s’en tiennent à sa décision dès qu’ils le connoissent pour une personne sensée.

299. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Le comte de Fersen et la cour de France »

Mains tendues avidement à un argent qui n’y tombe pas, et qui pour cela ne tirent pas l’épée, — pas d’argent, pas de suisse !  […] Mais ces ignominies de rois qui n’avaient plus le sentiment de leur fonction, de leur devoir, de leur intérêt de souverains, — qui avaient brouillé et dissous tout cela dans leurs âmes ramollies, cessèrent bientôt d’être de grandes ignominies et finirent par tomber dans un ridicule qui les rapetissa. […] C’est à ce degré qu’elle était tombée.

300. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Lettres d’une mère à son fils » pp. 157-170

Il admire beaucoup le vers sublime (ce détail le peint assez bien) : L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux ! et il donne même quelque part comme un aphorisme philosophique cette métaphore blasphématoire et souverainement absurde ; car que peut être un dieu tombé ? L’infini tombe-t-il de l’infini ?

301. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVI. M. E. Forgues. Correspondance de Nelson, chez Charpentier » pp. 341-353

En élevant aux yeux de l’Angleterre cette coupe pleine et débordante de la gloire de Nelson, quelques gouttes en tombèrent et brillèrent un instant sur le front de Southey. […] Et cependant tout le temps qu’elle dura, cette incarnation, elle fut rongée par une passion, — une passion honteuse ; et ce lis d’honneur, pour la pureté, porta cette tache au fond de son calice, jusqu’au moment où il tomba dans le sang, versé pour le devoir, mais qui ne l’a pas effacée, car, lorsqu’on est si grand, rien ne s’efface. […] rien ne serre plus le cœur de l’historien que cela, rien ne serre plus le cœur qui étudie cette grande âme partagée, que de voir Nelson, frappé d’un dernier coup à Trafalgar, expirant dans sa cabine devenue une boucherie humaine, magnifique de pitié pour ses matelots auxquels il renvoie son chirurgien, magnifique d’amitié pour son camarade de bataille, le capitaine Hardy, qui, entre deux coups de canon, vient lui donner des détails sur sa victoire, magnifique de commandement, car son avant-dernier mot est un mot de commandement : « Faites tomber les ancres ! 

302. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Henri de L’Épinois » pp. 83-97

L’Église, fondée par la parole de Jésus-Christ et par les Apôtres, dès les premiers pas faits sur la terre y mettait la main en même temps que le pied, et voici comment elle y mettait la main : elle la tendait et l’aumône y tombait. Elle n’avait pas même besoin de la tendre pour qu’elle y tombât, spontanément offerte qu’elle était, cette aumône, par la foi et l’enthousiasme fraternel des premiers Chrétiens ! […] Elle s’établissait parce que tout tombait… Les évêques, hommes d’avenir dans un présent qui périssait, acceptèrent la charge des corps comme des âmes… » L’axe du monde était changé.

303. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Nelson »

En élevant aux yeux de l’Angleterre cette coupe pleine et débordante de la gloire de Nelson, quelques gouttes en tombèrent et brillèrent un instant sur le front de Southey, Mais le temps les a bientôt séchées, et on n’en voit plus rien sur ce front qui fit illusion à ses contemporains, et qui ne fut jamais que physiquement épique, a dit justement Lord Byron. […] Et cependant, tout le temps qu’elle dura, cette incarnation, elle fut rongée par une passion, — une passion honteuse ; et ce lys d’honneur, pour la pureté, porta cette tache au fond de son calice jusqu’au moment où il tomba dans le sang, versé pour le devoir, mais qui ne l’a pas effacée ; car, lorsqu’on est si grand, rien ne s’efface. […] rien ne serre plus le cœur de l’historien que cela, rien ne serre plus le cœur qui étudie cette grande âme partagée que de voir Nelson, frappé d’un dernier coup, à Trafalgar, expirant dans sa cabine devenue une boucherie humaine, magnifique de pitié pour ses matelots auxquels il renvoie son chirurgien, magnifique d’amitié pour son camarade de bataille, le capitaine Hardy, qui entre deux coups de canon vient lui donner des détails sur sa victoire, magnifique de commandement, car son avant-dernier mot est un mot de commandement : « Faites tomber les ancres ! 

304. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « X. Doudan »

Ce Doudan, qui s’appelait Ximénès et qui n’était pas cardinal, — l’aurait-il été que ce n’eût pas été comme Ximénès, mais comme Bembo, — ce Ximénès Doudan sortait de terre, comme une taupe, ou de Douai, cette taupinière, et serait resté un petit professeur perdu quelque part sans les de Broglie, qui le prirent chez eux comme précepteur, et qui tombèrent bientôt sous le charme de cet esprit à qui les bégueules de la politique ne résistaient pas et qui, plus fort que Don Juan qui ne séduisait que les femmes, accomplissait ce tour de force et de souplesse de séduire des doctrinaires… Joubert avait été l’ami de Chateaubriand. […] Mais le respect pour l’Académie de la maison où il vivait tombait sur lui, malgré tout… « Je regarde — dit-il quelque part — le discours qu’on prononce à l’Académie comme l’action la plus importante de la vie. » De qui se moquait-il quand il disait cela ? […] Il y a, en effet, beaucoup de points tombés dans ce tissu.

305. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Ch. de Rémusat. Abélard, drame philosophique » pp. 237-250

Charles de Rémusat, qui, en sa qualité de philosophe, aurait dû plus que personne se préoccuper de l’ordre et de la déduction nécessaires à toute œuvre de l’esprit, a oublié également l’un et l’autre dans la sienne… Au lieu de nous construire et de nous équilibrer un drame avec ses proportions harmonieuses, il s’est laissé couler et tomber dans le drame anarchique, grossier, élémentaire, qui lâche tout et ne s’astreint à rien, et est bien moins l’ensemble qu’on appelle un drame digne de ce nom, qu’une puérile succession de spectacles. […] C’est très bien, très convenable, mais cela ne respire ni l’amour sacrilège, ni les affreux regrets des passions coupables, ni la rapide corruption du péché, ni la nature humaine outragée, rien enfin de ce que Shakespeare, par exemple, y aurait mis, si ce sujet d’Héloïse et d’Abélard était tombé dans ses terribles mains… Je te plains de tomber dans ses mains effroyables, Ma fille !

306. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Georges Caumont. Jugements d’un mourant sur la vie » pp. 417-429

Et ces pages affreuses, qui tomberont de bien des mains tremblantes, ont ce que nous appelons, nous ! […] Mais, ni parmi les insurgés contre la mort, ni parmi les cabrés devant le Sphinx qui ne répond que dans la tombe, je n’en vois aucun de la convulsion prolongée, de la profondeur dans la conscience du mal de mourir plus épouvanté et plus épouvantant que ce phtisique de vingt-cinq ans, jetant sa phtisie contre toute consolation humaine et divine, enfermant le monde entier dans les [crevasses de son poumon, et, de cet abîme de purulence qui le dévore, envoyant ses crachats empoisonnés jusqu’à Dieu ! […] Auraient-ils, eux, ces libres penseurs, qui répètent, avec le calme stupide des bêtes devant la mort, le mot imbécilement oraculaire de Goethe : « La nature se moque bien de l’individualité humaine ; elle ne se préoccupe que de la conservation des espèces », auraient-ils, eux, s’ils étaient à sa place, une personnalité égale en soulèvements et en incompressibilité à celle de ce phtisique, qui voit sa vie tomber par morceaux autour de lui et qui ne se résigne pas une seule minute à mourir ?

307. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « La Bible Illustrée. Par Gustave Doré »

Or, ce rayon de l’Esprit-Saint ne tombe pas aussi souvent du ciel que le génie humain, qui lui-même est rare et n’en tombe pas tous les jours. […] les pierres qui tombent ne vous fassent pas peur et qu’en fermant les yeux l’imagination les voie terribles ; Jonathas devant l’armée de Nicanor, où la ligne des éléphants est d’une originalité si formidable ; les Plaies d’Egypte, entre autres la Plaie des ténèbres, où les bêtes rampantes qui se coulent, dans le noir de la nuit, le long des escaliers, où gisent tant d’êtres humains aveuglés de ténèbres et de désespoir, sont du Martynn heureusement retrouvé ; etc.

308. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Lamartine »

Ils ne sont guères qu’un mince rayon tombé de la plume de Lamartine sur la source cachée d’où devait jaillir plus tard, dans son immensité d’éclat, la plus haute poésie qui ait traversé le xixe  siècle. […] C’était l’arbre qui laisse tomber ses fruits et qui ne sait pas que les fruits qui roulent à ses pieds sont tombés de sa tête. […] Le poète incomparable des Harmonies dont personne ne parle plus, devra-t-il à ses Mémoires inédits un regain de bruit sur sa tombe ?

309. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Edgar Poe » pp. 339-351

Né dans ce tourbillon de poussière que l’on appelle, par une dérision de l’histoire, les États-Unis34 ; revenu, après l’avoir quittée, dans cette auberge des nations, qui sera demain un coupe-gorge, et où, bon an mal an, tombent cinq cent mille drôles plus ou moins bâtards, plus ou moins chassés de leur pays, qu’ils menaçaient ou qu’ils ont troublé, Edgar Poe est certainement le plus beau produit littéraire de cette crème de l’écume du monde. […] Elle vient d’une grande chose, de la foi qui lui montre l’enfer à œil nu et de l’indignité sentie, qui lui dit qu’il y peut tomber, tandis que la peur d’Edgar Poe est la peur de l’enfant ou du lâche d’esprit, fasciné par ce que la mort, qui garde le secret de l’autre monde, quand la religion ne nous le dit pas, a d’inconnu, de ténébreux, de froid. C’est l’application du mot de Bacon : « les hommes ont peur de la mort comme les enfants ont peur de l’ombre. » Cette peur des sens soulevés prend mille formes dans les Histoires de Poe ; mais soit qu’elle se traduise et se spécifie par l’horreur qu’il a d’être enterré vivant, ou par le désir immense de tomber, ou par quelque autre hallucination du même genre, c’est toujours la même peur nerveuse du matérialiste halluciné.

310. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre IX. Suite des éloges chez les Grecs. De Xénophon, de Plutarque et de Lucien. »

Naissance, éducation, mœurs ; principes ou qui tiennent au caractère ou qui le combattent ; concours de plusieurs grands hommes qui se développent en se choquant ; grands hommes isolés et qui semblent jetés hors des routes de la nature dans des temps de faiblesse et de langueur ; lutte d’un grand caractère contre les mœurs avilies d’un peuple qui tombe ; développement rapide d’un peuple naissant à qui un homme de génie imprime sa force ; mouvement donné à des nations par les lois, par les conquêtes, par l’éloquence ; grandes vertus toujours plus rares que les talents, les unes impétueuses et fortes, les autres calmes et raisonnées ; desseins, tantôt conçus profondément et mûris par les années, tantôt inspirés, conçus, exécutés presque à la fois, et avec cette vigueur qui renverse tout, parce qu’elle ne donne le temps de rien prévoir ; enfin des vies éclatantes, dès morts illustres et presque toujours violentes ; car, par une loi inévitable, l’action de ces hommes qui remuent tout, produit une résistance égale dans ce qui les entoure ; ils pèsent sur l’univers, et l’univers sur eux ; et derrière la gloire est presque toujours caché l’exil, le fer ou le poison : tel est à peu près le tableau que nous offre Plutarque. […] L’officier lui apprend que Démosthène, pour ne pas tomber entre ses mains, s’est empoisonné dans un temple ; alors Antipater, quoique ennemi de ce grand homme, ne peut s’empêcher de le louer. […] Il finit par dire qu’il veut renvoyer à Athènes le corps de Démosthène, et que sa tombe sera un plus grand ornement pour sa patrie, que le tombeau de ceux qui sont morts à Marathon.

311. (1835) Critique littéraire pp. 3-118

Pressé de jouir, impatient de connaître, il s’échappe et tombe comme un brûlot dans le château de la marquise de Couaën. […] Le siècle a manqué sous ses pas, la France est tombée de ses mains puissantes ; et pourquoi ? […] Aussi ne vous tombe-t-il du Ciel que des nuages. […] Du jour où Victor Jacquemont a mis le pied sur le sol du Punjaub, il tombe une pluie d’or dans sa cassette. […] Je commence à me considérer comme un vieux vase, fragile par sa nature, mais endurci par le choc des accidents et habitué à tomber sans se briser.

312. (1898) Ceux qu’on lit : 1896 pp. 3-361

On fait les arcs-boutants, on tombe, on roule ensemble dans le bouillon, on se repêche les uns, les autres. […] Les arbres, transformés en lustres éclatants, étalent leurs girandoles de glace, d’où tombent des gouttelettes diamantées. […] Enfin on arrive, mais la pluie commence à tomber. […] Il tombe d’un coup, dans cette mêlée, avec son cheval, complètement engagé sous sa monture. […] Sous cette lumière qui tombe d’en haut, le modelé des visages semble plus âpre.

313. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français et de la question des Anciens et des Modernes »

D’autres recueils analogues, et sur le patron du sien, s’étaient refaits depuis, d’âge en âge, durant cette longue et lente décadence de la Grèce ; chaque fois seulement, on y faisait entrer une plus grande partie de poésies légères contemporaines, et comme le panier ne s’élargissait pas à proportion, il en tombait quelques-unes des anciennes : ce qui était à regretter, car la plupart de ces poésies nouvelles n’étaient que des imitations, et l’originalité avait disparu. […] Mais, ô puissant dieu du vin, protège-le, car il ne sied pas qu’un serviteur de Bacchus tombe par le fait de Bacchus !  […] Que les brebis bêlent autour de moi, et qu’assis sur un rocher, tandis qu’elles broutent, le berger me joue ses plus doux airs ; qu’aux premiers jours du printemps, le villageois, ayant cueilli des fleurs de la prairie, en couronne ma tombe, et que, pressant la mamelle d’une brebis mère, il en fasse jaillir le lait sur le tertre funéraire. […] Qu’au retour du printemps, dépouillant la prairie, Des dons du villageois ma tombe soit fleurie ; Puis d’une brebis mère et docile à sa main, En un vase d’argile9 il pressera le sein ; Et sera chaque jour d’un lait pur arrosée La pierre en ce tombeau sur mes mânes posée. […] Dans l’épigramme originale, le villageois ne prend pas ce détour de traire la brebis dans un vase d’argile pour en arroser ensuite la tombe : il amène directement la brebis mère sur le tertre funéraire, et soulevant la mamelle [texte grec]; tenant haut le pis (expression d’un pittoresque rustique), il fait jaillir le lait sur la terre même.

314. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LE COMTE XAVIER DE MAISTRE. » pp. 33-63

Vingt ans s’étaient passés depuis qu’il avait écrit le Voyage autour de ma chambre ; un jour, en 1810, à Saint-Pétersbourg, dans une réunion où se trouvait aussi son frère, la conversation tomba sur la lèpre des Hébreux ; quelqu’un dit que cette maladie n’existait plus ; ce fut une occasion pour le comte Xavier de parler du lépreux de la Cité d’Aoste qu’il a avait connu. […] Il était tombé aussi dans un quart d’heure trop désagréable pour la forme représentative ; que ne prenait-il un instant plus flatteur ? […] Le chapitre xix, où tombe cette larme de repentir, pour avoir brusqué Joannetti, et le chapitre xxviii, où tombe une autre larme, pour avoir brusqué le pauvre Jacques, sont tout à fait dans la manière de Sterne. […] Ainsi, par exemple, quand il nettoie machinalement le portrait, et que son âme, durant ce temps, s’envole au soleil, tout d’un coup elle en est rappelée par la vue de ces cheveux blonds : « Mon âme, depuis le soleil où elle s’était transportée, sentit un léger frémissement de plaisir ;… » en imposer pour imposer ; sortir de sa poche un paquet de papier… Mais c’est assez : je tombais l’autre jour sur une épigramme du spirituel poëte épicurien Lainez, compatriote du gai Froissart et contemporain de Chapelle, qu’il égalait au moins en saillies ; il se réveille un matin en se disant : Je sens que je deviens puriste ; Je plante au cordeau chaque mot ; Je suis les Dangeaux à la piste ; Je pourrais bien n’être qu’un sot.

315. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre IV, Eschyle. »

Histoire croyable, si l’on tient compte des premiers effets du drame sur la race la plus sensible qui ait jamais existé. « Les Rhapsodes, disait Platon, avaient bien de la peine à réciter Homère sans tomber dans des convulsions », — Une autre fois, Eschyle eut un théâtre tué sous lui. […] On grava sur sa tombe l’épitaphe qu’il s’était tracée ; le poète s’y efface derrière le guerrier. […] Toute rudesse primitive tombe comme une vieille écorce de cette nouvelle souche ; ses mœurs, ses arts, sa religion même font peau neuve. […] Il tient pour eux, se sentant un peu de leur race, contre les « dieux de fraîche date » ; il relève comme un gant de guerre leur rocher tombé. […] La pluie qui tombe du Ciel générateur féconde la Terre ; alors elle enfante, pour les mortels, la pâture des bestiaux et le grain de Déméter. » — Ailleurs, il pousse ce cri qui dissout l’Olympien sculpté par Phidias, et disperse dans l’infini son corps et son âme, sa foudre et son sceptre, sa barbe pluvieuse et sa chevelure rayonnante ; « Zeus est l’air, Zeus est le ciel, Zeus est la terre, Zeus est tout ce qu’il peut y avoir au-dessus de tout. » Dans un Chœur de l’Orestie, le Dieu qu’on invoque semble invité à choisir lui-même son nom, dont le poète n’est pas sûr. — « Zeus !

316. (1694) Des ouvrages de l’esprit

Un bel ouvrage tombe entre leurs mains, c’est un premier ouvrage, l’auteur ne s’est pas encore fait un grand nom, il n’a rien qui prévienne en sa faveur, il ne s’agit point de faire sa cour ou de flatter les grands en applaudissant à ses écrits ; on ne vous demande pas, Zélotes , de vous récrier, C’est un chef-d’œuvre de l’esprit ; l’humanité ne va pas plus loin : c’est jusqu’où la parole humaine peut s’élever : on ne jugera à l’avenir du goût de quelqu’un qu’à proportion qu’il en aura pour cette pièce ; phrases outrées, dégoûtantes, qui sentent la pension ou l’abbaye, nuisibles à cela même qui est louable et qu’on veut louer : que ne disiez-vous seulement, Voilà un bon livre ; vous le dites, il est vrai, avec toute la France, avec les étrangers comme avec vos compatriotes, quand il est imprimé par toute l’Europe et qu’il est traduit en plusieurs langues ; il n’est plus temps. […] Corneille ne peut être égalé dans les endroits où il excelle, il a pour lors un caractère original et inimitable ; mais il est inégal ; ses premières comédies sont sèches, languissantes, et ne laissaient pas espérer qu’il dût ensuite aller si loin ; comme ses dernières font qu’on s’étonne qu’il ait pu tomber de si haut. […] Ces ouvrages ont cela de particulier qu’ils ne méritent ni le cours prodigieux qu’ils ont pendant un certain temps, ni le profond oubli où ils tombent, lorsque le feu et la division venant à s’éteindre, ils deviennent des almanachs de l’autre année. […] Il y a des esprits, si je l’ose dire, inférieurs et subalternes, qui ne semblent faits, que pour être le recueil, le registre, ou le magasin de toutes les productions des autres génies : ils sont plagiaires, traducteurs, compilateurs ; ils ne pensent point, ils disent ce que les auteurs ont pensé ; et comme le choix des pensées est invention, ils l’ont mauvais, peu juste, et qui les détermine plutôt à rapporter beaucoup de choses : que d’excellentes choses ; ils n’ont rien d’original et qui soit à eux ; ils ne savent que ce qu’ils ont appris, et ils n’apprennent que ce que tout le monde veut bien ignorer, une science aride, dénuée d’agrément et d’utilité, qui ne tombe point dans la conversation, qui est hors de commerce, semblable à une monnaie qui n’a point de cours : on est tout à la fois étonné de leur lecture et ennuyé de leur entretien ou de leurs ouvrages. […] Il doit au contraire éviter comme un écueil de vouloir imiter ceux qui écrivent par humeur, que le cœur fait parler, à qui il inspire les termes et les figures, et qui tirent, pour ainsi dire, de leurs entrailles tout ce qu’ils expriment sur le papier ; dangereux modèles et tout propres à faire tomber dans le froid, dans le bas, et dans le ridicule ceux qui s’ingèrent de les suivre : en effet, je rirais d’un homme qui voudrait sérieusement parler mon ton de voix, ou me ressembler de visage.

317. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Sainte-Beuve. Les Poésies de Joseph Delorme, Les Consolations, les Pensées d’août. »

Quand Gœthe, lutiné par l’idée de Voltaire, voulut jouer aussi à l’universalité, quand il se fit naturaliste, dessinateur, et dessinateur jusqu’au point de dire « qu’en dessinant, son âme chantait un morceau de son essence la plus intime », Gœthe tombait de son ancienne poésie, sentie, ressentie, exprimée, selon l’âme qu’il avait (et il n’en avait pas beaucoup), dans l’art élégant, ingénieux, fin, savant ; dans l’art qui est toujours le stérile, quoique le matériel amour des choses difficiles. […] Il ne fit pas comme le Coureur Antique qui, arrivé au but de sa course, tomba expirant sous son flambeau renversé. […] Oui, du Joseph Delorme, mis à genoux, mais non tombé à genoux, car tomber à genoux implique la foi, et se mettre à genoux n’implique que la convenance ! […] Sainte-Beuve, à mi-côte de tout, est le lieu où il a chuté, et cela a été, pour un poète comme il l’était, tomber assez bas que d’y descendre !

318. (1874) Premiers lundis. Tome II « Revue littéraire »

On a deviné : au moment où le mariage est consommé, le voile tombe, et c’est la main d’une vassale qui a reçu l’anneau de chaque noble amant. Les trois chevaliers furieux se tournent vers le sire de Joux en l’accusant ; mais lui-même, que ce spectacle renverse, tombe et meurt suffoqué de colère au moment où il leur jette son démenti : Cependant sur leurs haquenées Galopaient les dames de Joux, Fuyant, ainsi que trois damnées, L’ombre d’un père et leurs époux.

319. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Note III. Sur l’accélération du jeu des cellules corticales » pp. 400-404

Sur l’accélération du jeu des cellules corticales De Quincey, Confessions of an Opium-Eater, p. 83 : « Une proche parente me conta un jour que, dans son enfance, étant tombée dans une rivière et ayant manqué périr, elle revit en un moment sa vie entière déployée et rangée devant elle simultanément comme dans un miroir, et qu’elle se trouva la faculté également soudaine d’embrasser ensemble le tout et chaque partie. » De Quincey et divers buveurs d’opium ont constaté sur eux-mêmes cette faculté de vivre mentalement, pendant un rêve de quelques minutes, une vie de plusieurs années et de plusieurs centaines d’années. […] Là, ma main se porta sur l’espagnolette de la croisée, et mon front alourdi s’appuya sur ma main. — Il paraît qu’à l’instant même je tombai à la renversé sans en avoir conscience, que mes camarades me relevèrent aussitôt, et que je revins à moi presque immédiatement, car leur conversation fut à peine interrompue et continuait lorsque je sortis de la chambré au point où je l’avais trouvée en entrant. — Mais ce qu’il y a de curieux, c’est que pendant cette chute il me sembla que je faisais un voyage qui dura plusieurs jours.

320. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 31, de la disposition du plan. Qu’il faut diviser l’ordonnance des tableaux en composition poëtique et en composition pittoresque » pp. 266-272

Mais pour n’avoir pas distribué l’art de la peinture en cinq parties, ni divisé ce qu’on appelle en general l’ordonnance, en composition pittoresque et en composition poëtique, il tombe dans des propositions insoutenables, comme est celle de placer au même degré de sa balance Paul Veronése et le Poussin en qualité de compositeurs. Cependant les italiens mêmes tomberont d’accord que Paul Veronése n’est nullement comparable dans la poësie de la peinture au Poussin qu’on a nommé dès son vivant le peintre des gens d’esprit, éloge le plus flatteur qu’un artisan pût recevoir.

321. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1865 » pp. 239-332

Il cause, et c’est, de temps en temps, une espèce de rictus ironique qui tombe et s’élève et retombe dans sa gorge. […] En sortant du théâtre à quatre heures, par une fin de jour, on tombe dans la rue, tout hébété et tout désorienté, et on ne sait plus si on vit ou si on rêve. […] Got, sur lequel nous tombons, nous dit des spectateurs avec un singulier sourire : « Ils ne sont pas caressants !  […] La toile tombe dans la clameur d’une émeute. […] Le matin, on a répandu une circulaire au quartier Latin, pour que la toile tombe au premier acte.

322. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIe entretien. L’Arioste (2e partie) » pp. 81-160

Il s’efforce, tant il lui porte de tendresse, de le faire renoncer à cette entreprise ; mais Médor était déterminé ou à mourir ou à recouvrir d’un peu de terre la tombe de son seigneur. […] De jour en jour, la beauté de Médor fleurit ; de jour en jour, la malheureuse sent la sienne se flétrir, comme une neige tombée après la saison, que les rayons du soleil fondent dans un lieu sauvage. […] Le Sarrasin, trompé par l’assurance de la victime, tombe dans ce piége de vertu ; du revers de son épée il frappe le cou de la jeune fille, croyant que son épée se brisera dans sa main, mais la charmante tête d’Isabelle roule à ses pieds dans l’herbe et bondit trois fois en balbutiant encore le nom de Zerbin ! […] Le petit chien ne fit que se secouer, la pièce tomba sur-le-champ. […] s’écrie le poète, si tu savais que celui dont ta colère et ta honte te font désirer la mort est ce Roger qui t’est plus cher que ta propre vie, c’est contre ton sein que tu tournerais ce fer que tu fais tomber sur sa tête ! 

323. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIIe entretien. Fior d’Aliza » pp. 177-256

Il y a toujours de la ressource dans l’esprit souple et flexible d’un courtisan de rois tombés. […] Va-t-il, le cœur brûlant d’une foi magnanime, Conquérir une tombe au désert de Solyme ; Ou, pèlerin armé, son bourdon à la main, Laver ses pieds souillés dans les flots du Jourdain ? […] Mais là, près de la tombe ou le grand cygne dort, Le vaisseau, tout à coup, tourne sa poupe au bord. […] Ton nom résonne encore à l’homme qui l’entend, Comme un glaive tombé des mains du combattant ; À ce bruit impuissant, la terre tremble encore, Et tout cœur généreux te regrette et t’adore. […] Hâtons-nous d’ajouter cependant que la plupart des personnes qui sont tombées dans cette erreur ne connaissaient de l’ouvrage que ce seul passage, et que, le lisant séparé de l’ensemble qui l’explique, et le croyant placé dans la bouche du poète lui-même, l’accusation pouvait leur paraître plus plausible.

324. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1860 » pp. 303-358

Il tombe dans un petit hôtel à Marseille, où des femmes de Lima étaient descendues avec un mobilier d’ébène, incrusté de nacre, qui faisait l’émerveillement des voyageurs. […] Il y a souvent comme la tombée d’une larme au milieu d’une de ses blagues, et presque toujours, au bout d’une de ses phrases attendries, un strident rrrr, qui semble la crécelle de l’ironie. […] Au cimetière, parmi les cénotaphes chargés d’armoiries, une tombe d’Américaine portant ce beau cri de guerre de la foi : Resurgam. […] On voyait la neige tomber à flocons par la fenêtre. […] Le soir nous avons les nerfs si malades, qu’un bruit, qu’une fourchette qui tombe, nous donne un tressaillement par tout le corps, et une impatience presque colère.

325. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1886 » pp. 101-162

» au bout de quoi, sa tête tombait de côté sur la table. […] Le médecin, s’apercevant de l’obstination de son regard sur le secrétaire, apportait une feuille de papier, et une plume trempée d’encre, qu’il lui mettait dans la main, et que Baschet saisissait avidement, mais au moment où il allait écrire, la plume lui tombait des mains, la paralysie avait gagné le bras. […] À ce dîner, le colonel Yung disait que l’intelligence de Mac-Mahon, — reconnue par tous assez médiocre — fouettée par la mitraille, s’éclairait, grandissait, devenait surprenante, tandis que celle de Bourbaki, cependant d’une valeur héroïque, se perdait, tombait en enfance. […] Je me décide à monter, et tombe sur la malheureuse Mme Caze qui me dit que son mari est bien mal, qu’il a une fièvre terrible depuis cinq grandes heures. […] Or l’année dernière, elle eut une attaque, dans laquelle elle tomba, le poignet lui fermant la bouche et l’étouffant… Alors cette fois, ç’a été chez Servin, une saoulerie illimitée, terminée par la mort.

326. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « III. M. Michelet » pp. 47-96

Il arrêta au bord du néant Louis XIII, qui allait y tomber, et couvrit d’une Mairie de palais, comme on n’en avait pas vu depuis les premières races, ce Fainéant qui jouait aux pies-grièches et aux faucons ! […] C’est l’épileptique Proudhon qui fait tomber M.  […] Michelet ne doit pas manquer de générosité courageuse, quand il est de sens rassis, et il n’aura pas peur de se relever dans l’estime des hommes, car, lorsqu’on s’y relève, on monte toujours plus haut que la place d’où l’on était tombé ! […] Trop élevé, trop pratique, trop acte, en un mot, pour tomber sous le regard d’une critique purement littéraire, le livre du P.  […] Michelet, qui veut toujours aller du fait à l’idée, — ce qui est un glorieux chemin, mais dans lequel il tombe toujours, — M. 

327. (1739) Vie de Molière

Les hommes jugent de nous par l’attente qu’ils en ont conçue ; et le moindre défaut d’un auteur célèbre, joint avec les malignités du public, suffit pour faire tomber un bon ouvrage. […] Il ne faut pas craindre que les Fâcheux tombent dans le même décri. […] Cette excellente comédie avait été donnée au public en 1667 ; mais le même préjugé qui fit tomber Le Festin de Pierre, parce qu’il était en prose, avait fait tomber L’Avare. […] Le spectacle de l’opéra, connu en France sous le ministère du cardinal de Mazarin, était tombé par sa mort. […] Mais Cottin était bien loin de pouvoir se soutenir contre de telles attaques : on dit qu’il fut si accablé de ce dernier coup, qu’il tomba dans une mélancolie qui le conduisit au tombeau.

328. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le Roman de Renart. Histoire littéraire de la France, t. XXII. (Fin.) » pp. 308-324

Chantez donc encore une fois. » Tiècelin, qui veut avoir le prix du chant, s’y met tout entier ; il s’écrie à haute haleine, mais il ne sut si bien faire, quelque peine qu’il se donnât, que son pied droit ne s’en desserrât et que le fromage ne tombât à terre, tout juste devant les pieds de Renart. — Vous croyez la fable finie ; pas le moins du monde. […] Le fromage vient de tomber devant celui qui le convoite, mais qui va rester immobile : « Le friand lascif frémit et brûle, et frissonne tout entier de convoitise (ces deux vers dans le texte sont pleins d’expression) ; mais il n’en touche une seule miette, car encore, s’il peut en venir à bout, voudrait-il bien tenir Tiècelin. » Tout son art alors est d’attirer le Corbeau lui-même et de lui persuader de descendre. Il fait le blessé et le boiteux ; ce fromage qui vient de tomber l’incommode, assure-t-il, par son odeur. […] Bombourg l’entend, et lui crie avec ironie : « Rends-toi vite, Beaumanoir ; je ne te tuerai pas, mais je ferai de toi un présent à mon amie, car je lui ai promis que, sans mentir, aujourd’hui je te mettrai dans sa chambre jolie. » Là-dessus c’est à qui vengera Beaumanoir de l’insulte : Bombourg tombe frappé à mort.

329. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre III : La science — Chapitre I : De la méthode en général »

On sait que c’est en laissant tomber par terre un minéral, qui se brisa, que l’abbé Haüy découvrit la propriété du clivage chez les minéraux, d’où il déduisit toutes les lois de la cristallographie. […] Il s’agit de savoir si le philosophe n’est jamais que la mouche du coche, résumant sous une forme vague et abstraite les solides découvertes des savants, ou s’il est, non pas sans doute un révélateur tombé du ciel sans précédents et sans contemporains, mais au moins un précurseur anticipant sur l’avenir, et généralisant d’avance ce que la science positive réalisera et démontrera. […] Un enfant voit osciller une lampe ou tomber une pomme : c’est un jeu pour ses sens et pour son imagination ; pour un Galilée, pour un Newton, ces deux phénomènes ne sont que les signes des lois générales et universelles. Ce n’est plus une pomme qui tombe, c’est la lune qu’une force attractive de la terre empêche de s’échapper suivant la tangente ; ce n’est plus une lampe qui se joue, c’est le pendule qui décrit des oscillations égales dans des temps égaux.

330. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VIII : M. Cousin érudit et philologue »

Au moment où la douce figure de Mme de Longueville commence à se reformer sous les yeux du lecteur, il entend un fracas d’in-folio qui tombent ; c’est une dissertation qui arrive et efface la charmante image sous son appareil démonstratif. […] Toute vraie passion tombe dans l’excès. […] Qu’il sache qu’il ne lui est pas permis de retenir le précieux dépôt tombé entre ses mains, encore bien moins de l’altérer. […] Vous sortez d’un commentaire docte et aride, ayant pour but d’établir, d’après Stobée, Diogène de Laërte et d’autres, le système probable de Xénophane, et, parmi des arguments de commentateur, vous tombez sur la phrase suivante : La partie du système de Xénophane qui porte l’empreinte de l’esprit ionien est et devait être sa partie cosmologique et physique.

331. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXII. »

La mort étend sa main glacée sur les rois ; le sceptre et la couronne tombent à terre et gisent dans la poudre, confondus avec la pauvre faucille et la bêche. […] Écoutons un moment cette création de l’art, qui ressemble à l’action spontanée du génie : « Tombe sur toi la ruine, impitoyable roi ! […] Ils ne sont pas ensevelis dans le sommeil de la tombe. […] Écoutez-les du fond de la tombe ; écoute, grand Thaliessin : ils respirent une âme à ranimer ta poussière.

332. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Le keepsake lui étant tombé sous les yeux, Lamartine, en effet, prit ces vers pour lui, et, à l’instant, il s’échappa de son sein une nuée de strophes ailées, un admirable chant et vraiment sublime, à la louange de son humble sœur en poésie. […] Ils n’ont pour fortune et pour joie Que les refrains de leurs couplets, L’ombre que la voile déploie, La brise que Dieu leur envoie, Et ce qui tombe des filets ! […] Je veux qu’un jour chacun de nos bons paysans continue à être bon sur une tombe, et qu’il aille se délasser de ses travaux par une délicieuse causerie avec les âmes.

333. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 10, continuation des preuves qui montrent que les anciens écrivoient en notes la déclamation » pp. 154-173

Mais il y a des théatres étrangers où les acteurs tombent tous les jours dans le vice que Quintilien reprend, en imitant tous les tons et tous les accens pour ne point entrer dans d’autres détails, que prennent les personnes les plus passionnées quand elles se trouvent enfin en pleine liberté. […] Une déclamation où l’on veut mettre trop d’expression, doit tomber dans les deux vices opposez. […] Les personnes qui tiennent pour l’ancien goût alleguent ordinairement les excez où tombent les artisans qui outrent ce qu’ils font, lorsqu’elles veulent prouver que le goût nouveau est vicieux.

334. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Ch.-L. Livet »

il voudrait bien tirer ces pauvres victimes, après tout, de dessous les plaisanteries de Molière, — ces plaisanteries gravées sur un marbre éternel, et sous lesquelles le Titan du grand rire les a écrasées ; mais il craint que le ridicule qui pèse sur elles, par ricochet ne tombe sur lui. […] Il oublie que la conversation est un genre de génie tout individuel, intransmissible, incommunicable, qui peut jeter sa flamme dans le monde comme elle peut la jeter partout ailleurs ; mais qu’elle ne tient à aucune atmosphère, qu’elle n’est ni une routine, ni une éducation, ni un procédé, et que quand elle devient une manière d’être générale elle n’est plus qu’une médaille effacée, tombée à l’état de monnaie qu’on se passe de main en main et que chaque main efface un peu plus ! […] Il ne se doute pas, enfin, que ce commencement du xviie  siècle, mis aux pieds de quelques femmes par des sigisbées littéraires, n’était, à le bien considérer, que le xvie  siècle tombé en quenouille, et que l’histoire même qu’il écrit le prouve avec une invincible clarté.

335. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Édouard Fournier »

C’est, comme vous le voyez, un vrai regrattage, — insignifiant quand il n’est pas maladroit, — une espèce de travail semblable à celui que l’on fait parfois (et je n’ai jamais su pourquoi) sur les édifices que le temps a austèrement bistrés et qui portent, au rebord de leurs angles et sur le cordon de leurs nervures, la poussière chassée par les siècles ou la graine éclose qu’en passant l’oiseau du ciel y fit tomber. Quel effet bizarre produit sur nous Fournier, ce singulier racleur de mots, cet effaceur d’esprit, qui semble suspendu sur une planchette d’érudition que je crois très mince et très fragile, mais pourtant avec moins de risques que ses confrères en regrattage, et dont tout le soin est d’enlever le noir et la poussière à l’histoire, d’essuyer incessamment avec son torchon d’érudit cette estompe poétique que les proprets de l’exactitude bien lavée prennent pour une tache, et de s’acharner, jusqu’à ce qu’elles soient abattues, sur ces fleurs tombées on ne sait d’où, ces traditions qui voilent moins l’histoire qu’elles ne l’ornent, et qui ne sont pas contraires à la réalité parce qu’elles sont beaucoup plus belles ! […] Nous avons, dès le premier pas, reculé de l’histoire à l’histoire de France, et de l’histoire de France nous sommes tombés dans des historiettes dont la plupart étaient déjà suspectes d’exagération ou d’infidélité, et quelques-unes brillaient d’une netteté d’apocryphe qui ne laissait rien à désirer bien avant que Fournier eût fait claquer son fouet… dans les airs !

336. (1880) Goethe et Diderot « Introduction »

Rien n’y suffirait, ni la décadence littéraire de la France, qui n’avait, au commencement du siècle, de l’ancien esprit français (madame de Staël et Chateaubriand exceptés), que les dernières gouttes qui tombent du toit après la pluie, ni le besoin de nouveauté enfantine qui nous emporte vers toute chose nouvelle avec notre délicieuse frivolité séculaire, ni cette espèce de catinisme intellectuel toujours prêt à se donner au premier venu, — qui nous fit Anglais à la fin du xviiie  siècle, comme il nous avait faits Latins Grecs, Italiens et Espagnols, dans les siècles précédents, et qui, pour l’heure, nous faisait Allemands, en attendant que quelque autre littérature nous fît autre chose. […] L’amuseur ministériel tombait bien ! […] Chateaubriand a dit, en parlant d’un homme plus grand que Gœthe, qu’il a jugé : « Je ne veux pas être une sotte grue et tomber du haut mal de l’admiration. » Eh bien, ni moi non plus !

337. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XIII. Pascal »

Un pas de plus du côté où il marche, c’est dans l’hérésie qu’il tomberait ! […] avec la tête de mort que les solitaires mettent auprès de leur crucifix, et qui, s’il se rejette, comme l’autre Hamlet, en arrière devant le trou de la tombe, c’est qu’au fond il voit l’enfer, que l’autre Hamlet n’y voyait, pas ! […] Toute une armée de géomètres a passé pourtant sur le géomètre du dix-septième siècle et planté plus loin que la place où il était tombé l’étendard de la découverte !

338. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Ernest Hello »

Il est beau même d’en tomber !… Il a aussi cette dernière beauté… la beauté de la chute… Fait d’inégalités, il va haut et il tombe, — et parfois il se démantibule en tombant, mais il reste un démantibulé sublime. […] C’est alors seulement qu’on se replie sur soi-même et qu’on admire… IV Ce chef-d’œuvre de Ludovic couvrirait de sa beauté de chef-d’œuvre, comme d’un manteau de roi tombé sur des haillons, les autres contes du recueil quand ils seraient les plus misérables pauvretés intellectuelles, ce que, d’ailleurs, ils ne sont pas… Mais il en est deux autres encore, qui nous montrent que l’inspiration d’un conteur de cette énergique invention ne s’est pas épuisée en une fois.

339. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Jules de Gères »

Le sonnet, qui n’est qu’une très petite chose, tricotée, je le veux bien, avec beaucoup de soin et d’adresse, sans un point tombé, sans une maille perdue, n’est, en somme, que cette « bourse de soie faite avec une oreille de cochon », et même cette bourse n’a guères de place que pour contenir un petit écu ! […] Il fait tomber tout, ramasse tout, entraîne tout dans le cours de son fleuve. […] Il semble à nos efforts jaloux Que dans le gouffre où se perd l’heure, Ne pouvant tomber qu’avec nous, Tu vis encor tant qu’on te pleure !

340. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Madame Sand et Paul de Musset » pp. 63-77

Deux célébrités contemporaines de trop de bruit, d’un bruit qui ne fut pas toujours de la gloire, et qui en vont faire encore, l’un du fond de sa tombe, l’autre du fond de sa vieillesse, en nous condamnant à lire ces deux volumes d’Elle et Lui et de Lui et Elle, à la lueur cruelle de leur triste célébrité. […] C’est un de ces grands cœurs philosophiques et chimériques qui ramassent par les chemins du désordre les femmes tombées, mais qui voudraient bien les garder pour eux. Pour notre part, nous ne connaissons que les prêtres catholiques qui puissent ramasser, avec leurs saintes mains désintéressées, les femmes qui tombent ; mais des philosophes ne le peuvent pas.

341. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules Sandeau » pp. 77-90

et qui nous tue plutôt, et qu’on traîne à la tombe, la passion, qui n’eut dans ses écrits qu’une seule page, qui s’appelle Mariana, n’eut peut-être aussi qu’une page dans sa vie. […] C’est la fierté des grandes races tombées et qui meurent comme le Gladiateur antique, sur la poussière de tout, mais dans la splendeur de l’attitude ; c’est le dévouement à la famille féodale dans un cœur simple et religieux demeuré fidèle ; c’est l’amour de l’épouse qui résiste à la puissance maternelle en lui demandant pardon de lui résister ; et, par-dessus toutes ces noblesses, qui s’opposent les unes aux autres et par leur collision produisent le mal de la vie, l’innocence de l’enfance, et son charme, venant à bout du stoïcisme le plus altier. […] Elle va sonner la honte à son cousin, chef de la maison désormais, lequel tombe naturellement amoureux de sa cousine, et, après plusieurs virements et revirements de la vanité à l’amour, finit par l’épouser un matin.

342. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Deux romans scandaleux » pp. 239-251

d’un bruit qui ne fut pas toujours de la gloire, et qui, insatiables, veulent en faire encore, l’un du fond de sa tombe, l’autre du fond de sa vieillesse, en nous condamnant, tous les deux, à lire ces deux volumes d’Elle et Lui et de Lui et Elle, à la lueur cruelle de leur triste célébrité ! […] C’est un de ces grands cœurs philosophiques et chimériques, qui ramassent par les chemins du désordre les femmes tombées, mais qui voudraient bien les garder pour eux. Pour notre part, nous ne connaissons que les prêtres catholiques qui puissent ramasser avec leurs saintes mains désintéressées les femmes qui tombent, mais des philosophes ne le peuvent pas !

343. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXXVIII » pp. 158-163

. — nobles paroles de victor hugo sur sa tombe. — candidatures académiques. — tibère, tragédie de marie-joseph chénier au théatre-français. — article scandaleux de janin. […] Quand on lui demandait si, pour la tant regretter, cette campagne lui rapportait beaucoup, il répondait : « Elle me rapportait… des vers. » — Il avait épousé, il y a quelques années, une dame d’honneur de la reine Hortense, et vivait fort en famille, allant très-peu dans le monde. — Victor Hugo a trouvé d’éloquentes paroles sur la tombe de son rival, et lui-même il a eu le droit de rappeler avec sentiment le coup qui venait de le frapper30.

344. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « PAUL HUET, Diorama Montesquieu. » pp. 243-248

Huet en a profité d’avance ; dans sa manière d’envisager et de peindre la nature, il serait tombé tout à fait d’accord avec Hoffmann et avec le petit Maltais ; voici le passage : « Saisir la nature dans l’expression la plus profonde, dans le sens le plus intime, dans cette pensée qui élève tous les êtres vers une vie plus sublime, c’est la sainte mission de tous les arts. […] Rien sur le premier plan, hormis quelques vêtements laissés : une blouse, des instruments de travail, une chèvre couchée auprès ; puis, au premier fond, derrière le monticule du premier plan, une espèce de ravin fourré d’arbres, et, dessous, quelque paysan qui sommeille ; plus haut, la côte du château, blanche, nue, calcaire, avec les ruines sévères qui la couronnent ; mais à droite, cette côte blanche s’amollissant en croupes verdoyantes, souples, mamelonnées, et au sommet de l’une de ces croupes, des génisses qui paissent, et un rayon incertain de soleil qui tombe et qui joue.

345. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Donec eris felix… »

Dès que ces illusions sont tombées, tu es rentré dans ton néant. […] Car, à moins qu’il ne soit devenu un grand sage pour avoir vu les hommes de près ou qu’il n’ait été secouru par une heureuse frivolité de caractère, cet homme si rudement tombé, et de si haut, doit, à l’heure qu’il est, souffrir infiniment.

346. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 79-87

On verra par là de quel côté est la raison, & sur qui tombent la honte & le ridicule. […] Pendant qu’il parloit ainsi, le Philosophe historien étoit tombé en foiblesse, ses petits yeux de feu s’étoient fermés, & sa grande bouche restoit ouverte.

347. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XI. Suite des machines poétiques. — Songe d’Énée. Songe d’Athalie. »

Quand presque tous les tiens sont plongés dans la tombe ! […] « Tremble, m’a-t-elle dit, fille digne de moi, Le cruel Dieu des Juifs l’emporte aussi sur toi : Je te plains de tomber dans ses mains redoutables, Ma fille ! 

348. (1890) La bataille littéraire. Troisième série (1883-1886) pp. 1-343

Quelques soldats tombèrent encore. […] mes jambes se dérobent sous moi. » Et il tomba sur le dos. […] Elle finit par tomber dans un état de somnolence invincible. […] La nuit tombait. […] Elle perdit l’équilibre et tomba sur les genoux.

349. (1923) Nouvelles études et autres figures

Et il finit par tomber dans la stupeur extatique. […] Ses galeries extérieures allaient de guingois et des plâtras tombaient. Ce qu’il est tombé de plâtras au collège Louis-le-Grand ! […] Leur premier fils leur fût tombé du ciel qu’il n’aurait pu leur ressembler moins. […] Je me suis efforcé de les relire : le livre me tombait des mains.

350. (1895) La comédie littéraire. Notes et impressions de littérature pp. 3-379

La pièce tomba, et tomba sans rémission. […] Nul poète n’a résisté à ce délicat hommage, René tombe éperdument amoureux de Louise. […] Le nom de Victor Hugo tomba de mes lèvres. […] Sur le mur tombe une goutte d’eau. […] Elle tombe inanimée.

351. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxiiie entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff »

Ils partent ensemble, ils arrivent à la tombée de la nuit près du moulin où l’on refuse d’abord de les recevoir. […] La chaleur jusqu’alors étouffante tomba soudainement, et l’air devint froid et humide ; les ombres épaississaient de plus en plus. […] La pluie tomba bientôt par torrents. […] Aucun bruit ne se faisait entendre, et ce silence avait quelque chose de navrant ; la nature semblait tombée dans une sorte d’accablement. […] Ses cheveux trempés de sueur tombaient en désordre, et sa figure était d’une pâleur effrayante.

352. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1866 » pp. 3-95

Après, dans une autre salle, étroite, haute comme une tour, j’étais attaché par les pieds, la tête en bas, nu, sous une cloche de verre, et il me tombait sur le corps une masse de petites étincelles, d’une lumière verdâtre, qui m’enveloppaient la peau, et qui à mesure qu’elles tombaient, me procuraient le sentiment de fraîcheur d’un souffle sur une tempe baignée d’eau de Cologne. […] Une mère est tombée chez moi, un matin, me demander où était son fils, en me disant qu’elle irait le chercher n’importe où ! […] Là-dedans un peu de rose tombe d’une arche de pont rouillée, et une ombre se noie, une immense ombre descendue du haut de Notre-Dame, comme un grand manteau dégrafé qui glisserait par derrière. […] Il me semblait que j’y avais été jeté par un coup d’éventail, que j’y étais tombé, comme du balcon d’une loge du théâtre Borgognissanti, et que les épaules d’une statue m’avaient emporté dans les champs. […] Le moisi de la tombe mange les marches descellées des portes-fenêtres du rez-de-chaussée.

353. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1895 » pp. 297-383

En relisant Le Gaulois, que je n’ai fait que parcourir ce matin, je tombe sur un écho, où il est dit que le banquet pourrait bien être remis, à cause de la mort de Vacquerie, faisant partie du comité. […] Elle ajoute, qu’habitant Paris depuis des années, elle n’a jamais songé à voir le survivant des deux frères, mais que bien des fois elle a été s’agenouiller sur la tombe du mort, et que vendredi, tout en se réjouissant des honneurs qui me seront rendus, et tout en me plaignant de les recevoir tout seul, elle retournera au cimetière. […] Il montre une joie, une joie enfantine, de l’argent qui lui est tombé là-bas. […] À dîner, conversation sur le bonheur, que tous les convives déclarent d’une voix unanime, ne pas exister, et Zola, qui là-dessus, est plus affirmatif que nous tous, tombe, le soir, dans une tristesse noire, qui le fait muet. […] Ainsi tombe la légende, qui attribue à la vie de désordre de Baudelaire, cette maladie qui ne fut chez lui, qu’un résultat de l’atavisme.

354. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre troisième »

Les règles du théâtre antique furent remises en honneur, et de ce respect pour les unités, et de l’imitation du théâtre espagnol, il sortit des pièces fort supérieures à celles de Hardi, quoique tombées dans le même oubli. […] Mais que de justesse dans cette remarque, que nous ne sommes touchés des malheurs des princes « qu’autant que nous sommes susceptibles des passions qui les ont fait tomber dans le précipice !  […] Là est le plus grave tort de ce commentaire si sensé et si piquant, où d’ailleurs, soit crainte du reproche d’envie, soit complaisance d’auteur pour des fautes où il était tombé lui-même, la critique de Voltaire souvent hardie jusqu’à l’imprudence, est par endroits timide. […] Il tomba au-dessous de lui-même le jour où, pour nouer par l’intrigue des situations surprenantes, il employa le même esprit qui avait fait sortir de caractères bien conçus et admirablement tracés des situations fortes, naturelles et prévues. […] Corneille tombait dans ce double défaut, bien plus par l’effet de cette vue fausse sur le théâtre, que pressé par la pauvreté dont il n’est que trop vrai qu’il sentit les atteintes.

355. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre II, grandeur et décadence de Bacchus. »

Mais voilà que ses chaînes de branches tombent d’elles-mêmes, et le captif souriait « de ses longs yeux bleus ». […] Il sait qu’il va combattre un pays terrible, des races innombrables, des rois portés sur des monstres dont le pied écraserait l’Hydre, dont la trompe broierait la Chimère, des dieux à six têtes et à douze bras, des ascètes qui peuvent, en marmottant un monosyllabe ineffable, faire tomber les astres du ciel. […] Les flèches s’émoussent sur les nébrides de ses Ménades, les casques éclatent sous le frôlement de leurs lierres, le cliquetis de leurs tambourins fait tomber à la renverse les combattants fascinés. […] On supposa qu’Aphrodite avait recueilli l’enfant merveilleux, tombé de l’arbre à parfums, et que, renfermant dans un coffre, elle l’avait confié à Perséphone, comme on cache sous terre un trésor. […] Bacchus fit une triste fin dans le monde antique : les prêtres d’Orphée avilis, tombés, avec le temps, dans les bas-fonds de la bohème religieuse, l’exploitèrent misérablement.

356. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « H. Forneron » pp. 149-199

L’Europe ne tenait pas toute, en effet, à cette heure, dans les entrechoquements de la politique, de la guerre, de la cour, des passions charnellement humaines, mais elle tenait encore plus dans les idées, qui tombaient de toutes parts, dans tous les esprits, comme la pluie de flammes de Sodome, et qui allaient mettre à feu toutes les traditions respectées, depuis des siècles, par les peuples. […] Il tomba avant de l’avoir pris. […] Lui qui méprise les esprits vulgaires et les démocraties, qui ne sont jamais que le gouvernement de la Vulgarité, il est tombé, par le fait plus que par des paroles expresses, il est vrai, dans ce plat sophisme des esprits vulgaires, qui retourne l’infamie du prêtre contre la sainteté de l’autel. […] Il chiffra, dans une statistique d’une épouvantable exactitude, les trente mille têtes tombées sous le couperet de la guillotine. […] Le génie tombé dans l’extravagance est encore du génie.

357. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor Hugo. Les Contemplations. — La Légende des siècles. »

Du langage des Dieux, il trébuche et tombe (nous sommes moins brave que M.  […] Les tombeaux sont les trous du crible cimetière, D’où tombe, graine obscure, en un ténébreux champ, L’effrayant tourbillon des âmes ! […] Chaque soir Le noir horizon monte, et la nuit noire tombe. Tous deux à l’Occident, d’un mouvement de tombe, Ils vont se rapprochant, et dans le firmament, Ô terreur ! […] L’ombre venait, le soir tombait, calme et terrible.

358. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires relatifs à la Révolution française. Le Vieux Cordelier, par Camille Desmoulins ; Les Causes secrètes ou 9 thermidor, par Villate ; Précis du 9 thermidor, par Ch.-A. Méda, Gendarme »

Ce fut en de telles mains que tomba en dernier espoir la cause de l’humanité ; et quels qu’aient été ces hommes, qu’on n’oublie pas en les jugeant qu’ils moururent pour elle. […] Ce caractère si peu naturel, ce nous semble à nous autres de sang-froid, était pourtant devenu si naïf chez eux, qu’ils ne le démentirent jamais ; tels ils avaient été à la tribune et au club, tels ils furent à la barre et sur la charrette, se drapant et déclamant encore ; gladiateurs du peuple, ils luttèrent dans l’arène jusqu’au bout, et tombèrent avec grâce.

359. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé à Tréguier »

Je veux qu’on mette sur ma tombe (ah ! […] mais le cloître, c’est l’église, et l’église, bien à tort, ne veut pas de moi), je veux, dis-je, qu’on mette sur ma tombe : Veritatem dilexi .

360. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Sophocle, et Euripide. » pp. 12-19

Des enfans, saisis de crainte, tombèrent, dit-on, plus d’une fois roides morts sur le théâtre. […] Ennuyés de le voir vivre, impatiens d’hériter de lui, croyant son extrême vieillesse un attentat à leurs droits, ils l’accusent d’être tombé en enfance.

361. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « LEOPARDI. » pp. 363-422

comment et quand es-tu tombée d’une telle hauteur en si bas lieu ? […] moi seul je combattrai, je tomberai seul ; et fasse le ciel que pour les cœurs italiens mon sang devienne flamme ! […] O malheureux qui tombe à la guerre, non point pour la défense des rivages paternels, pour la pieuse compagne et les fils chéris, mais frappé de la main d’ennemis qui ne sont pas les siens, pour le compte d’autrui, et qui ne peut dire en mourant : Douce terre natale, la vie que tu m’as donnée, la voici, je te la rends ! […] les antiques aïeux ressuscitaient de la tombe, et les vivants n’y répondaient pas ! […] Pour nous, l’ennui nous a sérrés dans ses nœuds ; pour nous, près du berceau comme sur la tombe, s’assied immobile le néant.

362. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIe Entretien. Le 16 juillet 1857, ou œuvres et caractère de Béranger » pp. 161-252

La nouvelle de sa mort se répand de bouche en bouche depuis le palais jusqu’à l’échoppe, dans tous les quartiers de Paris : aussitôt la vie publique et la vie privée paraissent suspendues dans une vaste capitale ; le bruit tombe, le travail cesse dans les ateliers. […] Pour que le monde se passionne sur votre tombe, il faut avoir servi, volontairement ou involontairement, les passions du monde ! […] Il y a plus, ma famille a toujours espéré que, par une vicissitude quelconque du sort, elle remonterait au rang légitime d’où elle était tombée par la misère, et qu’elle se ferait reconnaître, ses titres à la main, pour ce qu’elle est. […] Quand l’homme a fait le tour de sa vie et qu’il se rapproche par la mémoire du foyer d’où il est parti enfant, il revoit par la pensée les sœurs qui jouaient dans des berceaux à côté du sien, et, s’il en existe une encore, fût-ce derrière les grilles d’un monastère, toute son âme y reflue : les feuilles en automne tombent sur les racines. […] Mais, avant de feuilleter ses chansons, citons, pour caractériser son génie naissant, une ou deux de ces poésies sérieuses et élégiaques qui tombaient de son âme sensible, plus printanières et plus irréfléchies peut-être que ses couplets.

363. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Shakespeare »

Mais ce qui nous étonne bien plutôt et a le droit de nous étonner, c’est la ravissante comédie qui précède cette tragédie épouvantable, cette foudre qui tombe d’un ciel bleu ! C’est cette vie brillante des feux qui ne s’allument qu’une fois, de la flamme, vierge et céleste, d’un premier amour, et qui conduit deux êtres charmants à la mort partagée, à la tombe partagée, comme fut partagée en un clin d’œil toute leur vie ! […] François Hugo n’a pour l’attester que la perte d’un fils de onze ans que Shakespeare avait nommé Hamlet comme l’immortel fils de son génie, mais il n’a nul autre détail sur ce fils de Shakespeare que son nom écrit sur une tombe dans le cimetière du petit bourg de Stratford-sur-Avon et sur la douleur de son père. […] Taine veut faire tomber sur le génie comme sur le cou d’un bœuf, et prouver enfin que lui-même, comme son personnage, était un homme… encore plus un homme qu’un Anglais ! […] que trente mille chevaliers français sont tombés massacrés sous les haches d’une poignée d’Anglais, Henri V dit ces grandes paroles, aussi peu anglaises que le génie de Shakespeare qui les lui met sur les lèvres : « Ô Dieu !

364. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIe entretien. Poésie lyrique » pp. 161-223

Enfin le patriotisme, cette noble passion de l’homme pour le sol menacé de ses pères, de son berceau, de sa tombe, de ses enfants ; le patriotisme, quand il est poussé jusqu’à l’héroïsme par la terreur de voir ses foyers ravagés, ou par le dévouement des Trois-Cents aux Thermopyles antiques ou aux Thermopyles modernes ; le patriotisme chante comme Tyrtée, comme Rouget de Lisle ou comme Béranger dans quelques-unes de ses odes nationales à la veille des combats ; et, quand une victoire inespérée a sauvé par l’héroïsme, soit une ville de la sédition et de la subversion civiles, soit des frontières de l’invasion, et, avec les frontières, ses toits, ses foyers, ses compagnes, ses vieillards, ses enfants, ses mères, l’armée victorieuse traduit instinctivement en chant sa joie et son cri de salut. […] Ce qui se dit dans cette entrevue entre le petit Didier et le père de sa future on ne peut que le deviner ; mais tout se passa sans doute de bon accord et de bonne grâce, car la nuit était déjà tombée toute noire sur la montagne et sur la vallée que le père et le prétendu, le visage ouvert par la confiance et par la bonne amitié, étaient encore assis chacun sur un coin du banc, la table entre eux deux et la nappe mise devant une bouteille de vin, un morceau de pain et un fromage blanc, pendant que la Jumelle, rappelée du verger, debout et modeste derrière son père, était invitée par lui et résistait longtemps à boire un doigt de vin dans le verre de son fiancé. […] « Et mon verre m’est tombé des doigts ! […] Sa voix, ses larmes, qui tombaient sur le front de son amant, le rappelèrent à la vie. […] Je pouvais voir ainsi tomber à flocons la neige qui recouvrait déjà le toit de la tombe et le cèdre pyramidal qui sert de cyprès à ce tombeau du Nord.

365. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIIe entretien. Trois heureuses journées littéraires » pp. 161-221

La mémoire, c’est la lampe du soir de la vie : quand la nuit tombe autour de nous, quand les beaux soleils du printemps et de l’été se sont couchés derrière un horizon chargé de nuages, l’homme rallume en lui cette lampe nocturne de la mémoire ; il la porte d’une main tremblante tout autour des années aujourd’hui sombres qui composèrent son existence ; il en promène pieusement la lueur sur tous les jours, sur tous les lieux, sur tous les objets qui furent les dates de ses félicités du cœur ou de l’esprit dans de meilleurs temps, et il se console de vivre encore par le bonheur d’avoir vécu. […] Une source intarissable y tombe, avec un suintement sonore et mélancolique, dans un bassin bordé de frênes et de coudriers. […] la nécessité cruelle en a abattu sous la cognée le plus grand nombre ; ils sont tombés en gémissant, moins que mon cœur, de leur chute anticipée ; un beau nuage d’ombre a été balayé avec eux de ce mamelon aux flancs de la vallée. […] Le chêne tombera encore, et le poète aussi. […] On y portait ses livres, ses journaux, ses crayons, ses causeries ; les enfants jouaient à distance sur la pelouse, rapportant de temps en temps à leurs jeunes mères les beaux insectes à cuirasse de bronze et de turquoise sur leur brin d’herbe, ou les nids vides tombés des branches avec leur duvet encore tout chaud du cœur de la mère et de la poitrine des petits envolés.

366. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (3e partie) » pp. 369-430

Tout tombe en quelques mois de ce qui avait été bâti et cimenté par les siècles. […] Il y a des circonstances qui enlacent tous les mouvements d’un homme dans un tel piège que, quelque direction qu’il prenne, il tombe dans la fatalité de ses fautes ou dans celle de ses vertus. […] L’Assemblée se composait par portions inégales de trois éléments : les constitutionnels, parti de la liberté et de la monarchie modérée ; les Girondins, parti du mouvement continué jusqu’à ce que la Révolution tombât dans leurs mains ; les Jacobins, parti du peuple et d’une impitoyable utopie. […] L’objection géographique de Barnave est tombée un an après, devant les prodiges de la France en 1792. […] Quand on est placé si haut, on craint tout ébranlement, car on n’a qu’à perdre ou qu’à tomber.

367. (1857) Cours familier de littérature. III « XVe entretien. Épisode » pp. 161-239

La nuit tombe, ô mon âme ! […] Pourtant le soir qui tombe a des langueurs sereines Que la fin donne à tout, aux bonheurs comme aux peines ; Le linceul même est tiède au cœur enseveli : On a vidé ses yeux de ses dernières larmes, L’âme à son désespoir trouve de tristes charmes Et des bonheurs perdus se sauve dans l’oubli. […] Marguerite pioche le champ de pommes de terre et de sarrasin, ramasse le bois mort pour l’hiver ; elle fait le pain de seigle ; et moi je ne fais rien que ce que vous voyez, ajouta-t-il en laissant tomber ses deux mains sur ses genoux comme un homme oisif. […] Le matin, tout est vif et gai ; à midi, tout baisse ; au soir, tout recommence un moment, mais plus triste et plus court ; puis tout tombe et tout finit. […] Ce chant intérieur tombait peu à peu en approchant davantage.

368. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Waterloo, par M. Thiers (suite) »

Le temps était devenu affreux ; la pluie tombait à torrents ; les chemins étaient inondés, les terres défoncées. […] La pluie tombait toujours à torrents ; l’Empereur s’assura qu’aucun mouvement de retraite ne se prononçait de la part de l’adversaire. […] C’est à regret et à mon corps défendant que je me suis vu forcé de toucher ce point littéraire et de goût, à la fin d’un récit où toute littérature s’oublie et cesse, où ce serait le triomphe de la peinture elle-même de ne point paraître une peinture, où l’histoire doit à peine laisser apercevoir l’historien, et où la page la plus belle, la plus digne du héros tombé et de la patrie vaincue avec lui, ne peut se payer que d’une larme silencieuse.

369. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XIII, les Atrides. »

Le feu consume, avec toi douze enfants des magnanimes Troyens. » Mort à son tour, Achille surgit de sa tombe, et somme l’armée qu’il a fait vaincre de lui livrer sa part du butin. […] Le ciel se faisait sombre autour de cette race ; le trésor des colères divines amassé par elle tomba sur ses fils. […] Vingt mains d’Ombres s’entrelacent à la main qui frappe, et la victime, qui ne voit qu’un glaive tendu sur sa gorge, tombe sous une troupe de fantômes sortis des Enfers pour l’y entraîner.

370. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 2, de la musique rithmique » pp. 20-41

Je tombe d’accord que cela ne pouvoit pas être autrement. […] Comment, repliquera-t-on, la musique rithmique s’y prenoit-elle pour asservir à une même mesure et pour faire tomber en cadence et le comedien qui recitoit et le comedien qui faisoit les gestes ? […] Il faut que celui qui fait les gestes tombe en cadence à la fin de chaque mesure, quoiqu’il lui soit permis de laisser passer quelque temps de cette mesure sans faire aucun geste, et qu’il puisse mettre dans son jeu muet aussi souvent qu’il le veut de ces silences ou de ces repos qui se trouvent rarement dans la partie du recitateur.

371. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre III. Besoin d’institutions nouvelles » pp. 67-85

Je me reportais surtout à cette époque mémorable qui vit tomber le polythéisme au milieu de l’effrayante corruption du peuple romain. […] Ces noires tours couronnées de créneaux doivent tomber. […] Agis mourut pour avoir voulu rendre un instant la vie aux lois antiques de Lycurgue, lois qui firent la gloire et la force de Sparte, mais qui étaient tombées en désuétude.

372. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XV. Mme la Mise de Blocqueville »

Là elle toucha à Chateaubriand et à Sainte-Beuve et s’en mit une goutte dans son verre d’eau claire, où depuis tombèrent des larmes qui firent reprendre au verre d’eau sa limpidité et sa clarté premières… Mme Swetchine, sans sa piété vraie et avec son éducation pédantesque, aurait été un bas-bleu de forte espèce, parfaitement caractérisé, et Mme de Blocqueville tient beaucoup plus d’elle que d’Eugénie de Guérin, sous le charme de laquelle elle se débat un peu, comme elle se débat, mais plus convulsivement, sous la puissance magique de cet enchanteur à poison qui s’appelle Henri Heine, et qui est le péché mignon de la haute Dévote de son livre, — la duchesse Eltha, qui pourrait bien, au fond, n’être qu’une marquise… Mme de Blocqueville a beau assurer dans sa préface, avec des airs oraculaires et mystérieux, qu’Eltha et Lucio, qui se font l’amour tout le temps du livre, ne sont pas des amants et qu’elle ne peut pas en dire davantage. […] Tout bas-bleu qu’elle fût de nature et d’étude, Mme Swetchine, nous l’avons vu, s’arrête à temps toujours, pour ne pas faire tomber son catholicisme dans la fondrière d’indigo où l’auteur des Soirées de la villa des Jasmins a fini par noyer le sien ! […] Je n’en sais rien, mais ce que je sais et ce que je puis garantir, c’est l’ennui, pour hommes et pour femmes, qui tombera sur tout le monde comme une avalanche, de ces deux accablants volumes ; c’est l’horreur qu’on va prendre dans ce crachoir des lectures de toute une vie de bas-bleu, retourné et renversé sur nos têtes, et dont on voudra se laver et s’essuyer au plus vite, n’importe où !

373. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIII. M. Nicolardot. Ménage et Finances de Voltaire » pp. 297-310

Pour ce biographe intelligent, Voltaire n’est pas un dieu tombé dont il veuille expliquer l’empire et le culte abolis. […] Nicolardot qui n’a pas, lui, au cœur, l’indignation sainte de M. de Maistre, et dans sa main le pinceau de feu de ce coloriste inspiré, ce livre froid, méthodique, dur comme le fait qui s’y entasse en grêle coupante, réconciliera certainement les admirateurs de Voltaire avec le foudroyant portrait des Soirées de Saint-Pétersbourg, car il y a pis pour l’honneur de Voltaire que ce supplice en effigie auquel de Maistre l’a cloué, et ce sont les pages bien autrement impitoyables, où on le retrouve descendu, culbuté de son piédestal dans la vie, dans cette vie d’un moment qui passe et qu’on croit oubliée, cette vie qui tombe comme une escarre de notre immortalité historique, quand nous sommes immortels, et que voici ressuscitée et ramenée tout à coup sous le regard, dans ce qu’elle eut de plus chétif, de plus obscur et de plus honteux ! Encore plein des épouvantements de la Méduse de Minerve, le regard tombe rassuré, mais à quel prix ?

374. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Le comte de Gobineau » pp. 67-82

— abrutis et démoralisés, tombaient la face dans la neige, la boue et les excréments de toute une armée sans avoir le cœur de se relever, il était un diplomate : il faisait de la diplomatie contre le désespoir ! […] Il habitait Rome, cet asile des rois tombés qui n’ont plus rien à faire, et se livrent, lazzaroni forcés de la royauté, au far niente du détrônement. Mais lui, lui qui n’était pas un tombé de la littérature, il ne devait pas être le roi fainéant d’un esprit qui voulait agir toujours.

375. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Lacordaire. Conférences de Notre-Dame de Paris » pp. 313-328

Ces machines nerveuses — comme Napoléon disait des Français — aiment les orateurs comme elles aiment le son des trompettes, et, comme des machines et surtout quand elles sont nerveuses, elles aiment les orateurs indépendamment des idées qui tombent de leurs lèvres ou qui s’y allument. […] C’est le propre des peuples qui tombent, de l’éprouver. […] Il pouvait s’enfoncer dans le sanctuaire, dans la solitude, dans l’absence, dans la vie lointaine, dans la tombe… Il a passé.

376. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Funck Brentano. Les Sophistes grecs et les Sophistes contemporains » pp. 401-416

Seulement, il y a des hommes morts (cela s’est vu à Iéna pour les grenadiers russes), qui, morts, ne tombent pas : il faut qu’on les pousse ; et Descartes est encore debout, quoiqu’il soit mortellement frappé… Mais, cartésien ou non, l’auteur des Sophistes grecs et des Sophistes contemporains est, je crois, plus spirituel encore que spiritualiste, et je lui en fais mon compliment. […] Franchement, quand plus de deux mille ans ont passé sur la poussière de telles philosophies, continuées par de telles sophistiques, et que la clarté du Christianisme — la seule vérité qui soit à la portée de l’homme — est tombée du ciel sur cette poussière, quel intérêt y a-t-il pour nous à en compter les grains et à les peser dans les toiles d’araignée du temps ? […] Funck Brentano et qu’il était capable de peindre, que nous allons tomber maintenant ; mais heureuse chute !

377. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Dargaud »

J’oserais presque dire qu’un tel livre est involontaire, et qu’il est tombé du cœur plus que du cerveau, comme un fruit mûr. […] Esprits sans hardiesse, moitiés d’athées qui s’arrêtent, d’horreur ou de lâcheté, dans le déisme, comme déjà Bossuet le leur reprochait dans son temps, ils s’imaginent que la lettre d’une loi religieuse, cette lettre qui prescrit et qui fonde, est un voile destiné à tomber devant l’esprit, et pour cette raison ils la rejettent. […] Les différentes civilisations successives ont si bien secoué l’âme humaine, que tout ce qui n’était qu’à la fleur de sa surface est tombé.

378. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Achille du Clésieux »

Il casserait toutes les baguettes magiques… Lamartine, tout religieux qu’il fût dans les racines même de son être, enivré par les idées amollissantes de ce lâche siècle trébucha et tomba souvent dans un christianisme faux. […] Eh bien, c’est là que par un de ces hasards vulgaires de la vie, le héros de du Clésieux tombe amoureux d’une jeune fille rencontrée au fond des campagnes qu’il habite. […] Il faut avoir le courage amer de le dire : la Famille, telle que le Christianisme l’avait constituée, tombe, se détrempe et se fond dans l’égoïsme universel.

379. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Hector de Saint-Maur »

Quand ses Méditations parurent, après les versifications du xviiie  siècle et de l’Empire, elles semblèrent tomber du ciel. […] Seulement, la rose de Provins qui couronne la Muse de Saint-Maur n’est jamais tombée où celle d’Hégésippe, le Villon moderne, s’est quelquefois salie. […] Il est trop vivant et trop équilibré dans ses facultés, il est trop harmonieux en toutes choses, pour tomber dans cette mélancolie que Saint-Chrysostôme — gai lui-même comme un Saint et qui s’en moquait — appelait si joliment : « le bain du diable ».

380. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Stendhal et Balzac » pp. 1-16

… Mais, pour un livre qui a déjà produit son effet, qui n’a plus sa fleur, qui est tombé peut-être sous le coup de cette indifférence du public dont furent frappés pendant longtemps un si grand nombre de chefs-d’œuvre, pour un pareil livre à reprendre et à relancer, le libraire n’a plus que son appréciation, son sentiment de la valeur de l’ouvrage, sa propre perspicacité. […] Quoiqu’il n’ait pas eu à se plaindre de la destinée autant que bien d’autres, plus grands que leur vie, qui passent lentement, qui passent longtemps, qui vieillissent, leur chef-d’œuvre à la main, sans que les hommes, ces atroces distraits, ces Ménalques de l’égoïsme et de la sottise, daignent leur aumôner un regard ; quoique son sort, matériellement heureux, n’ait ressemblé en rien à celui, par exemple, du plus pur artiste qu’on ait vu depuis André Chénier, de cet Hégésippe Moreau qui a tendu à toute son époque cette divine corbeille de myosotis entrelacés par ses mains athéniennes, comme une sébile de fleurs mouillées de larmes, sans qu’il y soit jamais rien tombé que les siennes et les gouttes du sang de son cœur, Beyle, de son vivant, n’eut pas non plus la part qui revenait aux mérites de sa pensée. […] Giraud, comme Didier, mérite qu’on tienne compte de son courage, ainsi que tout éditeur qui n’aura pas peur de relever un livre de talent tombé ou de soutenir un talent nouveau.

381. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Francis Wey »

Ce genre-là est à peu près tombé, non qu’il fût mauvais, mais faute d’épaules pour le soutenir. […] Pour ma part, j’ai vu le moment où il côtoyait un Christianisme suspect ; mais le pied est d’autant plus sûr qu’on rase l’abime sans y tomber. […] L’auteur a été délicieux dans ces lettres deux fois spirituelles (comme la vie religieuse et comme le monde), où le saint mépris de la contemplatrice tombe de si haut et avec une telle paix sur tous les prosaïsmes de l’existence et du mariage.

382. (1803) Littérature et critique pp. 133-288

Enfin la conversation tomba sur les illuminés. […] sa voix expire, et elle tombe évanouie. […] C’est un lion, un torrent, un orage, un incendie, qui rugit, tombe, ravage, dévore. […] Ainsi, quand les siècles ont passé sur la tombe d’un homme illustre, il doit être plus jugé que loué. […] « Il naît, brille un moment, se précipite et tombe : « La moitié d’un grand siècle est déjà sous la tombe ; « L’autre y penche déjà.

383. (1912) Réflexions sur quelques poètes pp. 6-302

  Un jour, la belle Marie tomba subitement malade et mourut. […] Mais ils valaient surtout par la surprise, qui tombe vite. […] Mais, en même temps, il glisse sur le sol glacé et tombe. […] Celui-ci, qui n’était autre que d’Aubigné, allait souvent au château, et il ne tarda point à tomber amoureux de la fille de Jean Salviati. […] Il continuait à vénérer la mémoire de Ronsard à une époque où ce grand génie était bafoué, ou même complètement tombé dans l’oubli.

384. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe » pp. 81-160

Plus d’une fois le bruit d’une boule qu’on lançait et des quilles qu’elle faisait tomber arrivait sourdement jusqu’à moi. […] Il envoyait de là à ses amis d’Allemagne les drames, les romans, les poèmes, les élégies qui tombaient de sa plume, selon la saison, au vent des sept collines. […] La toile tombe. […] Où il n’est pas, Là est ma tombe ! […] Le soldat tombe frappé à mort sur le seuil de la maison par l’épée de Faust.

385. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier. — Correspondance de Chateaubriand (3e partie) » pp. 161-240

Ce qui se passa dans son âme à cette vue, Dieu seul le sait ; mais ses sens n’eurent pas la force de sa volonté : elle tomba inanimée dans les bras de son amie, qui la reconduisit à son palais, vide désormais de sa plus chère amitié. […] Elle n’approuvait pas les fureurs d’Achille du ministre tombé ; elle avait peut-être à se plaindre aussi de refroidissement dans sa tendresse. […] Ce sont peut-être les seules lettres vraiment pathétiques tombées de son cœur pendant toute sa vie ; dans toutes les autres, comme dans ses Mémoires, il cherche l’apparat et la phrase, tout en feignant de les négliger. […] S’il tombe, peu m’importe ; s’il réussit, en dépit de l’envie et des obstacles, une couronne de plus va bien, et on se range du côté du succès. […] je serai bientôt délivré des dernières ; les premières me suivront-elles dans la tombe ?

386. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIe entretien. Cicéron » pp. 81-159

Depuis longtemps, Catilina, le consul aurait dû t’envoyer à la mort, et faire tomber ta tête sous le glaive dont tu veux nous frapper. […] Combien de fois un hasard imprévu l’en a-t-il fait tomber ! […] Les lieux sacrés eux-mêmes semblent s’être émus en voyant tomber l’impie, et avoir ressaisi le droit d’une juste vengeance. […] Revenu à Rome, il y tomba en pleine guerre civile. […] Quand César tomba sous la conspiration des honnêtes gens de Rome, tels que Brutus, Cassius, Caton, Cicéron se réjouit de leur courage, et se rangea, sans hésiter, de leur parti.

387. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIe entretien. Balzac et ses œuvres (1re partie) » pp. 273-352

Cependant il m’était tombé par aventure sous la main une page ou deux de Balzac, où l’énergie de la vérité et la grandeur de l’accent m’avaient ému fortement. […] Il aima toujours ces jeux en mémoire d’elle ; il s’y rappelait ses paroles, et un de ses gestes retrouvé lui semblait un bonheur arraché à la tombe ! […] « Le voile ne tombe, malheureusement, qu’après l’impression, et, quant aux corrections, il n’y faut pas songer, elles coûteraient plus que le livre. […] » Il tombe dans le découragement, non de lui-même, mais de la fortune. […] que dans la tombe peut-être !

388. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1857 » pp. 163-222

Jeunesse tombée à l’enthousiasme du plat bon sens ! […] Vous ne trouverez plus sur les corps modernes les attitudes grandies et raidies à Rome par la vie à la dure, en beaux gestes longs et tranquilles, en poses héroïques à larges tombées de plis. […] Il nous a semblé tomber dans une bataille de grammairiens du Bas-Empire. […] Pour ma convalescence (d’une crise de foie), comme il va nous tomber 3 000 francs du reste de la vente de notre petit terrage de Breuvannes, nous songeons à les consacrer à l’achèvement de notre salon. […] un fort trou, où on jette des pierres qu’on n’entend pas tomber.

389. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIe entretien. Boileau » pp. 241-326

Mais cette vengeance élevée ne supplicie personne ; elle est anonyme, comme le glaive exterminateur dans les mains de l’ange ; elle ne tombe pas sur des têtes, mais sur des vices. […] Ce poète, sans blesser personne, gourmande les cupides bassesses de ces foules du lendemain qui se précipitent sur tout ce qui tombe, et flétrit les faciles victoires de ces fanfarons d’après coup qui outragent tout ce qui est désarmé. […] Quand le sanglier tombe et roule sur l’arène,         Allons ! […] Il y avait de plus une certaine grâce juvénile et gauloise qui charmait l’esprit sans doute, mais qui tendait trop à faire tomber la langue et la littérature dans une seconde enfance. […] Il y avait plus d’analogie avec Juvénal ; mais, s’il tombait moins bas, le satiriste français s’élevait moins haut que le latin.

390. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXe entretien. Dante. Deuxième partie » pp. 81-160

« Pendant que l’une de ces âmes parlait ainsi, l’autre âme pleurait avec de tels sanglots que je m’évanouis de pitié, comme si j’allais mourir, et je tombai à terre comme un corps mort tombe !  […] ” « Il mourut là, et, de même que tu me vois là devant toi, je vis tomber et mourir successivement les trois autres, un à un, entre le quatrième et le sixième jour. […] » XVI Ailleurs il peint, avec l’énergie laconique de Pascal, la séparation de l’âme et du corps sous le fer d’un assassin : « Et je tombai et ma chair demeura seule !  […] « Qu’un juste châtiment tombe des étoiles sur ta race, et que ce châtiment soit nouveau et évident, afin qu’il fasse trembler ton successeur ! […] Un mot est un bloc taillé en statue, d’un seul geste, par ce sculpteur de paroles ; un coup de pinceau est un tableau vivant, où rien ne manque, parce que l’image frappe, vit et remue sur la toile de ce coloriste d’idées ; chaque pensée tombe proverbe de chaque vers en sortant de cet esprit ou de ce cœur dont le contrecoup, aussi puissant que le coup du balancier sur le métal, frappe en monnaie ou en médaille tout ce qui passe par sa pensée d’airain.

391. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIIe entretien. I. — Une page de mémoires. Comment je suis devenu poète » pp. 365-444

De toutes ses fenêtres le regard tombe ou sur des jardins plantés de bouquets de charmille, ou sur un coteau où les vignes hautes d’Italie sont entrecoupés de larges sillons de culture et d’arbres fruitiers, amandiers, pêchers, aux fleurs précoces, aux feuilles sans ombre, ou sur de vertes prairies fuyantes à l’horizon, dans lesquelles paissent de blanches génisses. […] Dis-moi si tu les vois toutes Folâtrer, comme jadis, Dans l’herbe où tu bois les gouttes Qui tombent du paradis. […] Un autre livre broché en papier de couleur était fermé sous son bras, entre son habit noir et son coude ; on voyait qu’il y pensait malgré lui ; son regard, distrait de ses textes grecs et latins ouverts sur le pupitre de sa chaire, se détournait involontairement et tombait obliquement sur le livre pressé contre son cœur. […] Mais tout à coup la voix tombe, l’oiseau se tait. […] Quand le livre fut fermé, nous nous interrogeâmes les uns les autres sur nos impressions réfléchies ; tout le monde s’écria que c’était le plus beau des livres qui fût jamais tombé sous nos yeux dans le cours de nos lectures. — Et toi ?

392. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — I. » pp. 1-19

nous ne sommes que des comédiens. » N’oublions jamais que, dans cette éloquence si copieuse et si redoublée, chacun des auditeurs trouvait, à cause de cette diversité même d’expressions sur chaque point, la nuance de parole qui lui convenait, l’écho qui répondait à son cœur ; que ce qui nous paraît aujourd’hui prévu et monotone parce que notre œil, comme dans une grande allée, dans une longue avenue, court en un instant d’un bout de la page à l’autre, était alors d’un effet croissant et plus sûr par la continuité même, lorsque tout cela, du haut de la chaire, s’amassait, se suspendait avec lenteur, grossissait en se déroulant, et, ainsi qu’on l’a dit de la parole antique, tombait enfin comme des neiges. […] Il s’applique à montrer qu’il n’y a point de fautes légères, que celui qui méprise les petites choses tombera peu à peu dans les grandes ; il s’adresse alors à son auditeur, il le prend à partie ; il rappelle chacun directement à ses propres souvenirs : « Souvenez-vous d’où vous êtes tombé… » Et ici vient un de ces développements dont j’ai parlé et où se révèle tout l’art de Massillon. « On peut quelquefois, dit Voltaire, entasser des métaphores les unes sur les autres ; mais alors il faut qu’elles soient bien distinguées, et que l’on voie toujours votre objet représenté sous des images différentes. » Et il cite un exemple de Massillon ; il aurait pu aussi bien citer celui qu’on va lire : Souvenez-vous d’où vous êtes tombé ; … remontez à la première origine de vos désordres, vous la trouverez dans les infidélités les plus légères : un sentiment de plaisir négligemment rejeté ; une occasion de péril trop fréquentée ; une liberté douteuse trop souvent prise ; des pratiques de piété omises : la source en est presque imperceptible ; le fleuve, qui en est sorti, a inondé toute la terre de votre cœur : ce fut d’abord ce petit nuage que vit Élie, et qui depuis a couvert tout le ciel de votre âme : ce fut cette pierre légère que Daniel vit descendre de la montagne, et qui, devenue ensuite une masse énorme, a renversé et brisé l’image de Dieu en vous : c’était un petit grain de sénevé, qui depuis a crû comme un grand arbre, et poussé tant de fruits de mort : ce fut un peu de levain, etc.

393. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Recueillements poétiques (1839) »

Dans la sphère religieuse et philosophique, il lui est arrivé de tomber précisément, comme hier tel illustre qui le plaignait est lui-même tombé dans l’enceinte parlementaire : la seule différence est dans la hauteur des questions d’où chacun est tombé[…] … Que les hommes ne jugent pas avec trop de confiance, comme celui qui compte sur les blés aux champs avant qu’ils soient mûrs ; car j’ai vu le buisson, à demi mort et tout glacé pendant l’hiver, se couronner de roses au printemps ; et j’ai vu le vaisseau, qui avait traversé rapidement la mer durant tout le voyage, périr à la fin, juste à l’entrée du port… Celui-là peut se relever, celui-ci peut tomber. » À regarder d’un coup d’œil général le talent et l’œuvre de M. de Lamartine, il semble que le plus haut point de son développement lyrique se trouve dans ses Harmonies.

394. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. PROSPER MÉRIMÉE (Essai sur la Guerre sociale. — Colomba.) » pp. 470-492

Chose plus piquante, irritante même, cette méthode exclusive avait l’air de tomber d’un air de rapidité et d’aisance. […] C’est un caractère dont la clef ne me paraît pas retrouvée : elle est comme tombée à jamais dans ce gouffre du Forum rouvert sous ses pas. […] Le Romain tua le Samnite, puis tomba expirant sur le cadavre du guerrier qu’il venait d’abattre. […] Le dernier chapitre, dans lequel Colomba rencontre à Pise le vieux Barricini mourant, et lui verse à l’oreille un dernier mot de vengeance, a paru à quelques-uns exagéré et tomber clans le roman.

395. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1853 » pp. 31-55

Nous attendions, ainsi que des gens menacés de la justice d’une chambre correctionnelle sous un Empire — nerveux et insomnieux pendant de longues semaines — lorsque dans la fumée de tabac d’une fin de dîner d’amis, tombaient chez nous les assignations. […] Une, deux, trois années de prison tombaient sur des têtes à peine entrevues. […] Une larme tombait parfois sur du bois et cela recommençait. […] Pendant que nous sommes à Veules, un matin, tombe chez les Leroy, Jacques qui vient passer une journée avec nous.

396. (1778) De la littérature et des littérateurs suivi d’un Nouvel examen sur la tragédie françoise pp. -158

Tu es près à chaque instant de tomber dans les plus viles superstitions. […] Elle tombe, dès qu’on la méprise, dit Tacite. […] C’est qu’on a crié miracle avec cet enthousiasme outré qui tombe enfin dans le piége qu’il a préparé aux autres. […] & que son plan descend avec lui dans la tombe. […] C’est à la génération qui va naître, & non à celle qui tombe, que tout Ecrivain Philosophe doit se montrer jaloux de parler.

397. (1874) Premiers lundis. Tome I « Anacréon : Odes, traduites en vers française avec le texte en regard, par H. Veisser-Descombres »

Polycrate mort, il est appelé à Athènes par les fils de Pisistrate ; et quand Hipparque tombe sous les coups d’Harmodius et d’Aristogiton, quand se prépare la délivrance d’Athènes, Anacréon, qui ne croit pas apparemment que les myrtes fleurissent pour cacher des poignards, ni que le plaisir soit le doux enfant de la liberté, s’en retourne bien vite à Téos, d’où il s’enfuit encore à la vue de l’Ionie soulevée contre Darius. […] Déjà, sur le fumier de Villon, au milieu des obscénités de taverne, on aperçoit quelques-unes de ces fleurs qu’on croirait tombées d’une couronne antique Mais dans Clément Marot, dont la muse s’était épurée à la cour de François Ier et de Marguerite de Navarre, la ressemblance devient frappante.

398. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Malaise moral. » pp. 176-183

Vrais ou faux, les bruits qui, ramassés, créeraient des embarras à nos ministres, tombent d’eux-mêmes. […] Mounet-Sully de ne pas réciter les strophes de l’Enfant grec ; ni pourquoi l’offrande, par les étudiants hellènes, d’une couronne à la tombe de Victor Hugo avait dû prendre des airs de cérémonie clandestine.

399. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XIX. Réflexions morales sur la maladie du journal » pp. 232-240

Mais la mauvaise fortune s’abat sur lui, il tombe lourdement, on lit ses comptes, et le journal est aux galères. […] Des feuilles ultramontaines, dûment stipendiées, publient ces petits filets : « Sans doute Gros-Pierre, le secrétaire d’État, est un homme suspect, sinon taré, puisqu’il est de la fripouille démocratique : néanmoins faut-il reconnaître que sous son administration d’utiles réformes s’opèrent au ministère de la Ficelle-Rouge. » Vienne à tomber le cabinet dont Gros-Pierre est un des ornements, un favori nouveau en édifie un autre, et composant son personnel, il se dit : « Conservons toujours Gros-Pierre, puisque les ennemis du pouvoir sont contraints d’avouer sa valeur. » Gros-Pierre garde son portefeuille ; il a bien placé son argent.

400. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Platon, et Aristote. » pp. 33-41

Il se vit enveloppé dans les pièges séduisans de la plus subtile dialectique, & proféra ces paroles qui tombent sur son ancien disciple : Il a rué contre nous, comme un poulain contre sa mère. […] S’empoisonna-t-il alors pour ne pas tomber entre les mains de ses ennemis ?

401. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Joseph Scaliger, et Scioppius. » pp. 139-147

Ce qui surprendra davantage, c’est que, dans un endroit où il se déchaîne le plus contre les jésuites, il finit par dire : Moi Gaspard Scioppius, déjà sur le bord de ma tombe, & prêt à paroître devant le tribunal de Jésus-Christ, pour lui rendre compte de mes œuvres, ai écrit tout cela. […] Ses amis jettèrent des fleurs sur sa tombe.

402. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 25, du jugement des gens du métier » pp. 366-374

Nous avons avancé que les gens du métier étoient encore sujets à tomber dans une autre erreur en formant leur décision. […] Un poëte en peinture tombera dans la même erreur en plaçant au-dessous du médiocre, le tableau qui manquera dans l’ordonnance et dont les expressions seront basses, mais dont le coloris méritera d’être admiré.

403. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Vie de Rancé »

Mais, chez Rancé, le sacrifice fut complet ; le rayon d’en haut ne tomba point seulement, la foudre descendit et dévora l’holocauste ; le front du pénitent, sous la cendre, reste à jamais marqué des stigmates sacrés. […] C’est sur ces entrefaites que la mort de madame de Montbazon (1657) vint lui porter un coup dont on a tant parlé, que l’imagination publique s’est plu à commenter, à charger d’une légende romanesque, comme pour l’histoire d’Abélard et d’Héloïse, et sur lequel lui-même il est demeuré plus muet que la tombe. […] Il n’avait pas moins fallu pourvoir au matériel, relever les bâtiments qui tombaient en ruine, en chasser le bétail et les oiseaux de nuit, refaire les clôtures. […] René, il y a plus de quarante ans, invoquait l’aquilon et les orages qui le devaient enlever comme la feuille du dernier automne ; et ici, toujours le même, voilà qu’il s’est mis à regretter l’aubépine des printemps : « Heureux celui dont la vie est tombée en fleurs !  […] « Le roi de Prusse, l’impératrice de Russie, toutes les grandeurs, toutes les célébrités de la terre reçoivent à genoux, comme un brevet d’immortalité, quelques mots de l’écrivain qui vit mourir Louis XIV, tomber Louis XV et régner Louis XVI, et qui, placé entre le grand roi et le roi martyr, est à lui seul toute l’histoire de France de son temps.

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