Puis, comme un éclair dans la nuit, apparurent quelques souvenirs lumineux. […] Il se souvint qu’un jour, à table, dans les fumées du vin, le vieillard s’était mis à rire tout à coup et à parler de ses conquêtes, en prenant un air modeste et en clignant ses yeux privés de lumière ; il se souvint de Barbe, et ses traits se crispèrent comme chez un homme saisi d’une subite douleur. […] Il avait complètement oublié son nom ; il ne se souvenait même pas de l’avoir jamais vue. […] Lavretzky se souvint que, dans le jardin des Kalitine, le rossignol chantait aussi ; il se souvint du mouvement lent des yeux de Lise lorsqu’ils se dirigèrent vers la sombre fenêtre par laquelle les chants pénétraient dans la pièce. […] Et le même rire irrésistible éclata à ce souvenir.
C’est en récapitulant mes souvenirs sur les Opinions de M. […] D’autres en goûtèrent et cette petite fête laissa un long souvenir dans l’âme de ceux qui y avaient pris part. […] Ernest Legouvé vient de réunir en un volume, paru chez Hetzel, une suite d’études et de souvenirs intéressants à tous égards. […] Son livre est divisé en trois parties : Souvenirs biographiques, Études littéraires et dramatiques et Scènes de famille. […] À ces mots, que de souvenirs évoqués parmi lesquels les modestes bouquinistes viennent prendre la première place !
Ces deux berceaux du romantisme ont laissé un grand souvenir dans l’histoire de la Russie ; leur légende remplit les travaux des critiques et des biographes que je résume ici. […] Ces souvenirs concordent avec des notes écrites par Tourguénef, après sa première visite à l’auteur des Âmes mortes. […] Ce n’est pas la prose nette et limpide de Pouchkine, qui avait beaucoup lu Voltaire, et qui se souvenait. […] Quinze ans plus tard, quand Dostoïevsky publiera les Souvenirs de la maison des morts, ses terribles souvenirs de dix années en Sibérie, il procédera de même, sans un mot de révolte, sans une goutte de fiel, semblant trouver ce qu’il décrit tout naturel, un peu triste seulement. […] C’est un souvenir de la vie d’étudiant en Allemagne, un timide amour qui s’est à peine avoué à lui-même.
Quand je me souviens de cette grande espérance, un sentiment amer et désolé m’oppresse et je recommence à déplorer mon malheur. […] Holman Hunt, dans la Contemporary Review d’avril à juin 1886, qui ont la saveur et le charme des souvenirs personnels. […] Garibaldi avait une haute idée de la femme, et dans ses souvenirs de jeunesse, il n’y en a que trois dont il évoque le souvenir. […] « Et les drapeaux vénérés et saints, souvenirs des époques passées, seront célébrés par des chants. […] Œuvres principales : la Vie militaire, Souvenirs de 1870-71, l’Espagne, la Hollande, Souvenirs de Londres, Pages éparses, le Maroc, Nouvelles, Constantinople, Souvenirs de Paris, Poésies, Portraits littéraires, les Amis, Cœur, Aux portes d’Italie.
Donc, vous pouvez ouvrir les Souvenirs de M. […] Dans le tome premier de ses Souvenirs, M. […] » Ces souvenirs de l’enfance ont l’honneur de vivre et de mourir avec nous. […] Qui de nous ne se souvient de l’avoir vu parcourir, au galop, le bois de Boulogne ou le Champ de Mars ? […] Sa passion était respectable, parce qu’elle savait s’arrêter et se souvenir.
Le présent volume, digne du précédent, contient trois excursions pédestres, l’une ancienne, de 1833, à la Grande-Chartreuse, l’autre à Gênes et à la Corniche ; mais surtout on y voit la dernière grande excursion que Töpffer a conduite au cœur de la Suisse, la plus importante, celle du moins où, comme en prévision de sa fin prochaine, il a rassemblé le plus de souvenirs, de résultats d’observation ou d’expérience, son Voyage de 1842 autour du Mont-Blanc et au Grimsel. […] Mais cette poésie, il faut un maître pour l’extraire de là, belle, vivante et vraie tout à la fois ; sans quoi vous aurez ou bien une Estelle à liserés, qui ne rappelle que romances et fadeurs, ou bien une vilaine créature, qui ne remue que d’ignobles souvenirs. […] Un des endroits de son récit qui m’a laissé le plus frais souvenir, c’est son excursion aux Mayens, près de Sion. […] [NdA] Ce n’est pas sans dessein que j’indique la littérature grecque, car Töpffer était helléniste ; il a même donné une édition des Harangues de Démosthène, et il se souvient évidemment du grec dans cette phrase de ses Voyages en zigzag, par exemple : C’est là mieux qu’ailleurs (dans une excursion en commun du maître avec ses élèves) qu’il dépend de lui, s’il veut bien profiter amicalement des événements, des impressions, des spectacles et des vicissitudes, de fonder de saines notions dans les esprits, de fortifier dans les cœurs les sentiments aimables et bons, tout comme d’y combattre, d’y ruiner à l’improviste, et sur le rasoir de l’occasion, tel penchant disgracieux ou mauvais.
Enfin, il manquait surtout un Virgile, c’est-à-dire ce génie à la fois imitateur, inventif et composite, qui, venu à l’heure de la maturité d’une langue et de la domination universelle d’un peuple, fond et combine toutes choses, souvenirs, traditions et espérances, avec un art intérieur accompli, dans un sentiment présent et élevé. […] C’est même un faux sens dans l’esprit de la pièce ; car il n’est pas précisément agréable à un vieillard de se souvenir qu’il a couru là où maintenant il marche à peine ; mais il peut aimer à se dire qu’il s’est traîné tout petit enfant là où il se traîne encore. […] Chapelain, ainsi pressé par Balzac, lui répond un peu longuement, mais très judicieusement, et cette lettre inédite, publiée ici pour la première fois, ne saurait désormais se séparer de la question même qui lui était faite et dont on se souvient encore : Vous me demandiez, lui écrit-il le 27 mai 16408, par l’une de vos précédentes, si l’épithète de grand, que j’avais donnée à Ronsard, était sérieux9 ou ironique, et vouliez mon sentiment exprès là-dessus. […] [NdA] Chapelain ne met pas épithète au féminin ; il se souvient du latin et du grec, où le mot est neutre.
Grenier, qui débrouille aussi nettement que possible l’état présent, qui l’analyse et l’expose en pleine connaissance de cause, comme il sied à quelqu’un qui aime les Grecs, qui les a vus chez eux, qui leur a du une hospitalité amicale et savante ; et qui n’en désespère nullement, ce volume, toutefois, a surtout contribué à réveiller en moi tous les souvenirs contraires, et à me rendre, avec une certaine amertume qui ne déplaît pas à l’expérience, le sentiment de ces belles années où la Grèce n’était pas comme un malade atteint de maladie chronique, exposé à l’indifférence de tous, mais une héroïne saignante et une victime, une Andromède enchaînée et palpitante pour laquelle on s’enflammait. […] Moi-même, si parva licet…, si j’ose, en présence de tant de noms et d’œuvres d’alors, me rappeler tout bas ce premier souvenir de ma vie littéraire, lorsqu’en 1824 j’entrais comme apprenti rédacteur au Globe, que me demandait comme échantillon, comme premier essai de ma plume, mon ancien maître M. […] , tous ses maîtres lui avaient dit et répété bien des fois, avant de partir, ce que Pline le Jeune disait à un de ses amis qui était envoyé de Rome pour être quelque chose comme préfet à Sparte ou à Athènes : « Souviens-toi bien et ne perds pas un moment de vue que c’est en Grèce que tu vas, et au cœur de la plus pure Grèce, là où d’abord la civilisation, les lettres, toute culture, celle même du blé, passent pour être nées… Respecte les dieux fondateurs et instituteurs de toutes ces belles choses, et jusqu’au nom des dieux. […] Grenier, qui nous fournit tous ces traits d’un parfait signalement, nous a tracé, d’après ses souvenirs de 1847, la rencontre qu’il fit d’un brigand ou du moins d’un berger très suspect et sans moutons ; c’est un très-joli croquis à détacher d’entre ses pages politiques, c’est une eau-forte : « Je chassais, dit-il, aux abords du golfe d’Éleusis, à gauche de la grand’route de Daphni.
Parcourant plus tard l’Allemagne et étant à Nuremberg, cette ville gothique, toute dévote à elle-même, tout occupée à se conserver, à se repeindre, et qui est « une collection plutôt qu’une ville », il remarque qu’au milieu des raretés qu’elle offre à chaque pas « on a peine à trouver une de ces œuvres qui laissent un souvenir durable ; on est souvent étonné, jamais ému ; c’est toujours le dernier objet qui frappe le plus et qui fait oublier les autres : « Je me souviens à ce propos, dit-il, de l’impression que nous ressentîmes à Rome, il y a de cela dix-huit ans (1836). […] Lorsqu’il se vit le restaurateur en titre de Notre-Dame, il aurait même pu retrouver, après coup, un signe et comme un présage de sa destinée d’artiste, dans une impression d’enfance qu’il a quelque part racontée : « Il m’est resté, dit-il, le souvenir d’une émotion d’enfant très vive et encore fraîche aujourd’hui dans mon esprit, bien que le fait en question ait dû me frapper à un âge dont on ne garde que des souvenirs très vagues.
On ne sait trop comment se passèrent ses premières années ; il s’est bien gardé d’en parler jamais, et il paraît s’être expressément interdit, comme une honte, tout souvenir d’enfance ; c’était mal imiter Horace pour le début. […] Et à toutes les époques de trouble et de renouvellement, quiconque, témoin des orages politiques, en saisira par quelque côté le sens profond, la loi sublime, et répondra à chaque accident aveugle par un écho intelligent et sonore ; ou quiconque, en ces jours de révolution et d’ébranlement, se recueillera en lui-même et s’y fera un monde à part, un monde poétique de sentiments et d’idées, d’ailleurs anarchique ou harmonieux, funeste ou serein, de consolation ou de désespoir, ciel, chaos ou enfer ; ceux-là encore seront lyriques, et prendront place entre le petit nombre dont se souvient l’humanité et dont elle adore les noms. […] Or, sans faire d’hypothèse gratuite, sans demander aux hommes plus que leur siècle ne comporte, on conçoit, ce me semble, dans cette atmosphère de souvenirs et d’affections, une âme tendre, chaste, austère, effrayée de la contagion croissante et du débordement philosophique, fidèle au culte de la monarchie de Louis XIV, assez éclairée pour dégager la religion du jansénisme, et cette âme, alarmée, avant l’orage, de pressentiments douloureux, et gémissant avec une douceur triste ; quelque chose en un mot comme Louis Racine, d’aussi honnête, et de plus fort en talent et en lumières. […] De la sorte, chez lui, nul sentiment vrai du passé non plus que du présent ; son esprit était le plus terne des miroirs ; rien ne s’y peignait, il ne réfléchit rien ; sans originalité, sans vue intime ou même finement superficielle, sans vivacité de souvenirs, aussi loin des chœurs d’Esther que des vers datés de Philisbourg, tenant tout juste au siècle de Louis XIV par l’Ode sur Namur, ce fut le moins lyrique de tous les hommes à la moins lyrique de toutes les époques.
La passion de la gloire excite le sentiment et la pensée au-delà de leurs propres forces ; mais loin que le retour à l’état naturel soit une jouissance, c’est une sensation d’abattement et de mort : les plaisirs de la vie commune, ont été usé sans avoir été sentis, on ne peut même les retrouver dans ses souvenirs ; ce n’est point par la raison ou la mélancolie qu’on est ramené vers eux ; mais par la nécessité, funeste puissance, qui brise tout ce qu’elle courbe ! […] L’homme, jadis comblé de gloire, qui veut abdiquer ses souvenirs, et se vouer aux relations particulières, ne saurait y accoutumer ni lui, ni les autres ; on ne jouit point par effort des idées simples, il faut, pour être heureux par elles, un concours de circonstances qui éloigne naturellement tout autre désir. […] On confie longtemps les peines du cœur, parce que leur durée même est honorable, parce qu’elles répondent à trop de souvenirs dans l’âme des autres, pour que ce soit parler de soi que d’en entretenir ; mais comme la philosophie et la fierté doivent vaincre, ou cacher, les regrets causés même par la plus noble ambition, l’homme qui les éprouve ne s’abandonne point à les avouer entièrement. […] C’est de mon père enfin, c’est de l’homme de ce temps qui a recueilli le plus de gloire, et qui en retrouvera le plus dans la justice impartiale des siècles, que je craignais surtout d’approcher, en décrivant toutes les périodes du cours éclatant de la gloire ; mais ce n’est pas à l’homme qui a montré, pour le premier objet de ses affections, une sensibilité aussi rare que son génie ; ce n’est pas à lui que peut convenir aucun des traits dont j’ai composé ce tableau ; et si je m’aidais des souvenirs que je lui dois, ce serait pour montrer combien l’amour de la vertu peut apporter de changement dans la nature, et les malheurs de la passion de la gloire.
Souvenirs de jeunesse. […] Je me souviens de l’avoir vu caracoler à la suite de ce prince, qui passait, en 1814, une revue sur le Carrousel. […] La beauté du prince de Léon se grava tellement dans mon imagination, que, deux ans après, je m’en souvenais encore. […] Je me souviens même qu’en route, entendant mes compagnons de voyage vanter les douceurs de la dévotion, je convins avec eux qu’elle avait ses charmes, quand elle était ardente et sincère, mais que l’amour pour une beauté accomplie me paraissait une dévotion des sens à laquelle je ne pouvais rien comparer sans me mentir à moi-même.
Souvenirs et Visions, in-12, 1888. […] Dostoïevski (1821-1881) : Crime et Châtiment, 2 vol. in-18, tr. 1884 ; Souvenir de la maison des morts, 1 vol. in-18, tr. 1886 ; Krotkaïa, 1 vol. in-18, tr. 1886 ; les Possédés, 2 vol. in-18, tr. 1886. […] L’influence de son christianisme démocratique et philanthropique a été très grande chez nous, je veux dire dans notre littérature : au comte Tolstoï doit surtout se rapporter l’esprit nouveau, plus largement philosophique et plus profondément humain, que je signale plus bas dans nos romans et même sur notre théâtre. — Anna Karenine, 2 vol. in-18, 1871, tr. 1885 ; la Guerre et la Paix, 3 vol. in-8, 1872, trad. 1880 et 1885 ; Ma religion, 1885 ; les Cosaques, souvenirs de Sébastopol, 1887, 4 vol. ; la Puissance des ténèbres, drame, in-18, 1887 ; la Sonate à Kreutzer, 1 vol. in-18, 1890 ; Souvenirs, Hachette, in-12, 1887, etc. — A consulter : M. de Vogué, le Roman russe.
D’ailleurs, que l’on considère ceci : les particularités esthétiques d’une œuvre se composent d’un certain nombre d’émotions, d’images verbales, d’images d’objets, de personnes, d’idées, de concepts, de souvenirs, d’habitudes d’esprit, de résidus de sensations. […] Un écrivain qui se décidera d’instinct à user d’un style coloré, c’est-à-dire d’une série de formes verbales tendant à rendre et à suggérer minutieusement l’aspect sensible des choses et des gens, sera un homme qui percevra parfaitement cet aspect à l’aide de sens aiguisés, à l’aide de résidus de sensations extrêmement aptes à revivre, de souvenirs de sensations tout prêts à renaître en images, et doué de plus d’un catalogue bien complet de mots propres à rendre ses perceptions et ses souvenirs ; par contre, l’activité même de ces formes sensuelles de l’intelligence se sera ordinairement développée aux dépens de son idéation, en sorte qu’il possédera des objets une connaissance plutôt individuelle que générique, qu’il aura une aptitude médiocre aux notions et aux sciences abstraites. […] Si la comparaison est ampliative, comme chez Chateaubriand, elle témoigne de l’accolement facile dans l’esprit de l’écrivain d’images relativement lointaines, douées d’un caractère constant de noblesse et de beauté, avec celles que lui présentaient ses souvenirs ou le cours de ses idées.
Le lecteur se souvient de ce minéralogiste allemand qui cherchait un certain caillou ; un jour l’apercevant : « Ah ! […] Le lecteur se souvient de la querelle qu’il eut sur un sujet pareil avec M. […] Sainte-Beuve, dans une autre préface, se souvint qu’il avait écrit lui-même l’histoire de Port-Royal et de ses religieuses, et qu’en outre il avait fait le portrait de plusieurs grandes dames du temps. […] Cette angélique figure resta gravée dans sa mémoire, dans son cœur peut-être, et le souvenir de la charmante et touchante princesse, épuré par la vue de sa piété parfaite et de sa pénitence héroïque, lui servit plus tard, lorsque du haut de la chaire il peignait la beauté et la pureté des anges, et emportait avec lui ses auditeurs attendris dans le ciel.
Remercions-le d’avoir réhabilité dans nos souvenirs ces jours incertains, où l’orage grondait toujours, où la liberté luisait déjà, et d’avoir montré qu’après tout, s’ils ne manquèrent pas d’excès ni de fautes, ils ne manquèrent non plus ni de civisme, ni de vertus, ni de victoires, ni de rien de ce qui honore une nation. […] L’infâme Carrier, dans le cours de son procès, lâcha un mot effrayant de vérité : « Tout le monde est coupable ici, dit-il à la Convention, jusqu’à la sonnette du président. »Mais ce mot-là ne le sauva pas, ni les autres, et l’accusation de Billaud, de Collot et de Barrère n’en fut pas moins soutenue avec acharnement par Lecointre de Versailles, Tallien, Bourdon de l’Oise, tous impitoyables comme d’anciens complices, hommes de boue qui déclamaient avec emphase contre les hommes de sang, Sur ces entrefaites, les soixante-treize rentrèrent au sein de la Convention, et, quoiqu’ils promissent de déposer au seuil leurs ressentiments passés, ils ne purent tous se tenir en garde contre d’odieux souvenirs. […] Quelques affreux souvenirs qu’il ait laissés à bon droit, on aurait tort de s’en armer contre la mémoire de ces jeunes hommes ardents, mais sincères, qui furent ses derniers défenseurs et qui périrent pour sa cause.
Les sentiments, les situations, les caractères que Voltaire nous présente, tiennent de plus près à nos souvenirs. […] quels vœux s’élèveraient vers l’intelligence suprême, pour lui demander de ne pas briser la chaîne de souvenirs qui unit ensemble deux existences ? […] Racine lui-même fait à la rime, à l’hémistiche, au nombre des syllabes, des sacrifices de style ; et s’il est vrai que l’expression juste, celle qui rend jusqu’à la plus délicate nuance, jusqu’à la trace la plus fugitive de la liaison de nos idées ; s’il est vrai que cette expression soit unique dans la langue, qu’elle n’ait point d’équivalent, que jusqu’au choix des transitions grammaticales, des articles entre les mots, tout puisse servir à éclaircir une idée, à réveiller un souvenir, à écarter un rapprochement inutile, à transmettre un mouvement comme il est éprouvé, à perfectionner enfin ce talent sublime qui fait communiquer la vie avec la vie, et révèle à l’âme solitaire les secrets d’un autre cœur et les impressions intimes d’un autre être ; s’il est vrai qu’une grande délicatesse de style ne permettrait pas, dans les périodes éloquentes, le plus léger changement sans en être blessé, s’il n’est qu’une manière d’écrire le mieux possible, se peut-il qu’avec les règles des vers, cette manière unique puisse toujours se rencontrer ?
Mais, dix ans après, la route de l’existence est déjà profondément tracée, les opinions qu’on a montrées ont heurté des intérêts, des passions, des sentiments, et votre âme et votre pensée n’osent plus s’abandonner en présence de tous ces juges irrités : l’imagination peut-elle résister à cette foule de souvenirs pénibles qui vous assiègent à tous les moments ? […] Vainement les goûts se modifient, les inclinations changent ainsi que le caractère ; il faut rester la même puisqu’on vous croit la même ; il faut tâcher d’avoir quelques succès nouveaux puisqu’on vous hait encore pour les succès passés ; il faut traîner cette chaîne des souvenirs de vos premières années, des jugements qu’on a portés sur vous, de l’existence enfin telle qu’on vous la suppose, telle qu’on croit que vous la voulez. […] Les affections modifient toutes nos opinions sur tous les sujets : l’on aime tels ouvrages parce qu’ils répondent à des douleurs, à des souvenirs qui disposent de nous-mêmes à notre insu ; l’on admire avant tout certains écrits, parce que seuls ils ont ému toutes les puissances morales de notre être.
Catulle Mendès, morceaux certes d’élévation, nourris de souvenirs amusants et à qui ne manquent point les hauts points de vue, ont beau n’être que les coupures de ses livres de critique et d’histoire musicale, quand il les lit lui-même on l’acclame ; mais tout seul, auprès de son feu, on ne songerait pas à les lire, parce qu’on ne lit pas, parce qu’on est trop paresseux. […] Peut-être vous souvient-il d’un dessin en diptyque de Forain. […] Les horizons mal fermés de ces scènes lointaines incitent au rêve mieux qu’une pièce bien close d’Émile Augier ; et les esprits les plus incurablement classiques se souviendront que les régents qui gardent devant les lycéens les chefs-d’œuvre nationaux situent le charme décisif et supérieur du Misanthrope dans l’incertitude, presque l’inexistence du dénouement.
Malot sous le flamboiement du souvenir. […] et pourquoi Autren, nu jusqu’à la ceinture sur son écueil, fait-il surgir dans l’imagination, qui a le souvenir autant que le rêve, la nette image de ce matelot, nu aussi jusqu’à la ceinture, et qui, debout sur le pont du navire, demandait à genoux à Virginie l’honneur de la prendre dans ses bras et de la sauver ? […] Chatrian n’a pas de plus grands ennemis de son livre que les souvenirs éveillés par son livre, et c’est la réminiscence qui le fait vivre qui le fait mourir !
Biot n’a eu, pour le tracer, qu’à se souvenir de sa propre vie, et à proposer pour idéal un exemplaire dont tous ceux qui le connaissent savaient déjà bien des traits. […] Combien de fois, lorsqu’il m’arrivait d’écrire sur des hommes de la fin du xviiie siècle qu’il avait connus, ne m’adressa-t-il point, par la main de sa respectable compagne, des souvenirs à lui personnels, des particularités qui lui revenaient à l’esprit, des encouragements à poursuivre !
c’est bien là, du côté de la Picardie et près de la mer, cette Normandie grasse et féconde, ouverte et reposée, sans beaucoup d’éclat, sans transparence, mais non sans beauté ni sans grandeur ; c’est bien elle avec ses ruines sévères, son ciel variable, sa forte terre de labour et sa végétation ni folâtre ni sombre, mais un peu uniforme dans sa verdure ; c’est bien la plaine d’Arques avec ses souvenirs d’Henri IV et de sa petite armée valeureuse, armée plus serrée et solide que brillante, sur laquelle la soie et l’or se voyaient moins que le fer ; héroïque tous les matins à la sueur de son front, et combattant pour un but lointain, mais sans perspective trop sereine. […] La veille encore, à cinq heures du soir, cet ami de quarante ans était assis à mon coin du feu, causant, non sans quelque ombre de tristesse, de toutes ces choses qui nous étaient communes et chères, idées d’art et de philosophie sociale, souvenirs du passé, perspectives un peu sombres et voilées de l’avenir.
M. de Ségur Mémoires, souvenirs et anecdotes. […] Le prince Henri avait de grandes vertus ; ses lumières, son humanité, sa justice l’avaient popularisé en Europe, et, auprès de la gloire de Frédéric, la sienne, moins brillante, semblait incomparablement plus pure : et ce même prince, sans songer à mal, invente la plus odieuse des iniquités politiques ; à l’occasion, il en cause avec Catherine, il en cause avec son frère ; la partie s’arrange, il s’en félicite, et, dans sa retraite de philosophe, s’en berce comme d’un doux et beau souvenir !
La première de ces choses qui l’a posé, comme on dit, et sur le souvenir de laquelle il vit toujours, fut Lucrèce, imitation grossière et faible, dans le détail et dans le style, de Corneille et d’André Chénier. […] Joseph Autran Théâtre de Ponsard : Lucrèce : Par ses familiarités charmantes, la langue de Lucrèce s’écarte, en maints endroits, du langage consacré ; non loin de certains vers dont la grâce exquise émane d’André Chénier, d’autres surviennent qui, dans leur franche et verte allure, apportent un souvenir de comédie.
Tous entonnent avec lui le Noël chrétien, et puis son allocution ranime les vieux souvenirs. […] Cette fête célèbre un souvenir de Judée, la crèche de Bethléem, une première heure très pure.
Ce furent de pénibles jours, dont je n’ai pas conservé le souvenir. […] Te souviens-tu encore de la dernière sortie de ton père, lorsqu’il t’apporta un petit pain blanc ? […] As-tu si peu de confiance en moi que tu me crois incapable de chasser le souvenir d’un misérable ? […] Grimm a cru pouvoir, à propos de Werther, évoquer le souvenir. […] Et il invoque en frémissant le souvenir d’Archimède.
Je me souviens que lors de l’élection du P. […] Vous souvient-il du procès Mirès ? […] Si l’on se souvient encore dans l’autre monde, elle doit se rappeler ses amendes et ses captivités. […] Que ce souvenir console M. […] faut-il encore introduire son souvenir jusque chez vous en vous parant de sa dépouille ?
Son enfance ne lui laissa d’heureux souvenirs que les caresses de ses sœurs. […] Shelley en conserva à jamais le souvenir « d’une âpre et discordante mêlée de tyrans et d’ennemis ». […] Peut-être s’est-il souvenu de l’Arioste, don le Roland déracine aussi les chênes : il se souviendra plus certainement de lui lorsqu’il composera le Petit roi de Galice. […] Je les ai souvent confondues dans ma mémoire avec le souvenir de ses toiles. […] Quand il parle de ses souvenirs d’enfance et d’adolescence, on lui dit : « Pourquoi ne pas les écrire ?
Ne pouvant dormir, je voulus du moins occuper agréablement mon insomnie par l’évocation de tous les souvenirs d’hommes éminents dans la littérature ou dans la politique que j’avais rencontrés, entrevus, connus ou aimés dans ma vie pendant les trente ou trente-cinq années où j’avais été plus ou moins mêlé à la foule du siècle. […] Pendant les courtes heures nocturnes où je tirai un à un ces souvenirs, ces noms, ces figures de ma mémoire avec toutes les circonstances qui marquaient leur rencontre, leur apparition, leur intimité dans ma vie passée, je puis dire que je vivais deux fois. […] Il me semblait me promener dans un ciel tout scintillant de souvenirs, à travers une véritable voie lactée de noms charmants ou de noms illustres que j’avais traversée pendant ma courte apparition dans le temps, et qui avaient été autrefois ou qui étaient encore mes contemporains, mes compatriotes, mes amis, mes émules, mes rivaux, même mes ennemis. […] Ces trois amis, moins intimes que les premiers, dont le souvenir m’est resté cher et présent, étaient l’un de mes camarades des gardes du corps, M. de Vaugelas, qui vit aujourd’hui dans le loisir toujours studieux des champs, à Die, dans la belle vallée du Rhône. […] Souvenez-vous de ce que je vous prédis, quand je ne serai plus ; vous êtes du bien petit nombre des hommes de qui je désire être connu.
Aux yeux du souvenir, que le monde est petit ! […] Les yeux du souvenir ont changé son optique. […] Les premières pages du livre, faites de souvenirs de collège, mettent au point pour nous cette situation complexe. […] Mais nous avons de lui une manière de rapport général dans ses Souvenirs Littéraires. […] Il me semble, au contraire, que j’ai toujours existé, et je possède des souvenirs qui remontent aux Pharaons.
Ma fille, Henriette, Ernest, qui a passé une bien meilleure nuit, se rappellent à votre souvenir, ainsi que Clara. […] Les souvenirs de la vie libre et heureuse que j’avais jusque-là menée avec ma mère me perçaient le cœur. […] Le fond de ma blessure était le souvenir trop vivant de ma mère. […] Le souvenir de mes premières études de mathématiques, qui avaient été assez fortes, me revenait quelquefois. […] Adolphe Morillon : Souvenirs de Saint-Nicolas.
Depuis dix ans environ, — et jusqu’aux Désenchantées, l’un de ses succès les plus retentissants, — Pierre Loti a surtout fixé dans ses écrits les souvenirs d’une existence aventureuse, avec des silhouettes et des fantômes d’Extrême-Orient. […] Au même moment, l’engouement inattendu pour les mémoires, pour les souvenirs, pour les memoranda qui ont envahi les marges de l’histoire, a paru leur indiquer la voie. […] Le goût pour les évocations du passé a exigé non plus de secs et graves récits, mais des tableaux vivants, des narrations animées, des anecdotes, des souvenirs intimes. […] Les personnes qui les ont lus, depuis la Terre qui meurt jusqu’à Donatienne et au Blé qui lève, savent quelle émotion et quel souvenir charmé elles en ont gardés. […] Plusieurs sont des types dont le souvenir s’accroche à notre mémoire.
Henri Franck était, si je me souviens bien, quelque peu parent de M. […] Désormais, il vous arrivera de sourire, dans vos promenades, au souvenir de ces comparaisons imprévues. […] La plus vivante est celle de Poil de Carotte, parce que là, Jules Renard disposait, comme éléments, des souvenirs de son enfance, et que les souvenirs d’enfance sont toujours d’un grand prix pour les bons égoïstes. […] Celles-ci sont nouées par de communs souvenirs de gloire, mais aussi par des colères partagées. […] Cela vient du souvenir que nous avons de leurs précédentes œuvres : il nous fut donné de goûter aux fruits de l’arbre.
Ce prêtre, c’est celui dont Lamartine s’est souvenu, quand il a, plus tard, écrit son Jocelyn. […] Depuis le début de son œuvre, il est hanté par cette image, par ce souvenir de Napoléon. […] Nous voudrions oublier tous les détails qu’on a donnés et nous souvenir seulement que, à la suite de cette grande épreuve de sa vie, Alfred de Musset a écrit les très beaux vers que l’on trouve dans Les Nuits et dans Les Souvenirs. […] C’est depuis ce temps-là que tous les écrivains écrivent leurs mémoires et qu’on publie ses mémoires, ses souvenirs, ses confidences, ses confessions, l’histoire de sa vie, etc. […] Cette soirée, dont j’ai gardé un souvenir très net, pourrait se diviser en trois parties.
Tous mes lecteurs se souviennent que j’ai écrit, en 1847, un livre qu’il ne m’appartient pas de juger littérairement ; livre qui produisit, lors de son apparition, un effet tellement universel que les critiques du temps ne purent le comparer qu’au mouvement de curiosité de l’Émile de J. […] Après 1814, ma mère avait retrouvé dans Louis-Philippe et dans madame Adélaïde, sa sœur, des souvenirs d’enfance et d’éducation communs qui les disposaient à toutes les bontés pour la fille de leur gouvernante. […] Je m’empressai d’écrire à mon éditeur dans ce sens, et de lui envoyer une variante qui faisait disparaître toute allusion à ce fâcheux souvenir. […] Cet article me présentait comme un insulteur de la maison d’Orléans, chargé par la monarchie des Bourbons de raviver à son profit les souvenirs sinistres de 1793. […] Je me souviens des scènes, des accents, des physionomies, des gestes, qui jetaient presque tous les jours une lumière véritablement sinistre sur les fissures volcaniques de ces âmes de feu dissimulées sous des visages stoïques.