Ce sentiment les ferait remonter à des causes plus générales. […] Mais il est écrit avec une verve et une vérité de sentiments qui entraînent. […] En général, il s’est peu attaché à approfondir les sentiments. […] Quand on vit sous les lois d’une religion, ce sentiment du mépris de soi, qui pervertit les uns et attriste les autres, ce sentiment rend meilleur et plus heureux. […] Les sentiments leur paraissent avoir plus de réalité que les actions.
La Rechute est d’un sentiment vrai, naturel, sans rien de forcé, ni du côté de l’angélique, ni du côté de l’érotique. […] Il n’a nulle part recours aux accessoires, à la fantaisie, aux descriptions ; tout sort et découle d’un seul et même sentiment. Il a traduit chaque fois ce sentiment à l’instant même : son élégie est née toute voisine du moment de l’émotion. […] Dans ce cœur pur et sans détour Le sentiment allait éclore. […] il est flatté qu’on meure pour lui. » Dès que ce sentiment s’est laissé voir, tout le charme de la pièce est évanoui.
Combien de sentiments ravissants se sont succédé ! […] Le moindre signe d’opposition ou seulement d’indifférence me trouble et m’abat, je perds toute présence d’esprit, tout sentiment et toute apparence de dignité. […] — De même qu’en musique le sentiment dominant du musicien choisit dans la variété des sons ceux qui lui conviennent et donnent à tout l’ensemble un motif unique, de même il doit y avoir dans l’être intelligent et moral un sentiment ou une idée dominante qui soit le centre ou le motif principal ou unique de tous les sentiments ou actes de la vie. […] J’ai alors le sentiment intime, la vraie suggestion de certaines vérités qui se rapportent à un ordre invisible, à un mode d’existence meilleur, et tout autre que celui où nous sommes. […] Ce sentiment de pitié ou de compassion réfléchie du moi sur lui-même est encore assez doux à éprouver, en tant qu’il constate une nature supérieure à celle qui pâtit, quoiqu’elle lui soit intimement jointe.
Aux yeux de l’homme passionné, les objets extérieurs ne représentent qu’une idée, parce qu’ils ne sont jugés que par un seul sentiment. […] Voulez-vous attacher votre existence à l’empire absolu d’une idée ou d’un sentiment ? […] La satisfaction que donne la possession de soi, acquise par la méditation, ne ressemble point aux plaisirs de l’homme personnel ; il a besoin des autres, il exige d’eux, il souffre impatiemment tout ce qui le blesse, il est dominé par son égoïsme ; et si ce sentiment pouvait avoir de l’énergie, il aurait tous les caractères d’une grande passion ; mais le bonheur que trouve un philosophe dans la possession de soi, est de tous les sentiments, au contraire, celui qui rend le plus indépendant. […] L’âme, troublée par les sentiments qui l’oppressent, se persuade qu’elle soulagera sa peine en s’en occupant davantage ; les premiers instants où le cœur s’abandonne à la rêverie, sont pleins de charmes, mais bientôt cette jouissance consume. […] Toute la nature semble se prêter aux sentiments qu’ils éprouvent alors.
Manceau, dans ses vers faciles, animés d’une douce gaieté et d’une piété riante, a quelque chose d’un Gresset resté au séminaire, et rappelle quelquefois aussi le ton de sentiment du poète catholique breton, M. […] Ernest Serret ; un sentiment pur, un style correct, nous y rendent quelque chose d’un Colin d’Harleville rajeuni. […] Ou bien, si vous voulez braver la sécheresse et le terne des couleurs comme Crabbe, sondez alors l’âme humaine à fond, et ne reculez pas devant la réalité creusée des sentiments. […] Jeune, et déjà fait aux épreuves de la vie, il prend l’homme avec tous ses sentiments de père, de fils, d’époux, d’ami, et il le place dans le cadre éblouissant des Tropiques. Cette seule nouveauté de situation produit dans l’expression des sentiments naturels et simples un véritable rajeunissement.
Nous avons, en pareil cas, le sentiment très net d’un effort soutenu. […] D’où vient ce sentiment d’effort et quelle en est la signification ? […] Il est à la fois central et périphérique : il y a un sentiment de la force exercée ou sentiment d’innervation et il y a aussi un sentiment du mouvement effectué ; il est d’abord centrifuge, ensuite centripète (Wundt). […] Ce sentiment tout à fait analogue est localisé d’une manière toute différente. […] Les sentiments, émotions, passions, ont leur source primordiale dans la vie végétative.
Notre vie entière, nos sentiments, nos idées, notre conduite font saillir continuellement cette discorde, révèlent cette incohérence, cette scission de notre moi. […] Chez le chien, on l’a souvent fait remarquer, vivent, au moins sous des formes rudimentaires, les sentiments religieux et les sentiments moraux. […] De là des hésitations, des luttes, un sentiment naissant du devoir, et, selon les cas, des remords. […] Le sentiment et la lutte d’obligations distinctes, de tendances opposées était assez visible. […] Des idées et des sentiments qui les représentent deviennent instinctifs et comme inconscients.
Tout sentiment se traduit par des accents et des gestes appropriés. […] Il y a même d’ordinaire certains rapports de proportion entre la longueur de la phrase et la puissance de l’idée ou du sentiment. […] On se sert ainsi de la science pour arriver au sentiment raffiné. […] Pourquoi ne ferait-il pas aussi s’accorder des sentiments et des pensées ? […] Les sentiments modernes, transformés par les idées scientifiques et philosophiques, sont de plus en plus complexes, l’expression des sentiments doit donc elle-même avoir besoin de moyens plus nombreux et plus variés.
C’est cet excès qui constitue le sentiment de puissance motrice. Mais, sous un autre rapport, il y a sentiment d’impuissance à réaliser pleinement, par le moyen d’une pure idée, les sensations et émotions de plaisir attachées au jeu. […] En un mot. puissante pour réaliser le mouvement, l’idée est impuissante pour réaliser les sensations ; elle produit donc à la fois : 1° un sentiment vif de puissance pour la réalisation des mouvements, 2° un sentiment vif d’impuissance pour la réalisation des sensations : il en résulte une puissance arrêtée, contrariée, donc effort et peine. […] Ces deux forces de ridée peuvent être en opposition : une idée peut tendre à être maintenue comme pensée et à être supprimée comme sentiment. […] Cette tension des forces emmagasinées est accompagnée, du côté mental, d’un sourd sentiment de plénitude, qui a tout ensemble son agrément et son malaise.
Nous pensons donc que le goût peut être défini : le Sentiment d’accord avec la Raison. […] Recommençons ce travail sur deux, trois, quatre, dix, vingt tableaux différents, et bientôt nous obtiendrons par cette étude comparative le sentiment du vrai beau en peinture ; et ce sentiment, c’est le goût. […] Nous aurons mis d’accord notre sentiment et notre raison ; nous aurons formé notre goût. […] La délicatesse vient du sentiment, la pureté tient à la raison. Il en résulte que, parmi les personnes de goût, les unes penchent pour la délicatesse, les autres pour la pureté, selon que chez elles le sentiment l’emporte sur la raison ou la raison sur le sentiment.
Ce sentiment-là, par rapport à la Grèce, ne se retrouve dans la littérature française que depuis l’école moderne. […] On voit dans la querelle des Anciens et des Modernes, où Racine et Boileau défendent Homère contre Perrault, combien il y avait peu, de part et d’autre, de sentiment vrai de l’antique. Mais La Fontaine, sans y songer, était alors bien plus grec que tous de sentiment et de génie : dans Philémon et Baucis, par exemple, dans certains passages de la Mort d’Adonis ou de Psyché. […] 3º Au xviiie siècle, en France, on est moins près du sentiment grec que jamais. […] L’abbé Barthélemy, dans le Voyage d’Anacharsis (si agréable et si utile d’ailleurs), accrédita un sentiment grec un peu maniéré et très parisien, qui ne remontait pas au grand et ne rendait pas même le simple et le pur.
Après ce sentiment malheureux et sublime qui fait dépendre d’un seul objet le destin de notre vie, je vais parler d’une sorte de passions qui soumettent l’homme au joug des sensations égoïstes. […] Il y a dans les libertins, dans ceux qui s’enivrent, dans les joueurs, dans les avares, les deux espèces de mouvement qui font les ambitieux en tout genre, le besoin d’émotion et la personnalité : mais dans les passions morales, on ne peut être ému que par les sentiments de l’âme, et ce qu’on a d’égoïsme n’est satisfait que par le rapport des autres avec soi, tandis que le seul avantage de ces passions physiques c’est l’agitation qui suspend le sentiment et la pensée ; elles donnent une sorte de personnalité matérielle, qui part de soi pour revenir à soi, et fait triompher ce qu’il y a d’animal dans l’homme sur le reste de sa nature. […] Sans doute, c’est un sentiment très pénible que craindre à l’avance le péril qui menace, c’est de la souffrance dans le calme : mais l’instant de la décision, mais le jeu, quelque cher qu’il soit dans le moment où il se hasarde, est une espèce de jouissance, c’est-à-dire d’étourdissement. […] Les mots qui servent aux autres passions, sont très souvent empruntés de celle-là, parce qu’elle est une image matérielle de tous les sentiments qui s’appliquent à de plus grandes circonstances ; ainsi, l’amour du jeu aide à comprendre l’amour de la gloire, et l’amour de la gloire à son tour explique l’amour du jeu. […] Et comme tous les sentiments qui ont le caractère de la passion, dévorent jusqu’à l’objet même qu’ils chérissent ; l’égoïsme devient destructeur du bien-être qu’il veut conserver, et l’avarice interdit tous les avantages que l’argent pourrait valoir.
Section 23, que la voïe de discussion n’est pas aussi bonne pour connoître le mérite des poëmes et des tableaux, que celle du sentiment Plus les hommes avancent en âge et plus leur raison se perfectionne, moins ils ont de foi pour tous les raisonnemens philosophiques, et plus ils ont de confiance dans le sentiment et dans la pratique. […] pour moi je m’abandonnai entierement à la conduite de mon cheval, … etc. c’est l’expérience d’un cheval, d’une machine au sentiment de l’auteur, qui est ici préferée aux raisonnemens d’un homme, d’un académicien. […] Ce que l’analyse ne sçauroit trouver, le sentiment le saisit d’abord. Le sentiment dont je parle est dans tous les hommes, mais comme ils n’ont pas tous les oreilles et les yeux également bons, de même ils n’ont pas tous le sentiment également parfait. […] De même tous les hommes qui jugent par sentiment, se trouvent d’accord un peu plûtôt ou un peu plus tard sur l’effet et sur le mérite d’un ouvrage.
Aussi le style d’un littérateur affectif sera exubérant, grandiloque, tout de premier jet et d’inspiration, tourmenté, sans mesure, sans grâce ; cet auteur se lancera à propos de n’importe quel sujet en infinis développements, et comme c’est son sentiment qui le fait écrire et qu’au moment où il écrit, ce sentiment d’aversion, de bienveillance, de raillerie, constitue son moi tout entier, cet auteur parlera surtout de lui-même et de ce qui l’agite toutes les fois qu’aucune raison supérieure ne l’empêche. […] C’est qu’en effet ce qu’il pense, ce sont déjà presque des sentiments. […] Un sentiment de colère n’est pas l’examen, la classification, l’analyse de l’être ou de la chose qui cause la colère ; c’est exactement et uniquement le sentiment que l’on est en colère ; et ce sentiment est si homogène de sa nature, varie si peu de qualité, qu’on peut le comparer, grossièrement, aux états physiques permanents, à une note tenue, ou mieux encore à l’écoulement d’une veine liquide qui peut varier de calibre et d’impulsion, mais non de nature. […] Les sentiments que Dickens a exprimés dans ses livres ne comprennent pas de sentiments intellectuels, de sentiments systématisés ; il ne s’est pas enthousiasmé pour quelque conception définie, pour la science par exemple, pour la grandeur de la passion, pour le progrès, pour la haine de la civilisation. […] Le sentiment bien plus que les idées étant ce qui constitue le caractère, en déterminant les élans de la volonté, les actes, la conduite, Dickens fut exactement dans la vie ce qu’il apparaît dans ses livres.
Le sentiment national et l’idée de la mort. — 3. […] Sincérité de l’impression et du sentiment. […] Il n’a pas plus de sentiment national que de véritable amour. […] Sentiment national et idée de la mort. […] Ses refrains ramassent nerveusement tout le sentiment d’une pièce.
Mais quand j’ai le sentiment de l’effort, c’est sur le trajet du schéma à l’image. […] Sans doute le sentiment de l’effort ne se produit pas toujours dans cette opération. […] Le sentiment de l’effort d’intellection se produit sur le trajet du schéma à l’image. […] Mais, que le schéma soit fixe ou mobile, c’est pendant son développement en images que surgit le sentiment d’effort intellectuel. […] S’il est présent partout où nous éprouvons le sentiment de l’effort intellectuel, s’il est absent lorsque ce sentiment fait défaut, peut-on admettre qu’il ne soit pour rien dans le sentiment lui-même ?
Le siècle pourtant demandait plus ; il voulait être ému, échauffé, rajeuni par l’expression d’idées et de sentiments qu’il se définissait mal et qu’il cherchait encore. […] C’est de lui que date chez nous, au xviiie siècle, le sentiment de la nature. C’est de lui aussi que date dans notre littérature le sentiment de la vie domestique, de cette vie bourgeoise, pauvre, recueillie, intime, où s’accumulent tant de trésors vertueux et doux. […] Ces races aristocratiques et fines, douées d’un tact si exquis et d’un sentiment de raillerie si vif, ou n’aimaient pas ces choses simples, ou n’osaient pas le laisser voir. […] En tout, comme peintre, Rousseau a le sentiment de la réalité.
. — A) Sentiments : 1° Sentiments affectifs. Sentiments de famille. […] Instinct sexuel. — 2° Sentiments religieux préislamiques. […] Sentiments envers les animaux, envers les captifs. […] Continuant cet examen rapide des sentiments familiaux des noirs, nous en venons à l’amour conjugal.
C’est toujours le sentiment du public qui l’emporte, lorsque les maîtres de l’art et lui sont d’avis differens sur une production nouvelle. […] Le public à venir, qu’on me permette cette expression, qui en jugera par sentiment, ainsi que le public contemporain en avoit jugé, sera toujours de l’avis des contemporains. […] Je dis ébloüir, car comme je l’ai exposé, la plûpart des peintres et des poëtes ne jugent point par voïe de sentiment, ni en déferant au goût naturel perfectionné par les comparaisons et par l’expérience, mais par voïe d’analyse. […] La vanité contribuë encore à nous faire épouser l’avis des gens du métier, préferablement à l’avis des hommes de goût et de sentiment. […] La profession de l’art en impose même tellement à bien des personnes, qu’elles étouffent du moins durant un temps leur propre sentiment pour adopter l’avis des gens du métier.
Car, comment suis-je amené à croire que les êtres que je vois marcher et que j’entends parler, ont des sentiments et des idées, qu’ils possèdent un *esprit ? […] Je vais des signes aux sentiments qu’ils traduisent ; ma propre expérience sert de base à mon induction. […] Mais la théorie qui résout l’esprit, en une série de sentiments actuels, avec une base de sentiments possibles, contient des difficultés intrinsèques qu’il ne semble pas, dit M. […] « Si donc nous parlons de l’esprit comme d’une série de sentiments, nous sommes obligés d’ajouter, pour être complet, une série de sentiments qui se connaît elle-même comme passée et comme future. Et nous sommes réduits à l’alternative de croire que l’esprit, le moi, est quelque chose de différent d’une série de sentiments actuels ou possibles ou bien d’accepter ce paradoxe, que quelque chose qui par hypothèse n’est qu’une série de sentiments, peut se connaître elle-même comme série. » La vérité, ajoute M.
Vers l’âge de vingt ans, il écrivit ces pages du Sentiment qui furent publiées en 1801. […] A défaut de dérangements physiques, ce sont les douleurs morales qui arrivent comme une condition de la haute pensée, du sentiment profond et du génie. […] Ce rapport qui existe entre les sentiments de M. […] Ballanche a pu retrancher le livre du Sentiment de son œuvre complète sans se montrer trop sévère. […] Quand le poëme parut l’année suivante, dans les pompes de la Restauration, un sentiment général y voulut reconnaître une princesse orpheline, la fille des rois.
Un pauvre qui a des sentiments élevés et généreux est un insensé qui n’est pas en équilibre avec lui-même, puisque ses sentiments ne sont pas en accord avec ses moyens d’action. […] Est-ce que ses sentiments sont ridicules ? […] Les sentiments éternels de l’homme, ou l’expression, aimable et passagère comme une mode de l’âme, comme un gracieux engouement de l’esprit, qu’ont revêtu ces sentiments ? […] Mais que faire d’une âme qui porte tous ces sentiments à la fois ? […] Un des traits de cette bonté est le sentiment profond du respect que l’homme doit à l’homme, sentiment que personne n’a eu au même degré que lui.
L’amour de la gloire peut s’abandonner ; la colère, l’enthousiasme d’un héros ont quelquefois aidé son génie ; et quand ses sentiments étaient honorables, ils le servaient assez ; mais l’ambition n’a qu’un seul but. […] Le feu de cette passion dessèche, il est âpre et sombre, comme tous les sentiments qui, voués au secret par notre propre jugement sur leur nature, sont d’autant plus éprouvés que jamais on ne les exprime. […] Les événements sont l’extérieur de la vie ; sa véritable source est tout entière dans nos sentiments. […] L’amant de la gloire a une conscience, c’est la fierté ; et quoique ce sentiment rende beaucoup moins indépendant que le dévouement à la vertu, il affranchit des autres, s’il ne donne pas de l’empire sur soi-même. […] Cromwell est resté usurpateur, parce que le principe des troubles qu’il avait fait naître était la religion, qui soulève sans déchaîner, était un sentiment superstitieux, qui portait à changer de maître, mais non à détester tous les jougs.
D’après la thèse sociologique, l’art est chose essentiellement sociale ; il a son origine dans les besoins et les sentiments sociaux ; il exprime moins l’originalité sentimentale des individus que l’âme collective. […] Mais on voit triompher de plus en plus chez l’artiste la tendance à exprimer ses sentiments personnels et non plus ceux de la masse. […] Et il peut y avoir autant ou plus d’originalité de pensée et de sentiment chez un romantique ou un symboliste que chez un classique. […] Le sentiment et la volonté de différenciation se convertit aisément en principe de révolte antisociale. […] Essai sur l’origine et l’évolution du sentiment esthétique (F.
Il fallait faire un sacrifice d’amour-propre ou un sacrifice de sentiment. […] L’auteur vient de nous dire qu’en publiant Les Confidences il sacrifiait l’amour-propre au sentiment. […] Il avait, au milieu de son rêve, l’expérience, le sentiment de la réalité, le bon sens. […] Pourtant ce n’est qu’en avançant dans le volume que l’écrivain se dégage un peu de la phrase proprement dite, de ce que j’appellerai la rhétorique du sentiment. […] Ce sont bien là en gros les événements de votre jeunesse, mais revus et racontés avec vos sentiments d’aujourd’hui ; ou bien ce sont vos sentiments d’alors, mais déguisés sous les couleurs d’à présent.
Vous avez beau remonter à l’origine des choses et des idées ou à l’A B C de la grammaire et de la rhétorique, suivre un à un les pas de la logique ou faire appel au sens commun simplement, mettre en avant la raison ou, ce qui vaut mieux, la nature ; au fond de toutes vos théories littéraires il y a un sentiment, pas autre chose, analogue, non point au sentiment large d’un homme libre de préjugés qui trouve belles toutes les belles fleurs et belles toutes les belles femmes, chacune dans son genre de beauté, mais au sentiment étroit d’un petit propriétaire qui n’a d’yeux que pour les fleurs de ses plates-bandes et de ses pois, ou d’un jeune amoureux prêt à rompre les os au premier qui osera dire que sa maîtresse n’est pas la plus belle femme du monde. […] Mais vous avez tort de tirer de ce sentiment si juste des propositions universelles et des règles absolues sur le caractère nécessaire du génie comique, et sur l’essence éternelle de la comédie. […] Saisissons dans leur fleur ces premiers sentiments délicats et fugitifs qui naissent en nous spontanément avant toute réflexion : la critique littéraire n’est que l’analyse des sentiments littéraires. […] vous montrez aux faiseurs de théories qu’au fond de tous leurs dogmes il y a un sentiment, pas autre chose, un sentiment étroit, exclusif, passionné, et puis vous donnez à la critique ce sentiment pour base !
Le jeune homme a exprimé en vers ce qu’il ne sent pas encore ; et quand le sentiment naîtra vraiment en lui, sa première pensée sera de le mettre en vers. […] D’immenses intérêts, d’admirables idées, des sentiments sublimes ont été comme jetés pêle-mêle avec des passions brutales, des besoins grossiers, des habitudes vulgaires. […] Un sentiment de fierté autant que la modestie a pu disposer Shakespeare à renfermer dans l’oubli une existence dont il était peu satisfait. […] Cependant ces sentiments nous arrivent, nous pénètrent, et de leur existence dépend l’effet dont le poëte a voulu nous saisir. […] Rien ne paraîtra trivial, insignifiant ou puéril, si la situation dominante en devient plus vive ou le sentiment général plus profond.
Corneille sait aussi nous tirer des larmes ; mais ce sont des larmes d’admiration plutôt que de sentiment. […] La situation est la même ; toutes les deux essayent de faire croire à des sentiments qu’elles n’éprouvent pas. […] Diversité non artificielle : c’est l’observation et le sentiment qui révéleront au poète toutes ces nuances. […] Voilà les beaux sentiments où se plaisait le grand Corneille. […] Dans ces subtilités, il perdit jusqu’au sentiment du mérite relatif de ses pièces.
Entre vous et le sentiment, au lieu du libre cours s’interpose cette glace (d’images) ininterrompue et peinte en mille tons, de smalt, d’outremer, que sais-je encore ? […] Voilà le sentiment parfaitement rendu par M. […] Là du moins la forme est plus à sa place, et puis le sentiment n’en est jamais absent comme en prose. […] Il y a tel défaut de goût, tel point de sentiment gâté, qui comme une petite odeur pernicieuse gagne l’œuvre entière, et en corrompt tout le plaisir. […] Je crois bien que ce sonnet attribué à Hazlitt, comme le propos précédent à Diderot, n’a été pour moi qu’une manière indirecte d’exprimer, sous le couvert d’un nom autorisé, mes propres sentiments de critique.
Dès que les sentiments généreux, de quelque nature qu’ils soient, peuvent s’exprimer sans contrainte, l’éloquence, ce talent qu’il semble si facile d’étouffer, puisqu’il est si rare d’y atteindre, renaît, grandit, se développe et s’empare de tous les sujets importants. […] Qu’est-ce que l’homme s’il se soumet à suivre les passions des hommes ; s’il ne recherche pas la vérité pour elle-même, s’il ne marche pas toujours vers les hauteurs des pensées et des sentiments ? […] Il doit diriger les lumières par le raisonnement, soumettre le raisonnement à l’humanité, et rassembler dans un même foyer tout ce que la nature a de forces utiles, de bons sentiments, de facultés efficaces, pour combiner ensemble tous les pouvoirs de l’âme, au lieu de réduire l’esprit à combattre contre son propre développement, d’enchaîner une passion non par une vertu, mais par une passion contraire, et d’opposer le mal au mal, tandis que le sentiment de la moralité peut tout réunir. […] Je ne sais quel caractère il a reçu du ciel, celui qui ne désire pas le suffrage des hommes, celui qu’un regard bienveillant ne remplit pas du sentiment le plus doux, et qui n’est pas contristé par la haine, longtemps avant de retrouver la force qu’il faut pour la mépriser. […] comment imposer silence aux sentiments qui vivent en nous, et ne perdre cependant aucune des idées que ces sentiments nous ont fait découvrir ?
Et, si ce sentiment peut se tourner en piété grave chez quelques-uns, il peut tout aussi bien se résoudre en un fatalisme résigné. […] Et je n’ai pas besoin de dire que ses descriptions ne sont jamais purement extérieures, qu’il note habituellement du même coup la sensation et le sentiment qu’elle suscite en lui, et que ce sentiment est toujours très fort et très triste. […] C’est d’abord le sentiment toujours présent de l’immensité du monde. […] Or ce sentiment apporte avec lui une tristesse : par lui nous connaissons clairement notre infimité, et que nous ne pourrons jamais jouir à la fois de tout l’univers. […] Le sentiment incurable de la vanité des choses s’insinue dans ses plus vivantes peintures.
Les peuples libres ont un esprit de propriété pour tous les genres de gloire qui illustrent leur patrie ; et ce sentiment doit inspirer une admiration qui exclut toute espèce de critique. […] La terreur de la mort, sentiment dont les anciens, par religion et par stoïcisme, ont rarement développé les effets, Shakespeare l’a représentée sous tous les aspects. […] Il faut un talent infini, pour transporter ce sentiment, de la vie au théâtre, en lui conservant toute sa force ; mais quand on y est parvenu, l’effet qu’il produit est d’une plus grande vérité que tout autre : ce n’est pas au grand homme, c’est à l’homme que l’on s’intéresse ; l’on n’est point alors ému par des sentiments qui sont quelquefois de convention tragique, mais par une impression tellement rapprochée des impressions de la vie, que l’illusion en est plus grande. Lors même que Shakespeare représente des personnages dont la destinée a été illustre, il intéresse ses spectateurs à eux par des sentiments purement naturels. […] La fierté nationale des Anglais, ce sentiment développé par un amour jaloux de la liberté, se prête moins que l’esprit chevaleresque de la monarchie française au fanatisme pour quelques chefs.
Il y a des livres de sentiments comme les Confessions et les Mémoires d’Outre-tombe. […] Vous remarquerez toujours que, quand il s’agit d’une idée générale d’où l’auteur est parti, cette idée est un sentiment. […] N’y aurait-il pas là seulement ceci que nous sommes passés d’une idée de sentiment à une idée de raisonnement ? […] Évolution des idées se dégageant peu à peu des sentiments dont elles sont parties. […] Il ne faut point nous obstiner dans notre sentiment, parce qu’il est notre sentiment ; et, parce que nous avons trouvé contre un raisonnement un peu faible de l’auteur un raisonnement assez fort, croire toujours avoir raison contre lui.
Mais, dans le moment même, d’autres sentiments publics, d’autres pensées que celle de la reconnaissance prévalaient dans le cœur des vaincus. […] Mais les femmes mêlent un sentiment plus vif à tous leurs jugements, et il y a toujours la part de la passion dans leur politique. […] Vous, Madame, vous conservez les mêmes sentiments pour les gens, dans quelque situation qu’ils soient. […] Des changements assez profonds s’étaient introduits dans la manière de vivre de Sismondi, et aussi peu à peu dans ses sentiments. […] C’est chez les femmes qu’on a vu renaître surtout le sentiment religieux ; mais leur influence s’est fait sentir sur la société tout entière.
Corneille n’a pas et n’aura jamais ce sentiment du ridicule qui s’attache à certains de ses personnages nobles. […] On a les deux sentiments solennels aux prises et en regard : la fille qui a son père à venger ; le père qui a été vengé par son fils. […] La réponse de don Diègue est de toute beauté, ton et sentiment ; elle est d’une superbe amertume. […] On n’a pas ce courage ; on est entraîné par le flot du sentiment qui jaillit et n’a pas de cesse. […] Corneille a la pensée, le premier sentiment sublime, le motif et le mot, mais des chutes.
La plupart en devenaient presque dignes : leur esprit n’acquérait aucune idée, et leur âme ne se développait point par de généreux sentiments. […] Les modernes connaissant d’autres rapports et d’autres liens, ont pu seuls exprimer ce sentiment de prédilection qui intéresse la destinée de toute la vie aux sentiments de l’amour. […] Les femmes n’étant point, pour ainsi dire, responsables d’elles-mêmes, vont aussi loin dans leurs paroles que les sentiments de l’âme les conduisent. […] C’est donc dans les qualités privées, dans les sentiments philanthropiques et dans quelques écrits supérieurs qu’il faut examiner les progrès de la morale. […] Revenons aux observations générales, aux idées littéraires, à tout ce qui peut distraire des sentiments personnels ; ils sont trop forts, ils sont trop douloureux pour être développés.
Ainsi il y a dans le genre humain un sentiment intime et profond qui l’avertit que Dieu veille sur les destinées de sa noble créature, sur les destinées de l’ordre social où il a voulu qu’elle fût placée. […] Nous en avons déjà dit la raison, mais il ne faut pas craindre de la redire ; c’est parce que le christianisme est la perfection même des institutions religieuses, et que le genre humain ne peut avoir que le sentiment de ses besoins réels. […] Il faut bien savoir admirer tout ce qui peut développer dans l’homme des sentiments élevés, tout ce qui peut lui fournir l’occasion de beaux sacrifices ; mais il faut être juste aussi : et il n’est pas moins vrai que cette gloire, acquise en dernier lieu, au prix de tant de sang, n’a servi qu’aux vastes triomphes d’un aventurier. […] Il est même permis de penser que n’étant plus compliqués d’affections sociales, les sentiments religieux prendront plus d’intensité, tout en conservant leur heureuse influence. […] Le sentiment religieux, qui paraît menacer de s’éteindre dans les croyances particulières, vit toujours dans les croyances générales.
À la profondeur de son sentiment, à la teinte passionnée de ses superstitions, à la couleur de sépia répandue dans ses poèmes et qui rappelle la vieille « Aikie », la vieille enfumée, on reconnaît dans Burns cette virginité du génie que Dieu met sous la garde de l’ignorance pour les plus aimés de ses poètes, et que Hebel — littéraire d’habitude, de sentiment, d’horizon, comme La Fontaine lui-même, — n’avait pas. […] Notre poète allemanique a du sentiment et de la vie pour tout. […] On a chaud de toute cette bonne et grasse couleur qu’il étend sur la nature et les choses visibles ; on est tout attendri du sentiment moral qui spiritualise et poétise cette couleur d’École hollandaise appliquée sur des sujets allemands, fomentations délicieuses pour l’imagination et pour le cœur ! […] Maximilien Buchon de ces poésies de Hebel, qui répugnent même à passer dans le haut allemand, tant elles sont d’une localité et d’une originalité profondes, atteste beaucoup de talent et un sentiment très animé des beautés sincères qu’elle s’efforce de reproduire. […] Mais le résultat de cette méthode est que rien ne se tient plus debout dans cette poésie fracturée, où de temps en temps, pourtant, passent des strophes charmantes et des vers étonnants de sentiment et de coloris !
Mais qu’est-ce que ce sentiment intérieur ? […] C’est pour cela qu’à mon sentiment, il doit être placé tout à fait au premier rang. […] Je crois qu’il est plus facile de trouver chez les artistes des choses faites bien spirituellement et vite, que des idées profondes rendues avec science et sentiment. […] Ce charme d’une exécution faite avec sentiment et avec amour, qui donc l’a goûté plus que lui ? […] Tout en trouvant cette peinture ridicule, absurde et prétentieuse, il y a, à mon sentiment, quelque chose à y prendre.
Si le poète n’a réuni à ces sentiments ni des maximes de morale ni des réflexions philosophiques, c’est qu’à cette époque l’esprit humain n’était point encore susceptible de l’abstraction nécessaire pour concevoir beaucoup de résultats. […] Les poètes du Midi mêlent sans cesse l’image de la fraîcheur, des bois touffus, des ruisseaux limpides, à tous les sentiments de la vie. […] Un enthousiasme réfléchi, une exaltation pure, peuvent également convenir à tous les peuples ; c’est la véritable inspiration poétique dont le sentiment est dans tous les cœurs, mais dont l’expression est le don du génie. […] Ce que l’homme a fait de plus grand, il le doit au sentiment douloureux de l’incomplet de sa destinée. […] Il semble que la peinture de ce sentiment devrait dépendre uniquement de ce qu’éprouve l’écrivain qui l’exprime.
Le droit comme idée intérieure, comme sentiment individuel et volonté de revendication personnelle s’est trouvé en conflit avec le droit comme contrainte sociale. […] La fin de la justice n’est pas de donner satisfaction au sentiment de justice des individus (on a vingt-quatre heures pour maudire ses juges). […] Elle appelle à l’existence juridique de nouvelles forces, de nouveaux besoins, de nouveaux sentiments qui veulent se faire jour. […] Aucune évolution du droit ne supprimera non plus l’écart entre le sentiment de la justice, tel qu’il est ressenti par chaque conscience individuelle et la satisfaction que le droit existant donne à ce sentiment. La fin du droit, quoi qu’on fasse, n’est pas de donner satisfaction au sentiment de justice éprouvé par les consciences individuelles, mais de sauvegarder l’ordre social.
A-t-on plus de raison d’accuser Despréaux de manquer de sentiment ? Et qu’importe le sentiment, pourvu qu’on ait le ton qui convient ! D’ailleurs le sentiment n’est-il pas déplacé par-tout où il n’est pas nécessaire ? […] A quel genre de sentiment pouvoit se livrer l’Auteur de la Satire à son esprit, de l’Art poétique, du Lutrin ? […] Si on ose nous répéter encore qu’il manquoit de sentiment, nous dirons qu’il aima mieux le mettre dans ses actions que dans ses Ouvrages, & qu’il n’en est que plus estimable.
Si notre âme survit à la mort, le sentiment qui la remplissait tout entière, de quelque nature qu’il soit, n’en fera-t-il plus partie ? […] Tout consiste dans le sentiment auquel on en fait le sacrifice. […] Ce dernier sentiment ne saurait mériter l’estime. […] Ce sentiment n’appartient-il pas à la véritable fermeté du caractère ? […] C’était un sentiment généreux : et c’est à ce seul titre que les hommes doivent admirer les paroles ou les actions d’un homme.
Ne cherchons donc la vérité sur les sentiments secrets de Mlle de Lespinasse que dans ses propres aveux et chez elle seule. […] Dans l’ordre des sentiments, il avait le mouvement, le tumulte et le fracas de la passion, non pas la chaleur. […] Elle croit qu’elle aime encore M. de Mora, et qu’elle peut arrêter, immoler à volonté le nouveau sentiment qui la détache et l’entraîne loin de lui. […] On n’imagine pas quelles formes inépuisables elle sait donner au même sentiment : le fleuve de feu déborde à chaque pas en sources rejaillissantes. […] l’air que je respirais me servait de calmant ; j’aimais, je regrettais, je désirais ; mais tous ces sentiments avaient l’empreinte de la douceur et de la mélancolie.
C’est d’abord le sentiment amer de l’anomalie intérieure et de la destinée manquée. […] Aussi est-ce le sentiment de la vengeance qui les inspire le plus souvent dans leurs essais de poésie. […] Mais ceci a-t-il empêché Victor Hugo, par exemple, de joindre au culte de la rime riche et rare, de la forme achevée, celui des grandes idées et des hauts sentiments ? […] Non seulement les sensations, mais les sentiments mêmes, toutes les émotions s’usent. […] C’est ainsi, pour donner un exemple, que Baudelaire est l’expression de la peur irraisonnée et folle de la mort, — sentiment qui mérite qu’on y insiste.
Je ne le ferai qu’avec crainte, pénétré du sentiment de ma propre impuissance à redire ce que fut cet homme. […] Ne sent-on pas là, comme je la sens, l’expression d’un des sentiments les plus modernes et les plus profonds d’un monde qui s’élargit démesurément ? […] La conception chrétienne du monde et de l’homme, avec son ciel et son âme purement fictifs et irréels, a longtemps empêché la naissance d’un tel sentiment. […] Gloire à l’instinct, qui est l’engrais du sentiment ! Gloire au sentiment, qui est la porte d’or de la plus idéale connaissance !
Des récits fictifs, des manières de romans édifiants ont servi de preuve à la logique, peu rigoureuse, des sentiments. […] Voilà le sentiment personnel satisfait. […] Un employé qui fait régulièrement et convenablement sa besogne n’a point le sentiment que son acte est sacré. […] C’est alors qu’interviennent avec zèle les idées d’obligation, et les sentiments qui les accompagnent. […] C’est encore, mais ici il se divise déjà, lorsqu’il s’oppose à certains sentiments affectueux.
Ce sentiment n’est pas, comme certains philosophes l’ont cru, une simple conception abstraite de possibles jointe à l’ignorance de la réalité qui en sortira : c’est un sentiment concret de puissance. […] Outre le sentiment de puissance inhérente au désir, il y a aussi, pendant la délibération, un sentiment de puissance inhérente à l’intelligence même. […] Sous tous les rapports, nous avons un sentiment de puissance active et personnelle, qui est la base du sentiment de liberté. […] Il existe bien toujours quelque sentiment attaché à l’idée, sentiment qu’elle commence à éveiller et dont elle est même en partie le symbole ; mais la part de la raison est dominante, et nous pouvons même agir sous le sentiment de la rationalité, par amour de la raison. […] Ce sont d’abord les idées relatives à quelque sensation ou sentiment, surtout agréable, puis les idées relatives à notre puissance personnelle, laquelle nous cause d’ailleurs un sentiment de plaisir et de satisfaction intime.
Pensée qui est simplement le sentiment de la solidarité humaine. […] » — Est-il très bon de décourager ce sentiment-là ? […] Elle est très loin de ce sentiment singulier. […] C’est une de ces pensées si familières qu’elles en deviennent un sentiment. […] La limite de la loi, c’est le point où elle rencontre mon sentiment du bien.
Il faut qu’une sorte de fermentation, causée par des événements extraordinaires, développe ce sentiment, dont le germe existe toujours chez un grand nombre d’hommes, mais peut mourir avec eux sans qu’ils aient jamais eu l’occasion de le reconnaître. […] qu’y a-t-il au monde de plus violent et de plus aveugle que ces deux sentiments ? […] Il n’est point de passion qui doive plus entraîner à tous les crimes par cela même, que celui qui l’éprouve est enivré de meilleure foi ; et que le but de cette passion n’étant pas personnel à l’individu qui s’y livre, il croit se dévouer, en faisant le mal, conserve le sentiment de la vertu, en commettant les plus grands crimes, et n’éprouve ni les craintes, ni les remords inséparables des passions égoïstes, des passions qui sont coupables aux yeux de celui même qui s’y abandonne. […] Par cette analyse, on voit que la source de l’esprit de parti est tout à fait étrangère au sentiment du crime ; mais si cet examen philosophique inspire un moment d’indulgence, combien les effets affreux de cette passion ne ramènent-ils pas à l’effroi qu’elle doit inspirer ! […] Je le répète, en examinant tous les effets du fanatisme, on acquiert la démonstration, que c’est le seul sentiment qui puisse réunir ensemble des actions coupables et une âme honnête ; de ce contraste doit naître le plus effroyable supplice dont l’imagination puisse se faire l’idée : les malheurs qui sont causés par le caractère, ont leur remède en lui-même ; il y a, jusques dans l’homme profondément criminel, une sorte d’accord qui seul peut faire qu’il existe, et reste lui-même ; les sentiments qui l’ont conduit au crime lui en dérobent l’horreur ; il supporte le mépris par le même mouvement qui l’a porté à le mériter.
. — Le sentiment de la nature et le pittoresque. […] Le sentiment de la nature et le pittoresque. […] Ces deux sentiments sont éternels, ils tiennent au cœur même de l’homme, et, s’ils étaient un signe de folie, nous serions tous fous à ce compte ; c’est de ces deux sentiments que devait vivre la littérature postérieure à Rousseau. […] Et parfois ce sentiment est non seulement moral, mais philosophique. […] En un mot, le sentiment dominateur fait seul l’unité de la description et peut seul la rendre sympathique.
L’antinomie religieuse On peut se demander si le sentiment religieux ne donne pas lieu, lui aussi, à une antinomie entre les aspirations des sensibilités individuelles et les conformismes de groupe. […] Institution sociale d’abord, elle est devenue par la suite un simple fait de conscience individuelle ; un état d’âme, une idée et un sentiment intérieurs ; elle s’est individualisée de plus en plus57. […] Le sentiment religieux se comprend difficilement en dehors de toute sociabilité. […] Il n’en est pas moins vrai que l’idée religieuse n’exclut pas certains sentiments antisociaux ou même qu’elle les favorise. […] C’est en ce sens et dans ces limites qu’on peut parler d’un individualisme religieux et d’une antinomie entre la personnalité et la sociabilité dans l’ordre du sentiment religieux.
. — Son second caractère est la puissance du sentiment, de la sympathie et de la sociabilité. […] L’imagination ne fonctionne et n’organise les images en un tout vivant que sous l’influence d’un sentiment dominateur, d’une inclination, d’un amour. […] Sur l’ensemble des idées et sentiments de son époque. […] Pour éprouver un sentiment à propos d’une lecture, il faut déjà le posséder ; or, la possession de ce sentiment n’est point une chose isolée et fortuite : il existe une loi de dépendance des facultés morales, aussi précise que la loi de dépendance des parties anatomiques ; la constatation d’un sentiment chez une personne, un groupe de personnes, une nation, à un certain moment, est donc une donnée importante pour établir la psychologie de ces hommes ou de cette nation à ce moment. […] Nous sommes un peuple à imagination vive et à sympathie facile, un peuple éminemment ouvert de pensée et sociable de sentiment.
Après le galbe de ses idées pris pour les penseurs, on nous fait l’histoire de ses sentiments et de sa vie de cœur, pour les petits jeunes gens et pour les femmes. […] Après l’avoir lu, personne ne contestera que ce livre ne soit une espèce d’apothéose du double sentiment d’Héloïse et d’Abailard. […] Il n’y a que la Philosophie, la victime habituelle des idées fausses, qui puisse être victime à ce point des sentiments faux et qui soit destinée à confondre l’affection et la mauvaise rhétorique avec l’expression des cœurs vrais ! […] Femme de lettres, ayant cette considération de la pensée qui donne aux femmes moins d’aptitude à vivre de la vie des sentiments que des idées, elle doit avoir naturellement, et elle les a, quelques entrailles pour Abailard (un professeur éloquent !) […] Je lui demanderai la permission d’en prendre deux ou trois dans sa cassolette ; car on ne me croirait peut-être pas non plus si je parlais de ces parfums inconnus qu’on n’apprécie bien que quand on les a respirés : « À la vue d’un pareil sentiment, — (nous avons dit ce qu’il était, ce sentiment), — ne semble-t-il pas que l’Amour lui-même a passé devant nous — (bienheureuse hallucination !)
Après le galbe de ses idées pris, pour les penseurs, on nous fait l’histoire de ses sentiments et de sa vie de cœur, pour les petits jeunes gens et pour les femmes. […] Après l’avoir lu, personne ne contestera que ce livre ne soit une espèce d’apothéose du double sentiment d’Héloïse et d’Abailard. […] Il n’y a que la Philosophie, la victime habituelle des idées fausses, qui puisse être victime à ce point des sentiments faux et qui soit destinée à confondre l’affection et la mauvaise rhétorique avec l’expression des cœurs vrais ! […] Femme de lettres, ayant cette considération de la pensée qui donne aux femmes moins d’aptitude à vivre de la vie des sentiments que des idées, elle doit avoir naturellement, et elle les a, quelques entrailles pour Abailard (un professeur éloquent !) […] « À la vue d’un pareil sentiment (nous avons dit ce qu’il était, ce sentiment) ne semble-t-il pas que l’Amour lui-même a passé devant nous (bienheureuse hallucination !)
Nul ne contestera que le sentiment esthétique ne soit propre à l’homme aussi bien que le sentiment moral et le sentiment religieux. […] Aucun animal n’a le sentiment du beau. […] Le sentiment de sa libre volonté lui fait une obligation, une loi de cette poursuite. […] Ici, c’est l’amour qui est le principe de tout un ordre de sensations et de sentiments, au lieu d’en être le résultat. […] On n’arrachera jamais de nos consciences, ainsi éclairées, le sentiment des attributs qui nous distinguent des forces de la nature.
Là on assiste aux pensées, aux sentiments, aux passions qui ont déterminé les actes extérieurs des personnages. […] Chacun a le sentiment de sa force propre, rarement de la force des choses qui le favorise ou l’entrave réellement. […] Son chant n’a rien de commun avec les sentiments et les pensées des hommes ; il ne se ressent pas davantage des impressions de la nature. […] Chez nous, au contraire, le sentiment de l’idéal est inné ; la fidélité au droit est invincible. […] Avec tous nos grands historiens, le sentiment du droit reprit son empire dans l’histoire comme dans la politique.
Il n’y a peut-être que lui qui n’existe pas, mais sans le sentiment que nous avons de lui, rien n’existerait. […] C’est affaire ici d’opinion, de sentiment. Or : affaire de sentiment aussi, l’art ! […] Il serait arbitraire d’affirmer que le sentiment régna d’abord, puis l’idée, puis la pensée. […] Le sentiment lui-même a pris le masque de la sensation ; mais la musique et la peinture de ses vers reconstituent, par le logique enchaînement de la sensation au sentiment et à la pensée, tout le composé humain.
D’ordinaire, quoique bien à tort, on en parle comme d’un sentiment simple, tandis qu’en fait c’est le plus composé et par conséquent le plus puissant de tous les sentiments. […] A cela s’ajoute le sentiment complexe que nous nommons affection — sentiment qui, pouvant exister entre des personnes du même sexe, doit être regardé en lui-même comme un sentiment indépendant, mais qui atteint sa plus haute activité entre des amants. […] A cela il faut ajouter le sentiment que les phrénologistes ont appelé amour de l’approbation. […] De plus, il y a aussi un sentiment voisin du précédent, celui de l’estime de soi. […] En sus, dans le sentiment de l’amour est impliquée une grande liberté d’action.
Principales formes de pensées et de sentiments. […] Qu’est-ce qui fait l’État sinon le sentiment d’obéissance par lequel une multitude d’hommes se rassemble sous l’autorité d’un chef ? Et qu’est-ce qui fait la famille sinon le sentiment d’obéissance par lequel une femme et des enfants agissent sous la direction d’un père et d’un mari ? […] Plus un livre rend les sentiments visibles, plus il est littéraire ; car l’office propre de la littérature, est de noter les sentiments. […] C’est pourquoi, parmi les documents qui nous remettent devant les yeux les sentiments des générations précédentes, une littérature, et notamment une grande littérature est incomparablement le meilleur.
Ses deux originalités essentielles, c’est le sentiment de la nature et l’amour des animaux. Le sentiment de la nature, je n’insisterai plus là-dessus. […] Il est certain que par cela La Fontaine habituait à un sentiment d’amour, d’affection sans mélange. Habituer les hommes à un sentiment d’affection sans mélange, quel que soit ce sentiment, c’est d’une importance capitale, non seulement dans l’histoire littéraire, mais dans l’histoire des mœurs. […] Si ce défaut de la réalité, le poète, l’écrivain l’exagère encore, il est exagéreur dans un sens, comme le romantique l’est dans un autre Le classique sera donc l’homme qui, doué de toutes les qualités littéraires, aussi bien de celles qu’on a appelées romantiques que de celles qu’on a appelées réalistes, a, de plus, le sentiment de la vérité, le sentiment de la mesure ; et le sentiment de la vérité, c’est-à-dire de la mesure, c’est ce que l’on a appelé le goût.
La médiocrité, non plus, n’est guère propre à faire naître en nous un sentiment d’espèce si délicate ; l’impression qu’elle cause n’a rien que de stérile, et ressemble à de la fatigue ou à de la pitié. […] Ce sentiment qui, ainsi que nous le disons, n’est pas sans tristesse, soit qu’on l’éprouve pour soi-même, soit qu’on l’applique à d’autres, nous devons tâcher du moins qu’il nous laisse sans amertume. […] Je laisse à juger quels devoient être, depuis l’âge de vingt à vingt-cinq ans, le cœur et les sentiments d’un homme qui a composé le Cléveland trente-cinq ou trente-six. […] Ce n’est partout que peintures et sentiments, mais des peintures vraies et des sentiments naturels99. » Une ou deux fois Prévost fut appelé sur le terrain de la défense personnelle, et il s’en tira toujours avec dignité et mesure. […] Prévost, réveillé par le scalpel, ne recouvra le sentiment que pour expirer dans d’affreuses douleurs.
Dans le premier cas, nous les considérons principalement dans leur rapport à nos divers sentiments et, par conséquent, au sujet qui en est la somme. […] Le sentiment de l’effort (mot très impropre ici d’ailleurs) est le résultat de la bataille : il vient des vaincus aussi bien que des vainqueurs. […] Ce n’est assurément pas un sentiment primitif. […] L’amour de l’argent est donc un sentiment secondaire produit par une association d’idées entre lui et ce qu’il donne. Mais quand ce sentiment est une fois formé, il a exactement la force d’un sentiment primitif : l’argent est aimé pour lui-même.
Et c’est bien là, en effet, le bilan complet des sentiments, des inquiétudes et des tourments imaginés et subis par l’âme moderne. […] Pourtant, parmi les sentiments que M. […] Ce sentiment est très particulier à notre âge. […] Bourget lui-même pour approfondir les sentiments les plus distingués de sa génération ou pour les faire naître en lui : l’analyse. […] » Toutes ses enquêtes sur les sentiments originaux de ses contemporains lui servent à rechercher en même temps le sens et le but de la vie.
N’est-ce pas là le sentiment que respirent ces vers d’Homère ? […] Elles sont devenues des êtres particuliers et complexes, et se sont mêlées à des sentiments complexes et particuliers. […] Que ce visage est terne, et qu’il est rare de le voir illuminé par un sentiment ! […] Aucun sentiment ne pourra naître en lui à l’aspect de ces figures indistinctes et de ces actions si peu parlantes. […] Mais les sentiments ainsi imprimés dans les spectateurs s’imprimeront dans le premier spectateur de l’oeuvre, qui est le poëte.
combien même y en a-t-il, comme les vers de sentiment, que toute espèce d’image affaiblirait, qui n’ont que l’expression la plus simple, et qui n’en valent que mieux ? […] Mais avouez du moins que vous préférez les beaux vers de sentiment aux plus beaux vers d’image ; en quoi je pense que vous avez tort. […] Si, dans les vers dont vous me parlez, l’image se joint au sentiment et ne l’affaiblit pas, c’est le plus grand charme de la poésie ; et je préfère, ainsi que vous apparemment, ces vers-là à tous les autres : si le sentiment est de nature à exiger la plus grande simplicité dans l’expression, les vers de cette espèce n’ont rien de commun avec les vers d’image, ni par conséquent aucun terme de comparaison avec eux ; on sera plus touché des uns ou des autres, selon qu’on sera plus sensible à ce qui touche ou à ce qui étonne. […] Tout dépend de la nature du sujet, de l’endroit où est placé le vers, soit de sentiment, soit d’image, et surtout du genre de sensibilité de celui qui lit. Voyez Horace, qui nous fournit des modèles de beautés poétiques de toute espèce : vous trouvez dans ses épîtres et ses satires, des vers qui ne sont que pensés ; dans quelques-unes de ses odes le sentiment domine, dans d’autres ce sont les images.
Sans Montaigne et sans un sentiment dont nous allons parler tout à l’heure, Pascal n’aurait jamais été que l’écrivain des Provinciales, ce chef-d’œuvre qui ne serait pas si grand, si les Jésuites étaient moins grands et moins haïs, les Provinciales, où le comique de cet immense Triste, qui veut plaisanter, consiste dans une ironie, répétée dix-huit fois en dix-huit lettres, et dans cet heureux emploi de la formule : mon révérend père, qui — puisqu’on parlait à un jésuite — n’était pas extrêmement difficile à trouver ! […] ce qui le crée Pascal ; ce qui lui fait, par l’accent seul, une langue à lui à travers celle de Montaigne, dont il a les tours et dont il s’assimile les qualités ; ce qui lui donne une originalité incomparable entre tous les esprits originaux de toutes les littératures, et le fait aller si loin dans l’originalité que parfois il rase l’abîme de la folie et donne le vertige, c’est un sentiment, — un sentiment unique, un sentiment assez généralement méprisé par le superficiel orgueil des hommes, — et ce sentiment, c’est la peur ! […] III Le génie donc, mais le génie de l’expression et du sentiment, voilà la supériorité nette (reina netta !) […] C’est par le sentiment, même quand il est inexprimé, de cette poésie terrible, plus que par sa roulette, plus que par un pamphlet toujours populaire, plus que par tout ce qu’il a fait jamais, qu’il est resté le dominateur des esprits, et même de ceux qui lui sont rebelles : car on a répondu, bien ou mal, à toutes ses raisons, et, malgré l’accablante expression de son génie, l’intelligence humaine n’est pas vaincue, mais ses sentiments emportent tout, et ceux-là qu’il n’a pu convaincre de ce qu’il croit, il les a emportés par la beauté de ce qu’il écrit, et ils conviennent qu’ils sont emportés ! […] Rien n’est plus immortel qu’un poëte, que la grandeur de sentiment qui fait les poëtes et les héros, car les héros sont aussi des poëtes, les poëtes de l’action !
Si, dans la littérature et les arts, le génie pittoresque a succédé au génie statuaire ; dans la société, l’énergie du sentiment moral et la force d’expansion du principe intellectuel sont devenues deux puissances tout à fait distinctes. […] Un grand ressort des temps anciens, qui fut nécessaire à l’organisation primitive de la société, et qui ne peut plus être pour nous qu’une grande erreur, le sentiment exclusif de la nationalité doit disparaître : il ne peut tenir devant les hauts sentiments de l’humanité ; il restera l’amour du sol natal et l’attachement aux institutions de la patrie, seuls sentiments vrais, naturels, indestructibles comme le cœur de l’homme. Nous ne refuserons pas de comprendre les mêmes sentiments chez les autres peuples : et nous ne haïrons pas ces peuples, uniquement parce qu’ils sont autres que nous. […] J’ai promis de dire quelques mots de la fatalité, croyance superstitieuse et cruelle, qui doit finir par succomber sous l’influence du sentiment moral perfectionné. […] Cette austère école de Port-Royal devait contribuer encore à diriger nos conceptions littéraires dans cette tendance, quoiqu’elle fût en effet hors des sentiments chrétiens.
Et l’on pourrait presque dire aussi qu’il n’a jamais exprimé de sentiments, sinon le sentiment de joie, d’allégresse, de vie divine qui répond à la perception abondante et aisée des belles lignés et des belles couleurs. […] Trois ou quatre sentiments, à qui va au fond, défrayaient la lyre romantique. […] Cela peut être le sentiment d’un chroniqueur qui lit vite et mal. […] Il y a des combinaisons savantes et des nuances d’idées et de sentiments que nous ignorerions encore. […] En quoi plus noble, puisque nos sentiments sont aussi involontaires que nos sensations ?
Tout était organisé contre cette résurrection du sentiment moral et poétique ; c’était une ligue universelle des études mathématiques contre la pensée et la poésie. […] Ils savaient que tous les nobles sentiments se touchent et s’engendrent, et que dans des cœurs où vibrent le sentiment religieux et les pensées mâles et indépendantes, leur tyrannie aurait à trouver des juges, et la liberté des complices. […] Je ne pourrais le dire ; elles participaient de tous les sentiments à la fois. […] C’est à la fois sentiment et sensation, esprit et matière, et voilà pourquoi c’est la langue complète, la langue par excellence qui saisit l’homme par son humanité tout entière, idée pour l’esprit, sentiment pour l’âme, image pour l’imagination, et musique pour l’oreille ! […] C’est à populariser des vérités, de l’amour, de la raison, des sentiments exaltés de religion et d’enthousiasme, que ces génies populaires doivent consacrer leur puissance à l’avenir.
Il souffrit de ce refroidissement de la faveur royale avec sa vivacité ordinaire de sentiment : et ses derniers jours en furent attristés. […] Mais dans nos âmes communes, les abandons au sentiment, à l’inclination, sont plus fréquents que les résistances et les victoires de l’énergie volontaire. […] J’ai signalé cette notation si exacte des sentiments, qui est la forme nécessaire du positivisme classique. […] Pour voiler le vide et la fausseté des sentiments, on arrange, on entortille les incidents romanesques, les scélératesses monstrueuses. […] A mesure que la tragédie s’affadit, on cherche à la renforcer par la rareté des situations et des sentiments : on va hors de la nature et contre la nature.
Elle permet à nos sentiments et à nos idées de s’organiser sans raideur et de conserver leur plasticité. […] Les sentiments, les actes opposés s’adapteraient à un côté différent. […] Un sentiment, une idée n’ont de valeur que par leurs rapports avec un immense ensemble d’autres sentiments, d’autres idées et d’autres actes, ils doivent se coordonner et se subordonner. […] Ils repoussent, par elle, toutes les idées, tous les sentiments supérieurs qui les assaillent et qu’ils ne peuvent recevoir. […] Ce sentiment est très répandu, presque universel.
Ils ont dans le cœur une sensibilité naturelle et profonde qui se plaît à la peinture des sentiments vrais. […] Mais le langage de ces assassins est vulgaire, comme leur état et leurs sentiments. […] Le sacrifice de leurs sentiments n’est point présenté comme impossible. […] Par-là même, son sentiment l’affranchit de toutes les convenances que prescrit la morale que nous sommes habitués à voir sur la scène. […] Cela tient à ce que les Allemands prennent le sentiment pour base de la morale, tandis que pour nous cette base est la raison.
Pour savoir, non plus ce qui est, mais ce qui est désirable, c’est aux suggestions de l’inconscient qu’il faut recourir, de quelque nom qu’on l’appelle, sentiment, instinct, poussée vitale, etc. […] Voilà comment il se fait que, en sociologie comme en histoire, les mêmes événements sont qualifiés, suivant les sentiments personnels du savant, de salutaires ou de désastreux. […] Pour que, dans une société donnée, les actes réputés criminels pussent cesser d’être commis, il faudrait donc que les sentiments qu’ils blessent se retrouvassent dans toutes les consciences individuelles sans exception et avec le degré de force nécessaire pour contenir les sentiments contraires. […] Ainsi, le vol et la simple indélicatesse ne froissent qu’un seul et même sentiment altruiste, le respect de la propriété d’autrui. […] Cependant, à ce moment, cette violation était un crime, puisque c’était une offense à des sentiments encore très vifs dans la généralité des consciences.
Une idée abstraitement insuffisante peut déterminer un sentiment efficace. […] Le temps des exaltations passionnées est si bien fini que le plus impénitent des romantiques n’a pas plus de sentiment que les autres. […] L’idée unique de Baudelaire est l’idée de la mort ; le sentiment unique de Baudelaire est le sentiment de la mort. […] Ni cri, ni révolte, ni tension même : une tristesse douce et discrète, toute en demi-teintes, un vif sentiment de l’humaine misère, une déploration sans violence des êtres et des formes qui passent. […] Baudelaire est moins l’épanchement d’un sentiment individuel qu’une ferme conception de son esprit », (Barbey d’Aurevilly.)
Reste alors que le sentiment dont parle M. […] Plus précisément, il n’y aurait ici qu’un de ces « sentiments d’incomplétude » que M. […] Or, la fausse reconnaissance est autre chose que ce sentiment de familiarité. […] Ce sentiment devient d’ailleurs très clair quand il s’agit d’un acte déterminé à accomplir. […] Sur cet étonnement vient se greffer un sentiment assez différent, qui a pourtant une parenté avec lui : le sentiment que l’avenir est clos, que la situation est détachée de tout mais que nous sommes attachés à elle.
Dans sa jeunesse, et à l’époque de sa liaison avec Vauvenargues, c’était un jeune homme studieux, aussi lettré que modeste, animé de sentiments délicats et tendres, religieux ou susceptible de revenir à la religion. […] Je te jure, mon cher Saint-Vincens, que je dis vrai ; ne me fais point l’injustice de douter de ce sentiment ; ce serait trop me punir, et tu dois tout oublier ; je te le demande à genoux, et t’embrasse de tout mon cœur. […] Cette correspondance a le tort de languir un peu par la faute de Saint-Vincens qui était, ce semble, paresseux à écrire ; mais les sentiments que Vauvenargues et lui s’étaient voués, subsistent des deux côtés sans altération. […] C’est cette amitié qui m’honore, et qui me fait aimer moi-même la vertu, afin de vous plaire toujours, et devons faire estimer, si je puis, les sentiments que je vous ai voués jusqu’au tombeau. […] Je ne vous dis pas à quel point j’aurais été flatté d’être compté parmi ceux qui serviront la province dans ces circonstances ; je crois que vous ne doutez pas de mes sentiments.
Le sentiment de la personnalité est un composé de tous nos souvenirs, qui répond à la masse durable de notre cerveau. […] L’être conscient veut se plaire à lui-même : dès qu’il a le sentiment de son moi réel, il conçoit une sorte de moi idéal qu’il veut réaliser et dont la réalisation lui paraît le bonheur. […] Ma patrie c’est encore moi, en tant qu’il y a en moi tout un ensemble d’idées, de sentiments et de tendances qui me la rendent présente et intime, et qui sont bien moi. […] Au sentiment concret des termes se joint le sentiment concret de leur rapport. […] L’intelligence aura aussi le sentiment que, dans la dispersion et le désordre, elle s’évanouit, s’échappe à elle-même, par une syncope de conscience.
En France, le mot sentiment, appliqué aux instincts de la société, est bien près d’être décrédité. […] Les dynasties chrétiennes ne font qu’un avec les peuples chrétiens, et n’ont qu’une vie avec eux : ceci tient au perfectionnement introduit par le christianisme dans les sociétés humaines comme dans tous les ordres d’idées et de sentiments. […] Nous l’essaierons cependant par la suite, mais avec une respectueuse circonspection ; car cet écrit, qui ne peut renfermer toutes les vérités sur lesquelles repose la société, est destiné du moins à en faire naître le sentiment, sentiment qui a quelque chose de religieux, et qu’on est trop parvenu à éteindre parmi les peuples. […] Sans doute les opinions fondées sur le sentiment peuvent seules être contagieuses ; mais il ne dépend pas de chacun de nous de les avoir à notre choix. Ceux dont les opinions de sentiment ne sont pas en harmonie avec l’état actuel de la société, et qui les immolent avec une résignation loyale et courageuse sur l’autel de la réconciliation, font un sacrifice dont on doit leur tenir compte.
Mais je n’ai rien fait si je ne suis point parvenu à donner à mes lecteurs le sentiment de toutes ces choses. […] J’ai peine à comprendre comment, avec le sentiment progressif qui travaille les esprits, on reste cependant attaché aux méthodes stationnaires. […] Ce n’est point assez qu’un petit nombre de savants s’enfoncent dans les profondeurs du sanscrit, toutes nouvelles pour nous, il faut que la génération contemporaine soit devenue, par l’éducation, habile à comprendre les investigateurs de l’ère qui va s’ouvrir ; car l’homme ne sait bien que ce qu’il peut communiquer aux autres : tant on rencontre à chaque pas le sentiment social, et le besoin de ce sentiment. […] L’homme sera toujours à lui seul un fonds inépuisable, la nature peut être mieux connue, mais les sentiments de l’homme seront toujours immenses et sans limites. […] Il a jeté dans l’empire de l’imagination toutes les idées et tous les sentiments qu’il devait y jeter.
C’est une prétention d’user des mots en artiste, non pour penser et sentir, ni pour provoquer des pensées et des sentiments, mais pour produire les impressions les plus spéciales qui appartiennent aux autres arts, à la musique, à la peinture, à la sculpture, des impressions de son, de couleur et de forme. […] Il n’y a pas d’idées, de sentiments qui vaillent la peine d’être préférés : il y a des phrases qui méritent d’être écrites, des phrases belles, des phrases bien faites. […] Comme une partie de l’énergie des mots s’écoule et s’évapore par l’indécision de la phrase, lâche, coupée de mots inutiles, il faut forcer les termes, en choisir qui aillent au-delà du sentiment, afin qu’ils ne tombent pas en deçà. […] Cependant ces mêmes expressions, qui servent aux besoins les plus familiers de l’existence, que les plus grossières intelligences ravalent au niveau de leurs mesquines pensées, ont en elles-mêmes assez de sens et de vertu pour devenir égales sans effort aux plus hautes idées, aux plus nobles sentiments des grands esprits et des cœurs généreux. […] La simplicité n’exclut donc ni la grandeur ni la finesse du style ; elle permet les plus sublimes élans et les délicatesses les plus raffinées : mais elle veut que l’on mesure tout à la pensée et au sentiment qu’il s’agit de rendre.
Qu’importe que Shakespeare eût, dans cette intensité, les sentiments qu’il exprima ! […] Le sentiment de la famille, comme d’ailleurs tous les autres sentiments humains, a fécondé le génie de Shakespeare, et ce génie, qui a demandé à l’amour jeune, libre et fidèle, les suavités et les mélancolies de Roméo, a demandé également d’autres beautés, pathétiques et profondes, à ces sentiments qui ne sont plus seulement des sentiments, mais des vertus, à ces sentiments de la famille qui ne sont plus libres, comme l’amour, et qui sont aussi éternels ! […] Tous les sentiments de la famille sont ici, en un groupe complexe, entrelacé et terrible. […] enfin, pour n’avoir pas laissé l’admiration de Shakespeare tuer en soi le sentiment français ! […] Hai, à qui la délicatesse est venue, et qui pour la première fois, a le sentiment de l’amour !
comme ils sont féconds dans les sentiments et les idées que développe la solitude ! […] Elles seules choisissent leur genre de vie ; les autres sont forcées de se résigner à celui que la destinée leur impose ; et quand on est amené à l’exercice d’une vertu par la privation de quelques avantages personnels, ou par le joug des circonstances, on n’a jamais toutes les idées et tous les sentiments que peut faire naître cette vertu librement adoptée. […] Ce n’est pas le dur lien des lois humaines, ce lien si souvent étranger au choix du cœur, qui forme le nœud de leur vie, c’est l’harmonie elle-même, accordant toutes leurs passions dans le sentiment de l’amour. […] Ne goûtent-ils pas un charme plus puissant encore que celui de la beauté, ou dans les sentiments, ou dans les traits animés par ces sentiments mêmes ? […] Délicieuse tâche de cultiver la pensée tendre encore, d’enseigner à la jeune idée comment elle doit croître, de verser des instructions toujours nouvelles dans l’esprit, d’inspirer les sentiments généreux, et de fixer un noble dessein dans une âme enflammée !
On dirait que le romantisme se replie sur soi et qu’après s’être épandu il se resserre pour exprimer en des œuvres plus travaillées et plus précises ses sentiments essentiels, affinés et développés par le temps. […] Mais justement il est difficile de distinguer ce qui, dans la beauté totale de quelques-uns de leurs vers, revient au sentiment et ce qui revient à la forme. […] C’est donc par un excès de loyauté et de délicatesse artistique que les Parnassiens se déclaraient impassibles, ne voulaient exprimer que la beauté des contours et des couleurs ou les rêves et les sentiments des hommes disparus. […] M. de Heredia possède, à un plus haut degré peut-être qu’aucun autre poète, le don de saisir, entre les images, les idées, les sentiments — et le son des mots, la musique des syllabes, de mystérieuses et sûres harmonies. […] Elle contient un mépris du médiocre, un Odi profanum vulgus dont le sentiment peut être une très grande jouissance.
Prostitution… L’être le plus prostitué, c’est l’être par excellence, Dieu. » Ou bien : « L’amour peut dériver d’un sentiment généreux. […] Il y a en lui une détresse, une angoisse, un sentiment atroce de sa stérilité. […] Ce qu’on ne peut certes lui refuser, c’est d’avoir été un Inquiet, il a eu, au plus haut point ce qui a manqué à de plus grands que lui : le sentiment, le souci et souvent la terreur du Mystère qui nous entoure. […] Il dédaigne les sentiments que suggère la simple nature. […] Comme rien n’égale en intensité et en profondeur les sentiments religieux (à cause de ce qu’ils peuvent contenir de terreur et d’amour), on les reprend, on les ravive en soi et cela, en pleine recherche des sensations les plus directement condamnées par les croyances d’où dérivent ces sentiments.
Ici, dans ce roman, il ne s’agit plus uniquement d’amour, la seule chose à la portée des femmes, mais d’un bien autre sentiment qui les dépasse toutes, et qui n’a pas eu son roman encore. Il s’agit du sentiment de l’amitié. […] Dans son roman, à deux sentiments, elle se contente d’opposer l’amitié à l’amour, antithèse vulgaire ! […] L’amitié est un sentiment trop viril pour subsister jamais dans une âme de femme ; et quand même, entre hommes, éclate cette chose rare et sublime, il n’y a qu’un homme du plus mâle génie, qui, comme Otway dans Venise sauvée, puisse en montrer toute la beauté et la grandeur. […] Avec sa gracile élégance, Mme Haller n’est point de force à creuser un sentiment, fait d’autant de raison que d’enthousiasme, le plus beau des sentiments dans la hiérarchie des sentiments de nos âmes, après le sentiment religieux !
C’est le même poème, les mêmes sentiments, la même manière de les exprimer. […] Achille du Clésieux n’est pas un jouvenceau poétique, et la Critique ne doit pas avoir pour lui des sentiments de jouvencelle attristée. […] L’auteur d’Armelle est, avant tout, un poète de sentiment, — une de ces sensibilités d’organisation qui semblent penser moins avec la tête qu’avec la poitrine. […] … Quand une société en est là de ramollissement et de lâche mépris pour tout ce qui fut autrefois la force et la dignité des nations chrétiennes, le sentiment filial comme on le rencontre dans Armelle est bien près de n’être plus compris. […] » Et ce n’est pas non plus sur la venue tardive du poème de du Clésieux dans la poussée des choses du temps qu’il faut exprimer des regrets, mais sur la perte de ce grand sentiment chrétien, mort comme Turenne, et qui serait nécessaire pour bien sentir cette poésie, austère et attendrie à la fois.
avec la réputation de l’auteur, ses précédents, sa vie extérieure, son imagination, brillante et bruyante, et toute cette nature alcibiadesque qui est la sienne et qui semble avoir, comme le caméléon amoureux de la Légende, des reflets plus séduisants que des couleurs, on se serait attendu, en pensant à cette plume chaude et passionnée, bien plus à une œuvre d’imagination, de rythme ouvragé, de grande broderie, qu’à un livre de sentiment. […] Tous, ils ne font des vers que pour réaliser ou caresser telle ou telle forme poétique, non pour exprimer des sentiments vrais et se soulager de leurs émotions en les faisant partager. […] L’auteur de Colombes et Couleuvres n’est pas plus monocorde d’idées que de sentiments. […] Une douleur plus mâle et plus profonde a exalté les puissances du poète, et le sentiment paternel, — le plus beau sentiment de l’homme qu’avec leurs cris de bâtards contre la famille, des penseurs à la mécanique voudraient diminuer dans nos cœurs ou en arracher tout à fait, et qui résistera à leurs efforts insensés, — le sentiment paternel élève sa Muse à une hauteur et à une ampleur de ciel qu’elle n’avait pas jusqu’ici accoutumé d’atteindre et dont, sous peine d’affaiblissement, elle ne doit plus désormais descendre. […] Oui, que les poètes se le disent : A l’heure qu’il est, tout poète qui ne sera pas chrétien, dans le sentiment ou dans la pensée, restera au-dessous du moindre lecteur qui le sera !
Une solution comme celle que je cherche, comme celle que nous cherchons, si vous ne l’avez pas déjà trouvée, doit être, n’est-ce pas, une théorie de la critique faisant leur juste part aux dogmes littéraires, au sentiment littéraire, à l’histoire littéraire ? […] Il est impossible de préconiser, au nom du goût, une sorte de tolérance universelle et d’admiration banale qui n’est que de l’indifférence, et qui, à la longue, émousse et tue le sentiment même du beau. […] Vous voyez, mon cher lecteur, que je ne résous rien, et que je ne me mêle pas de concilier les délicatesses du sentiment littéraire avec la magnifique tolérance de l’esprit historique. […] Don Juan, au milieu du naufrage de toutes ses croyances, s’aperçoit qu’il conserve encore le sentiment de l’humanité, et, au nom de ce sentiment, fait la seule bonne action de sa vie. Ce qui sauvera l’art et la critique, c’est le respect des beaux sentiments et des grandes idées qui composent le fond même de l’humanité.
C’est, avons-nous dit, le talent de faire passer avec rapidité et d’imprimer avec force dans l’âme des autres le sentiment profond dont on est pénétré. […] Notre âme a deux ressorts par lesquels on la met en mouvement, le sentiment et l’imagination. […] L’imagination ne supplée jamais au sentiment par l’impression qu’elle fait sur nous-mêmes ; mais elle peut y suppléer par l’impulsion qu’elle donne aux autres. L’effet du sentiment en nous est plus concentré ; celui de l’imagination est plus fait pour se répandre au dehors ; l’action de celle-ci est plus violente et plus courte, celle du sentiment est plus forte et plus constante. […] L’affectation du style nuit d’ailleurs à l’expression du sentiment, et par conséquent à la vérité.
La bonté recueille aussi toutes les véritables jouissances du sentiment ; mais elle diffère de lui par cet éminent caractère où se retrouve toujours le secret du bonheur ou du malheur de l’homme ; elle ne veut, elle n’attend rien des autres, et place sa félicité tout entière dans ce qu’elle éprouve. Elle ne se livre pas à un seul mouvement personnel, pas même au besoin d’inspirer un sentiment réciproque, et ne jouit que de ce qu’elle donne. Lorsqu’on est fidèle à cette résolution, ces hommes mêmes qui troubleraient le repos de la vie, si l’on se rendait dépendants de leur reconnaissance, vous donnent cependant des jouissances momentanées par l’expression de ce sentiment. […] Elle n’a rien à faire avec le passé, ni l’avenir ; une suite d’instants présents composent sa vie ; et son âme, constamment en équilibre, ne se porte jamais avec violence sur une époque, ni sur une idée ; ses vœux et ses efforts se répandent également sur chacun de ses jours, parce qu’ils appartiennent à un sentiment toujours le même, et toujours facile à exercer. […] Toutes les véritables vertus dérivent de la bonté, et si l’on voulait faire un jour l’arbre de la morale, comme il en existe un des sciences, c’est à ce devoir, à ce sentiment, dans son acception la plus étendue, que remonterait tout ce qui inspire de l’admiration ou de l’estime.
Ce sentiment n’a rien de surprenant. […] En effet, nul doute que les jeunes écrivains eussent tout à fait pris goût à ces jeux de rythme et de sentiment où se complaisaient nos aînés, si les aventures de la mort, de la déroute et de l’émeute n’avaient communiqué une tragique véhémence à nos âmes, élevées dans ces souvenirs. […] Avec l’audace des conceptions, il possède d’une manière extrême le sentiment de l’harmonie. […] C’est donc dans ce sentiment que la plupart des juvéniles poètes sollicitent des révolutions. […] André Gide naît de ces mêmes sentiments.
Ce sentiment est un aiguillon pour les uns, et un frein pour les autres. […] D’où naît ce sentiment ? […] Voulez-vous savoir ce que peut le sentiment de la gloire ? […] Le sentiment de la gloire suppose le retranchement des passions communes. […] En général, le sentiment de la gloire a je ne sais quoi de réfléchi et de profond qui se nourrit surtout dans la retraite.
C’est encore une expression juste que animus pour la partie douée du sentiment : les Latins disent animo sentimus. […] Ils disaient sententiæ, pour résolutions, parce que leurs jugements n’étaient que le résultat de leurs sentiments ; aussi les jugements des héros s’accordaient toujours avec la vérité dans leur forme, quoiqu’ils fussent souvent faux dans leur matière. […] Ce qui le prouve, c’est qu’Achille, qui fait tant de bruit pour l’enlèvement de Briséis, et dont la colère suffit pour remplir une Iliade, ne montre pas une fois dans tout ce poème un sentiment d’amour ; Ménélas, qui arme toute la Grèce contre Troie pour reconquérir Hélène, ne donne pas, dans tout le cours de cette longue guerre, le moindre signe d’amoureux tourment ou de jalousie. […] ce sentiment est propre à celui qui parle, le pluriel est pour le singulier ; cependant ce pluriel semble en faire un sentiment commun à plusieurs. Mais le même poète dans une autre comédie porte le sentiment au plus haut degré de sublimité en le singularisant et l’appropriant à celui qui l’éprouve, Deus factus sum, je ne suis plus un homme, mais un Dieu.
Une opinion abstraite qui devient l’objet d’un sentiment fanatique, produit dans l’homme les effets les plus remarquables. […] Ces hommes atroces, en retranchant de leur calcul les souffrances, les sentiments, l’imagination, croyaient le simplifier ; ils ne se faisaient nulle idée de la nature des vérités générales. […] « Dans le sein de l’homme vertueux, disait Sénèque, je ne sais quel Dieu ; mais il habite un Dieu. » Si ce sentiment était traduit dans la langue de l’égoïsme le plus éclairé, quel effet produirait-il ? […] Quand on s’étudie soi-même, ou reconnaît que l’amour de la vertu précède en nous la faculté de la réflexion, que ce sentiment est intimement lié à notre nature physique, et que ses impressions sont souvent involontaires. […] La philosophie peut découvrir la cause des sentiments que nous éprouvons ; mais elle ne doit marcher que dans la route que ces sentiments lui tracent.
Au reste, si je n’ai pas été élevé dans votre vieux lycée et si je ne suis qu’un Orléanais intermittent, cela n’empêche point, j’imagine, que je ne sois un très bon Orléanais tout de même ; que, en dépit des exils forcés, il n’y ait un coin de ce pays de Loire où est une part de mon cœur, et qu’ainsi je ne me trouve aisément avec vous en communauté de sentiments, de souvenirs et d’affections. […] Et, au surplus, si je vous recommande cette sobre vertu là où elle diminue les chances d’erreur et de malfaisance, il est des sentiments où je ne vous conseille plus du tout d’être modérés : c’est l’amour du bien et c’est l’amour du pays. […] On peut dire que cette paysanne a autant inventé et créé, dans l’ordre du sentiment, qu’un Newton dans la science ou un Corneille dans la poésie. […] Ce lien, elle l’a si profondément senti, que ce sentiment l’a faite capable d’actions héroïques ; que, par là, elle a révélé ce lien à beaucoup d’hommes de son siècle et l’a rendu plus réel qu’il n’était auparavant. […] Soyez fidèles au premier, aimez le second, vénérez la troisième ; et, puisque les sentiments sincères ne manquent jamais de se traduire par des actes, ce sera là, pour vous, un sérieux commencement de vie morale.
Il est devenu sensible pour tous que les idées anciennes non seulement étaient décréditées, mais encore qu’elles étaient frappées d’une sorte d’obscurité qui les rendait inintelligibles au plus grand nombre ; comme les paroles de cette fille de Priam, qui étaient empreintes du sentiment de l’avenir, mais à qui le don d’imposer la croyance avait été refusé. […] On plaide toujours avec gêne devant des juges prévenus, surtout lorsque l’on diffère de langage avec eux ; on voudrait vaincre des répugnances, faire des concessions pour être écouté avec moins de défaveur, s’accommoder aux temps et aux lieux ; couvrir, s’il est permis de parler ainsi, par le néologisme du langage, l’archaïsme des idées et des sentiments. […] Remarquez bien qu’il ne s’agit plus ici d’une simple composition littéraire où le lecteur, placé dans une sphère convenue d’idées et de sentiments, se prête à toutes les illusions qui lui sont prescrites, et s’émeut vivement d’une création dont il a adopté d’avance toutes les données. […] Des opinions ne peuvent avoir l’impulsion irrésistible des sentiments, et cependant ou défendait des opinions comme on eût défendu des sentiments. Aussi arrivait-il encore qu’on voulait tourner les opinions en sentiments, et cela dans tous les partis : alors c’était tout ce qu’il pouvait y avoir de plus discordant.
À Rome, on a le sentiment qu’on domine le temps et la mort avec laquelle on aime à vivre. […] Mon cœur a besoin de sentiments, et je ne trouve ici que de l’esprit et de la bienveillance. […] Une théorie de sentiments faite avec vous ! […] — Le sentiment d’être aimé est pour moi le rayon du soleil pour le moucheron. […] Un sentiment placé dans une âme vide n’a que des explosions.
Ce sentiment, tempérant le premier, l’ennoblissait. […] Au paradis de l’imbécillité succéda celui des bons sentiments. […] Sentiment universel, soutiens et dévore ma vie ! […] Elle avilissait du même coup le sentiment religieux. […] Les sentiments humains lui inspirent des sarcasmes parce qu’il n’admet le sentiment que dans sa pureté céleste.
Leurs rêveries secrètes, leurs sentiments inexprimés, leurs voix intérieures trouvaient en lui un divin organe. […] Il y avait en lui plus d’intuition que de réflexion, plus de sentiment que d’idée, plus d’impétuosité que de raison, en un mot, à mon sens, il a été, en politique, un philosophe, et en littérature, un merveilleux improvisateur, parfois sublime, le plus étonnant que la France ait jamais possédé, mais un improvisateur. […] L’expression des sentiments généreux, où il avait trouvé son domaine, appartient uniquement au génie. […] Il semble vraiment que son âme ne lui ait pas appartenu : elle flottait au souffle des sensations, des sentiments, des idées, aérienne, inconsistante, légère et musicale. […] C’est le sentiment pur qui s’exprime dans l’atmosphère qui lui convient ; c’est l’existence même de l’âme qui se révèle à nous par la nature impalpable des images, les subtiles associations de sons et de mots.
L’irrespect à l’égard des décisions des groupes est un sentiment qui tend à prédominer citez des âmes très cultivées et très délicates. […] Durkheim nous semble trop compter sur les sentiments de résignation et d’obéissance que doit engendrer, selon lui, dans les âmes des individus, l’expérience des contraintes sociales et de la toute-puissance de la société. […] C’est pourquoi au fond de l’un et de l’autre individualisme on retrouve le même sentiment d’une antinomie entre l’individu et la société. […] Elle s’oppose de toutes ses forces au novateur qui froisse ses sentiments, ses habitudes, ses préjugés, qui alarme ses intérêts. […] L’individualisme aristocratique s’achève logiquement par le pessimisme social, par le sentiment d’un conflit où l’individualité supérieure est fatalement vaincue.
Mon sentiment à ce sujet est celui du très petit nombre, je le sais. […] En admettant que le sentiment humain, c’est-à-dire moderne, doive prédominer sans cesse, à quoi bon se mettre sous l’invocation d’Homère, ici plutôt qu’ailleurs ? […] Il ne lui était pas donné de dégager nettement l’artiste de l’homme, et de se pénétrer à son gré des sentiments et des passions propres aux époques et aux races disparues. […] Que de vers superbes, spacieux, animés d’un mâle sentiment de nature et se ruant à l’assaut des hautes périodes ! […] Cependant, au sentiment de vive gratitude que j’éprouve se mêle une appréhension légitime en face de la tâche redoutable que vos bienveillants suffrages m’ont imposée.
Spencer, d’après laquelle les plaisirs sont des sentiments modérés, et les douleurs des sentiments extrêmes, on apercevra aussitôt la raison pour laquelle les œuvres les plus émouvantes et les plus estimées expriment des spectacles ou des idées tristes. […] Enfin autour de ces sentiments primaires, on parviendra à en grouper de moins accusé qui complètent l’aspect de l’œuvre. […] On peut ne pas aimer Balzac, mais de ceux qui l’ont lu, aucun ne dira qu’il ressent un sentiment de grâce ou de langueur ni que cela vient du style noble et fleuri de ce romancier. […] La subjectivité dans l’appréciation des œuvres d’art affecte, en majeure partie, le degré mais non la nature du sentiment qu’elles provoquent. […] Que le sentiment esthétique que peut causer une chose utile, est de même nature que le sentiment de plaisir qu’elle donne au moment où on en a besoin ; b).
Mais il le prouve médiocrement, parce que ses idées sont moins profondes que ses sentiments. […] » complétant et comblant le sentiment de lassitude, s’exprime encore mieux ! […] Aucune idée un seul sentiment, celui de ! […] Cet homme, si habitué à vivre de sentiments exquis, se souciait bien d’avoir des idées ! […] Quand il sort des quelques grands sentiments que j’ai indiqués, il est très inférieur.
M. de Humboldt, dans un des volumes du Cosmos, a traité du sentiment de la nature physique et du genre descriptif, en les suivant aux diverses époques et dans les différentes races ; il a aussi traité de la peinture du paysage dans ses rapports avec l’étude de la nature. […] Le sentiment du charme particulier qui s’attache à la reproduction des scènes de la nature par le pinceau est une jouissance toute moderne. […] Pour Töpffer, il y a une vie cachée dans tout paysage, un sens, quelque chose qui parle à l’homme ; c’est ce sentiment qu’il s’agit d’extraire, de faire saillir, de rendre par une expression naïve et fidèle qui n’est pas une pure copie. […] Il faut s’y mettre avant tout, et, pour peu qu’on ait de sentiment naturel en face des objets, le suivre, y obéir, travailler à y donner jour. […] » Les sentiments élevés, ceux que naturellement la pensée de sa mort réveille, nous reviennent à son sujet.
De l’amour de la gloire De toutes les passions dont le cœur humain est susceptible, il n’en est point qui ait un caractère aussi imposant que l’amour de la gloire ; on peut trouver la trace de ses mouvements dans la nature primitive de l’homme, mais ce n’est qu’au milieu de la société que ce sentiment acquiert sa véritable force. […] La célébrité qu’on peut acquérir par les écrits est rarement contemporaine, mais alors même qu’on obtient cet heureux avantage, comme il n’y a rien d’instantané dans ses effets, d’ardent dans son éclat, une telle carrière ne peut, comme la gloire active, donner le sentiment complet de sa force physique et morale, assurer l’exercice de toutes ses facultés, enivrer enfin par la certitude de la puissance de son être. […] Une idée peut se composer des réflexions de plusieurs ; un sentiment sort tout entier de l’âme qui l’éprouve ; la multitude, qui l’adopte, a pour opinion l’injustice d’un homme exercée par l’audace de tous ; par cette audace qui se fonde et sur la force, et plus encore sur l’impossibilité d’être atteint par aucun genre de responsabilité individuelle. […] S’il est donc vrai que choisir le malheur est un mot qui implique contradiction en lui-même ; la passion de la gloire, comme tous les sentiments, doit être jugée par son influence sur le bonheur. Les amants, les ambitieux mêmes peuvent se croire, dans quelques moments, au comble de la félicité ; comme le terme de leurs espérances leur est connu, ils doivent être heureux du moins à l’instant où ils l’atteignent ; mais cette rapide jouissance même ne peut jamais appartenir à l’homme qui prétend à la gloire ; ses limites ne sont fixées par aucun sentiment, ni par aucune circonstance.
Ces travaux suspendent l’action de l’âme, dérobent le temps, ils font vivre sans souffrir ; l’existence est un bien dont on ne cesse pas de jouir ; mais l’instant qui succède au travail, rend plus doux le sentiment de la vie, et dans la succession de la fatigue et du repos, la peine morale trouve peu de place. […] Soit qu’on lise, soit qu’on écrive, l’esprit fait un travail qui lui donne à chaque instant le sentiment de sa justesse ou de son étendue, et sans qu’aucune réflexion d’amour-propre, se mêle à cette jouissance, elle est réelle, comme le plaisir que trouve l’homme robuste dans l’exercice du corps proportionné à ses forces. […] C’est surtout en combinant, en développant des idées abstraites, en portant son esprit chaque jour au-delà du terme de la veille, que la conscience de son existence morale devient un sentiment heureux et vif ; et quand une sorte de lassitude succéderait à cette exertion de soi-même, ce serait aux plaisirs simples, au sommeil de la pensée, au repos enfin, mais non aux peines du cœur, que la fatigue du travail nous livrerait. […] Le joug d’une loi commune à tous, ne fait point naître ces mouvements de rage qu’un sort sans exemple exciterait ; en réfléchissant sur les générations qui se sont succédées au milieu des douleurs, en observant ces mondes innombrables, où des milliers d’êtres, partagent simultanément avec nous le bienfait ou le malheur de l’existence, l’intensité même du sentiment individuel s’affaiblit, et l’abstraction enlève à soi-même. […] Il accomplit les actions ordinaires de la vie comme dans un état de somnambulisme ; tout ce qui pense, tout ce qui souffre en lui, appartient à un sentiment intérieur, dont la peine n’est pas un moment suspendue.
Du sentiment de la nature introduit par Rousseau, il nous fait passer à la sensation de la nature, à la pure sensation sans mélange d’idées ni même de sentiment. […] Ici, nous sommes dépaysés ; et l’étrangeté de ce monde exotique a une force particulière pour exciter en nous le sentiment des beautés naturelles. […] Sur le monde malade d’un abus d’esprit, lassé de la vie la plus artificielle qui fut jamais, disposé déjà par Jean-Jacques à goûter le sentiment plus que la pensée, cette églogue rafraîchissante tomba. […] Ce ne sont pas deux caractères, ce sont deux noms, quelques sentiments élémentaires, simples, larges, plus rêvés qu’observés, quelques attitudes gracieuses ou touchantes ; c’est un doux et triste songe d’amour pur, par lequel l’humanité se repose des réalités rudes. Paul et Virginie sont d’irréelles et suaves figures de poème ; un sentiment élégiaque et lyrique les a créées.
Au nom du sentiment libre et spontané du comique et du beau, Dorante combat et réfute la méthode dogmatique suivie en critique par Lysidas. […] Uranie s’abandonne, au contraire, et se fie à tous les sentiments que L’École des femmes excite en elle. […] Il explique les variations, les défaillances et les erreurs du sentiment littéraire chez Uranie. […] Il explique enfin comment les sentiments d’Uranie, ainsi que ceux de M. […] Elle n’avait encore ni observé ni éprouvé les sentiments raffinés qui composent le tissu de ce drame émouvant.
L’impulsion du mouvement, c’est-à-dire le Sentiment, vint aux Romantiques de Jean-Jacques Rousseau. […] Le monde prit une attitude sérieuse bien avant d’avoir des sentiments sérieux : peut-être s’hypnotisa-t-il dans cette attitude et le geste évoqua le sentiment. Mais l’attitude outrepassa l’expression réelle du sentiment sincère. […] Walter Scott est une réduction au « bon sens » de tous les sentiments qui mouvementent son temps : or, réduits au bon sens — plutôt au « sens commun », — ces sentiments rentrent dans leur néant natal. […] — Musset resta toujours à l’heure et avec les sentiments de sa Confession, une heure navrante, des sentiments d’impuissance, — la conscience du désespoir.
Ici nous proposons d’ouvrir un nouveau sentier à la critique ; nous chercherons dans les sentiments d’une mère païenne, peinte par un auteur moderne, les traits chrétiens que cet auteur a pu répandre dans son tableau, sans s’en apercevoir lui-même. […] Or, les sentiments les plus touchants de l’Andromaque de Racine émanent pour la plupart d’un poète chrétien. […] L’antiquité ne parle pas de la sorte, car elle n’imite que les sentiments naturels : or, les sentiments exprimés dans ces vers de Racine ne sont point purement dans la nature ; ils contredisent au contraire la voix du cœur. […] Cette humilité que le christianisme a répandue dans les sentiments, et qui a changé pour nous le rapport des passions, comme nous le dirons bientôt, perce à travers tout le rôle de la moderne Andromaque.
S’il existait une religion qui s’occupât sans cesse de mettre un frein aux passions de l’homme, cette religion augmenterait nécessairement le jeu des passions dans le drame et dans l’Épopée ; elle serait plus favorable à la peinture des sentiments que toute institution religieuse qui, ne connaissant point des délits du cœur, n’agirait sur nous que par des scènes extérieures. […] Un de nos plus doux sentiments, et peut-être le seul qui appartienne absolument à l’âme (les autres ont quelque mélange des sens dans leur nature ou dans leur but), c’est l’amitié. […] Ce sentiment se fortifie autant par les oppositions que par les ressemblances. […] Chez les hommes de l’antiquité, l’avenir des sentiments ne passait pas le tombeau, où il venait faire naufrage. […] La jouissance des sentiments honnêtes sur la terre n’est que l’avant-goût des délices dont nous serons comblés.
Nous découvrirons aux sentiments moraux des sources plus profondes. […] Analysez le sentiment du remords dans l’âme du grand criminel. […] La propulsion exercée par le sentiment peut d’ailleurs ressembler de près à l’obligation. […] Dans la morale de l’aspiration, au contraire, est implicitement contenu le sentiment d’un progrès. […] Ce n’est pas en élargissant des sentiments plus étroits qu’on embrassera l’humanité.
Un poison inconnu se mêlait à tous mes sentiments… Je suppose, Céluta, que le cœur de René s’ouvre maintenant devant toi : vois-tu le monde extraordinaire qu’il renferme ? […] Il continue sur ce ton, bouleversant à plaisir tous les sentiments naturels, avec une magie pleine d’intention et d’artifice. […] Il fait de tout, même du sentiment filial, matière à apothéose et à vanité. Ces sentiments divers qu’on trouve exprimés dans la lettre du René des Natchez, on les vérifierait dans les autres écrits et dans la vie de M. de Chateaubriand, en la serrant d’un peu près. […] » Nous touchons là à l’accent distinctif et nouveau qui caractérise Chateaubriand dans le sentiment et dans le cri de la passion.
Le souvenir de Tacite, qu’il admire, l’aide à maintenir sa violence de sentiment dans les bornes d’une nerveuse et grave émotion. […] Sa poésie amoureuse est d’une finesse abstraite, et transpose avec une exquise précision le sentiment en idée. […] Les sentiments sont en harmonie avec le costume : cela n’est d’aucun temps. […] Le vrai dans les sentiments, c’était bien fin pour qu’on y vînt d’abord ; et puis on n’était pas encore assez persuadé, ni par d’assez rudes expériences que les grands sentiments n’étaient pas le vrai. […] Dans les cadres historiques, ils mirent les sentiments à la mode, les occupations à la mode, héroïsme, galanterie, conversation.
Dans le premier cas, c’est affaire de sentiment ; dans le second, de raisonnement. […] Il se mêlait à ces sentiments une disposition naturelle à la paresse. […] En elles, nul sentiment qui ne brave la critique. […] Son affection filiale, ses sentiments religieux le lui défendent. […] Dieu, que cet homme a le sentiment de la ruine !
Il n’a rien découvert, mais il a tout enflammé ; et le sentiment de l’égalité, qui produit bien plus d’orages que l’amour de la liberté, et qui fait naître des questions d’un tout autre ordre et des événements d’une plus terrible nature, le sentiment de l’égalité, dans sa grandeur comme dans sa petitesse, se peint à chaque ligne des écrits de Rousseau, et s’empare de l’homme tout entier par les vertus comme par les vices de sa nature. […] Quand la philosophie fait des progrès, tout marche avec elle ; les sentiments se développent avec les idées. […] Les sentiments, les situations, les caractères que Voltaire nous présente, tiennent de plus près à nos souvenirs. […] Tancrède expire alors qu’il eût souhaité de vivre, et néanmoins il meurt avec un sentiment plus doux. […] L’homme de lettres, alors qu’il vit dans un pays où le patriotisme des citoyens ne peut jamais être qu’un sentiment stérile, est, pour ainsi dire, obligé de se supposer des passions pour les peindre, de s’exciter à l’émotion pour en saisir les effets, de se modifier pour écrire, et de se placer, s’il se peut, en dehors de lui-même pour examiner quel parti littéraire il peut tirer de ses opinions et de ses sentiments.
Non, mais je pense qu’elles saisissent un seul et même objet, l’infini, de deux manières différentes : l’une par le sentiment, l’autre par le raisonnement. […] Si pourtant le sentiment religieux, comme la philosophie spiritualiste l’enseigne, n’est pas une chimère ou une illusion, si Dieu n’est pas une pure fiction de l’imagination, si l’âme humaine va naturellement et nécessairement vers l’infini ; si d’un autre côté le sentiment religieux, comme tous les autres sentiments, ne se nourrit que d’actes, si les actes religieux sont nécessairement des actes sociaux, il faut une religion, même aux philosophes. […] Le miracle écarté, il reste encore l’idée de la Divinité et de son action incessante sur l’univers ; il reste le sentiment religieux qui unit l’homme à Dieu. Or il y a dans l’histoire certains hommes qui ont éprouvé au plus haut degré le sentiment de l’union de l’homme et de Dieu ; ceux-là sont les initiateurs religieux, ce sont des médiateurs. […] Soit ; mais si l’idée de Dieu est trop pauvre et trop froide pour réunir les hommes en un sentiment commun, avouez alors que c’est une idée vaine, et rendez les armes aux athées.
Plus que jamais on risque, devant un objet qui excite tant de sentiments divers, de confondre le vrai et le voulu, la réalité et l’idéal, la science, et la pratique. […] Affaire de sentiment, diront les uns. […] Les sentiments qu’elle éveille habituellement viennent s’interposer entre elle et nous, au moment même où nous la tenons sous le regard de notre intelligence. […] En ce sens, dans la mesure où nos sentiments moraux se justifient eux-mêmes par des principes, c’est bien notre métaphysique qui choisit notre parti politique. […] Entre deux hommes qui s’entendent sur la définition de l’idéal social à réaliser, tout en ne s’entendant pas sur le choix des types d’institutions à favoriser ou à combattre, ne peut-on décider, abstraction faite de tout sentiment personnel ou de tout principe métaphysique, par une recherche objective ?
La Boétie mérite donc l’intérêt non seulement des érudits, mais de tous ceux qui s’occupent des lettres au point de vue de la morale et des sentiments les plus chers à l’homme. […] Il est, si j’en ose parler d’après ceux qui le connaissent, de ces natures élevées, originales, qui ont besoin d’admirer, d’aimer, et qui, même dans l’ordre intellectuel, n’ont de satisfaction réelle que de se dévouer exclusivement à ce qu’ils aiment, à la mémoire illustre en qui leur sentiment de vénération et d’idéal s’est une fois logé. […] Ce qui nous frappe dans tous les endroits où Montaigne parle de La Boétie, ce n’est pas seulement l’affection, c’est le respect et l’admiration, sentiments que Montaigne, en général, ne prodiguait pas, mais qu’il pousse jusqu’à l’apparence de l’illusion lorsqu’il parle de son ami. […] Dans cette traduction, j’ai accusé le mieux que j’ai pu le sentiment, et l’ai dégagé des centons de vers latins qui le masquent. […] Il arrive d’ordinaire, dans les réflexions de moraliste sur les sentiments, qu’on ne fait ainsi que généraliser ses impressions secrètes et l’histoire de son propre cœur.
En le lisant de suite, on peut se faire une idée très juste de l’homme, de ses sentiments, de ses délicatesses, de ses scrupules ou de ses ravissements de pensées, de ses petitesses aussi. […] Il avait le sentiment filial très profond, très développé : Le respect filial a été dès mon enfance, disait-il, un sentiment sacré pour moi. J’ai approfondi ce sentiment dans mon âge avancé, il n’a fait que se fortifier par làe. […] Ils croient traiter des vérités d’intelligence, tandis qu’ils ne traitent que des affections et des sentiments ; ils ne voient pas que la femme passe tout, pourvu qu’elle trouve l’harmonie de ses sentiments ; ils ne voient pas qu’elle sacrifie volontiers à cette harmonie de ses sentiments l’harmonie des opinions… Tenons-nous en garde contre les fournaises. […] J’ai approfondi ce sentiment dans mon âge avancé, et il n’a fait que se fortifier par là.
Une chose peut nous surprendre comme merveilleuse, mais aussi comme nouvelle, & encore comme inattendue ; & dans ces derniers cas, le sentiment principal se lie à un sentiment accessoire fondé sur ce que la chose est nouvelle ou inattendue. […] Des diverses causes qui peuvent produire un sentiment. Il faut bien remarquer qu’un sentiment n’a pas ordinairement dans notre ame une cause unique ; c’est, si j’ose me servir de ce terme, une certaine dose qui en produit la force & la variété. […] Il arrive souvent que notre ame sent du plaisir lorsqu’elle a un sentiment qu’elle ne peut pas démêler elle-même, & qu’elle voit une chose absolument différente de ce qu’elle sait être ; ce qui lui donne un sentiment de surprise dont elle ne peut pas sortir. […] Si elle la regarde avec l’idée de ce qui peut nous nuire, & avec une idée de comparaison avec ce qui a coûtume de nous émouvoir & d’exc ter nos desirs, elle la regarde avec un sentiment d’aversion.
L’émotion qu’elle procure ne se traduit pas en actes, immédiatement, et par ce point les sentiments esthétiques se distinguent des sentiments réels violents. […] La mise en jeu fréquente de tout un groupe de sentiments par un spectacle fictif, par des idées irréelles, par des causes qui ne peuvent pousser ces sentiments jusqu’à fade ou à la volition, affaiblit très probablement, par la désuétude de cette transition, la tendance des émotions réelles à se transformer de la sorte ; et les sentiments esthétiques étant dénués, à proprement parler, de souffrance, étant agréables et pouvant être provoqués à volonté quand on a appris à en jouir, on ne désire plus en ressentir d’autres ; le rêve dispense de faction. D’autre part, l’excitation factice habituelle d’un certain groupe de sentiments tels que la pitié, le dédain, l’enthousiasme, la rêverie, doit comme tout exercice de toute faculté, tendre à augmenter la force de ce groupe de sentiments, à détruire l’équilibre mental précédent et à altérer la conduite dans le sens de l’une de ces inclinations. […] Car s’il est vrai que les images, les sentiments, les sensations que ces œuvres suggèrent, sont faits pour surgir dans l’esprit d’hommes dont la vertu ou le crime importent à leurs semblables, s’il est vrai que ces images et ces sentiments influent sur la nature et la force de leur âme, il ne saurait être admis que, socialement, toute œuvre d’art paraisse innocente, soit pour la cité, soit plus profondément, pour le bien mémo de la race. […] Ceux-ci distingueront entre les ouvrages qui tendent à suggérer des sentiments qui doivent décroître, s’il faut que la race ou l’Etat vive, et ceux qui contribuent au contraire à rendre l’homme plus sain, plus joyeux, plus moral, plus noble.
Tels étaient mes sentiments et tels ils sont encore, quand j’y pense, envers le changement contre nature et contre justice de dynastie en 1830. […] je ne saurais vous le dissimuler : j’emporte un profond sentiment de tristesse. […] L’amitié de ces deux femmes l’une pour l’autre prouve le sentiment d’une affection sans jalousie dans l’auteur de Corinne, et le sentiment d’une affection sans envie dans madame Récamier. […] Cédant à l’émotion du sentiment qu’elle inspirait au prince Auguste, Juliette écrivit à M. […] Il savait se désintéresser complétement de lui-même, pourvu qu’on lui permît d’adorer le beau : le beau dans les idées, le beau dans les sentiments, le beau dans l’âme, dans le talent, dans le visage.
L’écharpe ondoyante du vers ne doit servir qu’à « vêtir de grandes pensées et de grands sentiments ». […] Mais non ; il n’existe pas d’expressions assez nombreuses, assez polychromes pour s’assortir à tous nos sentiments. […] Sans savoir, j’ai planté en vous par sympathie mon sentiment. […] Brunetière, avec le sentiment ou l’idée à traduire, est donc autrement profond, constitutif, approprié. […] C’est ce qui faisait dire à Malebranche que nous connaissons l’âme par sentiment.
Cela restait grêle, léger et joli : un rythme vif, sautillant, aimable, merveilleusement apte à recevoir cette mousse de sentiments, qui débordent de l’âme sans l’emplir. […] Il n’est pas difficile de supposer que, l’identité des mots aidant, l’amour chrétien, aspiration éperdue vers le Dieu infini et parfait, désir affiné et subtilisé parle sentiment du néant de l’âme amoureuse devant l’incompréhensible objet de l’amour, ce sentiment de tendresse mystique a fourni le type de la dévotion galante de l’amant à sa dame. […] Quel rapport en effet ont-elles avec la qualité du sentiment dont elles introduisent l’expression ? […] Nul sentiment aussi et nul amour de la nature : point de vision ni d’expression pittoresque des formes sensibles. […] Le début a du sentiment, j’en conviens : mais la suite est un discours moral, à la mode de nos odes classiques.
Imaginer n’est-ce pas associer des idées ou sentiments acquis antérieurement pour produire quelque construction qui ressemble à la réalité ? […] Nous pouvons raviver sous forme d’idées des sensations et sentiments depuis longtemps passés. […] Dans tout sentiment il y a donc deux états opposés, dans tout acte de connaissance deux choses qui sont connues ensemble. […] Les sentiments d’hommes qui diffèrent tout à fait de nous par leur position, leur caractère, leurs occupations, ne peuvent être conçus que par un procédé constructif. […] Le critère de l’artiste est le sentiment, son but un plaisir délicat.
Il y aura nécessairement une part de roman encore mêlée à des sentiments vifs et réels. […] En tout cas, quand on est jeune, fût-on la distinction même, on glisse vite sur ces défauts à une première lecture ; on s’attache à ce qui plaît, à ce qui nous offre l’expression idéalisée la plus moderne de nos sentiments, de notre situation ou de notre désir. […] Ces sortes d’ouvrages qu’une génération accueille à leur naissance, qu’on peut lire à deux, et avec lesquels, pour ainsi dire, on aime, sont très délicats à analyser ; il semble que le critique, en venant y relever ce qui le choque et ce qui détonne, s’immisce plus ou moins dans des sentiments particuliers et chers, et qu’il fasse le rôle d’un trouble-fête. […] Puis d’autres générations surviennent vite, qui ne se laissent plus prendre aux mêmes défauts, qui en veulent d’autres, qui veulent surtout qu’on renouvelle le costume et les modes de leurs sentiments. […] Le poète descriptif intervient indiscrètement, avec ses artifices et ses jeux de pinceau, au milieu des sentiments bien autrement personnels et égoïstes d’un amour naissant.
Ce que nous appelons proprement amour parmi nous, est un sentiment dont l’antiquité a ignoré jusqu’au nom. […] C’est encore au christianisme que l’on doit ce sentiment perfectionné ; c’est lui qui, tendant sans cesse à épurer le cœur, est parvenu à jeter de la spiritualité jusque dans le penchant qui en paraissait le moins susceptible. […] Cet amour n’est ni aussi saint que la piété conjugale, ni aussi gracieux que le sentiment des bergers ; mais, plus poignant que l’un et l’autre, il dévaste les âmes où il règne. […] Les sentiments se pressent tellement dans son cœur, qu’elle les produit en désordre, incohérents et séparés, tels qu’ils s’accumulent sur ses lèvres. […] Elle atteste aussi les lieux témoins de son bonheur, car c’est une coutume des malheureux, d’associer à leurs sentiments les objets qui les environnent ; abandonnés des hommes, ils cherchent à se créer des appuis, en animant de leurs douleurs les êtres insensibles autour d’eux.
Mais les miennes seront d’un ordre de sentiment supérieur. […] La puissance du sentiment apparaît peut-être mieux quand le talent est moindre. […] ou bien un vague et noble sentiment de religion ? […] Toujours le rôle du sentiment est le même. […] Bien mieux, ce n’est qu’avec l’aide de ces sentiments, de ces tendances puissantes et profondes que l’œuvre et les autres sentiments qui l’avaient inspirée pourront se transformer.
Le sens de Psyché serait celui-ci : Psyché ne s’est pas contentée de l’amour, tel qu’elle l’avait ; Psyché a voulu savoir le fond des choses de l’amour, elle a voulu savoir le fond des choses du sentiment, c’est-à-dire qu’elle a analysé ses sentiments. Or, nous savons très bien qu’à vouloir analyser ses sentiments, on les dissout, on les ruine et on les dessèche. Le sentiment s’évanouit quand on veut l’analyser… Ce n’est pas du tout ce que je pense, au moins. Je crois que le sentiment s’évanouit quand on l’analyse, lorsqu’il est faible, et je crois que le sentiment se fortifie et s’agrandit quand on l’analyse, lorsqu’il est fort. […] C’est que le classique, parce qu’il aime la vérité, a un sentiment juste de la mesure, et il la donne.
Tout ce qu’il a fait prouve tant de fond, un sentiment si réfléchi que l’on ne peut voir ses tableaux sans s’arrêter longtemps à les considérer. […] Je vous avouerai, cher ami, qu’en faisant ces observations, je ne pouvais m’empêcher de trouver l’immortel Raphaël bien au-dessous de la nature, et il me semble qu’avec son sentiment sublime, il aurait frappé bien plus fort s’il eût donné à tous ses sujets juifs tout le caractère que la nature offre. […] Ce qui me le fait croire est le sentiment dont je ne peux me défendre en voyant ce que j’ai fait : c’est toujours un sentiment désagréable. […] Et il expliquait, il cherchait à définir ce sentiment d’au-delà que rien ne pouvait satisfaire : C’est le sentiment de la nature que je pense avoir plus que je ne l’ai exprimé jusqu’ici, et que je cherche à mettre sur ma toile ; mais, quand ce sentiment est profond et réfléchi, il ne peut se rendra comme celui qui ne donne que l’écorce. Voilà en quoi il y a une grande différence dans les talents, et j’ajouterai encore que l’on se fait une exécution suivant son sentiment.
Restent les sentiments. […] « Vous n’y reconnaissez pas, dites-vous, les sentiments habituels de Mme de Staël. » Encore un coup, vous m’étonnez ! […] Voilà le point unique, une question non de sentiment, mais de fait et d’application. […] Le 1er mai 1814, Sismondi, alors en Italie, à Pescia, préludait à ses sentiments de 1815, et il écrivait à. […] Tout ressentiment personnel, toute haine, quelque motivée qu’elle fût, a cédé au sentiment fondamental d’une Française ; elle n’a plus considéré que l’indépendance et l’honneur de la France. » Il paraît même qu’on en avait dit à Mme d’Albany plus qu’il n’y en avait sur ce revirement de sentiments et de désirs de Mme de Staël, à la veille et à l’heure du changement de régime.
Les livres de sentiment Il est permis de lire un peu moins lentement les auteurs qui ont pour matière les sentiments de l’âme humaine, guère moins du reste. […] L’auteur sentimental peint les sentiments du cœur moins pour les peindre que pour nous les inspirer. Il est un semeur de sentiments comme le philosophe est un semeur d’idées. […] Toucher, c’est faire partager au lecteur les sentiments qu’on a prêtés à ses personnages ; c’est nous mettre, par une sorte de contagion, dans l’état d’âme et dans les divers états d’âmes des personnages qu’on a créés. […] Voilà ce que j’appelle s’abandonner, ce qui est nécessaire absolument quand c’est à un écrivain de sentiment que l’on a affaire.
Le déterminisme intérieur revient sur lui-même et se modifie par la conscience qu’il a de soi et par le sentiment agréable ou pénible de son processus. […] Ce n’est pas à dire que nos sentiments et nos volitions n’aient point une influence indirecte sur nos croyances. […] Cette forme est une manière de sentir et de réagir, un certain mode de sentiment lié à un certain mode d’action et de mouvement. Ce sentiment n’est autre, en dernière analyse, que le sentiment de la similitude, lié à une exertion de mouvements semblables qui, avant d’être exécutés et réalisés pleinement, sont sentis à l’état naissant et comme dans leur source vive. […] Supprimez de la conscience toutes les représentations, tous les sentiments, tout le concret, que restera-t-il ?
Je trouve, dans des notes qu’il écrivait alors, l’expression exagérée, mais bien vive, du sentiment de fierté qui l’ulcérait : « Que me parlez-vous de joie ? […] La pensée arrive alors, non plus seulement comme vérité, mais comme sentiment. […] « Il s’efforce d’aimer et de croire, parce que c’est là-dedans qu’est le poëte : mais sa marche vers ce sentiment est critique et logique, si je puis ainsi dire. […] Mais plus le prix reste bourgeois, et plus est noble l’héroïsme, ou, pour l’appeler par son vrai nom, plus est pur le sentiment du devoir. […] Ce mot est dur pour la monarchie de Juillet ; je ne l’aurais pas écrit plus tard ; et pourtant il exprime un sentiment que bien des hommes de ma génération partagèrent.
Ces deux sentiments, d’ailleurs, ou vont ensemble ou s’engendrent tour à tour. […] et que les brahmanes rêvent, et que la vision s’évanouisse dans leurs yeux fixes, le sentiment dans leur cœur et la pensée dans leur cerveau ! […] Toutefois l’obsession du Destin et le sentiment de la vanité de toutes choses ont suivi l’humanité dans ses immigrations vers l’Occident. […] L’horreur en face de l’inconnu et la révolte contre ce qui est n’étaient chez eux que des sentiments passagers ; leur activité les sauvait de tout. […] Ce qui est au fond, c’est un sentiment de révolte contre le monde mauvais et contre l’inconnu inaccessible, sentiment douloureux que vient apaiser la curiosité critique et esthétique et qui se résout enfin dans une étude sereine de l’histoire et de la nature pittoresque.
Elle était donc, du premier jour, passée maître dans cetteescrime de la pensée et du sentiment. […] Ce qu’échangeaient les deux amies de sentiments élevés, exquis et mystérieux, est inimaginable. […] Une parfaite latitude nous est laissée à cet égard par la Religion ; et l’assentiment, ou plutôt le pressentiment universel (de toutes les preuves de sentiment la plus forte) semble le garantir comme fondé. […] La pensée et l’esprit n’y sont jamais oubliés, mais le sentiment aussi y a sa part, son intérêt et son jeu. […] De tels sentiments sont de l’ordre le plus respectable et des plus faits pour honorer la nature humaine : sans eux qu’est la vie, même la plus aimable ?
» Mais que sont ces impressions fugitives, ces brèves effusions éparses, auprès de l’enthousiasme continu et de l’immense amour qui possède l’âme entière de quelques-uns de nos contemporains C’est, dit-on, le même sentiment ; ce n’est qu’une différence de degré. […] Je crois que les plus récentes conceptions de l’histoire du monde, surtout la théorie de l’évolution, ont contribué à développer ce sentiment. […] Il nous fait éprouver que nous sommes entourés d’inconnu et réveille en nous le sentiment du mystère, qui risquerait de se perdre par l’abus de la science et par la sotte confiance qu’elle inspire. […] On dirait qu’ils sont à peine sortis de la matrice universelle, à peine dégagés de la boue féconde des antiques déluges, et que leurs yeux viennent à peine de s’ouvrir sur le monde, tant ils y sentent d’inconnu et tant leurs idées sont simples et leurs sentiments abrupts. […] Or, la poésie n’est qu’imagination et sentiment.
Ce n’est pas du tout en nous plaçant au point de vue de la matière que nous le combattrons ; nous ne ferions que laisser une abstraction pour une autre ; nous aurions raison contre lui, et il aurait raison contre nous ; il nous suffira pour triompher de rester en plein dans le réel, dans l’unité substantielle de l’esprit et de la matière, dans le sentiment, dans la vie. […] Ce moi supérieur et complet, cette vie réelle et vraiment vivante, ce sentiment au sein duquel la conscience réfléchie, c’est-à-dire la connaissance, n’est qu’un redoublement plus marqué, échappe aux psychologistes qui se laissent prendre sans cesse à leurs propres abstractions. […] Ils se réduisent à l’intelligence, comme si l’homme n’était que cela ; ils appellent conscience le sentiment que le principe intelligent a de lui-même, comme si c’était là tout le sentiment dans l’homme ; les phénomènes qui se passent hors de la portée de la conscience ainsi définie sont déclarés extérieurs au moi véritable, étrangers à l’homme réel. […] Mais la conscience des psychologistes, c’est-à-dire le sentiment que le principe intelligent a de lui-même, n’est qu’un cas particulier, une manifestation concentrée et restreinte de la sensibilité générale et de la vie. Or notre vie est une, nous le sentons ; qu’elle nous soit révélée par l’intelligence ou par la force, par la pensée ou par l’acte ; qu’elle se rencontre dans la fonction ou dans l’organe, sous l’aspect de l’esprit ou sous celui de la matière, elle est toujours une, comme le sentiment que nous en avons.
Le public, qui ne jouit pas d’ailleurs d’une extrême liberté, aime à entendre réciter des sentiments généreux exprimés en beaux vers. […] Le public va chercher au théâtre français actuel une suite d’odes bien pompeuses, et d’ailleurs exprimant avec force des sentiments généreux. […] Vos sentiments ne sont pas quelque chose de matériel que je puisse extraire de votre propre cœur, et mettre sous vos yeux pour vous confondre. Je vous dis : Vous devez avoir tel sentiment en ce moment ; tous les hommes généralement bien organisés éprouvent tel sentiment en ce moment. […] Au lieu de n’inspirer que de l’admiration, sentiment un peu froid, il ferait couler des torrents de larmes.
Elle voudrait abolir dans les âmes le sentiment de l’individualité, parce que ce sentiment a toujours, virtuellement au moins, quelque chose d’antisocial ; parce qu’il est un principe de diversité et de lutte, un principe de résistance et de désobéissance à la règle. — Sans doute, comme l’homme est un être complexe, comme il existe en lui deux âmes ennemies, l’âme sociale et l’âme individuelle, la morale a dû plus d’une fois tenir compte de cette dualité de notre nature et faire certaines concessions au sentiment de l’individualité. […] Il y a, selon ce moraliste, toute une partie de notre être : la partie intime, la vie intérieure, la vie de la pensée et du sentiment devant laquelle s’arrêtera l’art-moral-scientifique. […] On déclare qu’il n’est pas une de nos pensées, un de nos sentiments, qui n’ait sa répercussion plus ou moins directe sur notre conduite et, par là, sur notre entourage. — Dès lors, comment l’art moral se désintéresserait-il de la vie intérieure, du « jardin secret » de l’individu ? […] Contre les visées sociocratiques des morales, la protestation de l’individu qui veut être lui-même, qui veut tirer de lui-même ses sentiments et ses raisons d’agir et non les demander à des croyances religieuses ou à des impératifs sociaux, la protestation de l’individualité peut prendre deux formes. — Il y a un individualisme négatif qui est l’immoralisme pur et simple, la négation de toute idée morale considérée comme un préjugé destiné à asservir l’individu. […] Mais à vrai dire, ces velléités de sociabilité, ces espérances de sociabilité ou ces concessions à la sociabilité sont rares et précaires ; bientôt vaincues par le sentiment individualiste et antisocial qui est au fond de la morale aristocratique.
Cela signifie, je crois, en langage humain, que certaines formes, certains aspects du monde physique font naître en nous certains sentiments, et que, réciproquement, ces sentiments évoquent ces visions et peuvent s’exprimer par elles. […] Mais ici le poète exprime par une seule image deux sentiments très distincts ; puis il la développe pour elle-même où plutôt la laisse se développer avec une sorte de caprice languissant. […] C’est la poésie du crépuscule exprimée dans le songe encore, avant la réflexion, avant que les images et les sentiments que le crépuscule éveille n’aient été ordonnés et liés par le jugement. […] Sentiment singulier quand on y songe, difficile à comprendre, difficile à éprouver dans sa plénitude. […] Nul sentiment ne doit être plus fort.
Enfin, parmi tous les sentiments de l’âme individuelle ou collective qu’il analyse, le romancier doit tenir compte du sentiment qui inspire toute poésie, je veux dire : Je sentiment de l’harmonie entre l’être et la nature, la résonance du monde visible dans l’âme humaine. […] D’abord, il étudie en leur principe les idées et les sentiments humains, dont l’histoire n’est que le développement. […] Une clarté, une limpidité parfaite, qui tient souvent à ce qu’on ne va pas jusqu’au fond du sentiment dernier et obscur, ou à ce qu’il n’y a pas de sentiment, pas de cœur, rien que des idées, des motifs puérils ou raffinés, des surfaces. […] Mais le sentiment patriotique a changé de mesure, le mot nation est trop vaste, trop vague peut-être pour tenir en un poème. […] Quant à Sylvestre, ce n’est qu’une esquisse : un sentiment très simple l’anime, l’amour de la Bretagne et de la vieille grand’mère.
Car Racine, qui s’y connaissait en fait de sentiments et de passions, n’a jamais connu sa mère. […] Ces thèmes de la poésie lyrique, — nous ne prenons que les plus importants, — furent l’amour, l’idée de la mort, le sentiment de la nature, le sentiment de Dieu. […] Le sentiment de la nature. […] Ainsi, la poésie est dans le sentiment. […] Il n’a pas beaucoup plus de sentiments.
Pareil sentiment se retrouve toujours dans le nouveau livre de M. […] Jammes a retrouvé, en le ridiculisant, le sentiment coppéen. […] Mais cela est affaire de sentiment. […] Madeleine, de Georges Rency. confirme ce sentiment. […] Henry Bérenger ne nous cache pas qu’il trouve ce sentiment déplorable.
Comme exemples de cette classe de sentiments musculaires et de mouvements, on peut citer la chasse, la danse, les cultes orgiastiques de l’Orient, les rites consacrés à Dionysos et à Démêter. […] À proprement parler, cette qualité et celles de grandeur, forme, etc., qui s’y rattachent, nous sont révélées, comme nous l’avons vu, par les mouvements qu’elles causent en nous ; les sentiments qu’elles produisent sont des sentiments de mouvement ou d’état des muscles. […] L’expression du sentiment a aussi son mécanisme instinctif, original. […] Il en a recherché le germe dans cette activité spontanée qui a son siège dans les centres nerveux, qui agit sans aucune impression du dehors, sans aucun sentiment antérieur, quel qu’il soit. […] Le stimulus venant de nos sensations et sentiments, ne fournit pas le pouvoir interne, mais détermine le mode et le lieu de la décharge.
Il y aurait là, suivant son intime sentiment, une sorte de prédestination divine ou fatale, que nulle force humaine ne pourra contrarier. […] On remarquera que les trois hommes dont je vais citer l’opinion représentent des nuances différentes du plus pur sentiment français. […] Il faut que la réalité soit bien écrasante pour qu’elle ait pu un instant dominer l’intense sentiment nationaliste épanoui au cœur de ces trois hommes. […] Il faut lui supposer une conformation particulière de son être intime, pour qu’il puisse concilier le sentiment de sa faiblesse et celle de sa supériorité, la conscience de sa médiocrité et celle de sa prospérité. […] Les conditions d’existence de la société française peuvent subir les transformations les plus radicales, sans que ce sentiment inné de la supériorité essentielle et indépendante de toute réalité, de la France sur le monde, puisse en être altéré.
Les Méditations : naturel, négligence, sentiment. […] On n’apprend rien que le sentiment du poète : « Hélas sur nos amours qui durent peu ! […] Ce sentiment de l’honneur ennoblissait à ses yeux la servitude militaire ; et il a aimé à dire ce qu’il voyait dans l’obéissance passive. […] Mais que la pensée soit haute, le sentiment puissant, l’expression s’enlève, acquiert une plénitude, une beauté incomparables. […] Quand le sentiment ne le soulève pas, Lamartine versifie dans le style de la Henriade, dit M.
Enfin (et c’est ici le point essentiel), l’action est exactement proportionnée au sentiment qui l’inspire ; il y a passage graduel de l’un à l’autre, de sorte que notre sympathie ou notre aversion peuvent se laisser glisser le long du fil qui va du sentiment à l’acte et s’intéresser progressivement. […] Sous les mille actions naissantes qui dessinent au-dehors un sentiment, derrière le mot banal et social qui exprime et recouvre un état d’âme individuel, c’est le sentiment, c’est l’état d’âme qu’ils iront chercher simple et pur. […] Ce sont les sentiments les plus intenses et aussi les plus violents. […] Nous aurons beau donner à ces sentiments des noms généraux ; dans une autre âme ils ne seront plus la même chose. […] De ce qu’un sentiment est reconnu généralement pour vrai, il ne suit pas que ce soit un sentiment général.
C’était ce qu’on pourrait appeler un sentiment littéraire. […] Taine maltraite si fort et qui laisse pourtant un tel sentiment d’angoisse et de mystère. […] Toutes traduisent d’ailleurs une unité de sentiment un peu monotone, mais combien séduisante ! […] Verga a-t-il réussi à s’identifier avec des êtres aux mœurs primitives, aux sentiments simples ? […] ce sentiment inconnu existe-t-il pour être à jamais comprimé ?
. — Impressions d’une femme, pensées, sentiments et portraits (1867). — Tablettes d’une femme pendant la Commune (1872). — Les Militantes, poésies (1876). — Le Long de la vie, nouvelles impressions (1876). […] Sapho par quelques-uns de ses cris, elle aurait encore plus volontiers dans sa richesse d’affections quelque chose de Mistriss Felicia Hemans, et tout annonce chez elle l’abondance des sentiments naturels qui ne demandent qu’à s’épancher avec suite et mélodie. — Béranger et M. de Lamartine, chacun de leur côté, et cette fois sans qu’on puisse y soupçonner de la complaisance, ont déjà donné à l’auteur ce brevet de poète : je ne fais qu’ajouter après eux mon apostille bien sincère. […] C’est de la poésie de sentiment et non de sensation. […] Ceux qui aiment exclusivement les tableaux voyants, les couleurs brillantes et criardes, les éclats de la passion sensuelle, ne goûteront point ces chants, ceux qui aiment les émotions tendres, les sentiments élevés, les accents purs, les liront et les reliront avec plaisir.
C’est d’une dernière branche de cette noble race, déchue en fortune, mais restée intègre par les sentiments, que naquit Maurice de Guérin au château du Cayla près d’Alby, le 4 août 1810, le dernier de quatre enfants. […] Il en fit d’autres où il imitait, pour le rythme et le sentiment, la romance que chante Lautrec dans Le Dernier des Abencérages : « Combien j’ai douce souvenance !… » L’originalité de Maurice de Guérin n’était pas là ; elle était dans un sentiment de la nature, tel qu’aucun poète ou peintre français ne l’a rendu à ce degré, sentiment non pas tant des détails que de l’ensemble et de l’universalité sacrée, sentiment de l’origine des choses et du principe souverain de la vie. […] j’ai cette confiance que tes sentiments religieux me donnent, que la miséricorde de Dieu m’inspire. […] un tout petit ouvrage où j’encadrerais mes pensées, mes points de vue, mes sentiments sur un objet… J’y jetterais ma vie, le trop plein de mon âme qui s’en irait de ce côté.
C’est le Marivaux du chiffon et du sentiment au xixe siècle, de ce sentiment qui, lui-même, le plus souvent n’est guères qu’un chiffon. […] Gustave Droz a des parentés plus ou moins de sang et de prétention avec l’Alfred de Musset du Spectacle dans un fauteuil ; il a, comme Alfred de Musset, le sentiment de la grâce et du caprice de la femme. […] C’est un sensuel que Droz, et si de sensuel, comme il arrive parfois sous l’influence des circonstances qui ennoblissent la vie, il se transforme tout à coup en sentimental, son sentiment n’est, après tout, que de la sensation transformée. […] Mais, justement, Gustave Droz passe tout le temps que dure son livre à se moquer de ce qui pourrait changer sa nature et élever à sa plus haute puissance son sentiment paternel. […] L’auteur du Bébé est de cette école de sentiment et de peinture, avec les facultés de son ordre et le cadre du tableau de genre qu’il s’est choisi.
elle m’en fait encore pitié. » Pitié, c’est le sentiment qu’elle inspire. […] Ne craignez pas de me faire partager votre ennui ; je ne partagerai que vos sentiments, et j’en aurai toujours un infiniment tendre pour vous. […] Le hasard m’a fait connaître le grand-papa et la grand-maman : le sentiment que je leur ai voué m’a dévoyé de ma carrière. […] Il n’en est pas de même des sentiments qui m’attachent à vous. […] La défiance empoisonne ou détruit le sentiment ; elle n’est pas l’ouvrage de la nature.
C’était Bosc, le fidèle ami de Mme Roland, qui se hâtait de donner cette première édition, accueillie avidement par le sentiment public. […] S’il y avait trace aussi et aveu de quelque passion d’âge mûr, de quelque mystère de cœur, opposé au sentiment parfait d’une épouse fidèle, convenait-il de laisser de tels endroits et de découvrir le sein au défaut de la cuirasse ? […] C’est un sentiment analogue qui, le lendemain de la mort de Pascal et lorsque ses amis avaient à publier ses Pensées qui ne sont pour la plupart que les extraits de ses informes petits papiers, les porta presque unanimement à atténuer ou à éclaircir plus d’un passage, à sauver plus d’une hardiesse, à adoucir plus d’une témérité. […] Je le demande à tous ceux qui ont le sentiment et le culte de la famille : Mme Roland avoue qu’elle aima à la fin un autre homme que son mari, qu’elle l’aima en tout bien, tout honneur, mais enfin qu’elle l’aima d’amour et de passion ; elle confesse que son mari, à qui elle crut en devoir faire l’aveu, en souffrit, comme c’était bien naturel et en ressentit de la jalousie. […] En ce qui est de cette veine de sentiments secrets éprouvés par Mme Roland et seulement soupçonnés jusqu’ici, on avait passé par des suppositions successives et des tâtonnements qu’il n’est pas inutile de rappeler.
Ainsi, au milieu des sentiments qui font éclater la joie publique, il existe pour nous un motif particulier de nous réjouir, et d’honorer, dans le père de la patrie, le père des lettres, des sciences et des arts. […] La secte est nouvelle et compte encore peu d’adeptes déclarés ; mais ils sont jeunes et ardents ; mais la ferveur et l’activité leur tiennent lieu de la force et du nombre, et le concert bruyant de leurs voix pourrait faire croire, de loin, à l’union de leurs sentiments. […] Ils se soutiennent indistinctement les uns les autres, mais indépendamment de toute conviction individuelle, et par ce seul instinct d’union et de défense réciproque qui naît du sentiment de la faiblesse numérique. […] ces sentiments ne sont-ils pas ceux de tous les hommes ? […] Quoi que vous écriviez, enfin, respectez cette langue qui a suffi à l’expression de toutes les pensées et de tous les sentiments, et qu’on ne viole jamais que par l’impuissance de la bien employer.
Il a l’âme ouverte à tous les sentiments de la vie, et il les mêle — et fougueusement ! […] Mais il n’a pas, malheureusement, il faut bien le dire, le seul sentiment qui l’aurait mis au-dessus de ses peintures, le sentiment qui lui aurait fait rencontrer cette originalité que Villon, Rabelais et Régnier ne pouvaient pas lui donner. Il n’a pas le sentiment chrétien. C’est, en effet, dans la profondeur du sentiment chrétien qu’était l’originalité qu’il n’a pas. […] Je ne crois pas à la sincérité du sentiment que vous exprimez. » Oui !
Seuls, ces sentiments sont pathétiques, et seuls, ils sont les motifs éternels de la tragédie177. […] Dans la première les sentiments avaient un caractère de généralité simple, pur, élevé ; ils sont devenus dans la seconde plus riches, plus profonds, plus intimes. […] Les idées et les sentiments, qui sont le fondement de la vie sociale, furent personnifiés dans les Dieux. […] Les Dieux en paix dans l’Olympe, les sentiments pathétiques en repos dans le cœur de l’homme, se délassent en contemplant la parodie de leur grand conflit sur la scène qu’ils ont quittée. […] Ces personnages expriment, pour la plupart, les motifs qui les font agir et leurs sentiments avec un grand appareil déclamatoire, et déploient tout l’art de la rhétorique.
N’est-ce pas le sentiment de l’Honneur appliqué aux Lettres ? […] Les temps primitifs expriment leurs sentiments par la parole. […] Le sentiment de la nature s’exagère et perd tout son charme en s’exagérant. […] Non, le talent n’a pas baissé dans tout ce qui relève du sentiment intime. […] Comme le sentiment est juste, délicat, naturel !
J’éprouvais le même sentiment désagréable qu’à rencontrer un monstre mal venu et broussailleux. […] L’on y chercherait en vain quelque trait de sentiment fort, de passion profonde. […] Buff, en présence de la bonne Charlotte, tout effrayée de voir jusqu’où peut conduire le « sentiment ». […] En la voyant sans cesse auprès de lui, il s’est épris d’elle, tandis qu’elle a conçu pour lui les sentiments les plus tendres. […] Ce fut là, je crois, le grand fait, le grand sentiment de sa vie ; c’en est aussi la plus belle page.
Ce qu’on a senti ou pensé, on peut l’exprimer avec une élégance égale dans toutes les langues ; et chaque langue vous fournira les expressions uniques pour caractériser quelque pensée, quelque sentiment que ce soit, et pour en fixer le degré de vivacité ou de noblesse. […] Est-il bien vrai que la langue française ne suffise pas à rendre parfaitement les grandes idées, les hauts sentiments, les passions héroïques, les vivacités galantes, les saillies satiriques, les naïvetés fines ? […] Ici il analyse finement l’ennui, dans un esprit de psychologie délicate et restée chrétienne : L’homme inoccupé, c’est-à-dire l’homme livré à la seule considération de son être personnel, éprouve deux sentiments habituels, également tristes : l’un est le sentiment de son infortune, il a le désir d’un bonheur vague qui le suit ; l’autre est le sentiment de sa bassesse, il voudrait être grand et important, il se trouve petit et méprisable. De ces deux sentiments naissent la langueur et le découragement de son esprit ; c’est ce que nous appelons ennui. […] Sur un point j’ai dit qu’il avait moins raison au fond : c’est qu’avec sa théorie du plaisir, et qui ne va qu’à désennuyer l’homme, à l’amuser, il n’entre pas dans le sentiment élevé, largement conçu, patriotique et social, qui transporte, qui enivre les générations et les peuples de l’idée de gloire, sentiment qui respire comme une flamme dans l’âme d’Achille, dans celle de son chantre, qui de là passe un jour dans celle d’Alexandre, et qui va encore après trois mille ans faire battre d’émulation un cœur généreux.
Il faut chercher seulement à penser et à parler juste, sans vouloir amener les autres à notre goût et à nos sentiments ; c’est une trop grande entreprise. […] C’est une expérience faite, que s’il se trouve dix personnes qui effacent d’un livre une expression ou un sentiment, l’on en fournit aisément un pareil nombre qui les réclame : ceux-ci s’écrient, pourquoi supprimer cette pensée ? […] Si certains esprits vifs et décisifs étaient crus, ce serait encore trop que les termes pour exprimer les sentiments : il faudrait leur parler par signes, ou sans parler se faire entendre. […] Quand une lecture vous élève l’esprit, et qu’elle vous inspire des sentiments nobles et courageux, ne cherchez pas une autre règle pour juger l’ouvrage ; il est bon, et fait de main d’ouvrier. […] Les personnes d’esprit ont en eux les semences de toutes les vérités et de tous les sentiments, rien ne leur est nouveau ; ils admirent peu, ils approuvent.
Amédée Thierry a le sentiment de la grandeur humaine et jusqu’à un certain point le sentiment poétique des légendes qu’il aime à raconter, mais avec l’histoire qu’aujourd’hui il a choisie, — Attila et ses successeurs — il fallait plus que ces deux sentiments pour décrire et pour expliquer les événements étranges et sans précédents qui se produisent, comme une succession de coups de tonnerre, dans les annales de l’humanité. […] Il a la bonne foi de l’histoire, mais avec un sentiment chrétien, plus profond encore, il en aurait eu la grandeur ! […] Comme toujours, quand ils sont remués dans les cœurs, les sentiments l’emportèrent, et ce qui entraîne les juges entraîna la Critique. […] Plus riche que son frère par le sentiment chrétien, s’il est plus pauvre par le talent naturel de l’expression, il pourrait, si ce sentiment était très profond ou très enflammé, en faire sortir une exaltation qui remplacerait celle qu’il n’a pas dans le talent, mais l’intensité manque également à M. Amédée Thierry dans le sentiment et dans le langage.
Arnault, respirent un sentiment de dépit facile à comprendre, après un échec aussi considérable pour leurs opinions. […] À toute occasion, la guerre qui était dans les sentiments et dans les idées, éclatait. […] quels ont été ses sentiments, ses pensées ? […] M. de Lamartine, en exprimant ses propres sentiments et ses propres pensées, se trouvait avoir exprimé, de la manière la plus complète et la plus heureuse, les pensées et les sentiments de l’époque. […] Elles participaient de tous les sentiments à la fois.
Il est regardé comme un sentiment si libre qu’il se dérobe à toute contrainte, même à celle du devoir. […] Corneille nous représente fréquemment l’amour noble, élevé, austère, inspirateur des beaux sentiments et des grandes actions. […] Je pourrais suivre chez les romanciers et les auteurs dramatiques de notre siècle les métamorphoses subies par les idées et les sentiments qui se rapportent à ce sujet si grave : l’union de l’homme et de la femme. […] Tels étaient les sentiments romanesques qui étaient applaudis par les spectateurs, sans parler des spectatrices. […] Il y a encore là bien des sentiments, bien des situations, bien des luttes qui ont fourni aux écrivains de tous les temps une abondance inépuisable de sujets.
André Chénier, dans cet Avis aux Français, s’efforce de susciter les sentiments capables de créer un tel esprit. […] Et ici nous retrouvons le sentiment fondamental de l’inspiration d’André Chénier pendant toute la Révolution. […] Enfin, c’est le même sentiment qu’il prête à Charlotte Corday, dans l’Ode éloquente où il l’a célébrée : Oh ! […] On y voit, dans un rythme aussi neuf qu’harmonieux, le sentiment de la nature et de la solitude, d’une nature grande, cultivée et même pompeuse, toute peuplée de souvenirs de grandeur auguste et de deuil, et comme ennoblie ou attristée d’un majestueux abandon. […] Mais, tout à coup, devant les yeux lui repasse l’image des horreurs publiques, et alors le sentiment vertueux et stoïque revient dominer le sentiment poétique et tendre.
Sainte-Beuve L’originalité de Maurice de Guérin était dans un sentiment de la nature tel qu’aucun poète ou peintre français ne l’a rendu à ce degré, sentiment non pas tant des détails que de l’ensemble et de l’universalité sacrée, sentiment de l’origine des choses et du principe souverain de la vie. […] Jamais le sentiment mystérieux de l’âme des choses et de la vertu matinale de la nature, jamais la poétique et sauvage puissance qu’elle fait éprouver qui s’y replonge et s’y abandonne éperdument, n’a été exprimée chez nous avec une telle âpreté de saveur, avec un tel grandiose et une précision si parfaite d’images.
Opposition qui produit des arcs-en-ciel dans la nature, mais qui, dans l’ordre du sentiment et de la poésie, produit des choses encore plus charmantes que des arcs-en-ciel ! […] Campaux a détordu les cordes du vieil instrument dont la sonorité nous fait tressaillir encore, et il a trouvé que ce qui les rendait si vibrantes, c’était, en fin de compte, les plus beaux sentiments que la poésie pût exprimer ! […] Campaux d’avoir creusé jusque-là dans les vers de Villon, et opposé ainsi les sentiments à la vie du poète. […] Campaux a divisé son livre en trois parties, correspondant aux trois parties de l’œuvre de Villon, et il en a signalé les qualités avec un sentiment très vif. […] Il n’avait pas le sentiment de la nature.
Le sentiment unique, qui avait tout laissé désert en s’enfuyant, se retrouve successivement en beaucoup d’autres sentiments dont chacun est moindre, mais dont l’ensemble anime et reflète à un point de vue vrai la création. […] Nous avons déjà eu plus d’une fois l’occasion de le remarquer, ce qui est particulier à Lamartine consiste dans un certain tour naturel de sentiments communs à tous. Il ne débute jamais par rien d’exceptionnel, soit en idées, soit en sentiments ; mais, dans ce qui lui est commun avec tous, il s’élève, il idéalise. […] Ce qui est vrai des sentiments de Lamartine ne l’est pas moins des aventures qu’ici il invente. […] Mais ce genre de sentiments exceptionnels dans le christianisme et dans l’humanité sent déjà la secte.
Ce serait un singulier temps que le nôtre en vérité, s’il refusait aux sentiments les plus forts, l’amour et la foi, les privilèges qu’il accorde à des sentiments d’ordre inférieur. […] Cet idéal consiste dans le sentiment qui anime l’artiste, et ce sentiment, c’est la sympathie. […] Ainsi, pour nommer tout de suite une de ces émotions, elle est à peu près la seule qui éveille ce sentiment sans lequel il n’est guère d’œuvre poétique vraiment puissante, le sentiment du mystère. […] Or, voilà le sentiment qui règne d’un bout à l’autre du Comte Kostia et qui en fait l’âme et l’unité. […] La Jeunesse répondait donc à un sentiment général.
De même quand je contemple une œuvre de sentiment et de poésie. […] Ce sont les sentiments forts qui trouvent le mieux l’expression juste. […] Pour peu qu’on s’abandonne à ces associations, qu’on recherche ces correspondances, on pourra donner à toute couleur une nuance de sentiment déterminée ; à tout sentiment, et même à toute idée capable d’agir sur le sentiment, on pourra trouver dans l’ordre des couleurs un équivalent. […] Avec la couleur, le sentiment y apparaît. […] Il ne s’embarrasse pas de se définir à lui-même les sentiments de son personnage.
Il faut avouer que ceux qui n’ont aucun sentiment de l’art sont très excusables de s’égarer aussi singulièrement. […] L’homme, pour être vraiment religieux, doit avoir à la fois le sentiment de sa faiblesse et de sa force, le sentiment de l’infini et du fini, de Dieu et de l’Humanité. […] Mais quand les religions meurent, les hommes les plus religieux, loin d’être consolés dans le sentiment de l’infini, sont écrasés par lui. […] Lui aussi, quand il le veut, il peut, comme Lamartine, briser tous les moules et généraliser la vie ; en vingt vers il peint l’extase devant la vie universelle : mais le sentiment des êtres finis ne l’abandonne jamais, même quand il a le sentiment le plus profond de l’infini. […] Racine analyse des sentiments, comme Condillac des pensées.
Votre sentiment de la liberté, de la responsabilité, n’est qu’une illusion : votre analyse de la volonté, n’étant point d’accord avec nos explications, n’a aucune autorité scientifique. […] Au fond, sa doctrine est le sentiment de bien des médecins de tous les temps et de tous les pays. […] Comment confondre une impression, une action, un mouvement cérébral, avec un sentiment, une idée, une volition ? […] Il le sent si bien qu’il ne peut, quelle que soit sa modestie, se soustraire à un sentiment de satisfaction personnelle. […] En bonne logique, ce sentiment ne contredit qu’une chose, l’explication matérialiste de certains physiologistes et de certains positivistes.
Plus les peuples avancent en civilisation, plus cet état du vague des passions augmente ; car il arrive alors une chose fort triste : le grand nombre d’exemples qu’on a sous les yeux, la multitude de livres qui traitent de l’homme et de ses sentiments, rendent habile sans expérience. […] D’une autre part, ils n’étaient pas enclins aux exagérations, aux espérances, aux craintes sans objets, à la mobilité des idées et des sentiments, à la perpétuelle inconstance, qui n’est qu’un dégoût constant ; dispositions que nous acquérons dans la société des femmes. Les femmes, indépendamment de la passion directe qu’elles font naître chez les peuples modernes, influent encore sur les autres sentiments. […] De toutes parts s’élevèrent des couvents, où se retirèrent des malheureux trompés par le monde, et des âmes qui aimaient mieux ignorer certains sentiments de la vie, que de s’exposer à les voir cruellement trahis.
Mais il n’est point de pays où les écrivains aient mieux approfondi les sentiments de l’homme passionné, les souffrances de l’âme, et les ressources philosophiques qui peuvent aider à les supporter. […] Quelle sublime réunion l’on trouve dans Werther, de pensées et de sentiments, d’entraînement et de philosophie ! […] On a dit encore que Werther était dangereux, qu’il exaltait les sentiments au lieu de les diriger ; et quelques exemples du fanatisme qu’il a excité confirment cette assertion. […] Mais en lisant les tragédies allemandes qui ont acquis de la célébrité, l’on trouve souvent des mots, des expressions, des idées qui vous révèlent en vous-même des sentiments étouffés ou contenus par la régularité des rapports et des liens de la société. […] À ce défaut, qui leur est commun avec les Anglais, ils joignent un certain goût pour la métaphysique des sentiments, qui refroidit souvent les situations les plus touchantes.
Elles sont le refuge des honnêtes gens à qui la grande curiosité, le sentiment du beau et le don de l’expression ont été refusés. […] Or ces deux sentiments, confiance ou soumission à l’ordre éternel des choses, ont assurément un caractère religieux. […] Gaston Paris, c’est que ce culte absolu du vrai s’allie chez lui avec les plus beaux et les plus délicats des sentiments humains. […] Est-ce sa faute, à lui, si ce qui fait un peuple, l’amour du sol et le sentiment de l’honneur national, est déjà dans la Chanson de Roland ? […] Il est certain que l’âme du moyen âge avait en elle des trésors de sentiment, d’imagination et de passion tels que l’âme antique semblerait presque indigente auprès.
Il va sans dire que cette place est une place dépendante et subordonnée et que ces sentiments sont des sentiments d’obéissance et de docilité aux volontés du groupe. […] Il peut au contraire, comme nous l’avons expliqué, être mis de propos délibéré au service des sentiments égoïstes et antisociaux et s’appliquer à inhiber les sentiments sociables. […] Les moyens d’action de l’éducateur sont : la notion inculquée ; l’appel à la raison de l’enfant, l’appel au sentiment ; la formation des habitudes ou dressage des réflexes, l’influence de l’exemple. […] L’appel au sentiment semble plus efficace. […] Si vous avez affaire à une nature fine, délicate et sensitive, l’enfant ne se laissera toucher que par ce qui convient à sa propre sensibilité et est susceptible de l’intéresser ; si vous avez affaire à une nature apathique et flegmatique, l’appel au sentiment restera lettre morte.
que de vues et de sentiments contraires, et qui se réfléchissent même dans la manière de dire et de s’exprimer ! […] Mais, comme la reconnaissance des infidèles est aussi infidèle qu’eux, ces grâces descendirent si peu avant dans son cœur, que, ne lui en demeurant aucun sentiment ni mémoire, sa rébellion, aussi féconde que l’hydre, renaît de nouveau. […] L’honneur de Richelieu est de l’avoir senti avec une énergie ardente et un indomptable génie d’exécution : le malheur de Rohan, celui de sa position, est de n’avoir pu le sentir, d’avoir été l’allié naturel et comme nécessaire de l’étranger, de quiconque était alors l’ennemi de la patrie, d’avoir continué de penser là-dessus comme un seigneur féodal en retard, devenu républicain par rencontre, et qui, en vue d’une conviction religieuse particulière, usait de tous les moyens de défense, sans se douter de ce qu’il allait choquer au sein de cet autre sentiment moral et religieux aussi, de ce sentiment patriotique, tout à l’heure universel. […] La conscience des vaincus pourtant, quand il y a en jeu des sentiments sincères et de vraies croyances, et aussi une portion de droit engagée, a ses forces secrètes, ses ressorts profonds, invincibles, et dont il ne faut parler qu’avec respect. […] L’expression est belle, mais le sentiment est dur : on eut aimé en cet endroit un accent de générosité, de clémence, d’intelligence du vaincu, ce que l’âme de Henri IV entendait si bien.
Dussent mes lettres être vues un jour de tout le monde, je ne veux point dérober à la lumière les seuls monuments de ma faiblesse, de mes sentiments. » Allons, puisqu’on nous le permet et qu’on nous y invite même, pénétrons dans l’intérieur virginal où il lui plaît de nous guider. […] Même avant cette fin de la passion d’amitié, on la voit subir un échec, une variation assez sensible à mi-chemin environ, et sitôt qu’un premier sentiment d’amour s’est venu loger dans le cœur qui d’abord n’avait pas de partage. […] Elle regrettait sa Sophie durant la promenade délicieuse, et les lettres suivantes redoublaient cette teinte du sentiment, grand mot d’alors, couleur régnante durant la dernière moitié du dix-huitième siècle. […] La plupart s’imaginent que le plus léger sentiment d’une autre espèce altérerait ou effacerait l’amitié, qui leur semble le pis aller d’un cœur désœuvré. […] Non : rassurée bientôt par la droiture de mes sentiments, je t’ai prise à témoin, Ombre chère et sacrée… !
Prenez la difformité physique la plus hideuse, la plus repoussante, la plus complète ; placez-la là où elle ressort le mieux, à l’étage le plus infime, le plus souterrain et le plus méprisé de l’édifice social ; éclairez de tous côtés, par le jour sinistre des contrastes, cette misérable créature ; et puis, jetez-lui une âme, et mettez dans cette âme le sentiment le plus pur qui soit donné à l’homme, le sentiment paternel. […] C’est que ce sentiment sublime, chauffé selon certaines conditions, transformera sous vos yeux la créature dégradée ; c’est que l’être petit deviendra grand ; c’est que l’être difforme deviendra beau. […] Prenez la difformité morale la plus hideuse, la plus repoussante, la plus complète ; placez-la là où elle ressort le mieux, dans le cœur d’une femme, avec toutes les conditions de beauté physique et de la grandeur royale, qui donnent de la saillie au crime, et maintenant mêlez à toute cette difformité morale un sentiment pur, le plus pur que la femme puisse éprouver, le sentiment maternel ; dans votre monstre mettez une mère ; et le monstre intéressera, et le monstre fera pleurer, et cette créature qui faisait peur fera pitié, et cette âme difforme deviendra presque belle à vos yeux.
Mais pour ceux qui savent combien était haut le sentiment de la responsabilité chez ce parfait honnête homme, il paraîtra que ses dernières préoccupations, — celles où il puisa la paix suprême, — ont été pour un examen de conscience plus intime et où il s’arrêta moins à peser les idées auxquelles il avait lié sa vie qu’à venfier la façon même dont il avait usé de la vie. […] Renan sortit de Saint-Sulpice, ce qu’il emportait de cette austère maison, c’était un sentiment ardent des choses de la conscience ; c’était aussi une solide méthode intellectuelle que lui avaient faite ses travaux de philologie. […] Renan est un de ceux qui ont empêché l’esprit français de se passer du sentiment religieux. […] La seule solution était donc de trouver quelque provisoire qui conciliât le sentiment religieux et l’analyse scientifique. […] Nous n’entendons plus que comme une belle poésie la façon dont il confond le sentiment religieux et la curiosité scientifique.
Par le second j’exprime son rapport aux personnes, les sentiments qu’il leur inspire, ou peut, ou doit leur inspirer, — sa valeur. […] Au contraire, le sentiment de la valeur propre à l’individu nous paraît être un élément essentiel des idées égalitaires. […] Et c’est justement le sentiment de la valeur propre à la personne qui interdit de parquer les personnes en des groupes d’inégale valeur. […] Si donc l’idée de l’égalité exclut à nos yeux celles de la classe ou de l’espèce, elle réunit celles de l’individualité et de l’humanité : en d’autres termes, dans un esprit qui déclare les hommes égaux, le sentiment qu’ils sont semblables n’exclut nullement, le sentiment qu’ils sont différents.
Est-ce que nous ne sommes pas dans une constante ignorance du degré, et même de l’existence de nos sentiments ? […] Un sentiment, un désir n’entrent dans la conscience qu’à la condition de ne pas paraître ce qu’ils sont. […] Proust dénonce de l’inconscient derrière toutes sortes de sensations et de sentiments très divers. […] Ne nous sommes-nous pas sans cesse sentis inertes en regard de la légèreté, de la vitesse de notre sentiment ? […] On voit, on touche, on respire le tout d’un spectacle, le tout d’un sentiment, d’une pensée.
S’il n’est pas poète, comme Lord Byron, par l’instrument, le rhythme, la langue ailée, le charme inouï et mystérieux des mots cadencés qui rendent fous de sensations vives les esprits vraiment organisés pour les vers, il l’est par l’image, le sentiment, le frémissement intérieur qu’il éprouve et qu’il cause, et ces dons immenses doivent un jour en lui s’approfondir et se modifier ; mais pour le moment ils n’y sont point purs et sans écume. […] L’aventure, l’extraordinaire, c’est lui-même… Les faits extérieurs, pour un homme comme Lawrence, qui n’écrit que pour ses pairs, les faits extérieurs de toute destinée sont assez peu de chose, et il ne doit y avoir que des idées et des sentiments. Lawrence, le byronien, ne l’est pas seulement que par l’expression et le sentiment : il l’est jusque dans la conception de ses personnages. […] Voilà pourtant la simple donnée de ce roman de Guy Livingstone, mais que son auteur a poussée à outrance, comme le dit le second titre de son livre et très justement ; car l’outrance y est sous toutes les formes, aussi bien dans la force violente ou stoïque que dans la délicatesse, puisque les sentiments délicats y font mourir ! […] Les deux femmes qui créent, par l’antagonisme de leurs sentiments, le drame de son livre, il en a monté les qualités et les défauts jusqu’à cette note suraiguë qu’il appelle l’outrance, cette outrance que vous retrouvez jusque dans le dénoûment si peu attendu d’un pareil livre, où un colosse de l’énergie et de l’orgueil de Guy Livingstone finit par se transformer jusqu’à subir patiemment et sublimement le plus cruel outrage, sous l’empire des sentiments les plus nobles et les plus doux de la nature humaine : le respect de la parole donnée, le repentir et la fidélité dans l’amour.
S’il n’est pas poëte, comme lord Byron, par l’instrument, le rhythme, la langue ailée, le charme inouï et mystérieux des mots cadencés qui rendent fous de sensations vives les esprits vraiment organisés pour les vers, il l’est par l’image, le sentiment, le frémissement intérieur qu’il éprouve et qu’il cause, et ces dons immenses doivent un jour en lui s’approfondir et se modifier ; mais pour le moment ils n’y sont point purs et sans écume. […] Lawrence, qui n’écrit que pour ses pairs, les faits extérieurs de toute destinée sont assez peu de chose, et il ne doit y avoir que des idées et des sentiments. […] Lawrence, le byronien, ne l’est pas seulement que par l’expression et le sentiment, il l’est jusque dans la conception de ses personnages. […] Voilà pourtant la simple donnée de ce roman de Guy Livingstone, mais que son auteur a poussée à outrance, comme le dit le second titre de son livre et très-justement, car l’outrance y est sous toutes les formes, aussi bien dans la force violente ou stoïque que dans la délicatesse, puisque les sentiments délicats y font mourir ! […] Les deux femmes qui créent, par l’antagonisme de leurs sentiments, le drame de son livre, il en a monté les qualités et les défauts jusqu’à cette note suraiguë qu’il appelle l’outrance, cette outrance que TOUS retrouvez jusque dans le dénoûment si peu attendu d’un pareil livre, où un colosse de l’énergie et de l’orgueil de Guy Livingstone finit par se transformer jusqu’à subir patiemment et sublimement le plus cruel outrage sous l’empire des sentiments les plus nobles et les plus doux de la nature humaine : le respect de la parole donnée, le repentir et la fidélité dans l’amour.
Ils cherchent le sentiment religieux par-delà les dogmes, la beauté poétique par-delà les règles, la vérité critique par-delà les mythes. […] Quiconque eût avoué des sentiments démocratiques eût été insulté. […] Mais la grande vérité, qui consiste à entrer dans les sentiments des personnages, leur échappe : ces sentiments sont trop étranges et immoraux. […] C’est le sentiment vrai, et non la dignité des gens, qui fait la beauté du sujet ; c’est le sentiment vrai et non la dignité des mots, qui fait la beauté de la poésie. Qu’importe que ce soit une villageoise qui pleure, si ces pleurs me font voir le sentiment maternel ?
Exact et bien dirigé en ce qui touche les sentiments politiques de Benjamin Constant, l’ingénieux écrivain n’a pas rendu la même justice à Mme de Staël. […] » La gloire en effet entra dès lors en partage ouvert dans son cœur avec le sentiment. […] Mais, au sortir des rêves du sentiment, des espérances et des déceptions romanesques, nous n’en sommes encore qu’aux années de la pleine action et du triomphe. […] Le sentiment d’humanité dominait impétueusement chez elle, et, une fois en alarme, ne lui laissait pas de trêve. […] Le sentiment dont elle fut l’objet à cette époque de la part de M.
On y voit clairement de quelles façons la philosophie du divin Çakia-Mouni peut modifier et enrichir les divers sentiments d’un homme de nos jours : sentiment de la nature, amour de la femme, sentiment moral. […] le sentiment de la vanité de toutes choses, quel opium pour l’orgueil, l’ambition, l’amour, la jalousie, pour toutes les vipères qui grouillent dans notre cœur quand nous n’y prenons pas garde ! […] Mais ce n’est pas tout : car les idées générales ont ceci de précieux, d’enfanter les sentiments les plus contradictoires.
Leurs sentiments se changent aisément en passions, en passions qui agissent. […] Les personnages n’y ont guère le sentiment du devoir. […] Dans cette âme où régnait sur les autres un sentiment privilégié, on verra reparaître la multiplicité, l’égalité au moins relative et la rivalité des sentiments réels. […] Même privilège pour les beaux sentiments et les grandes passions. […] De même tous les intérêts se valent, tous les sentiments aussi.
Je ne vous dirai point que la pensée y est toujours aussi claire que le sentiment. […] Ces sentiments précèdent d’ailleurs, dans l’existence de la plupart des hommes, les sentiments qui dérivent du besoin ou du désir de se conserver, de posséder, de dominer. […] La pudeur est un sentiment si délicat qu’on la viole rien qu’en l’exprimant. […] Le sentiment en est délicieux. […] Mirelet est obligé de les rappeler, un peu sèchement, au sentiment des convenances.
Si on a été attentif à regarder en soi comme au dehors, si on a essayé de noter ses émotions, d’en saisir les causes, les effets, les nuances, les degrés, la communication ira se resserrant chaque jour entre la sensibilité et l’intelligence ; les émotions multiplieront les idées, l’esprit affinera le cœur, et la subtilité du jugement s’augmentera avec la délicatesse du sentiment. […] Si elle écrit au courant de la plume une page qui est un chef-d’œuvre, c’est qu’elle avait au cours de toute sa vie lu, pensé, causé ; c’est que dans son intelligence toujours active les sentiments, les idées circulaient incessamment comme le sang dans son corps et entretenaient la vie ; que toute son âme était toujours debout, prête au service, et que chaque mot, chaque phrase était le produit et l’expression de toute son existence intellectuelle et morale. N’allez pas croire qu’il lui suffise de connaître la mythologie et le poème du Tasse pour écrire la fameuse lamentation sur ses arbres abattus ; une mémoire d’écolier aurait teinté le sentiment de pédantisme, et tout était gâté. […] Le mot spirituel, ému, pittoresque, sublime, germe sans effort et s’épanouit sur le riche fond de la vie morale : c’est le prolongement extérieur et le dernier terme d’une longue série île sentiments intimes et d’idées inexprimées.
Ce n’est pas un sentiment : c’est un poids réel, une douleur causée par un je ne sais quoi de caché, d’invisible, mais que l’on doit pouvoir arracher de la plaie comme un trait de la blessure… Aussi le remords pour Caïn prend-il la forme d’un œil qui brille au fond des cieux, et qui demeure fixé sur le meurtrier. […] cette hardiesse à rejeter un sentiment intime, un chagrin de l’âme, un remords de la conscience, M. […] Il ne faut pas chercher à comparer cette œuvre dramatique au beau poème de Victor Hugo sur le même sujet ; le maître est le maître ; mais un sentiment vrai appartient à tous, et cette pensée du pardon pour Caïn est aussi personnelle à M. […] Il faut une réelle puissance aujourd’hui et une admirable conscience artistique pour tenter un drame qui n’a rien de commun avec les drames à la mode, qui n’est ni « populaire » ni « sentimental », et dont l’intérêt a pour mobiles les sentiments les plus nobles et les plus élevés.
Mais il faut avoir en soi le sentiment de cette beauté. […] Tout sentiment autre que l’amour était aboli pour elle. […] Je ne sais quel sentiment s’empara de moi, tandis que j’écrivais. […] Comment appeler ce sentiment ? […] Pour arriver à ce sentiment, il ne faut que ceci : être poète.
Les sentiments que nous éprouvons sont toujours accompagnés par des actions réflexes du cœur ; c’est du cœur que viennent les conditions de manifestation des sentiments, quoique le cerveau en soit le siège exclusif. […] Chez l’homme, le cerveau doit, pour exprimer ses sentiments, avoir le cœur à son service. […] La raison parvient sans doute à exercer le même empire sur les sentiments moraux. […] Toutefois, la raison, même en servant de correctif au sentiment, ne le fait pas disparaître. […] D’abord le sentiment, s’imposant à la raison, créa les vérités de la foi, c’est-à-dire la théologie.
Des sentiments si peu patriotiques sont bien loin de mon cœur. » Mais il ne lui suffit pas que ces sentiments soient loin de son cœur ; il ne saurait souffrir qu’on les lui pût attribuer. […] Il y a dans la multitude tant de légèreté et de mobilité, que la vue des honnêtes gens, de ses anciens favoris, la disposerait à reprendre ses sentiments libéraux » ; eh bien ! […] Vous l’avez toujours vue associée de cœur et d’esprit à mes sentiments, à mes vœux politiques, jouissant de tout ce qui pouvait être de quelque gloire pour moi, plus encore de ce qui me faisait, comme elle le disait, connaître tout entier ; jouissant surtout lorsqu’elle me voyait sacrifier des occasions de gloire à un bon sentiment […] C’étaient de beaux temps, après tout, si l’on ne se reporte qu’aux sentiments éprouvés, des temps où l’instinct de la lutte ne trompait pas. […] Ce généreux humain éclate dans tout son ressort chez La Fayette captif, et non sans un auguste sentiment de déisme qui y fait ciel.
On peut dire que cette nuance ou cette veine de sentiment est une création essentiellement, moderne. […] Ce sentiment-là, quel poète était plus digne de l’inspirer que Virgile ? […] Cependant il eut une adoratrice, une admiratrice, toute de sentiment, Mme Necker. […] C’était un coquet de sentiment. […] Dans un ordre élevé, il a donné la vie, la vie de l’esprit ou du sentiment.
Réveil du sentiment. […] Le sentiment de la nature. […] D’autres étaient arrivés par l’analyse à l’idée du sentiment : Rousseau, par son tempérament, a la réalité du sentiment ; ceux-là dissertent, il vit ; toute son œuvre découle de là. […] Le réveil du sentiment religieux ne pouvait se faire qu’au profit d’une religion traditionnelle. […] Rousseau s’est défié de la raison, il a donné cours à son sentiment.
Cette époque de sentiment et de poésie fut complète pour le jeune Ampère. […] Mais un sentiment supérieur, le sentiment le plus cher et le plus universel de la jeunesse, manquait encore, et le cœur allait éclater. […] Toute la série de ses travaux, de ses projets, de ses sentiments, s’y fait suivre sans interruption. […] Cette idéologie ne fera-t-elle point quelque tort à vos sentiments religieux ? […] Ampère ne retourna pas à Lyon : il resta à Paris, plus actif d’idées et de sentiments que jamais.
Il y a là d’ailleurs un rapport réciproque : car, si les sensations de tension et de résistance se produisent en proportion de nos sentiments d’effort et d’appétition, inversement nous ne sommes avertis de ces sentiments d’appétition que dans leur rapport avec la résistance appréhendée par le sens. […] Par exemple, le sentiment du mal de tête est-il uniquement et exclusivement le sentiment d’une relation, d’un changement, d’un mouvement, sans que les termes soient sentis ou même sans qu’il existe des termes véritables ? […] Les rapports qui constituent le raisonnement ne peuvent unir que s’ils sont saisis, et ils ne peuvent être saisis que dans un sentiment spécial où ils sont à la fois réalisés et aperçus : le rapport de ressemblance suppose, nous le verrons plus tard22, un sentiment de ressemblance ; le rapport de différence suppose un sentiment de différence : il y a toujours une certaine affection de la conscience particulière et concrète dont les rapports abstraits sont des extraits. Le sentiment seul unit d’une façon concrète. […] Voir notre chapitre sur le sentiment de l’effort dans notre volume précédent.
On raisonne comme s’ils n’existaient qu’en vue de ce rôle et n’avaient d’autre cause déterminante que le sentiment, clair ou confus, des services qu’ils sont appelés à rendre. […] Le sentiment que nous avons de l’utilité qu’elles présentent peut bien nous inciter à mettre ces causes en œuvre et à en tirer les effets qu’elles impliquent, non à susciter ces effets de rien. […] Par exemple, la réaction sociale qui constitue la peine est due à l’intensité des sentiments collectifs que le crime offense ; mais, d’un autre côté, elle a pour fonction utile d’entretenir ces sentiments au même degré d’intensité, car ils ne tarderaient pas à s’énerver si les offenses qu’ils subissent n’étaient pas châtiées62. […] Nous avons vu que, même quand la société se réduit à une foule inorganisée, les sentiments collectifs qui s’y forment peuvent, non seulement ne pas ressembler, mais être opposés à la moyenne des sentiments individuels. […] C’est donc que ces sentiments résultent de l’organisation collective, loin d’en être la base.
Nous nous suggérons à nous-mêmes les sentiments par le moyen de leurs effets et de leurs concomitants, comme il arrive dans la suggestion d’un sentiment par sympathie avec une autre personne : nous sympathisons avec nous-mêmes par l’intermédiaire des mouvements, émotions et pensées qui aboutissent à ressusciter tel sentiment. Au reste, de même que le souvenir d’un sentiment, comme tel, en est la production réelle, mais incomplète, de même tous les autres souvenirs sont des renouvellements partiels. […] Autant les premières sont difficiles à reproduire, autant les secondes se renouvellent aisément quand on se remet par l’imagination dans le même courant d’idées : c’est qu’ici ce sont les idées mêmes qui produisent les sentiments. […] Ensuite s’effacent les idées en général, puis les sentiments, enfin les actes et mouvements automatiques. […] Mais la mémoire proprement dite est dans les sentiments, appétits, émotions fondamentales ; aussi est-là ce qui offre le plus de résistance après les actes automatiques.
C’est la poésie de l’âme qui inspire les nobles sentiments et les nobles actions comme les nobles écrits. […] Qu’un vers ait une bonne forme, cela n’est pas tout ; il faut absolument, pour qu’il ait parfum, couleur et saveur, qu’il contienne une idée, une image ou un sentiment. […] C’est que rien ne peut prévaloir contre le sentiment. […] La conscience de notre ignorance, qui est un des résultats de la philosophie la plus haute sera toujours un des sentiments inspirateurs de la poésie. […] Voilà pourquoi le sentiment d’une mission sociale et religieuse de l’art a caractérisé tous les grands poètes de notre siècle ; s’il leur a parfois inspiré une sorte d’orgueil naïf, il n’en était pas moins juste en lui-même.
Mais le sentiment pénètre et enveloppe tout. […] Il triomphe, au contraire, partout où il s’agit de rendre quelque accident, quelque sentiment de la vie ordinaire. […] Il excellera aussi à noter des sentiments communs : il fera plaindre une veuve en quelques mots simples et touchants. […] Chrétien de Troyes a esquissé parfois la charmante comédie de l’amour aux prises avec la vanité, et s’il n’entend rien à la passion, il sait envelopper délicatement le sentiment sincère de naturelle coquetterie. […] Peut-être plus profonds, plus passionnés, moins attachés aux faits sensibles et aux sentiments superficiels, nos écrivains eussent-ils été moins universellement compris, moins constamment goûtés.
Puis le scepticisme, le sens critique, le sentiment du ridicule, l’ironie, qui vient du diable, sont tout ce qu’il y a de plus opposé à l’esprit de sa profession. […] Il arrive même que les deux sentiments se rencontrent chez lui à la fois, et c’est ce qui rend souvent si énigmatique, aux yeux de ceux qui ne sont pas avertis, la conduite de certains « oints du Seigneur » dans les affaires humaines. […] Quelques-uns même des sentiments dont est formée sa vertu sont réprouvés ou suspectés par l’Église : ainsi, dans certains cas, le souci de l’honneur, la tolérance pour les opinions, l’indulgence pour certaines faiblesses. […] Beaucoup de fidèles sont d’ailleurs des âmes simples, dont la religion est toute de sentiment. […] Ferdinand Fabre n’en reste pas moins « une », car il n’a dit que les sentiments les plus simples — ou les plus sérieux ; il n’a peint que les âmes qui suivent le mieux la nature, ou celles qui s’élèvent le plus au-dessus.
Parmi les morceaux les plus distingués du livre, je compte le Fragment de lettre d’une femme qui a substitué avec préméditation la vanité au sentiment, et qui, dans l’art de la vie, ne fait entrer comme principe dominant que l’amour-propre et le plaisir de briller : elle se raconte à une amie et expose son système complet de domination, son code de Machiavel. […] M. de Meilhan excelle à décomposer un sentiment, à le montrer dans sa nudité, dans sa simplicité primitive, avant que le loisir, la curiosité, l’amour-propre, toutes les passions nées d’une société avancée y aient ajouté leur charme ou leur artifice. Il montre à quoi se réduisent pour l’homme naturel et grossier, commandé par le besoin, par la faim de chaque jour, tous ces sentiments compliqués et souvent enchanteurs que l’homme civilisé prolonge et orne à plaisir de rêveries, de souvenirs ou d’espérances. […] Au commencement du règne de Louis XVI, un des premiers objets qui fixèrent l’attention de ce roi fut la liberté du citoyen : Il avait dans son Conseil, dit M. de Meilhan, deux ministres (Turgot et Malesherbes) portés par sentiment et par principes à seconder ses équitables dispositions. […] Necker présente quelques couleurs odieuses, et qu’on s’étonne de trouver sous la plume de M. de Meilhan : mais n’est-ce pas lui qui a écrit : « On dit souvent que ceux qui savent bien haïr savent bien aimer, comme si ces deux sentiments avaient le même principe.
Il a compté sur le plus ignoble sentiment qui soit dans le cœur de l’homme, et qui n’est pas l’envie du génie, de la puissance, de la richesse, mais qui est l’envie de la beauté. En Angleterre, où l’on souffre les distinctions et où la beauté de Byron passa sans révolter personne, ce sentiment d’envie n’a pas donné le succès sur lequel on comptait et qu’il aurait donné en France, par exemple, dans ce pays de l’égalité, ou être plus beau que les autres est contraire à la loi et au sentiment public. […] Par quel sentiment ? […] Qui a jamais peint comme lui les sentiments désintéressés et chastes ?… Non content des sentiments ordinaires de la vie, Byron s’invente des sentiments extraordinaires dans lesquels triomphe mieux la pureté de son génie, par exemple la petite Léïla dans le Juan, et la Yanté de la dédicace d’Harold.
Les Sentiments de l’Académie parurent en 1638 : c’est une œuvre de critique étroite, chicanière, sans vues générales ni élévation d’esprit. […] Il avait défini les caractères de l’action tragique : elle doit être morale et intérieure en son principe ; l’intéressant, ce n’est pas l’événement, c’est le sentiment, et les faits extérieurs, même nécessaires à l’action, ne valent que comme donnant une expression aux faits moraux, ou ayant sur eux un contre-coup. […] En revanche, il suppléera aux insuffisantes analyses du drame espagnol : il ajoutera la seconde entrevue de Rodrigue et de Chimène, qui rend sensible le progrès de l’action morale, en enregistrant les plus légers changements de sentiment et même d’accent des deux amants. […] Sans doute la mort du comte est un événement fortuit qui met obstacle au bonheur de Rodrigue et de Chimène, mais qui ne voit que le fait matériel de cette mort n’est rien, et que les sentiments déterminés chez les deux amants par cette mort sont tout l’obstacle ? […] Et le développement de cette action, la suspension pathétique du dénouement vient de ce que chacun des deux amants trouve en lui-même un sentiment qui l’oblige à défaire ou retarder son bonheur, et de ce que chacun d’eux trouve aussi dans l’autre un sentiment qui s’oppose à sa volonté : chez tous les deux, la piété filiale combat l’amour ; et le devoir parle à Rodrigue quand Chimène n’a encore qu’à suivre son amour, à Chimène quand Rodrigue peut de nouveau écouter son amour.
Ainsi les esprits, même les plus modérés, refusent d’entrer dans les sentiments de M. […] Mais ici l’injustice paraît si grande qu’elle vient peut-être d’un sentiment plus profond et plus réfléchi qu’on ne croit. […] Je me hâte d’ajouter que j’ai la modestie de ne point partager les sentiments de M. […] Daudet (et c’est singulier d’avoir à dire une chose si simple) le droit d’éprouver ces sentiments ; je le lui reconnais avec entrain, et je suis enchanté qu’il les ait éprouvés, puisqu’il en a fait ce livre, et qu’il a su répondre si crânement, à travers deux siècles et demi, aux Sentiments de l’Académie sur le Cid par les Sentiments de Tartarin sur l’Académie. […] Il me paraît même que les colères soulevées par l’Immortel ont été aussi disproportionnées que les sentiments de M.
Voltaire, le premier, l’avait dénoncé au monde avec un sentiment de respect, chez lui bien rare, et qu’il n’a éprouvé à ce degré pour aucun de ses contemporains. […] Ayant à parler du sentiment de la pitié, il le définira admirablement : La pitié n’est qu’un sentiment mêlé de tristesse et d’amour ; je ne pense pas qu’elle ait besoin d’être excitée par un retour sur nous-même, comme on croit. […] … Notre âme est-elle incapable d’un sentiment désintéressé ? […] Il a peu, ou plutôt il n’a pas le sentiment des beautés de la nature : dans la nature il ne considère volontiers que l’homme et la société ; Vauvenargues portait en lui le besoin d’être un grand homme historiquement. […] On le voit perpétuellement occupé de rechercher et d’entretenir le rapport du sentiment à l’idée, se faisant scrupule de retrancher aucun mobile naturel, et trop heureux de favoriser toute inspiration salutaire ou généreuse : « Si vous avez, disait-il à un jeune ami, quelque passion qui élève vos sentiments, qui vous rende plus généreux, plus compatissant, plus humain, qu’elle vous soit chère !
Des sentiments personnels se joignaient à ce qui n’était qu’imagination et rêve : il aimait. […] Les Anglais et les Allemands sont de mon sentiment, et cela ne prouve pas qu’il est mauvais : les Français sont d’un autre avis, et cela ne prouve point que le leur soit bon. […] C’est une légère marque des sentiments d’estime dont il est pénétré. […] Je me rappelle que j’avais sur ces hauteurs des idées et des sentiments que j’aurais peut être exprimés alors, mais que maintenant je serais non seulement dans l’impossibilité d’exprimer, mais incapable de me retracer avec quelque force. […] [NdA] Je retrouve dans ses Voyages au Mont-Perdu, publiés en 1801, un sentiment tout pareil, à l’occasion d’une chapelle de la Vierge qui se rencontre dans la partie la plus désolée de la vallée de Héas et qui y a créé un peu de civilisation et de vie.
Il a manié toutes ces formes avec un réel instinct du rythme : s’il n’a pas semblé avoir une conscience nette du rôle des accents dans les vers, s’il n’en parle jamais, non plus que Du Bellay dans sa théorie, en fait il les distribue souvent avec un très juste sentiment. […] Son génie est surtout lyrique : mais en maint endroit, dès qu’il s’agit des sujets graves et moraux, l’idée prend le dessus sur le sentiment, le raisonnement sur l’effusion, et le lyrisme tourne en mouvements oratoires. […] Ce qui manque surtout à Ronsard, ce qui reste à acquérir, c’est l’indépendance intellectuelle, la nette conscience du sentiment personnel, le goût : en un seul mot, la raison. […] Ce ne sont que pointes et bel esprit chez Desportes202, sécheresse de sentiment et grâces maniérées. […] Par ses sujets, ses idées, son inspiration, il indique une déviation aristocratique de la Pléiade qui, sous l’influence italienne, et se vidant de plus en plus de sentiment pour faire prédominer l’esprit, aboutira à la délicatesse tout intellectuelle des Précieux.
Le talent qui, dans le premier et bel hyménée de la jeunesse, ne fait qu’un d’ordinaire avec les sentiments dont une âme est possédée, s’il est fort, abondant, de trempe durable, s’en sépare bientôt, et devient jusqu’à un certain point distinct du fond même de l’âme. […] Tout ce que celle-ci a dans le cœur et veut exhaler, l’autre l’exprime ; mais quand elle n’a plus rien à lui inspirer, quand elle sommeille, l’autre veut exprimer quelque chose encore ; il se propose, il provoque autour de lui des sujets de sentiment, il grossit à son gré ses émotions légères ; c’est un organe à part qui réclame son exercice et sa pâture. […] A chaque flot nouveau de sentiment qui gonfle la surface, le talent, comme une nef soulevée, obéit. […] Sans entrer dans les questions polémiques, alors commençantes, Mme Tastu se rattachait à l’école nouvelle par un grand sentiment de l’art dans l’exécution. […] c’est surtout fatigue et ride intérieure, Et sentiment d’un joug difficile à tirer.
Son sentiment, à l’endroit des femmes, n’est ni passionné ni grossier. […] Voilà les louanges qu’il trouvait pour elle. « Vous que l’on aime à l’égal de soi-même. » Voilà le mot par lequel il peignait son sentiment. […] Ni l’extérieur, ni le rang, ni la fortune, ni la conduite ou le caractère visible ne font l’homme ; mais le sentiment intérieur et habituel. […] Il a erré parmi des milliers de sentiments fins, gais et tendres ; son coeur lui a fourni une fête, la plus piquante, la plus gracieuse, toute nuancée de rêveries voluptueuses, de sourires malins, d’adorations fugitives. Il s’est promené à travers tous les sentiments humains, quelquefois parmi les plus nobles, d’ordinaire parmi les plus doux.
Ce n’était plus une aveugle exaspération suivie de lassitude et de repentir, comme sous la Ligue ; ce n’était plus l’étourderie émoustillée de la Fronde : de graves événements avaient illustré, mûri, moralisé ce peuple sur lequel Gargantua s’était permis autrefois de si inconcevables licences ; 89 et Napoléon avaient enseigné, inculqué à tout jamais au tiers état la dignité de l’homme, l’énergie civilisatrice, et lui avaient fait un besoin des plus mâles et inviolables sentiments. […] Le grand art de Béranger, son coup de maître et à la fois de citoyen, a été de rallier tant de fines, d’éternelles observations, héritage de Molière et de La Fontaine, autour des sentiments actuels les plus enflammés, d’appeler les qualités permanentes de la nation au foyer des émotions nouvelles, de lier les unes et les autres en faisceau indissoluble, de grouper les Gueux, même Frétillon, ou Madame Grégoire, sous les plis du glorieux Drapeau, la Sainte Alliance des Peuples formant la chaîne aux collines d’alentour, et le Dieu des Bonnes Gens bénissant le tout. […] Le côté individuel de son talent, les sentiments capricieux ou tendres qu’il avait si heureusement entrelacés mainte fois, comme des myrtes autour de l’épée, lui restaient sans doute ; il pouvait s’y récréer à l’aise : mais s’en tenir là, après la vaste action publique qu’il avait exercée, c’était déchoir. […] La déception, dont de nobles vœux ont été récemment l’objet, provoque avant tout une épaisse amertume, un dégoût abattu qui ne laisse guère de place à l’alerte moquerie, un sentiment pensif et sérieux, qui se relèvera peut-être dans la patience, mais qui n’a pas pour la chanson l’entrain de la colère. […] Ailleurs, comme dans Jeanne la Rousse, la poésie, éludant le côté sévère et périlleux du sujet, c’est-à-dire le braconnier, tourne au sentiment, à la complainte gracieuse et touchante.
Originalité pittoresque ; vigueur oratoire ; sentiments lyriques. […] Mais les sentiments et idées qu’elle produisait n’étaient pas une atmosphère où pussent vivre constamment des gens tels que nos Français, pourvus d’instincts très positifs, chez qui rien ne parvenait à oblitérer tout à fait le sens commun et la fine intuition îles réalités. […] Les sentiments étaient si naturels, que les personnages finirent par être vivants : bergers et bergères devinrent de vrais paysans. […] Il en est qui sont anonymes et impersonnelles, et qui reflètent les sentiments d’un siècle et d’une classe, parfois avec une singulière intensité : comme cette virulente complainte de Jérusalem (vers 1214), qui n’est qu’un cri de haine contre la richesse du clergé et la corruption de Rome. […] Au service de ces idées et de ces sentiments, le poète met un talent original.
Comment déterminer les tons, les nuances du sentiment imperceptibles & sans nombre ? […] Duclos combat & le sentiment de l’abbé Dubos & celui des musiciens qu’il a consultés. […] Le successeur de Sarrasin tâche d’en avoir le sentiment & les entrailles. […] Riccoboni reprit la plume pour défendre son sentiment, & pour démontrer qu’on doit réciter une tragédie, un sermon, comme on récite un plaidoyer. […] On rend ces nuances avec plus ou moins de vérité, selon la force & la délicatesse du sentiment, & selon la flexibilité des organes dont la nature nous a doués .
C’est l’histoire intime et interprétée des sentiments humains de sainte Madeleine pour N. […] Or, c’est bien d’amitié qu’il s’agit et d’amitié humaine, car le livre s’ouvre justement par la plus singulière théorie sur l’amitié, l’amitié que l’auteur met, de son autorité privée de moraliste, au-dessus de tous les sentiments de l’homme. […] Le sentiment de l’amour religieux de Dieu est un sentiment humain aussi, et c’est là véritablement le plus beau, c’est le premier. […] En ne s’expliquant pas plus qu’il ne le fait sur les sentiments, purement humains, de Notre-Seigneur, l’Évangile, qui est la vérité, et qui devrait être la règle de ceux qui croient qu’il est la vérité, l’Évangile aurait dû arrêter le R. […] Renan, si vous vous en souvenez, s’est amusé, dans un de ses derniers écrits, à éteindre autour de la tête de nos Saints le nimbe d’or que la Foi y allume, malice philosophique assez semblable au mauvais sentiment du gamin qui renverserait la lampe d’un sanctuaire !
Cet art était né dans les plus beaux siècles de la Grèce, et convenait à l’imagination ardente et légère d’un peuple que le sentiment et la pensée frappaient rapidement, et dont la langue féconde et facile semblait courir au-devant des idées. […] Cet art, outre une imagination très vive et prompte à s’enflammer, supposait encore en eux des études très longues ; il supposait une étude raisonnée de la langue et de tous ses signes, l’étude approfondie de tous les écrivains, et surtout de ceux qui avaient dans le style, le plus de fécondité et de souplesse ; la lecture assidue des poètes, parce que les poètes ébranlent plus fortement l’imagination, et qu’ils pouvaient servir à couvrir le petit nombre des idées par l’éclat des images ; le choix particulier de quelque grand orateur avec qui leur talent et leur âme avaient quelque rapport ; une mémoire prompte, et qui avait la disposition rapide de toutes ses richesses pour servir leur imagination ; l’exercice habituel de la parole, d’où devait naître l’habitude de lier rapidement des idées ; des méditations profondes sur tous les genres de sentiments et de passions ; beaucoup d’idées générales sur les vertus et les vices, et peut-être des morceaux d’éclat et prémédités, une étude réfléchie de l’histoire et de tous les grands événements, que l’éloquence pouvait ramener ; des formules d’exorde toutes prêtes et convenables aux lieux, aux temps, à l’âge de l’orateur ; peut-être un art technique de classer leurs idées sur tous les objets, pour les retrouver à chaque instant et sur le premier ordre ; peut-être un art de méditer et de prévoir d’avance tous les sujets possibles, par des divisions générales ou de situations, ou de passions, ou d’objets politiques, ou d’objets de morale, ou d’objets religieux, ou d’objets d’éloge et de censure ; peut-être enfin la facilité d’exciter en eux, par l’habitude, une espèce de sensibilité factice et rapide, en prononçant avec action des mots qui leur rappelaient des sentiments déjà éprouvés, à peu près comme les grands acteurs qui, hors du théâtre, froids et tranquilles, en prononçant certains sons, peuvent tout à coup frémir, s’indigner, s’attendrir, verser et arracher des larmes : et ne sait-on pas que l’action même et le progrès du discours entraîne l’orateur, l’échauffe, le pousse, et, par un mécanisme involontaire, lui communique une sensibilité qu’il n’avait point d’abord. […] Tout homme qui veut être applaudi, dénature sa pensée ; ou il en cache une partie pour faire davantage briller l’autre, ou il saisit un rapport qui étonne et qui est plus singulier que vrai ; ou il détache ce qui devrait être fondu dans l’ensemble, et le met en saillie, ou pour avoir l’air de s’élever et de voir de plus haut, il généralise un sentiment qui ne conserve sa force qu’autant qu’il est lié à une situation ; ou il ajoute au sentiment même, et pour étonner il exagère, ou par une expression recherchée il veut donner une tournure fine à ce qui devrait être simple, ou il tâche d’unir la finesse à la force pour surprendre par l’assemblage de deux qualités contraires, ou enfin pour arrêter et fixer partout l’attention, il multiplie les détails et néglige la grandeur et la marche de l’ensemble. […] On pardonnait trop aisément à la petitesse des plans, au peu d’étendue des idées, au défaut de coloris, à la multitude des mots, à la faiblesse et au peu d’énergie des sentiments. […] On trouvera depuis le même sentiment dans ce jeune Alexandre Sévère qui, empereur à treize ans, et mort à vingt-six, élevé par une mère qui était un grand homme, fut à la fois ferme et sensible, et joignit toutes les vertus avec toutes les grâces.
Ce jugement paraîtra sans doute extraordinaire ; mais si l’éloquence consiste à s’emparer fortement d’un sujet, à en connaître les ressources, à en mesurer l’étendue, à enchaîner toutes les parties, à faire succéder avec impétuosité les idées aux idées, et les sentiments aux sentiments, à être poussé par une force irrésistible qui vous entraîne, et à communiquer ce mouvement rapide et involontaire aux autres ; si elle consiste à peindre avec des images vives, à agrandir l’âme, à l’étonner, à répandre dans le discours un sentiment qui se mêle à chaque idée, et lui donne la vie ; si elle consiste à créer des expressions profondes et vastes qui enrichissent les langues, à enchanter l’oreille par une harmonie majestueuse, à n’avoir ni un ton, ni une manière fixe, mais à prendre toujours et le ton et la loi du moment, à marcher quelquefois avec une grandeur imposante et calme, puis tout à coup à s’élancer, à s’élever, à descendre, s’élever encore, imitant la nature, qui est irrégulière et grande, et qui embellit quelquefois l’ordre de l’univers par le désordre même ; si tel est le caractère de la sublime éloquence, qui parmi nous a jamais été aussi éloquent que Bossuet ? […] L’idée imposante d’un vieillard qui célèbre un grand homme, ces cheveux blancs, cette voix affaiblie, ce retour sur le passé, ce coup d’œil ferme et triste sur l’avenir, les idées de vertus et de talents, après les idées de grandeur et de gloire ; enfin la mort de l’orateur jetée par lui-même dans le lointain, et comme aperçue par les spectateurs, tout cela forme dans l’âme un sentiment profond qui a quelque chose de doux, d’élevé, de mélancolique et de tendre. Il n’y a pas jusqu’à l’harmonie de ce morceau qui n’ajoute au sentiment, et n’invite l’âme à se recueillir, et à se reposer sur sa douleur. […] Bossuet s’arrête tantôt sur ces idées, tantôt à travers une foule de sentiments qui l’entraînent, il ne fait que prononcer de temps en temps ces mots, et ces mots alors font frissonner, comme les cris interrompus que le voyageur entend quelquefois, pendant la nuit, dans le silence des forêts, et qui l’avertissent d’un danger qu’il ne connaît pas. […] Il va, il vient, il retourne sur lui-même ; il a le désordre d’une imagination forte et d’un sentiment profond ; quelquefois il laisse échapper une idée sublime, et qui, séparée, en a plus d’éclat ; quelquefois il réunit plusieurs grandes idées, qu’il jette avec la profusion de la magnificence et l’abandon de la richesse.
Il avait, comme publiciste, des lumières, des doctrines ou des théories libérales et généreuses, des accès et comme des poussées d’enthousiasme : tout cela ne tenait pas dans le particulier ; esprit aiguisé, blasé, singulièrement flétri de bonne heure par je ne sais quel souffle aride, il se raillait lui-même, il se persiflait, lui et les autres, par une sorte d’ironie fine, continuelle, insaisissable, qui allait à dessécher les sentiments et les affections en lui et autour de lui. […] On sait en effet qu’attaché de bonne heure à Mme de Staël par un sentiment plus vif encore et plus tendre que l’admiration, il avait voulu, à une certaine heure et quand elle fut libre, l’épouser, lui donner son nom et qu’elle s’y refusa absolument : il lui aurait semblé, à elle, en y consentant, déroger à quelques égards, faire tort à sa gloire, et, comme elle le disait gaiement, désorienter l’Europe. […] Mais l’analyse de tous les sentiments du cœur humain est si admirable, il y a tant de vérité dans la faiblesse du héros, tant d’esprit dans les observations, de pureté et de vigueur dans le style, que le livre se fait lire avec un plaisir infini. […] Il est très possible qu’autrefois il ait été plus réellement amoureux qu’il ne se peint dans son livre ; mais, quand je l’ai connu, il était tel qu’Adolphe, et, avec tout aussi peu d’amour, non moins orageux, non moins amer, non moins occupé de flatter ensuite et de tromper de nouveau, par un sentiment de bonté, celle qu’il avait déchirée. […] L’auteur a choisi dans deux histoires réelles ; il a combiné, transposé, interverti à certains égards les situations et les rôles, mais pour mieux traduire les sentiments.
En un mot, si André Chénier eût vécu, je me figure qu’il aurait pu être le grand poëte régnant depuis 95 jusqu’en 1803 ; réaliser admirablement ce que son frère, et Le Brun, et David dans son genre, tentèrent avec des natures d’artiste moins complètes et avec une sorte de sécheresse et de roideur ; exprimer poétiquement, et sous des formes vives de beauté, ce sentiment républicain à la fois antique et jeune, qui respire dans quelques écrits de Mme de Staël à cette époque, et surtout dans sa Littérature considérée par rapport à la Société. André Chénier, vivant, eût été le grand poëte français, immédiatement antérieur à M. de Chateaubriand, lequel date du Christianisme renaissant, du culte restauré, et d’un ordre de sentiments spiritualistes que le génie d’André n’eût sans doute pas accueillis. […] Les plus grandes places de poëtes sont dues, à coup sûr, à ceux qui ont mis de puissantes facultés d’imagination, de sensibilité et d’intelligence, au service des intérêts et des sentiments d’un grand nombre de leurs concitoyens et de leurs contemporains ; qui les ont soutenus, animés, récréés, ennoblis ; qui les ont aidés à pleurer, à espérer, à croire, soit dans un ordre purement héroïque et humain, soit par rapport aux choses immortelles. […] Mais à côté, en dehors de ces grands rôles, il y en a d’autres qu’il ne faut pas cesser de revendiquer et de maintenir, parce qu’ils sont modestes, qu’ils sont vrais, qu’ils réfléchissent des nuances précieuses dont les autres ne tiennent pas compte, et parce qu’ils expriment, avec plus de distinction et de curiosité attentive, des sentiments et des délicatesses, pourtant éternelles, de l’âme humaine civilisée. […] Et puis, comme l’art a mille faces possibles, et qu’aucune n’est à supprimer quand elle correspond à la nature, il y aura toujours lieu à des talents et à des œuvres qui exprimeront des sentiments plus isolés, plus à part des questions flagrantes, et s’inquiéteront, en les exprimant, de la beauté calme et juste, de la perfection de la pensée et de l’excellence étudiée du langage : ce seront ceux de la même famille qu’André.
La catharsis est, comme on sait, l’art de se débarrasser sans danger d’un sentiment qui pourrait nuire, de s’en purger de telle sorte qu’il ne reste pas en nous pour nous torturer, ou qu’il ne s’exerce pas d’une manière mauvaise et funeste. […] Il me semble qu’il serait exactement dans la situation de cet humaniste dont je parlais plus haut : il n’aurait que le sentiment de l’excellent, avec une certaine étroitesse dédaigneuse d’esprit. Aurait-il même le sentiment de l’excellent ? […] C’est par comparaison que l’on a le sentiment de l’exquis. […] La haine d’un sot livre est un sentiment très inutile en soi ; mais qui a son prix s’il ravive en nous l’amour et la soif de ceux qui sont bons.
Legendre et dans la succession de ses sentiments. […] Elle s’avise enfin de faire jouer le sentiment. […] Imaginez le crime le plus contraire aux sentiments naturels. […] Parce qu’on y soupe, en effet ; parce que les attitudes, les sentiments et les propos des personnages sont bien des propos, des sentiments et des attitudes de soupeurs et de soupeuses. […] Elle exprime et elle inspire les sentiments qu’un honnête homme doit avoir l’été.
Je crois qu’on trouverait difficilement un poème qui renferme, dans un si étroit espace, un plus grand nombre de sentiments vrais, de sentiments choisis avec un goût sévère. […] Si Béranger est grand parmi nous, ce n’est pas seulement pour avoir exprimé des pensées vraies, des sentiments généreux ; c’est encore pour n’avoir jamais mis sa parole au service de pensées absentes, de sentiments fictifs. […] Ce que j’admire surtout dans ce recueil, c’est la spontanéité des sentiments et des pensées. […] Le sentiment religieux trouve rarement parmi les poètes un interprète aussi éloquent. […] Le sentiment de l’amour, purement exprimé dans les Méditations, n’est pas supérieur au sentiment religieux exprimé dans les Harmonies.
Les femmes, leur société, la connaissance des sentiments et des affections qui leur conviennent, leur genre de faiblesses, et même leurs vertus, ont heureusement inspiré M. […] « Une amitié vraie et durable, ajoute-t-il, ne peut guère s’établir qu’entre deux femmes dont le cœur est calme et bon, dont les sentiments sont élevés, et dont l’esprit a du moins quelques côtés sérieux. […] En terminant son livre, M. de Latena dit avec un sentiment de respect pour le public et une circonspection qui n’est pas ordinaire de notre temps : « Tout, dans la vie, est un jeu de hasard, tout, excepté la vertu. […] Son livre lui vaudra l’estime affectueuse de tous ceux qui l’auront lu, et ne fera que redoubler chez ceux qui le connaissent les sentiments dus à des pensées justes et si bien mûries, couronnant une vie utile et un caractère aimable.
quel sentiment ? […] Je n’eus aucun sentiment ni de crainte ni de pitié. […] Il s’écrierait : « Voilà des sentiments d’esclaves ! […] Le poète a-t-il donc eu un autre sentiment ? […] Cela a été idée juste, puis sentiment, puis passion.
Cet élément de certitude que nous donne le sentiment s’appelle d’un beau nom. […] Le même sentiment se retrouve dans la scène avec le prêtre. […] … mes sentiments ! […] Qu’est mon sentiment ? […] … Ignores-tu que le sentiment dévorera ce que n’a pu briser la pensée ?
Il les vivifie en les chargeant d’états d’âmes, en les faisant servir à l’expression de ses propres sentiments. […] La pensée n’est qu’un songe de sentiment, un sentiment éteint, une vie pâle et faible33. […] Ce sont les Bêtes du Sentiment. […] Les anciens avaient le sentiment du fini et rythmaient leurs temples selon les lois de l’harmonie. […] J’en saluerai le sentiment s’ils me touchent, et l’aride et sévère noblesse s’ils pensent et me font penser.
Jamais les personnes d’un sentiment opposé, ne sçauroient s’accorder sur cette preéminence dont on juge toûjours par rapport à soi-même. […] Leurs yeux sont organisez, de maniere que l’harmonie et la verité des couleurs y excite un sentiment plus vif que celui qu’elle excite dans les yeux des autres. […] Qu’on change les organes de ceux à qui l’on voudroit faire changer de sentiment sur les choses qui sont purement de goût, ou pour mieux dire, que chacun demeure dans son opinion sans blâmer l’opinion des autres. Vouloir persuader à un homme qui préfere le coloris à l’expression en suivant son propre sentiment, qu’il a tort, c’est lui vouloir persuader de prendre plus de plaisir à voir les tableaux du Poussin, que ceux du Titien.
Parce que les livres sont des systèmes et que les épisodes sont du sentiment. […] G…, et de lui avouer ses sentiments pour son élève. […] Il n’a fait naître que le sentiment du ridicule. […] Vous avez eu, à la fleur de la jeunesse, la prudence d’un sage, en ne vous écartant pas du sentiment de la nature. […] Son sentiment est dans votre cœur, ainsi que ses ouvrages sont sous vos yeux.
La philosophie française tient davantage au sentiment et à l’imagination, sans avoir pour cela moins de profondeur ; car ces deux facultés de l’homme, lorsqu’elles sont dirigées par la raison, éclairent sa marche, et l’aident à pénétrer plus avant dans la connaissance du cœur-humain. […] Smith, Hume, Shaftesbury, étudient les sentiments et les caractères sous des points de vue presque entièrement métaphysiques. […] Nos écrivains français ayant toujours présent à leur pensée le tribunal de la société, cherchent à obtenir le suffrage de lecteurs qui se fatiguent aisément ; ils veulent attacher le charme des sentiments à l’analyse des idées, et faire ainsi marcher simultanément un plus grand nombre de vérités. […] Il semble que les Anglais n’osent se livrer entièrement, que dans l’inspiration poétique : lorsqu’ils écrivent en prose, une sorte de pudeur captive leurs sentiments : comme ils sont tout à la fois timides et passionnés, ils ne peuvent se livrer à demi. […] En France, on est si jaloux de l’admiration qu’on accorde, que si l’orateur voulait l’obtenir deux fois pour le même sentiment, pour le même bonheur d’expression, l’auditoire lui reprocherait une confiance orgueilleuse, lui refuserait un second aveu de son talent, et reviendrait presque sur le premier.
Qu’il me prête de mauvais sentiments, je m’en arrange encore ; mais qu’il ne me prête pas son style ! […] Lemaître… ne me permettait pas de garder un silence qui, aux yeux de quelques-uns, pourrait être attribué ou à un sentiment d’extrême dédain ou à un sentiment d’extrême prudence, — ce que je ne veux ni pour lui ni pour moi. » Voilà, monsieur, qui est noblement pensé. […] Mais, monsieur, de quel droit préjugez-vous de mes sentiments secrets et faites-vous part au public de vos offensantes conjectures sur ce point ? […] Dubout, comme l’ont insinué quelques médisants, ait obéi à un autre sentiment qu’au zèle pur de la vérité ; pas un instant je n’ai cru qu’il cédait, dans sa poursuite grotesquement acharnée, à un dépit cuisant d’auteur tombé, à une rage de vanité déçue, à une démangeaison de réclame, à une humeur processive et hargneuse d’homme d’affaires et de chicanou provincial, ou encore au désir têtu de montrer aux habitants de sa petite ville, témoins de son retour humilié, que ces gens de Paris ne lui faisaient pas peur et qu’ils n’auraient pas avec lui le dernier mot. » Qu’auriez-vous à dire ? […] Vos sentiments, tout involontaires et fort excusables, étaient d’un homme ; mais votre conduite, hélas !
Notre attention a été fixée un instant sur un phénomène bien singulier de nos langues actuelles, qui manquent, avons-nous dit, du sentiment de la continuité d’existence ; et cependant il est impossible qu’un tel sentiment ait jamais été banni des conceptions de la pensée. Des esprits inattentifs ont souvent, comme on sait, accusé le peuple hébreu de n’avoir pas connu autrefois le dogme de l’immortalité de l’âme, parce que, prétendaient-ils, ce dogme n’est nulle part textuellement énoncé dans la loi judaïque ; mais il était bien plus formellement énoncé que par des mots ou des propositions, puisqu’il jaillissait du génie même de la langue, si fortement empreint du sentiment de la continuité d’existence. Nos langues actuelles, au contraire, étant dépourvues de ce sentiment, nous étions obligés de le chercher dans le sanctuaire de la pensée, où il fut déposé primitivement pour y subsister à jamais. […] En un mot, la pensée, ainsi que le sentiment musical, manquait d’une expression franche, nette, énergique, dont la force fût en elle-même. […] En effet, à force d’admettre, dans tous les moyens qui ont été donnés à l’homme pour exprimer ou communiquer ses sentiments et ses pensées, à force, disons-nous, d’y admettre des choses de convention, nous avons délayé et perdu les types primitifs.
Le sentiment & l’imagination favent bien s’épancher quand ils abondent dans l’ame. […] Les livres ne présentent point de modele aux yeux, mais ils en offrent à l’esprit : ils donnent le ton à l’imagination & au sentiment ; l’imagination & le sentiment le donnent aux organes. […] Ainsi la délicatesse du sentiment est essentielle à la poésie pastorale. […] Quoi qu’il en soit, la froide galanterie n’auroit dû jamais y prendre la place d’un sentiment ingénu. […] C’est pour avoir donné à un sentiment foible le ton du sentiment passionné, que l’élégie est devenue fade.
Il puisa dans sa famille des sentiments de fierté assez habituels en cette belle et généreuse province. […] Son orgueil serait au désespoir de laisser deviner ses sentiments. […] Que la vanité (puisqu’il veut l’appeler ainsi), élevée jusqu’au sentiment de l’honneur, produise des héros, je l’accorderai encore ; mais que cette vanité produise la gaieté vive, franche, amusante et délicieuse d’un Collé ou d’un Désaugiers, c’est ce que je conçois difficilement, et tous les Condillac du monde ne m’expliqueront pas cette transformation d’un sentiment si personnel en une chose si imprévue, si involontaire. […] Son admiration pour Pétrarque est sincère, celle qu’il a pour Dante me paraît un peu apprise : dans ces parties élevées et un peu âpres, c’est l’intelligence qui avertit en lui le sentiment. […] Longtemps je n’ai dû qu’à lui (et quand je dis je, c’est par modestie, je parle au nom de bien du monde) le sentiment italien vif et non solennel, sans sortir de ma chambre.
Comment proscrirait-on le sentiment profondément honorable et sain qui lui correspond ? […] Le sentiment public, je ne veux pas dire uniquement celui de la classe illettrée, mais également celui de la classe moyenne et même cultivée de chaque nation, semble plus ou moins partager le sentiment du monde antique à l’égard de tout ce qui vit en dehors de ses frontières, et volontiers confondre encore deux termes de plus en plus divergents. […] N’est-ce pas un sentiment apparenté au nôtre, qu’exprimait récemment un jeune sociologue d’esprit rigoureux et d’intuition profonde, lorsqu’il écrivait ces mots : « L’humanité entre dans la phase organique. Des sentiments, des croyances, des concepts nouveaux vont germer et converger. […] En revendiquant le droit à l’existence de ce sentiment, je n’ai fait qu’appliquer à la philosophie sociale, la doctrine nouvelle et universelle de la solidarité.
L’à-propos de circonstance, la facilité d’expression et de coloris qu’il possédait, ses sources et ses jets d’inspirations habituelles, allaient aux sentiments et aux modes de son époque. […] Le goût des arts, des lettres, les sentiments d’un esprit vif et honnête, s’y montrent selon les traditions reçues. […] Delille vit la Révolution avec les sentiments qu’on peut aisément supposer, et tout d’abord il s’écarta. […] Du commerce des anciens il ne rapporta jamais ce sentiment de l’expression magnifique et comme religieuse, ce voile de Minerve, où chaque point, touché par l’aiguille des Muses, a sa raison sacrée. […] Souvent il substitue l’esprit au sentiment, plus souvent il émousse et affaiblit le sentiment par l’esprit qu’il y mêle.
Celles qui resteront se seront imposées à vous, non comme figures, mais comme propres expressions de votre pensée et de votre sentiment : elles auront ce caractère de nécessité, qui seul les justifie. […] On le concevra sans peine, si l’on songe que souvent l’expression propre ne rend que l’idée, tandis que dans l’esprit l’idée est doublée d’un sentiment, d’une impression quelconque, qui en sont inséparables, qui doivent se manifester avec elle et par les mots même qui la rendent. […] Les sentiments débordent les idées, et le langage se colore, peignant moins la réalité des choses que leur représentation dans l’âme et les mouvements qu’elles y déterminent. […] Le Cid sent ce que Corneille décrit, et ses paroles insensées sont dans la circonstance l’expression propre du sentiment. Mais lorsqu’il s’agit de parler à l’intelligence, de lui découvrir une vérité théorique ou pratique, il faut se défier de ce langage figuré, qu’une certaine chaleur de sentiment, uni à une certaine paresse d’esprit, produit.
Ils nous étalent leurs sentiments avec une insistance et une indiscrétion qui nous rebutent : car, nous aussi, nous savons sentir. […] On dirait que sa sécheresse la conserve. « La mort n’y mord. » Et, quand nous relisons ces ouvrages d’une aussi harmonieuse pureté, nous sommes étonnés de tout ce qu’ils contiennent sans en avoir l’air ; nous sommes ravis de cette exacte et précise traduction des choses, où rien d’essentiel n’a été omis, où n’a été admis rien de superflu ; nous en développons la richesse secrète ; nous nous apercevons que dans ces nouvelles, dont quelques-unes ont été composées voilà cinquante ou soixante ans, se trouvent déjà tous les sentiments, toutes les façons de voir et de concevoir le monde qui ont paru depuis et qui paraissent encore le plus originales. […] Mais ces sentiments divers sont tous comprimés et dominés chez lui par un autre sentiment, plus général, ou mieux par une manière d’être qui, jointe, à la qualité particulière de son style ; achève de donner sa marque à ce rare écrivain : car elle nous révèle, après la distinction incomparable de l’artiste, la suprême distinction de l’homme. […] Mais ce sentiment, il ne l’étale jamais, parce que c’est trop facile, et à la portée même des sots.
La catastrophe de 1870 est encore venue augmenter la tristesse et l’âpreté des sentiments. […] Il y avait, dans notre entêtement à considérer et à peindre le mal, un refus du mieux, un méchant sentiment qui semblait venir du diable. […] La première elle a senti ce qu’il y a de grandeur et de poésie dans sa simplicité, dans sa patience, dans sa communion avec la Terre ; elle a goûté les archaïsmes, les lenteurs, les images et la saveur du terroir de sa langue colorée ; elle a été frappée de la profondeur et de la ténacité tranquille de ses sentiments et de ses passions ; elle l’a montré amoureux du sol, âpre au travail et au gain, prudent, défiant, mais de sens droit, très épris de justice et ouvert au mystérieux… Ce que nous devons encore à George Sand, c’est presque un renouvellement (à force de sincérité) du sentiment de la nature. […] Au lieu que les autres, le plus souvent, voient la nature de haut, et l’arrangent, ou lui prêtent leurs propres sentiments, elle se livre, elle, aux charmes des choses et s’en laisse intimement pénétrer.
Un sentiment cesseroit même d’être aussi touchant s’il étoit exprimé en termes magnifiques et avec des figures ambitieuses. Le vieil Horace ne m’interesseroit plus autant qu’il m’interesse si, au lieu de dire simplement le fameux qu’il mourût, il exprimoit ce sentiment en stile figuré. […] Mais les retours que les interlocuteurs font sur leurs sentimens et sur ceux des autres, les reflexions du poëte, les recits, les descriptions, en un mot tout ce qui n’est pas sentiment, veut autant que la nature du poëme et la vrai-semblance le permettent, nous être répresenté sous des images qui forment des tableaux dans notre imagination. […] Je m’imagine qu’ils sont attendris par la nouvelle qu’il leur annonce, et le sentiment qu’il leur prête fait naître dans mon coeur un sentiment approchant du leur.
Aucun des ouvrages de l’auteur de la Vie de Jésus ne me semble aussi parfaitement étranger au sentiment catholique, voire au sentiment religieux, que cette correspondance où éclate d’ailleurs une admirable passion de l’étude. […] C’est avec un sentiment respectueux pour le Maître, dont la mémoire nous est toujours présente, que j’analyse son passage du séminaire à la vie laïque. […] Voilà une atmosphère où le goût de l’éternel est si vigoureux que nul sentiment médiocre, je veux dire de considération pour les choses passagères, ne saurait y être viable. […] Nul des sentiments que nous connaissons à Ernest Renan ne nous permet de le considérer comme ayant accepté le catholicisme à un instant quelconque de sa vie intellectuelle.
Ce qui frappe, au milieu du rôle politique assumé par Mme de Staël et de tous les généreux sacrifices qu’elle a faits à ses sentiments et à ses convictions, c’est qu’elle reste femme, bien femme, ce qui n’est pas un trait désagréable, mais plutôt une expression intéressante de physionomie. […] Mais son naturel et son sentiment valent mieux que sa métaphysique, et sa belle intelligence touche à la puissance du génie. […] Le sentiment de l’art lui manque ; et le beau qui n’est pas esprit et éloquence n’existe pas pour elle. […] Mais Schlegel m’est insupportable. » Sur l’absence du sentiment de l’art, on peut toutefois remarquer que ce jugement de Bonstetten est antérieur au voyage de Mme de Staël en Italie ; sur le manque du sens poétique, on voit qu’il est tout à fait d’accord avec Schiller. […] Il lui arrivait d’écrire en 1809 : « Je me trouve parfaitement d’accord sur les principes politiques avec Mme de Staël, passablement sur les sentiments qui les accompagnent, excepté que dans tous ses jugements elle est trop souvent haineuse et méprisante.
C’est de ce sentiment d’aristocratie chez les nobles, de supériorité exclusive chez les habitants de la cité, que dérive l’éminent caractère des écrits des Romains, de leur langue, de leurs mœurs, de leurs habitudes, la dignité. […] Il en était de même, parmi les philosophes romains, des sentiments tumultueux de peine ou de colère, d’envie ou de regret : ils trouvaient efféminés tous les mouvements involontaires ; et rougissant de les éprouver, ils ne s’attachaient point à les connaître dans eux-mêmes, ni dans les autres. […] Un sentiment religieux consacrait tout ce qui leur était cher. […] Loin d’avoir rien à retrancher à la valeur des termes, il semble, au contraire, qu’ils supposent au-delà de ce qu’ils expriment Les Romains donnent beaucoup trop de développements à leurs idées ; mais ce qui appartient aux sentiments est toujours exprimé avec concision. […] Les Romains sont d’une nature ardente et sublime ; ils respirent le sentiment de la tragédie, et peuvent oser avec succès.
Il est trop clair d’abord que la seule conscience d’avoir reculé devant la saine méthode et le sentiment permanent d’une objection non réelle jetteraient sur toute la vie ultérieure un scepticisme plus désolant que la négation même. […] Le trait général des œuvres religieuses est d’être particulières, c’est-à-dire d’avoir besoin, pour être comprises, d’un sens spécial que tout le monde n’a pas : croyances à part, sentiments à part, style à part, figures à part. […] Si la France avait davantage le sentiment religieux, elle fût devenue protestante comme l’Allemagne. […] Ce regret ne se remarque pas chez les premiers sceptiques (les philosophes du XVIIIe siècle par exemple), lesquels détruisaient avec une joie merveilleuse et sans éprouver le besoin d’aucune croyance, préoccupés qu’ils étaient de leur œuvre de destruction et du vif sentiment de l’exertion de leur force. […] L’apparition incessante de nouvelles sectes, que les catholiques reprochent aux protestants comme une marque de faiblesse, prouve, au contraire, que le sentiment religieux vit encore parmi eux, puisqu’il y est encore créateur.
Mais le sujet était trop vivant et trop pathétique, il tenait de trop près aux sentiments qui se réveillaient alors dans tous les cœurs ; pour qu’un orateur comme Portalis n’en fît pas un texte de morale humaine et réconciliatrice. […] Je ne sais si Portalis s’était fait relire cet épisode avant de prendre la parole pour ses naufragés, mais ce même sentiment de piété, qui est propre à Virgile, respire dans son discours. […] Vous êtes des hommes et nous le sommes aussi ; vous êtes malheureux, nous vous devons de la pitié. » — Qu’il fut grand, s’écrie Portalis, cet homme qui, simple ministre d’un souverain par sa place, sut, par la dignité de son caractère et l’élévation de ses sentiments, se constituer le magistrat du genre humain ! […] Le sentiment du législateur domine en lui de beaucoup la curiosité de l’investigateur et du philosophe. […] Le débarquement de Bonaparte en octobre, et le 18 Brumaire (9 novembre), vinrent répondre comme à point nommé à cet appel du sage qui traduisait le sentiment social de la majorité de la France.
Les sentiments de Franklin pour la France ont varié dans le cours de sa longue carrière et pendant le temps même de son séjour ; il est juste de tenir compte des divers moments pour ne pas faire de lui un moqueur ni un ingrat. […] Adams), qu’on ne saurait exprimer ni professer trop haut ces sentiments de gratitude pour la France, pour son jeune et vertueux roi. […] La correspondance de Franklin, en ces années, est d’une lecture des plus agréables et des plus douces : l’équilibre parfait, la justesse, l’absence de toute mauvaise passion et de toute colère, le bon usage qu’il apprend à tirer de ses ennemis mêmes, un sentiment affectueux qui se mêle à l’exacte appréciation des choses, et qui bannit la sécheresse, un sentiment élevé toutes les fois qu’il le faut, un certain air riant répandu sur tout cela, composent un vrai trésor de moralité et de sagesse. […] Franklin, vieux, lisait peu les poètes ; il en est un pourtant qui, par son naturel, sa grâce simple, et la justesse de ses sentiments, sut trouver le chemin de son cœur : c’était William Cowper, l’humble poète de la vie morale et de la réalité. […] Sa correspondance, en ces années, ne cesse pas d’être intéressante et vive, et elle se nourrit jusqu’au bout des mêmes sentiments.
Prévost n’a pas pris la peine d’affirmer l’existence des sentiments que nous indiquons. […] Peu à peu le bonheur le ramène au sentiment du devoir. […] Deux sentiments dominent et remplissent ce recueil : l’orgueil et la colère. […] Les sentiments qui circulent dans ce livre sont des sentiments vrais et deviendraient facilement poétiques sous la plume d’un artiste consommé ; mais M. […] Sandeau : ce qui domine dans tous ses livres, c’est le sentiment profond de la famille.
Notre chartreux avait bien changé de sentiments. […] Essayez, par exemple, de porter un homme à une certaine action par un sentiment d’honneur. […] Je ne crois guère les sentiments moraux susceptibles de varier dans leur forme ; je crois qu’en littérature l’idée, qu’en morale le sentiment, donne la forme, de même qu’un fruit détermine les contours de son enveloppe. […] Que m’importe que Lycurgue allègue le patriotisme contre le sentiment maternel ? […] Ainsi tout est jeu, tout est feinte, rien n’est réel ; et, à part les sentiments de la nature, auxquels vous n’avez pas osé attenter, il ne reste aucune affection, aucun sentiment moral au milieu de tous ces intérêts.
C’est le cas de La Fontaine ; il a le cœur primesautier, et le sentiment peut tout sur ce grand enfant ingénu. […] Cette forme expressive et souple, qui se défait et se refait sans cesse, qui se coule librement, sans aucune contrainte technique, sur la pensée ou le sentiment, n’est-ce pas la perfection de ce que quelques-uns de nos contemporains s’évertuent à chercher ? […] La vérité psychologique, le sentiment poétique, la délicatesse rythmique, voilà les parties essentielles de la Fable, telle que La Fontaine l’a faite. […] Et, par la poursuite du plaisir sans relâche et sans règle, par la lassitude finale qui envahit les existences trop uniquement voluptueuses, un peu de sentiment, de la sincérité, de la mélancolie, enfin de la poésie, rentrent dans ces pièces légères. […] Il a traduit en vers l’Éneide et les Géorgiques, remplaçant le sentiment virgilien par l’élégence académique.
Comme le tableau qui répresente une action, ne nous fait voir qu’un instant de sa durée, le peintre ne sçauroit atteindre au sublime que les choses qui ont precedé la situation présente jettent quelquefois dans un sentiment ordinaire. […] Un poëte peut emploïer plusieurs traits pour exprimer la passion et le sentiment d’un de ses personnages. […] L’âge, la patrie, le temperament, le sexe et la profession mettent de la difference entre les symptomes d’une passion produite par le même sentiment. L’affliction de ceux qui regardent le sacrifice d’Iphigenie vient du même sentiment de compassion, et cependant cette affliction doit se manifester differemment en chaque spectateur, suivant l’observation que nous venons de faire. […] Un autre a la tête panchée sur l’épaule droite, et il regarde l’apôtre avec une admiration pure, qui ne paroît pas encore accompagnée d’aucun autre sentiment.
La politique a été très-vive ce mois-ci ; le ministère Guizot s’est trouvé plus malade qu’il ne le croyait, et il a failli succomber sur l’affaire de Taïti ; il serait même tombé s’il avait interprété le sentiment public, mais ce sont des choses que les gouvernants n’entendent pas à demi-mot. […] Cette raison lumineuse et rapide a repris tout son jeu et sa vivacité ; dès que l’attention et le travail suivi seront possibles, la littérature et ses douceurs achèveront vite et confirmeront, tout le fait espérer, une guérison qui a été accueillie avec un sentiment de joie universel. […] Saint-Marc Girardin, vers la fin de son discours, avait assez délicatement touché cette situation en disant : « Et pardonnez-moi, messieurs, si le souvenir de nos jeunes princes50me ramène naturellement vers ces écoles d’où ils sont sortis, vers ces lieux où j’ai mes plus doux devoirs, où il m’est donné de vivre avec les jeunes gens, et d’observer l’avenir de la patrie à travers le leur ; là aussi je vois la jeunesse toujours favorable aux bons sentiments et aux nobles pensées, toujours aisément émue quand on lui parle des saintes obligations de la famille ou de la gloire de la France ; bienveillante, j’ai droit de le croire, pour ceux qui l’instruisent, pour ceux même qui l’avertissent. […] Ils ignorent tout sentiment qui pourrait troubler la paix inaltérable de leur pensée.
Les personnes qui en avoient jugé autrement que les gens de l’art, et en s’en rapportant au sentiment, s’entrecommuniquent leurs avis, et l’uniformité de leur opinion change en persuasion l’opinion de chaque particulier. […] Mais le public s’étant affermi dans son sentiment par l’expérience, il est sorti de l’espece de contrainte où l’on l’avoit tenu, et il a eu la constance de parler enfin comme il pensoit déja depuis long-temps. […] Mais le public ne varie point dans son sentiment, parce qu’il prend toujours le bon parti. […] Le public s’assemble pour juger les pieces de théatre, et les personnes qui se sont assemblées s’entrecommuniquent bien-tôt leur sentiment.
Mais c’est sans doute dans un sentiment général de révolte que se résolvent les éléments contraires dont son « rêve » semble formé. […] Elle s’enfuit de chez le colonel Delmare dans le même sentiment que Norah de chez Helmer. […] Elle a un orgueil au moins égal, et le même sentiment pléthorique, si je puis dire, des droits de l’individu. […] Il y a plus : le haut sentiment religieux dont elle paraît animée rend à peu près incompréhensible le genre de sacrifice auquel elle a consenti. […] Dira-t-on qu’il s’agit moins d’une inquiétude philosophique que du sentiment de l’inconnu formidable qui nous entoure, sentiment qui peut être lui-même provoqué par une sensation accidentelle ?
Aux sentiments comme au langage, je reconnais la race cornélienne. […] L’âme de Voltaire n’était pas assez tendre pour inventer dans un ordre de sentiments où l’imagination n’est d’aucune aide. […] Voltaire avait le sentiment de tout ce qu’il perdrait à la lecture. […] Il en est un autre pourtant qui lui parle plus intimement : c’est le vrai des sentiments tendres. […] Où la pensée est solide, le sentiment juste et profond, le style ne brille pas ; il pénètre, il frappe, il échauffe.
Cette assertion est également vraie pour le sentiment moral. […] Je voudrais bien, en effet, que l’on expliquât comment l’homme aurait pu parvenir de lui-même à imaginer tout à coup la manifestation la plus complète de l’intelligence et de tous les sentiments moraux, puisque le verbe, parole par excellence, lien merveilleux de tout discours, contient le sentiment même de l’existence avec tous ses modes et toutes ses modifications. […] Nommer, c’est constater l’existence : or ceci me paraît pour le moins autant au-dessus de l’homme que l’expression du sentiment de l’existence, qui repose dans le verbe. […] Cet homme, en qui les sentiments étaient si vrais, s’abandonna trop souvent aux fascinations de son esprit naturellement raisonneur. […] Mais cette énergie d’assimilation pour les pensées et pour les sentiments ne prouve que la puissance de la parole.
il n’est plus possible de dévorer en secret le sentiment de tant de crimes. […] Je ne me suis livrée à rien avec un sentiment aussi complet. […] N’avez-vous pas trouvé que c’était vos sentiments appliqués aux institutions ? […] Comme toute la littérature du monde paraît chose frivole à côté d’un sentiment du cœur ! […] — Mille impérissables sentiments. — Adieu.
Préparation du romantisme dans la littérature : sensation, sentiment ; thèmes tyriques. — 2. […] On ne recherche plus la connaissance par la raison, mais la jouissance par le sentiment. […] Ainsi s’oriente le monde vers la « sensibilité », vers l’idée d’abord et le désir, peu à peu vers la réelle capacité des plaisirs du sentiment. […] Elle redouble son mal en l’analysant, elle en trouve la formule : c’est la privation du sentiment, avec la douleur de ne pouvoir s’en passer. […] Elles ne reçoivent le sentiment, la passion que comme objet d’étude analytique.
Jamais les difficultés, cherchées et multipliées à plaisir d’artiste, de la prosodie et du rythme n’ont été mieux déguisées par la simplicité mélodique du sentiment ; et jamais la banalité du sentiment éternel n’a été mieux relevée par la recherche, la complication adroite de l’art… Aujourd’hui, M. de Banville, après avoir publié deux livres de poésies remarquables, et répandu dans les journaux, dans les revues, de nombreuses pages d’une prose savante, correcte, pleine de nombre et de mouvement, est encore considéré par bien des gens comme un jeune écrivain dont le talent promet. Évidemment, il y a là une inégalité, une injustice, un fatum… On peut différer de sentiment sur la poésie de M. de Banville et sur la nature de ses inspirations ; mais ce qu’on ne peut méconnaître, dès la première lecture, c’est que l’effort est complet, et qu’aucune négligence, aucune transaction ne s’est interposée entre le poète et son but… Des deux grands principes posés au commencement de ce siècle, la recherche du sentiment moderne et le rajeunissement de la langue, M. […] Mais j’en reviens toujours là : la poésie ne me plaît au théâtre que si elle a les qualités exigées pour le théâtre, si elle est en situation, si elle exprime des sentiments qui touchent, si elle va au cœur. […] Et comme le sentiment de la beauté extérieur et le divin jeu des rimes, s’ils ne sont pas toute la poésie, en sont du moins une partie essentielle, M. de Banville a été, à certaines heures, un grand poète et a plusieurs fois, comme il le dit volontiers, heurté les astres du front. […] Ces Idylles prussiennes, sur lesquelles je veux particulièrement insister, ne sont pas seulement les plus belles poésies du volume, mais elles portent avec elles un caractère de nouveauté si peu attendu et si étonnant, qu’en vérité on peut tout croire de la puissance d’un poète qui, après trente ans de la vie poétique de la plus stricte unité, apparaît poète tout à coup dans un tout autre ordre de sentiments et d’idées, — et poète, comme certainement jusque-là il ne l’avait jamais été !
Il s’écrie : « Qu’il y a d’idées inaccessibles à ceux qui ont le sentiment froid ! […] l’infaillibilité du sentiment. […] » — La raison, dit-il encore42, produit des hommes d’esprit ; le sentiment fait les hommes de génie. La raison varie d’âge en âge ; le sentiment est toujours le même. — Et il continue longuement ce parallèle où la pauvre raison est immolée sans pitié en l’honneur du sentiment réhabilité. […] Rousseau restaure, je ne dirai point la religion, mais le sentiment religieux.
Les passions exagèrent la vue des choses, même pour les meilleurs esprits ; elles détournent, elles amusent ; on a du jugement, mais on le suspend dans les occasions où il nous gêne ; on a le sentiment des ridicules, mais on l’étouffe sous une certaine chaleur d’enthousiasme qui séduit. […] C’est ainsi que, prenant un à un les différents sentiments, les différentes passions qui peuvent servir de ressorts au drame, il nous en fait l’histoire chez les Grecs, chez les Latins, chez les modernes, avant et après le christianisme : « Chaque sentiment, dit-il, a son histoire, et cette histoire est curieuse, parce qu’elle est, pour ainsi dire, un abrégé de l’histoire de l’humanité. » M. de Chateaubriand avait, le premier chez nous, donné l’exemple de cette forme de critique ; dans son Génie du Christianisme, qui est si loin d’être un bon ouvrage, mais qui a ouvert tant de vues, il choisit les sentiments principaux du cœur humain, les caractères de père, de mère, d’époux et d’épouse, et il en suit l’expression chez les anciens et chez les modernes, en s’attachant à démontrer la qualité morale supérieure que le christianisme y a introduite, et qui doit profiter, selon lui, à la poésie. […] L’échelle qu’il parcourt est des plus étendues, et comprend toutes les variétés poussées jusqu’au contraste dans le cours d’un même sentiment. […] Il a des commencements de chapitres, parfaits de ton, de tenue, de sévérité, d’une haute critique ; puis il descend ou plutôt il s’élance, il saute à des points de vue tout opposés. « Mais ce n’est point ma faute à moi, dira le critique ; je n’invente pas mon sujet, je suis obligé d’en descendre la pente, et de suivre les modernes dans ces recoins du cœur humain où ils se jettent, après que les sentiments simples sont épuisés. » — Pardon, répondrai-je encore ; votre ingénieuse critique, en faisant cela, n’obéit pas seulement à une nécessité, elle se livre à un goût et à un plaisir ; elle s’accommode à merveille de ces recoins qu’elle démasque, et dont elle nous fait sentir, en se jouant, le creux et le faux. […] Le démon de Stagyre, ou, ce qui revient au même, le mal de René, c’est le dégoût de la vie, l’inaction et l’abus du rêve, un sentiment orgueilleux d’isolement, de se croire méconnu, de mépriser le monde et les voies tracées, de les juger indignes de soi, de s’estimer le plus désolé des hommes, et à la fois d’aimer sa tristesse ; le dernier terme de ce mal serait le suicide.
Edmond Barthélemy Édouard Dubus nous apparaît surtout comme un poète du sentiment, un des derniers poètes du sentiment, tout à fait près de Verlaine, avec, pourtant, des garanties de développements, de certains développements qui donneront autre chose… Un poète du sentiment, mais point sentimental ; de là, sans doute, le sourire mi-navré, mi-ironique de cette poésie où toutes sortes de tendresses s’évaporent dans le doute, se meurent d’incertitude, encens à qui l’espace fait défaut.
Dès lors, la sincérité manqua à ses sentiments, comme la conviction à ses idées. […] L’amour est le plus égoïste des sentiments, le plus inconciliable avec la charité chrétienne. […] « Comme on se gâte l’esprit, on se gâte le sentiment », a dit Pascal. […] Que l’égoïsme pervertisse souvent ces sentiments naturels, qu’en les exagérant il les tourne parfois au vice, n’est-ce point ce qui arrive de tous les sentiments humains ? […] Il s’y rencontre bien çà et là de nobles sentiments, mais ces sentiments n’appartiennent qu’au pauvre.
La vie de société ne laisse pas aux émotions profondes de l’individu le droit de s’exprimer, et élimine de plus en plus rigoureusement par la tyrannie des formes les réalités de sentiment et d’action qui pourraient servir de modèle à la tragédie. […] La qualité des matériaux lui est indifférente : il prend à La Calprenède, à Corneille, à Racine, des situations, des caractères, des sentiments ; il amalgame des lieux communs, il invente des férocités ou des héroïsmes sans exemple ; peu lui importe ; jamais il n’a jeté un regard vers la nature. […] Zénobie, qui se connaît, aime Arsame : nous voyons poindre un troisième sentiment incestueux. […] Elle a été jadis assassinée par son mari, qui était aussi l’assassin de son père : aucun souvenir n’a donc à contraindre ses sentiments. […] Il dirige son action, il donne « le coup de pouce », pour amener telle situation, tel jeu de sentiment, tel tableau, sur lesquels il compte.
Le sentiment paternel a cela de divin, il est vrai, qu’il se paye comme Dieu avec lui-même et qu’il est heureux uniquement de ce qu’il existe. […] Or, à côté du sentiment et de la grâce de la paternité dans un homme de génie, il y a en Joseph de Maistre un sentiment bien plus étonnant et bien plus rare, un sentiment qui fait moins son train dans les cœurs et qui surtout, dans cette correspondance-ci (Correspondance diplomatique)44, s’élève en lui jusqu’à la plus haute raison et la plus haute vertu, sans cesser pour cela d’être une grâce, sans cesser d’être une chose charmante d’expression, et ce sentiment-là, c’est le respect voulu et maintenu de tout ce qu’on pourrait ne plus estimer ou mépriser peut-être. […] car Joseph de Maistre est certainement le seul homme au monde qui ait fait passer tous les sentiments de la vie, les plus offensés et les plus résistants, à travers la réalité d’un respect qui ne se démentit jamais, quand tout aurait dû, à ce qu’il semble, le faire éclater.
Pour l’être, il ne suffit pas du sentiment du péché, lourd fardeau ; des aspirations, des nostalgies ; du désir de l’infini. […] » Ce n’est pas le sentiment à l’état brut qui importe le plus dans la création ; c’est l’art. […] L’homme de sentiment, tout en rendant justice à ses qualités, trouve qu’il manque de génie. […] Un acheminement à la psychologie du sentiment par la philosophie des lumières. […] Peut-être n’ont-elles pas perdu tout sentiment, toute mémoire de leur premier état.
Dans cet ouvrage donc que je ferai, ou que je voudrais qu’on fit, il faudrait mettre absolument de côté tout ce qui tient à l’esprit de parti ou aux circonstances actuelles, la superstition de la royauté, la juste horreur qu’inspirent les crimes dont nous avons été les témoins, l’enthousiasme même de la république, ce sentiment qui dans sa pureté est le plus élevé que l’homme puisse concevoir. […] Deux motifs de sentiment me frappent surtout ; voudrait-on souffrir une nouvelle révolution pour renverser celle qui établit la république ? […] Je m’attends aux diverses objections de sentiment et de raisonnement qu’on pourra faire contre le système développé dans cette première partie. […] On se confie d’autant plus à leur durée que l’on est soi-même plus incapable d’ingratitude ; on se sait des droits à la reconnaissance, on croit à l’amitié ainsi fondée plus qu’à aucun autre lien de la terre, tout est moyen, elle seule est le but ; l’on veut aussi de l’estime publique, mais il semble que vos amis vous en sont les garants, on n’a rien fait que pour eux, ils le savent, ils le diront ; comment la vérité, et la vérité du sentiment ne persuaderait-elle pas ? […] Vos paroles, votre voix, vos accents, l’air qui vous environne, tout vous semble empreint de ce que vous êtes réellement, et l’on ne croit pas à la possibilité d’être longtemps mal jugé ; c’est avec ce sentiment de confiance qu’on vogue à pleine voile dans la vie ; tout ce qu’on a su, tout ce qu’on vous a dit de la mauvaise nature d’un grand nombre d’hommes, s’est classé dans votre tête comme l’histoire, comme tout ce qu’on apprend en morale sans l’avoir éprouvé.
Ses vains efforts pour le susciter et l’assouvir font qu’il néglige les sentiments et les plaisirs où sa sensibilité eût trouvé à se satisfaire. […] Le milieu social, la profession et la caste sont pour nombre d’entre eux des motifs suffisants de s’attribuer des sentiments et des opinions, jusqu’à des raisons de s’affecter et de se réjouir, des plaisirs et des peines. […] Ils ont exactement les sentiments et les opinions qu’exigent leur profession, leur fortune et leur monde, et il semble bien que les uns et les autres seraient fort empêchés de penser, d’agir et d’être hommes s’ils n’étaient d’abord notaire, fonctionnaire, prêtre ou gentilhomme. […] Mais elle n’est plus dupe ni du sentiment qu’elle éprouve ni de celui qu’elle inspire ; un pouvoir critique s’est éveillé on elle ; elle mesure la part de comédie qui entre en cet amour. […] La révélation de l’immense richesse intellectuelle qui leur est livrée n’excite en eux qu’un sentiment d’admiration pour la science, pour l’art, pour la philosophie, pour la pensée sous ses formes les plus hautes.
Sa foi est intrépide, va jusqu’à lui donner l’apparence de sentiments qui sont peu dans son caractère. […] Sur ce qui est l’âme même du christianisme, il abonde non seulement en sentiments, mais en idées. […] Cet homme, qui n’est pas un philosophe, n’a que des sentiments d’un caractère universel. […] Mais enfin, si je ne puis aller au-delà de ce sentiment ? […] L’humanité pourra s’accorder dans la résignation même à l’ignorance métaphysique, et dans le sentiment que votre solution, à vous, est impossible.
Charles Loyson est juste un intermédiaire entre Millevoye et Lamartine, mais beaucoup plus rapproché de ce dernier par l’élévation et le spiritualisme habituel des sentiments. […] Il est poète de sens, de sentiment et d’esprit, plutôt que de haute imagination. […] André Theuriet Sainte-Beuve a dit de Charles Loyson qu’il était un intermédiaire entre Millevoye et Lamartine, et il a ajouté avec raison « mais beaucoup plus rapproché de ce dernier par l’élévation et le spiritualisme habituel des sentiments ».
Le sentiment de son isolement, de son impuissance, et enfin de sa dépendance achève de l’affoler. […] de trouver même du plaisir dans cette secrète perversité de nos sentiments. […] Il déborde de sentiments vertueux, — et même sévères. […] Il y aurait alors, dans son cas, une affreuse perversion du sentiment maternel. […] C’est que, au couvent, les sentiments durent.
Le même sentiment m’a guidé dans ces esquisses plus modestes, sur Renan, Taine et Michelet. […] Ces deux derniers sentiments ont été la principale inspiration de ses livres d’histoire. […] Il ne l’attaqua pas au nom de la raison comme illogique, il le réprouva au nom du sentiment comme injuste. […] Il confond ces deux sentiments avec la religion elle-même. […] Mais l’amitié resta pour Michelet un sentiment sacré entre tous.
Pour la même raison l’amour lui paraîtra le plus intéressant des sentiments, et de beaucoup, et même le seul digne d’intérêts. […] Rencontre, explication passionnée : elle ne comprend point le mariage sans la communauté absolue des croyances et des sentiments. […] Elles ont toutes ceci de commun, qu’elles procèdent par à-coups, sous l’impulsion subite d’un sentiment ou d’un désir plus fort qu’elles, si bien que leur conduite a presque toujours quelque chose de décousu et d’incohérent, et que souvent le lien échappe entre leurs démarches successives. […] Le premier besoin nous a valu les meilleures, on pourrait presque dire les seules analyses de sentiments que M. […] Jacques trouve que « le divorce, dont on parle beaucoup cette année, enlève au mariage le sentiment de l’infini ».
Et cette communauté relative s’oppose à l’extrême variabilité des sentiments, des croyances et des désirs, en art, en religion ou en morale. […] L’activité économique n’engage pas le for intérieur, la vie profonde de la pensée et du sentiment. […] Il éprouve de ce fait un sentiment de vie diminuée, qui le conduit plus d’une fois à des sentiments de mécontentement social et de révolte individualiste. […] » Le sentiment du bien être prédomine dans ces situations ; bien-être misérable et servile qui détache l’individu des aspirations élevées, de tout instinct de grandeur, de tout désir d’indépendance et d’affirmation de soi. […] Il y a encore un autre point par où le système de nos valeurs sociales froisse le sentiment de l’individualité et l’épanouissement complet et harmonieux, de cette dernière.
Et aussi comment, avec un sentiment si vif et si fin de la raillerie, n’est-on pas toujours averti de celle à laquelle on peut prêter soi-même par le temps qui court ? […] On perd le sentiment du vrai, du vrai réel comme du vrai idéal. […] Respirons le sentiment discret et profond qui fait l’âme de cette admirable plainte, recueillons la moralité qui en sort, et passons. […] Je n’y trouve pas plus de ce naturel véritable qui, né de la pensée ou du sentiment, et jaillissant de la passion même, pénètre dans tout le langage et y circule comme la vie. […] le sentiment, le roman, la nature ; ô ma sœur, en seriez-vous là encore ?
Il lui avait suggéré quelques sentiments et pensées, dont elle a voulu faire, dit-il, des pierres précieuses et des « diamants à facettes ». […] Les âmes élevées ont pour Dieu des sentiments et un culte à part, qui ne ressemble point à celui du peuple : tout part du cœur et va à Dieu. […] Ici l’idée de religion s’agrandit ; elle n’est plus un simple sentiment décent, mais la plus haute des convenances humaines, la fin et le terme des devoirs. […] On ne doit aux unes qu’un respect extérieur : « On doit de l’estime et un respect de sentiment au mérite. […] Quelque affectation de précieux s’y mêle ; mais que de belles pensées, que de sentiments délicats !
Même où manquent la raison et la conscience, les vagues appréhensions et les confuses agitations des sentiments trouvent des termes pour s’exprimer. […] Ainsi sont comblés les intervalles que le dictionnaire semble laisser entre les mots, et la langue a une infinie dégradation de teintes pour rendre l’infinie modification des idées et des sentiments. […] Le sentiment du style est précisément le discernement délicat de l’élasticité des mots : il faut posséder, par un don naturel ou une patiente étude, le secret de cette sorte de manipulation chimique, qui, par la combinaison des mots, change la couleur, le parfum, le son, la nature même de chacun d’eux et peut obtenir un tout, homogène et simple en apparence, où les éléments associés n’ont souvent gardé aucune de leurs propriétés individuelles. […] Mais aussi, quand on s’en sert pour la pensée, quand l’imagination ou le sentiment les assemblent, ils s’allument, et leur contact mutuel fait jaillir la lumière et sortir de fines nuances.
. — Du sentiment de la nature dans la poésie d’Homère (1848). — Poèmes évangéliques (1852). — Les Symphonies (1856). — Idylles héroïques (1858). — Pernette, poème (1868). — Harmodius, tragédie (1870). — Poèmes civiques (1873). […] Ainsi nous ont frappé les Symphonies de M. de Laprade, œuvre de méditation et de candeur, mélange d’inductions métaphysiques, de sentiments austères avec tendresse, et de vives émotions empruntées au spectacle de la nature et rapprochées toujours des grandes vérités inscrites au cœur de l’homme comme sur la voûte des cieux. […] Edmond Biré Victor de Laprade a créé une forme nouvelle de poésie lyrique, c’est la Symphonie, où tous les rythmes, tous les mètres, toutes les voix, la voix de l’homme et celles de la nature, concourent à un même but : véritable poème lyrique qui ne saurait, sans doute, entrer en comparaison avec les grandes compositions de l’art musical, ni pour l’harmonie savante, ni pour le charme et l’éclat de la mélodie, mais qui a cette supériorité sur elles de traduire avec une admirable clarté les pensées et les sentiments de l’âme. […] Partout nous trouverons le même sentiment, parlant en rythmes graves et amples, d’un ton pénétré, qui sait être solennel sans emphase, parce qu’il s’inspire du plus profond de la conviction humaine, à ce point où le cœur touche à la raison, où la foi du chrétien se confond avec la dialectique du philosophe.
De la sagesse philosophique que l’on a attribuée à Homère Nous accorderons, d’abord, comme il est juste, qu’Homère a dû suivre les sentiments vulgaires, et par conséquent les mœurs vulgaires de ses contemporains encore barbares ; de tels sentiments, de telles mœurs fournissent à la poésie les sujets qui lui sont propres. […] Cependant, la fin de la poésie étant d’adoucir la férocité du vulgaire, de l’esprit duquel les poètes disposent en maîtres, il n’était point d’un homme sage d’inspirer au vulgaire de l’admiration pour des sentiments et des coutumes si barbares, et de le confirmer dans les uns et dans les autres par le plaisir qu’il prendrait à les voir si bien peints. […] Celui en qui les leçons des philosophes auraient développé les sentiments de l’humanité et de la pitié n’aurait pas eu non plus ce style si fier et d’un effet si terrible avec lequel il décrit dans toute la variété de leurs accidents, les plus sanglants combats, avec lequel il diversifie de cent manières bizarres les tableaux de meurtre qui font la sublimité de l’Iliade.
L’amitié, la tendresse paternelle, filiale et conjugale, la religion, dans quelques caractères, ont beaucoup des inconvénients des passions, et dans d’autres, ces mêmes affections donnent la plupart des avantages des ressources qu’on trouve en soi ; l’exigence, c’est-à-dire le besoin d’un retour quelconque de la part des autres, est le point de ressemblance par lequel l’amitié et les sentiments de la nature se rapprochent des peines de l’amour, et quand la religion est du fanatisme, tout ce que j’ai dit de l’esprit de parti s’applique entièrement à elle. Mais quand l’amitié et les sentiments de la nature seraient sans exigence, quand la religion serait sans fanatisme, on ne pourrait pas encore ranger de telles affections dans la classe des ressources qu’on trouve en soi ; car ces sentiments modifiés rendent cependant encore dépendant du hasard : si vous êtes séparé de l’ami qui vous est cher, si les parents, les enfants, l’époux que le sort vous a donné, ne sont pas dignes de votre amour, le bonheur que ces liens peuvent promettre, n’est plus en votre puissance ; et quant à la religion, ce qui fait la base de ses jouissances, l’intensité de la foi, est un don absolument indépendant de nous ; sans cette ferme croyance, on doit encore reconnaître l’utilité des idées religieuses, mais il n’est au pouvoir de qui que ce soit de s’en donner le bonheur.
Mais en poésie, où tout est Sentiment et Expression, ces deux purs dons de Dieu, comme la Beauté et la Naissance, le travail compte pour rien quand il est tout seul, et voilà pourquoi la Critique, qu’on croit dédaigneuse et qui ne veut pas même être sévère, laisse là, en fait de poésie, les violettes de la médiocrité, d’autant plus cachées sous le foin de leur gazon que leur parfum ne les trahit pas. […] Inspiration personnelle ou sociale, regret du cœur, perspective de la vie revue en se retournant de l’autre bord de l’horizon, sentiment de l’irréparable, d’abord amer et devenant plus triste à mesure qu’il est plus résigné, oui ! […] Son inspiration laborieuse a procédé comme le sentiment dans son âme, lentement, profondément, à la manière de ces terribles acides dont l’action incessante ne s’arrête pas et qui creusent toujours leur morsure. […] L’auteur des Chants du Passé est de cette époque qui a pesé sur nos jeunesses, qui les a perdues, et où les âmes les plus fortes, amollies par l’air de ce siècle, aussi lâchement spiritualiste que le siècle précédent avait été grossièrement sensuel, n’eurent pour se sauvegarder de la corruption des décadences ni les occupations héroïques de la guerre ni la placide et grandiose fortitude des sentiments religieux. […] Seulement, autant, quand il reste le poète d’une cause et des traditions de son berceau, il est au-dessus de l’imitation et des reflets de la Renaissance et trouve sans la chercher cette forme qui n’est ni un vêtement, ni un ornement, mais la splendeur de la pensée à travers les mots qui la voilent et qui la révèlent, autant, quand le souvenir qu’il évoque tient à ces sentiments plus vulgaires que nous avons tous éprouvés, il retombe dans cette forme d’une époque trop admirée et que le progrès serait d’oublier.
Il lisait Byron, soyez en sûr, bien moins dans le texte anglais que dans ses propres sentiments à lui et dans son âme. […] Et nous remarquons le passage de la première à la seconde à l’émotion qui nous saisit et à l’élévation des sentiments que nous éprouvons. […] Mais Rousseau n’eut pas que cette seule communauté de sentiment avec Diderot et l’esprit germanique. […] Elles lui substituent des mœurs factices, des sentiments de convention. […] Ce qui leur fut commun à tous deux ce fut l’esprit dans le lyrisme, la raillerie dans le sentiment.
Ce qui peut frapper dans le récit, d’ailleurs intéressant, que Duclos nous fait de ses jeunes années, c’est le ton brusque et sans charme ; l’espèce de gaieté qui s’y montre est une gaieté sèche et sans fleur ; il ne s’étend un peu et ne marque un sentiment de complaisance que lorsqu’il y parle des hommes qu’il a connus, et qu’il se met à développer les caractères. […] Parmi les mauvaises connaissances que l’amour du plaisir lui fit contracter et dont ce sentiment d’honneur le retira à temps, il nous présente très gaiement un M. de Saint-Maurice, chevalier d’industrie, qui vivait de sa fourbe et faisait croire à de riches adeptes qu’il était en rapport avec les Génies. […] En voulant parler de passion ou de sentiment, il est évident qu’il parle une langue qui n’est pas la sienne. […] La plupart étant incapables d’un tel examen doivent consulter le sentiment intérieur : les plus éclairés pourraient encore en morale le préférer souvent à leurs lumières, et prendre leur goût ou leur répugnance pour la règle la plus sûre de leur conduite. […] En parlant des gens de lettres, il est à la fois orgueilleux et modeste ; il a le sentiment de la puissance croissante de son ordre : « Cependant de tous les empires, celui des gens d’esprit, dit-il, sans être visible, est le plus étendu.
Ai-je eu raison d’indiquer chez lui cette tendance première du côté du sentiment et de la délicatesse ? […] Ici on aura affaire à l’homme de sentiment et de tendresse plus encore que de plaisir : l’ironie est absente. […] Ce qui est certain, c’est que bientôt une liaison s’engage, et l’on a un roman tout de sentiment et d’analyse, comme on disait en ce temps-là. […] Le piquant, c’est que la femme qui a fait ce premier pas si hasardé est une personne d’ailleurs de scrupule presque autant que de curiosité, une âme fière, ombrageuse même, soucieuse des convenances, en quête du sentiment pur, prête à exiger beaucoup, tout en donnant peu. […] La femme est bien de sa date et aussi de sa condition : il y a mélange et conflit en elle ; elle a le goût des beaux sentiments, des grands sentiments, un peu de mélancolie, de la métaphysique ; elle lit les romans du jour, George Sand et Balzac.
Le sentiment patriotique était très vif en lui ; il souffrait douloureusement des blessures de la France et des désastres qui marquèrent la chute de l’Empire. […] Il conserva sous son habit nouveau les sentiments d’amour de la liberté qu’il avait puisés dès l’enfance dans l’air du siècle, et qu’il n’a jamais séparés depuis de l’idée vitale du christianisme. Il rendit témoignage de ce sentiment dès l’instant où il commença à se produire devant le public : c’était auprès de M. de Lamennais, au lendemain de 1830. […] Ce sentiment de patriotisme est une des sources de l’éloquence de l’abbé Lacordaire. […] Ce n’est pas à nous de discuter ici ce sentiment, et de voir s’il n’introduit pas dans la parole sacrée, au milieu de beaucoup d’émotion et d’éclat, quelque prestige.
Une bonne conversation se compose de tant d’éléments divers que, pour la soutenir, il faut autant d’instruction que d’usage, de bonté que de malice, de raison que de folie, et de sentiment que de gaieté. […] Le dépit qu’elles en ressentent les conduit souvent à faire, pour plaire, des frais exagérés qui les compromettent si bien qu’elles ne savent plus comment rétrograder, et bientôt elles se trouvent engagées sans avoir le moindre sentiment pour excuse. […] Celle qu’il a sauvée, jeune veuve, pleine de beauté et d’une rare délicatesse de sentiments, le fait chercher sans le découvrir d’abord, et pendant longtemps elle ne le connaît qu’à demi et dans un mystère qui l’empêche d’avoir la connaissance de son infirmité. […] Elle ne pense qu’à élever ses enfants selon les vrais principes, à concilier l’amour et la vertu, la nature et le devoir ; à faire dans ses terres des actes de bienfaisance dont elle ne manque pas d’écrire aussitôt le récit, afin de jouir de ses propres larmes, — des larmes du sentiment. […] Avec le Consulat et l’Empire, la femme militaire paraît, celle qui aime franchement la gloire, qui l’admire et qui s’honore de la récompenser ; qui a les sentiments en dehors, la parure d’éclat, le front haut, les épaules éblouissantes, l’esprit (quand elle en a) franc, naturel et pas trop compliqué.
Ce sont de jolies piécettes intimistes, d’une grande fraîcheur de sentiment, quoique d’une mélancolie assez précoce qui en augmente peut-être le charme ; tout jeune encore ; M. […] Henri Vandeputte Douze petits nocturnes, la première œuvre, n’est que l’expansion mélodieuse de ces sentiments d’une pureté et d’une grandeur très douces. […] Maurice Le Blond Un des efforts, le plus estimable à mon avis, chez ce poète, est celui de mettre toujours au diapason du paysage la gamme de ses sentiments.
Il a le sentiment de sa célébrité. […] La connaissance des formes l’induisait à celle des sentiments. […] Ou ne pouvait que devancer le sentiment de la postérité prochaine. […] C’est ce sentiment, hélas ! […] Son « égotisme » a fait place à un sentiment plus large de la vie.
Le sentiment du grand art y manque absolument. — Et il est très intelligent ! […] Comment un être qui est tout de sentiment et de passion pourrait-il tromper ? […] L’ancien sentiment est ruiné absolument par le nouveau. […] Ainsi de suite ; et de tels sentiments on peut encore s’accommoder. » — Eh ! […] L’horreur de cette contrainte est le premier sentiment dominant qu’il ait éprouvé.
Il règne dans ce poème un profond sentiment de la misère de l’homme qui, « à peine né, a déjà les tempes qui blanchissent ». […] Hésiode a le sentiment de la justice et de l’équité à un haut et souverain degré, et il l’exprime magnifiquement. […] C. de Lafayette rivalise avec lui sur le même sujet, mais il y a mis un peu plus de coquetterie peut-être, un sentiment de peintre plus encore que de fermier et de paysan. […] C’est ce sentiment d’affection et presque d’amitié, qui ne se borne pas aux animaux, mais qui se répand et s’épanche sur tout ce qui l’entoure, même les choses inanimées, qui est charmant chez M. […] C’est là, et on l’a remarqué avant moi, un sentiment de femme, ce n’est pas un sentiment de poule.
Delavigne déposa d’abord ses sentiments dans quelques pièces légères, les seules de ses poésies peut-être où, tout à fait libre, encore inconnu, il se soit abandonné sans effort à ses goûts intimes et au simple penchant de sa muse. […] Le Départ, il est vrai, me paraît dicté par un sentiment naturel et gracieux. […] Les Funérailles du général Foy présentent dans le début une grande confusion de sentiments et de couleurs. […] Il s’en débarrasse naturellement, dès qu’un sentiment vrai et propice à son talent revient le saisir : témoin la fin de la Messénienne sur le général Foy. […] Incessamment variable, il n’exige pas moins de surveillance pour le choix d’un rhythme toujours adapté au sentiment ou à la pensée qu’on exprime.
. — Retour à la nature et au sentiment. […] Artificiel et sec, voilà les deux traits du monde, d’autant plus marqués qu’il est plus parfait, et, dans celui-ci, poussés à l’extrême, parce qu’il est arrivé au suprême raffinement. — D’abord le naturel en est exclu ; tout y est arrangé, apprêté, le décor, le costume, l’attitude, le son de voix, les paroles, les idées et jusqu’aux sentiments. « La rareté d’un sentiment vrai est si grande, disait M. de V., que, lorsque je reviens de Versailles, je m’arrête quelquefois dans les rues à regarder un chien ronger un os297. » L’homme, s’étant livré tout entier au monde, n’avait gardé pour soi aucune portion de sa personne, et les convenances, comme autant de lianes, avaient enlacé toute la substance de son être et tout le détail de son action. […] Les femmes qui l’ont érigée en obligation sont les premières à en sentir le mensonge, et à regretter, parmi tant de froids hommages, la chaleur communicative d’un sentiment fort. […] On choisit pour coiffure « des poufs au sentiment », dans lesquels on place le portrait de sa fille, de sa mère, de son serin, de son chien, tout cela garni des cheveux de son père ou d’un ami de cœur ». […] Ils ne comprennent rien au vaste monde qui enveloppe leur petit monde ; ils sont incapables d’entrer dans les sentiments d’un bourgeois, d’un villageois ; ils se figurent le paysan, non pas tel qu’il est, mais tel qu’ils voudraient le voir.
La fraternité des hommes, fils de Dieu, et les conséquences morales qui en résultent étaient déduites avec un sentiment exquis. […] La tradition même, chose si sainte pour le juif, n’est rien, comparée au sentiment pur 251. […] Un sentiment exquis de la nature lui fournissait à chaque instant des images expressives. […] De même, en morale, la vérité ne prend quelque valeur que si elle passe à l’état de sentiment, et elle n’atteint tout son prix que quand elle se réalise dans le monde à l’état de fait. […] J’admets comme probable le sentiment qui identifie Cana de Galilée avec Kana el-Djélil.
Parce qu’elle embrasse à la fois tout le domaine de la science, l’Année a pu, mieux qu’aucun ouvrage spécial, donner le sentiment de ce que la sociologie doit et peut devenir. […] Et pourtant, il suffit de parcourir les ouvrages de sociologie pour voir combien est rare le sentiment de cette ignorance et de ces difficultés. […] Si elle condamne certains modes de conduite, c’est qu’ils froissent certains de ses sentiments fondamentaux ; et ces sentiments tiennent à sa constitution, comme ceux de l’individu à son tempérament physique et à son organisation mentale. […] En fait, pour peu qu’on ait pratiqué cet ordre de faits, il est difficile de ne pas avoir le sentiment de cette spécificité. […] Aussi l’histoire de la sociologie n’est-elle qu’un long effort en vue de préciser ce sentiment, de l’approfondir, de développer toutes les conséquences qu’il implique.
Le sentiment de la beauté n’est-il pas un sentiment moral ? […] Et qui peut assurer la durée de la société conjugale, si elle ne repose pas en effet sur un sentiment moral ? […] Ai-je besoin d’avertir que je n’entends point toucher à l’exaltation du sentiment religieux qui pousse certains hommes dans la solitude des cloîtres ? […] Elles produisent une sorte de sentiment religieux, parce que alors les familles s’avançant au lieu des individus, il en résulte dans l’individu un affaiblissement de l’égoïsme, source de toutes nos misères, de nos ambitions hâtives et désordonnées. […] Le sentiment de l’avenir repose d’ordinaire dans le passé ; s’il est vrai que le passé nous échappe, nous ne pouvons pas en tirer des documents pour l’avenir.
Le contraste des vices et des vertus, les combats intérieurs, le mélange et l’opposition des sentiments qu’il faut peindre pour intéresser le cœur humain, étaient à peine indiqués. […] Il existait un dogme religieux pour décider de chaque sentiment, comme une divinité pour personnifier chaque arbre, chaque fontaine. […] Les Athéniens aimaient leurs institutions et leur pays, mais ce n’était pas, comme les Romains, par un sentiment exclusif. […] En effet, les souvenirs sont toujours de quelque chose dans l’attendrissement ; et loin qu’il soit nécessaire, dans les sentiments comme dans les pensées, de captiver l’attention par des rapports nouveaux, quand on veut faire couler des larmes c’est le passé qu’il faut rappeler. […] De ce que les événements les plus forts et les plus malheureux de la vie ont été peints par les Grecs, il ne s’ensuit pas qu’ils aient égalé les modernes dans la délicatesse et la profondeur des sentiments et des idées que ces situations peuvent inspirer.
Jean Richepin a vécu son œuvre et, en maints endroits, elle vous prend assez aux entrailles pour qu’on ne puisse mettre en doute le noble sentiment artistique qui l’a inspirée. […] Un de ces jours, nous aurons la joie de constater l’éveil du sentiment religieux chez Raoul Ponchon. […] Il a l’âme ouverte à tous les sentiments de la vie, et il les mêle — et fougueusement — à ses peintures. Il sait s’incarner dans les gueux qu’il peint Mais il n’a pas, malheureusement, il faut bien le dire, le seul sentiment qui l’aurait mis au-dessus de ses peintures, le sentiment qui lui aurait fait rencontrer cette originalité que Villon, […] Il n’a pas le sentiment chrétien. — Je veux pourtant vous dire ce qu’il est, ce talent qui aurait dû monter jusqu’au génie pour être digne du sujet qu’il n’a pas craint d’aborder.
Elle-même s’enivra aux émotions qu’elle fit naître, mais tout le monde fut de si bonne foi que quand un jour, se croyant une Jeanne d’Arc poétique, elle se proclama Muse de la patrie, personne ne rit dans ce malin pays de France où le sentiment du ridicule est peut-être toute la gaieté. […] Sa mère l’avait nommée Delphine, par préoccupation de Mme de Staël, et elle resta éternellement timbrée de cette préoccupation de sa mère, qui était devenue la sienne… La poésie, qui se compose de sentiments exprimés avec plus ou moins de puissance, la poésie est si naturelle à la femme, être tout de sentiment, qu’une femme n’est pas nécessairement ce qu’on appelle un bas-bleu dans la langue littéraire, parce qu’elle fait seulement des vers. […] Pour l’homme, elle est partout, quand il sait la trouver, quand il a la mystérieuse baguette d’Aaron qui la fait jaillir, même des rocs ; mais pour la femme, la femme normale, que l’esprit monstrueux des décadences n’a pas dégradée, elle n’est que dans les deux seuls grands sentiments à sa portée : l’amour et la maternité. Or l’amour n’est qu’un sentiment de passage. […] Parmi les poèmes qu’elle a laisses, deux surtout me frappent ; Magdelaine, d’une largeur de touche étonnante avec la tendresse du sujet, et parfois d’une vigueur d’invention encore plus étonnante pour un cerveau de femme, dont le destin est d’imiter, et Napoline, poëme personnel publié, il est vrai, en 1833, à l’époque où Mme Delphine Gay était devenue Mme Émile de Girardin, mais qui fut composé, croyons-nous, lorsqu’elle était jeune fille, et dans lequel, d’ailleurs, si elle ne l’était plus, elle exprimait des sentiments de jeune fille pour la dernière fois.
La plainte monocorde et maladive de Senancour est sincère ; les sentiments de René sont outrés et poussés à une telle violence que l’on en sourit. […] La versification mécanique du xviiie siècle pétrifiait la poésie et la rendait impuissante à exprimer les nouveaux sentiments de l’âme sociale. […] Les sentiments patriotiques si intenses pendant la grande période révolutionnaire, s’éteignaient ; l’idée de patrie, dont les conventionnels s’étaient servi, comme d’un levier, pour soulever la nation et la jeter aux frontières, était tenue en suspicion. […] La manière de vivre de chaque classe imprime aux sentiments et aux passions humaines une forme propre. […] Un Anglais sur notre scène est toujours un milord, ou un capitaine, héros de sentiment et de générosité. » Chateaubriand, Essai sur la littérature anglaise.
On éprouva ces mêmes sentiments à la vue des belles actions des hommes. […] mot vague, s’il ne veut dire la raison échauffée par le sentiment. […] Les autres remarqueront que, pour instruire, je tourne en faits et en preuves tous les sentiments qu’on a sur la poésie et sur l’éloquence, dont l’art le plus exquis est, pour émouvoir, de tourner toutes les choses et toutes les raisons en sentiments. […] Le sublime continu est une suite nombreuse des plus hauts sentiments et des plus hautes idées. […] Pareillement, l’esprit ou le cœur ne se passionne jamais mieux que pour une idée ou pour un sentiment unique.
De cette sentence, trop sommaire pour être juste, il faut excepter quelques œuvres que la sincérité du sentiment ou un effort original a mises hors de pair. […] Il y a tout un côté dans la science par où elle agit profondément sur le sentiment et sur l’imagination, et c’est par ce côté qu’elle appartient à la poésie. […] On l’a dit, il y a parfois du Delille chez André Chénier, non sans doute dans le sentiment poétique, mais dans certaines formes du langage poétique, dont il n’a pu complètement s’affranchir. […] Le cœur ne se laisse pas immoler jusqu’au bout, son autorité se révèle par le sentiment indestructible de la responsabilité devant le crime. […] Le sonnet convient à merveille à l’expression d’une idée ou d’un sentiment simples et concrets ; il note une fantaisie de l’esprit, une émotion rapide, une rougeur fugitive, un désir, un regret.
Que de mensonges et de froideur, et de légèreté, et d’ingratitude, et d’oubli dans les relations et les sentiments des hommes ! […] Nulle part le contraste n’est plus frappant entre le fond des sentiments que peint le poëte et la forme sous laquelle il les exprime. […] Chacun des grands drames de Shakspeare est dédié à l’un des grands sentiments de l’humanité ; et le sentiment qui remplit le drame est bien réellement celui qui remplit et possède l’âme humaine quand elle s’y livre ; Shakspeare n’y retranche, n’y ajoute et n’y change rien ; il le représente simplement, hardiment, dans son énergique et complète vérité. Passez maintenant du fond à la forme et du sentiment même au langage que lui prête le poëte ; quel contraste ! […] Ce n’est pas tout à fait à l’histoire que Shakspeare a emprunté le tableau de ces divers sentiments.
Ô sentiment ! sentiment ! […] que de beaux sentiments, que de sensibilité ! […] Mais quelle différence entre leurs sentiments ! […] Il aura le sentiment de prendre ainsi je ne sais quelle revanche.
Au sentiment, c’est évident. […] De tels sentiments ne sont plus d’aujourd’hui. […] En annualisant les sentiments, comme le fit M. […] Le peuple vit de sentiments plus que d’idées, ou plutôt ses idées procèdent habituellement du sentiment beaucoup plus que de la raison. […] Proudhon, et moi je vous dis : Le sentiment en tant que sentiment n’existe que dans le cœur.
La poésie moderne se compose d’images et de sentiments. […] L’alliance des sentiments avec les sensations est déjà un premier pas vers la philosophie. […] Quelques courtisanes sans pudeur, des esclaves que leur sort avilissait, et des femmes inconnues au veste du monde, renfermées dans leurs maisons, étrangères aux intérêts de leurs époux, élevées de manière à ne comprendre aucune idée, aucun sentiment, voilà tout ce que les Grecs connaissaient des liens de l’amour. […] Les Grecs n’ont jamais exprimé, n’ont jamais connu le premier sentiment de la nature humaine, l’amitié dans l’amour. […] Les mêmes images, les mêmes sentiments, et surtout la même harmonie, excitaient toujours les applaudissements de la multitude.
Ceux en qui ces sentiments ont germé, écoulent dévotement avec une paisible assurance la parole qui convient la science. […] Ils s’efforceraient de dégager la pensée, le sentiment de toutes les circonstances personnelles et locales. […] Descendez en vous-même après votre lecture : interrogez votre propre sentiment sur les traits qu’a marqués le poète ; éclairez votre instinct obscur à la lumière de cette poésie si nette. […] Et s’il vous faut jamais en parler, vous ne le ferez point avec puérilité — Racine vous en sauvera — ni avec banalité — vous y échapperez par le sentiment personnel. […] Dans cette continuelle opposition, votre personnalité se formera, se reconnaîtra, votre esprit s’habituera à tenir tête aux pensées d’autrui, à chercher les raisons de ses jugements, à débrouiller la masse confuse de ses sentiments, à secouer le joug de la chose écrite.
Mais, d’autre part, cette parenthèse n’a rien de choquant et la diction peut même la rendre touchante ; elle est dans le sentiment de la strophe et de tout le morceau. […] Il y a toujours, dans une strophe ou dans une phrase poétique, un ou plusieurs vers qui expriment ce qui devait être dit ; et, tout autour, des vers qui traduisent des idées, des sentiments, des images accessoires et qu’on pourrait à la rigueur remplacer par d’autres. […] Soulary qui ait écrit ce vers : Le sentiment du beau, c’est l’horreur du joli. […] Une série de sonnets d’amour porte ce titre coquet et badin : « La battue au sentiment », tandis qu’une série de sonnets presque philosophiques est intitulée : « L’affût au raisonnement ». […] On discernerait même chez lui le Lyonnais : il a le mysticisme, parfois un anticléricalisme de canut ; et le sentiment révolutionnaire lui inspire des pièces violentes et mélodramatiques sur la misère du peuple.
Elle t’a donné ce sentiment exquis, ce discernement prompt & vif, cette ame honnête & sensible qui s’enflamme pour le beau, & le goûte avec transport. […] Or, l’homme de Lettres amoureux dès l’enfance, de tout ce qui porte l’empreinte de la pensée & du sentiment, s’éclaire à la lumiere de l’une, & s’échauffe à la douce chaleur de l’autre. […] Son ame est dans l’équilibre, par ce qu’elle ne poursuit pas plus qu’elle ne peut obtenir ; elle sera heureuse par le sentiment qu’elle a de connoître, d’embrasser divers rapports, & de jouir d’une foule de tableaux. […] vous qui m’entendez, qui possedez ce sentiment rare, ce tact fin & délicat, ce feu subtil inconnu, vous me dispenserez de définir ce que vous sentez avec transport. […] Est-il un transport plus vif que celui qu’inspire le sentiment rapide du beau ?
Tous le regardaient en silence, éprouvant un sentiment de crainte et n’osant l’interroger. […] Ce sentiment peu affectueux, qui semblait mettre quelque chose au-dessus de lui, mécontenta Jésus. […] Un grand sentiment d’ordre et de police conservatrice présida à toutes les mesures. […] On aime mieux croire à quelque sentiment de jalousie, a quelque dissension intestine. […] D’un cœur moins pur que les autres, Juda aura pris, sans s’en apercevoir, les sentiments étroits de sa charge.
Ce devait être une bête solidement bâtie, capable de dépenser tout son esprit en sentiment. […] À presque toutes, vous trouveriez un sentiment sublime au cœur. […] Dans cette situation, le sentiment de la paternité se développa chez Goriot jusqu’à la déraison ; il reporta ses affections trompées par la mort sur ses deux filles, qui, d’abord, satisfirent pleinement tous ses sentiments. […] Il fut malade pendant plusieurs jours par suite de la réaction des sentiments contraires auxquels le livra cette fausse alarme. […] Ainsi se continua l’impossibilité d’épancher les sentiments dont mon cœur était gros.
Sur le fondement de ce sentiment irréductible du devoir, Vigny aurait pu, comme d’autres, se rebâtir après coup toute une métaphysique encourageante. […] Je souffris et fus guéri entre deux de vos lettres, sans vous le dire. » Il se tait comme le loup dans la Mort du Loup, et par le même sentiment. […] Il y a, dans le sentiment qu’elle lui inspire, de la tendresse, de l’amusement à regarder s’agiter une jolie forme, de la pitié et un imperceptible dédain. […] Quoique ces deux classes se touchent souvent et se mêlent (et cette rencontre même est un phénomène social que l’auteur du Prince d’Aurec a étudié d’un effort très sérieux), elles lui inspirent des sentiments bien différents. […] Au travers de tout cela, un sentiment chrétien très persistant, aux rappels inattendus (« la petite épouse chrétienne » de Viveurs, l’acte d’amère contrition de Mme Blandain).
Il y a beaucoup d’exemples de braver la première en respectant la seconde ; alors le caractère prend une sorte d’amertume et de misanthropie, qui exclut beaucoup des bonnes actions que l’on fait pour être regardé, sans anéantir toutefois les sentiments honnêtes qui décident de l’accomplissement des principaux devoirs : mais dès qu’on a rompu tout ce qui mettait de la conséquence dans sa conduite, dès qu’on ne peut plus rattacher sa vie à aucun principe, quelque facile qu’il soit, la réflexion, le raisonnement étant alors impossible à supporter, il passe dans le sang une sorte de fièvre qui donne le besoin du crime. […] L’ambition, la soif du pouvoir, ou tout autre sentiment excessif, peut faire commettre des forfaits, mais lorsqu’ils sont arrivés à un certain excès, il n’est aucun but qu’ils ne dépassent ; l’action du lendemain est commandée par l’atrocité même de celle de la veille ; une force aveugle pousse les hommes dans cette pente une fois qu’ils s’y sont placés ; le terme, quel qu’il soit, recule à leurs yeux à mesure qu’ils avancent ; l’objet de toutes les autres passions est connu, et le moment de la possession promet du moins le calme de la satiété. […] Le sentiment dominant de la plupart de ces hommes est sans doute la crainte d’être punis de leurs forfaits ; cependant il y a en eux une certaine fureur qui ne leur permettrait pas d’adopter les moyens les plus sûrs, s’ils étaient en même-temps les plus doux ; ce n’est que dans les crimes présents qu’ils cherchent la garantie des crimes passés ; car toute résolution qui tendrait à la paix, à la réconciliation, fut-elle réellement utile à leurs intérêts, ne serait jamais adoptée par eux ; il y aurait dans de telles mesures une sorte de relâchement, de calme incompatible avec l’agitation intérieure, avec l’âpreté convulsive de tels hommes. […] Un homme véritablement criminel, ne peut donc point être ramené ; il possède encore moins de moyens en lui-même, pour recourir aux leçons de la philosophie et de la vertu ; l’ascendant de l’ordre et du beau moral perd tout son effet sur une imagination dépravée ; au milieu des égarements, qui n’ont pas atteint cet excès, il reste toujours une portion de soi qui peut servir à rappeler la raison : on a senti dans tous les moments une arrière-pensée, qu’on est sûr de retrouver quand on le voudra, mais le criminel s’est élancé tout entier ; s’il a du remord, ce n’est pas de celui qui retient, mais de celui qui excite de plus en plus à des actions violentes ; c’est une sorte de crainte qui précipite les pas : et, d’ailleurs, tous les sentiments, toutes les sources d’émotion, tout ce qui peut enfin produire une révolution dans le fond du cœur de l’homme, n’existant plus, il doit suivre éternellement la même route. […] Le courage, qui fait braver la mort, n’a point de rapport avec la disposition qui décide à se la donner : les grands criminels peuvent être intrépides dans le danger, c’est une suite de l’enivrement, c’est une émotion, c’est un moyen, c’est un espoir, c’est une action ; mais ces mêmes hommes, quoique les plus malheureux des êtres, ne se tuent presque jamais, soit que la Providence n’ait pas voulu leur laisser cette sublime ressource, soit qu’il y ait dans le crime une ardente personnalité qui, sans donner aucune jouissance, exclut les sentiments élevés avec lesquels on renonce à la vie.
[Du Sentiment de l’admiration] Messieurs, Chers Élèves, Dans une fête où tout est sincère, ne doit-on pas considérer le discours que j’ai mission de prononcer à cette place comme un dernier hommage rendu à la vérité ? […] Ce que je regrette en présence de votre génération, ce que je vous reprocherais même si vous étiez seuls responsables de cet inquiétant abandon des intelligences, c’est l’affaiblissement chez la plupart d’entre vous, chez quelques-uns même l’absence d’un sentiment qui propage la flamme et la vie et dans toute l’étendue de son empire agrandit la nature humaine. Je veux parler du sentiment de l’admiration. […] Car le sentiment dont je plaide la cause compromise porte avec lui une double vertu. […] Vous le savez, Messieurs, vous pouvez m’en croire, chers élèves, une âme mauvaise reste toujours fermée au sentiment de l’admiration.
Dans ses élégies si remarquables à tant d’égards, les sens tiennent plus de place que le sentiment. […] Les amis réunis autour du poète ne sont pas animés de sentiments frivoles. […] Quoique le sentiment moral soit chez lui très développé, il ne se trahit jamais qu’en maximes inanimées. […] Le sentiment moral, bien que réel et sincère, finit par se confondre avec le sentiment de l’habileté. […] C’est un sentiment très vrai que M.
Il semble qu’ils se soient plus étudiés à trouver les sentiments des autres qu’à exprimer les leurs. […] Cuvier comparait ces vers, apparus pour la première fois vers 1820, à un chant qu’entendrait tout à coup un promeneur solitaire et qui répondrait à ses secrets sentiments. […] Il sent tout ce qu’il dit, et, le sentiment épuisé, il ne le prolonge pas par le développement de rhétorique ; il passe à autre chose, comme La Fontaine. […] Les images, comme chez ceux-ci, y sont rares et justes ; le descriptif n’y a rien de l’inventaire ; il est de sentiment, comme tout le reste. […] Le sentiment de la nature, l’amour de l’humanité idéale, la méditation chrétienne, l’adoration de l’art, tel est le fond de ses premiers ouvrages.
L’expression de la voix humaine se ramène essentiellement à trois éléments : d’émotivité instinctive, d’imitation (phonétique, graphique, colorée) des phénomènes extérieurs, — et de sentiment et de pensée. […] Le sentiment d’entrave est trouvé en le « d » et le « t ». […] *** Mais avant de montrer reliées en dernière proposition, — les séries de sons-instrumentaux et les séries de sentiments et d’idées essentiellement générateurs, respectivement : pour encore apporter un élément voisin, nous parlerons succinctement de l’audition colorée, — de la couleur des Sons. […] Les divisions du Vers aussi, valent organiquement, parce qu’en le temps de totale expiration l’émotion, le sentiment, l’idée, inscrivent des intervalles à deux directions : montante et descendante. […] Il en résulte que n’est qu’empirique et sans valeur, le sentiment simpliste qu’on eut du rythme : sentiment du retour régulier et équidistant d’une division numérique dans un mouvement quelconque… Or, selon le vers de douze pieds se mesure « l’instrumentation-Verbale », — quand, premièrement et numériquement, la loi en est acquise, que toutes ses quantités partielles sont régies par les valeurs : deux et trois.
Mais ne pourrait-on pas lui préférer encore celles qui joignent à ce mérite celui d’être en sentiment et en tableaux ? […] Je dirai seulement ce que j’estime qu’il faut observer pour faire un monologue avec vraisemblance ; et si l’on approuve mes sentiments, l’on pourra juger quels sont les bons et les mauvais, tant chez les anciens que chez les modernes. […] Ce doit être entre eux un combat de sentiments qui se choquent, qui se repoussent, ou qui triomphent les uns des autres ; c’est surtout dans cette partie que Corneille est supérieur. […] Il y peut entrer par un geste, par un regard, par le seul air de son visage, pourvu que ses mouvements soient aperçus par l’acteur qui parle, et qu’ils lui deviennent une occasion de nouvelles pensées et de nouveaux sentiments. […] Elle avait un fils, elle l’a perdu, elle l’attend ; ce sentiment seul l’intéresse.
Un altruisme au-delà de la tombe, ce qui est un des sentiments les plus généreux, les plus graves aussi qui puissent exister dans un homme. […] Vous savez que l’on a beaucoup parlé du sentiment de la nature chez les littérateurs du dix-septième siècle, et en général pour nier qu’ils en eussent. […] Il fallait que nos prédécesseurs eussent lu très superficiellement les auteurs du dix-septième siècle pour ne pas s’être aperçus que depuis Malherbe lui-même, et Racan, jusqu’à Fénelon, en passant par Théophile de Viau, par Cyrano, par Saint-Amand, par Voiture même, par La Fontaine, par Mme de Sévigné, et enfin j’arrive à Fénelon, la plupart, presque tous les auteurs du dix-septième siècle ont parlé de la nature avec un sentiment de la nature tout à fait vit, profond avec un sentiment philosophique, métaphysique, symbolique, non, je le reconnais et je leur en fais mon compliment ; mais avec un sentiment de la nature tout à fait pénétrant et fort. […] Vous savez ce que Stendhal a dit bien joliment de nos auteurs classiques : s’ils n’ont pas eu le sentiment de la nature, il ne faut pas s’en étonner beaucoup parce qu’ils vivaient tous ou presque tous à Paris, et que les environs de Paris ne sont pas pour donner un sentiment très profond et très grandiose de la nature ; le sentiment d’une nature aimable, gracieuse, infiniment charmante même, oui, mais le sentiment du grand pittoresque, ils ne pouvaient le trouver autour d’eux. […] Il se montre enfin l’amoureux, ou plutôt l’amateur de femmes qu’il a été toujours, ceci dans une mesure qui, à moi du moins, paraît une demi-galanterie et peut-être un commencement de sentiment véritable.
André Lemoyne, renferment des pièces parfaites de limpidité et de sentiment ; j’ai des raisons pour recommander celle qui a pour titre : L’Étoile du Berger. […] Théophile Gautier Les vers d’André Lemoyne, d’un sentiment si tendre, d’une exécution si délicate et si artiste. […] Nous citerons ces strophes : ……………………………………………… Les chiens déconcertés renoncent à la piste : Voici l’heure paisible où finissent les jours ; Libre vers son refuge, il monte grave et triste… À l’horizon lointain expirent les abois, Sur les chênes dormants la nuit remet son voile… Lui qui ne verra plus l’aurore dans les bois, Donne un dernier regard à la première étoile… C’est un sentiment profond de la nature qui donne de tels accents et qui fait que le lecteur croit voir le tableau que le poète a tracé.
Guizot raconte qu’il a passé par trois sentiments successifs au sujet de l’ouvrage de Gibbon. […] Le christianisme, en effet (c’est là son innovation morale), a inculqué aux hommes un sentiment plus vif et plus absolu de la vérité. […] Alors seulement la réunion est parfaite, les goûts se communiquent, les sentiments se répondent, les idées deviennent communes, les facultés intellectuelles se modèlent mutuellement ; toute la vie est double, et toute la vie est une prolongation de la jeunesse. […] Une autre lettre écrite quelques jours après, et dans un sentiment croissant d’anxiété pour cette famille désolée, se termine en ces mots : « Adieu. […] Macaulay ; elles sont tout à fait d’accord avec le sentiment qui animait Gibbon dons ses lettres datées du 15 décembre 1789, du 18 mai 1791, du 30 mai et du 1er août 1792, du 23 février et du 4 avril 1793, et dans presque toutes celles qu’il écrivit en ces années ; des circonstances analogues ramènent les mêmes sentiments.
Il faut s’y accoutumer avec Dominique ; sa vie ne se compose d’aucun grand événement extérieur ; elle est toute de sensations, de sentiments et d’analyse. […] Le passage de la vie libre des champs au régime claustral et rigide d’une école est rendu avec un sentiment de froid qui resserre. […] C’est une âme et un esprit que se disputent le sentiment et le bon sens, la poésie et la morale : la passion ne l’a pas marqué au front ; il n’y est pas voué. […] Je ne suis plus tout à fait juge ; il faut être jeune pour se bien mettre au point de vue de tels livres, quand ils sont, comme celui-ci, tout de sentiment : chaque lecteur alors ajoute, retranche, rêve à son gré, et devient proprement collaborateur dans sa lecture. […] Ces légères réserves et ces réflexions faites, on n’a que des remerciements à adresser à l’auteur pour le plaisir qu’on lui a dû ; on n’a que des éloges à lui donner pour la délicatesse des sentiments et le juste emploi des couleurs.
Beaucoup d’hommes du Nord (car Oberman a un sentiment admirable de la nature, de celle du Nord en particulier) ont répondu avec transport à la lecture du livre de M. de Sénancour ; Oberman vit dans les Alpes, et la nature alpestre, comme l’a dit M. […] Il n’y a pas de roman ni de nœud dans ce livre ; Oberman voyage dans le Valais, vient à Fontainebleau, retourne en Suisse, et, durant ces courses errantes et ces divers séjours, il écrit les sentiments et les réflexions de son âme à un ami. […] Tout autre sentiment se perd dans ce sentiment profond ; toute pensée y ramène, tout espoir y repose. […] Les circonstances déterminent nos affections ; mais les sentiments expansifs sont naturels à l’homme dont l’organisation morale est parfaite. Celui qui est incapable d’aimer est nécessairement incapable d’un sentiment magnanime, d’une affection sublime.
Seulement, comme on peut s’y attendre, les idées et les sentiments qui la constituent varient singulièrement d’un juge à l’autre. […] Il faut examiner sous des angles divers les divers éléments (sensations, sentiments, idées, etc.) qui constituent chacun de ces ordres. […] Il en est de même pour les sentiments. […] De même qu’il y a des sentiments plus ou moins nobles, des pensées plus ou moins hautes, etc., de même aussi les cinq ordres de beauté, si on les range comme je l’ai fait, me paraissent figurer une échelle ascendante. […] Peut-on concevoir une œuvre littéraire sans un minimum de sensations, de sentiments et d’idées ?
Il est cependant nécessaire que vous sachiez au vrai mes sentiments, et, s’il m’est permis de dire quelque chose de plus, que vous ne dédaigniez pas d’écouter mes très humbles remontrances, si vous ne voulez pas perdre monsieur votre fils. […] À force d’esprit, de bon sens, de sentiment des bienséances et de modestie, Mlle Le Couvreur sut se faire accorder ce qu’à cette époque nulle autre de son état n’était en mesure ni en droit de réclamer. […] Je trouve, dans des lettres inédites adressées par elle à un ami dont on ignore le nom, des paroles qui viennent confirmer de sa part ce sentiment habituel et sincère. […] Tout l’art que j’y sais, c’est de ne me point jeter à la tête, pour quelques sentiments que ce puisse être. […] Et quand ils m’honorent de quelques bontés, vous sentez bien ce que la reconnaissance peut ajouter à de tels sentiments, et assurément je ne fus jamais ingrate… En même temps qu’elle désire l’amitié, elle en redoute un peu les enthousiasmes ; elle craint toujours qu’un autre sentiment ne se glisse dessous, et elle en parle d’un ton à persuader sérieusement qu’elle en veut rester au premier : Je suis, dit-elle, d’un sexe et d’une profession où l’on ne soupçonne pas volontiers cet honnête sentiment, l’unique que je désire, dont je sois flattée, et dont j’ose me croire digne par la façon dont je le sens ; j’ajoute même par celle dont je l’ai inspiré plus d’une fois.
Le nerf, la vigueur, de nobles sentiments non joués, le préservaient de l’inconvénient que ses ennemis auraient pu lui reprocher, que Mme Roland lui reproche, et qui eût été un peu de froideur. […] Si Barnave a jamais atteint à quelque chose qui approche de ce qu’on peut appeler le sentiment ou l’expression poétique (accident chez lui très rare), c’est ce jour-là qu’il y est arrivé par l’émotion. […] Rien n’égale la vulgarité du ton, si ce n’est celle des sentiments. […] Si, au-delà de la vie, ce sentiment existait encore, si l’on se rappelait ce qu’on a quitté, cette idée serait la plus douce pour moi. […] Voilà l’explication la plus plausible, dans les termes mêmes où je la reçois ; et, malgré tout, le sentiment moral persiste à souffrir d’une dénégation si formelle de la part de Barnave.
Diderot, né à Langres en 1713, fils d’un père coutelier (comme l’était le père de Rollin), eut dès l’enfance le sentiment de famille à un haut degré, et il le tenait des siens : c’était une race d’honnêtes gens. […] Diderot, dans ses Salons, a trouvé la seule et vraie, manière de parler aux Français des beaux-arts, de les initier à ce sentiment nouveau, par l’esprit, par la conversation, de les faire entrer dans la couleur par les idées. […] Ce style, en ses passages les plus rapides, est savant, nombreux, plein de ces effets d’harmonie qui correspondent aux nuances les plus secrètes du sentiment et de la pensée. […] » C’est dans un sentiment tout pareil qu’il a écrit quelque part encore ces admirables et humaines paroles : Un plaisir qui n’est que pour moi me touche faiblement et dure peu. […] Voilà ce qu’il a fait jusqu’à la fin, avec énergie, avec dévouement, avec un sentiment parfois douloureux de cette déperdition continuelle.
Conséquent dans sa vie aux opinions et aux sentiments de ses ouvrages, le président du consistoire de Schaffouse s’est fait depuis catholique. […] Mais depuis ce temps-là et l’ouverture du nouveau règne, qui n’a pu juger du peu d’influence qu’exercent les questions exclusivement religieuses sur les sentiments publics ? […] L’un et l’autre de ces sentiments sont-ils légitimes, acceptables devant les faits et l’histoire ouverte ? […] Il était pénétré du sentiment de son droit ; il pensait (et il avait raison) que son intervention dans de telles affaires constituait un des plus puissants ressorts de la Papauté. […] Son livre atteste des lectures immenses, une grande placidité de pensée, le sentiment de la dignité humaine ; mais des vues, du mouvement, nous en avons vainement cherché.
Une série analogue d’opérations semblables va produire l’ordre mathématique des sentiments moraux. […] Les sentiments étant produits par les jugements ont les propriétés des jugements producteurs. Or, le jugement universel surpasse en grandeur le jugement particulier ; donc le sentiment et le motif poduits par le jugement universel surpasseront en grandeur le sentiment et le motif produits par le jugement particulier. Donc le sentiment et le motif vertueux surpasseront en grandeur le sentiment et le motif intéressés ou affectueux. […] Il se proposa en curieux de constater et de classer les idées, les sentiments et leurs lois, et ne se proposa pas autre chose.
Encore si c’était là chez eux le sentiment du peu que vaut l’homme ! […] Notez ce sentiment : Gœtz de Berlichingen en sortira. […] Or, le sentiment des proportions et de la mesure est ce qui manque le plus à l’auteur anonyme. […] Elle sait que trop de fatalité capricieuse se mêle à nos sentiments les plus forts. […] Il a pourtant un grand signe de vocation : la sincérité et la force de sentiment.
Elle témoigne de sentiments aussi honorables pour vous qu’ils sont agréables pour moi ; puisque, suivant votre expression, la nouvelle fortune de la France est venue vous chercher, jouissez des faveurs qu’elle vous donne : elles ne sauraient être mieux placées que dans des mains aussi reconnaissantes que les vôtres. […] Les sentiments d’une bonne et loyale Française, ceux de la nièce reconnaissante étaient désormais partagés et opposés. […] L’empereur Nicolas y répondit par une lettre qui touche de trop près à l’histoire pour que nous n’usions pas de la permission qui nous est donnée de la produire ici : Je vous remercie bien sincèrement, ma chère nièce, des nobles sentiments que m’exprime votre lettre. […] Il n’est point donné à la prévoyance humaine de le pénétrer ; mais ce que je puis vous assurer, ma chère nièce, c’est que dans toutes les conjonctures possibles, je ne cesserai d’avoir pour vous les sentiments affectueux que je vous ai voués, etc. (9 février 1854). […] On serait heureux d’avoir donné une idée, qui ne fût pas trop incomplète, d’une nature riche, loyale, généreuse, d’une personne qui, dans le plus haut rang, unit le don de beauté au feu sacré de l’art ; qui a le courage de ses pensées et le charme de ses sentiments.
L’esprit révolutionnaire se trace une route, se fait un langage ; et si l’on voulait varier par l’éloquence même ces phrases commandées qu’exige l’intérêt du parti, l’on inquiéterait ses chefs : ils frémiraient en voyant s’introduire de nouveaux sentiments, de nouvelles pensées, qui serviraient aujourd’hui leur cause, mais qui pourraient s’indiscipliner une fois et se diriger vers un autre but. […] Le guerrier sans lumières ou l’orateur sans courage n’enchaîne point votre imagination ; il reste toujours en vous des sentiments qu’il n’a pas captivés, et des idées qui le jugent. […] Il ne faut pas ôter aux grandes âmes leur dévotion à la gloire ; il ne faut pas ôter aux peuples le sentiment de l’admiration. De ce sentiment dérivent tous les degrés d’affection entre les magistrats et les gouvernés. […] Combien n’admire-t-on pas dans l’éloquence antique les sentiments respectueux que faisaient naître les regrets consacrés aux morts illustres, les hommages rendus à leur mémoire, les exemples offerts en leur nom à leurs successeurs !
puissance du seul enlacement des mots et du sentiment qui les tressé et les enlace elles sont adorables, ces romances où il n’y a rien que des rossignols, des lis, beaucoup de lis, des roses, des violettes, des raisins, des abeilles, l’aube, le crépuscule, l’automne et le printemps et, mêlée à toute la nature au point qu’elle ne s’en distingue presque plus, l’image de la femme aimée. […] Les contes et les sonnets, c’est, à des moments différents, la manifestation du même sentiment originel, le sentiment de la beauté génétique, c’est-à-dire de ce que la nature a mis d’attrayant dans les formes pour amener les hommes à ses fins. […] Silvestre s’en tient à ce sentiment et s’y renferme, il écrit les Mariages de Jacques. Mais, après avoir senti les formes uniquement dans ce qu’elles ont de sexuel, on les aime bientôt pour elles-mêmes ; à l’attrait génétique succède le sentiment beaucoup plus complexe du Beau plastique, qui n’est en soi ni masculin ni féminin ; et la sensation primitive appelle alors et provoque, par des liaisons naturelles et rapides, une foule d’idées et de sentiments très nobles, très doux et très purs.
Je vous demandais, Monsieur, à propos d’un livre ou je tâche de préciser le sens de la Littérature de tout à l’heure, votre sentiment sur la direction des efforts jeunes vers le beau, — quelle que soit sa nature. […] Sans doute le sentiment de la couleur et de l’harmonie sommeillait et sans doute, à maintenir si longtemps dans cette pénible attitude doctorale l’esprit humain, on risquait de le paralyser, de le dessécher, de lui faire oublier la grâce de gestes plus vivants : le XVIIIe siècle, cette mare, puis ce torrent, est le loyer dont nous payâmes le XVIIe Le Romantisme n’eut point d’autre fonction que de rappeler l’art français au souci du monde extérieur : sur l’Ame de Bossuet et de Racine, Hugo et Gautier jetèrent leur draperie splendide. Ce fut un art tout do mouvement et de couleur, de sentiment et d’action. […] Son génie l’emportait naturellement aux œuvres absolues où tout l’homme peut se réaliser dans ses pensées, dans ses sentiments, dans ses sensations à Salammbô et surtout à la Tentation. […] Ils ont tous ce double trait commun : un sentiment très vif de la Beauté et un furieux besoin de Vérité.
Ce sentiment, pendant des milliers d’années, s’égara de la manière la plus étrange. […] Chez quelques-unes, le sentiment religieux aboutit aux honteuses scènes de boucherie qui forment le caractère de l’ancienne religion du Mexique. […] Mais c’était un naturalisme profond et moral, un embrassement amoureux de la nature par l’homme, une poésie délicieuse, pleine du sentiment de l’infini, le principe enfin de tout ce que le génie germanique et celtique, de ce qu’un Shakspeare, de ce qu’un Goethe devaient exprimer plus tard. […] Une profonde pitié pour les païens, quelque brillante que soit leur fortune mondaine, est désormais le sentiment de tout juif 91. […] Ce fut comme une renaissance du prophétisme, mais sous une forme très — différente de l’ancienne et avec un sentiment bien plus large des destinées du monde.
Du trouble des esprits au sujet du sentiment religieux Toutes les révolutions politiques se mêlent ou se lient à une révolution religieuse ; celle qui agite en ce moment l’Europe fait seule exception à ce principe général : l’impulsion qu’elle a reçue a été plutôt antireligieuse ; ainsi nous ne devons pas nous étonner si, dans la plupart de ses phases, elle a été antisociale. […] Une religion sans amour, sans pâture pour l’imagination et le sentiment, sera toujours repoussée par nous. […] Nous devons auparavant peindre le symptôme qui rend la crise actuelle si peu semblable aux autres crises de l’esprit humain ; je veux dire l’affaiblissement du sentiment religieux, sans qu’on puisse entrevoir aucune doctrine nouvelle préparée d’avance, et croissant derrière celles qui paraissent devoir s’éteindre. […] Il laisse avec mélancolie errer ses regards en arrière ; il porte au-dedans de lui une vague inquiétude dont il ignore la cause ; il se crée des sentiments factices, et qu’il sait être ainsi, pour suppléer aux émotions qu’il ne retrouvera plus ; il s’étonne du désenchantement où il est plongé ; il a beau être séparé de la religion, ou par les passions dont il est devenu le jouet infortuné, ou par les séductions d’un esprit raisonneur, qui, à force de vouloir approfondir, égare ; il ne peut être sourd aux plaintes touchantes d’une mère, qui ne devait pas s’attendre à lui voir trahir ce qu’elle regardait comme ses plus chères espérances, ni aux terribles accusations de ses aïeux, qui lui reprochent, du fond de la tombe, d’avoir abandonné la portion la plus précieuse de leur héritage. […] Le seul avantage que conservèrent les religions anciennes, ce fut de perpétuer le sentiment religieux chez les peuples qui leur furent soumis ; car, comme nous l’avons déjà remarqué, l’erreur même sert quelquefois à conserver la vérité ; et c’est le sentiment religieux, toujours si respecté par les philosophes anciens, que les philosophes modernes ont tenté d’ébranler, parce qu’ils parce qu’ils toujours, comme nous venons de le dire, de retomber tout vivants dans le christianisme.
… Mais sans être madame de Sévigné, quelle femme n’a dans sa vie deux ou trois amoureux ridicules, deux ou trois de ces bonnes potiches à sentiment dont on ornemente son boudoir… et son amour-propre ? […] Il ne nous l’a fait voir que réverbérée dans les sentiments et dans les lettres de ses amoureux Ménage et Bussy-Rabutin, et du posthume qui se nomma Horace Walpole. […] Et malgré tout ce qu’il nous conte, peut-être que Babou est de mon sentiment sur madame de Maintenon. […] Il se joue comme le poisson dans l’eau dans les idées mystiques, qu’il comprend très bien, et avec ce sentiment catholique qui va jusqu’à la règle, mais ne la déborde jamais. […] Lui, l’auteur des Païens innocents, et d’une notice sur le président de Brosses qui est du paganisme coupable, voilà qu’il nous écrit avec le sentiment le plus catholique la vie d’une sainte, et avec la même aisance qu’il eût écrit celle de Ninon !
Rappelez-vous encore les Lettres à une inconnue, du triste Mérimée vieilli, devenu le croquemort de lui-même, et celles à la Princesse, de Sainte-Beuve (Trissotin à la princesse Uranie), et vous sentirez sur-le-champ la différence qui existe entre les lettres intimes de la comtesse de Sabran, écrites en toute vérité de sentiment et sans aucune préoccupation de la galerie, et toutes ces raclures de secrétaire et de chiffonnière que publient, après la mort des gens, des éditeurs intéressés ou badauds. […] Les lettres, les correspondances, prirent l’importance de toutes les individualités déchaînées, de toutes les vanités, de tous les orgueils, de tous les amours, de tous les sentiments. […] Les femmes surtout, ces Narcisses de leurs sentiments, se mirèrent dans les lettres comme dans un miroir, mais les hommes eux-mêmes furent bientôt les Sardanapales de ce miroir. […] Les deux plis étaient faits, c’est-à-dire les deux blessures, le vase était imbibé… de larmes, et elle dut se débattre toute sa vie dans son sentiment pour cet homme aimé dont la grâce était la plus forte, comme dit Alceste de Célimène. […] C’était déjà une humilité de sentiment bien touchante et bien admirée que le mot de Juliette à Roméo : « Pardonne-moi de t’aimer, beau Montagu !
Ce recueil est un des plus beaux monuments qui ait été élevé en l’honneur des sciences, et l’un des ouvrages qui laissent le plus dans l’esprit le sentiment de son élévation et de sa force. […] Peut-être même lui savons-nous gré de ne pas vouloir nous forcer à l’admiration, sentiment qui nous accuse toujours un peu ou d’ignorance ou de faiblesse. […] Je ne puis finir cet article sur les éloges des gens de lettres et des savants, sans parler encore d’un ouvrage de ce genre, qui porte à la fois l’empreinte d’une imagination forte et d’un cœur sensible ; ouvrage plein de chaleur et de désordre, d’enthousiasme et d’idées, qui tantôt respire une mélancolie tendre, et tantôt un sentiment énergique et profond ; ouvrage qui doit révolter certaines âmes et en passionner d’autres, et qui ne peut être médiocrement ni critiqué ni senti : c’est l’éloge de Richardson, ou plutôt, ce n’est point un éloge, c’est un hymne. […] En l’écoutant, l’enthousiasme se communique : le sentiment, quoique exagéré, paraît vrai. […] Plus heureux cependant, ceux qui ont reçu de la nature une âme ouverte à toutes les impressions, qui suivent avec plaisir un enchaînement d’idées vastes ou profondes, et ne s’en livrent pas avec moins de transport à un sentiment impétueux ou tendre.
Au contraire, en Grèce, les sentiments sont simples, et, par suite, le goût l’est aussi. […] Tel est le sentiment qu’avait nourri l’éducation, et qui, à son tour, agissant sur elle, lui donnait pour but la formation de la beauté. […] Au sentiment profond de la perfection corporelle et athlétique s’ajoutait chez le public et chez les maîtres un sentiment religieux original, une idée du monde aujourd’hui perdue, une façon propre de concevoir, de vénérer et d’adorer les puissances naturelles et divines. […] La sagesse nouvelle ne détruisait pas la religion ; elle l’interprétait, elle la ramenait à son fonds, au sentiment poétique des forces naturelles. […] Au fond du polythéisme est le sentiment de la nature vivante, immortelle, créatrice, et ce sentiment durait toujours.
Aussi, en Allemagne, quand Luther commença d’y répandre sa doctrine de contradiction et d’erreur, il émut autour de lui quelque chose qui ressemblait à un sentiment public. […] Dans la Grande-Bretagne, au contraire, Henri VIII, insurgé contre l’Église, ne s’adressa point à l’intelligence, et ce ne fut point un sentiment public, mais l’abaissement public qui lui répondit. […] Maurice n’a point de jugements qui lui appartiennent ; il n’a que ses sentiments contre Rome et les condamnations de son Église à faire valoir. […] Les sentiments qu’elle inspire à l’univers sont des sentiments de méfiance, d’amertume et d’hostilité. […] Il n’a pas ce sentiment de la fraternité qui efface le caractère toujours répulsif des nationalités trop marquées.
. — Inversement, chez celles-là même qui ont voulu prendre l’égalité pour principe constitutif, combien les sentiments anti-égalitaires sont-ils prompts à renaître, lorsqu’elles entrent en contact avec des races totalement différentes de leurs races ! […] Les partis combattants avaient l’un et l’autre le sentiment que l’identité des costumes empêcherait de maintenir longtemps l’inégalité des droits. […] Dans les groupes parfaitement homogènes, la force des sentiments collectifs est telle qu’ils ne peuvent tolérer aucune divergence particulière. […] D’ailleurs, et plus directement, par les sentiments qu’elle inspire aux individus qu’elle distingue comme par la façon dont elle les tient liés, la division du travail rend leur égalisation nécessaire. […] Les différences physiques collectives, qui pouvaient barrer la route aux sentiments égalitaires, s’affaiblissent et s’évanouissent d’elles-mêmes.
Jullien d’un air tout à fait pénétré et plein de commisération à notre égard11, rien n’est assurément plus fâcheux dans la critique littéraire que ce parti pris d’admiration, qui nous fait louer, même contre notre sentiment, les œuvres consacrées par l’enthousiasme ou la vénération des siècles. […] J’en pourrais citer ici à l’appui ; je les ai lus, et j’ai compris votre sentiment sur les Anciens. […] », répétant ce dernier mot plusieurs fois dans un sentiment de résignation courageuse. […] L’Antiquité ne perd pas au point de vue historique ; là-dessus je suis tranquille ; la Grèce, ainsi considérée comme un anneau d’or dans la chaîne des temps, se classe et se coordonne de plus en plus ; mais, au point de vue du goût et pour le sentiment direct, pour la familiarité véritable entretenue avec les sources, je suis moins rassuré, et je ne m’en prends de cela à personne ; je considère simplement les circonstances où nous vivons. […] Il y a (il faut bien le dire) des esprits distingués, mais essentiellement modernes et présents qui restent et resteront à jamais fermés à l’intelligence et au vrai sentiment de l’Antiquité, et qu’il faut désespérer d’y convertir.
Dès qu’on n’est plus inspiré par un sentiment souverain, impétueux, unique, qui décide et apporte avec lui l’expression ; dès qu’on flotte entre plusieurs sentiments, et qu’on peut choisir ; qu’on en est à redire les choses profondes, à exhaler le superflu des émotions nouvelles, il faut que le travail, l’art, ou, pour exiger le moins possible, un certain soin quelconque aide à l’exécution, et y ajoute, y retranche à l’extérieur par le goût ce que l’âme, tout directement et du premier coup, n’a pas imprimé. […] Un grain de Voltaire manque depuis longtemps à nos poëtes lyriques, quelque chose comme le sentiment du rire ou du sourire. À deux pas du toasthumanitaire où l’on pourrait craindre que le sentiment individuel ne se noyât, on rencontre une pièce qui a pour titre : À une jeune fille qui me demandait de mes cheveux. […] Racine, au contraire, c’est-à-dire le poëte d’alors, dérobait chastement tout ce qui était de sa personne et de son domestique, pour n’offrir ses sentiments même et ses larmes qu’à travers des créations idéales et sous des personnages enchantés. […] Dans tous les cas, en acceptant ce pénible rôle de noter les arrêts, les chutes et les déclins avant terme, de tant d’esprits que nous admirons, nous voulons qu’on sache bien qu’aucun sentiment en nous ne peut s’en applaudir.
L’exposition que je vais faire de ma proposition, jointe à ce que j’ai déja dit, me justifieront pleinement contre une objection si propre à prévenir le monde au désavantage de mon sentiment. […] Ce sont les artisans nez avec le génie de cet art, toujours accompagné d’un sentiment bien plus exquis que n’est celui du commun des hommes. […] Son sentiment a été émoussé par l’obligation de s’occuper de vers et de peinture, d’autant plus qu’il aura été souvent obligé à écrire ou bien à peindre comme malgré lui, dans des momens où il ne sentoit aucun attrait pour son travail. […] En effet, on voit tous les jours des personnes qui jugeroient très-sainement si elles jugeoient d’un ouvrage par voïe de sentiment, se méprendre en prédisant le succès d’une piece dramatique, parce qu’elles ont formé leur prognostic par voïe de discussion.
Elles seroient bien-tôt estimées à leur juste valeur si le public étoit aussi capable de défendre son sentiment et de le faire valoir, qu’il sçait bien prendre son parti. […] Il ne se trompe point dans cette décision, parce qu’il en juge avec désinteressement, et parce qu’il en juge par sentiment. […] Ils sont prêts à dire leur sentiment avec autant de franchise, que les amis commençaux d’une maison disent le leur sur un cuisinier que le maître essaïe.
En effet, pour l’observateur, il n’y a rien de si multiple que l’âme ; rien de si gradué, de si fin, de si complexe, que les sentiments. […] Le poëte a le sentiment obscur de ce but. […] Le sentiment en lie toutes les parties, et, parce qu’il est vivant, il est un. […] Au fond, et en somme, ce qui l’a frappé, c’est une idée, ou plutôt un sentiment de l’injustice ; de ce sentiment a découlé toute sa fable ; c’est ce sentiment qui a retranché le maladroit début du conteur indien ; c’est ce sentiment qui a choisi les personnages, approprié les discours, relié les détails, soutenu le ton, apporté les preuves, l’ordre, la colère et l’éloquence ; c’est ce sentiment qui a mis dans la fable l’unité avec l’art. […] C’est en sentant cette barbarie que La Fontaine a transformé sa mauvaise matière ; c’est en ranimant en son propre coeur les sentiments du barbare, qu’il a tout renouvelé ou tout trouvé.
C’était l’expression d’un sentiment naturel qui, à force de profondeur et de beauté vraie, a rencontré, sans la chercher, la forme littéraire la plus exquise — Maurice de Guérin avait une sœur, non pas seulement de sang, mais de génie. […] Mlle Marie de Guérin, le sentiment sororial à part, est, à notre estime, l’historienne la plus digne de cette vie dont le calme a de quoi confondre nos grimaçantes agitations. […] Il l’a dit dans des vers charmants de sentiment et de cadence, qui tombent parfois çà et là, sur une rime faible, mais trouvent le moyen de n’y pas rester et de s’envoler, Qu’importe, du reste ! […] Les femmes chuchotaient de son génie d’expression et de sentiment révélé par ses lettres ; mais on n’eut pas pour elle les importunités curieuses qu’on prend parfois si grossièrement pour des hommages. […] Les prétentions fausses ont remplacé les sentiments vrais.
Je ne saurais mieux définir le sentiment de profonde affection et comme de piété que je portais alors jusque dans la critique littéraire, qu’en rappelant un passage de mon roman de Volupté, où Amaury s’écrie (chap. xxi) : « … Dans les Lettres mêmes, il est ainsi des âmes tendres, des âmes secondes, qui épousent une âme illustre et s’asservissent à une gloire : Wolff, a dit quelqu’un, fut le prêtre de Leibnitz. […] Si vous vous rappelez les circonstances, trop rares pour moi, d’une liaison que j’ai tant désirée et que j’ai bien moins cultivée que je n’aurais voulu, il doit vous paraître qu’elle a été de ma part toute de respect, et, j’ose dire, de déférence empressée, et fort peu exigeante en retour pour toutes choses, hormis un sentiment sûrement bienveillant de votre côté. […] Au fond, voyez-vous, c’est là ma prédilection secrète, mon courant caché ; et quand toutes mes digressions dans les bouquins me fournissent jour à un sonnet neuf, à un mot à bien encadrer, à un trait heureux dont j’accompagne un sentiment intime, je m’estime assez payé de ma peine ; et, en refermant mon tiroir à élégies, je me dis que cela vaut mieux après tout que tous les gros livres d’érudition, lesquels je veux pourtant faire de plus en plus profession d’estimer. — Mais, il faut en venir, mon cher Béranger, à l’objet de cette lettre. […] — Adieu, mon cher Béranger, croyez à mes sentiments de profond et inviolable attachement et respect, « Sainte-Beuve. […] Des amis tardifs de Béranger ont prétendu que j’avais prêté au poëte des sentiments qu’il n’avait pas.
Aujourd’hui que le Globe est placé plus qu’il ne l’a jamais été depuis la révolution de Juillet sur un terrain solide et nettement dessiné ; aujourd’hui que sa nouvelle position en politique, en économie, en philosophie, en art et en religion, devient de plus en plus appréciable et notoire ; aujourd’hui enfin, pour tout dire, que le Globe est le journal reconnu et avoué de la doctrine saint-simonienne ; nous, qui ne l’avons abandonné dans aucune de ses phases, nous qui avons assisté et contribué à sa naissance il y a sept ans, coopéré à ses divers travaux depuis lors, qui avons provoqué et produit plus particulièrement ses transformations récentes ; nous qui avons suivi toujours, et, dans quelques-unes des dernières circonstances, dirigé sa marche ; qui, sciemment et dans la plénitude de notre loyauté, l’avons poussé et mis là où il est présentement, nous croyons bon, utile, honorable de nous expliquer une première et dernière fois par devant le public, sur les variations successives du journal auquel notre nom est demeuré attaché ; de rendre un compte sincère des idées et des sentiments qui nous ont amené où nous sommes ; et de montrer la raison secrète, la logique véritable de ce qui a pu sembler pur hasard et inconsistance dans les destinées d’une feuille que le pays a toujours trouvée dans des voies d’honneur et de conviction. […] Et d’ailleurs les circonstances politiques devenant de jour en jour plus pressantes, le principe, qui n’aurait dû servir que d’instrument à prendre ou à laisser, devenait lui-même une arme de plus en plus chère, un glaive de plus en plus indispensable et infaillible ; le but lointain d’association et d’unité s’obscurcissait derrière le nuage de poussière que soulevaient les luttes quotidiennes ; car le Globe s’y lança sans hésiter dès que les besoins du pays lui parurent réclamer une pratique plus active ; mais ses tentatives de science générale y perdirent d’autant ; ce sentiment inspirateur, cette tendance générale et ce but d’avenir que nous signalons plus particulièrement ici s’éclipsèrent devant une application directe à la situation politique du moment, et, dans la préoccupation naturelle des rédacteurs comme du public, notre journal parut se réduira au travail du principe de liberté jouant et frappant dans toutes les directions. Alors pourtant le Globe eut son unité, et cette unité pleine d’accidents, de saillies, de sentiments probes, de pensées utiles, fut, non plus une idée générale un peu vague et confuse dans sa réalité lointaine, mais un homme ; un homme de premier mouvement et d’action, d’une intelligence ouverte, d’une parole incisive, écrivain loyal, âpre et intrépide, tous les jours sur la brèche, à l’aise et en plein sur le terrain mouvant de la liberté ; répandant sur l’ensemble parfois discordant du journal l’unité passionnée, et sans cesse renaissante, de sa physionomie ; liant, non par des liens, mais par des étincelles électriques, en quelque sorte, les portions les plus excentriques du cercle ; nature impressive et rapide, embrassant par son impartialité la nuance doctrinaire, et par sa verdeur la nuance républicaine : c’est assez désigner M. […] Plus d’une fois, auparavant, nous avions approché de cette doctrine et de ces communications imparfaites il nous était resté, du moins, pour elle et pour ceux qui la cultivaient, un sentiment profond de sympathie et d’estime. […] Les derniers événements d’ailleurs nous avaient appris à ne plus désespérer du progrès, quelque lointain qu’il parût, et à croire au règne, tôt ou tard nécessaire, des idées les plus vraies et des sentiments les plus larges.