/ 3448
64. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier. — Correspondance de Chateaubriand (3e partie) » pp. 161-240

Enfin Rome m’a laissé froid : ses monuments, après ceux d’Athènes, comme je le craignais, m’ont paru grossiers. Ma mémoire des lieux, qui est étonnante et cruelle à la fois, ne m’avait pas laissé oublier une seule pierre. […] Ne vous laissez pas ébranler. […] C’est ainsi que j’accable madame Récamier de lettres et que je laisse la vôtre sans réponse. […] Laissons tout cela.

65. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIIe entretien. Littérature politique. Machiavel (2e partie) » pp. 321-414

Ces princes régnaient sur une peuplade de braves et pauvres Allobroges, laissés comme une alluvion des grandes invasions des peuples du Nord. […] Elle fléchit sous la nécessité, et la république française la laisse végéter humble et soumise à Turin, sous le contrôle d’un proconsul plus que d’un ambassadeur (Ginguené). […] On nous laissa alors de la Savoie la partie militaire nécessaire à notre sécurité. […] J’eus alors connaissance personnelle des efforts faits par les envoyés piémontais et savoyards à Paris pour obtenir de l’Europe la partie de la Savoie que 1814 nous avait laissée. […] Le traité sommaire de Villafranca promettait sur le champ de bataille de laisser l’Italie, étrangère à cette querelle, se reconstituer librement sur un plan fédératif.

66. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (1re partie) » pp. 413-491

En outre, possédé du désir de voyager au-delà des monts, j’évitais avec soin de me laisser surprendre dans quelque lien d’amour. […] Cette fois, je ne voulus pas laisser demander pour moi celle-ci qui assurément ne m’eût pas refusé. […] Que si j’y remarquai aussi des erreurs ou des déclamations, ce sont filles d’inexpérience et non de mauvaise volonté que je voulus également y laisser. […] La cour le traitait en héros digne d’une couronne ; le Dauphin lui-même, père de Louis XVI, lui laissait espérer un autre avenir avec un autre règne. […] Ils occupèrent ce poste pendant plusieurs lieues, et ne revinrent à Florence qu’après avoir laissé la jeune femme à l’abri de tout péril.

67. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIe entretien. Ossian fils de Fingal, (suite) »

Dermid laisse flotter son épaisse et noire chevelure. […] La fleur incline sa tête au souffle du zéphyr, et semble lui dire : « Zéphyr importun, laisse-moi reposer, laisse-moi rafraîchir ma tête dans la rosée du ciel, dont la nuit m’a couverte. […] Il me laisse dans une nuit froide, éternelle. […] Tu n’as point laissé de mère, tu n’as point laissé d’amante pour te pleurer. […] Il laisse sa barque à flot.

68. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Mémoires de Mme Elliot sur la Révolution française, traduits de l’anglais par M. le comte de Baillon » pp. 190-206

Le sien a des caractères qui lui sont propres, entre les diverses relations qu’ont laissées les femmes échappées au glaive de la Terreur. […] Ils le laissèrent alors dans des mains pires que les leurs. » Au nombre des pires, et au premier rang, elle cite Laclos, présent au Palais-Royal dès ce temps-là. […] Gaston, plus avisé, n’y laissait en chemin que l’honneur. […] Jusqu’à ce moment, je m’étais toujours flatté que le duc d’Orléans s’était laissé séduire, et je voyais les choses sous un faux jour ; maintenant, toute illusion était dissipée. […] Je suis l’esclave d’une faction plus que personne en France ; mais laissons ce sujet ; les choses sont au pire. » Il croyait en détournant les yeux du danger, l’ajourner un peu, et il allait, en marchandant le plus qu’il pouvait, et le front de plus en plus bas, à sa perte prévue et certaine.

69. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Le Palais Mazarin, par M. le comte de Laborde, de l’Institut. » pp. 247-265

Dès qu’il vit entrer Beringhen, devinant quelque message, il laissa les cartes à tenir à Bautru et passa dans une chambre voisine. […] Il laissait insensiblement le pouvoir s’avilir entre ses mains. Il en laissait avilir la plus belle prérogative, c’est-à-dire les grâces et les bienfaits ; il savait être illibéral en promettant et quelquefois même en donnant ; il accordait trop visiblement à ceux dont il avait peur, et retenait tout dès qu’il pouvait tout. […] Les mémoires lui laissent la liberté de se livrer à son génie. […] La Porte est un valet de chambre qui a laissé des mémoires, non pas du tout d’un homme d’esprit, mais d’un honnête homme, et il n’y a pas de sots mémoires de valet de chambre pour la postérité.

70. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Les Faux Démétrius. Épisode de l’histoire de Russie, par M. Mérimée » pp. 371-388

Il laissait deux fils ; l’aîné qui lui succéda, Fédor, débile de corps et d’esprit, incapable de régner par lui-même, prit pour Premier ministre ou régent de l’empire un boyard son beau-frère, nommé Boris Godounof, homme ambitieux, habile, et né pour commander. […] Il a vécu en lion, régné eu renard, il meurt comme un chien. » Tel fut le souvenir que laissait à ses contemporains cet homme dont l’administration et le règne contribuèrent puissamment à préparer la grandeur de la Russie. […] Antiquaire, il n’a rien sacrifié de l’exactitude et de la précision de ses notes de voyageur, pour se laisser aller à des descriptions faciles ; romancier, il a scruté et buriné les sentiments du cœur, et les a indifféremment rendus tels qu’il les a observés dans leur crudité ou dans leur délicatesse primitive. […] J’ai quelquefois pensé à ces liens charmants en voyait deux cygnes sur une eau limpide se laisser emporter au courant. […] M. de Musset ne sait bien d’ordinaire que les commencements et les premiers pas ; il se laisse mener par ses amoureux, eux par lui, et tous ensemble, pour s’en être bien trouvés si souvent, ils se plaisent à compter sur ce que leur diront les buissons du chemin.

71. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre troisième »

De ce que la tragédie laissait à désirer après Corneille. […] Dans la comédie, Corneille laissait beaucoup à faire après lui. […] Des scènes moins développées auraient laissé trop à deviner au spectateur ; au théâtre, il importe que nous ayons peu à suppléer. […] De ce que la tragédie de Corneille laissait à désirer. […] Corneille laissait à désirer Racine.

72. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxviiie entretien. Littérature germanique. Les Nibelungen »

Kriemhilt laissait bien voir ainsi son bon vouloir pour eux. […] Je l’ai laissé hors de tout péril, voilà ce que je voulais vous apprendre. […] « Elle dit au guerrier : « Laisse là cette chasse. […] « Il laissa la pique fichée dans le cœur. […] Laissez-moi confier à votre merci ma chère bien-aimée.

73. (1904) Le collier des jours. Souvenirs de ma vie

— Laisse-là, disait tante Lili, elle va avoir des convulsions. […] L’une d’elles, entr’ouverte, laissait échapper un bruit de voix nombreuses. […] Cette fois, je me laissai prendre, piteusement. […] La laisser était encore pire que la quitter. […] Mon père était assez disposé à me laisser rester.

74. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Doyen » pp. 244-247

Ici la composition s’interrompt, et laisse un grand vide au milieu du tableau. […] Laissez entre eux et leur général un peu d’espace, parce que cela convient. […] Laissez votre Andromaque prosternée comme elle l’est, car elle est très bien ; qu’elle saisisse seulement d’une main son fils ou le soldat, comme il vous plaira ; que son autre bras, sa tête, son corps, ses regards, son mouvement, toute son action soient portés vers Ulysse, comme il arrivera, sans y rien changer, lorsque vous aurez écarté ce soldat. […] Surtout laissez dire ces imbéciles qui trouvent étrange que les suivantes paraissent plus affligées que la mère.

75. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Additions et appendice. — Treize lettres inédites de Bernardin de Saint-Pierre. (Article Bernardin de Saint-Pierre, p. 420.) » pp. 515-539

Je prenais mes pistolets ; ils s’enfuyaient et me laissaient seul. […] Je laisse ces spéculations à votre prudence, car je n’entends rien au commerce. […] Cependant je me laisse entraîner au cours universel. […] laissons là les Sarmates et leurs inconstantes beautés. […] [NdA] Je laisse l’incorrection.

76. (1858) Cours familier de littérature. V « Préambule de l’année 1858. À mes lecteurs » pp. 5-29

Est-ce que, pendant le peu de jours où la nécessité, et non l’ambition, nous donna un rôle politique, nous avons abusé des circonstances, de la popularité et de la force, par quelques-uns de ces sévices, contre les partis ou contre les personnes, qui laissent dans les cœurs de justes et implacables ressentiments ? Est-ce que nous avons laissé (comme à Saint-Germain-l’Auxerrois ou à l’archevêché de Paris, en 1830) violer ou saccager le temple, vociférer contre le prêtre, attenter à la libre et inviolable opinion des âmes, la foi ? […] Ce que nous trouvons de plus amer dans les disgrâces de la fortune, c’est précisément d’être contraint à laisser retentir le nom quand l’homme a disparu. […] Vos mépris seront donc un jour des éloges ; laissez-moi les prendre dès aujourd’hui de votre bouche pour ce qu’ils sont. […] C’était aussi le temps où ces jouets de l’âme, Tes romans, s’effeuillaient sur des genoux de femme, Et laissaient à leurs sens, ivres du titre seul, L’indélébile odeur de la fleur du Tilleul !

77. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre I. Publicistes et orateurs »

L’Église, par une fausse manœuvre qui lui a coûté cher, s’était laissé lier aux partis politiques : elle apparaissait comme la grande ennemie de la liberté et de l’égalité. […] Son expérience diplomatique, ses prétentions militaires, son réel patriotisme lui faisaient dénoncer dès 1864 l’imprudence d’un gouvernement qui laissait grandir la Prusse et n’avait pas d’armée. […] Chrétien, mystique, sentimental, il laissait parfois déborder dans son éloquence des effusions un peu troubles ; il n’évitait pas toujours la déclamation ni le pathos, lorsqu’il se laissait aller à son émotion. […] Je laisse son grand rôle dans la guerre de 1870 : l’orateur seul nous appartient. […] On ne le laissa pas gouverner ; et quand il fut mort, on revint peu à peu aux idées pour lesquelles on avait renversé son ministère.

78. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (3e partie) » pp. 161-219

Je n’avais jamais voulu le laisser un instant. […] « En expiation de mes péchés, je laisse à distribuer en aumônes la somme de trois mille écus. […] La vivacité pathétique de ses expressions laisse voir l’ardeur de ses sentiments pour cette jeune et charmante princesse. […] Si vous vous refusez à vous laisser persécuter, vous êtes des factieux ; si vous ne haïssez pas ce qu’ils haïssent, vous êtes des impies. […] Le Pape son ami étant mort, et avec lui son défenseur, il se laissa mourir.

79. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIVe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Il finit par s’allier avec les libéraux et se laissa nommer à l’ambassade de Londres. […] Son travail l’empêcha ainsi de tomber dans la misère, mais le laissa jusqu’à sa mort dans les difficultés de l’existence. […] Voltaire, en disparaissant, laisse l’univers moral en ruine. […] Il laisse un beau livre, mais point de doctrine ; c’est un Jean-Jacques Rousseau retourné. […] Laissez dire et passer les pygmées qui le raillent ou qui le nient.

80. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1888 » pp. 231-328

Ce livre a laissé dans mon cœur une empreinte, qui a grandi en moi, comme l’entaille faite à l’écorce d’un arbre. […] Déjà à propos de la souscription Flaubert, je l’avais trouvé d’une franchise qui laissait à désirer. […] Et il laisse échapper qu’il craint que j’aie noirci Jupillon et adouci Germinie. […] » laisse échapper Porel, sur un ton pas vraiment très amoureux de la poudre. […] et j’ai, un quart d’heure, l’anxiété douloureuse de croire qu’on ne laissera pas finir la pièce… Ah !

81. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite et fin). »

Laissons faire au temps, quand nous n’y serons plus. […] Prenons-les en eux-mêmes, à la source, et non chez ceux qui s’en sont fait une arme de guerre ; laissons au refus son vrai caractère primitif, qui est moins d’opposition que de nature et de tempérament, et qui respire la plus saine énergie morale. […] Je me laisse aller à la nature, qui apparemment le veut ainsi. […] Ne laissons pas, au bout de quelques années, pâlir et s’effacer les nobles mémoires. […] Jouy me laissait faire presque tous les frais de la conversation.

82. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la loi sur la presse »

Je ne parle pas des spirituelles épigrammes qu’elle a values à qui de droit et qui ne laissent pas cependant de porter, quand elles sont justes et bien méritées. […] Laissez-moi vous le dire, vous tous gens de talent, vous avez intérêt à la publicité, à la plus grande publicité. […] Et maintenant, passant d’un excès à l’autre, vous voulez tout net y couper court, n’en rien laisser subsister et faire table rase. […] On ne peut le laisser parler pendant une heure et mettre dans le Moniteur un discours que personne n’a entendu. […] Laissez-moi achever, messieurs ; je crois que ce sera de meilleur goût ; je tiens à avoir mon affront jusqu’au bout, de même que j’ai mon public.

83. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Quitard »

— en quelques mots simples et précis, et laissées dans le torrent des langues qui ont coulé et écumé par-dessus et qui les ont entraînées, mais pas de manière cependant à ce qu’on ne trouve pas, dans le lit de ces langues accrues ou taries, de ces vieilles médailles intellectuelles. […] En ces proverbes, naïfs ou sublimes, brillants ou profonds, moqueurs ou tendres, ils reconnaissaient une pensée, parente de la leur mais moins heureuse, car elle était entrée sans signature dans la mémoire des hommes, et en y restant elle n’y laissait aucun nom ! […] Seulement, si cet esprit, qu’on aime toujours trop, avait laissé beaucoup de mots pareils dans l’histoire, Quitard ne le citerait pas, car ce ne serait plus Rivarol. […] Heureusement pour Rivarol, le mot que cite Quitard ne prouve qu’une chose, assez triste du reste : c’est que le talent le plus héroïquement et le plus fièrement spirituel put se laisser enfiler par une idée vulgaire, comme un grand homme par un goujat ; mais il ne détruit nullement cette certitude : que ce qu’on appelle le bon sens des peuples et des siècles, c’est l’intelligence des grands hommes — ignorés ou connus — qui ont fait tradition et rencontré leur écho. […] J’ai laissé dans son bourbier natal cette phraséologie de la canaille. » Agréable aristocratie !

84. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Des obstacles de bien des sortes donnent un démenti à ce mot toujours… Mais tu vois aussi que la persévérance dans le bien touche toujours la bonté de Dieu qui semble dire à la fin : “Laissez-la faire.” […] À quel point faut-il que je sois pauvre pour te laisser si pauvre ! […] Lui, M. de Chateaubriand et Mme Récamier ont laissé en moi autant de tristesse que de gratitude. » (Lettre de Mme Valmore à son frère, du 8 octobre 1849.) […] Sainte-Beuve de bien près : « (9 avril 1869)… Cette existence si peu connue d’une femme délicate laisse un grand charme. […] que notre chère évanouie laisse loin derrière elle tout ce qui a martelé des vers !

85. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mémoires sur la mort de Louis XV »

Cependant les voitures étaient arrivées, et le roi s’était laissé porter dans son carrosse, se plaignant toujours beaucoup de mal de tête, de maux de reins, de maux de cœur. […] Il voulait suivre le même plan ; mais il avait affaire à gens qui connaissaient toutes ses prétentions, qui se tenaient en garde contre elles, et qui, sans vouloir augmenter leurs droits, étaient déterminés à n’en rien laisser attaquer. […] M. d’Aumont s’occupait aussi de reculer les entrées, c’est-à-dire de ne laisser entrer les personnes qui avaient droit d’entrer dans une chambre que dans celle qui la précédait ; par ce moyen, il laissait libre et sans bruit la salle du conseil, qui précédait immédiatement la chambre du lit, et cet arrangement était raisonnable. […] On mettait la main devant, et on ne laissait arriver les rayons que sur la partie que l’on voulait éclairer. […] Ils disaient cependant encore que la maladie était une fièvre humorale, mais consultaient fréquemment entre eux, et se laissaient voir inquiets.

86. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XV »

Un grand seigneur russe s’est brûlé le peu de cervelle qu’elle lui avait laissé. […] et ils s’éloignent discrètement pour les laisser en tête à tête, au moment voulu ! […] Cette bamboula biographique vous laisse ahuris. […] Et Lionnette le laisse dire, étonnée, plutôt qu’indignée ! […] Et il laisserait impuni ce marché infâme !

87. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLIXe Entretien. L’histoire, ou Hérodote »

Ou laissez-moi la liberté d’aller à cette chasse, ou veuillez, du moins, m’expliquer comment vous croyez me servir en vous y refusant ? […] Le hasard voulut que sa femme, qu’il avait laissée dans les derniers jours d’une grossesse, en atteignît le terme pendant le temps de son voyage. […] Si vous me refusez, les peines que vous avez endurées hier, et d’autres sans nombre, seront votre partage : laissez-vous donc persuader par moi, et devenez libres. […] Il laissa à son lieutenant favori Mégabaze un corps d’armée, composé de trois cent mille Persans d’élite, et de troupes ioniennes auxiliaires, pour conquérir la Grèce. […] Il laissa donc passer quatre jours, espérant que les Grecs se retireraient.

88. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Étienne de La Boétie. L’ami de Montaigne. » pp. 140-161

Il a laissé peu d’écrits, et ces écrits, productions de première jeunesse, ne représentent que très imparfaitement sa forme intime et définitive, et cette supériorité qu’il faut bien lui reconnaître, puisque Montaigne l’a si hautement saluée en lui. Il est curieux pourtant de l’étudier et de chercher à le deviner et à le découvrir dans ce qu’il a laissé. […] Examiné en lui-même, le traité de La Boétie ne laisse pas de soulever plus d’une question et de faire naître plus d’un doute. […] Je n’ai voulu qu’indiquer le seul coin par où l’admirable chapitre des Essais laisse à désirer et à redire. […] Je laisse ce point à discuter à M. le docteur Payen, dans un travail supplémentaire que je sais qu’il prépare.

89. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — II. (Fin.) » pp. 109-130

Pour ce sauvage qui n’a pas l’idée de la beauté, qui ne compare pas, dont une continuelle rivalité sociale n’entretient ni n’exalte l’imagination, rien de pareil n’existe, et « l’instant rapide du plaisir, selon l’heureuse expression de M. de Meilhan, est pour lui une flèche décochée dans l’air, et qui ne laisse aucune trace ». […] Je me suis laissé aller à développer cette idée de M. de Meilhan, qui n’est pas celle de tout le monde. […] M. de Meilhan, qui a tracé les portraits de tant de personnages, en a laissé un de lui. […] En attendant, laissons faire et dire bien des sottises autour de nous : ce n’en est pas une de nous être si amicalement et tendrement attachés l’un à l’autre pour toute notre vie. […] Combien de ceux-là qui tenaient dans le monde et la société de leur temps une grande place n’ont pas même laissé un nom !

90. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — I. » pp. 235-256

Sa destinée divine, comme il l’appelle, lui semblait douce et belle si on l’eût laissé faire ; mais les obstacles ici-bas n’ont jamais manqué. […] Je ne crois pas qu’il soit possible de laisser faire à quelqu’un un pas plus gauche que celui que je fis en entrant dans cette carrière. […] Une crainte tout à fait puérile donna à Saint-Martin la force de déterminer son père à le laisser quitter la charge que des considérations de famille lui avaient fait prendre. […] La personne qui était en tiers avec nous ne me laissait pas assez libre sur mon vrai sérieux pour que je le fusse aussi sur ma vraie gaieté ; mais cela n’est point une excuse. […] Mais son âge et sa surdité étaient de trop puissants obstacles, et je l’ai laissé là.

91. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Benjamin Constant. Son cours de politique constitutionnelle, ou collection de ses divers écrits et brochures avec une introduction et des notes, par M. Laboulaye »

Laboulaye, l’estimable introducteur et commentateur, qui se plaît à retrouver dans ces écrits ses principes et sa propre doctrine, est un homme de l’école américaine, à prendre le mot dans le meilleur sens ; il est sincèrement d’avis que la liberté en tout, le laisser dire, le laisser faire, le laisser passer, est chose efficace et salutaire ; qu’en matière de religion, d’enseignement, de presse, d’industrie et de commerce, en tout, la liberté la plus entière amènerait les résultats en définitive les meilleurs, et que le bien l’emporterait sur le mal ; il pense que cela est également vrai chez toute nation civilisée et à tous les moments. […] Je n’ai nulle envie de diminuer un esprit éminent, ni de dénigrer un homme dont le caractère, malgré ses fragilités fréquentes, laissait voir au fond l’humanité et même la débonnaireté. […] C’est un ouvrage qui laisse une impression pénible, mais très en harmonie avec l’état où l’on est quand on n’aime plus, état peut-être le plus désagréable qu’il y ait au monde, excepté celui d’être amoureux. […] Tous deux laissent prendre dans leur vie publique une trop grande part, et trop visible, à l’influence des femmes ; mais Chateaubriand, tout en y cédant, les dévore, et Benjamin Constant, des deux, est le plus entraîné et le plus mené. […] Ce calcul journalier, qui fait d’une feuille un revenu, qui suppute les souscriptions, qui établit une rétribution pécuniaire, si positive et si détaillée, entre le lecteur dont on flatte l’opinion, et l’écrivain qui la flatte, ne laisse ni le temps ni l’indépendance que demande la composition d’ouvrages utiles.

92. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE PONTIVY » pp. 492-514

Cette pensée ne laissait pourtant pas d’être une épine cachée. […] Elle n’y résistait pas, et s’en laissait entourer, réservant seulement en son sein l’affection profonde. « Oh ! […] Elle me laisse vide et désert au prix des précédentes douceurs. […]Laissez-moi faire, ô mon amie ! […] Son ardeur, à elle, laissait les nuances ; ses lueurs, à lui, allaient à l’ardeur.

93. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Broglie. » pp. 376-398

En abordant toutefois ce genre d’esquisse, j’ai voulu commencer par un sujet tout à fait sûr, et me prendre à quelqu’un qui ne laissât guère lieu à une diversité de jugements. […] Autant qu’un autre, je sais que, surtout à l’issue des grandes commotions politiques, la prudence conseille de n’en pas frapper incessamment l’oreille des peuples, et de le laisser enseveli sous un voile que la nécessité seule ait le droit de soulever. […] Venu l’un des derniers dans cette discussion mémorable, M. de Broglie y laisse à son tour des traces lumineuses. […] On nous a tirés d’un extrême ; nous ne nous laisserons point jeter dans l’extrême opposé ; on nous a dégagés de mille et mille petites préventions ; nous ne nous laisserons point emmailloter dans des préventions d’une autre nature. […] Guizot, lequel en a trop peu profité : « Gouvernez votre ministère et la Chambre, lui écrivait-il de Coppet en 1844, ou laissez-les se tirer d’affaire.

94. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIV. »

Laisse-moi regarder ton éclatante lumière ; et que mon âme, saisie d’un pur enthousiasme, soit digne de te contempler ! […] J’en aimais le péril ; mais la colère de l’Océan n’a pas laissé dans mon âme l’impression que me fait ta grandeur. […] Laisse, laisse au monde ce sépulcre isolé, austère, où le destin rigoureux garde le colosse de l’ambition et de l’orgueil, entre des roches arides et désertes, tandis que la mer, avec un bruissement confus, vient briser à ses pieds les vagues écumantes. « Laisse-le là. […] Laisse-le là !

95. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre I. De la sagesse philosophique que l’on a attribuée à Homère » pp. 252-257

Passons-lui donc d’avoir présenté la force comme la mesure de la grandeur des dieux ; laissons Jupiter démontrer, par la force avec laquelle il enlèverait la grande chaîne de la fable, qu’il est le roi des dieux et des hommes ; laissons Diomède, secondé par Minerve, blesser Vénus et Mars ; la chose n’a rien d’invraisemblable dans un pareil système ; laissons Minerve, dans le combat des dieux, dépouiller Vénus et frapper Mars d’un coup de pierre, ce qui peut faire juger si elle était la déesse de la philosophie dans la croyance vulgaire ; passons encore au poète de nous avoir rappelé fidèlement l’usage d’empoisonner les flèches 83, comme le fait le héros de l’Odyssée, qui va exprès à Éphyre pour y trouver des herbes vénéneuses ; l’usage enfin de ne point ensevelir les ennemis tués dans les combats, mais de les laisser pour être la pâture des chiens et des vautours.

96. (1856) Jonathan Swift, sa vie et ses œuvres pp. 5-62

Il s’y décida et parut bientôt devant le spirituel vieillard qui, abrité à Sheen, laissait s’accomplir et se consolider la révolution de 1688. […] Pourquoi de 1722 à 1728, laissa-t-il six cruelles années s’écouler, et conduire pas à pas Stella vers la mort ? […] Laissez la religion vous les fournir. […] Sa Majesté, selon la loi, a laissé le champ libre à Wood et au royaume d’Irlande. […] Les deux récits qui nous sont laissés de sa mort sont tous deux aussi déchirants et aussi accablants l’un que l’autre pour la mémoire de Swift.

97. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Feuilles d’automne » (1831) »

Il laisse donc aller ce livre à sa destinée, quelle qu’elle soit, liber, ibis in urbem , et demain il se tournera d’un autre côté. […] Ce sont enfin, sur la vanité des projets et des espérances, sur l’amour à vingt ans, sur l’amour à trente ans, sur ce qu’il y a de triste dans le bonheur, sur cette infinité de choses douloureuses dont se composent nos années, ce sont de ces élégies comme le cœur du poëte en laisse sans cesse écouler par toutes les fêlures que lui font les secousses de la vie. […] Cependant, dans la position indépendante, désintéressée et laborieuse où l’auteur a voulu rester, dégagé de toute haine comme de toute reconnaissance politique, ne devant rien à aucun de ceux qui sont puissants aujourd’hui, prêt à se laisser reprendre tout ce qu’on aurait pu lui laisser par indifférence ou par oubli, il croit avoir le droit de dire d’avance que ses vers seront ceux d’un homme honnête, simple et sérieux, qui veut toute liberté, toute amélioration, tout progrès, et en même temps toute précaution, tout ménagement et toute mesure ; qui n’a plus, il est vrai, la même opinion qu’il y a dix ans sur ces choses variables qui constituent les questions politiques, mais qui, dans ses changements de conviction, s’est toujours laissé conseiller par sa conscience, jamais par son intérêt.

98. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre IX. »

On remarque encore que les seuls chants d’Anacréon parvenus jusqu’à nous n’ont été nulle part imités par Horace, ce qui laisse douter si ce sont les mêmes qu’on connaissait à Rome, et si nous n’avons pas seulement l’œuvre d’une époque plus récente, et la tradition affaiblie plutôt que l’inspiration du vieillard de Téos. […] Voilà bien de quoi laisser à l’ancien Anacréon quelques petites pièces du recueil posthume : il en est digne, s’il ne les a pas faites. […] Mais tout cela, renommée vulgaire à part, nous laisse bien loin du charme poétique réveillé par le nom du vieillard de Téos. Un autre poëte lyrique, d’un nom plus grave, tromperait moins notre espérance, si le temps nous avait laissé de son heureux génie quelques parcelles de plus. […] Cette épitaphe de vaillants hommes, ni la rouille ni le temps destructeur n’en éteindra l’éclat : cette tombe a réuni la renommée des enfants de la Grèce ; Léonidas l’atteste, le roi de Sparte, qui a transmis au monde un grand exemple de vertu, une gloire impérissable. » Ailleurs, sur ce même sujet, et faisant parler les Spartiates eux-mêmes, il disait100 : « Nous, les trois cents, pour Sparte, notre patrie, engagés contre les nombreux enfants d’Inachus, à l’entrée de la Grèce, sans tourner la tête, là où nous avions une fois empreint la trace de nos pas, nous avons laissé notre vie.

99. (1885) Le romantisme des classiques (4e éd.)

Il a paru préférable de les laisser, à peu de chose près, telles qu’elles étaient venues. […] Faut-il laisser un affront impuni ? […] Laisse-moi prendre haleine afin de te louer. […] Fuyez, et laissez-les déplorer leurs malheurs ! […] … J’ai laissé, en chemin, d’autres menteries.

100. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le marquis de la Fare, ou un paresseux. » pp. 389-408

La Fare ne se sépare guère de Chaulieu, et si on lit encore quelques-uns de ses vers légers, ce n’est guère qu’à la suite de ceux de son ami : il mérite pourtant une considération à part ; il a une physionomie très marquée ; il laisse même à qui l’étudie une impression toute autre que celle que l’on reçoit de la rencontre de Chaulieu. […] Il sent bien que ce qui a porté l’autorité royale au point où il la voit élevée, ça été précisément l’abaissement qu’elle avait souffert au siècle précédent et le souvenir laissé par les guerres civiles : et s’il y a eu sous Louis XIV cette recrudescence d’effort et de zèle monarchique, ça été au ressentiment récent de la Fronde qu’on le doit. […] N’usons point tant de périphrases ; ne nous laissons point abuser par quelques jolis vers galants de La Fare à Mme de Caylus, qui nous donneraient le change sur son train de vie, et osons montrer le mal final tel qu’il n’y a pas lieu de le déguiser. […] [NdA] Je laisse la prose de l’abbé de Chaulieu dans toutes les grâces de ton négligé et de son incorrection, si grâces il y a. […] [1re éd.] laissez les années venir

101. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Le mariage du duc Pompée : par M. le comte d’Alton-Shée »

Il y a quelques mois (le 15 décembre dernier) la Revue des Deux Mondes insérait cette comédie ou étude dramatique qui a été lue avec intérêt, dont se sont occupés quelques critiques compétents et qui m’a laissé un agréable souvenir. […] Noirmont n’a garde d’y prêter la main ; il n’est pas homme à se laisser donner le change : quand le diable se mêle de faire l’ange gardien, il y voit plus clair qu’un autre et perce à jour toutes les malices. […] M. d’Alton-Shée, par la bouche de sa Pompéa, nous a laissé à sa manière son tableau de Couture, L’autre jour, à propos de la Vérité dans le vin, cette jolie comédie de Collé, je parlais de ces œuvres d’esprit qui sont des témoins d’un temps et qui marquent une date dans l’histoire des mœurs et des plaisirs. […] Dans cette course à vol d’oiseau sur les folies du passé, on laisserait bien vite avec dégoût ce qui n’est que bruit, étourdissement et débauche vulgaire ; on glisserait, comme un Hamilton l’eût pu faire, sur la cime des choses, on n’en prendrait que la fleur, — assez pour la reconnaître, rien de plus. […] Il n’y a qu’un remède et qu’une garantie contre le don juanisme quand il commence à battre en retraite, c’est de ne lui laisser ni paix ni trêve, pas une minute, pas un espace pour respirer.

102. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

N’employons pas de si grands mots, laissons de côté ces généreux sentiments qui n’ont que faire en un tel sujet ; bornons-nous au vrai. […] Il n’est pas à croire que Talleyrand ait fait autre chose dans l’intervalle que voir venir, laisser faire, prendre patience : il n’était pas homme à devancer l’heure. […] Si Talleyrand est pour quelque chose dans cette opinion de laisser l’impératrice à Paris, dans le cas où l’ennemi s’en approcherait, c’est trahir. […] Il ne convient pas à tout le monde de se laisser engloutir sous les ruines de cet édifice. […] Que dirait-il d’un autre s’il s’était laissé mettre dans cet état ? 

103. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le duc d’Antin ou le parfait courtisan. » pp. 479-498

Je me laissai donc aller à l’amour des grandeurs ; le penser m’en parut doux, j’y rêvais seul quelquefois, et faisais avec mes femmes mille châteaux en Espagne, qui commençaient, sans que je fusse en état de m’en apercevoir, l’esclavage de mon cœur et de mon esprit. […] Je suis bien persuadé que, malgré toutes mes résolutions et mes chagrins, je cherchais à les trouver telles. » Les compliments, les assurances de services qui lui pleuvent de toutes parts, lui sont un prétexte ; tout conspire avec son secret désir ; il se laisse reprendre plus que jamais au train de la Cour. […] Mansart, sans commettre de malversation, avait laissé s’introduire des désordres : d’Antin établit une comptabilité plus exacte : Personne, dit-il, n’était payé dans les Bâtiments, les ouvriers maltraités ; les trésoriers, les maîtres soutenant qu’ils étaient en avance de quatre ou cinq cent mille francs chacun. […] — Le duc d’Orléans le choisit toutefois pour entrer dans le nouveau gouvernement, et d’Antin, qui ne savait pas dire non à celui qui régnait, se laissa faire. […] — J’ai pensé qu’on ne lirait pas sans intérêt cette analyse imprévue que nous a permis de faire de son caractère intime et de sa nature si particulière, le plus assidu, le plus raffiné courtisan de Louis XIV, celui qui, par une convenance heureuse, a mérité de laisser son nom au plus élégant des quartiers de Paris.

104. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — I. » pp. 186-205

Il y a dans la littérature le domaine de l’imagination, les talents poétiques proprement dits, qui ont en eux un don de création et de génie ; ceux-là ne se suscitent point à volonté : Dieu et la nature y pourvoient ; il faut les laisser naître. […] Au milieu des jugements divers et contradictoires, plus souvent rigoureux qu’indulgents, qu’a provoqués la littérature de l’ancien Empire, la critique d’alors a toujours été exceptée, et elle a laissé une tradition de haute estime. […] Il nous a laissé une idée riante de son enfance au sein d’une famille unie et tendre ; il avait un frère et deux sœurs ; ayant perdu sa mère de bonne heure, il retrouva dans son père une affection toute maternelle. […] Plus d’un antiquaire est impitoyable et ne se laisse pas fléchir ; Barthélemy en est réduit à employer des trames d’Ulysse. […] Voulant montrer que, parmi les différentes sortes d’esprits, celui de saillie et de légèreté est le plus opposé à l’amitié : Elle s’accommoderait mieux, ajoute-t-il, de cet esprit fin et délicat qui semble ne s’exprimer que pour plaire, et qui laisse entrevoir plus qu’il n’exprime.

105. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le cardinal de Richelieu. Ses Lettres, instructions et papiers d’État. Publiés dans la Collection des documents historiques, par M. Avenel. — Premier volume, 1853. — II. (Fin.) » pp. 246-265

Cela dit, et les objections écartées, je reprends Richelieu au point où je l’ai laissé la dernière fois, et je veux le suivre encore en m’aidant de la publication de M.  […] On entrevoit même, dans ce temps si court, son intention précise de relever la France au-dehors et de ne pas la laisser déchoir non plus de ce rôle et de ce titre d’arbitre de la chrétienté que Henri IV avait acquis à la couronne. […] Cependant les années qui suivent le laissent encore dans une situation secondaire, et où il a besoin de toute son insinuation, de sa souplesse et de sa patience. […] Nous le laisserons régner ; mais il nous serait essentiel, pour ne pas rester trop au-dessous de notre idée, de pouvoir dire quelque chose encore de ce Testament politique où il a déposé, sous une forme un peu sentencieuse, le résumé de son expérience et l’idéal de sa doctrine. […] Il y a beaucoup à craindre des esprits dont la vivacité est accompagnée de peu de jugement, et, quand ceux qui excellent en la partie judiciaire n’auraient pas une grande étendue, ils ne laisseraient pas de pouvoir être utiles aux États.

106. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Madame de Verdelin  »

Peu de jours après, l’ami nous ayant laissés seuls, je vis son visage prendre l’air austère, son esprit cherchant tous les lieux communs pour fournir à la conversation. […] Us sont beaux ; on ne leur a pas ôté une feuille ; tout est comme vous l’avez laissé ; vos fleurs montent, montent et vont, sans treillage, donner du couvert. […] M. de Margency ne m’a écrit ni fait écrire ; je n’ai de ses nouvelles ni directement ni indirectement ; et quoique nos anciennes liaisons m’aient laissé de l’attachement pour lui, je n’ai eu nul égard à son intérêt dans ce que je viens de vous dire : mais moi, que vous laissâtes lire dans votre cœur, et qui en vis si bien la tendresse et l’honnêteté, moi, qui quelquefois vis couler vos larmes, je n’ai point oublié l’impression qu’elles m’ont faite, et je ne suis pas sans crainte sur celle qu’elles ont pu vous laisser. […] J’ai dit que je voulais le laisser dans votre bourse jusqu’à mon premier besoin, et qu’il ne viendrait jamais assez tôt pour le plaisir que j’aurais à recevoir de vous de quoi y pourvoir. […] Est-il possible que personne n’en veuille laisser jouir un homme qui ne troubla jamais celui de personne ! 

107. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe » pp. 81-160

Et cette robe courte qui laisse entrevoir ses pieds fugitifs ! […] Je t’en supplie, laisse-moi tout seul. […] Laissez un peu ! […] Oui, céleste enfant ; laisse la voix d’une fleur être pour nous l’oracle de Dieu ! […] Laissons cela, mon enfant !

108. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) «  Chapitre treizième.  »

Bien que la foi ne lui laisse aucune incertitude sur le sens de ce grand changement, il ne laisse pas de s’étonner, avec la simplicité populaire, de la soudaineté de son arrivée. […] Mais, là encore, Bossuet ne se laisse pas entraîner hors de son bon sens. […] Le besoin du moment, les devoirs périodiques du saint ministère ne lui laissent pas le choix des sujets. […] La première laisse quelque étourdissement. […] Ce qui s’explique moins aisément, c’est que Fénelon se fût laissé prendre aux illusions de cette femme.

109. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal du marquis de Dangeau — I » pp. 1-17

« La noblesse, Dangeau, n’est pas une chimère », nous en a laissé l’idée dès l’enfance. […] Il meuble insensiblement tous les coins de notre idée sans y laisser de vide. […] Dangeau possédait cette algèbre rapide qu’on appelle l’esprit du jeu ; il gagnait presque à coup sûr et sans que cette attention intérieure l’empêchât d’être à la conversation et de paraître aimable : tout en combinant et en gagnant, il ne laissait pas de divertir les reines et d’égayer leur perte. […] Laissons donc Dangeau dresser son procès-verbal comme il l’entend, prenons ses carnets comme ils sont : à nous de faire le choix et de raisonner après coup. […] Une fois, à Marly, lundi 23 septembre, « Mme de Montespan dit au roi, l’après-dînée, qu’elle avait une grâce à lui demander durant le séjour de Marly, qui était de lui laisser le soin d’entretenir les gens du second carrosse et de divertir l’antichambre. » C’était une ironie sous forme de gaieté : elle jouait sur sa disgrâce.

110. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — III » pp. 476-491

Voltaire est un de ceux sur lesquels Mme de Créqui a laissé le plus au net son jugement, et l’on saisit bien les deux principes, les deux termes contraires qu’elle y fait entrer et qu’elle y maintient en présence. […] Il est à regretter qu’elle n’ait pas également laissé son opinion sur Rousseau qu’elle avait si bien connu, et que ce qu’elle en disait ne soit point arrivé jusqu’à nous. […] Il n’y aurait plus, en sortant de là, qu’à enterrer le personnage ainsi laissé sur le carreau. […] Je sais bien que justement c’est un reproche, et un reproche fondé à faire à cette aimable société, que ce manque d’aplomb moral qui laissait un vague dangereux à la vertu ; mais n’était-ce pas là l’esprit général du siècle, et n’est-ce pas là la source de tous les maux qui ont ensanglanté notre pays après l’avoir bouleversé ? […] [1re éd.] et qui laisse sa trace.

111. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Les deux Tartuffe. » pp. 338-363

Il a laissé dans le rôle un long souvenir de succès… « Avec des regards lubriques, des gestes à l’avenant, il forçait Elmire, en plein théâtre, à subir des grossièretés qu’il serait répugnant d’indiquer. […] Si Phérécide passe pour être guéri des femmes, ou Phérénice pour être fidèle à son mari, ce leur est assez : laissez les jouer un jeu ruineux, faire perdre leurs créanciers, se réjouir du malheur d’autrui et en profiter, idolâtrer les grands, mépriser les petits, s’enivrer de leur propre mérite, sécher d’envie, mentir, médire, cabaler, nuire : c’est leur état. » À plus forte raison laissez-les manger à leur appétit et boire à leur soif, et un peu au-delà. […] Et ces mots : « À mes yeux, il allait le répandre », peuvent bien nous faire sourire : là où nous voyons l’ostentation du personnage, Orgon n’a vu que son ombrageuse délicatesse… Oui, je conçois de plus en plus qu’il se soit laissé prendre. […] Brunetière qui veut que la poésie lyrique de notre siècle ne soit que l’éloquence de la chaire transformée… En tout cas, il y a ici dans les discours de l’ardent gredin une grâce, équivoque sans doute, mais qui ne laisse pas d’être enveloppante, et une flamme trouble, mais chaude. […] Quant au petit cours de casuistique que Tartuffe fait à Elmire, dans leur second tête-à-tête, pour lever les scrupules qu’elle lui laisse voir, il n’est point si étrange, ni si propre à estomaquer cette jeune femme, qu’il semblerait au premier moment.

112. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Madame, duchesse d’Orléans. (D’après les Mémoires de Cosnac.) » pp. 305-321

Mais je laisse vite cet aperçu et ce présage qui serait un anachronisme en ce qui est de Madame et du charme tout idéal des commencements (1661). […] Il faut rendre à Cosnac cette justice qu’il ne s’y laissa point éblouir, et qu’il vit surtout dans cette idée ce que nous y voyons aujourd’hui, un haut témoignage de l’estime de Madame : « Quelque ambitieux qu’on m’ait cru dans le monde, je puis dire avec sincérité que ce qui me flattait le plus dans cette lettre, c’était d’y voir l’augmentation de l’amitié de Madame. […] Elle regarda Mme de La Fayette présente avec un mélange de pitié et de souffrance ; puis se retournant vers le capucin : « Laissez parler M.  […] Elle mêlait dans toute sa conversation une douceur qu’on ne trouvait point dans toutes les autres personnes royales : ce n’est pas qu’elle eût moins de majesté, mais elle en savait user d’une manière plus facile et plus touchante, de sorte qu’avec tant de qualités toutes divines, elle ne laissait pas d’être la plus humaine du monde. On eût dit qu’elle s’appropriait les cœurs au lieu de les laisser en commun, et c’est ce qui a aisément donné sujet de croire qu’elle était bien aise de plaire à tout le monde et d’engager toutes sortes de personnes.

113. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — II. (Suite.) » pp. 149-166

Ce dernier mot, à peine, qui semblait laisser une légère lueur d’espérance, était, à la date de 1776, une pure politesse. […] Dans les intervalles de loisir que lui laissaient les incidents prolongés et les lenteurs de sa mission, il cultivait les sciences et les savants. […] Job, David, Bossuet, le vieil Haendel et Milton, dépassent Franklin ; ou plutôt, chef et introducteur zélé de la race rivale et positive, si vous le laissez faire, il va vouloir doucement les obliger à compter avec lui. […] En pareil cas, il aimait à laisser à ses adversaires la responsabilité de l’acte par lequel on le frappait. Cette scène devant le Conseil privé laissa une impression profonde dans l’âme de Franklin.

114. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Jules Soury. Jésus et les Évangiles » pp. 251-264

Soury toute une légion d’honnêtes esprits, qui vont se laisser imposer d’autant plus par le galimatias scientifique qu’ils sont incapables d’en comprendre un mot. […] la proportion était gardée… Mais laissons ces insanités et ces fétidités nauséabondes. […] On pourrait le laisser perdu, noyé, imperceptible, presque invisible, dans son coin de littérature et de société, il n’est pas si grand qu’on l’y aperçoive ! On l’y laisserait sans lui répondre, et même on ne l’entendrait pas. […] On peut très bien le laisser croupir, sans le remuer, dans son matérialisme purulent et dans son paganisme arriéré et stupide.

115. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXV. Avenir de la poésie lyrique. »

Ces belles contrées entre le Danube et la côte d’Asie seront laissées aux races chrétiennes ; Sainte-Sophie sera redevenue chrétienne ; cette ville de Constantinople, cette entrée orientale de l’Europe lâchement livrée aux Turcs il y a quatre siècles, conquise de leurs mains par droit de massacre, restée désormais sous leur joug par droit de stupidité, d’après ce titre d’être la nation la plus propre à posséder inutilement un grand empire, sera rendue à la fédération chrétienne d’Europe. […] L’Asie Mineure est une autre Amérique, à la porte de l’Europe. » Et ce grand esprit, qui n’avait pas dédaigné de tracer le modèle d’un travail de statistique usuel pour Paris, mais qui, dans sa profonde science mathématique, gardait et laissait voir un instinct d’élévation morale, était inépuisable dans ce qu’il disait alors de cette renaissance d’un monde oriental annexé à l’Europe et gouverné par ses arts et son humanité. […] Mais la liberté, qui permet bien des erreurs et bien des abus, a du moins ce salutaire effet de ne point les laisser en repos, de les inquiéter sans cesse par la contradiction et le blâme, de soulever au besoin contre eux la conscience humaine, et, tôt ou tard, de corriger la loi par l’instinct moral. […] Quand un idiome a vieilli sur son sol natal, ou que, défiguré dans son passage sous un ciel nouveau, il a perdu l’instinct délicat de sa forme première, sa grâce ou son énergie ; qu’il n’est plus en rapport avec le monde troublé et nouveau dont il est entouré, il n’importe : l’éclair de l’esprit, l’émotion de l’âme se fait jour par toute voie laissée à l’intelligence ; et le génie de l’architecte brille encore dans l’imperfection des matériaux mutilés ou à peine dégrossis qu’il emploie. […] Cette puissance de création littéraire enfin, qui manque encore à l’Amérique, sera-t-elle longtemps attardée et comme étouffée sous le poids du progrès actif de tous et du mouvement de chaque jour, par un effet presque analogue à cette loi de la discipline et du grand nombre, qui, dans la masse des immenses armées modernes et leurs efforts savamment simultanés sous les feux qu’elles bravent, laisse moins entrevoir la part de l’héroïsme et de l’inspiration individuelle ?

116. (1894) Écrivains d’aujourd’hui

Tout au plus peut on dire qu’il se laissent aimer. […] C’est chez lui une indolence et une mollesse naturelles, une paresse voluptueuse, un goût presque sensuel de se laisser aller et de se laisser vivre. […] Encore s’ils se contentaient de laisser parler les faits ! […] Il se laisse emporter. […] Ils ne laissent point de place à l’initiative individuelle.

117. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Conclusion. Le passé et le présent. » pp. 424-475

Ce qui s’est développé ce sont les mœurs énergiques et militaires ; ce qui a régné, c’est l’esprit actif et positif ; ils ont laissé les lettres et les élégances aux nobles francisés de la cour. […] Dernièrement sur la grande place, dans le plus bel hôtel, cinq journées durant, il a fallu laisser le gaz allumé. […] Les gouttes d’eau roulantes luisent sur les feuilles comme des perles ; les têtes rondes des arbres, les larges feuillages étalés chuchotent sous la brise faible, et le bruit des larmes laissées par la dernière ondée est incessant sur leur pyramide. […] Prenons le jour où le silence des affaires laisse aux aspirations désintéressées un libre champ. […] Là où un Anglais gagne vingt shillings par semaine et ne peut que vivre, un Hollandais devient riche et laisse ses enfants dans une très-bonne position.

118. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIe entretien. Molière et Shakespeare »

Il laisse la bride de ses chevaux et il tente quelques farces grossières qui font rire la taverne. […] Shakespeare autant que Dante laisse entrevoir l’horizon crépusculaire de la conjecture. […] digne thane, vous laissez votre noble courage se relâcher jusqu’à ces rêveries d’un cerveau malade ? […] garde-toi de Macduff ; garde-toi du thane de Fife. — Laissez-moi partir. — C’est assez. […] Le projet trop lent laisse tout échapper si l’action ne marche pas avec lui.

119. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre X : De la succession géologique des êtres organisés »

Cela n’empêche pas qu’elle peut laisser, et laisse en réalité subsister un nombre considérable d’êtres d’une structure simple et peu développée, mais parfaitement adaptés néanmoins à de simples conditions de vie. […] Ce procédé, pendant qu’il laisse l’embryon sans changements, accumule continuellement, durant une longue série de générations successives, des différences de plus en plus grandes chez l’adulte. […] Ces représentants gigantesques du même ordre se sont complétement éteints sans laisser de descendants modifiés. […] Les sept autres espèces comprises dans les anciens genres ont dû périr sans laisser de postérité. […] Les espèces dominantes des groupes les plus considérables tendent à laisser un grand nombre de descendants modifiés ; d’où il résulte que de nouveaux groupes se forment peu à peu à l’aide de leurs modifications divergentes.

120. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxiiie entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff »

Arcadi Pavlitch lui laissa le temps de la couvrir de baisers et monta l’escalier. […] — cria de loin le meunier ; celle-ci se leva et nous laissa seuls. […]Laisse-le en paix ! […] laisse-le, Foma, — m’écriai-je à mon tour, — cela n’en vaut pas la peine. […]Laissez-le, maître !

121. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome I pp. 1-402

Qu’il ne se laisse pas abuser par ces ridicules mensonges. […] M. de Lamartine ne s’est pas laissé prendre au piège. […] Et cependant il se laisse débaptiser, travestir comme un enfant. […] Mauzin n’a rien laissé à désirer. […] Hugo d’attendre l’heure de l’inspiration, de laisser mûrir sa pensée.

122. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Parny poète élégiaque. » pp. 285-300

Pour cela, je limite mon sujet comme les présents éditeurs eux-mêmes ont limité le choix des œuvres, comme Fontanes demandait qu’on le fît dès 1800 ; je laisse de côté le Parny du Directoire et de l’an VII, le chantre de La Guerre des dieux : non que ce dernier poème soit indigne de l’auteur par le talent et par la grâce de certains tableaux ; mais Parny se trompa quand il se dit, en traitant un sujet de cette nature : La grâce est tout ; avec elle tout passe. […] Laissons aux folies de la jeunesse, dès qu’elles ont jailli et que la coupe circule, la mousse pétillante et rosée dont elles se couronnent. […] Il laissa cueillir la pomme d’or de son île natale par un étranger. […] Ainsi le sourire s’efface ; Ainsi meurt, sans laisser de trace, Le chant d’un oiseau dans les bois. […] il est flatté qu’on meure pour lui. » Dès que ce sentiment s’est laissé voir, tout le charme de la pièce est évanoui.

123. (1899) Le monde attend son évangile. À propos de « Fécondité » (La Plume) pp. 700-702

Et plus ce grand homme a vieilli, plus il en a laissé transparaître le souci. […] Oui, ce qu’on appelle risiblement la gloire des lettres, et qui n’est au fond que la modeste popularité domestique d’un nom connu d’autres noms contemporains plus éclatants, serait pour moi ceci : laisser quelques pages de mes sentiments ou de mes pensées en un petit volume sur la tablette de la chaumière ou de la maison des ouvriers de la ville ou de la campagne. […] Mais enfin laissons-le parler. […] Mais j’aurais tort de laisser croire que cette petite morale de la vie quotidienne ne comporte pas une grande beauté, une suave douceur, une magnifique consolation. […] J’y ai vu ce que peu de livres laissent transparaître : le souci de l’avenir des races, l’intérêt de leur ordre et de leur force, la passion d’un art plus humain et plus réel, le solennel amour de la vie harmonieuse, la pitié et la charité à toutes les pages.

124. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Casanove » pp. 192-197

Ossian, chef, guerrier, poëte et musicien, entend frémir pendant la nuit les arbres qui environnent sa demeure, il se lève, il s’écrie : " âmes de mes amis, je vous entends ; vous me reprochez mon silence. " il prend sa lyre, il chante, et lorsqu’il a chanté, il dit : " âmes de mes amis, vous voilà immortelles, soyez donc satisfaites, et laissez-moi reposer. " dans sa vieillesse, un barde aveugle se fait conduire entre les tombeaux de ses enfans ; il s’assied, il pose ses deux mains sur la pierre froide qui couvre leurs cendres, il les chante. […] C’est tout ce que je puis dire ; mais quelle idée cela laisse-t-il ? […] Laissez à l’art la liberté d’un écart approuvé par les uns et proscrit par d’autres. […] Un homme de lettres qui n’est pas sans mérite prétendait que les épithètes générales et communes, telles que grand, magnifique, beau, terrible, intéressant, hideux, captivant moins la pensée de chaque lecteur, à qui cela laisse, pour ainsi dire, carte blanche, étaient celles qu’il fallait toujours préférer. Je le laissai dire, mais tout bas je lui répondais, au dedans de moi-même : oui, quand on est un pauvre diable comme toi, quand on ne se peint que des images triviales ; mais quand on a de la verve, des concepts rares, une manière d’appercevoir et de sentir originale et forte, le grand tourment est de trouver l’expression singulière, individuelle, unique, qui caractérise, qui distingue, qui attache et qui frappe.

125. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 29, qu’il est des païs où les ouvrages sont plûtôt apprétiez à leur valeur que dans d’autres » pp. 395-408

Les moeurs et les usages du païs y laissent encore un grand vuide dans les journées de tout le monde, même dans celles de ces artisans condamnez ailleurs à un travail qui n’a gueres plus de relâche que le travail des Danaïdes. […] Comme il fallut alors que les chartreux de Paris enfermassent les tableaux de Le Sueur pour les mettre à couvert des outrages que leur faisoient quelques éleves de Le Brun, il a fallu que les chartreux de Rome ne laissassent plus ouverte à tous venans la gallerie où les estampes des peintres françois sont exposées. […] Or, nous vivons en France dans une suite continuelle de plaisirs ou d’occupations tumultueuses qui ne laissent presque point de vuide dans les journées et qui nous tiennent toujours ou dissipez ou fatiguez. […] Les plaisirs qui sont encore plus vifs et plus fréquens ici que par tout ailleurs, se saisissent du tems que nous laissent les occupations que la fortune nous a données, ou que notre inquiétude nous a fait rechercher. […] Si les beaux tableaux sont presque tous renfermez à Paris dans des lieux où le public n’a pas un libre accès, nous avons des théatres ouverts à tout le monde où l’on peut dire, sans craindre le reproche de s’être laissé aveugler par le préjugé de nation presque aussi dangéreux que l’esprit de secte, qu’on représente les meilleures pieces de théatre qui aïent été faites depuis le renouvellement des lettres.

126. (1762) Réflexions sur l’ode

Pour être respectée il ne faut pas qu’elle se prostitue, encore moins qu’elle se laisse voir sous une forme désavantageuse. […] On impose au poète les lois les plus sévères ; et pour comble de rigueur, on lui défend de laisser voir ce qu’il lui en a coûté pour s’y soumettre. […] Laissons donc là les définitions, les dissertations, les législations de toute espèce ; et étudions les modèles. […] Qui nous répondra que tel vers qui nous enchante, ou tel autre qui nous laisse froids, ne fit pas sur les Romains un effet tout contraire ? […] Le public, soit lassitude, soit humeur, paraît aujourd’hui un peu dégoûté de ce genre ; il marque même ce dégoût assez fortement, pour que l’académie ait balancé, si en laissant aux poètes le choix du sujet, elle ne leur laisserait pas aussi celui de l’ode, du poème, ou de l’épître.

127. (1911) Études pp. 9-261

Rentré chez lui, il la laissait se délivrer. […] Tout doucement il les fait éclore, il les laisse monter selon leur sève, pleins de suavité. […] Puis elle les laisse se lever librement. […] Soudain la voici qui se laisse pressentir. […] Gide y laisse paraître un peu de son âme nouvelle.

128. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 44, que les poëmes dramatiques purgent les passions » pp. 435-443

Les hommes avec qui nous vivons, nous laissent presque toûjours à deviner le véritable motif de leurs actions, et quel est le fond de leur coeur. […] Ils ne laissent rien à deviner aux spectateurs que ce qui peut être deviné sûrement et facilement. […] Cette crainte des passions ne laisse point d’avoir quelque effet. […] L’horreur que la manie et l’abrutissement des esclaves qu’on exposoit yvres sur un théatre donnoient aux spectateurs, laissoient en eux une ferme résolution de résister aux attraits de ce vice.

129. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « Remarques finales. Mécanique et mystique »

On a eu tort de dire « Chassez le naturel, il revient au galop », car le naturel ne se laisse pas chasser. […] On n’a qu’à le laisser faire, et la construction politique s’écroule. […] Mais laissons de côté le tempérament du « chef », et considérons les sentiments respectifs des dirigeants et des dirigés. […] Nous reconnaissons la difficulté d’assigner administrativement une limite à la population, lors même qu’on laisserait au chiffre une certaine élasticité. […] Laissez faire Vénus, elle vous amènera Mars.

130. (1841) Matinées littéraires pp. 3-32

Il existe dans notre langue des cours de littérature où la critique la plus judicieuse et la plus approfondie ne laisse rien à désirer dans l’appréciation des ouvrages des grands écrivains. […] Laissons donc l’aigle monter vers le soleil, laissons l’oiseau voltiger dans la plaine, laissons l’insecte ramper sous l’herbe ; ne demandons point à l’abeille qui va de fleur en fleur composer son miel, de fendre l’air comme l’hirondelle qui saisit au vol son invisible proie. […] Tout est laissé à l’intelligence et au sentiment du lecteur pour captiver l’esprit, émouvoir le cœur et charmer l’oreille de ceux qui l’écoutent. […] Andrieux, qui nous a laissé d’élégantes comédies et des contes charmants, y professait la littérature. […] Toute mon ambition est de vous mettre sur la voie, comme le pilote qui aide le navire à sortir du port, et le laisse ensuite voguer de lui-même dans l’immensité.

131. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre sixième. »

La Réforme fit peu pour l’éducation de Montaigne., Elle le trouva catholique, et le laissa philosophe chrétien. […] Mais les vérités y laissent chacun libre de se conduire à sa guise et les doutes n’y sont que des aveux de la sagesse bornée que Dieu a départie aux hommes. […] Son commerce de tous les jours avec Plutarque s’explique par cette curiosité qui laissait à d’autres à choisir, et pour qui la quantité était la seule affaire pressante. […] Or, dans le doute, la raison, trop souvent découragée, laisse le champ libre à l’imagination. […] Je veux qu’on voye mon pas naturel et ordinaire ainsi detracqué qu’il est ; je me laissé aller comme je me treuve.

132. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Joinville. — II. (Fin.) » pp. 513-532

Il pourrait se mieux garantir s’il voulait monter sur les galères, mais il dit « que, s’il plaisait à Dieu, il ne laisserait pas son peuple ». […] Il est vrai qu’un de ses domestiques, natif de Doulevant, lui propose hardiment le second : « Je suis d’avis, disait ce brave homme, que nous nous laissions tous tuer, et ainsi nous nous en irons tous ensemble en Paradis. » — « Mais nous ne le crûmes pas », dit ingénument Joinville. — Un de ses mariniers lui suggère de se faire passer pour le cousin du roi, afin qu’on l’épargne lui et ses gens. […] On y voit combien Joinville, sur l’article de la charité, sentait à l’unisson de saint Louis ; il croyait que nul chevalier, ni pauvre ni riche, ne pouvait honorablement revenir d’outre-mer, s’il laissait entre les mains des Sarrasins le menu peuple de Notre-Seigneur. […] Le comte de Jaffa seul laisse entrevoir un avis différent ; mais il y est trop intéressé, et lui-même en convient, à cause des terres et châteaux qu’il possède en Syrie. […] [NdA] Ceci encore rappelle une des belles comparaisons d’Homère lorsqu’au chant XIme de l’Iliade, pour exprimer les douleurs d’Agamemnon blessé à la main ou à l’avant-bras et voulant continuer de combattre, il assimile les élancements qui le prennent tout d’un coup et ne lui laissent pas de répit à ceux d’une femme en couche.

133. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Fontenelle, par M. Flourens. (1 vol. in-18. — 1847.) » pp. 314-335

Il (Newton) a laissé, dit-il, en biens meubles environ trente-deux mille livres sterling, c’est-à-dire sept cent mille livres de notre monnaie. […] En fait d’astronomie et de physique, on n’a qu’à le laisser faire, et, comme on l’a dit très bien, il vous enjôle à la vérité. […] Ce grand esprit, atteint en ceci d’un reste de superstition, recule devant la vérité de Copernic et laisse indécise la balance. […] La simplicité de Fontenelle, comme vous le pensez, est d’un tour qui ne la laisse pas ressembler à celle des autres. […] Je laisse à chacun le soin d’achever le parallèle que chaque détail rendrait plus piquant.

134. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Théodore Leclercq. » pp. 526-547

De bons esprits, qui étaient dignes de voir les choses avec justesse, se laissèrent entraîner, à la suite de 1815, à des opinions passionnées. […] Bon nombre de ceux qui s’étaient laissé entraîner en 1815 revinrent alors et se sentirent poussés à des sentiments contraires. […] Théodore Leclercq lui avait laissé plus qu’un revenu modique, et mieux que de l’aisance. […] Théodore Leclercq l’a su faire avec un mélange de hardiesse et de discrétion qui laisse tout comprendre sans rien accuser trop fortement, et sans forcer le ton de la bonne compagnie. […] en regardant de même d’autres mendiants qu’on rencontre dans le monde, au lieu de se laisser suffoquer à la vue des stratagèmes qu’ils inventent pour attirer aussi l’attention sur eux, il faut se dire tout simplement : C’est leur emplâtre ou leur jambe de bois.

135. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — I. » pp. 41-62

Conseiller au parlement de Bordeaux depuis 1714, la mort d’un oncle lui laissa la charge de président à mortier en 1716 : il avait vingt-sept ans. […] Mais, dans le même temps où il travaillait à ce petit mémoire sur des objets d’histoire naturelle, il laissait échapper un autre ouvrage pour lequel il n’avait pas eu besoin de microscope, et où son coup d’œil propre l’avait naturellement servi. […] Usbek, le personnage principal, a un sérail à Ispahan, et il le laisse en partant à la garde du grand eunuque noir, auquel il rappelle de temps en temps ses recommandations sévères. […] Un ou deux ans après, le jeune homme qui sent bien que c’est à l’inconnu qu’il doit la délivrance de son père, le rencontre sur le port, se jette à ses pieds avec effusion, en le bénissant, en le suppliant de se laisser reconnaître et de venir voir les heureux qu’il a faits. […] Enfin il y donne un autre mobile encore et qu’il ressentait également, l’utilité du public et du monde : « N’est-ce pas un beau dessein que de travailler à laisser après nous les hommes plus heureux que nous ne l’avons été ? 

136. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « À M. le directeur gérant du Moniteur » pp. 345-355

Oui, je suis effrayé, mon cher directeur, et vous en comprendrez les raisons si vous voulez bien vous mettre un instant à ma place, et me laisser vous rappeler tout ce qui s’est passé à la suite de l’article, mêlé de critique et d’éloge, que j’ai écrit sur Fanny 63. […] Je me fais ces questions, je reste ouvert et attentif aux réponses qui m’arrivent de temps en temps du dehors, et je ne me laisse pas détourner par cette fin de non recevoir très à la mode depuis quelques années, la morale et le beau. […] » En France et dans notre société, c’est moins encore l’idée de beauté que celle de morale qui fait ce même office de pavé accablant, et dont on s’arme sans cesse, qu’on jette à la tête de tout nouveau venu, avec une vivacité et une promptitude qui ne laissent pas d’être curieuses, si l’on songe à quelques-uns de ceux qui en jouent de la sorte. […] Je lui aurais dit : « Laissez-moi vous donner un conseil, qui surprendrait ceux qui ne vous connaissent pas : vous vous défiez trop de la passion, — de la passion naturelle ; c’est chez vous une théorie. […] Quoique je n’aie pas cru devoir parler de Daniel, quoique même, pour être franc, j’aie blâmé l’auteur d’y avoir mis l’épigraphe provoquante qu’il y avait attachée, la moralité des livres d’art étant multiple et devant être laissée au gré du lecteur, j’ai estimé que cette étude de Daniel annonçait et donnait déjà en M. 

137. (1824) Notice sur la vie et les écrits de Chamfort pp. -

Il ne pouvait travailler que dans les intervalles de santé que la maladie lui laissait. […] Il s’était retiré, avec sa misanthropie, à Sèvres, dans un appartement que madame Helvétius lui avait fait meubler, résolu de se laisser entièrement oublier du public. […] Le caractère connu de Mirabeau laisse douter de la sincérité de ces protestations. […] Il avait conçu pour la prison une horreur profonde, et jurait de mourir plutôt que de s’y laisser reconduire. […] Ramené insensiblement à ses habitudes littéraires, ce fut presque uniquement pour l’occuper d’une manière utile que Ginguené et quelques autres conçurent le projet du journal intitulé : la Décade philosophique ; mais la mort qui naguère s’était trop fait attendre, quand il s’en remettait à elle du soin de l’affranchir des tyrans, ne lui laissa pas le temps d’y travailler.

138. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 266-268

Chapelle répondit à l’Auteur, qui lui en avoit envoyé un exemplaire, par un Rondeau qu’il finit ainsi : De ces Rondeaux un Livre tout nouveau A bien des gens n’a pas eu l’art de plaire ; Mais quant à moi, je trouve tout fort beau, Papier, dorure, image, caractere, Hormis les vers, qu’il falloit laisser faire A la Fontaine. […] « Monseigneur, lui répondit Boileau, il y a quelque temps que je vis une Estampe qui représentoit un Soldat qui se laissoit manger par les poules, au bas de laquelle étoit ce distique : Le Soldat qui craint le danger, Aux poules se laisse manger. « cela est clair, cela est bien rimé, cela dit ce que cela veut dire, cela ne laisse pas d’être le plus plat du monde, ajouta le Prévôt du Parnasse ».

139. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [III] »

— On lit à la suite un Songe allégorique et apocalyptique assez obscur, que j’y laisse. […] Vous courez à l’endroit d’où ils sont partis, et vous n’y trouvez que quelques plumes, seules marques de leur passage, que le vent a déjà dispersées : heureux le favori des Muses qui, comme le cygne, a quitté la terre sans y laisser d’autres débris et d’autres souvenirs que quelques plumes de ses ailes !  […] On savait déjà quelque chose de ces tracas nouveaux et opiniâtres qui accueillirent Du Bellay de retour en France : une lettre de lui adressée au cardinal, en manière de défense et d’apologie, n’en laisse plus rien ignorer. […] Il ne disconvient pas avoir pu laisser échapper quelques regrets, quelques paroles dont on a pu abuser. […] Il a laissé une belle réputation, moins haute et par là même plus à l’abri des revers et des chutes que celle de Ronsard.

140. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIIe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin » pp. 225-319

elle y était morte jeune encore, à son quatrième enfant, et entre le lit et la cheminée un portrait d’un peintre ambulant y avait laissé sa douce et mélancolique image. […] Elle laisse un tout petit enfant qui tétait. […] Tout légèrement qu’ils se posent, ils laissent leurs petites traces qui font mille figures sur la neige. […] Je te laisse, il faut me taire. » Le 8 décembre. […] Nous ne savons pas ce qu’il serait devenu si Dieu l’avait laissé vivre jusqu’à pleine maturité d’esprit.

141. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — II. (Fin.) » pp. 20-37

se laissa-t-il trop engager, en effet, à ces demandes de direction qui lui venaient de toutes parts, et que des femmes encore à demi mondaines lui adressaient à l’envi ? Il aimait naturellement la bonne compagnie ; s’y laissa-t-il un peu trop gagner en apparence ? […] Ne pouvant plus varier les plaisirs déjà tous épuisés, vous ne sauriez plus trouver de variété que dans les inégalités éternelles de votre humeur, et vous vous en prenez sans cesse à vous du vide que tout ce qui vous environne laisse au-dedans de vous-même. […] Il est des heures où, après avoir longtemps attendu la fortune, on n’a plus qu’à la laisser faire. […] Les plus raisonnables, qui ne laissèrent pas de se trouver en nombre, se contentèrent de le plaindre, et on convint enfin assez généralement d’une sorte d’impossibilité de s’en dispenser et de refuser.

142. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Préface pour les Maximes de La Rochefoucauld, (Édition elzévirienne de P. Jannet) 1853. » pp. 404-421

Laissons donc cette querelle interminable et toujours pendante entre Mme de Longueville et M. de La Rochefoucauld. […] Dans l’exquis et excellent petit livre qu’il laissa échapper en 1665, et auquel est à jamais attaché son nom, il faut tenir compte de ces personnages divers, et, selon moi, n’en point presser trop uniquement aucun. […] L’Ajax de L’Iliade, portant, pendant l’absence d’Achille, le poids de l’armée troyenne, ou Ney dans le feu de la mêlée à Friedland, laissez-les faire ! […] N’approchez pas davantage de Milton aveugle au moment où, dans un hymne éthéré, célébrant la création ou plutôt la source incréée de la lumière, il la revoit en idée à travers sa nuit funèbre et laisse échapper une larme. De même n’approchez pas d’Archimède au moment où il oublie tout hormis son problème, et où il va se laisser arracher la vie plutôt que de se détourner de la poursuite de l’unique vérité à laquelle il s’attache et qui fait sa joie.

143. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier (suite et fin.) »

Vous connaissez mon exactitude, ma vérité, my dear sir ; que l’Angleterre ne se laisse pas tromper par les émigrés. […] que le Prince-Régent veuille être le dieu de la paix, ou qu’il laisse (avec des chances bien douteuses) l’empereur de Russie être le roi de cette guerre ! […] Laissons ces mots mystiques de conversion et de croyant qui ne sont pas à l’usage des esprits vraiment politiques, ni même tout uniment des esprits sensés. […] De même pour les conversions, je les laisse aux hommes religieux et dans l’ordre mystique également. […] Cela ne laisse pas de surprendre un peu.

144. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

Le dernier donne à l’autre un air de confiance, de certitude absolue, et laisse jour cependant à bien de l’habileté et même de la prudence. […] Un murmure prolongé, un hourra immense salua cette sortie ; ils firent vingt pas à travers cette foule qui s’entrouvrait pour leur laisser passage. […] Je laisse les époques intermédiaires et misérables (fin de 1848, 1849, 1850, 1851) où les questions, se déplaçant chaque jour au souffle des partis, n’offraient aucune prise bien déterminée, et où la polémique, variant à chaque pas, s’engageait dans des sables mouvants ou sur un terrain miné et contre-miné en tous sens par l’intrigue : le dégoût prend, rien qu’à y repasser en idée. […] Il a présenté et renouvelé sous toutes les formes son fameux argument en faveur de l’impunité, à savoir l’innocuité ; — c’est-à-dire, selon lui, que la presse ne fait qu’un mal imaginaire ; qu’il n’est que de laisser dire et contredire pour tout neutraliser, que cette puissance que s’attribue le journal n’est qu’une vanterie et un lieu commun ; que tous ces tyrans de l’opinion ne sont que des mouches du coche. […] Il y joint une sorte de verve logique très-sensible, à laquelle il se laisse volontiers emporter.

145. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Mme de Genlis. (Collection Didier.) » pp. 19-37

Mme de Genlis, parmi les noms vieillis, est un des noms les plus cités, les plus familiers à l’oreille, et l’un de ceux qui laissent, ce me semble, l’idée la moins nette dans l’esprit des générations nouvelles. […] Elle joua si bien, elle réussit tant, qu’on lui laissa pendant des mois ce costume d’Amour. […] On la voit dès lors douée de cette activité méthodique qui ne laisse échapper aucune parcelle du temps sans lui demander tribut, et qui met tout à profit pour l’étude, pour l’acquisition et la superficie d’étendue des connaissances. […] Elle lui avait fait apprendre, en effet, et manipuler dès l’enfance tant de choses diverses, qu’il n’était presque aucune branche des connaissances ni des arts sur laquelle il ne pût se croire du métier, de manière à en remontrer à chacun dans l’occasion : il le laissait peut-être trop voir étant roi. […] Un autre inconvénient encore, c’est de ne pas laisser aux jeunes esprits qui en sont le sujet un seul quart d’heure pour rêver, pour se développer en liberté, pour donner jour à une idée originale ou à une fleur naturelle qui voudrait naître.

146. (1863) Causeries parisiennes. Première série pp. -419

ne nous laissons pas rattraper par les éléphants. […] Croit-on, en un mot, que les Girondins n’ont pas laissé des fils ? […] Et maintenant laissez-moi vous parler de choses qui sont de tous les temps. […] Le désespéré s’abandonne ; qui est las prend le parti de mourir, il se, laisse faire, il se laisse aller, il lâche prise, et le voilà qui roule à jamais dans les profondeurs lugubres de l’engloutissement. […] Cela ne laisse pas que d’être scandaleux, car enfin M. 

147. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Malaise moral. » pp. 176-183

Les premières nouvelles des massacres d’Arménie ont paru laisser la France assez indifférente. […] L’intervention des Grecs, sans être désintéressée, ne laissait pas d’être généreuse. […] Je connais là-dessus les propos des hommes « sensés » qui se trouvent être presque tous, je ne sais pourquoi, des hommes d’argent. « Laissez donc ! […] Ne pouvait-il, en ne nous cachant rien, se laisser contraindre par nous à les dire ?

148. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 34, du motif qui fait lire les poësies : que l’on ne cherche pas l’instruction comme dans d’autres livres » pp. 288-295

Ils se laissent aller aux impressions que fait sur eux l’endroit du poëme qui est sous leurs yeux. […] En effet l’évenement qu’un poëte tragique aura trop laissé prévoir en le préparant grossierement, ne laissera point de nous toucher s’il est bien traité. […] Quoique les évenemens de Polieucte et d’Athalie ne surprennent pas veritablement ceux qui ont vû plusieurs fois ces tragedies, ils ne laissent pas de les toucher jusques aux larmes.

149. (1855) Louis David, son école et son temps. Souvenirs pp. -447

Jésus-Christ disant : « Laissez venir à moi les petits enfants !  […] Sa tête est ceinte d’une couronne de laurier, et sa poitrine nue laisse voir une large blessure. […] On n’y laissa que le buste de Brutus. […] Nous laisserons David achever ce grand ouvrage. […] Les souvenirs qu’a laissés ce jeune artiste sont touchants.

150. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre I. De l’action »

Maintenant sous quel prétexte persuadera-t-elle au rat de se laisser lier les pieds ? […] C’est pourquoi laisse là ta sotte insolence. […] S’il voulait encor me laisser paître ! […] L’arbre prouve à l’homme qu’il est un meurtrier, d’un ton simple, qui ne laisse place à aucun subterfuge. […] Laissez donc en pareille occasion ces détails de gamelle.

151. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « L’abbé Prévost »

Ce sentiment qui, ainsi que nous le disons, n’est pas sans tristesse, soit qu’on l’éprouve pour soi-même, soit qu’on l’applique à d’autres, nous devons tâcher du moins qu’il nous laisse sans amertume. […] Je laisse à juger quels devoient être, depuis l’âge de vingt à vingt-cinq ans, le cœur et les sentiments d’un homme qui a composé le Cléveland trente-cinq ou trente-six. […] Il ne compose pas avec une idée ni suivant un but ; il se laisse porter à des événements qui s’entremêlent selon l’occurrence, et aux divers sentiments qui, là-dessus, serpentent comme les rivières aux contours des vallées. […] Le travail d’écrire lui était devenu si familier que ce n’en était plus un pour lui : il pouvait à la fois laisser courir sa plume et suivre une conversation. […] Ceux qui m’accusent, comme ce léger M. de Loménie (qui n’est qu’un écho de son monde), d’avoir attendu la mort de M. de Chateaubriand pour laisser voir ma pensée à son sujet, ne m’ont pas bien lu.

152. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Du génie critique et de Bayle »

Mais il y revint bien autre qu’il n’y était d’abord : « Un savant homme, a-t-il dit quelque part, qui essuie la censure d’un ennemi redoutable, ne tire jamais si bien son épingle du jeu qu’il n’y laisse quelque chose. » Bayle laissa dans cette première école qu’il fit tout son feu de croyance, tout son aiguillon de prosélytisme ; à partir de ce moment, il ne lui en resta plus. […] Ce génie, dans son idéal complet (et Bayle réalise cet idéal plus qu’aucun autre écrivain), est au revers du génie créateur et poétique, du génie philosophique avec système ; il prend tout en considération, fait tout valoir, et se laisse d’abord aller, sauf à revenir bientôt. […] Il est fâcheux sans doute qu’il se soit laissé aller à quelque licence de propos et de citations. […] qu’on prenne alors un des volumes de Bayle et qu’on se laisse aller. […] En avançant pourtant et à force d’écrire, sa phrase, si riche d’ailleurs de gallicismes, ne laissa pas de se former ; elle s’épura, s’allégea beaucoup, et souvent même se troussa fort lestement.

153. (1875) Premiers lundis. Tome III «  À propos, des. Bibliothèques populaires  »

Il y a un courant d’immoralité et d’obscénité que personne ne défend et qu’on réprouve avec mépris ; mais il y a aussi des opinions philosophiques honorables et respectables que je défends au nom de la liberté de penser et que je ne laisserai jamais attaquer et calomnier sans protestation. […] Laissez parler l’orateur, on répondra. […] Et laissez-moi vous rappeler un souvenir à propos de Balzac. […] Sainte-Beuve laisse à ces messieurs le soin de la publier49. […] Je ne me laisserai pas entraîner sur un autre terrain où la raison n’est plus libre.

154. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre IV. Construction de la société future »

Une filiation exacte et continue rattache à nos perceptions les plus simples les sciences les plus compliquées, et, du plus bas degré au plus élevé, on peut poser une échelle ; quand l’écolier s’arrête en chemin, c’est que nous avons laissé trop d’intervalle entre deux échelons ; n’omettons aucun intermédiaire, et il montera jusqu’au sommet  À cette haute idée des facultés de l’homme s’ajoute une idée non moins haute de son cœur. […] Ils ont beau la proclamer souveraine légitime, ils ne lui laissent jamais sur eux qu’une autorité passagère, et, sous son gouvernement nominal, ils sont les maîtres de la maison. […] Nous ne leur laissons pas la liberté de refuser ou d’accepter un office ; nous les en chargeons d’autorité […] Premier-né, fils unique et seul représentant de la raison, il doit, pour la faire régner, ne rien laisser hors de ses prises  En ceci l’ancien régime conduit au nouveau, et la pratique établie incline d’avance les esprits vers la théorie naissante. […] Au lieu de lui opposer des digues nouvelles, ils ont songé à détruire les vieux restes de digues qui le gênaient encore. « Dans un gouvernement, disent Quesnay et ses disciples, le système des contre-forces est une idée funeste… Les spéculations d’après lesquelles on a imaginé le système des contrepoids sont chimériques… Que l’État comprenne bien ses devoirs, et alors qu’on le laisse libre… Il faut que l’État gouverne selon les règles de l’ordre essentiel, et, quand il en est ainsi, il faut qu’il soit tout-puissant. » — Aux approches de la Révolution, la même doctrine reparaît, sauf un nom remplacé par un autre.

155. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Bussy-Rabutin. » pp. 360-383

Ce même amour de la vérité, de la réalité historique et humaine ; lui fait retrancher toutes ces exagérations auxquelles on se laisse emporter si aisément en racontant les grandes actions où l’on a été témoin ou acteur. […] Veuf d’une première femme et voulant se remarier, « cherchant du bien, dit-il, parce qu’il savait qu’il sert beaucoup à faire obtenir les grands honneurs », il s’était laissé persuader par quelques entremetteurs intrigants qu’une jeune veuve fort riche, Mme de Miramion, ne demandait pas mieux que de l’épouser, mais qu’elle avait besoin d’y paraître contrainte pour donner un consentement que sa famille n’aurait pas approuvé. […] À ne juger les choses que littérairement, la façon de Bussy, seul point qui nous intéresse encore, laisse voir, au milieu des incorrections et des négligences, bien de la distinction, de la délicatesse, et se relève d’un tour fin, qui est déjà celui d’Hamilton. […] Il pouvait avoir sa force et son cachet marqué de virilité dans l’observation et dans cette manière, qu’on a louée en lui, de laisser voir tout d’un coup sa pensée, et de ne laisser voir qu’elle uniquement ; mais il n’avait pas cette source vive de grâce et d’imagination qui rafraîchit et fertilise à jamais le fonds d’où elle sort. […] Dans cette indiscrétion si coupable qui avait causé sa ruine, il entrait beaucoup de cette sollicitude paternelle de l’homme de lettres qui ne veut rien laisser perdre de ce qu’il a une fois écrit, et qui entend bien en retirer louange, même au prix de quelque estime.

156. (1856) Les lettres et l’homme de lettres au XIXe siècle pp. -30

Dans l’excès de sa reconnaissance il s’abdique un peu lui-même et se laisse imposer les goûts frivoles de ses hôtes. […] Mobile à l’excès, il passe sans rougir par toutes les contradictions, et se laisse emporter au flux et au reflux de l’opinion. […] Malgré nos grands airs d’indépendance, nous sommes en réalité et heureusement fort dociles à nous laisser conduire. […] Les écrivains, excités à travailler sans cesse, ne laisseront pas stériles les talents dont ils sont doués. […] Qu’il fasse des portraits : l’impatience des modèles lui laissera des loisirs.

157. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « EUPHORION ou DE L’INJURE DES TEMPS. » pp. 445-455

Les Allemands sont assurément les plus admirables travailleurs classiques que l’on puisse imaginer ; depuis qu’ils se sont mis à défricher le champ de l’antiquité, ils ont laissé bien peu à faire pour le détail et le positif des recherches ; ils ont exploré, commenté, élucidé les grandes œuvres ; ils en sont maintenant aux bribes et aux fragments, et ils portent là-dedans un esprit de précision et d’analyse qu’on serait plutôt tenté de leur refuser lorsqu’ils parlent et pensent en leur propre nom. […] J’ai sous les yeux un de ces doctes et méritoires écrits, qui, en instruisant beaucoup, ne laissent pas de faire aussi beaucoup penser et rêver. […] Dans cette mêlée injurieuse des temps, combien est-il de ces anciens poëtes, Panyasis que les critiques plaçaient très-haut à la suite d’Homère, Varius qu’on ne séparait pas de Virgile, Philétas que Théocrite désespérait jamais d’égaler, Euphorion avec son Gallus, combien, et des meilleurs et des plus charmants, qui ont ainsi succombé sans retour, et n’ont laissé qu’un nom que les érudits seuls remuent encore parfois aujourd’hui ! […] Et puisque c’est un rêve qui se dessine à ma pensée en ce moment, qu’on me laisse continuer d’y rêver. — C’était, je vous assure, un lamentable spectacle que celui de toutes ces ombres une fois illustres, et qui elles-mêmes en leur temps, à des époques éclairées et florissantes, avaient paru distribuer la gloire et l’immortalité, — de les voir aujourd’hui découronnées de tout rayon, privées de toute parole sonore, et essayant vainement, d’un souffle grêle, d’articuler leur propre nom, pour qu’au moins le passant pût le retenir et peut-être le répéter. […] Et pourtant de tels motifs de garantie future que j’embrassais de grand cœur, et auxquels je ne cessais de croire dans mon songe (car vous n’oubliez pas que c’en est un), ne le rendaient pas moins mélancolique et moins sombre ; mon pauvre Euphorion, avec la foule innombrable et confusément plaintive de ces poëtes déshérités, déchus, ensevelis, ne se laissait pas oublier, et ils faisaient tous la ronde autour de moi, tellement que mes idées commençaient à vaciller un peu.

158. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XIX. »

« Un calme puissant pénètre tous les membres, et ne laisse aux malheureux nul sentiment de douleur. […] « Celui que la pureté de ses mœurs a rarement laissé faillir, un éclatant rayon le frappe et lui montre les choses invisibles. […] Mieux vaut, même dans les ruines du génie des Romains, recueillir une de ces épitaphes qu’avaient laissées les martyrs. […] Quand même la carie des âges aurait dispersé la poudre de mes ossements et n’en laisserait qu’une poignée de cendre, quand même les eaux courantes des fleuves, les souffles épars dans l’air, auraient emporté mes fibres avec ma poussière, l’homme ne pourra périr. […] laisse en ce lieu quelque chose de toi, présent par l’esprit, et en revanche emporte avec toi nos âmes.

159. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion dynamique »

Laissons de côté, pour le moment, leur christianisme, et considérons chez eux la forme sans la matière. […] Puis elle se laisse porter, droit en avant. […] Alors, des mots tels que mécanisme et instrument évoquent des images qu’il vaudra mieux laisser de côté. […] Ou bien alors ce sera qu’on aura respiré dans quelque coin de notre civilisation le parfum enivrant que le mysticisme y a laissé. […] Mais ne nous laissons pas intimider.

160. (1890) La bataille littéraire. Troisième série (1883-1886) pp. 1-343

Elle disparaît et laisse Gaussin fou de douleur. […] Et la troisième fois, Étienne dut le laisser. […] — Je suis entrée… J’ai vu l’homme… On m’a laissée seule avec lui. […] Pourquoi donc laisser une rivale donner son corps, quand elle avait déjà donné sa face ? […] Un ignoble goujat y a laissé la trace de ses mâchoires.

161. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Lettres de Madame de Sévigné »

Aucune difficulté ne lui échappe ; aucune recherche ne lui coûte : il ne laisse rien passer. […] Nous ne sommes pas, selon toute apparence, au bout de ces petits tremblements de terre (ou de textes) qui ne laissent pas de changer la face du pays dans le grand siècle : Là aussi on nous débâtit de toutes parts notre vieux Paris, et on nous en refait un tout neuf. […] Une autre question qui ne porte plus tant sur l’écrivain que sur la femme elle-même, est celle-ci : Aucun des traits du caractère et de la physionomie de Mme de Sévigné est-il sensiblement modifié par l’impression générale que laisse la nouvelle lecture ? […] Sage, judicieuse, bien pensée et bien écrite, cette Notice ne laisse un peu à désirer que pour la vivacité et le mouvement ; mais Mme de Sévigné qui succède en a de reste pour deux et pour mille. […] Ce petit baron ou marquis de Sévigné est un aimable étourdi, d’un cœur excellent, qui a de la grâce de sa mère, et non de sa solidité qu’il a laissée à Mme de Grignan.

162. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Clermont et sa cour, par M. Jules Cousin. (Suite.) »

Je supprime les fantaisies d’orthographe, qui du comte de Clermont au maréchal de Saxe ne laissent, de part et d’autre, rien à désirer. […] Les détails dans lesquels veut bien entrer Votre Altesse Sérénissime ne laissent rien à désirer du côté de leur justesse, et de la netteté avec laquelle ils sont rendus… » Le roi, nous dit Voltaire, voulait la bataille. […] J’ai pourtant hésité un peu avant de donner cette curieuse épître dans toute son étendue, car elle n’est héroïque qu’à demi ; le commencement en est vif et sent le style de bivouac, à ce point que j’ai dû laisser en blanc deux ou trois mots ; mais le reste se délaye, s’étend, tombe dans le commérage ; on est noyé dans l’abondance des trivialités. […] En un mot, si le commencement de cette lettre est bien du cousin de Henri IV, la fin, avec son laisser aller et son déboutonné, est encore plus du cousin de Louis XV. […] Cette fois le comte de Clermont nous laisse sur l’impression la plus désagréable, et pour ceux qui trouveraient qu’il nous arrête bien longtemps, je ferai observer que c’est moins un homme en lui qu’un régime que nous étudions.

163. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Jean-Bon Saint-André, sa vie et ses écrits. par M. Michel Nicolas. (suite et fin.) »

En débarquant à Marseille, il trouva une tout autre France que celle qu’il avait laissée six ans auparavant : on était aux plus beaux jours du Consulat. […] Le mieux est de les laisser parler tout bas et toutes seules. […] La vigueur, pourtant, de l’ancien membre et délégué de la Convention se trahissait-elle encore parfois et se laissait-elle deviner ? […] Il n’a laissé que des actes, dont quelques-uns énormes, d’autres controversés, d’autres enfin d’un mérite et d’une utilité incontestables. […] J’en traîne cinq (de vaisseaux) totalement démâtés, et j’en ai laissé douze à treize dans le même état sur le champ de bataille.

164. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [II] »

Pendant l’ardente poursuite qui se fit de l’armée prussienne après Iéna dans toutes les directions, le 6e corps entre autres (celui de Ney) ne lui laissait aucun relâche. […] Mais ce n’est pas tout, et il était à désirer pour plus d’une raison que Jomini devînt bientôt le chef de cet état-major, si laissé à lui-même et si peu conduit. […] Un aide de camp dépêché par Berthier à Bernadotte se laissa prendre avec ses papiers par les Cosaques38, et le secret fut révélé ; car l’idée d’écrire les ordres en chiffres ne vint que plus tard. […] Peut-être le savant et le virtuose de guerre se laissa-t-il trop voir, comme lorsqu’il s’échappa à dire à un moment, en apercevant les fautes, les manques d’ensemble et de suite de l’ennemi : « Ah ! […] « Et comme il n’y a pas d’explication à demander, ajouta l’officier à l’entorse, j’ai mon excuse, et je le laisse à porter à un plus habile que moi.

165. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ULRIC GUTTINGUER. — Arthur, roman ; 1836. — » pp. 397-422

Laissez-les, croyez-moi, sans trouble et sans tourments, Grandir sous les lambris de vos châteaux normands. […] Je trouve, dans les poésies que je laissais échapper alors, une pièce qui me paraît exprimer à merveille cette situation de mon âme, et que, pour cela, je veux placer ici : STANCES. […] Quelques lettres finales éclairent et apaisent le lecteur sur la situation où on laisse Arthur converti. […] Les choses se passèrent bientôt avec plus de laisser aller. […] Depuis que j en connaissais l’habitante, ces souvenirs m’avaient repris avec plus de vivacité, et, la veille du fortuné dimanche, ils ne me laissèrent pas un moment de cesse que je n’eusse écrit les vers suivants : Eh quoi ?

166. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre premier »

La postérité a conservé cette illusion il en faut laisser le bénéfice à François Ier ; c’est du respect bien entendu pour la mémoire de Marguerite. […] S’il faisait venir d’Italie le Primatice, et s’il visitait Léonard de Vinci mourant, il laissait mourir en exil Marot. […] La Réforme, qui la trouva et la laissa catholique, lui inspira l’esprit de tolérance, né de l’esprit d’examen et perfectionna ses sentiments religieux, au prix toutefois d’un peu de jargon théologique dans ses écrits. […] Villon et Marot sont deux poètes sortis du peuple ; le caprice de la fortune a laissé l’aîné dans la bassesse de sa naissance, et a élevé le cadet jusqu’à la domesticité de la cour. […] C’est à Blois, où tous les novateurs étaient attirés par la bonté de Marguerite de Navarre et par son goût pour les doctes, qu’il se laissa engager dans les querelles de religion.

167. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. Anecdotes. » pp. 123-144

Les grands critiques complets, Horace, Despréaux, Pope, n’ont jamais laissé de si bons vers se faire en dehors d’eux ni contre eux. S’ils n’ont pas fait tous les beaux vers de leur temps, ils les ont du moins favorisés, aidés et protégés ; surtout ils n’ont laissé à personne l’occasion et la gloire d’en trouver de sanglants et d’immortels contre eux-mêmes. […] Il se laissa d’abord entraîner par la Révolution ; rien de plus simple ou même de plus légitime et de plus excusable dans les commencements. […] Quand La Harpe était à Paris, il ne résistait pas au monde qui le reprenait, et, en homme qui se gouvernait peu lui-même, il se laissait aller à ses goûts, à son faible pour la table, sauf ensuite à se repentir de ses rechutes. […] Le littérateur en lui survivait à tout et ne se laissait pas sacrifier même par le chrétien.

168. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — II. (Suite.) » pp. 23-46

Marmont, par son esprit, par ses lumières, par cette rapidité d’impressions dont il était susceptible, s’y laissa gagner plus qu’il n’eût convenu à un homme qui n’eût voulu rester que dans sa ligne de soldat. […] N’ayant en tout ceci d’autre désir que d’être vrai et d’autre rôle que d’exposer fidèlement un caractère auquel le mot de traître ne convient pas, un de ceux auxquels il s’applique le moins, je demande à bien définir la question politique d’alors, telle que nos souvenirs calmés nous la laissent voir à cette distance, et je veux d’abord l’élever à sa juste hauteur. […] Avant de quitter Essonne, il eut soin d’expliquer aux généraux à qui il laissait le commandement, Souham le plus ancien, Compans et Bordesoulle, les motifs de son absence, son prochain retour. […] Généreux comme il était, il pensa qu’il valait mieux tout couvrir, ne pas laisser peser sur ses généraux une responsabilité accablante ; il voulut absoudre tout le monde au moyen d’une déclaration où il prendrait tout sur lui. […] Un préfet honnête homme, mais faible, M. de Chabrol, s’était laissé dominer par son collègue violent.

169. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « I. Historiographes et historiens » pp. 1-8

Ils laissèrent l’histoire à leurs ennemis, et l’on sait comment leurs ennemis s’en servirent… Plus tard, non plus, l’empereur Napoléon Ier, qui prenait et relevait les idées d’ordre partout où il les trouvait renversées, sans se soucier de l’opposition et des indignes cris de l’esprit révolutionnaire, Napoléon, qui fit un Grand-Juge, ne refit point d’historiographe. Il ne reprit point en sous-œuvre l’idée de l’ancienne Monarchie pour l’empreindre du cachet de son génie à lui, et pour donner à cette idée tout son accomplissement et toute sa force ; et l’organisateur par excellence, qui a laissé même jusqu’à ce mot d’organiser dans la langue du xixe  siècle, oublia d’organiser l’Histoire et la laissa aux partis qu’il avait vaincus ! […] Évidemment aussi cependant, il n’y a rien d’impossible à réaliser dans cette majestueuse et si simple utopie de l’histoire, et l’État moderne qui l’essayerait, même en laissant le flot méprisé de la libre histoire battre le pied de son monument, aurait du moins mis sous la garde d’une fonction, dont on descendrait en déméritant, le trésor de renseignements et de faits qu’il faut toujours remettre pur aux générations qui nous suivent, et arracherait la Nationalité, cette chose sacrée, aux mains humanitaires et cosmopolites des historiens de la Libre Pensée, qui si on les laisse faire, en auront fini avec cette chose sacrée, demain !

170. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIe entretien. Vie du Tasse (2e partie) » pp. 65-128

L’absence de ce prince laissa le Tasse à Ferrare dans une familiarité plus recueillie avec sa sœur Léonora. […] Il refusa de laisser imprimer l’Aminta : sa seule édition était dans la mémoire de Léonora, pour qui il avait écrit ce drame de naïf amour. […] Cependant le Tasse, ayant laissé Rome et la mer sur sa droite, s’était enfoncé dans les vallées des Abruzzes. […] « Pour ces motifs, s’il désire revenir, il faut qu’il prenne d’abord la résolution bien arrêtée de se tenir en repos, et de se laisser traiter de sa maladie par les médecins. […] Comment la douce et tendre Léonora, devenue riche par l’héritage de sa mère, et confidente nécessaire de la fuite du Tasse, aurait-elle laissé son amant s’évader, sans habits et sans argent, de Bello Sguardo ?

171. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIe Entretien. Marie Stuart, (Reine d’Écosse). (Suite et fin.) »

» Knox monta pour la dernière fois à la tribune sans se laisser intimider, et s’écria : « Que ceux qui survivent parlent et vengent !  […] La suite ne laissa aucun doute sur sa participation. […] Il consentit, pour obtenir le divorce, à se laisser condamner pour adultère. […] Elle apprit par lui la fuite de Bothwell dans les îles Shetland d’où il s’était embarqué pour le Danemark, pour y reprendre, avec ses anciens écumeurs de mer, la vie de pirate et de brigand, seul refuge que lui laissait sa fortune. […] Comme elles touchaient à sa robe, la reine leur dit d’en dégager seulement le corsage et d’en rabattre le collet d’hermine, afin de laisser son cou nu à la hache.

172. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXX » pp. 126-128

. — Ainsi quelle que soit la rigueur du raisonnement, il serait fatal qu’en France on laissât le clergé se fortifier et s’organiser davantage en parti. […] La machine va bien. — Quant aux adversaires, au clergé, malgré les avantages partiels et paternels que peuvent présenter deux ou trois de leurs écoles, il est certain que, si on les laissait faire, ils paralyseraient le mouvement d’études et fanatiseraient ou abêtiraient les jeunes esprits. Or convient-il maintenant, par scrupule excessif et par tendresse plus que délicate de conscience, de respecter leur zèle violent et de les laisser faire, parce qu’ils sont peut-être convaincus et qu’ils argumentent assez bien du droit ? 

173. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « PENSÉES ET FRAGMENTS. » pp. 495-496

Je sauve ce que je puis du bagage avarié : je voudrais que ce que j’en rejette périt tout à fait et ne laissât pas trace. […] J’y ai donné d’assez rares articles littéraires, dont quelques-uns se trouvent recueillis dans les précédents volumes ; quelques autres que je pourrais regretter sont empreints d’une personnalité assez vive pour que je les y laisse. […] Je me propose pourtant, si je vis, de donner dans un volume à part la suite de mes articles au Globe ; on me dit que ce ne serait pas sans intérêt, et je me suis laissé persuader.

174. (1864) Le roman contemporain

Je voudrais lui laisser cette consolation ; mais, en conscience, je ne le puis. […] Laissons là les chimères. […] L’article laissait beaucoup à désirer ; mais enfin il fut publié. […] Le monde punique n’a pas laissé d’historien. […] À quoi bon, d’ailleurs, laisser sa porte ouverte la nuit ?

175. (1714) Discours sur Homère pp. 1-137

Ils se laissent surprendre les uns aux autres, je n’en excepte pas Jupiter même. […] J’y trouve souvent un fonds de grandeur et de pathétique, qui, quoiqu’affoibli par bien des défauts, ne laisse pas encore de se faire sentir. […] Les diffuses ennuyent, parce qu’elles ne laissent rien à penser : plaisir qu’il faut toujours ménager au lecteur, sans préjudice de la clarté. […] Les unes laissent une ambiguité fatiguante dans la construction, et rendent en même tems le style dur et contraint. […] J’ai laissé aux dieux leurs passions ; mais j’ai tâché de leur donner toûjours de la dignité.

176. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIIIe entretien. Littérature cosmopolite. Les voyageurs »

On les y laissa trois jours en cet état (grand exemple de la justice céleste et des misères humaines), et après on les porta dans un cimetière hors de la ville, où ils furent enterrés pêle-mêle dans une même fosse. […] On ne se contenta pas de confisquer ses biens, comme aux autres, on ne laissa pas un sou à tous ses parents jusqu’au troisième degré. […] Cette mule était si fidèle à son maître, qu’il la laissait toujours seule dans la place Royale, au coin qui donnait vers sa boutique. […] Ils n’emportent jamais leurs marchandises de la place, mais ils l’enferment la nuit dans des coffres qu’ils attachent l’un à l’autre, ou bien ils en font des ballots légèrement attachés ensemble par une grosse corde, qui passe tout autour, et ils laissent tomber dessus leur petit pavillon, et s’en vont sans laisser personne à la garde. […] C’est par là que je saurai vous ôter le moyen de ne pouvoir plus faire de mauvais choix ; vous serez bien alors contraints de porter la couronne à l’aîné, et je vous laisse à penser de quelle manière il la recevra de vous, quand il verra que vous ne vous serez rendus à votre devoir qu’après une extrémité si fâcheuse. » Il finit son discours avec cette menace, et laissa les seigneurs de l’assemblée tellement surpris, que si une montagne fût tombée à leurs pieds, comme on parle en Perse, ils n’eussent pas témoigné tant d’étonnement.

177. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vernet » pp. 130-167

Son avis était de les laisser la prochaine fois à la maison, mais ce n’était pas le mien. […] L’émotion vive de l’âme laisse, même après qu’elle est passée, des traces sur le visage qu’il n’est pas difficile de reconnaître. […] Le premier la laissait hors de la toile ; le second l’y fesait entrer. […] -cela se peut, répliquait-il, laissons pourtant les choses comme elles sont. […] Il était tard quand je me retirai, mais l’abbé me laissa dormir la grasse matinée.

178. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre II. Les bêtes »

Un poëte n’avait rien à y prendre, et devait laisser là les bêtes, sans plus se soucier d’une carpe ou d’une vache, que d’une brouette ou d’un moulin. […] Il les défend par orgueil, non par générosité ; il ne s’inquiète point des petits et les laisse conduire par leur mère. […] Indifférent à ce qui l’entoure, il laisse errer lentement sur les objets ses grands yeux calmes. […] Il laissera Buffon composer une tragédie sur la cruauté, et fera une comédie sur la sottise. […] Il est sobre et sur la quantité et sur la qualité de la nourriture ; il se contente des herbes les plus dures et les plus désagréables que le cheval et les autres animaux lui laissent et dédaignent.

179. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXIXe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 129-192

Ces vergers et ces potagers, déserts pendant la nuit, étaient bornés par le rempart de Lucques ; il n’y avait, sous ce rempart, qu’un étroit passage pour laisser le canal des lavandières rejoindre dans la campagne le lit sinueux du Cerchio. […] Je dénouai le brin de paille, je le baisai cent fois convulsivement, je le cachai dans ma poitrine, je baisai les ailes de l’oiseau, je lui donnai à becqueter tant qu’il voulut dans ma main et sur ma bouche remplie de graines fines, puis je détachai de mon corsage un fil bleu, couleur du paradis, j’en fis un collier à l’oiseau, et je le laissai s’envoler vers la lucarne du cloître, où l’attendait son ami le meurtrier ! […] Ma tante et mon père l’avaient bien promis ; mais j’aime mieux laisser ma tante, à son tour, vous raconter ce qui s’était dit et ce qui se dit ensuite entre eux et Hyeronimo, quand ils se revirent, car je n’y étais pas, monsieur, le jour de la reconnaissance. […] Voyons, parle au monsieur avec confiance ; c’est ton tour maintenant d’ouvrir ton cœur, maintenant que le jour du bonheur est proche, et de le vider de tout ce qu’il contenait de rêves et de larmes, pour n’y laisser place qu’au bonheur et à la reconnaissance que tu vas goûter pendant le reste de ta vie. […] Et voici ce que mon ange me dicta dans l’oreille, comme si une voix claire et divine m’eût parlé tout bas ; car, encore une fois, ce n’était pas moi qui discutais avec moi-même ; mes lèvres étaient fermées et la parole d’en haut me parlait sans me laisser répondre et comme si quelqu’un m’avait commandée.

180. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Taine » pp. 305-350

Il laisse à toutes des lambeaux de sa personnalité. […] Taine n’était qu’un érudit, je le laisserais faire. Je le laisserais dans les épingles à chercher de l’érudition. […] Laissons M.  […] On s’est laissé poignarder en silence.

181. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Montaigne en voyage »

Il n’arrivait avec rien de préconçu ; il se laissait faire, il laissait arriver à lui les choses elles-mêmes. […] On le voit ensuite à Schaffhouse, à Constance (ayant laissé à droite Zurich où on lui dit qu’est la peste), à Lindaw sur le lac même de Constance. […] Sa plaine n’est guère large, mais les montagnes d’autour, même sur notre main gauche, s’étendent si mollement qu’elles se laissent tes tonner et peigner jusques aux oreilles. […] Il commence par comparer Rome, la neuve, celle du beau monde, avec Paris qu’il aimait beaucoup ; mais il n’insiste pas sur cette comparaison, et il remet et laisse bientôt Rome à son rang unique. […] Mais je me suis senti provoqué par ces doctes brochures qui venaient nous entretenir de minces détails, de questions philologiques concernant la bibliothèque et le tombeau du philosophe, et je ne me le suis pas laissé dire deux fois.

182. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Les frères Le Nain, peintres sous Louis XIII, par M. Champfleury »

Mais encore est-il plus sûr de laisser un nom collectif, le simple nom de famille, à leurs tableaux, et, sans qu’ils aient dû être pour cela collaborateurs, de leur appliquer cette belle devise de concorde et d’union, qui se lit au mur d’un ancien château du Midi, bâti par des frères : … Constans fecit concordia fratrum. […] Le côté angélique et le fond céleste de la scène paraissent vagues et laissent fort à désirer. Comme il n’y a rien de tel en littérature que de lire, et en art que de regarder et d’observer, je décrirai encore deux de leurs tableaux d’intérieur dont j’ai vu les originaux chez l’auteur du présent livre, et je les rendrai sous l’impression exacte qu’ils m’ont laissée. […] Il te faut le style, en un mot Il te faut encore, s’il se peut, le sentiment, un coin de sympathie, un rayon moral qui te traverse et qui te vienne éclairer, ne fût-ce que par quelque fente ou quelque ouverture : autrement, bientôt tu nous laisses froids, indifférents, et hommes que nous sommes, comme nous nous portons partout avec nous, et que nous ne nous quittons jamais, nous nous ennuyons de ne point trouver en toi notre part et notre place. Il te faut encore, et c’est là le plus beau triomphe, il te faut, tout en étant observée et respectée, je ne sais quoi qui t’accomplisse et qui t’achève, qui te rectifie sans te fausser, qui t’élève sans te faire perdre terre, qui te donne tout l’esprit que tu peux avoir sans cesser un moment de paraître naturelle, qui te laisse reconnaissable à tous, mais plus lumineuse que dans l’ordinaire de la vie, plus adorable et plus belle, — ce qu’on appelle l’idéal enfin.

183. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Histoire de Louvois par M. Camille Rousset. Victor-Amédée, duc de Savoie. (suite et fin.) »

Moins maître de lui qu’il ne le fut ensuite, il laissa un jour échapper un signe non équivoque de son animosité contre la France. […] Louvois, moins confiant en cette jeune âme d’ambitieux, faisait représenter à sa mère que si elle voulait garder le pouvoir, elle se mît au plus tôt en mesure et prit ses sûretés en se donnant toute à la France ; il essayait de lui forcer la main pour qu’elle livrât au roi places et citadelles de son pays, afin de retenir à ce prix cette ombre d’autorité qu’on lui aurait laissée. […] D’ailleurs il s’adonnait aux affaires et ne laissait personne lire dans ses pensées. […] Elle irrite et laisse dans les cœurs des ulcérations incurables. […] Catinat connaît à fond le duc de Savoie ; il se laisse pourtant, en plus d’une rencontre, amuser et retarder par lui.

184. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

Cette timidité et cette vacillation en politique n’est point rare chez de grands magistrats, qui ne retrouvent toute leur force et leur autorité que sur leur siège et sous les garanties extérieures qui laissent à leur jugement toute sa balance Mais les faiblesses mêmes d’un d’Aguesseau observent des principes et ont leurs limites ; elles naissent d’un fonds de scrupules, et elles méritent encore les respects. […] D’Aguesseau nous offre avec plus de distinction et d’élégance ce qu’a Rollin, un style d’honnête homme, d’homme de bien, et qui, si on ne se laisse pas rebuter par quelque lieu-commun apparent, par quelque lenteur de pensée et de phrase, vous paie à la longue de votre patience par un certain effet moral auquel on n’était pas accoutumé. […] » Ce trait m’en rappelle un autre d’un homme qui a laissé un vif souvenir chez ceux qui l’ont connu, l’abbé Mablini, le plus exquis et le plus attique des maîtres que notre École normale ait jamais eus. […] Devenu chancelier de France et ministre en 1717, sous la Régence, d’Aguesseau laissa trop voir alors ce qui lui manquait comme homme politique, et sa vertu, égarée entre Law, Dubois et le Régent, rencontra plus d’un piège qu’elle ne sut point éviter. […] Son père avait débuté par la magistrature, par une charge de conseiller au parlement de Metz ; mais la mort d’un frère aîné ayant laissé vacante une charge de maître des requêtes, M. d’Aguesseau en demanda l’agrément, et l’obtint à l’âge de vingt-trois ou vingt-quatre ans.

185. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1873 » pp. 74-101

Tourguéneff, est à son ordinaire, parleur et expansif, et on laisse parler le géant, à la douce voix, aux récits attendris de petites touches émues et délicates. […] Puis, je ne sais, à propos de quel crochet dans la conversation et les idées, Tourguéneff nous raconte qu’étant un jour en visite chez une dame, au moment où il se levait pour sortir, cette dame lui cria presque : « Restez, je vous en prie, mon mari sera ici dans un quart d’heure, ne me laissez pas seule !  […] Pierre Gavarni, qui dînait chez moi, a laissé éclater naïvement sa stupéfaction de la connaissance intime, que mon frère et moi avions du moral de son père. […] On l’enlève, et son corps tout mou, se laisse emporter, comme un corps où il n’y aurait pas d’os. […] Ce sont les interrogatoires de Bazaine, laissés là, par Lachaud qui dîne avec nous.

186. (1899) Esthétique de la langue française « Le vers libre  »

Dès le XIIe siècle, Benoît de Sainte-More rime très soigneusement, dédaigneux de la simple assonance qui avait déroulé sa musique assourdie le long des laisses de la grande épopée des premiers cycles ; au xiiie  siècle, Rutebeuf rime comme Banville, avec autant de virtuosité et de désinvolture. […] A peine s’est-on laissé aller à un bercement, que l’on se réveille secoué par une brusque volte du mouvement ; cette discontinuité du rythme entraîne la discontinuité du ton : il y a tangage et il y a roulis. […] Il faut estimer que tous les vers de cette laisse sont de même nombre ; il ne faut plus, ici moins que jamais, compter les syllabes, il faut les nombrer. […] Il est improbable que le commun des poètes s’approprie les secrets de cet art aussi facilement que les procédés parnassiens ; mais, quels que soient l’avenir et la destinée de cette poétique, il reste que par Moréas, Gustave Kahn, Vielé-Griffin, Verhaeren, Henri de Régnier (car les recherches et les résultats furent parallèles) un vers plus libre est possible en France et, avec ce vers, des laisses d’aspect nouveau, et avec ces laisses, des poèmes assez différents, en ce qu’ils ont d’acceptable et de très bon, pour justifier des espoirs qui n’avaient paru d’abord que d’obscurs désirs. […] Il en est de même dans la prose rythmique, où un certain parallélisme syllabique ou d’accent se laisse aussi parfois deviner ; à cela s’ajoutent la rime ou l’assonance, extérieures ou intérieures, parfois l’allitération.

187. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « IX. Mémoires de Saint-Simon » pp. 213-237

À toutes les pages de ses Mémoires, il se montre l’ennemi de ce gouvernement qu’il appelle le règne par soi-même et qui est la seule ressource que les fautes et les malheurs de plusieurs générations laissent à un peuple. […] Aussi excepté pour l’ambassade d’Espagne, qui ne fut qu’une chose de représentation et d’étiquette, Louis XIV laissa pour tout le reste le duc de Saint-Simon à l’antichambre, et le duc s’en est souvenu en jugeant le roi. […] même bêtes, qui se sont fixées sur cette belle tête voilée historique, mais dont le voile de veuve, pieusement gardé, laissera toujours apercevoir la beauté, le caractère et le courage ! […] Elle épousa le cul-de-jatte Scarron, qui ne lui laissa que ses guenilles de poète. […] Laissons sa capacité scientifique et un esprit qui a beaucoup de rapport, pour la souplesse et le mouvement, et la grâce même, avec l’esprit de Voltaire ; laissons sa vaste littérature et ce qui l’empêcha d’être complètement vil, sa bravoure au feu, ce sens de l’épée, qu’il avait tout comme un héros ; ne voyons que l’homme politique, qui dura si peu, et demandons-nous ce qu’il fût devenu s’il avait duré !

188. (1861) Cours familier de littérature. XI « Atlas Dufour, publié par Armand Le Chevalier. » pp. 489-512

Ne vaut-il pas mieux cent fois imposer la responsabilité de l’ordre dans le Liban aux Ottomans, qui depuis mille ans l’ont laissé chrétien, et le rendre libre et prospère en prêtant force au Grand Seigneur, libéral, quelquefois faible, jamais sciemment oppresseur ? […] Qu’est-ce que cette Italie, enfin, que vous avez héroïquement purgée de ses envahisseurs étrangers, par deux victoires, mais que vous laissez conquérir aujourd’hui par des envahisseurs d’un autre sang qui l’incorporent à une monarchie ambitieuse et précaire, au lieu de l’affranchir dans la liberté, et de la fortifier par une confédération, république de puissances, où chaque nationalité garde son nom et prête sa main à la ligue universelle des races diverses et des droits égaux ? […] Regardez plus haut, voyez dans cette Allemagne méridionale ce grand vide laissé par l’Autriche sur la carte politique du monde occidental : qu’est-ce qui le remplira, si vous avez l’imprévoyance de décomposer l’Autriche, votre boulevard ? […] Considérée comme existence visible, comme occupant sous le nom d’empire, de république, de race, de tribu, de nation, telle ou telle place dans l’espace et dans le temps, elle ne vaut pas plus que cela : car tout ce qu’elle remue n’est que poussière, tout ce qu’elle crée n’est que néant, tout ce qu’elle laisse après elle n’est qu’éblouissement, puis nuit profonde. […] Quelle renommée ont-elles laissée sur leurs ruines ?

189. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Introduction. Du bas-bleuisme contemporain »

» Et les hommes se laissèrent donner cette claque, d’une joue soumise, et furent heureux, quand ils la reçurent, comme Figaro quand il reçut celles de Suzanne ; mais Figaro avait pour excuse qu’il était amoureux. […] Les gouvernements eux-mêmes qui se croient à la tête des mœurs, lorsqu’ils se traînent à leur queue, se laissent gagner et pénétrer par la tache d’huile aussi mollement que l’opinion. […] Soit logique, soit indifférence, ces égalitaires dédaigneux, grossiers, occupés, acharnés aux affaires, ont laissé les femmes invoquer pour leur sexe le bénéfice de l’égalité avec eux, et même le leur ont laissé prendre. […] Toujours est-il qu’à l’heure qu’il est, dans tout ordre de faits, l’élément mâle se laisse absorber par l’élément femelle et que l’homme se prête à cet immense ridicule ! […] Et le grand cercle, qui était bonhomme, le laissa dire ; mais le petit cercle, devenu fort par la longanimité du grand cercle, ajouta : Je suis ton égal.

190. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Eugène Talbot » pp. 315-326

Le Romantisme, ce Résurrectionniste, en ravivant, aux lueurs de son flambeau, toutes les gloires du seizième siècle, de ce siècle que le dix-septième et le dix-huitième, descendants ingrats de pères plus grands qu’eux, avaient cru pouvoir effacer, le Romantisme avait laissé dans l’ombre cette petite gloire d’une traduction qui est un bijou… Tous ou presque tous de ce siècle qui a la beauté d’une aurore, depuis Rabelais, Montaigne, Ronsard, d’Aubigné, Régnier, Amyot, Desportes, jusqu’à Mathieu, le splendide Pierre Mathieu, qui écrivait sous Henri IV et qui précéda immédiatement cette littérature, exécutée comme la Noblesse et dont Malherbe et Despréaux vont tout à l’heure être les Richelieu et les Louis XIV, tous avaient eu leur édition ou du moins leur page d’histoire ou de critique qui disait la nécessité ou la convenance de l’édition, comme on a la niche, en attendant la statue. […] Courier, je crois, a été le dernier mécontent qui ait parlé, en grommelant, de Larcher, qu’on laissait en son pignon sur rue d’académicien et de traducteur d’Hérodote, attitré et accrédité. […] Laissons à Villemain la peine de répéter les vieilles sottises de La Harpe, cet homme de goût ! Laissons-lui dire qu’avant Descartes et Pascal la langue française n’était pas fixée, comme si la langue fluviale de Rabelais ne valait pas le petit bassin d’eau filtrée sur lequel Racine mettait à îlot et faisait manœuvrer les petites galères d’ivoire de ses tragédies… Pascal, qui est un des fïxeurs de la langue française, pour parler l’incroyable jargon des pédants traditionnels et officiels, Pascal lui-même imite Montaigne, et c’est en réunissant la langue de Montaigne à son âme à lui, à cette âme si épouvantablement passionnée, qu’il fut ce miracle… ou ce monstre, qu’on appelle Pascal ! […] « Or, connaîtront cette grande révérence ceux qui se pourront apercevoir par quels termes ils témoignent la toute-puissance de Dieu, termes, dis-je, usités en tous endroits de la Sainte-Écriture, qui, au contraire, ont été laissés et méprisés de ceux qui les ont ensuivis.

191. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Camille Desmoulins » pp. 31-44

Seulement, disons-le, cette petite propagande n’aura pas le succès qu’on pouvait en attendre, si j’en juge par l’impression que laisse dans l’esprit la lecture de Camille Desmoulins et de ses deux notices ! […] Ces volumes, en effet, sont suffisants pour fixer sur Camille Desmoulins l’opinion, que les grandes histoires de la Révolution laissaient indécise quand elles le plaçaient dans un lointain qui lui donnait, comme aux bâtons flottants, de la grandeur. […] Nettement discerné à la lumière de ses œuvres, pris à part de l’entourage immense de tous les faits du temps groupés autour de lui, on verra mieux ce que fut ce mauvais garçon de nos jours funestes, qui ne fut pas un mauvais homme et qui fit des choses mauvaises, et ce que fut aussi cet esprit charmant, destiné peut-être, en travaillant, à laisser des livres immortels, mais qui ne fut qu’un journaliste, lequel, nonobstant l’exhumation faite de ce qu’on croit ses meilleures œuvres, comme tout journaliste qui n’est que cela, se trouve condamné à périr ! […] Ce pauvre Louis XVI, dont tout le crime peut-être fut d’être un mouton qui se laisse bêtement égorger !!! […] Quand, enfant affolé de l’insurrection, il se nomma lui-même procureur général de la hideuse lanterne, puis tout à coup se cabra de peur devant l’incendie qu’il avait allumé avec son falot, comme le petit polisson du coin d’un bois qui l’incendie avec une allumette et qui se sauve ; quand, toujours gamin, mais gamin tremblant pour le coup, — car le génie de Camille Desmoulins est voué autant à la peur qu’aux larmes, — il se laisse corriger ses épreuves du Vieux Cordelier, comme un devoir, par le terrible Robespierre ; quand tout à coup il fait volte-face contre son ancien ami Brissot, qu’il avait tant vanté, et, girouette lasse de tourner dans du sang, ne veut pas en avoir tant au pied, c’est éternellement et partout sa sensibilité que MΜ. 

192. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIX » pp. 207-214

Enfin, c’est se laisser aller à l’imagination, faculté dominante des poètes, qui n’accorde pas toujours à la réflexion la liberté de se mettre sur ses gardes. […] C’était encore un courtisan quand il disait, dans une dédicace, à la mère de cet enfant adultérin : Le temps qui détruit tout, respectant votre appui, Me laissera franchir les ans dans cet ouvrage, …………………………………………………         Sous vos auspices, ces vers         Seront jugés, malgré l’envie,         Dignes des yeux de l’univers. […]         Sauvez-vous et laissez-moi paître,         Notre ennemi, c’est notre maître. […] Mais il était moraliste, et surtout moral, quand il disait au roi dans sa première épître : …………… Laissons là les sièges, les batailles ; Qu’un autre aille en rimant renverser les murailles, Et souvent sur tes pas, marchant sans ton aveu, S’aille couvrir de sang, de poussière et de feu ; À quoi bon d’une muse au carnage animée Échauffer ta valeur déjà trop allumée ?

193. (1868) Rapport sur le progrès des lettres pp. 1-184

Mieux vaut lui laisser ce petit embarras que de se briser soi-même sur l’écueil. […] Laissez ces bribes aux collecteurs d’autographes. […] Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre, Chateaubriand, ont ramassé les dernières gerbes et nous ont à peine laissé à glaner. […] Il laisse derrière lui le plus vaste des héritages. […] Il peut se retirer en Algérie ; Maximilien ne l’y laissera pas.

194. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre troisième »

Il se reconnaît vaincu, et prête serment d’allégeance à l’Amour, auquel il laisse son cœur en gage. […] Il faut laisser Faux-Semblant se peindre lui-même. […] Il contentait tous les goûts, soit sérieux, soit frivoles, sous une forme qui ne laissait à personne la liberté de s’y intéresser médiocrement. […] Jeunesse l’avait conduit dans l’empire de l’Amour, auquel il avait laissé son coeur en gage. […] Soudainement s’en est volé (s’est envolé), Et ne m’a laissé quelque don.

195. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIe entretien » pp. 5-85

Laissez la poésie, laissez la parole, laissez la philosophie ! […] Je laisse à la réflexion et à la conscience à prononcer. […] Laissez-moi donc vous parler encore de moi, et n’en accusez que mon art. […] Les larges portes de ce palais étaient ouvertes à deux battants, et laissaient voir les cours, les escaliers, les portiques. […] Les volets fermés ne laissaient entrer qu’un demi-jour dans l’appartement.

196. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXIXe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin (2e partie) » pp. 321-384

Non, c’est trop tard, la nuit est faite pour dormir, à moins qu’on ne soit Philomèle ; et puis, quand je commencerais quelque chose, demain peut-être je le laisserais aux rats. […] « Une journée passée à étendre une lessive laisse peu à dire. […] Voilà papa qui vient de me visiter dans ma chambre et m’a laissé en s’en allant deux baisers sur le front. Comment laisser ces tendres pères ?  […] C’est un charme d’écrire dans ces parfums, d’y prier, d’y penser, d’y laisser aller l’âme.

197. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers » pp. 81-176

Il conçut un plan de campagne que nous laissons exposer à M.  […] On ne voyait que l’abandon où il laissait la malheureuse armée qui avait eu assez de confiance en son génie pour le suivre. […] Il le laissait voir avec une faiblesse indigne de son caractère. […] Toutefois il avait un mérite moral : c’était d’aimer la paix sous un maître qui aimait la guerre, et de le laisser voir. […] Il le laissa chargé de dettes, il est vrai, mais tranquille possesseur des mers et des Indes.

198. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Ma biographie »

C’est en cette même année 1827 que je laissai l’étude de la médecine. […] Pourtant je me laissai faire. […] « La fatigue ne laissait pas de se faire sentir. […] Et s’il eût pris parti, je ne crois pas que c’eût été en ce moment-là pour ceux qui avaient laissé s’engager l’insurrection. […] Sa mère lui avait raconté de certaines scènes boulonnaises, qui laissent toujours plus d’impression dans les souvenirs provinciaux qu’à Paris.

199. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIe entretien. L’Arioste (2e partie) » pp. 81-160

Pendant son absence, un des deux amis qu’il a laissés auprès d’Isabelle s’éprend d’un perfide amour pour elle. […] Le berger et sa famille lui racontent innocemment le séjour d’Angélique et de Médor dans leur cabane, leur union, leur félicité, leur départ pour les Indes ; ils lui montrent avec orgueil le bracelet précieux qu’Angélique leur a laissé en mémoire de son séjour ici. […] Léon y consent, décidé à se laisser vaincre et tuer plutôt que d’attenter aux jours et au bonheur de son ami Roger. […] je laissais dans ce beau lieu une partie de la mienne, mais je ne désirais pas qu’on me la rendît jamais. […] Un dictateur n’aurait point laissé écrire par son ministre qu’à l’Assemblée nationale seule il appartient de déterminer la ligne politique à suivre, et qu’avant de rien statuer, il aura à prendre les ordres de l’Assemblée.

200. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Ce qu’il laissait à faire. — § II. […] De la comédie au temps de Corneille. — Ce qu’il en fit. — Le Menteur. — Ce qu’il laissait à faire. […] Ils leur laissaient ce qui ne peut pas se prendre ; ils laissaient à Lope de Véga sa verve, et tout ce qui échappe de vérités à un génie heureux, malgré son public et malgré lui-même. […] Toute conversation vaine, où l’on n’a d’autre objet que de plaire en parlant et de laisser à l’interlocuteur quelque impression de son mérite, est exclue de cette comédie. […] Il n’y a pas d’imitation là, où, pour se passer du trait imité, il eût fallu laisser une belle scène incomplète, un personnage boiteux.

201. (1857) Cours familier de littérature. III « XIVe entretien. Racine. — Athalie (suite) » pp. 81-159

Ce n’est rien ; ce sont des feuilles à élaguer pour laisser nouer et mûrir le fruit. […] Joas, laissé pour mort, frappa soudain ma vue. […] Laissez-le s’expliquer sur tout ce qui le touche. […] Dieu laissa-t-il jamais, ses enfants au besoin ? […] Laisse là ton Dieu, traître, Et venge-moi.

202. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Nouveaux voyages en zigzag, par Töpffer. (1853.) » pp. 413-430

Cet écrivain si regrettable, enlevé en 1846 à l’âge de quarante-sept ans, au moment où la renommée venait le couronner et où une sympathie universelle le récompensait de son long effort, avait laissé d’autres récits d’excursions encore que ceux que M.  […] Cette seconde région qui, ai-je dit, est la moyenne, mène à l’autre, à la supérieure et sublime, qui est la région des pics, des glaciers, des resplendissants déserts, et où la rigueur du climat « ne laisse vivre que des rhododendrons, quelques plantes fortes, des gazons robustes », au bord et dans les interstices des neiges éternelles. […] Mais l’Alpe a été rude à conquérir tout entière ; les montagnes ne se laissent pas brusquer en un jour ; les René et les Childe-Harold les traversent, les déprécient ou les admirent, et croient les connaître : elles ne se livrent qu’à ceux qui sont forts, patients et humbles tout ensemble. […] Un des endroits de son récit qui m’a laissé le plus frais souvenir, c’est son excursion aux Mayens, près de Sion. […] Je n’ai pas craint de laisser arriver ces pensées graves et funèbres jusque dans la lecture de ces derniers Voyages si remplis de soleil, de joie, d’accidents de toute sorte, si animés d’une sociabilité charmante, et tout parsemés de figures ou de perspectives.

203. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance de Buffon, publiée par M. Nadault de Buffon » pp. 320-337

Chacun a sa délicatesse d’amour-propre : la mienne va jusqu’à croire que de certaines gens ne peuvent pas même m’offenser. » Il pratiqua toujours cette méthode de se taire et de laisser dire les ennemis. Ainsi encore, à propos des attaques dernières dont Les Époques de la nature furent l’occasion, et de je ne sais quel manuscrit de Boulanger qu’on l’accusait d’avoir pillé : « Il vaut mieux, disait-il, laisser ces mauvaises gens dans l’incertitude, et comme je garderai un silence absolu, nous aurons le plaisir de voir leurs manœuvres à découvert… Il faut laisser la calomnie retomber sur elle-même. » À M. de Tressan qui s’était, un jour, ému et mis en peine pour lui, il répondait : « Ce serait la première fois que la critique aurait pu m’émouvoir ; je n’ai jamais répondu à aucune, et je garderai le même silence sur celle-ci. » Ainsi pensait-il, et il ne se laissait pas détourner un seul jour du grand monument qu’il édifiait avec ordre et lenteur, et dont chaque partie se dévoilait, successivement à des dates régulières et longtemps à l’avance assignées. […] Quand Daubenton se sépara de lui, il laissa pourtant un grand vide, un vide irréparable dans la continuation de l’Histoire naturelle ; il ne fut point remplacé. […] Votre édifice est fait et superbe, votre monument est debout ; à quoi bon laisser à d’insatiables neveux les moyens d’en refaire un jour industrieusement l’échafaudage et de masquer de nouveau la façade ? […] Il y eut à l’origine de la littérature classique une école homérique : tel rhapsode qui, sans Homère, n’aurait jamais rien été ni rien laissé, a fait, grâce à Homère, telle description, je ne sais laquelle, mais qui figure très dignement, je me l’imagine, dans l’œuvre homérique.

204. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Œuvres de Maurice de Guérin, publiées par M. Trébutien — I » pp. 1-17

Le voile qui s’est déchiré depuis, et qui a laissé voir le fond orageux et mouvant de ses doctrines, n’était qu’à peine soulevé alors. […] » S’il était mort, en effet, à cette heure ou dans les mois qui suivirent, s’il s’était brisé dans sa lutte intérieure, quelle belle et intacte mémoire il eût laissée ! […] Mes volets mal fermés m’ont laissé entrevoir, dès mon lever, cette grande nappe blanche qui s’est étendue en silence sur la campagne. […] Ce grand voile sombre et flottant laissait parfois des défauts par où se glissait un rayon de soleil qui descendait comme un éclair dans le sein de la forêt. […] Le 28 (mars). — Toutes les fois que nous nous laissons pénétrer à la nature, notre âme s’ouvre aux impressions les plus touchantes.

205. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance diplomatique du comte Joseph de Maistre, recueillie et publiée par M. Albert Blanc » pp. 67-83

J’aime à croire que non, car le fond de mon opinion est le même ; mais j’aime tout ce qui est de l’homme quand l’homme est distingué et supérieur ; je me laisse et me laisserai toujours prendre à la curiosité de la vie, et à ce chef-d’œuvre de la vie, — un grand et puissant esprit ; avant de la juger, je ne pense qu’à la comprendre et qu’à en jouir quand je suis en présence d’une haute et brillante personnalité. […] Cette première publication, je l’avoue, laissait beaucoup à désirer et à dire. […] Laissez parler l’homme. […] lui qui reproche à d’autres de s’être laissés séduire par Napoléon, n’avait-il pas désiré un moment se mettre à cette rude épreuve, et s’exposer au péril d’être séduit à son tour en se flattant de le persuader ! […] Dans un entretien confidentiel qu’il a avec l’empereur Alexandre, en mai 1812, il déconseille à ce monarque de faire la guerre en personne ; il faut laisser cela à l’usurpateur, dit-il : « Un usurpateur ne peut être tel qu’en vertu d’une volonté de fer et d’une force qui tient du miracle.

206. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre III. Théorie de la fable poétique »

Le botaniste nous laisse considérer dans une plante les feuilles et les fleurs tout ensemble, les sinuosités de sa forme, les nuances de ses couleurs, la diversité des herbes qui l’environnent, la figure du sol où elle croît. […] Décolorés et sans substance, ils laisseront briller à travers eux l’idée générale qu’ils renferment ; plus ils seront vides, plus ils seront transparents. […] Nous ne laisserons donc ni source d’intérêt ni occasion d’erreurs, et nos personnages ne pourront ni amuser ni tromper. — Cette suppression des caractères supprimera l’action, car l’action est le mouvement et la vie, et nos acteurs sont immobiles et morts. […] Tout sera régulier, uniforme, sentencieux, sévère ; et notre recueil de préceptes, démontré par un recueil d’exemples, laissera le lecteur sans émotion, mais convaincu. […] S’il décrit un paysage, les détails seront choisis pour faire tous la même impression ; ils seront ordonnés pour faire tour à tour une impression plus grande ; ils seront ordonnés et choisis pour laisser dans l’âme un même sentiment sans cesse accru.

207. (1894) Critique de combat

Faut-il, au contraire, la laisser aller à l’aventure sans essayer de la diriger ? […] Il était convenu que, pour être un grand économiste, il fallait appartenir à l’école orthodoxe du « Laissez faire, laissez mourir ». […] Sa conclusion définitive est : Laissons faire la nature ! […] Laissons au prêtre le privilège d’être son fournisseur patenté d’illusion !  […] Coppée laisse percer, sans y songer, des opinions réactionnaires.

208. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 3665-7857

Imitez l’élevation de ce poëte, évitez son enflure, & laissez donner à votre poëme le nom qu’il plaira à ceux qui disputent sur les mots. […] Une voix ingrate, des yeux muets & des traits inanimés, ne laissent aucun espoir au talent intérieur de se manifester au-dehors. […] Laisser voir la feinte au spectateur, c’est a quoi tout comédien peut réussir ; ne la laisser voir qu’au spectateur, c’est ce que les plus consommés n’ont pas toûjours le talent de faire. […] Ces grands maîtres ont laissé imaginer & sentir au spectateur ce qu’ils n’auroient pû qu’énerver, s’ils avoient tenté de le rendre. […] Le coeur plein de son amour, elle en laisse échapper quelques marques.

209. (1889) La bataille littéraire. Première série (1875-1878) pp. -312

Henri, demeurant immobile, lui laissa faire cinq pas. […] Laissez-moi passer, hein ? […] laissez-moi monter ; qu’est-ce que ça vous fait ? […] Officier, laissez-moi là, je ne tomberai pas. […] Qui donc a laissé entrer ici ce discoureur ?

210. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIVe entretien. Mélanges »

Mais, forcé de partir inopinément, je laissai à Genoude cet article à peine commencé. […] Adieu donc ; je vous reverrai le jour indiqué. » Il dit, et me laissa le manuscrit du Livre du peuple. […] » L’abbé de Lamennais parut convaincu, me promit de suivre ces conseils et me laissa parfaitement persuadé qu’il était résolu à les suivre à son retour de la campagne. […] Mais sa politique et sa vie eurent bientôt le même terme, il mourut en 1849, aux îles d’Hyères, et laissa ses fils sans fortune. […] Cette prodigieuse existence ne laissa point de trace.

211. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre cinquième »

Pensez-vous que le ciel, qui hait la tyrannie, Favorise la vôtre, ou la laisse impunie ? […] Il disait que la bonne langue se parlait sur la place Saint-Jean expression exagérée d’une pensée pleine de justesse, où Malherbe laisse voir en même temps son sens supérieur et son esprit agressif et normand. […] Il n’en laissa rien échapper. […] Les exemples laissés par Ronsard et son école avaient brouillé tout ce que leurs théories avaient réglé. […] Plus d’une fois Malherbe plia sous le fardeau, et laissa les premières strophes d’une ode réformatrice se refroidir des mois entiers sur le papier, en attendant les suivantes.

212. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre septième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie. »

Dans l’immense forêt des astres, dit l’astronome Janssen, on rencontre le gland qui se lève, l’arbre adulte, ou la trace noire que laisse le vieux chêne. […] Si le ciel nous laissa comme un monde avorté, Le juste opposera le dédain à l’absence, Et ne répondra plus que par un froid silence Au silence éternel de la Divinité. […] Mais ce n’est encore que le premier choc, et il est supporté avec toute la vaillance laissée intacte par la belle tranquillité des devanciers. […] La profondeur de l’amour, pour Musset, se mesure à la douleur même que l’amour produit et laisse en nous : aimer, c’est souffrir ; mais souffrir, c’est savoir. […] Si ta chétive créature Est indigne de t’approcher, Il fallait laisser la nature T’envelopper et te cacher.

213. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXI. »

Quiconque, des Pyrénées aux dernières bornes de l’horizon, estime le vrai courage, va laisser déserts l’Aragon et l’Espagne. […] Gâtée par la jalousie de Philippe Il contre ses alliés et ses proches, elle s’arrêta, pour laisser aux Turcs, dans un lâche traité de paix, tout ce qu’ils avaient conquis. […] Combien pauvres et aveugles tu nous laisses ici-bas !  […] Le génie propre de la langue et, sans doute aussi, l’éclair d’un sentiment vrai dissipaient cette fois le nuage, et laissaient paraître le poëte. […] ses beautés laissé cheoir !

214. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre II. Prière sur l’Acropole. — Saint-Renan. — Mon oncle Pierre. — Le Bonhomme Système et la Petite Noémi (1876) »

L’impérieux devoir qui m’obligea, durant les années de ma jeunesse, à résoudre pour mon compte, non avec le laisser aller du spéculatif, mais avec la fièvre de celui qui lutte pour la vie, les plus hauts problèmes de la philosophie et de la religion, ne me laissait pas un quart d’heure pour regarder en arrière. […] Tout saints qu’ils étaient, ils ne laissaient pas d’être parfois sujets à d’étranges faiblesses. […] Ces grandes et terribles scènes avaient laissé en elle une empreinte ineffaçable. […] On le laissait tout à fait tranquille ; on le respectait même. […] Je laissai ainsi bifurquer mon premier amour, comme plus tard je laissai bifurquer ma politique, de la façon la plus maladroite.

215. (1856) Cours familier de littérature. I « VIe entretien. Suite du poème et du drame de Sacountala » pp. 401-474

Pour comble de malheur, l’infortunée Sacountala avait laissé glisser de son doigt l’anneau nuptial, signe auquel le héros avait juré de la reconnaître toujours. […] Laisse-le s’expliquer, et ne le tourmente pas de la sorte. […] Il déplore le malheur d’un héros et d’un roi qui ne laissera après lui aucun héritier de son empire et de son amour pour ses peuples. […] Laisse-moi… Ne serre pas dans tes bras un homme dégradé par sa cruauté. […] « Laissez-le pleurer, disent ses serviteurs ; ceux qui souffrent doivent parler de leurs souffrances.

216. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre III. Le comique de caractère »

Il est comique de se laisser distraire de soi-même. […] Elle se laisse regarder simplement. […] Les services qu’on lui rend sont les plus fictifs de tous les services ; pourtant ce sont ceux-là qui laissent derrière eux une reconnaissance durable. […] Il y a toujours au fond du comique, disions-nous, la tendance à se laisser glisser le long d’une pente facile, qui est le plus souvent la pente de l’habitude. […] Il n’y réussirait pas si la nature n’avait laissé à cet effet, dans les meilleurs d’entre les hommes, un petit fonds de méchanceté, ou tout au moins de malice.

217. (1912) Réflexions sur quelques poètes pp. 6-302

Suit un subtil éloge du contentement de soy que laisse l’étude. […] Je m’y laisse prendre comme tout le monde. […] Il a laissé également : Bradamante, une tragi-comédie. […] Ami des lettres et des sciences, il a laissé divers traités d’archéologie grecque et romaine. […] Nous voyons que Lebrun mettait tous ses soins à ne pas laisser aux siennes ce goût plat.   

218. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. THIERS. » pp. 62-124

Ces années d’études à Aix ont laissé des traces. […] Si le coup d’œil historique sur les révolutions de la peinture laisse infiniment à désirer et peut compter à peine en ce qui concerne l’Italie, que M. […] Si on le laissait faire, le puritanisme religieux l’emportait au bout du monde, comme la curiosité scientifique emmenait M. […] La nation anglaise se souleva une première fois, et, la seconde, elle se soumit à la plus avilissante oppression, elle laissa mourir Sidney et Russel, elle laissa attaquer ses institutions, ses libertés, ses croyances, mais elle se détacha de ceux qui lui faisaient tous ces maux. […] Il n’a qu’à choisir entre ses aptitudes et ses verves, ou plutôt elles ne lui laissent pas le temps de choisir ; la fertilité de son esprit l’amuse lui-même.

219. (1860) Cours familier de littérature. X « LIXe entretien. La littérature diplomatique. Le prince de Talleyrand. — État actuel de l’Europe » pp. 289-399

L’amitié de Mirabeau mourant avait jeté sur M. de Talleyrand un de ces reflets posthumes que les grandes renommées laissent après elles sur ce qui les a seulement approchées. […] Plus il s’ouvrait, plus il laissait entrevoir de ressources d’esprit sous la grâce nonchalante et grave des paroles ; l’intimité en lui était irrésistible. […] Mirabeau lui avait laissé en mourant, comme à Sieyès et à Talleyrand, le système de l’alliance anglaise. […] Bonaparte voulait laisser mûrir la versatilité publique ; M. de Talleyrand la croyait mûre tous les jours pour qui oserait en arracher le fruit. […] Il se laisse nommer à une dignité inamovible, celle de grand électeur, afin de colorer sa sortie du ministère par une situation neutre dans le gouvernement des affaires européennes.

220. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — I. » pp. 41-61

Elle devint même la cause innocente de nouveaux malheurs pour ce pays qu’elle chérissait, lorsqu’à la mort de son père et de son frère, celui-ci n’ayant pas laissé d’enfants, Louis XIV, à cause d’elle, éleva des prétentions sur le Palatinat. […] C’est par cette naïveté de brusquerie peut-être, et aussi par ses qualités solides d’honnête femme, j’allais dire d’honnête homme, quelle plut à Louis XIV, et qu’entre elle et lui se noua cette amitié qui ne laisse pas d’avoir sa singularité et d’étonner au premier abord. […] Mais laissons pour un moment la plaisanterie française et cette facilité de badiner sur tout et de chercher finesse à tout. […] Quand le nom du roi fut hors de cause, Mme de Maintenon eut bientôt à parler pour son propre compte et à répondre aux reproches que lui faisait Madame d’avoir varié de sentiments à son égard : l’ayant laissée dire comme la première fois, l’ayant laissée s’avancer jusqu’au bout et s’enferrer en quelque sorte, elle lui découvrit tout d’un coup des paroles secrètes, particulièrement offensantes pour elle-même, qu’elle savait depuis dix ans et plus, qu’elle avait gardées sur le cœur, et que Madame avait dites à une princesse, morte depuis, laquelle les avait répétées dans le temps mot pour mot à Mme de Maintenon : « À ce second coup de foudre, Madame demeura comme une statue ; il y eut quelques moments de silence. » Puis ce furent des pleurs, des cris, des pardons, des promesses, et un raccommodement qui, fondé sur un triomphe froid pour Mme de Maintenon et sur une humiliation intime pour Madame, ne pouvait être de bien longue durée. […] [NdA] La première traduction et édition française, publiée en 1788, sous le titre de Fragments de lettres originales de Madame, etc., et qui précéda d’un an la publication de l’original allemand, conserve sur les éditions françaises plus récentes l’avantage d’indiquer les dates des lettres et de laisser voir tout franchement le caractère d’extraits.

221. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — I » pp. 432-453

Il n’avait été marié que deux ans environ, ne laissa point de postérité, et n’avait guère que 25 ans à l’époque de sa mort. […] Mais comment se jouer aux Coigny, aux Coislin, à aucune de ces nobles familles qui avaient laissé des héritiers et des descendants ? […] Ce mariage, qui paraît avoir été assez heureux, fut de courte durée, et la laissa veuve à vingt-six ans (1744) avec un fils unique ; une fille qu’elle avait eue était morte peu après sa naissance. […] Elle ne voulut pas laisser dans le doute un seul instant ses amis, et elle leur en fit part en leur écrivant : « Je comprends par le commencement de votre lettre, lui répondait sur ce point Jean-Jacques (13 octobre 1758), que vous voilà tout à fait dans la dévotion. […] Seulement, au lieu de s’épancher et de se répandre en longs discours, ce fonds d’humeur s’échappe en mots brefs et secs qui laissent leur empreinte.

222. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Lettres inédites de Michel de Montaigne, et de quelques autres personnages du XVIe siècle »

Il faut donc en prendre son parti et laisser faire les curieux, les laisser courir et battre la campagne en tous sens à leur guise, sauf ensuite à distinguer et à choisir dans ce qu’ils nous rapporteront. […] Montaigne, qui avait quitté Rome dès le 15 octobre, était de retour dans son château le 30 novembre, juste à temps pour y recevoir cette lettre du roi qui ne lui eût pas laissé la liberté du refus. […] Le spectacle de cette entrée épouvantable et de cette exécution laissa une longue horreur imprimée aux âmes, et quand on lit ensuite le traité de la Servitude volontaire d’Étienne de La Boëtie, l’ami de jeunesse de Montaigne, on ne peut s’empêcher d’y reconnaître un profond sentiment de représailles autant et plus peut-être qu’un ressouvenir et une imitation de l’antiquité. […] En somme, il conclut juste : il n’a pas fait monts et merveilles dans sa charge, il ne s’est pas entièrement satisfait lui-même ; il a fait pourtant mieux et plus qu’il n’avait promis à son entrée : il n’aura laissé après lui que de bons souvenirs et des regrets. […] Pour la garde du dedans de la ville, j’espère que vous la trouverez en l’état que vous nous la laissâtes.

223. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée par. M. le Chevalier Alfred d’Arneth »

Malheureusement pour Monsieur, toutes ces menées commencent à être connues et ne lui laissent ni considération ni affection publique. […] Je vous prie donc en amie, et comme votre tendre mère, qui parle par expérience, ne vous laissez aller à aucune nonchalance ni sur votre figure, ni sur les représentations. […] J’ai tant vu d’injustices de ce genre et de faux jugements accrédités, à force d’être répétés, sur des personnes qui ne les méritaient pas, que je laisse toujours dans mon esprit une porte entr’ouverte à la contradiction et au doute. […] On convient bien que le feu roi a laissé les choses en très-mauvais état, mais les esprits sont divisés, et il sera impossible de contenter tout le monde dans un pays où la vivacité voudrait que tout fût fait dans un moment (30 juillet 1774.) » Bien vite, en effet, les nuages reviennent et les difficultés se prononcent. […] Mais nous n’avons garde d’empiéter sur la chirurgie. — Je ne laisse subsister la note qu’on vient de lire qu’à la condition d’en rétracter une partie.

224. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Aloïsius Bertrand »

Au lieu de cette opportunité du moins dans le malheur, il survécut obscurément, se fit perdre de vue durant plus de dix années sans donner signe de vie au public ni aux amis ; il se laissa devancer sur tous les points ; la mort même, on peut le dire, la mort dans sa rigueur tardive l’a trompé. […] Ils coulent avec tant de grâce, Qu’on ne sait, malgré ta pâleur, S’ils laissent une amère trace, Si c’est la joie ou la douleur. […] La suspension du Provincial laissait Bertrand libre, et nous le vîmes arriver à Paris vers la fin de 1828 ou peut-être au commencement de 1829. […] Un jour pourtant il revint, et ne trouvant pas l’éditeur au gîte, il lui laissa pour memento gracieux la jolie pièce qui suit : A M.  […] Et moi aussi j’ai été déchiré par les épines de ce désert, et j’y laisse chaque jour quelque partie de ma dépouille.

225. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre II. De l’expression »

. — Quand Delille dit : Et d’une horrible toux les accès violents Etouffent l’animal qui s’engraisse de glands, il ne laisse dans l’esprit du lecteur qu’une image froide et vague. […] Les émotions de l’oreille se transmettent à l’âme, et diminuent ou achèvent l’impression que l’idée a laissée. […] Le mot ordinaire est trop faible, il a bien fallu le laisser là. […] Ce n’est pas un écrivain que nous venons voir, c’est un homme, ou plutôt c’est l’objet lui-même ; le véritable artiste est celui qui fait voir son sujet sans laisser voir sa personne. […] Ajoutez enfin que cette mesure et cette mélodie peu sensibles mais perpétuelles laissent, parmi toutes ces émotions diverses, une émotion unique qui est très-douce, l’émotion musicale et poétique ; de même que, sous les bruits et les sons toujours changeants de la campagne, court un long et doux murmure qui calme et charme notre âme, et que nous ne remarquons pas.

226. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIIIe entretien. Chateaubriand, (suite) »

Cependant, ne vous laissez point abattre ; on trouve encore quelques douceurs parmi beaucoup de calamités. […] Joubert, qui n’a laissé que des Pensées et qui aurait pu laisser des œuvres, mais esprit essentiellement critique, trop indolent pour rédiger autre chose que des impressions ; M. de Bonald, ingénieux auteur d’écrits contre-révolutionnaires et religieux. […] Tout le monde était d’accord dans ce salon, tant les grands crimes effacent les différences d’opinions et ne laissent survivre que l’honneur. […] Femme d’esprit, d’un caractère épineux et difficile, elle laissait son mari libre et vivait çà et là avec ses belles-sœurs, délaissées comme elle. […] Si le christianisme est l’allégorie du mouvement des sphères, la géométrie des astres, les esprits forts ont beau faire, malgré eux ils ont encore laissé assez de grandeur à son culte ! 

227. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. Tome IXe. » pp. 138-158

Il laisse le temps à l’ennemi de le tâter et de sentir le côté faible par où le fer, en appuyant, pourrait entrer. […] Laissons de côté ce qui tient à la grandeur d’imagination et de poésie : le grand rôle politique définitif restera aux Pitt et aux Wellington, à ces opiniâtres temporisateurs. […] Napoléon laissa cette société pour aller dans le coin d’un salon converser longuement avec les deux célèbres écrivains de l’Allemagne. […] Une fois les arches du pont jetées, il laisse le courant aller de soi-même en toute largeur. […] Thiers, dans la plénitude de son talent d’écrivain, ne se laisse point détourner du but, et trouve moyen de poursuivre régulièrement son œuvre.

228. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon. » pp. 270-292

Or, ce mélange intime du moraliste et du peintre avec l’historien constitue l’originalité de Saint-Simon, et se démontre de soi-même dans l’immense fresque historique qu’il nous a laissée. […] Il le sent, et il en demande excuse tout à la fin : « Je ne fus jamais un sujet académique, dit-il, je n’ai pu me défaire d’écrire rapidement. » S’il avait voulu retoucher et corriger, il aurait gâté et estropié son œuvre ; il a bien fait de la laisser telle, vaste, mouvante, et un peu exorbitante en bien des points. […] M. et Mme la duchesse de Bourgogne y tenaient ouvertement la cour, et cette cour ressemblait à la première pointe de l’aurore. » Pendant cinq jours on reste dans ces fluctuations et ces incertitudes dont il ne nous laisse rien perdre. […] À une certaine heure de la nuit, et la nouvelle positive de la mort s’étant répandue, nous assistons par lui, dans cette grande galerie de Versailles, à un immense tableau dont la confusion apparente laisse apercevoir pourtant une sorte de composition, que je ne ferai qu’indiquer. […] Saint-Simon pourtant, dans son ensemble, n’était point un homme tout à fait supérieur, en ce sens qu’avec des portions et des facultés supérieures de l’esprit, avec des dons singuliers, il n’a point su gouverner, distribuer le tout, et donner à ses points de vue la proportion et l’harmonie qui remettent à leur place les vanités ou les préjugés, et qui laissent régner les lumières.

229. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le cardinal de Richelieu. Ses Lettres, instructions et papiers d’État. Publiés dans la Collection des documents historiques, par M. Avenel. — Premier volume, 1853. — I. » pp. 224-245

Quelques bons juges ne se laissèrent point prendre à de si pauvres raisons, et ils reconnaissaient la main de Richelieu en plus d’un passage ; pourtant la question ne fut tout à fait éclaircie qu’en 1823, lorsque M.  […] Richelieu d’ordinaire écrivait peu de sa propre main, il dictait ; mais, dans cette sorte de transmission, il ne laissait jamais le secrétaire aller à sa guise, il était présent toujours. […] En un mot, Richelieu était porté à faire seul la besogne des autres plutôt qu’à laisser personne empiéter sur la sienne et sur sa direction absolue. […] Un de ses frères, qui était pourvu de l’évêché de Luçon, s’étant fait chartreux, Richelieu dut prendre la soutane pour ne pas laisser échapper cet évêché qui était dans sa famille. […] Je vous puis assurer que j’ai le plus vilain évêché de France, le plus crotté et le plus désagréable ; mais je vous laisse à penser quel est l’évêque.

230. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — I. » pp. 329-349

Necker n’a pas laissé moins de quinze volumes d’Œuvres ; je ne conseille pas à tous d’en aborder la lecture ; c’est au critique de prendre ce soin, et, en lisant bien, de choisir ce qui peut définir l’homme, soit au moral, soit dans sa forme et son esprit littéraire ; car M.  […] Un biographe que je citais tout à l’heure, et qui avait beaucoup vécu dans sa société, disait : « Je ne crois pas l’avoir jamais laissé plus satisfait de mes éloges, qu’en l’assurant qu’une volonté très décidée me paraissait presque incompatible avec une grande étendue, une grande finesse, une grande supériorité d’esprit. » Nous avons à revenir, après être allés ainsi tout d’abord au centre de l’homme. […] Dans l’intervalle, il avait eu l’idée d’écrire sur les hommes et sur leurs caractères en société, et, quoiqu’il n’ait laissé sur ce sujet que des remarques éparses et des fragments de Pensées, il s’y est assez bien peint par un côté imprévu pour que j’y insiste ici. […] Necker appelle la « législation des sous-entendus », et il trouve des expressions pour nous la traduire : … La souveraine habileté d’une maîtresse de maison, et peut-être son plaisir, si elle est en même temps grande dame, c’est de laisser voir qu’elle entend toutes ces différences, mais de le faire avec délicatesse, afin de ne donner à personne un juste sujet de plainte. […] Il y a des exceptions cependant, mais fort rares, et c’est alors un grand honneur réservé ou aux princes du sang, ou aux femmes étrangères de la première distinction, ou aux généraux qui viennent de gagner une bataille, ou à un ministre en crédit, à la condition cependant pour celui-ci, qu’il soit assez considéré pour laisser en doute si ce n’est pas à son mérite seul qu’on rend hommage.

231. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Rivarol » pp. 245-272

Il aurait pu laisser après lui quelque monument immortel, mais la puissance nous ôte peut-être le désir. […] Or, quel que soit l’accent de Rivarol à certaines places des écrits qu’il nous a laissés, il n’est jamais, même pour une minute, l’écrivain accompli et de tenue irréprochable que Joseph de Maistre est toujours. […] Jusque-là, pour moi aussi, Rivarol, le grand conversationniste Rivarol, était bien au-dessus du Rivarol des livres ; et c’était là sa vraie gloire, bien autrement méritée, bien autrement triomphante et poétique que la gloire positive qu’on discute pièces et livres en main… Il avait celle-là qui ne laisse rien après elle pour qu’on puisse la juger. […] M. de Lescure a fait précéder son édition de Rivarol d’une biographie qui ne nous laisse rien ignorer de ce qu’il fut. […] En histoire, l’asiatique chez Rivarol reployait sa pourpre, laissait là ses ornements, comme une femme, plus belle sans eux, ôte ses bijoux quand elle est belle.

232. (1920) Impressions de théâtre. Onzième série

Mais nous ne nous y laissons pas prendre. […] Pia n’a donc qu’à laisser faire. […] Vous vous en iriez, et vous laisseriez faire le temps. […] je vais crier, petit père… Laissez-moi descendre ! Laissez-moi descendre ! 

233. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Jean-Jacques Ampère »

Dans tout ce qu’il a vu si vite et qu’il a si bien saisi, il choisit les points qui nous laissent une agréable idée et qui donnent envie d’en savoir davantage. […] Nisard et Rigault laissent voir tout aussitôt dans leur critique. […] Il laissera, comme voyageur littéraire, le plus aimable renom. […] Une seule erreur découverte dans une de ses pages l’aurait rendu malheureux et ne lui eût pas laissé de repos qu’il ne l’eût rectifiée et fait disparaître. […] Mais laissons cela, car je serais sans fin.

234. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXIX » pp. 117-125

Mais, en homme pratique consommé, il est habitué à compter beaucoup sur le hasard qui, pour peu qu’on lui laisse de chances et d’espace, déjoue bien des prévisions et des espérances. […] Il a ses romanciers, ses poëtes, ses économistes : celui qui se laisse enrôler est à l’instant choyé, adopté, loué par toutes les trompettes catholiques ; de plus il se vend et se débite à merveille, et le grand nerf, la grande ficelle du jour, le pecunia, est au bout. — Tous les jours il arrive que tel jeune romancier, tel jeune économiste qui a passé par les feuilles et les feuilletons de la littérature courante vient vous déclarer qu’il ne peut plus continuer sa collaboration, parce qu’il est devenu catholique : cela veut dire qu’il a trouvé un meilleur placement. — Pour tout dire, les condottieri de plume abondent aujourd’hui, ils battent le pavé de Paris, et le clergé a moyen de les enrôler. […] — Tout cela, en principe, semble assez raisonnable et ne doit pas laisser d’embarrasser les universitaires qui, tels que Dubois du Globe, par exemple, ont dans le temps réclamé pour tous la liberté de l’enseignement. […] Les pièces justificatives sont pleines d’horreurs touchant les mœurs et les principes prétendus de l’Université ; celle-ci en devient presque intéressante, à titre de calomniée26 ; elle est pourtant bien assez puissante pour se défendre toute seule : laissons-la faire. — C'en est bien assez aujourd’hui sur cette grosse querelle.

235. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Réception à l’Académie Française »

Échappant au tourbillon du monde parisien, étranger à toute coterie, fidèle à ses mystérieuses pensées, mais les contenant pour la solitude, il observa un religieux silence, et laissa derrière lui s’apaiser le bruit de son passage et tomber cette écume que son esquif avait soulevée. […] Mais c’est quand M. de Lamartine, au terme de son discours, est venu à jeter un regard en arrière et autour de lui, quand il a porté sur le xviiie  siècle un jugement impartial et sévère, quand il s’est félicité de la régénération religieuse, politique et poétique de nos jours, qu’il appelle encore une époque de transition, et qu’il s’est écrié prophétiquement : « Heureux ceux qui viennent après nous ; car le siècle sera beau » ; — c’est alors que l’émotion et l’enthousiasme ont redoublé : « Le fleuve a franchi sa cataracte, a-t-il dit ; plus profond et plus large, il poursuit désormais son cours dans un lit tracé ; et, s’il est troublé encore, ce ne peut être que de son propre limon. » Puis il a insinué à l’Académie de ne pas se roidir contre ce mouvement du dehors, d’ouvrir la porte à toutes les illustrations véritables, sans acception de système, et de ne laisser aucun génie sur le seuil. […] Une poignée d’hommes médiocres ou usés, libéraux à ce qu’on dit, mais obéissant à un triste esprit de rancune littéraire ou philosophique, et s’accordant fort bien dans leurs petites haines avec leurs adversaires religieux et politiques, seraient à la veille de laisser encore une fois le génie sur le seuil, pour s’attacher à je ne sais quel candidat bénin et banal qui fait des visites depuis quinze ans18. Il convient aux hommes qui ont crédit et valeur dans la Compagnie de mettre fin une fois pour toutes à ces sottes prétentions, et de ne pas laisser interrompre cette série de choix graves et glorieux, qui d’abord donnent du lustre à l’Académie, et qui bientôt pourront lui assurer sur notre littérature une influence réelle, active et salutaire.

236. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VIII. La religion chrétienne considérée elle-même comme passion. »

L’Enfer ne l’y laisse pas tranquille, et la figure de Rome, avec tous ses charmes, lui apparaît pour le tourmenter. […] « Celui qui aime généreusement, ajoute l’auteur de l’Imitation, demeure ferme dans les tentations, et ne se laisse point surprendre aux persuasions artificieuses de son ennemi. » Et c’est cette passion chrétienne, c’est cette querelle immense entre les amours de la terre et les amours du ciel, que Corneille a peint dans cette scène de Polyeucte53 (car ce grand homme, moins délicat que les esprits du jour, n’a pas trouvé le christianisme au-dessous de son génie). […] Ne feignez qu’un moment, laissez partir Sévère, Et donnez lieu d’agir aux bontés de mon père. […] Il m’ôte des dangers que j’aurois pu courir ; Et sans me laisser lieu de tourner en arrière, Sa faveur me couronne, entrant dans la carrière ; Du premier coup de vent il me conduit au port, Et sortant du baptême, il m’envoie à la mort.

237. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Lépicié » pp. 275-278

Lépicié Jésus-Christ ordonne à ses disciples de laisser approcher les enfans qu’on lui présente. tableau ceintré de 7 pieds 9 pouces de haut, sur sept pieds 6 pouces de large. […] Au fond de la boîte, c’est le Christ n’ordonnant pas à ses disciples de laisser approcher les petits enfans, comme le peintre le dit ; mais les recevant, les accueillant ; ainsi Lépicié n’a su ce qu’il fesait ; et c’est le moindre défaut de son ouvrage. […] Monsieur Lépicié, laissez là ces sujets, ils exigent un tout autre goût de vérité que le vôtre, faites plutôt… rien. […] Je vous laisse le soin d’appliquer ces principes à tous les genres, je m’en tiens à la peinture.

238. (1907) L’évolution créatrice « Introduction »

Introduction L’histoire de l’évolution de la vie, si incomplète qu’elle soit encore, nous laisse déjà entrevoir comment l’intelligence s’est constituée par un progrès ininterrompu, le long d’une ligne qui monte, à travers la série des Vertébrés, jusqu’à l’homme. […] Nous verrons que l’intelligence humaine se sent chez elle tant qu’on la laisse parmi les objets inertes, plus spécialement parmi les solides, où notre action trouve son point d’appui et notre industrie ses instruments de travail, que nos concepts ont été formés à l’image des solides, que notre logique est surtout la logique des solides, que, par là même, notre intelligence triomphe dans la géométrie, où se révèle la parenté de la pensée logique avec la matière inerte, et où l’intelligence n’a qu’à suivre son mouvement naturel, après le plus léger contact possible avec l’expérience, pour aller de découverte en découverte avec la certitude que l’expérience marche derrière elle et lui donnera invariablement raison. […] Autant vaudrait prétendre que la partie égale le tout, que l’effet peut résorber en lui sa cause, ou que le galet laissé sur la plage dessine la forme de la vague qui l’apporta. […] A la différence des systèmes proprement dits, dont chacun fut l’œuvre d’un homme de génie et se présenta comme un bloc, à prendre ou à laisser, elle ne pourra se constituer que par l’effort collectif et progressif de bien des penseurs, de bien des observateurs aussi, se complétant, se corrigeant, se redressant les uns les autres.

239. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gregh, Fernand (1873-1960) »

Gregh que sur des pensers des plus nouveaux il a fait des vers antiques, ce pédantisme de collège ne laisserait pas de marquer avec justesse son attitude et son goût. […] Muhlfeld nommerait un élégiaque ; et, par Desbordes-Valmore et Sainte-Beuve, il se rattache aux minores classiques ; il excelle dans les pièces courtes où un sentiment léger peut laisser une image exacte et circonscrite. […] Et par là il peut être assuré de laisser une œuvre et un nom.

240. (1914) Note sur M. Bergson et la philosophie bergsonienne pp. 13-101

Laissons de côté les célébrations universitaires. […] Une logique raide peut laisser échapper des replis de l’erreur. Une méthode raide peut laisser échapper des replis de l’ignorance. […] Et c’est la souplesse non seulement qui ne triche pas, non seulement qui ne ment pas, mais qui ne laisse pas tricher et qui ne laisse pas mentir. […] Une saleté pour avoir été laissé là.

241. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — II. (Fin.) » pp. 180-203

Laissons tous ces côtés fugitifs et évanouis, et ne prenons Lassay que par l’endroit où nous pouvons l’atteindre, le seul aujourd’hui qui nous intéresse : prenons-le comme l’un des hommes qui ont eu le plus de connaissance de la société et des caractères. […] Il a laissé échapper comme malgré lui son incognito. Comme les hommes qui ont beaucoup vécu dans la société intime des femmes, Lassay se laissait aller volontiers à dire tout le bien qu’il pensait de lui. […] Ninon, qu’il connaissait et avec laquelle il était lié, lui avait autrefois adressé, à l’occasion de l’une de ses espérances manquées, quelque consolation assaisonnée de réprimande et quelque rappel à la philosophie ; il lui répondait avec bonne grâce, en lui donnant raison sur le fond : Quant à l’extérieur, ajoutait-il, il faut faire à peu près comme les autres, et c’est être fou que de vouloir être sage tout seul… Qu’on me laisse chez moi vivre en repos ; qu’on m’y laisse choisir mes plaisirs et mes amusements et jouir tranquillement de mon bien, je serai trop content ; mais cela est impossible en ce pays-ci ; c’est la pierre philosophale qu’on cherche inutilement depuis tant de temps : tout le monde vient vous y tourmenter. […] Elles nous laissent une vie aussi triste et aussi décharnée que notre corps.

242. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — II » pp. 57-80

Mais Catinat ne se laisse point entraîner à ces soubresauts du point d’honneur, et il ne répond pas à l’aiguillon. […] Au nom de Dieu, hasardez quelque chose pour vous en garantir ; car, si vous pouvez arrêter les ennemis, tout est sauvé ; si au contraire vous vous laissez entamer, il n’y aura plus de retour, et les suites de ce dérangement font trembler. […] Il trouve moyen d’abord de passer le Rhin à Huningue (1er et 2 octobre 1702), en s’aidant d’une île qui coupe le cours du fleuve et qui laisse le plus petit bras du côté de la rive opposée. […] Tout cela fut réparé ; les ennemis perdirent plus de quarante drapeaux et étendards, et l’armée du roi n’en laissa pas un des siens ; seulement, le temps qu’il fallut pour remettre quelque ordre dans l’infanterie sauva celle des impériaux et nuisit à la poursuite. […] Lui qui sait comment on mène les hommes, il indique donc très naïvement et assez gaiement à Chamillart de quelle manière il conviendrait de le mener lui-même, et à quelle fumée d’ambition il est le plus homme à se laisser prendre.

243. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « De la tradition en littérature et dans quel sens il la faut entendre. Leçon d’ouverture à l’École normale » pp. 356-382

C’est là tout ce qu’il importe de ne point laisser perdre, ce qu’il faut ne point souffrir qu’on altère, — sans avertir du moins et sans s’alarmer comme dans un péril commun. […] Maintenons, messieurs, les degrés de l’art, les étages de l’esprit ; encourageons toute recherche laborieuse, mais laissons en tout la maîtrise au talent, à la méditation, au jugement, à la raison, au goût. […] La meilleure manière, non seulement de sentir, mais de faire valoir les belles œuvres, c’est de ne point avoir de parti pris, de se laisser faire chaque fois en les lisant, en en parlant ; d’oublier s’il se peut, qu’on les possède de longue main, et de recommencer avec elles comme si on ne les connaissait que d’aujourd’hui. […] Laissons d’autres s’exalter dans des admirations exagérées qui portent à la tête et qui tiennent d’une légère ivresse : je ne sais pas de plaisir plus divin qu’une admiration nette, distincte et sentie. […] Mais aussi il y a, même dans le cercle régulier et gradué des admirations légitimes, une certaine latitude à laisser à la diversité des goûts, des esprits et des âges.

244. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [IV] »

En prononçant ce cruel adieu, mon cœur est oppressé ; il me semble que j’aime plus que jamais le petit nombre d’amis que je laisse en France… » Il laissait des amis non seulement dans le civil, tels que celui à qui il écrivait, mais aussi dans le militaire, et de vraiment intimes : je ne citerai que le général Guilleminot. […] Alexandre fit un mouvement : « Général, je vous remercie de votre zèle, mais c’est à moi seul d’en juger. » Cette circonstance ne laissa pas de jeter du froid sur la suite des relations de Jomini et de l’empereur Alexandre. […] Il convainquit l’empereur de Russie, qui refusa absolument d’y laisser mener ses troupes. […] Mais l’empereur Alexandre tenait bon et ne se laissait pas entamer ; M. de La Harpe était désormais à son poste près de son ancien élève, et, comme le dit M.  […] Entre les pièces officielles émanées d’en haut que nous possédons et la réalité du détail, il s’est passé plus de choses que n’en laisse à soupçonner l’histoire s c’est à la biographie, toutes les fois qu’il y a jour, de les recueillir et de les noter. — Et pour revenir à l’histoire, l’opinion résumée de Jomini sur Ney, qu’il connaissait si bien par son fort et par son faible, est à rechercher.

245. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — I »

En général, tous les défauts du style de Racine proviennent de cette pudeur de goût qu’on a trop exaltée en lui, et qui parfois le laisse en deçà du bien, en deçà du mieux. […] Chez Racine tout ce qui n’est pas Phèdre et sa passion échappe et fuit : la triste Aricie, les Pallantides, les aventures diverses de Thésée, laissent à peine trace dans notre mémoire. […] Racine a quelquefois laissé à Euripide des détails de couleur qui eussent été aussi des traits de passion : Dieux ! […] Esther, avec ses douceurs charmantes et ses aimables peintures, Esther, moins dramatique qu’Athalie, et qui vise moins haut, me semble plus complète en soi, et ne laisser rien à désirer. […] Fontaine, vieil ami de Port-Royal, sur lequel il a laissé de bien touchants Mémoires, et réfugié alors à Melun, assista à toutes les cérémonies de vêture.

246. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’expression de l’amour chez les poètes symbolistes » pp. 57-90

Il se laisse aller comme un enfant sur le sein maternel. […] Et il lui plairait aussi de se laisser aller à la contagion : Je voudrais me coucher et je m’endormirais. ……………………………………………… Laisse-moi t’endormir et tu m’endormiras. […] ne le laisse pas mourir dans son Péché Cet errant qui s’enlace à ta croix et qui pleure Las d’avoir tant cherché l’Amour qui, seul, demeure. […] Lavé, séance tenante, de ses écarts par ses contritions, il y gagne de n’y point se perdre dans les brumes et de n’y laisser ni sa verte humeur ni sa raison.

247. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Malesherbes. » pp. 512-538

Issu de bonne race, il avait en lui des trésors de santé, de probité, de vigueur intellectuelle et morale, dont il usa sans cesse avec application et qu’il ne laissa point dissiper. […] Les premières fonctions qu’il exerça dans la magistrature (substitut du procureur général, puis conseiller aux Enquêtes) lui laissèrent du loisir pour s’occuper activement des lettres, des sciences, et particulièrement des sciences naturelles qu’il aimait passionnément. […] S’il fût mort à cette époque, il eût laissé la réputation d’un des hommes les plus vertueux et les plus éclairés de son temps. […] Quelques-uns de ces amours-propres parlaient au nom de la religion et de la morale ; quelques autres (et ce n’étaient pas les moins aigres) se mettaient en avant au nom du goût : J’ai entendu dire sérieusement, remarquait-il, qu’il est contre le bon ordre de laisser imprimer que la musique italienne est la seule bonne… Je connais des magistrats qui regardent comme un abus de laisser imprimer, sur la jurisprudence, des livres élémentaires, et qui prétendent que ces livres diminuent le nombre des véritables savants. […] Le travail de mon Année littéraire ne me permet pas de faire de petites brochures détachées ; mon ouvrage m’occupe tout entier et ne me laisse point le temps de faire autre chose.

248. (1927) Approximations. Deuxième série

Une pénétrante analyse de Jacques Émile Blanche nous le laisse entrevoir. […] Décidément nous pouvons les laisser ensemble. […] Les conclusions, que l’auteur nous laisse partout tirer, en prennent une portée toute générale. […] Et parce que l’esprit flotte, son corps est toujours prêt à se laisser couler. […] Ces jets brûlants ne se laissent pas refroidir ; non moins qu’au-dessus, Pascal est toujours en dehors.

249. (1894) La bataille littéraire. Septième série (1893) pp. -307

Elle le laissa parler, acquiesçant par son silence. […] Elle épousa le cul-de-jatte Scarron, qui ne lui laissa que ses guenilles de poète. […] Elle ne laissa plus qu’une mince bande de rideau soulevée. […] Et sans laisser reposer mon étonnement, il ajouta : — « Devinez le métier qu’il fait ?  […] Les curés de Montlandon et de Rolampot furent laissés morts sur place ; à Buey-le-Long, les Cosaques grillèrent les jambes d’un domestique nommé Leclerc, laissé à la garde d’un château.

250. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Appendice aux articles sur Roederer. (Voir page 393.) » pp. 533-543

. — J’ai laissé, il y a trois jours, le roi très bien portant. […] Seulement, quand vous avez passé Valladolid, il faudra laisser la route de Ségovie de côté et prendre l’autre. […] vous avez cinquante hommes et vous laissez la route sans sûreté ! […] le général thiébault. — Comment la laissais-tu aller comme ça au plus épais ? […] buot. — L’empereur ne laissera pas traîner l’affaire de l’Autriche.

251. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Variétés littéraires, morales et historiques, par M. S. de Sacy, de l’Académie française. » pp. 179-194

J’ai ouï dire aux personnes qui, en ce temps-là, y étaient le plus intéressées, qu’aucun rédacteur n’excellait comme lui à rendre avec exactitude, avec une vivacité fidèle, l’ensemble d’une séance, l’impression générale qu’elle laissait, sa physionomie si l’on peut dire. […] Je regrette qu’au lieu de ranger ses articles sous des divisions un peu arbitraires, il ne les ait pas tout bonnement laissés dans l’ordre chronologique naturel selon lequel il les avait d’abord écrits : on y suivrait mieux le progrès des saisons, dans un même esprit judicieux et constant. […] On sourit en commençant à lire ; peu à peu la verve et la sincérité du narrateur nous gagnent, et l’on finit, au milieu de tant de soucis plus pressants, de tant d’intérêts du jour qui nous tirent et nous sollicitent, par se laisser aller de bonne foi, jusqu’à concevoir avec lui des doutes sur la parfaite convenance des deux portraits de Nestor et de Philoctète, placés à travers l’action et venant interrompre ou retarder le combat d’Adraste et de Phalante. […] J’ai peur de retomber dans un autre paradoxe. » En effet, peu s’en faut que cette fois il ne déplace les rangs, qu’il ne les intervertisse, et qu’il ne mette au premier ce qu’il avait d’abord laissé descendre au dernier dans son estime. […] D’ailleurs il se passe bien d’apologie, et il laisse à l’expérience toute seule le soin de dire le dernier mot sur son compte.

252. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

L’enseignement de l’Université, qui est certainement plus régulier, plus solide, plus discipliné, a l’inconvénient d’être trop uniforme et de laisser trop peu de place au goût individuel soit du professeur, soit de l’élève. […] Cependant ces doutes naissants laissaient jour encore à bien des modes d’explication, et le jeune sulpicien en voie de transition se trouvait, j’imagine, dans une de ces phases de philosophie chrétienne, à l’une de ces stations intermédiaires que Malebranche, qu’il lisait alors, avait connues, et où le grand oratorien avait su en son temps s’arrêter comme à mi-côte, y dressant ses tentes légères et ses magnifiques pavillons. […] Mais, cela dit, il n’avait eu d’autre effort à faire, dans sa vie de l’esprit, que de se laisser croître et mûrir ; il avait eu son évolution, non sa révolution. […] Le jeune écrivain n’avait rien d’un débutant ; dans la pensée ni dans l’expression, rien n’était laissé au hasard. […] Telle est l’humanité : chaque nation, chaque forme intellectuelle, religieuse, morale, laisse après elle une courte expression qui en est comme le type abrégé et expressif, et qui demeure pour représenter les millions d’hommes à jamais oubliés qui ont vécu et qui sont morts groupés autour d’elle. » Cette conscience, cette mémoire du genre humain, c’est donc comme une Arche de Noë perpétuelle dans laquelle il ne peut entrer que les chefs de file de chaque race, de chaque série.

253. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Rodolphe Topffer »

La douleur profonde qu’il laisse à ses amis de Genève sera ressentie ici de tous ceux qui l’ont connu, et elle trouvera accès et sympathie auprès de ces lecteurs nombreux en qui il a éveillé si souvent un sourire à la fois et une larme. » Mais c’est trop peu dire, et ceux qui l’ont lu, qui l’ont suivi tant de fois dans ces excursions alpestres dont il savait si bien rendre la saine allégresse et l’âpre fraîcheur, ceux qui le suivront encore avec un intérêt ému dans les productions dernières où se jouait jusqu’au sein de la mort son talent de plus en plus mûr et fécond, ont droit à quelques particularités intimes sur l’écrivain ami et sur l’homme excellent. […] Aussi, malgré ses souffrances des derniers temps, malgré les douleurs si légitimes et si inconsolables qu’il laisse en des cœurs fidèles, pourrait-on se risquer à trouver que cette fin même est heureuse, et que sa destinée tranchée avant l’heure a pourtant été complète, si un père octogénaire ne lui survivait : les funérailles des fils, on l’a dit, sont toujours contre la nature quand les parents y assistent. […] Il n’accusait que ses yeux, dont l’état de douleur s’aggravait et ne laissait pas de l’alarmer. […] Les horribles douleurs qu’il endurait n’altéraient en rien son égalité d’humeur, et, entre deux plaintes sur ce qu’il souffrait, il laissait échapper une de ces adorables saillies qui en faisaient un homme tout à fait à part. » La fin du séjour à Vichy fut triste, le retour fut lamentable : après quelques jours pourtant, il sembla que le mal avait un peu cédé, et l’ardeur du malade pour le travail aurait pu même donner à croire qu’il était guéri. […] Cela, pour nous, ne laisse pas de heurter et de faire disparate en plus d’un lieu ; il y aurait eu certainement moyen, sans rien altérer, de mieux fondre.

254. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens II) Henry Fouquier »

S’il est vrai que le dernier effort de la critique soit de définir les esprits, elle ne serait pas malavisée de laisser de côté les journalistes. […] Dans les cinquante ou soixante mille lignes qu’un journaliste écrit tous les ans, ce qui lui appartient en propre, ce qui le signale et le distingue se trouve perdu dans ce qui le confond et le mêle, dans tout ce qu’il a laissé s’écouler de lui sans y apporter d’attention et sans y attacher de prix. […] Fouquier, par les préoccupations dont ils portent souvent la trace, par la profondeur et la subtilité de l’expérience dont ils témoignent, laissent entrevoir derrière cette vie de grand laborieux une autre vie non moins remplie, une vie de grand épicurien. […] Il court après l’idéal, et il le répand autour de lui et le laisse derrière ses pas. […] Je laisse le critique littéraire (très classique, ainsi qu’il sied à un Marseillais), l’observateur des mœurs contemporaines, le politique militant, le peintre de portraits (voyez ceux de Gambetta, de Rouher, de Lepère, de M. 

255. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — Se connaître »

Il nous a fallu un certain courage pour reconnaître, après un court examen, que ces farouches nationaux n’étaient au fond que des charlatans, de ceux qui amènent fatalement la ruine d’un peuple, quand il se laisse prendre à leurs pitreries. […] Changeons quelques institutions et ne parlons plus de décadence, d’aveulissement ; laissons là toutes ces vilaines choses et réjouissons-nous, puisque la France est toujours la France. […] Voilà la vérité, qu’une nation telle que la nation française peut ou doit apprendre à se laisser dire. […] Ils se laissent facilement surprendre. […] Qui ne se connaît pas se laisse, en effet, facilement surprendre.‌

256. (1915) La philosophie française « I »

Ce n’est pas à dire qu’il n’y eût ou déjà, particulièrement en France, en Angleterre et en Écosse, des psychologues pénétrants ; mais l’observation intérieure, laissée à elle même et réduite à l’étude des phénomènes normaux, avait difficilement accès à certaines régions de l’esprit, notamment au « subconscient ». […] La seconde, au contraire, a déjà fourni des résultats importants, et elle en laisse entrevoir d’autres, plus considérables encore. […] Nous avons laissé de côté dans cette énumération rapide, deux penseurs de premier ordre que nous ne pouvions pas rattacher à la tradition issue de Maine de Biran. […] La même raison fait que nous laissons de côté des penseurs contemporains éminents qui se sont orientés vers la sociologie : Espinas, Tarde, Durkheim, Lévy-Brühl, Le Bon, Worms, Bouglé, Simiand, Izoulet, Lacombe, Richard et beaucoup d’autres. […] Nous laissons de côté, dans la présente étude, les travaux relatifs à l’analyse et à la critique des méthodes scientifiques.

257. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre premier : M. Laromiguière »

Au contraire, proclamez bien haut que si l’on continue à croire vos adversaires, Dieu, la vérité, la morale publique sont en danger ; aussitôt l’auditoire dressera les oreilles ; les propriétaires s’inquiéteront pour leur bien, et les fonctionnaires pour leur place ; on regardera les philosophes dénoncés avec défiance ; par provision on ôtera leur livre des mains des enfants ; le père de famille ne laissera plus manier à son fils un poison probable. […] Il ne leur imposait point l’obligation d’admirer ou de croire ; il les laissait libres, et cependant les guidait avec une bonté si complaisante et par des sentiers si unis, qu’on ne pouvait s’empêcher de le suivre et de l’aimer. […] J’aurais quelque intérêt sans doute à vous entretenir dans une pareille opinion ; elle me servirait d’excuse, et pour le passé et pour l’avenir ; mais tous les prétextes que je pourrais alléguer ne seraient que de vains prétextes, et je dois faire l’aveu que, s’il m’arrive de laisser paraître de l’hésitation ou de l’embarras, ce sera toujours ma faute, et non celle des matières que je traiterai. […] Nous laissons dans la poussière des bibliothèques la Logique de Condillac, sa Grammaire, sa Langue des calculs, et tous les traités d’analyse qui guidèrent Lavoisier, Bichat, Esquirol, Geoffroy Saint-Hilaire et Cuvier. […] Ils ne nous enseignent point à observer, à expérimenter, à induire ; ils ne font pas collection de faits, ils n’interprètent point la nature ; ils laissent Bacon gouverner les sciences expérimentales : c’est ailleurs qu’ils portent leurs efforts.

258. (1906) La rêverie esthétique. Essai sur la psychologie du poète

C’est le laisser aller mental. […] On ne se laisse plus aller à ses impressions. […] On peut jouer magistralement du cœur humain sans se laisser prendre soi-même à ce jeu. […] Il les laisse aller. […] Ces métaphores, la prose les laisse dormir.

259. (1889) Ægri somnia : pensées et caractères

Je n’ai pas laissé d’en faire la réflexion. […] C’est un père qui a laissé faire ses enfants par d’autres. […] J’en ai laissé la conduite à Barrot. […] Thiers, je puis les laisser arriver sous ses yeux. […] Comment te laisser partir ?

260. (1898) XIII Idylles diaboliques pp. 1-243

Laisse-moi essayer de le sauver. […] Laisse-moi lui parler. […] Laisse-moi me reposer un instant. […] Taisez-vous, laissez-moi continuer. […] … Allez doucement ; laissez-en un peu pour les autres.

261. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Appendice — Une discussion dans les bureaux du Constitutionnel »

Si vous voulez me laisser combattre la théorie des hommes providentiels, dont l’auteur est entiché ; si vous voulez me laisser dire que César… » Et ici M.  […] Si vous voulez me laisser dire tout cela dans le Constitutionnel, je ferai l’article… » — « Allons, allons, dit M. 

262. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CLe entretien. Molière »

Il vaut mieux laisser le rang indécis et proclamer la presque égalité de ces deux hommes. […] Il n’a laissé qu’une fille. […] Laissez-moi là, vous dis-je, et courez vous cacher. […] laissons là vos comparaisons fades. […] de grâce, laissez, je suis fort chatouilleuse.

263. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIe entretien. Épopée. Homère. — L’Iliade » pp. 65-160

Minerve le retient par ses cheveux blonds, mais il laisse déborder au moins sa rage en paroles : « Misérable ivrogne ! […] Chacun de ces portraits laisse une empreinte vivante dans l’imagination. […] Il ne faut pas avoir un cœur impitoyable : les dieux eux-mêmes se laissent fléchir ! […] Maintenant te voilà dans les demeures de Pluton, profonds abîmes de la terre, pendant que moi, dans un deuil éternel, tu me laisses veuve à notre foyer ! […] tu laisses à tes parents un deuil inconsolé, cher Hector ; mais c’est à moi surtout que sont réservées les amères douleurs.

264. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « La Fontaine »

C’est de là qu’ils enseignent… Est-ce plutôt, enfin, — et tout simplement, — parce que les messieurs, pour la plupart parfaitement inconnus, chargés de ces besognes des Introductions et des Notices, ont lazzaronné et ne sont pas prêts, qu’on laisse ces Notices en blanc ? […] Il a laissé des Contes et des Poésies de toute sorte, marqués de ce talent inouï qu’on n’a vu qu’une fois parmi les hommes. […] — ne laissent dans nos souvenirs que l’impression de leurs chefs-d’œuvre et le nom qu’ils ont immortalisé, mais La Fontaine y a laissé son œuvre même. […] C’était un homme plutôt à laisser là même les bonnes fortunes commencées, pour rentrer plus vite dans son rêve.

265. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Auguste Barbier »

Alors même qu’elle ne penserait pas que la poésie est la plus belle et la plus difficile des choses littéraires, alors qu’elle partagerait pour ce langage des dieux, méprisé des goujats, l’indifférence dédaigneuse des fortes têtes de son siècle, la Critique ne peut pas plus laisser inaperçu un livre de vers signé Auguste Barbier, qu’un poème de Lamartine et des recueils de poésies de Victor Hugo et d’Alfred de Musset. […] Comme après La Curée, après ces douze chefs-d’œuvre que nous venons d’énumérer si le poète des Iambes était mort, il aurait laissé une immortalité d’autant plus belle que le regret, le regret de l’avoir perdu dans la plénitude de sa force, aurait ajouté à ses œuvres finies la poésie d’œuvres qu’il n’aurait pas faites. […] Mais cette illusion grandissait le poète et son œuvre… Eh bien, il n’a pas voulu nous la laisser ! […] On y trouve beaucoup de pièces d’avant La Curée, que l’auteur gardait en portefeuille, qu’il aurait bien dû y laisser, et qu’il a publiées pour ne rien perdre. […] Et c’était là le poète, cependant, que les Anciens auraient appelé le Iambique, et qui nous a laissé ces douze Ïambes superbes, zodiaque de poésie dont il a été le soleil !

266. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre troisième »

Le dix-septième siècle, si curieux investigateur du cœur humain, et si grand peintre de l’homme, avait laissé quelque chose à dire même sur ce sujet en apparence épuisé ; il avait laissé beaucoup à dire sur la société française, sur l’homme tel que la France le fait ; il avait laissé presque tout à dire sur l’homme social, sur l’économie des sociétés humaines. […] Le primat étant un homme d’église, Voltaire ne demande pas mieux que de le déconsidérer ; mais il laisse aux actes et aux seuls documents à le faire. […] Ils laissent l’éblouissement dans les yeux et le vide dans l’esprit. […] Et quel mérite pour Voltaire de s’en être si parfaitement défendu dans le temps que Montesquieu s’y laissait prendre ! […] Le Traité des études ne laisse rien à inventer dans l’art de tirer l’éducation de l’instruction.

267. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIIe entretien. I. — Une page de mémoires. Comment je suis devenu poète » pp. 365-444

Quoique son eau soit aussi bleue que si les laveuses de ses bords les avaient teintes de leur azur, leur prodigieuse transparence laisse voir jusqu’au fond les veines blanchâtres ou rosées de la mosaïque de pierres roulées qu’elle lave et qu’elle polit sans fin. […] Les jésuites qui gouvernaient cette maison d’éducation n’épargnaient rien, il faut le reconnaître, pour donner à leur enseignement et à leur discipline l’agrément et même la grâce du foyer tant regretté où l’enfant avait laissé sa mère, ses sœurs, ses vergers, ses horizons du premier âge. […] La seule dépouille qu’il y laissa était son manteau de prêtre et sa pincée de cendres. […] Mais, tout en élaguant très prudemment du livre les parties romanesques ou passionnées trop propres à allumer ou à efféminer les passions précoces de leur jeunesse, ils le laissèrent circuler à demi-dose dans leurs collèges. […] Mes amis se récrièrent alors sur la sévérité de ce jugement précoce, qu’ils ont ratifié depuis ; ils m’ont rappelé bien souvent plus tard cette précocité de bon sens qui se laissait séduire, mais qui ne se laissait pas tromper par ce grand génie de décadence.

268. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — II. (Fin.) » pp. 361-379

Cependant d’autres motifs de céder et de se laisser faire se présentaient à lui, et sous la forme du devoir : c’est elle que prend volontiers l’amour-propre auprès de ces âmes modérées et scrupuleuses. […] Enfin, il se laisse conduire au fauteuil, et prend la présidence, sous le nom de doyen. […] Arrivé à Chaillot, où il passait les étés depuis trente ans, Bailly s’y voit l’objet d’une ovation, ou plutôt d’une fête patriarcale et champêtre, « fête sans faste, dont la décente gaieté et les fleurs firent tous les frais », et qu’on lui donne chez lui, dans les différentes pièces de sa maison et de son jardin : Je ne dis rien de trop en disant que je fus embarrassé par cette foule presque entière, qui se pressait autour de moi avec les plus vives expressions de l’amour et de l’estime, une joie pure et douce, une paix qui annonçait l’innocence : cette fête était vraiment patriarcale ; elle m’a donné les plus délicieuses émotions, et m’a laissé le plus doux souvenir. […] Je laisse de côté Marat, cet atroce et forcené calomniateur : mais Camille Desmoulins dans son journal (Révolutions de France et de Brabant) ne fait autre chose que travailler à détruire Bailly en le raillant sur sa livrée, sur ses meubles, en l’accusant de faste révoltant, que dis-je ? […] Tel fut Bailly ; savant ingénieux, écrivain élégant et pur, l’un des plus louables produits et des meilleurs sujets que l’Ancien Régime ait légués au nouveau ; qui n’eut rien en lui du mouvement d’initiative ni du levain révolutionnaire des Mirabeau, des Condorcet, des Chamfort, de ces novateurs plus ou moins aigris, irrités ou inspirés ; qui n’accepta dans sa droiture que ce qui lui parut juste, qui s’y tint, et qui, malgré des faiblesses de vue et des illusions de bon naturel, laisse à jamais l’idée d’un homme aussi éclairé que modéré et vertueux.

269. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — I » pp. 351-368

La différence est à la vue comme dans les noms. » Laissons les environs de Paris, et ne prenons que les autres lieux de la « douce France », comme disait Henri. […] Il prit pour prétexte de ce voyage l’affection qu’il portait à sa sœur et au comte de Soissons, tellement qu’au bout de huit jours tous les fruits espérés d’une si grande et signalée victoire s’en allèrent en vent et en fumée. » Ce fut aussi la dernière faute signalée que fit faire l’amour à Henri ; car plus tard, bien que ce fût toujours sa grande faiblesse, ceux qui l’ont bien connu assurent qu’il ne s’en laissa jamais entraîner au point d’y sacrifier l’intérêt pressant de ses affaires. […] Le rusé Turenne (le futur duc de Bouillon) s’éclipsa sous prétexte d’un voyage, et laissa d’Aubigné porter seul le poids de la périlleuse consultation. […] Le prince de Condé meurt empoisonné et le laisse seul à la tête du parti protestant, exposé à toutes les perfidies et à toutes les haines. […] Henri essaye encore de la détromper, ou plutôt de lui laisser quelque illusion : « Mon cœur, j’enrage quand je vois que vous doutez de moi, et de dépit je ne tâche point de vous ôter cette opinion.

270. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — II » pp. 39-56

Le père Gourdan, dans cette circonstance, avait un peu faibli et s’était laissé aller à présenter les explications et les excuses de ses autres confrères. […] Il y en a pourtant qui, pour n’être pas si polies, ne laissent pas d’imprimer du respect et de la révérence. » Ce jugement de l’abbé de Rancé est celui d’un homme de sens et de goût ; il fait les deux parts et reconnaît, même aux vieilles hymnes dont le langage rebute parfois, ce caractère qui imprime de la révérence. […] Mais avec la maladie cessante s’évanouissaient aussi les graves dispositions de Santeul, et il se laissait de nouveau entraîner au monde et aux applaudissements. […] Le père de Santeul a une veine pure, aisée ; il n’appartient guère à un homme comme moi d’en juger, je veux dire à un homme destiné à la retraite et à des lectures toutes sérieuses ; cependant on ne laisse pas d’en remarquer les traits. […] En l’envoyant au docteur Arnauld, depuis longtemps réfugié dans les Pays-Bas, et alors près de mourir, il présentait ce volume profane comme lui ayant été arraché par l’imprimeur, qui s’était emparé des pièces volantes ou copies échappées de ses mains, et qui l’allait publier sans sa permission ; moyennant ce tour, il espérait que la sévérité du docteur se laisserait fléchir.

271. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Le Poëme des champs par M. Calemard de Lafayette. »

Si midi, du ciel pur, verse sa lave blanche, Au travers des massifs il n’en laisse pleuvoir Que des éclats légers qui vont, de branche en branche, Fluides diamants que l’une à l’autre épanche, De leurs taches de feu semer le gazon noir. […] Il a aimé, il aime encore toutes les belles et grandes choses, mais il les a tant aimées qu’elles lui ont, en fuyant, laissé une déception amère, une empreinte cuisante, une sorte de frémissement aigu et nerveux qui retentit dans ses vers. […] Or, Miçkiewicz, déjà vieux, sollicité un jour de se laisser aimer, refusa noblement par une fierté d’âme et une susceptibilité suprême que M.  […] J’appartiens au passé : laisse le cyprès sombre Ombrager de son deuil la pierre des tombeaux ! […] Même en éloignant et en repoussant son hommage, il ne serait pas fâché d’occuper, d’agiter ce jeune cœur, de lui laisser un trouble, un long regret, un levain immortel, une goutte du philtre qui, s’il ne sait plus donner, sait du moins corrompre et empoisonner à jamais le bonheur35.

272. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Térence. Son théâtre complet traduit par M. le marquis du Belloy (suite et fin.) »

Mais ce que vous passez de temps à travailler vous-même, si vous l’employiez à surveiller votre monde, vous y gagneriez. » A ces observations hasardées d’un ton de bonté, avec intérêt, Ménédème répond d’abord sèchement : « Chrémès, vos affaires vous laissent-elles donc assez de temps de reste pour vous occuper de celles des autres et de ce qui ne vous regarde en rien ?  […] » — « Oui, et dans l’intention que je vous ai dite. » — « Eh bien, vous saurez tout. » — « Mais, en attendant, laissez là ce hoyau, cessez votre travail. » Ici une petite lutte s’engage, Ménédème voulant continuer de piocher tout en racontant, Chrémès s’y opposant et lui arrachant des mains son outil. […] pourquoi le laissez-vous faire l’amour, faire l’orgie ? […] C’est injuste, car si nous avions eu de quoi, nous aurions fait comme les autres ; et celui que vous me jetez sans cesse à la tête (ilium tu tuum, ce fils modèle élevé aux champs), si vous étiez homme, vous le laisseriez faire maintenant, tandis que l’âge le permet, plutôt que d’attendre qu’il ait mené votre convoi, trop tard à son gré, pour s’en aller faire après coup toutes ces mêmes choses, dans un âge moins propice. » Je paraphrase un peu ; chez Térence, chaque nuance et intention est indiquée par de simples mots bien jetés, bien placés et qui laissent à la pensée toute sa grâce (ubi te expectatum ejecisset foras, alienore ætate post faceret tamen). […] vous, avec votre humanité (tu homo), vous me rendrez fou. » Mais Micion, de plus en plus lancé et mis lui-même hors des gonds, va non plus jusqu’à excuser, mais jusqu’à épouser les désordres de son fils adoptif (et il sentira tout à l’heure, quand il sera seul, qu’il s’est laissé emporter un peu loin) ; cet homme doux se fâche tout de bon ; la contradiction le pousse, la passion ne lui laisse pas son sang-froid : « Ah !

273. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Œuvres de M. P. Lebrun, de l’Académie française. »

Lebrun a toute raison de dire « Ce sera du moins une nouveauté que des poésies laissées un demi-siècle en porte-feuille. […] Il a laissé de ce lieu inspirateur les plus aimables peintures en vers, et même en prose. […] comme sur la terre on laisse peu de trace ! […] Après 1830, il entre dans les affaires, dans la haute administration où l’honnête homme et l’homme de bien a laissé des traces. […] ainsi les Stances à trois jeunes filles qui, au bord d’un étang, agacent un cygne, et que le poète avertit de prendre garde au destin de Léda ; ainsi ces autres stances aux trois jeunes sœurs de Sainte-Aulaire, ramant ensemble dans une promenade sur la Seine, et qu’il invite à se laisser dériver au fil de l’eau.

274. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Méditations sur l’essence de la religion chrétienne, par M. Guizot. »

Il est bien clair que Dieu, ayant créé la terre et l’homme tout exprès, et l’un pour l’autre, n’a point dû laisser ce dernier à l’aventure ni dans l’embarras. […] Voltaire, avec son Dieu qui crée l’homme et le laisse faire ensuite comme le plus méchant des singes, exposé d’ailleurs à tous les hasards et à tous les fléaux, Voltaire est inconséquent, et son déisme ne porte sur rien. […] Pourquoi l’un, au bras de sa jeune épouse, reçoit-il dans une promenade, en un jour de joie innocente, cette pierre à la tempe, ce coup de fronde aveugle qui le renverse et le laisse privé de sentiment ? […] Je n’ai pas fini : tout homme, par cela même qu’il vit, a une secrète horreur de l’anéantissement total ; on se donne le change comme on peut ; on veut au moins lutter contre l’oubli, laisser un souvenir, un nom. […] Il ne devrait pas la laisser perdre.

275. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « La génération symboliste » pp. 34-56

Devant les indices du mécontentement général et de cette levée hostile en masse, l’empereur s’affole et se laisse arracher le droit de coalition. […] N’a-t-on pas vu les parents riches d’Édouard Dubus se désintéresser de lui jusqu’à le laisser sombrer en pleine détresse ? […] Les âmes communes et grossières ne se laissent point facilement entamer. […] Ainsi leur enseignement se neutralisait et nous laissait sans point d’appui, suspendus dans le vide. […] Il croyait n’avoir qu’à laisser parler son cœur.

276. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — II. » pp. 460-478

laissez-moi ce papier. » Mais Portalis, qui n’y avait rien écrit ou qui n’y avait tracé que des caractères insignifiants, demanda le temps de faire faire une copie au net, et il n’eut pas de peine à dicter, au sortir de là, à son secrétaire ce qu’il avait si fidèlement retenu. […] C’est là un tranquille et doux tableau, et qui laissait jour à l’espérance. […] Il ne veut pas qu’on laisse du temps à l’ergotisation ou aux spéculations ambitieuses, sans quoi tout est perdu. […] Malheureusement, après une grande révolution, les hommes timides se taisent ; ils semblent craindre de laisser apercevoir leur existence. […] Les faux systèmes de philosophie rendent l’esprit contentieux et laissent le cœur froid : les faux systèmes de religion ont au moins l’avantage de rallier les hommes à quelques idées communes, et de les disposer à quelques vertus71.

277. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IX : M. Jouffroy écrivain »

Il n’était jamais entré dans ces froides galeries ; il n’avait jamais porté la main sur ces reliques illustres ; c’est parce qu’il les a laissées intactes qu’il mérite une place à leurs côtés. […] Il lui semble, non sans raison, que la vie est un mal, et s’il ne tombe pas dans la misanthropie méchante de Swift, il n’a de refuge que la gaieté douloureuse de Candide, ou la quiétude mathématique de Spinoza : refuge inutile, qui laisse la blessure aussi cuisante. […] Ses raisonnements font plaisir à voir, tant le réseau en est serré, solide, soigneusement disposé pour ne laisser aucune issue à la vérité fuyante. […] Jouffroy, on écrasait le scepticisme, sans laisser dans le monstre la moindre partie saine ; M.  […] Appuyé sur ses chers Écossais, surtout sur lui-même, il essayait de fonder la science, et laissait son rival installé sur le trône amasser des nuages et emprunter des rayons.

278. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIe entretien. Vie du Tasse (1re partie) » pp. 5-63

La muraille grattée par les visiteurs curieux de reliques avait perdu son ciment, et laissait voir les briques rouges de la muraille à laquelle était adossée la couche du poète. […] L’évêque de Ricannoti, ayant péri par la main d’un assassin en 1520, laissa Bernardo sans appui ; il entra comme tous les gentilshommes sans autre fortune que son talent et son épée au service de Guido Rangoni, général des armées du pape. […] L’infortuné Bernardo, consolé au moins par la présence de son fils, n’avait témoigné à sa dernière heure que la joie d’aller rejoindre, dans le sein de Dieu, cette Porcia qu’il avait tant aimée, et de laisser sur la terre, pour perpétuer son nom, un fils dont la tendresse et la gloire naissante le récompensaient de ses longues adversités. […] L’isolement dans lequel le mariage de sa sœur laissa Léonora à la cour de Ferrare parut redoubler encore l’inclination qui la portait vers le Tasse. […] La Fontaine est un charmant enfant, que j’aime de tout mon cœur ; mais laissez-moi en extase devant messer Ludovico, qui d’ailleurs a fait des épîtres comparables à celles d’Horace.

279. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (4e partie) » pp. 429-500

Ces orages ne durent point ; ils laissent dans le ciel, jusqu’à la nuit, des nuages immobiles d’un bleu noir. […] Il ne manque pas d’ailleurs de bruits dont il est impossible de se rendre compte, et qui laissent les indigènes aussi embarrassés que M.  […] Le calme complet des airs laisse le navigateur indécis mesurer de combien de vagues il a avancé dans sa route vers un rivage toujours invisible. […] De temps en temps des fenêtres, inaperçues d’en bas, laissent entrer le jour dans ces demi-ténèbres intérieures. […] « Laissons la divine énigme au fond des espaces, et répétons les vains mots que nous avons mis à sa place !

280. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre I. Les chansons de geste »

Et surtout le rythme sans art est expressif : ce n’est pas le déroulement magnifiquement égal de l’alexandrin homérique : distribuée à travers ces couplets qui la laissent tomber et la reprennent, rétrogradant et redoublant sans cesse pour se continuer et se compléter, la narration s’avance inégalement et, de laisse en laisse, d’arrêt en arrêt, monte comme par étages ; et cette discontinuité même devait, semble-t-il, communiquer une dramatique intensité à la déclamation du jongleur. […] A travers la diffusion banale et molle de ce style, qui du moins ne tire pas l’œil et se laisse oublier, la vraie et primitive épopée transparaît. […] Au xive siècle, on supprime les laisses et couplets, pour rimer les vers deux par deux. […] Et « l’autre soleil » de ce monde, le pape, n’est pas mieux traité : ne le voit-on pas, pour engager Guillaume d’Orange à son service, lui promettre, entre autres dons, de lui laisser épouser autant de femmes qu’il voudra48 ? […] Quand tout était à exhumer, tout devait être examiné : mais aujourd’hui le but doit être de laisser doucement redescendre les neuf dixièmes des chansons de geste dans le bienfaisant oubli qui a reçu les neuf dixièmes des tragédies.

281. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Paul Verlaine et les poètes « symbolistes » & « décadents ». »

Les « précieux » et les « grotesques » du temps de Louis XIII, les romantiques et les parnassiens avaient continué de donner aux mots leur sens consacré, et se laissaient aisément comprendre. […] Disons donc que ce poète est souvent peu attentif au sens et à la valeur des signes écrits qu’il emploie, et que, d’autres fois, il se laisse prendre aux grands mots ou à ceux qui lui paraissent distingués. […] Laisse-la trompetter à son aise, la gueuse ! […] Mais ici le poète exprime par une seule image deux sentiments très distincts ; puis il la développe pour elle-même où plutôt la laisse se développer avec une sorte de caprice languissant. […] Laisse aller l’ignorance indécise De ton cœur vers les bras ouverts de mon Église Comme la guêpe vole au lis épanoui.

282. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre V. Le Séminaire Saint-Sulpice (1882) »

Garnier laissait au directeur, M.  […] Dans ces naufrages d’une foi dont on avait fait le centre de sa vie, on s’accroche aux moyens de sauvetage les plus invraisemblables plutôt que de laisser tout ce qu’on aime périr corps et biens. […] Ils en prennent et ils en laissent ; ils admettent tel dogme, repoussent tel autre, et s’indignent après cela quand on leur dit qu’ils ne sont pas de vrais catholiques. […] Je récite les psaumes avec cœur, je passerais, si je me laissais aller, des heures dans les églises ; la piété douce, simple et pure me touche au fond du cœur ; j’ai même de vifs retours de dévotion. […] Je partis donc pour Paris sans leur laisser entrevoir autre chose que des voyages à l’étranger et une interruption possible dans mes études ecclésiastiques.

283. (1890) Les princes de la jeune critique pp. -299

La laissera-t-elle confondue dans l’amas des productions semblables ? […] L’écart entre l’une et l’autre ne laisse pas que d’être considérable. […] « Si le choix m’en avait été laissé, écrit M.  […] Et il a laissé sa plume aller la bride sur le cou. […] Faut-il laisser entendre une vérité qu’on ne peut pas dire crûment ?

284. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome II pp. 1-419

Après avoir parlé de son ravissement et de ses souffrances, le poète laisse éclater son désespoir. […] Au nom de Dieu, laissez-vous émouvoir ! […] Bientôt, lasse de la solitude, elle se laisse aller aux plus étranges caprices. […] Au point de vue de la nécessité, la démonstration ne laisse rien à désirer. […] Il ne laisse, en effet, aucune objection sans réplique.

285. (1902) Le critique mort jeune

Laissez reposer les morts ! […] Le contraste ne laisse pas d’être édifiant. […] Taine s’y est laissé tromper. […] Tenir en laisse un géant, quel rêve pour une petite main ! […] Mais celles de Tellier se laissent deviner sans peine.

286. (1893) Alfred de Musset

Comment me laisse-t-on ici si longtemps ! […] Le vide laissé par un Napoléon est impossible à combler. […] Eh bien, n’allons pas plus loin ; laisse-moi partir. […] et veux-tu que je laisse mourir en silence l’énigme de ma vie ? […] C’est un doux rêve dialogué, par lequel il faut se laisser bercer sans exiger trop de logique et sans craindre de laisser vaguer son imagination.

287. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — II » pp. 112-130

, et il se laisse aller à nous les dire. […] Voilà comme on se laisse aller à des pensées ambitieuses. […] Je laisse les détails, qui n’auraient d’intérêt que dans une biographie. […] Le fait est que son frère s’étant dégoûté de cette place, et ayant obtenu l’intendance de Paris qui était un motif de congé, avait engagé son aîné à s’en accommoder à son défaut et nullement à son détriment : ce qui n’empêcha point qu’il n’y laissât ensuite donner une fausse couleur. […] L’histoire de ce ministère, qui dura jusqu’en février 1747, serait celle de la France pendant cette période : M. d’Argenson en a laissé les éléments les plus riches et les mieux distribués à qui voudra traiter ce point du xviiie  siècle.

288. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire du règne de Henri IV, par M. Poirson » pp. 210-230

Toutefois, en pourvoyant ainsi au plus pressé, il demeurait dans une position fausse et féconde en périls : il ne pouvait abjurer immédiatement sans s’avilir aux yeux de ses nouveaux sujets, sans se perdre aux yeux de son ancien parti ; et retarder cette conversion comme il le devait faire, c’était tenir incertaine et pendante la chance des événements et laisser la carrière ouverte à toutes les ambitions. […] Combien de fois de soudaines résolutions prises par lui, et que condamnaient ses plus sages conseillers, ne lui ont-elles pas réussi, « tellement qu’à la fin, tout accoutumés à cela, eux-mêmes étaient contraints de le laisser faire après, assurés qu’il avait un bon guide !  […] Laissons-les se répondre les uns aux autres, et tenons le droit chemin. […] Quand la saison de la récolte était venue, il y avait plaisir de voir les troupes de moissonneurs, courbés les uns près des autres, dépouiller les sillons, et ramasser au retour les javelles que les plus robustes liaient ensuite, tandis que les autres chargeaient les gerbes dans les charrettes, et que les enfants, gardant de loin les troupeaux, glanaient les épis qu’une oubliance affectée avait laissés pour les réjouir. […] J’aime peu ces réactions en sens divers ; car on laisse toujours tomber en chemin quelque vérité.

289. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « François Villon, sa vie et ses œuvres, par M. Antoine Campaux » pp. 279-302

Ou je me trompe, ou c’est là pour l’inspiration, le cadre à la fois le plus large et le plus commode, la forme la plus piquante et la plus faite à souhait pour ainsi dire, celle qui lui permet d’accorder avec l’unité la variété de tons la plus grande, et le laisse le plus libre de ses allures. […] Un jour, du milieu de ces ignominies, qui ne laissaient pas de fournir matière à sa verve, Villon eut un accent de patriotisme, et il lança contre les ennemis de l’honneur français une ballade dont l’énergique refrain aurait encore son écho ; il maudit et honnit, sur tous les tons, qui mal vouldroit au royaume de France ! […] Campaux, surtout en un siècle où le sentiment de patrie était encore si peu commun ; il y avait un Français dans ce vagabond qui n’avait ni feu ni lieu. » Admirons moins : il faut bien que Villon, puisqu’il nous occupe, ait eu quelque chose en lui et qu’il soit quelquefois sorti de sa vie de taverne et de crapule ; sans quoi nous l’y laisserions tout entier. […] Je laisse volontiers parler M.  […] Laissons-nous faire à la poésie ; relisons, redisons-nous tout haut la pièce entière… Heureux celui qui a su ainsi trouver un accent pour une situation immortelle et toujours renouvelée de la nature humaine !

290. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

Horace, en visitant l’Afrique et l’Asie, ne se fait pas Arabe et Turc, au point de laisser de côté tous ses sentiments d’Europe ; il ne ressemble pas à ces voyageurs, desquels d’ailleurs je ne médis point, qui, en mettant le pied sur la terre d’Orient, se font autant et plus Orientaux que les Orientaux eux-mêmes, et se dépouillent de toute manière antérieure de sentir, jusqu’à se métamorphoser. […] Un jour, dans une de ses courses en Algérie, il avait fait une première remarque : il lisait la Bible, et voyant une jeune femme arabe venir chercher de l’eau à un puit, il crut avoir sous les yeux la parfaite représentation de Rebecca à la fontaine, lorsque la fille de Bathuel, portant sa cruche sur son épaule gauche, la laissait glisser sur son bras droit pour donner à boire au serviteur d’Abraham : c’est ainsi du moins qu’il s’expliquait ce mouvement et ce jeu de scène. […] Le plus beau point de vue du monde lui joue le mauvais tour de le laisser froid comme glace ; il faut l’entendre : « De la fenêtre de notre auberge à Péra, je vois toute cette grande villa ; j’ai beau me battre les flancs pour m’enthousiasmer ; impossible ! […] » logé dans les palais du prince ou chez les premiers seigneurs de l’empire, présenté par l’empereur dans les manœuvres comme étant de son État-major, l’accompagnant dans ses voyages à l’intérieur, traité par lui non comme un peintre, mais comme un ami, comme un fils, comme un enfant gâté, avec une confiance, un laisser-aller que les lettres n’exagèrent pas, et que les meilleurs témoins nous ont certifié, Horace sut garder sa tête, son bon sens, et ne pas se laisser enivrer ni enguirlander. […] Casimir Périer, qui le remplaçait comme chargé d’affaires, était sur le point lui-même de quitter Pétersbourg, et de laisser le soin de la légation au second secrétaire, M. 

291. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.) »

Les affaires difficiles, et dont le succès a quelque chose ae fâcheux, laissent toujours beaucoup à raisonner, et la bonne conduite que l’on y tient est peu connue et peu pénétrée. […] Je lui ai répondu qu’il fallait se laisser juger ; que les campagnes heureuses sautaient aux yeux, que les autres demandaient trop de discours en public pour en faire connaître le mérite. […] Catinat, qu’on avait laissé en sentinelle à la frontière durant tout l’hiver, ne reçut que plus tard les dernières instructions de Louis XIV écrites au pied levé et au moment même où le roi partait pour l’armée de Flandre (10 mai). […] mon ami, je crois qu’il faut que je continue à vivre comme j’ai vécu… Défais-moi des propositions de mariage et laisse-moi la liberté : j’appelle assurément liberté que d’être garçon. […] Sans se laisser amuser par les espions, par les messages perfides, il tient l’ennemi en suspens jusqu’à la fin sur le point par où il doit entrer en Piémont.

292. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite et fin.) »

Les souvenirs de Malouet laissent fort à désirer ici pour la précision. […] … » La dose de constitutionnalisme qu’il mêlait toujours à ses conseils écartait Malouet de tous les projets et complots intimes, et on le laissait en dehors. […] » Le récit des Mémoires qui se rapporte à ce séjour de Malouet à Londres laisse à désirer : tous les papiers de ce temps ont été perdus ou détruits. […] » — « Oui, Sire, repartit le caustique et intéressé ministre, mais il en a encore plus en Angleterre. » De telles paroles distillées à propos dans le tuyau de l’oreille laissent leur impression durable, indélébile. — Nommé commissaire général de la marine à Anvers, puis préfet maritime, Malouet, pendant sept années, exécuta avec des moyens bornés de grandes choses, et dévora en secret plus d’une amertume102. […] Vous ne lui laisserez pas ignorer que je suis mécontent de voir qu’après avoir coopéré à la ruine de l’ancienne monarchie, il continue, à son âge, par inconduite et folie d’esprit, à se mêler encore d’intrigues qui ne peuvent avoir aucun résultat, et qui montrent seulement que les hommes sont incorrigibles.

293. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine »

Racine, dans quelques portions de son œuvre, dans les chœurs de ses tragédies bibliques, dans le trop petit nombre de ses hymnes imités de saint Paul et d’ailleurs, avait laissé échapper d’adorables accents, empreints de signes profonds sous leur mélodieuse faiblesse. […] Son âme est comme l’idéal accompli de la généralité des âmes que l’ironie n’a pas desséchées, que la nouveauté n’enivre pas immodérément, que les agitations mondaines laissent encore délicates et libres. […] — Le jeune Lamartine ne laissa cette vie domestique que pour aller à Belley, au collége des Pères de la Foi ; moins heureux qu’à Milly, il y trouva cependant du charme, des amis qu’il garda toujours, des guides indulgents et faciles, auxquels il disait en les quittant : Aimables sectateurs d’une aimable sagesse, Bientôt je ne vous verrai plus ! […] L’or et ses dons pesants, la Gloire qui fait roi, T’ont laissé bon, sensible, et loin autour de toi  Répandant la douceur, l’aumône et l’indulgence. […] Les secondes Méditations ne finissent pas, ne s’accomplissent pas comme les premières ; elles ouvrent un chant nouveau, indéfini, plus serein, plus paisible et lumineux ; elles laissent entrevoir la consolation, l’apaisement dans l’âme du poëte ; mais elles n’apaisent pas le lecteur.

294. (1902) L’œuvre de M. Paul Bourget et la manière de M. Anatole France

Le plaisir a flatté, moins ses sens que sa curiosité froide d’analyste. et d’ailleurs la réflexion qui l’y accompagnait ne l’eût jamais laissé s’y flétrir, si elle devait fatalement le désenchanter. […] France recèle en son indéfinissable quotient particulier, lequel ne laisse pas que d’être d’une idonéité de fonction pour le moins symptomatique ? […] Au contraire, la pensée réellement autonome ne se laisse pas facilement vêtir ; elle est d’essence impondérable et conçoit l’auguste et l’inexprimé. […] Que s’il charme — et il captive — il ne laisse pas non plus que de surprendre. […] Logique et désordre, sont-ce des termes capables de ne pas nous laisser perplexes sitôt que le spectacle des choses nous oblige à les rapprocher ?

295. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — II. (Lettres écrites du donjon de Vincennes.) » pp. 29-50

La situation où nous avons laissé Mirabeau est celle-ci. […] Laissons les folles et échevelées élégies du début ; je passe, je poursuis, et je crois sentir presque à chaque page un orateur étouffé et gémissant : Ô mon amie, comme ton Gabriel est dégradé ! […] … On n’a point d’idée du genre de vie que l’on mène ici, d’où il ne peut sortir que des fous, si l’on y laisse longtemps les malheureux que l’on y renferme, et où l’on meurt enragé. […] j’aime mieux le laisser ce qu’il était, un homme : Peut-être, écrivait-il à M.  […] Son témoignage tourne contre lui-même. — C’est ainsi que se termina à trente-cinq ans l’existence de cette Sophie que Mirabeau n’avait point enlevée, qu’il n’avait point délaissée non plus, mais qui s’était jetée vers lui par un mutuel transport, et que la force des choses avait pu seule lui arracher ; cette Sophie qu’il avait embrasée, qu’il avait enivrée d’émotions fortes, et à laquelle il laissa, en la quittant, la robe dévorante du Centaure, l’ardeur fatale qui ne s’éteint plus.

296. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Hégésippe Moreau. (Le Myosotis, nouvelle édition, 1 vol., Masgana.) — Pierre Dupont. (Chants et poésies, 1 vol., Garnier frères.) » pp. 51-75

Lebrun chercha à y introduire Moreau ; mais celui-ci, qui avait quitté l’imprimerie Didot, suivait dès lors une autre voie, et il n’était pas de ceux qui se laissent protéger aisément. […] L’aigle lui-même, habitué à porter la foudre, la laisse s’éteindre cette fois et s’échapper. […] Tel il était auprès de sa sœur, à seize ans, avant d’avoir laissé introduire dans son âme rien d’amer ni d’insultant. […] Pierre Dupont s’est laissé plus d’une fois entraîner. […] Le péril, pour lui, est dans cette disposition à se laisser aller au souffle qui passe.

297. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — I. » pp. 389-410

À dix-sept ans, son père, qui continuait apparemment à se soucier assez peu de lui, le fit émanciper, lui rendit compte du bien de sa mère qui était de onze cents livres de rente, et le laissa ensuite se diriger à son gré. […] Volney semble dire à d’Holbach, à Naigeon, et à tout ce monde qui déclamait à tue-tête : « Laissez-moi faire ! […] Description complète et parfaite d’après nature, qu’envierait Cuvier et qui laisse en arrière celle de Buffon ! […] Il ne laisse pas d’être misanthropique pourtant, et le besoin d’aller toujours au fond des ressorts humains l’empêche de voir ce qui les recouvre souvent dans l’habitude, et ce qui en rend le jeu plus tolérable et plus doux. […] Il y décela un fanatisme froid que son Voyage ne laissait qu’entrevoir, et dont sa justesse d’esprit sur bien des points aurait dû, ce semble, le préserver.

298. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Révolution française »

Malheureusement on laissa vivre le monstre. […] Il n’a laissé tranquilles et debout ni un homme, ni une institution, ni une idée. […] en vaudrait bien un autre, le peuple s’est laissé apprendre la Révolution comme le mal s’apprend, mais il ne l’a point inventée. […] Cassagnac ne laisse pas sans le signaler, autour de cette cause occasionnelle, un seul des faits qui l’ont changée en cause absolue. […] Armé d’une intelligence hardie, logique, inflexible, qui sait conclure, quand il a trouvé une turpitude dans un caractère ou une sottise dans un esprit, Cassagnac ne se laisse jamais imposer par l’opinion reçue sur cet esprit et sur ce caractère.

299. (1890) Le réalisme et le naturalisme dans la littérature et dans l’art pp. -399

Son regard rayonne en tous sens et ne laisse rien échapper ni de l’ensemble ni des détails du monde. […] Aussi ils laissèrent périr l’art en préférant à la tragédie la pantomime, à la pantomime la tragédie réelle de l’amphithéâtre. […] Comment le laisse-t-elle éclore et grandir dans son sein ? […] Ceux-là nous retiendrons, qui ont eu la plus grande influence et laissé les œuvres les plus caractéristiques. […] Une de ses manifestations a pris à elle seule aux frères de Goncourt tout le temps que leur laissait la recherche du « bibelot ».

300. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Études sur Blaise Pascal par M. A. Vinet. »

Bourdaloue était vif, il était prompt, impatient peut-être ; quelques mots de son biographe, qui paraît l’avoir bien connu, laissent entrevoir qu’il y avait de la fougue dans son tempérament, et que, dans l’art de maîtriser son cœur, il déploya plus de force encore que dans l’art de maîtriser sa pensée. […] Vinet disait cela de Bourdaloue par manière de conjecture, on peut le lui appliquer plus sûrement à lui-même : il était de ceux qui vivent d’une vie complète au dedans, et qui, sans rien laisser éclater, arrivent à savoir par expérience tout ce qu’il a été donné à l’homme de sentir. […] En présence de l’Apollon du Belvédère, j’avais vu notre guide, l’excellent sculpteur Fogelberg279, qui le visitait presque chaque jour depuis vingt ans, laisser échapper une larme ; et cette larme de l’artiste m’avait paru, à moi, plus belle que l’Apollon lui-même. […] Vinet de recueillir ce qu’il avait laissé d’épars, et engageons-les, malgré tout, à continuer de nous donner ce qui reste de son précieux héritage.

301. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préfaces de « Marion de Lorme » (1831-1873) »

Quelques personnes influentes de ce théâtre vinrent trouver l’auteur ; elles le pressèrent de laisser jouer son ouvrage, relevé comme les autres de l’interdit. […] À peine y a-t-il eu quelques exceptions ; à peine trois ou quatre œuvres vraiment historiques et dramatiques ont-elles pu se glisser sur la scène dans les rares moments où la police, occupée ailleurs, en laissait la porte entrebâillée. […] Que ce génie, caché encore, s’il existe, ne se laisse pas décourager par ceux qui crient à l’aridité, à la sécheresse, au prosaïsme des temps. […] … — Laisse-les parler, jeune homme !

302. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DE LA MÉDÉE D’APOLLONIUS. » pp. 359-406

La Didon de Virgile est une imitation combinée, car Virgile aime d’ordinaire à combiner ses imitations pour mieux laisser jour dans l’entre-deux à son originalité. […] Il semble que le poëte, arrivé à cet endroit de son œuvre, se soit dit que cette passion amoureuse était la seule nouveauté qu’Homère lui eût laissée entière dans le domaine épique, et il s’y est appliqué avec charme, avec bonheur. […] L’homme se laisse faire, qu’il s’appelle Jason, Énée ou M. […] Ni Vénus ni les suaves Amours ne versent leur souffle sur toi. » Mopsus sourit à cet avis si joliment donné, et en tient compte ; Argus et lui s’arrêtent à cet endroit et laissent Jason s’avancer tout seul au terme du rendez-vous. […] Un seul et dernier trait : c’est au moment où elle se décide à fuir au milieu de la nuit : « … Elle baisa son lit et les deux côtés de la porte, elle embrassa jusqu’aux murailles, et, ayant coupé de ses mains une longue tresse, elle la laissa dans la chambre pour sa mère comme souvenir de sa virginité, et elle s’écria d’une voix gonflée de sanglots : « Cette longue mèche de mes cheveux, je te la laisse en ma place, ô ma mère !

303. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Ampère »

Chercher la cause et la raison des choses, trouver leurs lois, le tente, et là où d’autres passent avec indifférence ou se laissent bercer dans la contemplation par le sentiment, il est poussé à voir au-delà et il pénètre. […] Tant que tu les posséderas et qu’ils te posséderont, embrassez-vous en mémoire de moi : je vous laisse à tous mon cœur. […] Dans l’histoire de la philosophie, pourquoi faut-il que ce grand esprit, qui s’est occupé de métaphysique pendant plus de trente ans, ne doive vraisemblablement laisser qu’une vague trace ? […] Ampère, toute la richesse de la pensée et de l’organisation est laissée, pour ainsi dire, plus à la merci des choses, et le bouillonnement intérieur reste à découvert. […] Ampère, à un âge encore peu avancé, n’a pas fait à l’instant aux yeux du monde, même savant, tout le vide qu’y laisse en effet son génie.

304. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque (2e partie) » pp. 81-155

Visconti laissait trois fils, entre lesquels fut partagé son vaste héritage, qui comprenait toute la Lombardie. […] Les dix années qu’il passa à Padoue, à Venise ou dans les collines du bord de l’Adriatique, n’ont laissé traces que par de nombreuses et admirables lettres et quelques sonnets pleins de la mémoire de Laure. […] Après cela il a pris la fuite en me disant adieu, et m’a laissé confus de sa générosité et blâmant cette espèce de violence qu’il me faisait. […] Honteux que je suis, ajoute-t-il, de laisser si peu de chose à un si grand homme ! […] Honte à l’Italie qui l’a laissé mourir !)

305. (1856) Cours familier de littérature. I « IVe entretien. [Philosophie et littérature de l’Inde primitive (suite)]. I » pp. 241-320

Laissons donc le grammairien ou le théoricien définir, s’il le peut, la poésie ; quant à nous, disons simplement le vrai mot : mystère du langage. […] Plusieurs des plus grandes races humaines, appelées nations, n’ont laissé pour trace de leur passage sur la terre qu’un poème épique. […] Les dieux, touchés de ce dévouement, se laissent fléchir ; ils l’admettent avec ses proches et avec le fidèle animal dans les demeures célestes. […] » L’arbre insensible lui laisse la vie. […] À leur aspect, le cœur de Nala se brise et s’ouvre ; il jette le cri du père et laisse échapper à demi le cri de l’amant.

306. (1774) Correspondance générale

Pour Dieu, monsieur, laissez cet enfant ce que votre génie l’a fait. […] Je vous envoie le reste de la besogne que vous m’avez laissée. […] Qu’on le laisse faire, et il fera de grandes choses. […] Je penserai à votre roi, quand mon âme m’en aura laissé le loisir. […] Il insiste ; je lui propose de laisser l’ouvrage.

307. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — T — Theuriet, André (1833-1907) »

Théophile Gautier C’est un talent fin, discret, un peu timide que celui de Theuriet ; il a la fraîcheur, l’ombre et le silence des bois, et les figures qui animent ses paysages glissent sans faire de bruit comme sur des tapis de mousse, mais elles vous laissent leur souvenir et elles vous apparaissent sur un fond de verdure, dorées par un oblique rayon de soleil. […] Theuriet, las de marier éternellement Raoul avec Angélique, laissera reposer sa plume de romancier ; il reprendra sa plume de poète, il ira passer quelques mois dans le jardin de sa grand-tante tout fleuri d’œillets et de roses trémières, et il en rapportera un petit volume de vers qui — je vous le prédis — sera un chef-d’œuvre. […] Mais, si des rayons paisibles et calmes indiquent déjà le doux déclin de la fin septembre, ces clartés indécises, ces lueurs pâlissantes et qui luttent encore, nous laissent voir, malgré tout, un dernier épanouissement qui conserve sa force et son énergie… L’intimité qui anime les vers de M. 

308. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIe entretien. Sur le caractère et les œuvres de Béranger » pp. 253-364

Laissons donc le poète des heureux, et revenons au poète du peuple. […] Or il n’était pas suffisamment innocent, selon moi, de laisser conspirer même sa situation. […] Au nom de la France et du salut du peuple, laissez-vous élire parmi les représentants qui vont la personnifier. […] Je vais faire mes préparatifs afin que le peu que je laisserai en m’en allant ne soit pas perdu pour ma pauvre famille. […] Je songe à vous le jour et la nuit. » Je le remerciai et je le rassurai en lui affirmant que, si la Providence me laissait encore quelques heures de travail avant le soir, j’étais sûr de suffire à tout et de ne laisser personne dans la peine ou dans l’embarras après moi, et j’entrai avec lui dans quelques détails de coin du feu. « Ah !

309. (1859) Critique. Portraits et caractères contemporains

Pourquoi laisser le public en paix, pendant que vous agitez le monde littéraire ? […] laissez-vous fléchir ! […] Laissez-moi donc rechercher ses sourires et ses regards. […] À se couper ainsi en petits morceaux, il a laissé de quoi composer soixante volumes ! […] Michaud ne laisse pas grand-chose : une place à l’Institut, et puis c’est tout.

310. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « L’obligation morale »

Que n’eût pas été notre enfance si l’on nous avait laissés faire ! […] Le cavalier n’a qu’à se laisser porter ; encore a-t-il dû se mettre en selle. […] Que laisse-t-elle alors entrer ? […] Bien-être, plaisirs, richesse, tout ce qui retient le commun des hommes les laisse indifférents. […] plutôt laisser sauter la planète !

311. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

Tranquillisez-vous, et livrez-vous à vos travaux littéraires ; jouissez d’être auprès du marquis d’Este, qui est un si noble et si vertueux protecteur ; en outre, comme il faut enfin laisser sur les chemins cette humeur maladive qui vous travaille, et que cela ne peut avoir lieu sans quelques remèdes de médecins, résignez-vous à vous laisser gouverner pour votre santé par les médecins et à obéir aux conseils de vos protecteurs et de vos amis, au nombre desquels sachez bien que je suis et que je serai toujours celui qui vous chérira et qui vous soignera avec le plus de tendresse ! […] Sa colère, contre l’oubli dans lequel on le laissait, s’emporta publiquement jusqu’aux plus violentes invectives contre la maison d’Este. […] Une lettre d’un capucin du couvent de Sorrente, qui mentionne cette mort en passant, laisse croire que le Tasse ne revit jamais sa sœur. […] Un composé d’héroïsme, de fanatisme, de jactance chevaleresque parfaitement uniforme dans les héros chrétiens et dans les héros musulmans ; une chevalerie banale et générale qui ne laisse différencier les personnages que par le costume, le casque ou le turban. […] Sans la croire chrétienne, il ne veut pas laisser ce beau corps à la fureur des bêtes farouches : il les fait porter l’un et l’autre sur les bras de ses soldats, et marche à la tente de Tancrède.

312. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre IV. Services généraux que doivent les privilégiés. »

Tel est le régime dans les pays où les seigneurs féodaux, au lieu de laisser le roi s’allier contre eux avec les communes, se sont alliés avec les communes contre le roi. […] En 1773, Guénin, maître d’école, destitué par l’évêque de Langres et vainement soutenu par les habitants, est forcé de laisser sa place au successeur que le prélat lui a nommé d’office. […] Ici encore la noblesse s’est laissé dérober l’autorité, l’action, l’utilité de sa charge, à condition d’en garder le titre, la pompe et l’argent109. […] Il se contente d’être économe pour lui-même ; il inscrit sur son journal un raccommodage de montre, et laisse la voiture publique, aux mains de Calonne, se charger d’abus nouveaux pour rentrer dans l’ancienne ornière, d’où elle ne sortira qu’en se disloquant. […] Mais il faut qu’il le remplisse ; sinon, au jour du danger, on le laisse là.

313. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (1re partie) » pp. 305-364

« Ouvrez-leur les portes toutes larges, et laissez-les entrer, eux et leurs songes », criai-je du haut du balcon. […] » Il entrouvrit enfin, juste assez pour me laisser entrer avec deux ou trois personnes, puis referma, aidé de nos épaules contre la pression croissante de la foule à laquelle nous venions d’échapper. […] « Virgile n’a jamais laissé fuir de sa lyre « Des vers qu’à Lycoris son Gallus ne pût lire. […] Prendre les ordres de Valjean contre le vol, de Thénardier contre le maraudage, des étudiants contre la débauche, des gamins héroïques de Paris et des jeunes émeutiers de la barricade sur l’organisation savante du travail et de la société parfaite, contre le luxe des riches et contre la misère du chômage du peuple, est une homéopathie par le vice, l’ignorance et le sang, qui nous laisse quelque doute sur la guérison du corps social. […] Un jour, la jeune fille laisse par inadvertance ses chèvres et ses chevreaux s’échapper pour aller marauder un brin d’herbe dans la partie du domaine qu’ils avaient l’habitude de paître.

314. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre I. Le broyeur de lin  (1876) »

Loin de les séquestrer, on les laissait vaguer tout le jour. […] On avait le bon goût et le bon sens de le laisser faire et de ne pas établir de frivoles distinctions entre les simples et les humbles qui viennent s’agenouiller devant Dieu. […] Il revint de bonne heure, trouva sa vieille maison, que personne n’avait voulu occuper, dans l’état où il l’avait laissée. […] Il n’y avait pas eu vol réel, mais, après qu’une innocente avait fait plusieurs jours de prison pour un fait qualifié de vol, il était bien difficile de laisser impunie la vraie coupable. […] La folie n’étant pas constatée, le fait d’avoir laissé arrêter la sacristine était impardonnable.

315. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vii »

Ils ont reçu la France, leur trésor familial, et veulent laisser une France plus belle et une famille plus riche en mérites. […] Pierre de Rozières, et de laisser croire à quelque infatuation chez un jeune héros qui aimait la gloire, pour ce qu’elle a de magnifique dans l’âme, mais qui dédaignait et fuyait tout l’extérieur du succès. […] Mais aujourd’hui, laissons-les en bloc, pour qu’ils tombent avec tout leur poids sur nos cœurs.‌ […] Je laisse à cette page curieuse sa couleur romaine, son accent à la Saint-Just, toute la sainte exaltation de ces jeunes hommes dévoués à la Révolution pour l’ordre et qui voyaient dans le salut de la France la première condition pour l’accomplissement de leur « nationalisme intégral ».‌ […] » Et ce que je te conte, je te jure que je ne me laisse pas aller à le revêtir de la tristesse qui depuis s’est jetée sur le souvenir.

316. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Dübner »

« Oui, je le remarque avec peine, avec regret pour la France, l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres a laissé vivre et mourir, sans se l’associer, ce savant homme si essentiel, dont la perte est reconnue aujourd’hui, par tous ceux qui ont droit d’avoir un avis en ces matières, comme immense et presque irréparable. […] Sainte-Beuve ne m’imputerait en aucun cas des manœuvres sourdes… Mais ce serait pour moi une blessure vive que la supposition que j’ai pu laisser, même innocemment, même sans les apercevoir, se pratiquer autour de moi de telles manœuvres contre l’excellent M.  […] Après l’avoir remercié de sa communication et de ses remarques à la fois si parfaitement exprimées et si bienveillantes : « Laissez-moi vous répondre, lui disais-je, quoique moins compétent que vous, — infiniment moins compétent, — mais en généralisant un peu le débat. […] La postérité laissera les petites choses et les ignorera, et elle ne verra que les services : ils sont immenses. […] toujours contente de toi, te disant sans cesse que ta magistrature est la plus intègre, que ton armée est la plus brave, que ton clergé même est le plus pur, et à plus forte raison que ton jugement et ton goût dans les lettres et dans les études ne laissent rien à désirer !

317. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre I. Place de Jésus dans l’histoire du monde. »

Écrasé, humilié, il n’a pas ouvert la bouche ; il s’est laissé mener comme un agneau a l’immolation ; comme une brebis silencieuse devant celui qui la tond, il n’a pas ouvert la bouche. […] Peu soucieux de dynastie nationale ou d’indépendance politique, il accepte tous les gouvernements qui le laissent pratiquer librement son culte et suivre ses usages. […] Il ne spéculait pas sur l’essence de la divinité ; les croyances sur les anges, sur les fins de l’homme, sur les hypostases divines, dont le premier germe se laissait déjà entrevoir, étaient des croyances libres, des méditations auxquelles chacun se livrait selon la tournure de son esprit, mais dont une foule de gens n’avaient pas entendu parler. […] A mesure que le pouvoir se sécularisait et passait en des mains incrédules, le peuple juif vivait de moins en moins pour la terre et se laissait de plus en plus absorber par le travail étrange qui s’opérait en son sein. […] Le manque de chronologie certaine pour les textes zends et pehlvis laisse planer beaucoup de doute sur ces rapprochements entre les croyances juives et persanes.

318. (1902) L’humanisme. Figaro

Mais, bien qu’ils y revinssent toujours comme en leur citadelle inexpugnable, les parnassiens sortirent souvent de la belle tour close où ils adoraient à l’écart l’idole hiératique : témoin Leconte de Lisle, dont la poésie, si impassible qu’elle veuille être, laisse souvent deviner la pensée généreuse et entendre le cœur palpitant ; témoin Sully Prudhomme, si préoccupé de justice et de bonheur, et qui loua André Chénier d’avoir uni Le laurier du poète à la palme du juste ; et Anatole France, dont les Noces corinthiennes ont pu sembler, vingt ans après avoir été écrites, une pièce d’actualité ; et le tendre et nostalgique Dierx, et Catulle Mendès, dont la fantaisie est si moderne, et Coppée, penché sur les humbles, et Heredia enfin, le somptueux conquistador épris des époques reculées et des rivages lointains, qui un jour, se souvenant qu’il était un homme d’aujourd’hui et appartenait à un « peuple libre », consentit à dresser un beau « trophée » en plein Paris, sur le pont Alexandre. […] Ils le nient, ils se refusent le plus petit voyage dans cette région de l’inconnaissable que le renanisme laissait ouvert à nos rêveries. […] Je me suis laissé dire qu’il y a une trentaine d’années, peu de temps après la, guerre, un groupe de quinze jeunes gens avait fondé une association — honni soit qui mal y pense — de chasteté. […] » Alors, laissez-moi tranquille. Laissez-moi disposer de ma journée sans penser à demain.

319. (1860) Ceci n’est pas un livre « Mosaïque » pp. 147-175

Tantôt, — l’air goguenard, la plaisanterie aux lèvres, riant avec l’un, causant avec l’autre — il laissait sa main distraite courir au hasard dans la casse : c’est qu’il composait alors un feuilleton de M.  […] * *  * Depuis quelque temps, je suis en proie à des préoccupations philologiques qui ne me laissent pas de repos. — Suivez bien mon raisonnement. […] gardez-vous de laisser traîner sur le tapis… de la confiance les idées dont vous comptez le nourrir. […] * *  * Laissez-moi vous dire un mot après boire de M.  […] Il se met en position et en devoir d’écorcher une ouverture de Rossini  : ce qu’il fait avec toute l’énergie que lui laissent ses cheveux blancs.

320. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XI. MM. Mignet et Pichot. Charles Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère de Yuste. — Charles V, chronique de sa vie intérieure dans le cloître de Yuste » pp. 267-281

Philippe II le Taciturne, qui ne dit son secret à personne et ne laissa aux historiens de l’avenir qu’un mot  le mot terrible — qui ne fut pas stupide, tout en voulant être injurieux ; et Charles-Quint, l’empereur déchu ou grandi dans une abdication volontaire, sur laquelle l’imagination a tant erré et l’Intelligence hésite encore ! […] … Toutes questions qui restent sans réponse, si on s’en tient à la lettre seule des documents biographiques, mais qui commencent d’en laisser voir une, si on ose éclairer l’individualité de Charles-Quint par l’individualité de l’Espagne. […] Prudent comme les saints, et comme les gens seulement convaincus ne le sont jamais, froid et fin sous la grandesse d’une majestueuse dignité, cet esprit de milieu, également éloigné de tous les fanatismes, nous laisserait l’imagination bien tranquille, s’il ne portait pas jusque dans le fond de son être les brûlantes réverbérations de cette Foi espagnole qui avait chauffé son berceau. […] Mignet et Pichot ne laissent sur ce point aucun doute : Charles-Quint continua d’être dans son cloître l’Empereur, le Charles-Quint stator qu’il avait été partout. […] Sans doute, la chronique est encore une forme intéressante de l’histoire, mais Charles-Quint, comme tous les personnages qui font question dans les Annales du monde, échappe à la chronique par la profondeur de son caractère ; et quelque dévoué que l’on soit à ramasser les épingles que l’histoire laisse parfois tomber, il y a mieux pourtant que ce travail de bésicles et de flambeau par terre, quand il s’agit d’un homme qu’il faut regarder en plein visage pour le pénétrer.

321. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXI. Philosophie positive »

Je ne veux m’occuper ni occuper mes lecteurs des insensés et des imbéciles qu’Auguste Comte, mort récemment, a laissés après lui pour répandre la religion qu’il a fondée, et qui fonctionnent, eux et leur culte, pour le moment, dans quelque grenier. […] Ce sont ceux-là en effet qui sont dangereux ; ce sont ceux-là qui pourraient faire croire, si on les laissait faire, au génie d’un écrivain qui n’en avait pas, même mêlé à de la folie, et par conséquent pourraient donner à ses idées un ascendant que l’idée de génie donne toujours, dans ce pays-ci, aux opinions d’un homme. […] Laissons le mystagogue. […] Il est donc redoutable ou du moins pourrait l’être, et voilà pourquoi nous voulons vous parler de cet homme qui, si on laissait faire ses amis, deviendrait relativement puissant, en raison de ses affectations et de ses impuissances. […] Il est vrai, comme nous l’avons vu, que cette négation est assez vaste et laisse une large trouée, un hiatus terrible, dans la préoccupation de l’esprit humain.

322. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Achille du Clésieux »

Mais laissons ces choses que le temps emportera. […] Mais qu’il les laisse dire ! […] Elle meurt et le laisse ayant promis, et désolé de sa promesse. […] Il porte, d’une main qui ne laisse rien déborder, cette coupe de larmes… Et elle est pleine jusqu’aux bords ! […] et je vous assure que la mer est toujours bleue, chez du Clésieux… Laissons quelques vers faibles, sur tant de vers !

323. (1910) Variations sur la vie et les livres pp. 5-314

et c’est une honte de l’avoir laissé dire à Nietzsche. […] Dante, par ses dons personnels, laisse loin derrière lui les trouvères du moyen âge. […] qu’il tremblait de laisser échapper quelque mot irrité ou amer ! […] Ô mes amis, laissez-moi compter ces glorieuses blessures, etc. […] Aussi les laisse-t-il aller en railleur, et il n’est occupé que du tréfonds de l’âme.

324. (1911) Psychologie de l’invention (2e éd.) pp. 1-184

Si cette différenciation ne se confond nullement avec l’invention psychologique, elle ne laisse peut-être pas d’avoir avec elle certaines analogies. […] Les faits abondent et ne laissent que l’embarras du choix. […] J’y reviendrai, mais le plus bel exemple de ce genre de développement est sans doute celui qu’Edgar Poë nous a laissé. […] Le système vivant profite de ce qu’il rencontre, mais peut se laisser engager en bien des directions différentes et même opposées. […] Il leur faut laisser à leurs idées une liberté qui est déjà par elle-même un désordre et qui peut en engendrer d’autres.

325. (1887) Essais sur l’école romantique

Juges bienveillants, non pas insouciants, n’allez pas croire qu’ils laissent dénigrer les maîtres ! […] Hugo, c’est la hardiesse, il écoute son imagination, il s’en laisse mener au hasard : tant mieux s’il rencontre le beau ! […] Heureux aussi qui peut laisser une belle ode ! […] Hugo me paraît avoir laissé un peu fléchir la sévérité de ses principes sur le mot propre et la couleur locale. […] Je m’en inquiète vraiment, moi qui l’aime tant, et me laisse si facilement aller à croire à son avenir.

326. (1856) Réalisme, numéros 1-2 pp. 1-32

Leur formule est : Laissez faire, nous en profiterons. […] Le public n’y a rien compris, il commence à laisser tout ce pathos aux poètes et aux natures d’élite. […] Laissons aux vils prosateurs l’image sensée. […] Tout cela laisse encore assez de choses à dire. […] quand laissera-t-on ces entraves puériles, ces ceps volontaires qu’on met aux idées ?

327. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Souvenirs et correspondance tirés des papiers de Mme Récamier » pp. 303-319

Mais il est assez, depuis Ariane et Didon jusqu’à Mlle de Lespinasse et au-delà, — bien assez de lamentables victimes d’une passion délirante et sacrée : laissons sous sa couronne pure une figure unique, la plus savante des vierges dans l’art de dompter et d’apprivoiser les cœurs. […] Quoi qu’il en soit, l’impression que laisse la lecture parallèle de ces lettres de M. de Montmorency et de M. de Chateaubriand est toute favorable au premier ; sa belle et bénigne figure ressort à nos yeux par le contraste ; et dans les générations modernes, ceux qui auront quelque souci encore de ces choses pourront dorénavant se faire une idée de ce dernier homme de bien des grandes races, de ce dernier des prud’hommes (comme on disait du temps de saint Louis), dont la renommée de vertu avait été jusqu’ici renfermée dans un cercle aristocratique tout exclusif. […] Mme Récamier laissa à d’autres, et à l’ami même que l’on vient d’entendre, le soin de consacrer son souvenir ; elle ne fit point ce qu’aurait souhaité M. Ballanche ; elle se défia d’elle-même, et peut-être se dit-elle qu’une femme qui écrit donne trop exactement sa mesure : il est mieux, en cela comme en tout, qu’elle laisse à deviner. […] J’aime jusqu’à ces cierges dont la lumière étouffée laissait échapper une fumée blanche, image d’une vie subitement éteinte.

328. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Le général Joubert. Extraits de sa correspondance inédite. — Étude sur sa vie, par M. Edmond Chevrier. — III » pp. 174-189

À ceux des gouvernants qui lui faisaient remarquer qu’il emmenait avec lui l’élite des braves et laissait la France dépourvue, il répondait : « Je vous laisse Joubert. » Il laissait aussi Masséna et quelques autres. […] Fouché, très bon témoin en tout ceci, va nous le dire encore : Quand Sieyès vit qu’il y avait moyen, en effet, de s’appuyer sur Joubert, revêtu du commandement de Paris, circonvenu avec habileté, et dont on allait captiver les penchants par un mariage où il se laisserait doucement entraîner, il résolut d’en faire le pivot de sa coalition réformatrice. […] Joubert se laissa faire ; il était amoureux, il se maria, perdit quelques semaines à jouir d’une félicité fugitive, et partit à la fin de juillet 1799 pour prendre le commandement en chef de l’armée d’Italie. […] Saint-Cyr, qui commandait la droite de l’armée, nous a laissé, dans ses intéressants mémoires où il fait preuve d’un sens critique si distingué mais si sévère, le tableau circonstancié et fidèle de tout ce qui se passa la veille de cette intempestive journée de Novi.

329. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Octave Feuillet »

L’étude sans doute peut y revenir et suppléer à ce qu’on a laissé fuir d’abord ; mais une étude, c’est un bien gros mot, et on ne la fait que rarement. […] On vient déranger la dame et l’appeler : c’est le curé, un jeune homme de cinquante-neuf ans, et dont le docteur a tout l’air d’être un peu jaloux : il le laisse voir à sa vieille amie dès qu’elle reparaît, et aussi, par haine du rival, il se fait ce soir-là plus esprit-fort que jamais, surtout après qu’il a perdu sa partie de dames ; car il la perd. […] Dans des œuvres plus considérables et plus développées, dont Dalila est la plus forte, le Roman d’un Jeune Homme pauvre la plus triomphante, et Sibylle la plus ambitieuse, il a déployé des facultés de drame, une habileté de construction et d’émotion qui ont laissé subsister les autres qualités nuancées : il a étendu et varié sa sphère. […] L’intérêt qu’il ne fallait pas laisser échapper un moment est tout entier dans les rapports, à peine entamés, de l’artiste et de la jeune dame. […] et combien il gagnerait à laisser voir, çà et là, sur un front plus nu, quelques places dépouillées ou éclaircies, quelques traces gravées qui ne sont pas encore des ravages !

330. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre X. La commedia dell’arte en France pendant la jeunesse de Molière » pp. 160-190

Chacun sait que toutes les dames sont folles et que, par conséquent, elles ne peuvent feindre d’être ce qu’elles sont31. » Malgré cette critique, Les Folles supposées ne laissèrent pas de se multiplier. […] En même temps, quatre Indiens font un petit bal à la moresque ; enfin les perroquets s’envolent des mains de leurs maîtres et les laissent désespérés de cette perte ; après quoi s’achève la pièce, et s’en vont tous s’embarquer pour la guerre de Troie. » La Finta Pazza obtint un brillant succès, auquel les cantatrices, « la gentille et jolie Gabrielle Locatelli, qui était une vraie lumière de l’harmonie, Giulia Gabrielli et Marguerite Bertolazzi, dont la voix était si ravissante qu’on ne pouvait les louer dignement », paraissent avoir eu la plus grande part33. […] Le ballet de L’Amour malade avait laissé de si joyeux souvenirs parmi les contemporains, que lorsque huit ans après, fut joué L’Amour médecin de Molière, les hommes qui, comme le fameux médecin Guy Patin, ne fréquentaient pas beaucoup le théâtre, prenaient un titre pour l’autre et parlaient de L’Amour malade, de Molière, que Paris allait voir en foule. […] On nous a pourtant laissés faire. […] Madame était épouvantée, et je vous avoue que, quoique je connusse assez Monsieur pour ne me pas donner avec précipitation des idées si cruelles de ses discours, je ne laissai pas de croire, en effet, qu’il était plus ému qu’à son ordinaire ; car il me dit d’abord : “Eh bien, qu’en dites-vous ?

331. (1890) L’avenir de la science « XII »

Elle laisse au vieil a priori le chimérique honneur de ne chercher qu’en lui-même son point d’appui ; elle se fait gloire de n’être que l’écho des faits et de ne mêler en rien son invention propre dans ses découvertes. […] Les veines du métal précieux ne se laissent pas deviner. […] Bien des ordres de recherches resteront ainsi comme des mines exploitées jadis, mais depuis abandonnées, parce qu’elles ne récompensèrent pas assez les travailleurs de leurs fatigues et qu’elles ne laissent plus d’espoir aux explorateurs futurs. […] Voilà l’humanité : chaque nation, chaque forme intellectuelle, religieuse, morale, laisse après elle un court résumé, qui en est comme l’extrait et la quintessence et qui se réduit souvent à un seul mot. […] C’est une pensée d’une effroyable tristesse que le peu de traces que laissent après eux les hommes, ceux-là mêmes qui semblent jouer un rôle principal.

332. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Saint Anselme, par M. de Rémusat. » pp. 362-377

Il y a l’homme d’esprit sur tous les points, le causeur de salon, celui qui, nonchalamment assis, dans un cercle pas trop nombreux, agite, soulève, anime toutes les questions et aime à les laisser indécises en se levant. […] Il est arrivé, en effet, que, ce drame une fois terminé, l’auteur qui l’avait lu et relu dans le monde avec applaudissement, fut pressé de le publier ; il hésita, il consulta, et, comme il s’adressa à un homme grave (M. de Broglie), il lui fut conseillé de laisser là l’imagination sur la personne et l’âme d’Abélard, et d’en venir à l’étude même de sa philosophie. […] L’âge des passions et des séductions le prenait insensiblement ; sa mère mourut, et avec, elle il perdit ce qui alors le retenait le plus : « Elle morte, dit le biographe primitif, tout aussitôt le vaisseau de son cœur, comme s’il avait perdu son ancre, se laissa aller presque entièrement au courant du siècle. » Mais Dieu qui avait sur lui des desseins, de peur qu’il ne s’abandonnât à une paix mortelle et trompeuse, lui suscita une guerre intestine pleine de troubles. […] Anselme, après avoir entrevu les périls qui l’allaient assaillir, avoir résisté aussi longtemps que possible au vœu public qui le proclamait, avoir pleuré au point que sa vue s’en affaiblit, accepta le fardeau à l’âge de cinquante-neuf ans ; M. de Rémusat nous a tracé de lui, à cette époque décisive où il passe du cloître au monde, ce beau portrait que je donnerai dans toute son étendue : Sa sincérité (dans ses refus de se laisser élire) est pour nous avérée. […] Voilà une ébauche bien faible de mon rêve ; je crois pourtant qu’aucun caractère ne s’abaisserait dans un tel rôle, simplement compris et nettement accepté ; dans tous les cas, je demande pardon à ceux ou plutôt à celui des amis absents à qui je m’adresse, de m’être ainsi laissé aller à l’exprimer : car tout cela, ne le devinez-vous pas ?

333. (1759) Observations sur l’art de traduire en général, et sur cet essai de traduction en particulier

Cependant, s’il ne doit pas se laisser subjuguer, il ne doit pas non plus tout se permettre. […] Mais l’impossibilité ou il se trouve de rendre son original trait pour trait, lui laisse une liberté dangereuse. […] Dans les hommes de génie, les idées naissent sans efforts, et l’expression propre à les rendre naît avec elles ; exprimer d’une manière qui nous soit propre des idées qui ne sont pas à nous, c’est presque uniquement l’ouvrage de l’art, et cet art est d’autant plus grand qu’il ne doit point se laisser voir. […] Les principes de l’art de traduire, exposés dans ce discours, sont ceux que j’ai cru devoir suivre dans la traduction que je donne de différents morceaux de Tacite : quelques-uns de ces morceaux avaient déjà vu le jour ; le public m’a paru les avoir goûtés et en désirer davantage ; c’est pour le satisfaire que j’en ajoute ici un beaucoup plus grand nombre ; c’est le fruit de quelques moments de loisir que m’ont laissé des travaux très pénibles et d’un genre tout différent. […] Quelquefois, ne pouvant faire entendre sans beaucoup de paroles, à des lecteurs ordinaires, toute l’étendue du sens de l’auteur, j’ai mieux aimé en laisser entrevoir la finesse aux seuls lecteurs intelligents, que de l’anéantir dans une périphrase.

334. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre III. Les explications anthropologique, idéologique, sociologique »

Déportez Rousseau chez les Fuégiens ou les Hottentots, et laissez-le déclamer : ses théories inspireront-elles à leurs hordes une « Déclaration des Droits de l’homme ?  […] Afin que la propagation d’une idée dans un milieu se laisse comprendre, il faut des raisons tirées de l’observation de ce milieu même. […] Combien la réalité nous laisse loin de cette connaissance idéale, ce n’est que trop évident. […] Nous risquons, par exemple, de rencontrer plus d’une société centralisée où l’égalitarisme ne se laisse pas constater. […] Si l’histoire ne nous laisse pas « constater » avec assez de précision les rapports qui unissent telle forme sociale au succès de l’égalitarisme, il nous faudra bien tenter de les « démontrer ».

335. (1882) Types littéraires et fantaisies esthétiques pp. 3-340

Les nudités de la sculpture laissent une impression grave, sérieuse et chaste. […] Il se laisse aborder familièrement, il ne m’étonne ni ne me gêne. […] Laissez, dit-il, laissez aux rois les pensées royales et aux grands les grandes pensées. […] Que manque-t-il donc à ce livre pour nous laisser entièrement satisfaits ? […] Le temple nous laissa quelque désappointement.

336. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Baudelaire.] » pp. 528-529

Vous êtes, vous aussi, de ceux qui cherchent de la poésie partout ; et comme, avant vous, d’autres l’avaient cherchée dans des régions tout ouvertes et toutes différentes ; comme on vous avait laissé peu d’espace ; comme les champs terrestres et célestes étaient à peu près tous moissonnés, et que, depuis trente ans et plus, les lyriques, sous toutes les formes, sont à l’œuvre, — venu si tard et le dernier, vous vous êtes dit, j’imagine : « Eh bien ! […] Laissez-moi vous donner un conseil qui surprendrait ceux qui ne vous connaissent pas : vous vous défiez trop de la passion ; c’est chez vous une théorie. […] Laissez-vous faire, ne craignez pas tant de sentir comme les autres, n’avez jamais peur d’être trop commun ; vous aurez toujours assez, dans votre finesse d’expression, de quoi vous distinguer.

337. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre II. Amour passionné. — Didon. »

Ignorée de l’artisan trop occupé, et du laboureur trop simple, cette passion n’existe que dans ces rangs de la société où l’oisiveté nous laisse surchargés du poids de notre cœur, avec son immense amour-propre et ses éternelles inquiétudes. […] Le vieux Loïs des Masures, Tournisien, qui nous a laissé les quatre premiers livres de l’Énéide en carmes françois, a traduit ainsi ce morceau : …………… Si d’un petit Énée, Avec ses yeux, m’estoit faveur donnée, Qui seulement te ressemblas de vis, Point ne serois du tout, à mon advis, Prinse et de toi laissée entièrement.

338. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Préface »

À moins donc qu’on ne prête au sens commun, en sociologie, une autorité qu’il n’a plus depuis longtemps dans les autres sciences ― et on ne voit pas d’où elle pourrait lui venir ― il faut que le savant prenne résolument son parti de ne pas se laisser intimider par les résultats auxquels aboutissent ses recherches, si elles ont été méthodiquement conduites. […] Il arrive sans cesse qu’une chose, tout en étant nuisible par certaines de ses conséquences, soit, par d’autres, utile ou même nécessaire à la vie ; or, si les mauvais effets qu’elle a sont régulièrement neutralisés par une influence contraire, il se trouve en fait qu’elle sert sans nuire, et cependant elle est toujours haïssable, car elle ne laisse pas de constituer par elle-même un danger éventuel qui n’est conjuré que par l’action d’une force antagoniste. […] Seulement, comme c’est malgré lui, pour ainsi dire, qu’il est rendu inoffensif, les sentiments d’aversion dont il est l’objet ne laissent pas d’être fondés.

339. (1888) Études sur le XIXe siècle

Taine maltraite si fort et qui laisse pourtant un tel sentiment d’angoisse et de mystère. […] Cet effet tient-il à la puissance de l’artiste, à la robustesse de sa foi où à la bonne volonté de l’imagination qui ne demande qu’à se laisser séduire ? […] Il arrive à traduire les sentiments d’effroi, de néant ou d’horreur qu’elles laissent derrière elles, quand elles nous ont harcelés en des heures mauvaises. […] Loin de là, il la voit et la laisse au second plan. […] Seulement il lui faut une dot, et c’est pour gagner d’un seul coup cette dot que le patron ’Ntoni se laisse entraîner à la spéculation.

340. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — I. » pp. 204-223

L’un des premiers, il fut de ces hommes de lettres, intrépides et hardis causeurs, qui passaient leur vie dans la société, y marquaient d’abord leur place, l’y maintenaient de pied ferme tant qu’ils étaient présents, mais s’y dissipaient et ne devaient point laisser d’ouvrage égal à leur renommée ni peut-être à leur valeur. […] Duclos nous a laissé des commencements de Mémoires de sa vie, qui sont pleins d’intérêt. […] M. de Forcalquier a tracé de Duclos en 1742, c’est-à-dire quand celui-ci était déjà un homme de lettres en pied et un académicien des Inscriptions, un portrait qui conserve encore et laisse voir quelques airs de jeunesse : « L’esprit étendu, l’imagination bouillante, le caractère doux et simple (ceci est pour le moins douteux), les mœurs d’un philosophe, les manières d’un étourdi. […] Deux grands hommes du siècle, Montesquieu et Buffon, ce dernier surtout, furent aussi très libertins dans leur jeunesse et depuis ; mais l’un et l’autre avaient ce que Duclos ne soupçonnait pas, un idéal : il y avait une partie élevée d’eux-mêmes qui dominait les orages des sens et qui ne s’y laissa jamais submerger. […] En causant et dans l’échauffement du discours, il se laissait emporter à ses saillies insolentes et à des outrages non seulement aux personnes, mais à tous les principes ; de sang-froid, et en écrivant, son bon sens lui revenait et lui dictait des restrictions qu’il avait le courage de maintenir plume en main et de professer.

341. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Œuvres complètes de Molière »

Soulié, raisonnant méthodiquement, s’est dit que, d’après les actes trouvés par Beffara, Molière n’avait laissé qu’une fille, née en 1665, et par conséquent mineure en 1673, au moment de la mort de son père ; qu’en raison de la fortune assez considérable de Molière, un inventaire avait dû être dressé pour garantir les droits de son enfant. […] Mais laissons-le dans l’ombre ! […] Molière perdit sa mère à l’âge de dix ans (1632) ; elle n’avait que trente et un ans, était mariée depuis onze ans, et laissait trois fils et une fille en bas âge. […] Lui, il ne s’arroge rien d’emblée ; il est graduel pour ainsi dire, et laisse subsister les traces ; il tient compte de tous ceux qui l’ont précédé et aidé ; il les nomme, il les cite pour quelques phrases caractéristiques ; il est plutôt trop indulgent pour quelques-uns. […] c’est sans doute aimer avant tout l’élégance, la grâce, le naturel et la vérité (au moins relativement), la sensibilité, une passion touchante et charmante ; mais n’est-ce pas cependant aussi, sous ce type unique de perfection, laisser s’introduire dans son goût et dans son esprit de certaines beautés convenues et trop adoucies, de certaines mollesses et langueurs trop chères, de certaines délicatesses excessives, exclusives ?

342. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN FACTUM contre ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 301-324

Mais bientôt ces doutes, que d’ailleurs la modestie et la bonne foi du premier éditeur ne pouvaient laisser subsister longtemps, s’évanouirent d’eux-mêmes. […] Fénelon est un de ces beaux noms dont on use volontiers : bien des gens qui n’ont guère de christianisme sont toujours prêts à dire qu’ils sont de la religion de Fénelon ; dans ce cas-ci, nous laisserons donc M. […] De plus, lorsqu’un poëte, un peintre, a un style à lui et une manière reconnue, on lui passe d’ordinaire quelque mélange : ainsi La Fontaine se laisse souvent aller dans ses plus franches peintures à je sais quelles teintes du goût Mazarin. […] Laissons ces questions oiseuses. […] Méléagre était un Attique né en Syrie, à peu près contemporain de Cicéron ; il a laissé, entre autres petites pièces, une jolie idylle sur le Printemps, dont Chénier s’est souvenu dans son élégie première.

343. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « CHRISTEL » pp. 515-533

Elle se cachait soigneusement de sa mère, et de peur de se trahir, elle tâchait de ne se l’avouer à elle-même que durant l’heure de ce sommeil de chaque après-dînée, qui la laissait comme seule à sa tristesse. […] Mais le lendemain le lévrier fidèle et couché ne lui laissait aucun doute et la poursuivait de tristes et amères langueurs. […] Une femme du grand monde, à laquelle il avait rendu de longs soins, avait paru l’accueillir, lui promettre quelque retour ; elle avait même semblé lui accorder, lui permettre sans déplaisir quelqu’un de ces gages qui ne se laissent pas effleurer impunément. […] ni muraille, ni cloison, ni grille de fer, mais une simple grille de bois comme ici, et entr’ouverte encore, et on regarde à travers, et on ne devine pas, et on meurt ou on laisse mourir ! […] La fenêtre donnait sur un petit jardin, dont le mur, très-bas et assez éloigné, laissait voir au delà, bien loin, les prairies et les collines, mais toutes dépouillées ; c’était maintenant l’hiver.

344. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Nouveaux documents sur Montaigne, recueillis et publiés par M. le docteur Payen. (1850.) » pp. 76-96

En rassemblant et en appréciant dans sa dernière brochure ces diverses notices et découvertes, qui toutes ne sont pas d’égale importance, M. le docteur Payen se laisse lui-même aller à quelque petit excès d’admiration ; mais nous n’avons garde de le lui reprocher. L’admiration, quand elle s’applique à des sujets si nobles, si parfaitement innocents et si désintéressés, est vraiment une étincelle du feu sacré : elle fait entreprendre des recherches qu’un zèle plus froid aurait vite laissées et qui aboutissent quelquefois à des résultats réels. […] Payen, disait : « Qu’il se décide enfin à publier le fruit de ses recherches, il n’aura rien laissé à faire aux montaignologues futurs. » Montaignologue ! […] sans s’aviser que plusieurs pires choses se sont vues, et que les dix mille parts du monde ne laissent pas de galler le bon temps ce pendant (de prendre du bon temps) : moi, selon leur licence et impunité, admire de les voir si douces et molles. […] Avec Montaigne pourtant, de la nature dont nous le savons, cette pensée d’observation stoïque ne laissait pas d’introduire quelque consolation jusque dans les maux réels.

345. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Rulhière. » pp. 567-586

L’agrément et la bonté, qui y sont aussi, ne paraissent à des yeux pénétrants que l’effet d’un extrême désir de plaire, et ces expressions séduisantes laissent trop apercevoir le dessein même de séduire. Rulhière, de retour de ses voyages dans le Nord, vivait donc à Paris sur le meilleur pied, très goûté pour des opuscules qu’on regardait comme une faveur de pouvoir entendre, pour de jolis vers tels que L’À-propos, Le Don du contre-temps, qu’il récitait avec des applaudissements sûrs, pour des épigrammes très mordantes qu’il laissait courir et qu’il n’avouait pas, mais dont il avait tout l’honneur. […] Sans avoir qualité d’historiographe, Rulhière était donc un historien d’office encore plus qu’un poète de société, et l’on dit que, malgré son bon goût, il en laissait deviner quelque chose : M. de Rulhière, dit Mme Necker, laissait percer dans sa conversation une nuance de son état d’historien, qui visait à la pédanterie ; il mettait une trop grande importance à l’examen d’un petit fait et à toutes ses circonstances ; il ne voulait jamais voir l’Opéra que derrière les coulisses. […] Cette histoire de Rulhière, si considérable et pourtant incomplète, fait le plus grand honneur à sa mémoire, et achève de montrer en lui l’écrivain habile et l’esprit sérieux qui ne s’était point laissé absorber dans les frivolités élégantes. […] Ce qu’il me dit sur eux en courant et dans sa vive familiarité, m’en apprend plus et entre mieux dans mon esprit que les scènes dramatiques et un peu extérieures de Rulhière, qui, tout en nous avertissant de l’ostentation de ses héros, y donne lui-même et s’y laisse prendre.

346. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La princesse des Ursins. Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins — II. (Suite et fin.) » pp. 421-440

Mme de Maintenon affecte de paraître moins qu’elle n’est, et aime à laisser deviner plus qu’elle ne montre ; elle s’esquive, se dérobe en partie, se fait petite et modeste, allant jusqu’à dire qu’elle ignore comment il faut traiter avec les grands. […] On sent à tout moment qu’elle excède son cadre de surintendante de l’intérieur royal, et elle ne craint pas de paraître en sortir, de laisser voir quelque chose de l’autorité politique dont elle tient les ressorts. […] Ils devraient, ce me semble, laisser leurs disputes jusqu’à ce que la paix générale fût faite, et ensuite recommencer leurs guerres civiles, s’arracher leurs bonnets de la tête, s’ils en avaient envie ; mais présentement nous avons des choses plus sérieuses ; et, pour moi, j’ai si fort regardé ces deux partis avec indifférence, que je n’ai pas voulu presque en entendre parler, et je cherche toujours mes confesseurs exempts de haine ou d’amitié pour eux. […] La correspondance avec Mme de Maintenon se rembrunit à partir de là, et laisse jour à des ironies assez amères et à de sensibles aigreurs. […] L’ironie se montre plus fréquente chez Mme des Ursins à travers tous les compliments et les politesses, et l’aigreur piquante se glisse sous la plume de Mme de Maintenon : « Le roi et la reine d’Espagne ont bien des raisons de vous aimer, madame ; la passion que vous avez pour eux vous fait cesser d’être Française. » Et encore : « Consolez-vous, madame, il n’y a nulle apparence de paix. » En ces moments, Mme de Maintenon (on la voit d’ici) se tire et se fronce ; elle prend un air mortifié et de victime : « Je suis accoutumée, dit-elle, à vivre de poison. » Elle en laisse distiller des gouttes ; chaque trait pique.

347. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Madame Sophie Gay. » pp. 64-83

La date favorite de Mme Gay, quand elle y songeait le moins et qu’elle laissait faire à son imagination, était celle précisément qui répond à la fin du Directoire et au Consulat ; jeune personne sous le Directoire et femme sous l’Empire, voilà son vrai moment, et qui lui imprima son cachet et son caractère, en littérature comme en tout ; ne l’oublions pas. […] Elle nous y parle du jeu, qui se mêlait très bien, assure-t-elle, à la causerie, et qui, tout follement engagé qu’il était, n’était point acharné alors comme aujourd’hui, et ne laissait perdre ni un récit amusant ni un bon mot. […] En quittant son couvent, où elle laisse une amie indispensable, elle verse « autant de larmes qu’elle en eût répandu si l’on était venu lui dire qu’il y fallait passer un an de plus ». […] Cependant M. de Montbreuse avait d’autres projets pour sa fille ; il la destinait au fils de l’un de ses meilleurs amis, et dont il était le tuteur : mais elle lui laisse à peine le temps de lui expliquer ce désir ; elle aime Alfred, elle n’aime que lui : Jamais d’autre ! […] Parfois de ses chagrins tu plaignais Léonie, Et, sans les imiter, tu riais de ses torts ; Plus sage en tes projets, sans ruse, sans efforts, Tu m’as laissé le soin du bonheur de ta vie.

348. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Boileau. » pp. 494-513

Il était dans sa vingt et unième année quand il perdit son père qui lui laissa quelque fortune, assez pour être indépendant des clients ou des libraires, et, son génie dès lors l’emportant, il se donna tout entier aux lettres, à la poésie, et, entre tous les genres de poésie, à la satire. […]  » M. le Prince, charmé de ce début, embrassa l’orateur sans le laisser achever ; il demanda son nom, et quand on lui eut dit que c’était le frère de M.  […] Molière, avec son génie, rime à bride abattue ; La Fontaine, avec son nonchaloir, laisse souvent flotter les rênes, surtout dans sa première manière ; le grand Corneille emporte son vers comme il peut, et ne retouche guère. […] Le cou nu laisse voir un double menton plus voisin pourtant de la maigreur que de l’embonpoint ; ce cou, un peu creusé, est bien d’accord avec la fatigue de la voix qu’il éprouvera de bonne heure. […] Mais laissons les suppositions sans but précis et sans solution possible.

349. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une préface abandonnée » pp. 31-76

Ils demeureront toujours ainsi, immobiles et debout, la bouche entrouverte comme pour laisser échapper une parole qui ne sortira point — devant une porte qui restera inflexiblement fermée ! […] Laissez dire les imbéciles. […] Si Lousteau laisse flotter à tous les vents du vice son existence débraillée, d’Arthez se boutonne dans sa morgue et dans son pédantisme. […] Ils laissent le plus souvent flâner leur esprit, — ils rêvent. […] C’est que la science de la vie leur a laissé à tous trois le regret et le culte des illusions parties.

350. (1836) Portraits littéraires. Tome II pp. 1-523

Il se laisse emporter par son imagination et ne la gouverne pas. […] Je laisse à de plus habiles a décider cette question. […] Rien n’est laissé au caprice. […] Laissez-vous guider par lui, et vous marcherez sûrement. […] Pourquoi laisser croire à Gennaro que Lucrèce est sa tante ?

351. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIIe entretien. Cicéron (2e partie) » pp. 161-256

Mais c’est à toi que je m’adresse, c’est à toi que j’ordonne l’exil ; et, quand le sénat me laisse parler ainsi, il m’approuve ; quand il se tait, il prononce : son silence est un décret. […] Si j’avais cru que le meilleur parti à prendre fût de faire périr Catilina, je ne l’aurais pas laissé vivre un moment. […] Mais laissons un moment Cicéron orateur et critique, et voyons Cicéron écrivain et philosophe. […] Cependant Cicéron, esprit tolérant parce qu’il est vaste, laisse une grande latitude à la controverse ; il expose plus qu’il n’impose. […] Que si le ciel nous laisse notre dernière heure inconnue, tenons-nous dans une telle disposition d’esprit que ce jour, si terrible pour les autres, nous paraisse heureux.

352. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Louis Veuillot »

Chaque vice de la vie passée laisse au coeur une racine immonde, qu’il faut en arracher avec des tenailles ardentes. […] La liberté que l’Église laisse aux fidèles sur certains points douteux, il la refuse, il n’en a que faire. […] À condition, bien entendu, qu’ils me laissent penser et parler à ma guise dans mon privé. […] Les ossements qu’il a laissés sont d’un géant. […] Laissez-les faire ; ces blessures Peut-être couvrent mes péchés.

353. (1892) Les idées morales du temps présent (3e éd.)

Les preuves physiques et métaphysiques de l’existence de Dieu eussent laissé ces grands hommes fort indifférents. […] je ne pourrai le satisfaire qu’à moitié, ma réponse le laissera libre de choisir lui-même entre les deux alternatives. […] Cela peut convenir à la masse des hommes qui accomplissent machinalement leur destinée et laissent leurs regards s’arrêter à l’horizon. […] Et pourtant, dans le sentiment qui l’anime, il y a quelque chose d’exceptionnel, d’excessif, qui laisse subsister une vague méfiance. […] Les lumières leur indiquent où sont les maisons, avec une précision qui ne leur laisse aucun doute.

354. (1891) La vie littéraire. Troisième série pp. -396

Laissez-les faire. […] On l’y laissa. […] Elle lui laisse une petite fille, Berthe. […] Laissez-moi vous la dire ; elle est exquise. […] Cela ne laisse pas de m’embarrasser un peu.

355. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « M. Denne-Baron. » pp. 380-388

Je laisse la fable agréable, mais un peu moins parfaite de l’amour de Flore pour Zéphyre ; le tout se termine par un vœu : Puisses-tu, beau Zéphyre, auprès de ton poète, Pour seul prix de mes vers, au fond de ma retraite,         Caresser un jour mes vieux ans ! […] L’un d’eux, traducteur des Bucoliques de Virgile, et qui a laissé de touchants Adieux à la vie (1811), Dorange, a été célébré par Denne-Baron dans une ode délicate au début et assez élevée dans la dernière partie. […] Jupiter, dédaignant le bouton près d’éclore, Laisse à ses demi-dieux la jeune et tendre Flore,         Et s’enivre aux pieds de Cérès. […] Properce, d’ailleurs, était fait pour tenter un ardent jouteur : admirable poète, un peu obscur, un peu serré, dont le texte a subi sans doute les outrages du temps, mais splendide par places, et qui, là où il se découvre tout entier, laisse éclater la plus belle flamme.

356. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Poésies d’André Chénier »

Pour reconnaître, sans en laisser échapper aucune, toutes les imitations d’André Chénier, il a dû commencer par lire tous les poëtes grecs et la plupart des poëtes latins : savez-vous que le chemin vaut bien le but ? […] C’est pourquoi il ne faut point voir dans la tentative d’André Chénier une renaissance gréco-latine ; c’est véritablement une renaissance française, conséquence des xvie et xviie  siècles, avec cette différence que le xvie  siècle avait vu la Grèce à travers l’afféterie italienne ; le xviie , à travers le faste de Louis xiv ; tandis qu’André Chénier a, dans l’âme de sa mère, respiré la Grèce tout entière ; il parle la même langue que Racine, mais trempée d’une grâce byzantine, attique même, naturelle et innée, et dans laquelle se fondent heureusement l’ingéniosité grecque et la franchise gauloise. » Certes, André Chénier n’a pas réussi partout ; plus d’une pièce de lui trahit des inexpériences sensibles ; il y a des différences d’âge entre ses poésies ; mais celles de sa dernière manière, les élégies lyriques à Fanny, à la Jeune Captive, l’ode à Charlotte Corday, les Iambes, ne laissent rien à désirer. […] Ce fils et cet héritier des Grecs n’est point un Callimaque de moins de génie que d’art ; ce n’est point un Properce toujours difficile à lire, et qui, même dans ses nobles ardeurs, les complique et les masque de trop de doctes lectures : plus que Platen et comme Leopardi, il est de ceux dont l’âme moderne se laisse voir tout ardente à travers même les dépouilles de l’Antiquité dont elle s’enrichit ; il ne confond jamais l’érudition qu’il possède et qu’il maîtrise, avec la poésie dont il est possédé. […] Laissons cette littérature d’aigreur et de parti, ces fausses allusions qui se glissent partout, aux critiques que mord une idée fixe.

357. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XII. Lo Ipocrito et Le Tartuffe » pp. 209-224

Il lui donne des leçons de philosophie fataliste et pyrrhonienne : la fortune persécute ceux qui sont sensibles à ses coups ; elle laisse en paix ceux qui s’en moquent. […] Ces deux carognes-là font le malheur de ce monde avec les devoirs, les inquiétudes, les constipations qu’elles y introduisent, au lieu de le laisser aller comme il veut. […] Il y met une certaine complaisance, sans se laisser oublier, bien entendu. […] Tout en ne dédaignant pas les avantages que son intervention peut lui procurer, Ipocrito ne laisse pas de servir efficacement cette famille.

358. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre III. Paradis perdu. »

Car si le fils de Pélée atteint le but de ses désirs, toutefois la conclusion du poème laisse un sentiment profond de tristesse1 : on vient de voir les funérailles de Patrocle, Priam rachetant le corps d’Hector, la douleur d’Hécube et d’Andromaque, et l’on aperçoit dans le lointain la mort d’Achille et la chute de Troie. […] Ainsi s’explique une de ces mystérieuses vérités cachées dans les Écritures : en condamnant la femme à enfanter avec douleur, Dieu lui a donné une très grande force contre la peine ; mais en même temps, et en punition de sa faute, il l’a laissée faible contre le plaisir. […] Le Fils de Dieu remonte au ciel, après avoir laissé des vêtements aux coupables. […] Le Très-Haut se laisse fléchir, et accorde le salut final de l’homme.

359. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 15, observations concernant la maniere dont les pieces dramatiques étoient représentées sur le théatre des anciens. De la passion que les grecs et les romains avoient pour le théatre, et de l’étude que les acteurs faisoient de leur art et des récompenses qui leur étoient données » pp. 248-264

L’expérience les avoit convaincus de ce qu’elle seule peut persuader, c’est qu’une mere qui pleure en musique la perte de ses enfans, ne laisse point d’être un personnage capable d’attendrir et de toucher sérieusement. […] Macrobe dit qu’Aesopus, un célebre comédien tragique dont nous avons déja parlé, et le contemporain de Ciceron, laissa en mourant à ce fils, dont Horace et Pline font mention comme d’un fameux dissipateur, une succession de cinq millions qu’il avoit amassez à jouer la comédie. […] Enfin il me paroît raisonnable de juger du progrès qu’une certaine nation pouvoit avoir fait dans les arts qui ne laissent point de monument durable sur lequel on puisse asseoir une décision solide, par le progrès que cette même nation avoit fait dans ces arts qui laissent de tels monumens.

360. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 18, reflexions sur les avantages et sur les inconveniens qui resultoient de la déclamation composée des anciens » pp. 309-323

Nous ne laissons pas donc de sentir les fautes où tombent nos comediens, quoique nous ne scachions pas l’art qui enseigne à ne les point faire. […] Les recits nous paroissent sans ame et les airs de ballet nous laissent presque tranquilles. […] Il est donc constant que la note des opera n’enseigne pas tout, et qu’elle laisse encore beaucoup de choses à faire et que l’acteur fait suivant qu’il est capable de les executer. à plus forte raison peut-on conclure que les compositeurs de déclamation n’ensevelissoient pas le talent des bons acteurs. […] En premier lieu, comme les acteurs qui recitent des opera ne laissent pas d’être touchez eux-mêmes en recitant, comme l’assujetissement où ils sont de suivre la note et la mesure ne les empêche point de s’animer, et par consequent de déclamer avec une action aisée et naturelle, de même l’assujetissement à suivre une déclamation notée dans laquelle étoient les acteurs des anciens, n’empêchoit pas ces acteurs de se mettre à la place du personnage qu’ils representoient.

361. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIII. Éloges donnés aux empereurs, depuis Auguste jusqu’à Trajan. »

Si quelqu’un veut éprouver toute l’indignation que la flatterie inspire ; s’il veut apprendre comment on ne laisse échapper aucune occasion de louer un homme puissant ; comment on s’extasie sur ses bonnes qualités, quand il en a ; comment on dissimule les mauvaises ; comment on exagère ce qui est commun ; comment on donne des motifs honnêtes à ce qui est vicieux ; comment on rabaisse avec art, ou sans art, les ennemis ou les rivaux ; comment on interrompt son récit par des exclamations qu’on veut rendre passionnées ; comment on se hâte de louer en abrégé, en annonçant que dans un autre ouvrage on louera plus en détail ; comment, et toujours dans le même but, on mêle à de grands événements, de petites anecdotes ; comment on érige son avilissement en culte ; comment on espère qu’un homme si utile et si grand, voudra bien avoir longtemps pitié de l’univers ; comment, enfin, dans un court espace, on trouve l’art d’épuiser toutes les formules, et tous les tours de la bassesse, il n’y a qu’à lire ces soixante pages, et surtout les vingt dernières. […] Non seulement vos yeux doivent être secs, mais vous devez même laisser éclater votre joie24. » Et plus bas : « Votre frère est heureux ; en mourant, il a laissé Claude, son auguste famille, et vous-même sur la terre. » Et ailleurs : « Je ne cesserai de vous offrir l’image de Claude. […] Cet Espagnol, qui vint de bonne heure à Rome pour y faire des vers, médire et flatter, et qui y eut tout le succès qu’un esprit fin et piquant peut avoir dans une grande ville, où il y a de l’oisiveté, des arts et des vices, nous a laissé près de quatre-vingts petites pièces ou épigrammes, faites en l’honneur de Domitien.

362. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance. »

Je souffre donc au dedans de moi, sans même songer à mes amis (à ses amis de France), de la seule pensée que les Français n’auront leurs propres lois, une liberté, un gouvernement à eux, que sous le bon plaisir des étrangers ; ou que leur défaite est un anéantissement total, qui les laisse, à la merci de leurs ennemis, quelque généreux qu’ils soient. […] Ôtant son chapeau, comme il revenait vers le palais, il essuya son large front baigné de sueur, et, saluant Sismondi, le laissa libre de se retirer. […] L’Empereur, en signant la nomination, avait dit ces paroles, qui lui furent rapportées : « Si je connaissais quelque autre marque de mon estime qui pût être agréable à M. de Sismondi, je serais heureux de la lui envoyer. » Sismondi crut devoir refuser, pour laisser à son opinion tout le prix, du désintéressement. […] Elle oublie qu’en prenant le genre humain entier, ceux qui font entrer des vérités bienfaisantes dans leur religion ne sont pas un contre cent… » Et, tout en raisonnant de la sorte, il se laisse mener par sa femme au sermon ; il est tel de ces sermons qu’il trouve assez à son gré. […] Il avait un serrurier si mauvais et si maladroit, que tout le monde l’avait quitté ; il ne laissa pas de le garder jusqu’à la fin, malgré tous ses dégâts, pour ne pas lui faire perdre sa dernière pratique.

363. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « L’Académie française »

Suard de toucher à ce qu’il possède à fond ; mais il ne le fait qu’avec sa discrétion accoutumée, se bornant à sa tâche de rapporteur, n’affectant point d’évoquer et de traiter pour son compte les sujets dont il laisse tout l’honneur aux pièces couronnées. […] La véritable élégance, celle du genre, s’y laisse absolument désirer. […] Le prix de poésie laisse plus à désirer, et c’est même une question de savoir s’il est bon de le maintenir sous cette forme. […] Les termes généraux du testament laissaient à cet égard toute liberté à l’Académie, et elle en a usé dignement. […] Je laisse de côté le prix fondé par M. 

364. (1824) Observations sur la tragédie romantique pp. 5-40

laissons aux poètes le droit d’oser tout ce qui doit nous émouvoir et nous instruire, de trouver dans leur imagination, dans leur génie, ce qui achèvera l’histoire par une parfaite représentation des mœurs. […] De savoir si cette modification est heureuse, c’est une autre question que je n’examine pas ; il me suffit de montrer que le système romantique laisse encore tant de liberté aux poètes. […] Emporté dans ses désirs, violent dans ses projets, implacable dans ses haines, il régit tous les sentiments du cœur qu’il possède, en occupe tous les replis et n’y laisse aucun vide. […] Peut-être n’est-ce qu’une faute d’impression, qui laissée par Boileau lui-même dans la première édition de l’Art poétique, a passé dans toutes les autres. […] Personne encore ne nous a expliqué ni l’origine ni la valeur du mot romantisme on romanticisme : car il paraît qu’on nous laisse le choix des deux : autrefois on ne disait ni l’un ni l’autre ; de tels mots n’étaient pas français.

365. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre dixième. »

Il s’est vu des délicats, Fénelon, par exemple, à qui l’art du Misanthrope et du Tartufe a laissé des scrupules. […] Il est cependant telle de ces petites pièces dont le dénoûment nous laisse une impression de mélancolie, parce que le bien y a le dessous. […] Elle nous laissera où elle nous a pris. […] Il gémit, et, par un trait de naïveté charmante, il se croit seul à gémir : J’ai beau les évoquer, j’ai beau vanter leurs traits, On me laisse tout seul admirer leurs attraits. […] Il n’eut à craindre que son goût pour la paresse ; mais Boileau était là, qui l’empêcha de s’y laisser aller.

366. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Μ. Ε. Renan » pp. 109-147

Mais laissons le style. […] Mais nous qui nous portons bien, laissons là ces insanités… Contes pour contes, rêves pour rêves, j’aime mieux les Contes d’Hoffmann. […] Il le fut de son fils, de son fils Commode, le crapuleux boucher auquel il laissa lâchement l’Empire du monde. […] j’ai été tenté de tout laisser là de ce volume des Origines du Christianisme, qui n’en est, comme les autres, que l’abâtardissement. […] j’ai laissé cela et pour jamais.

367. (1882) Essais de critique et d’histoire (4e éd.)

Je le traduirai mot pour mot, et je le laisserai parler presque toujours. […] Il y eut un homme qui fut atteint, comme ceux qui se laissent étourdir dans un hippodrome. […] Michelet a laissé grandir en lui l’imagination poétique. […] Ces enfants s’y laissent aller ; elle fait tout en eux. […] Retenu vingt ans sous les drapeaux, le légionnaire vendait son champ ou le laissait en friche.

368. (1873) Molière, sa vie et ses œuvres pp. 1-196

En octobre 1660, la salle fut démolie pour laisser libre la construction du grand portail du Louvre. […] Armande Béjart, qui laissa mourir Molière entre les mains de M.  […] Il y a deux sortes de gens : ceux qui aiment et ceux qui se laissent aimer. […] A la fin, le roi promit de laisser jouer la pièce. […] C’est là qu’on peut juger de la tournure d’esprit qu’avaient alors certaines réunions de gens instruits, et le ton cependant ému de la harangue ne laisse pas que de laisser filtrer la plaisanterie à la mode et le bel esprit.

369. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (2e partie) » pp. 365-432

Quand il s’écriait : Laissez venir à moi les petits enfants, il ne distinguait pas entre les petits enfants, il ne se fût pas gêné pour rapprocher le dauphin de Barrabas du dauphin d’Hérode ; l’innocence n’a que faire d’être altière, elle est aussi auguste déguenillée que fleurdelisée. […] Par une sublime réticence, l’évêque se laisse accuser des fautes dont il est lavé par sa pureté et par son ascétisme. […] Il serait trop douloureux de laisser au peuple des doctrines paradoxales écrites du style de Pascal ou de Bossuet. […] Les événements innocents ne laissent rien de pareil. […] Elle laisse dans l’esprit un certain scrupule qui nuit beaucoup à l’édification.

370. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIVe entretien. Madame de Staël. Suite »

Aie pitié de mes larmes, laisse moi vivre encore : demain matin, n’est-ce pas assez tôt ? […] Ne me laisse pas pleurer en vain. […] Seulement, laisse-moi allaiter mon enfant ; je l’ai pressé sur mon cœur toute la nuit. […] Laisse donc dans l’oubli l’irréparable passé ; tu me fais mourir. […] Laisse-moi.

371. (1834) Des destinées de la poésie pp. 4-75

Son profil, que son voile rejeté en arrière me laissait entrevoir, avait la pureté de lignes des plus belles têtes du Parthénon, mais en même temps la mollesse, la suavité et la gracieuse langueur des femmes de l’Asie, beauté bien plus féminine, bien plus amoureuse, bien plus fascinante pour le cœur que la beauté sévère et mâle des statues grecques. […] Nous laissâmes à gauche la montagne de ruines, et une vaste plage toute blanche de débris, et traversant quelques champs de gazon brouté par les chèvres et les chameaux, nous nous dirigeâmes vers une fumée qui s’élevait à quelque cent pas de nous d’un groupe de ruines entremêlées de masures arabes. […] Il nous fit entrer dans une petite cour intérieure pavée aussi d’éclats de statue, de morceaux de mosaïque, et de vases antiques, et nous livrant sa maison, c’est-à-dire deux petites chambres basses sans meubles et sans portes, il se retira et nous laissa, suivant la coutume orientale, maîtres absolus de sa demeure. […] À chaque détour du torrent où l’écume laissait un peu de place à la terre, un couvent de moines maronites se dessinait en pierres d’un brun sanguin sur le gris du rocher, et sa fumée s’élevait dans les airs entre des cimes de peupliers et de cyprès. […] Ne laisserai-je ma pensée poétique que par fragments et par ébauches, ou lui donnerai-je enfin la forme, la masse et la vie dans un tout qui la coordonne et la résume, dans une œuvre qui se tienne debout et qui vive quelques années après moi ?

372. (1910) Muses d’aujourd’hui. Essai de physiologie poétique

Des êtres viendront après elle qui aimeront sa poésie, l’aimeront elle-même dans l’œuvre qu’elle aura laissée. […] Mais, malgré sa volonté de déposer dans son œuvre ses émotions brûlantes, la poétesse se rend compte qu’elle ne nous laisse, hélas ! […] Qu’on me laisse rire, dit-elle, « rire indéfiniment ainsi qu’un masque grec… ». […] Peut-on laisser traîner ce livre sur la table du salon ? […] Mais le romantisme a laissé, même dans les âmes les plus saines, les plus sereines, son pollen d’amertume et d’infini.

373. (1888) Poètes et romanciers

Il nous conduit jusqu’au seuil du monde chrétien et nous y laisse. […] elle refusa de me laisser croire à ce qu’ont cru Turenne, Corneille et Bossuet. […] Nous nous sommes laissé entraîner. […] On sait parfaitement ce qu’il pense des choses, il ne le laisse pas ignorer. […] Nous avons dû laisser l’accusé se défendre.

374. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIVe entretien. Littérature, philosophie, et politique de la Chine » pp. 221-315

Laissons l’utopie aux vers : la prose est la langue de vérité. […] « Mais, interrompit Lieou-Ouen-Koung, cet homme si parfait, selon vous, que laissera-t-il de lui qui puisse faire l’admiration de la postérité ? […] Il quitta les affaires d’État et se hâta de terminer le monument de sagesse, de morale et de politique qu’il voulait laisser à la Chine dans son commentaire des livres sacrés. […] Le triste état des choses et des mœurs dans lequel je laisse la terre prouve, hélas ! […] Mais je laisse une règle et un modèle.

375. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXIXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (1re partie) » pp. 241-314

Il tint cette difficile balance sans la laisser osciller. […] Une porte ouverte laissait voir une autre chambre également ornée de tableaux, et par laquelle le domestique était allé m’annoncer. […] Il allait de l’un à l’autre, et il semblait qu’il aimât toujours mieux écouter et laisser parler les autres que parler lui-même. […] Je lui laisse le titre de tout cœur, et je me console en pensant que bien d’autres ont eu le même sort que moi. […] J’ai laissé bavarder autour de moi, et j’ai fait ce que je pensais être bien.

376. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre septième »

C’est dans ses peintures du Christ que le cœur du grand prédicateur se laisse voir. […] Sa dialectique sans enthousiasme ne convainc pas et nous laisse froids. […] Loin d’imiter l’affectueuse familiarité de paroles où, plus rassuré par l’homme qu’intimidé par le Dieu, Bossuet se laisse aller, Bourdaloue semble craindre de voir l’homme dans le Dieu. […] Dans ses duretés contre les courtisans, il laissa se glisser l’esprit de cour, et fit admirer aux grands la main habile qui leur portait des coups encore innocents. […] Pour Pascal surtout, il ne nous a guère laissé qu’à penser comme lui ou à n’être pas dans le vrai.

377. (1896) Les Jeunes, études et portraits

Le remords commence à ne plus lui laisser de repos. […] Ils ont laissé en présence la coupable et son juge. […] Il laisse la parole aux choses. […] Et Mélisande se laissa emmener, et elle se laissa épouser. […] Laisse-moi descendre, laisse-moi descendre ! 

378. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Cromwell » (1827) »

Il se laisse faire, il se laisse aller. […] Qu’auraient-ils donc fait, ces admirables hommes, si l’on les eût laissés faire ? […] Elle laisse au costumier le soin de savoir à quelle époque se passent les drames qu’elle fait. […] Notre Dame la grammaire mène l’autre aux lisières ; celle-ci tient en laisse la grammaire. […] Si donc la colère de la critique s’éveille à la publication de cet essai, il la laissera faire.

379. (1874) Histoire du romantisme pp. -399

Il ne laisse de lui qu’un masque usé, flétri, où chaque douleur a mis pour stigmate une meurtrissure ou une ride. […] Petrus portait les siens très courts, presque en brosse, pour laisser toute l’importance à sa barbe. […] » C’est la notion de nous que nous laisserons à l’univers. […] Laissons, comme il convient, le passé pour le présent et revenons à la représentation de jeudi. […] Seulement, il ne laisse pas après lui un jeune monsieur de Bois-Doré qui le remplace !

380. (1890) Dramaturges et romanciers

Barrière, se laissent apercevoir les rudiments de deux caractères qu’il serait glorieux à un auteur comique de tenter. […] Je regrette que ce type, qui se laisse apercevoir à chaque instant chez M.  […] Or ma tante Anastasie m’a laissé cent cinquante mille francs. […] Nos idées sont trop multipliées pour laisser d’elles autre chose qu’une empreinte légère sur l’âme. […] Si vous ne l’avez observé par vous-même, la critique moderne se sera chargée de vous faire remarquer l’énigme qui se laisse lire sans se laisser deviner sur tous les visages des figures du maître.

381. (1908) Esquisses et souvenirs pp. 7-341

Laissez-vous enseigner par la destinée, et tachez de rester poète. […] Vous êtes-vous laissé prendre aux façons des gouvernants d’ici ? […] Laissons-les faire. […] Enfin laissons cela. […] et moi, malheureuse, où me laisses-tu ?

382. (1894) Études littéraires : seizième siècle

Marot les méprise, il le dit, et ne laisse pas de faire parfois comme eux. […] La rime laissée en suspens par le tercet est une des deux rimes du quatrain suivant. […] Qu’on se garde bien de se laisser séduire ou à ces défaillances ou à ces prestiges. […] Elle ne laisse pas de le bien servir. […] Henri III ne laissait pas de l’honorer et de l’appeler dans son Académie du Palais.

383. (1905) Pour qu’on lise Platon pp. 1-398

Il veut laisser au lecteur beaucoup à deviner et beaucoup à imaginer. […] Renan a dit bien joliment : « Laissez donc ! […] C’est ce désir qui ne laisse pas quelquefois d’être difficile à faire naître. […] — Ma coutume est aussi de me laisser interroger. […] Elle laissait dormir son droit.

384. (1927) Quelques progrès dans l’étude du cœur humain (Freud et Proust)

Laissons se poursuivre le progrès du travail scientifique et attendons patiemment. […] Et chaque fois la lâcheté qui nous détourne de toute tâche difficile, de toute œuvre importante, m’a conseillé de laisser cela, de boire mon thé en pensant simplement à mes ennuis d’aujourd’hui, à mes désirs de demain qui se laissent remâcher sans peine. […] Mais non, laissons ce passage pour le moment. […] Il y a un caractère (ce que Proust d’ailleurs n’a pas méconnu, mais laisse seulement parfois s’obscurcir un peu). […] Mais laissons ce point pour l’instant.

385. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIIIe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (1re partie) » pp. 5-96

La voici, réduite en peu de mots : mais ces mots sont clairs, positifs, précis, et ne laissent ni ombre pour les obscurcir, ni fables pour les dénaturer. […] Il laissa exécuter les conspirateurs contre sa vie ; il épargna Callisthène, dont la complicité n’était que morale. […] Quoi qu’il en soit, il ne mourut pas sans avoir laissé à sa femme et à son fils une fortune dérobée à ses ennemis. […] Elle leur laissa un témoignage de sa vie, qui leur assurait leur propre existence. […] La révolution n’a souvent pas d’autre motif que cette faculté laissée à chacun de vivre comme il lui convient, faculté dont Socrate attribue l’origine à un excès de liberté.

386. (1899) Les industriels du roman populaire, suivi de : L’état actuel du roman populaire (enquête) [articles de la Revue des Revues] pp. 1-403

On ne leur laissait pas de longues illusions. […] Voici un échantillon de sa méthode, qui ne laisse rien à désirer pour la concision. […] Tu as laissé la comtesse dans une situation des plus critiques. […] On avait, avant lui, passé à la caisse sans laisser au fond la moindre pistole. […] Si vous vous piquez de psychologie vous vous laissez entraîner à des développements excessifs.

387. (1893) Du sens religieux de la poésie pp. -104

Tout à coup, à force de recherches, dans un dictionnaire ou dans la mémoire d’un ami nous le découvrons, ce mot unique : le papillon se laisse prendre, — mais quoi ? […] Mais, cette part, faut-il la laisser voir, en laisser persister des traces dans l’œuvre réalisée ? […] Non plus qu’un beau corps ne laisse voir le squelette ! […] Laissons, ici, cette question sans réponse : je ne veux pas agiter une fois de plus le sempiternel débat du mérite comparé des arts entre eux. […] Chez lui, la pensée ne se laisse qu’indirectement voir.

388. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VII : Instinct »

Enfin, je les laissai approcher par une Fourmi qui, d’après l’activité avec laquelle elle se mit à aller et venir, me parut parfaitement au fait de la riche trouvaille qui lui incombait. […] Ces derniers sont si complétement incapables de se subvenir à eux-mêmes que, Huber en ayant enfermé une trentaine avec une provision des aliments qu’ils préfèrent, mais sans un seul esclave, et bien qu’il leur eût laissé leurs larves et leurs œufs pour les stimuler au travail, ils ne purent se décider à rien faire, pas même à manger seuls, et beaucoup d’entre eux se laissèrent ainsi périr de faim. […] En quelques endroits, des fragments plus ou moins considérables de rhombes avaient été laissés entre les bassins opposés ; mais par suite des conditions anormales dans lesquelles s’était accompli ce travail, il n’avait pu être aussi bien exécuté qu’à l’ordinaire. […] Une fois que je constatai un exemple frappant de ces irrégularités, je replaçai les rayons dans la ruche, et laissai les Abeilles reprendre pendant quelque temps leur travail interrompu. […] Il se peut qu’aujourd’hui ce soit un besoin et presque une nécessité pour les Aphis de se laisser traire par les Fourmis.

389. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

Les connaissances même qu’elle n’avait point produites, et les esprits les moins faits pour elle, n’ont pas laissé d’en profiter. […] Si on croit devoir laisser un libre cours aux libelles et aux satires, en ce cas que toutes les conditions et tous les états en puissent être indifféremment l’objet. […] Quand on oblige d’honnêtes gens, on doit laisser parler en eux la reconnaissance, elle sait s’imposer à elle-même des lois sévères. […] On a beaucoup écrit et avec raison contre les ingrats, mais on a laissé les bienfaiteurs en repos, et c’est un chapitre qui manque à l’histoire des tyrans5. […] L’accueil que vous faites aux gens de lettres ne leur laisse point apercevoir la supériorité de votre rang, parce que vous n’avez point à leur envier la supériorité des lumières.

390. (1848) Études sur la littérature française au XIXe siècle. Tome III. Sainte-Beuve, Edgar Quinet, Michelet, etc.

Mais laissez-moi vous remercier de votre attention si délicate, si affectueuse. […] Sainte-Beuve, qui me laisse lire dans son cœur. […] Je me laisse rentraîner à l’enchantement volage des souvenirs. […] Une analyse rigoureuse n’en laisserait subsister qu’un bien petit nombre. […] On ne lui laisse pas donner ce qu’elle renferme ; on supprime les idées qui lui sont corrélatives.

391. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE VIGNY (Servitude et Grandeur militaires.) » pp. 52-90

Dans son récent volume, qui est un retour de souvenir vers le passé, M. de Vigny a laissé le poëte pour s’occuper du soldat, cet autre paria, dit-il, des sociétés modernes. […] J’en puis parler sciemment, ayant lu moi-même certaines de ces observations critiques que De Vigny nous laissait voir à la rencontre ; mais il n’en est pas resté trace dans le Journal imprimé. […] Je conçois tout à coup un plan : je perfectionne longtemps le moule de la statue, je l’oublie, et, quand je me mets à l’œuvre après de longs repos, je ne laisse pas refroidir la lava un moment. […] Il est un autre point sur lequel je ne le laisserai pas non plus triompher : c’est quand il dit que, pour parler de lui, je le connaissais à peine. […] Je le rajeunissais, et il se laissa rajeunir sans mot dire.

392. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (4e partie) » pp. 1-63

Danton ne leur demandait que de se taire, de laisser ces cadavres dans l’ombre et ces égorgeurs dans l’impunité. […] Cette pénurie de soldats de l’armée laissa trop de terrain et trop de temps à la sédition. […] Elle lui laissait la lumière du coup d’œil et le sang-froid du commandement. […] Je dis la France, parce qu’une nation de trente millions d’hommes qui laisse accomplir sous ses yeux, immobile, un pareil acte, en est complice. […] La mort du roi laissait un problème à débattre à la nation.

393. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (5e partie) » pp. 65-128

Je me dois à moi-même de ne pas laisser à la jeunesse qui nous suit la faible autorité de mon nom sur ces axiomes, dont l’adoption trompe et ruine le peuple. […] Enfin Pache, Hébert, Chaumette et la commune leur arrachaient maintenant leur abdication et ne leur laissaient que la vie. […] Ils détestaient les Jacobins, et ils les laissaient régner. Ils abhorraient le tribunal révolutionnaire, et ils le laissaient frapper au hasard, en attendant qu’il les frappât eux-mêmes. […] Elle ne s’élançait pas au ciel, elle fuyait du pied la terre, et elle lui laissait en partant son indignation et le remords.

394. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVe entretien. Vie de Michel-Ange (Buonarroti) »

Michel-Ange, qui flairait le piége, ajourna longtemps l’exécution des ordres du pape ; à la fin, la colère de son protecteur ne lui laissa plus d’excuse. […] Tout grand ouvrier en philosophie, en religion, en politique ou en art, laisse de sa vie dans son œuvre. […] Jusque-là il n’avait point aimé ; une femme qu’il avait épousée et perdue dans sa jeunesse lui avait laissé, si l’on en juge par quelques expressions de ses lettres, un souvenir amer du mariage. […] Mais un platonique et mystérieux amour, plus semblable à un culte qu’à une passion, lui laissait depuis longtemps un pan de ciel encore ouvert à travers les nuages de sa vie. […] Ce n’est point par la grandeur des États ou des titres, mais par la vertu seule que s’acquiert cet honneur, qu’il est glorieux de laisser à ses descendants.

395. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Mme Desbordes-Valmore » pp. 01-46

Laissons dormir les morts. […] par l’inconstance ; Ce doute est le seul bien que m’a laissé le sort. […] Il ne fut point marié, ne laissa pas d’enfants et mourut aux environs de Paris, à Aulnay-lès-Bondy. » Voilà qui va bien. […] Marceline les pare de toutes les vertus, les appelle ses anges, idéalise avec une imperturbable naïveté ce qu’elles lui laissent savoir des aventures de leurs sens. […] — « … Nous sommes partis et revenus avec M. de Lamennais qui nous a ramenés jusqu’à la porte… Je te laisse à juger si l’on a parlé progrès, religion, liberté, avenir humanitaire !

396. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre cinquième »

Il vendait un office de receveur des amendes à la cour des comptes et en laissait perdre le prix ; il gagnait de l’argent au système de Law et ne savait pas le garder. […] Autant valait le laisser flotter dans sa vaste mémoire, puisqu’en le fixant sur le papier, il n’a pas su voir par où il péchait. […] Mais l’ardeur de Nérestan ne la laisse pas respirer. […] Tibère est d’ailleurs un échantillon du style brillant, et le brillant c’est l’amorce où la jeunesse se laisse prendre. […] Malgré bien des fautes, l’ensemble de son œuvre théâtrale ne laisse pas d’être imposant.

397. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Crétineau-Joly »

Il avait laissé couler, comme un fleuve, presque un siècle sur la vérité, et les flots puissants de ce siècle, chargés de toutes les immondices de l’erreur, ne l’avaient pourtant ni souillée, ni entraînée, ni engloutie. […] une vue surnaturelle de l’avenir engageait peut-être les Jésuites à se laisser condamner sans résistance. […] Comme ils se laissaient accabler, elle éprouvait une joie secrète, la joie des lâches quand ils s’aperçoivent qu’ils avaient bien tort de trembler. […] Choiseul ne laissait pas à Bernis un seul instant de repos. […] Laurent Ricci, son général, fut emprisonné, et il laissa un testament sublime dans lequel rayonnent la soumission et l’innocence.

398. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger en 1832 »

J’ai toujours gardé à M. de Valincour la même rancune que lui témoigne l’honnête Louis Racine pour n’avoir pas laissé quelques pages de renseignements biographiques et littéraires sur ses illustres amis, les poëtes. […] mes dernières années ont été bien assez tumultueuses et envahies ; laissez-moi çà et là quelque coin intact de souvenir, où je puisse me retrouver seul ou à peu près seul avec mes pensées d’autrefois !  […] Ces coins obscurs dont vous vous réservez l’enceinte, ces bosquets mystérieux dans le champ du souvenir, où vous nous avez introduit une fois et d’où vous ne sortez vous-même chaque soir que les yeux humides de pleurs, nous vous les laisserons, ô poëte ! […] Aimez et laissez-vous aimer. […] On ne s’étonnera point, d’après cela, si les questions agitées, il y a peu d’années, dans la poésie et dans l’art, tout en paraissant fort étrangères au genre et aux préoccupations politiques de Béranger, ne l’ont laissé au fond ni dédaigneux ni indifférent.

399. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « UNE RUELLE POÉTIQUE SOUS LOUIS XIV » pp. 358-381

Saint-Pavin en a donné une quantité d’aussi jolis, d’aussi aiguisés : il ne se laissait pas faire182. […] Fréron, depuis, et d’autres sont entrés en lice : nous les y laissons, certain que l’idée de s’adresser à des moutons n’est pas neuve, et que la manière dont l’a fait Mme Des Houlières s’approprie au tour exact de son esprit193. […] Ce n’était qu’un rien que ce point littéraire ici aperçu ; j’ai tenu pourtant à ne le pas laisser fuir. […] Des Houlières, elle n’avait guère que treize ans et demi, ce qui ne laisse pas d’être une petite difficulté. […] Ma petite vérole m’a fait différer mon voyage ; mais, malgré mon mal et les menaces des médecins, je ne laisserai pas de partir dans six jours.

400. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre II. La jeunesse de Voltaire, (1694-1755) »

Retranché dans sa maison, il laisse venir à lui le monde : du fond de son cabinet, il le domine par l’omniprésence de son esprit. […] Voltaire parfois se révolte : « Ma foi, dit-il, laissez là Newton, ce sont des rêveries, vivent les vers !  […] En 1740, Frédéric-Guillaume laissa la place à son fils. […] Chacun de ses progrès a laissé une trace dans la conception générale du Siècle de Louis XIV. […] Voltaire laissa dormir le Siècle de Louis XIV ; il n’y revint sérieusement qu’en 1750, à Berlin, et bientôt il le mit en état de paraître (1751).

401. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Dans ses deux années de séjour en Angleterre, il avait formé et laissé d’illustres amitiés ; il y avait joui en pleine liberté de tout ce qu’on lui disputait dans son pays. […] Quel livre nous laisse plus justement fiers de la place que s’est faite notre pays dans le monde, et plus jaloux de la garder ? […] C’était le fond des cœurs ; les habiles le cachaient, les enfants perdus le laissaient voir. […] Il ne laisse pas aux lecteurs à conclure, de peur qu’ils ne le prennent trop froidement ; il conclut lui-même. […] On verra moins un supplice qu’un bienfait dans une peine qui n’énerve pas la sévérité de la justice, et qui laisse au criminel le remède du repentir.

402. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de Pompadour. Mémoires de Mme Du Hausset, sa femme de chambre. (Collection Didot.) » pp. 486-511

qu’est-il resté de cette femme qui nous a épuisés d’hommes et d’argent, laissés sans honneur et sans énergie, et qui a bouleversé le système politique de l’Europe ? […] Non, assurément, mon cher nigaud, je ne laisserai pas périr au port un établissement qui doit immortaliser le roi, rendre heureuse sa noblesse, et faire connaître à la postérité mon attachement pour l’État et pour la personne de Sa Majesté. […] Sa tête ainsi tournée laisse voir le profil du cou dans toute sa grâce, et ses petits cheveux très courts, délicieusement ondés, dont les boucles s’étagent et dont le blond se devine encore sous la demi-poudre qui les couvre à peine. […] La robe de satin à ramages laisse place dans l’échancrure de la poitrine à plusieurs rangs de ces nœuds qu’on appelle, je crois, des parfaits contentements 41, et qui sont d’un lilas très clair. […] Il tenait cette sournoiserie de sa première éducation sous le vieux cardinal de Fleury. — Enfin, elle s’écrie avec un sentiment secret de sa misère et une expression qui ne laisse pas d’étonner : « Ah !

403. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre III. De la nature du temps »

Nous avions laissé ouverte la question de savoir si l’univers était divisible ou non en mondes indépendants les uns des autres ; notre monde à nous, avec l’élan particulier qu’y manifeste la vie, nous suffisait. […] Laissons de côté la question du Temps unique. […] Si fort qu’on en diminue l’intensité, on risquera d’y laisser à quelque degré la variété et la richesse de la vie intérieure ; on lui conservera donc son caractère personnel, en tout cas humain. […] Que d’ailleurs nous le laissions en nous ou que nous le mettions hors de nous, le temps qui dure n’est pas mesurable. […] Et l’ininterruption de déroulement resterait encore distincte de la trace divisible laissée dans l’espace, laquelle est encore du déroulé.

404. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre III. La complication des sociétés »

Par exemple, la loi renouvelée laissera valoir, en matière religieuse, la compétence de « comices » qu’elle ne reconnaît plus en matière politique. […] Les collèges se sont beaucoup plus multipliés sous l’Empire, qui les poursuivait, que sous la République, qui les laissait libres156. […] L’homme ne se laissera plus emprisonner dans le métier. […] Mais de pareils relevés, même étendus, laisseraient encore échapper la majeure partie des groupes dont nous sommes les points d’intersection. […] La complication sociale laisserait, de la sorte, la hiérarchie intacte.

405. (1853) Histoire de la littérature française sous la Restauration. Tome I

Villemain se laissait aller à des tendances analogues, qui alarmaient quelquefois M. de Fontanes. […] Lorsqu’on arrache une maison royale de la sienne, le vide qu’elle laisse se remplit de sang humain ; mais le vide laissé par la maison de France est un gouffre, et quel sang n’y a pas coulé depuis Calcutta jusqu’à Tornéo !  […] La poésie a quelque chose de spontané et d’expressif qui laisse voir clairement les tendances d’une époque. […] Il avait fallu faire en quelque sorte violence au poëte pour l’obliger à laisser publier son œuvre. […] On laisse là l’action pour l’idée, la vie occupée pour la vie méditative.

406. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « L’abbé de Bernis. » pp. 1-22

Bernis est sensible à l’intention ; mais il ne s’y laisse point prendre : À l’égard des Saisons de Babet, répond-il, on m’a dit qu’on les a furieusement estropiées ; car je ne les ai pas vues depuis près de vingt ans. […] En même temps qu’on y sent chez Duverney la grandeur d’âme accompagnée de bonté et même de bonhomie, le caractère modéré, noble, humain et assez élevé de Bernis s’y dessine naturellement ; son esprit y laisse échapper des nuances et des aperçus qui ont de la finesse. […] Le sort ne lui a pas laissé le temps de réparer ses fautes ni de corriger ses hasardeuses entreprises ; mais Bernis sera un excellent ambassadeur : il a l’insinuation, la conciliation, la politesse ; il représente avec goût et magnificence ; il sera le modèle d’un ambassadeur de France à Rome pendant plus de vingt ans. […] Il sentait bien que ses amis de Versailles ne l’y laisseraient pas éternellement ; il avait l’espérance vague, mais certaine, d’un futur retour : « Ma plus grande peine n’est donc que d’aspirer à être utile, d’en ouvrir modestement les voies, et d’être toujours renvoyé à l’inaction et à l’inutilité : voilà pour le moral. » Au physique, sa santé s’altérait faute d’exercice ; son embonpoint augmentait, la goutte se portait aux genoux. […] Frédéric, à la fin d’une épître au comte Gotter, où il décrit les détails infinis du travail et de l’industrie humaine, avait dit : Je n’ai pas tout dépeint, la matière est immense, Et je laisse à Bernis sa stérile abondance.

407. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — I. » pp. 325-345

Aujourd’hui le fils du comte Roederer a pensé que le plus digne hommage à rendre à la mémoire de son père était de recueillir ses œuvres, en les présentant sous la même forme d’une demi-publicité qui leur laissât un caractère d’amitié et de famille. […] L’économie politique ensuite aura sa place ; mais ce qui donnera à cette collection un prix tout particulier, ce seront les mémoires du comte Roederer, composés tant des notices mêmes rédigées par l’auteur en vue de sa famille, que d’un choix entre les notes et lettres nombreuses qu’il a laissées à son fils. […] Il eut là un moment de pureté encore, d’enthousiasme, mais aussi d’effort sur lui-même, qui lui laissa un vif et parfait souvenir : Je restai donc enthousiaste, dit-il. […] Par la manière dont il présente le procès du roi et les diverses opinions qui s’y produisent, il laisse percer, avec toutes les discrétions et les gênes que la liberté républicaine comportait alors, que son opinion n’est pas pour la rigueur. […] Je laisse à d’autres le soin de résoudre cette petite difficulté que j’indique par esprit de scrupule.

408. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Le président Hénault. Ses Mémoires écrits par lui-même, recueillis et mis en ordre par son arrière-neveu M. le baron de Vigan. » pp. 215-235

Et ce qui ne laisse pas d’être assez joli, le discours de M. de Morville eut beaucoup plus de succès que celui du président et l’effaça même dans l’opinion du jour. […] Il les a commencés tard, dans sa vieillesse, vers 1763 ; il y suit peu l’ordre chronologique, et, à propos de chaque personne qu’il rencontre, il se laisse aller volontiers à en tout dire, ce qui le force à revenir sans cesse sur ses pas. […] Ce que j’atteste, c’est que je n’ai jamais fait de mal à personne ; que le peu de crédit que j’avais n’a jamais, par ma volonté, tourné à mon profit ; que je ne l’ai employé qu’au profit de mes parents, de mes amis et de mes connaissances ; et que je n’ai pas laissé de rendre de grands services, dont on s’est souvenu, — si l’on a voulu. […] Je croirais volontiers qu’il a pu se dire tout bas que, chimère pour chimère, celle qui laisse l’espérance, et n’est point sujette à être détrompée, est encore la meilleure qu’on ait à choisir et à cultiver en vieillissant. […] Je laisse les noms propres, et j’en viens à des fautes d’un autre genre dont il est besoin d’être averti.

409. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — II — Vauvenargues et le marquis de Mirabeau » pp. 17-37

Il n’en dit pas tant à Mirabeau, surtout dans les commencements : il renferme plus de choses qu’il n’en laisse voir. […] Quoi qu’il en soit de ces aperçus toujours sujets à conjectures et qui demanderaient bien des développements, tel était, dans le plus beau de son rôle et dans l’ensemble de sa physionomie, l’homme qui, à vingt-deux ans, se mit à causer de toutes choses par lettres avec Vauvenargues ; et ici nous n’avons plus qu’à les laisser parler l’un et l’autre. […] Vous me l’avez dit assez souvent ; je n’y ai pas pensé quand il le fallait ; j’ai laissé prendre à mes étourderies la couleur des crimes, n’en parlons plus. […] Ce sont mes inclinations qui m’ont rendu philosophe ou qui m’en ont acquis le titre : si ce titre les gênait, il leur deviendrait odieux ; je ne m’en suis jamais caché, toute ma philosophie a sa source dans mon cœur… Mirabeau insiste et le secoue : il prétend lui montrer qu’avec ses talents, il serait impardonnable de se laisser aller à l’accablement, à la nonchalance. […] Si vous employiez tout le loisir que votre humeur vous laisse, jugez de ce que vous pourriez faire !

410. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite.) »

Il s’agit donc de savoir si la monarchie et le monarque survivront à la tempête qui se prépare, ou si les fautes faites, et celles qu’on ne manquera pas de faire encore, nous engloutiront tous. » « Il s’arrêta là, comme pour me laisser le temps de dire quelque chose. […] Il avait conseillé, on l’a vu, qu’avant les élections un plan fût énoncé en principe dans une proclamation aux bailliages : on n’en avait rien fait, et, après avoir tout laissé aller, M.  […] Raynal se laisse monter la tête par Diderot, au point de lui livrer son œuvre chérie, de l’aliéner comme une matière de librairie, comme un pur canevas, pour qu’il y insère des tirades d’un certain genre ! […] Cela ne date |pas d’hier, et sir Samuel Romilly a fait cette remarque dès 1789 : « La confiance qu’ils (les Français) ont en eux-mêmes, dit-il, et leur résistance à se laisser renseigner par les personnes les plus capables de le faire, est chose remarquable. […] Voici ses propres paroles : « A Lausanne, je rencontrai l’abbé Raynal, mais il ne me laissa aucune admiration, soit de ses talents, soit de son caractère.

411. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « DU ROMAN INTIME ou MADEMOISELLE DE LIRON » pp. 22-41

Il y a des exemples de toutes ces formes diverses parmi les productions nées du cœur ; et ces formes, nous le répétons, sont assez insignifiantes, pourvu qu’elles n’étouffent pas le fond et qu’elles laissent l’œil de l’âme y pénétrer au vif sous leur transparence. […] Mais tout en se promenant avec lui sous une allée de châtaigniers devant la maison, tout en prenant le frais près de l’adolescent chéri sur un banc placé dans cette allée, elle le prépare à l’arrivée de M de Thiézac qu’on attend le jour même ; elle l’engage à profiter de cette protection importante pour mettre un pied dans le monde, et elle lui annonce avec gravité et confiance qu’elle est décidée à se laisser marier avec M. de Thiézac : « car, dit-elle, mon père, qui est âgé et valétudinaire, peut mourir. […] La nouvelle position des deux amants, l’embarras léger des premiers jours, le rendez-vous à la chambre, le bruit de la montre accrochée encore à la même place, le souper à deux dans une seule assiette14, cette seconde nuit qu’ils passent si victorieusement et qui laisse leur ancienne nuit du 23 juin unique et intacte, les raisons pour lesquelles Mlle de Liron ne veut devenir ni la femme d’Ernest ni sa maîtresse, l’aveu qu’elle lui fait de son premier amant, cette vie de chasteté, mêlée de mains baisées, de pleurs sur les mains et d’admirables discours, enfin la maladie croissante, la promesse qu’elle lui fait donner qu’il se mariera, l’agonie et la mort, tout cela forme une moitié de volume pathétique et pudique où l’âme du lecteur s’épure aux émotions les plus vraies comme les plus ennoblies. […] mon ami, crois-moi, il faut laisser venir le bonheur de lui-même : on ne le fait pas. As-tu jamais essayé dans ton enfance de replacer ton pied précisément dans l’empreinte qu’il venait de laisser sur la terre ?

412. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VIII. La question de gout ce qui reste en dehors de la science » pp. 84-103

Il semble bien que cela soit impossible ; et s’il faut les classer, mettre les unes en lumière, laisser les autres dans la pénombre ou dans les ténèbres de l’oubli, d’après quel principe instituer entre elles des degrés et une sorte de hiérarchie ? […] Or, ce triage, qui est déjà un jugement sommaire, l’historien l’accomplit par cela seul qu’il parle des uns et non des autres, qu’il met ceux-ci sur le devant du tableau et laisse ceux-là à l’arrière-plan. […] Il ne peut pas davantage se laisser paresseusement aller au gré de ses prédilections ; ce serait une autre façon d’être étroit et d’ôter à son histoire le fondement solide qu’il veut lui donner. […] Il pourra se féliciter d’avoir fait tout ce qu’il pouvait faire, s’il a conscience de n’avoir laissé de côté aucune œuvre qui ait marqué dans l’évolution littéraire. […] Telle qu’elle est, la formule provisoire où nous l’avons résumée me paraît assez large pour ne laisser de côté aucune œuvre vraiment supérieure et assez flexible pour ne point mettre à la gêne les créateurs de la beauté future.

413. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Mlle de Lespinasse. » pp. 121-142

M. de Guibert, qui est à la mode et assez fat, laisse après lui, en partant, plus d’un regret. […] je vous hais de me faire connaître l’espérance, la crainte, la peine, le plaisir : je n’avais pas besoin de tous ces mouvements ; que ne me laissiez-vous en repos ? […] Il ne paraît pas, en effet, que l’ordre et l’exactitude aient été au nombre des qualités de M. de Guibert : il brouille volontiers les lettres de son amie, il les mêle à ses autres papiers, il les laisse volontiers tomber de ses poches par mégarde en même temps qu’il oublie de cacheter les siennes. […] Elle continue donc, malgré tout, à aimer M. de Guibert, sans plus rien lui demander que de se laisser aimer. […] Au milieu de cette passion qui dévore et qui semble ne souffrir rien d’étranger, ne croyez pas que la correspondance ne laisse point voir l’esprit charmant qui s’unissait à ce noble cœur.

414. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur Bazin. » pp. 464-485

Mais il n’est pas douteux que l’importance excessive qu’il attacha à l’irrégularité que le Bulletin des lois laisse entrevoir et que nous n’avons pas ici à démêler, n’ait influé beaucoup sur son naturel et ne donne la clef de plus d’une singularité, inexplicable autrement, dans son caractère. […] Mais, en général, il juge bien les hommes, rend hommage aux avisés et aux vraiment habiles, et donne l’exacte mesure des caractères sans se laisser séduire ni entraîner. […] Bazin historien ou biographe, un défaut qui ne laisse pas d’impatienter les lecteurs francs qui n’entendent rien à toutes ces ruses, c’est qu’il ne cite jamais ses sources ni ses auteurs, lui qui en fait un usage si scrupuleux pourtant, si exact et si fait pour défier la confrontation. […] Je me permettrai seulement de demander si dans cette abstinence absolue de toute citation et de toute note en un genre d’ouvrage qui les réclame naturellement, si dans cette suppression exacte de tout nom propre moderne, là même où l’auteur y songe le plus et y fait allusion, si dans cette attention tout épigrammatique à ne laisser sans rectification aucune des petites erreurs d’autrui, il n’y a pas une autre sorte de pédantisme. […] Bazin, lui aussi, n’a pas laissé de faire plus d’une hypothèse et de commettre quelques petites erreurs de fait, en même temps qu’il se donne le facile plaisir de se poser en redresseur sur des points que d’autres avaient déjà rectifiés avant lui.

/ 3448