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376. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Note »

Je le sais trop bien, et, si je l’avais ignoré, M. le pasteur Napoléon Peyrat, dans un livre de Souvenirs intitulé Béranger et La Mennais (1861), aurait pris soin de me l’apprendre. […] Je crois me rappeler qu’en effet, après l’article sur les Affaires de Rome, je rencontrai un jour sur la place de l’Odéon, au bras de je ne sais plus qui, M. de La Mennais que depuis quelque temps j’avais cessé de voir ; je ne me souviens pas de la mine que je pus faire, car on ne se voit point soi-même.

377. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « LES FLEURS, APOLOGUE » pp. 534-537

Ses yeux s’animèrent peu à peu, un nuage comme voluptueux chargea sa paupière, un trouble né d’un souvenir agita son beau sein, des larmes suivirent, et une longue rêverie qui dura toute une heure. […] Pour moi, j’ai longtemps, s’il m’en souvient bien, et durant bien des printemps antérieurs, — j’ai été tout simplement fleur des champs.

378. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MARIA » pp. 538-542

« J’étais, me dit un jour un ami voyageur, D’un souvenir lointain ressaisissant la fleur, J’étais en Portugal, et la guerre, civile, Tout d’un coup s’embrasant, nous cerna dans la ville : C’est le lot trop fréquent de ces climats si beaux ; On y rachète Éden par les humains fléaux. […] « Souvenir odorant, même après des années !

379. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — I. La Thébaïde des grèves, Reflets de Bretagne, par Hyppolyte Morvonnais. »

Le volume qu’il publie contient ses propres impressions et les cantiques de son cœur dans la solitude d’un veuvage que remplit un souvenir aimé. […] Le seul bruit de tes pas ravive dans mon cœur Des souvenirs tout pleins d’une exquise douceur     De repos et de rêverie.

380. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre II. Amour passionné. — Didon. »

Si elle y joint le souvenir de l’amour, ce n’est encore qu’en l’étendant sur Énée : par notre hymen, par notre union commencée , dit-elle : Per connubia nostra, per inceptos hymenæos37. […] Ensuite, avec l’adresse d’une femme, et d’une femme amoureuse, elle rappelle tour à tour le souvenir de Pygmalion et celui de Iarbe, afin de réveiller ou la générosité ou la jalousie du héros troyen.

381. (1915) Les idées et les hommes. Deuxième série pp. -341

Je me souviens des messes matinales. […] Elle retombe et se souvient de s’être envolée. […] Je me souviens de l’avoir souhaité. […] … L’amour est déjà dans ses pressentiments et il est encore dans son souvenir ; car le souvenir traîne sur le chemin de l’oubli. […] Récitons-nous le Souvenir.

382. (1856) Cours familier de littérature. I « Digression » pp. 98-160

Je me souviens de l’avoir vue un matin d’une nuit sans sommeil, pendant laquelle elle avait veillé à côté du berceau d’un enfant malade de la comtesse O’Donnel, sa sœur. […] Des harpes et des vers, souvenirs d’une fête, Des livres échappés à des doigts assoupis, Et des festons de fleurs détachés de la tête,             Y jonchaient les tapis. […] Chacun y apportait un tribut, un souvenir, un charme, une piété, presque une reconnaissance ; pas un seul une amertume. […] J’attends cela de son souvenir pour moi. […] Mais jamais mon amitié réelle, constante et tendre ne souffrit de cette réserve ; et quand nous nous retrouverons dans la sphère des sentiments sans ombre et des amitiés éternelles, elle reconnaîtra qu’elle n’a laissé à personne, en quittant cette boue, une plus vive image de ses perfections dans le souvenir, une plus pure estime de son caractère dans l’esprit, un vide plus senti dans le cœur, une larme plus chaude et plus intarissable dans les yeux.

383. (1913) La Fontaine « I. sa vie. »

Ce qu’il y a de certain, c’est que de ses études, qu’il les ait faites en partie à Paris ou qu’il les ait faites entières à Château-Thierry, il n’a pas gardé un très bon souvenir. […] Ai-je besoin de vous citer des textes que vous avez certainement dans le souvenir, seulement, bien entendu, à l’état confus ? […] Il est bien certain que La Fontaine a fait des études qui ne lui ont pas laissé un très bon souvenir. […] Comme nous nous sommes demandé ce que La Fontaine a gardé de souvenirs relativement à sa vie de collège, nous pouvons nous demander quels sentiments ou quels ressentiments il a gardés de sa femme. […] J’ai vu beaucoup d’hymens ; aucuns d’eux ne me tentent : Cependant des humains presque les quatre parts S’exposent hardiment au plus grand des hasards ; Les quatre parts aussi des humains se repentent… Ce ne sont pas des souvenirs qui semblent très doux, ce ne sont pas des souvenirs très attendris.

384. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

J’y joindrai les deux passages suivants, tirés également des lettres à M. de Latour : ils seront désormais inséparables du nom de Mme Tastu ; le souvenir auquel elle a droit dans la série des femmes poètes et son médaillon définitif nous y sont donnés en quelques mots : « Lyon, 7 février 1837. […] J’en ai quelquefois pleuré par les mille souvenirs qu’ils réveillent… » Elle forme le vœu modeste qui pour elle ne se réalisera jamais : « Je suis effrayée de l’obligation de sortir demain samedi vers une heure, malade ou non. — Si vous alliez venir ! […] Valmore écrivant à son fils Hippolyte, alors en pension à Grenoble.) — Lorsque cet article parut dans le Temps, il s’éleva à Lyon une polémique dans le journal le Salut public (n° du 7 juin 1869), au sujet de ces souvenirs sanglants et néfastes de l’insurrection de 1834. […] Raspail, Vincula decora , entourée de chaînes : « Monsieur, merci de votre courage ; tous les libres penseurs n’ont pas obtenu de leur vivant de semblables souvenirs. — F. […] Sainte-Beuve avait reçues, au contraire, après l’apparition en journal de chacun de ces articles. — Mais la discussion ne peut se prolonger sur ce sujet ici même : l’éditeur se reporte malgré lui à un autre souvenir de ces mêmes Nouveaux Lundis, où M. 

385. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1870 » pp. 321-367

De là, mon souvenir est allé à ma première jeunesse, à mes séjours chez cet oncle Alphonse, né pour être un oratorien, et que les circonstances avaient fait négociant en Angleterre, et qui, après avoir été à peu près ruiné par un associé, tout à coup parti pour les Grandes Indes, s’était retiré avec un Horace et une giletière, dans une petite propriété du Loiret. […] Je sentis qu’en pleurant Gavarni, il se pleurait lui-même, et la phrase : il dort à côté de nous au cimetière d’Auteuil , devint, sans que je puisse me l’expliquer, le souvenir fixe, et pour ainsi dire, bourdonnant de ma mémoire. […] Retrouver aujourd’hui cette prononciation enfantine, entendre sa voix, comme je l’ai entendue dans ce passé, effacé, lointain, où les souvenirs ne rencontrent que la mort, cela me fait peur11. […] … Un autre a repris : « C’est le moment, si Monsieur a quelque souvenir à mettre dans la bière ?  […] Ravaut c’est tout un monde de souvenirs.

386. (1913) La Fontaine « II. Son caractère. »

Je ne vous apprendrai pas grand’ chose, mais cela est utile pour ma thèse, je ne vous apprendrai pas grand’ chose en vous citant le fameux passage sur la solitude que vous avez très certainement, tout au moins en partie, dans vos mémoires, et je ne veux que réveiller vos souvenirs. […] Il n’y a rien qui gâte l’homme comme ces deux choses, la première parce qu’on en a toujours un souvenir un peu irrité ; la seconde, parce que quand on ne retrouve plus la même vogue, le même succès, le même enivrement de la gloire naissante, on s’imagine — ou on peut s’imaginer — pour cela, que l’on a des ennemis, que l’on a des envieux, et la manie de la persécution finit par s’installer en vous  Mais il est bien certain que, ces différences étant établies, il y a dans La Fontaine un Rousseau qui ne pouvait pas aller jusqu’au bout des conséquences désastreuses que le caractère de Rousseau comportait. […] oubliez-moi plutôt Que de vous souvenir d’un autre ! […] Est-elle belle, cette longue phrase sinueuse, traînante, qui est figurative de la pensée qui se traîne, en effet, et qui s’attarde sur des souvenirs lointains et chéris ? […] Je vous en ferais volontiers la description, mais ce souvenir est trop affligeant.

387. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « BRIZEUX et AUGUSTE BARBIER, Marie. — Iambes. » pp. 222-234

La cadette, je suppose, est restée recueillie en elle-même et discrète ; elle s’est rattachée par un retour pieux au foyer domestique, au bourg natal, aux mœurs, au paysage du lieu, aux amours de sa blonde enfance ; elle a gardé son culte simple ; elle peut retrouver au besoin son accent du pays ; elle se rappelle encore tous les noms, et s’enferme souvent pour chanter ses airs anciens et pleurer plus à l’aise à ses souvenirs. […] Marie, la gentille brune aux dents blanches, aux yeux bleus et clairs, l’habitante du Moustoir, qui tous les dimanches arrivait à l’église du bourg, qui passait des jours entiers au pont Kerlo, avec son amoureux de douze ans, à regarder l’eau qui coule, et les poissons variés, et dans l’air ces nombreuses phalènes dont Nodier sait les mystères ; Marie, qui sauvait la vie à l’alerte demoiselle abattue sur sa main ; qui l’hiver suivant avait les fièvres et grandissait si fort, et mûrissait si vite, qu’après ces six longs mois elle avait oublié les jeux d’enfant et les alertes demoiselles, et les poissons du pont Kerlo, et les distractions à l’office pour son amoureux de douze ans, et qu’elle se mariait avec quelque honnête métayer de l’endroit : cette Marie que le sensible poëte n’a jamais oubliée depuis ; qu’il a revue deux ou trois fois au plus peut-être ; à qui, en dernier lieu, il a acheté à la foire du bourg une bague de cuivre qu’elle porte sans mystère aux yeux de l’époux sans soupçons ; dont l’image, comme une bénédiction secrète, l’a suivi au sein de Paris et du monde ; dont le souvenir et la célébration silencieuse l’ont rafraîchi dans l’amertume ; dont il demandait naguère au conscrit Daniel, dans une élégie qui fait pleurer, une parole, un reflet, un débris, quelque chose qu’elle eût dit ou qu’elle eût touché, une feuille de sa porte, fût-elle sèche déjà : cette Marie belle encore, l’honneur modeste de la vallée inconnue qu’arrosent l’Été et le Laita, ne lira jamais ce livre qu’elle a dicté, et ne saura même jamais qu’il existe, car elle ne connaît que la langue du pays, et d’ailleurs elle ne le croirait pas. […] Ce sont d’autres souvenirs du pays et de la famille, des noces singulières, des retours de vacances, des adieux et de tendres envois d’un fils à sa mère, de calmes et riants intérieurs de félicité domestique ; ce sont par endroits des confidences obscures et enflammées d’un autre amour que celui de Marie, d’un amour moins innocent, moins indéterminé et qui peut se montrer sans rivalité dans les intervalles du premier rêve, car il n’était pas du tout de même nature ; ce sont enfin les goûts de l’artiste, les choses et les hommes de sa prédilection, le statuaire grec et M.

388. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Lettres d’une mère à son fils » pp. 157-170

Il admire beaucoup le vers sublime (ce détail le peint assez bien) : L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux ! […] Se souvient-on de ce qu’on possède par nature ? Le souvenir ne suppose-t-il pas une éclipse ?

389. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Charles Baudelaire. Les Fleurs du mal. »

Hugo, mais condensée et surtout purifiée ; si a quelques autres, comme La Charogne, la seule poésie spiritualiste du recueil, dans laquelle le poète se venge de la pourriture abhorrée par l’immortalité d’un cher souvenir : Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine         Qui vous mangera de baisers, Que j’ai gardé la forme et l’essence divine         De mes amours décomposés, on se souvient de M.  […] Charles Baudelaire d’avoir pu évoquer, dans un esprit délicat et juste, un si grand souvenir !

390. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre xi‌ »

Il les couvre d’une gloire qui les désignera jusqu’à leur dernier jour et qui maintiendra en eux des souvenirs plus forts que toutes nos querelles. […] Ils se souviendront toujours du caractère exact de l’union sacrée durant la guerre ; ils ne laisseront jamais dire qu’elle ait été la simple excitation ou l’expédient d’un peuple surpris par le péril.‌ […] Nous nous souviendrons toujours que dans nos compartiments divers, dans nos chapelles variées et vénérables, nous avons vu des hommes semblables, encore que professant des dogmes et des philosophies opposées.

391. (1864) Le roman contemporain

C’est un souvenir personnel mal déguisé sous le voile transparent d’une fiction diaphane. […] Pourquoi s’obstiner comme Renée dans la fidélité aux souvenirs et dans le culte des tombeaux ? […] S’il s’était souvenu de l’emprunt fait par lui à la correspondance de Vittoria Savorelli, tout le monde l’aurait oublié. […] L’auteur a pris sans doute plaisir à peindre l’intérieur du petit journal, qui lui rappelle peut-être des souvenirs de jeunesse. […] Alexandre Dumas avait jetés avant ce dernier dans la circulation en écrivant ses Souvenirs d’Antony ?

392. (1896) Les idées en marche pp. 1-385

Les souvenirs, les hallucinations, les hypothèses s’enlacent avec une molle cadence. […] Rien de plus parfait qu’une suite de miniatures qui deviennent une fresque pour le souvenir. […] Le souvenir des heures joyeuses s’infiltrera dans le fleuve ténébreux. […] Lourds de quels souvenirs, riches de quels butins. […] Elle monte du particulier au général, du fait à l’idée, du besoin au désir, de la jouissance au souvenir et au rêve.

393. (1913) Poètes et critiques

Ainsi procède le sculpteur : il a gardé le souvenir d’un pur camée syracusain et, un matin, il pétrit dans ses doigts la statue imitée et originale. […] Le souvenir que j’en ai gardé ne s’effacera pas. […] En souvenir de cette autre « servante au grand cœur », la veuve de M.  […] Il est bon de s’en souvenir : le point de départ de cette poésie galante est dans Théophile Gautier. […] — Pourquoi voulez-vous donc qu’il m’en souvienne ?

394. (1896) Les Jeunes, études et portraits

Encore faut-il que de nos souvenirs notre originalité ait eu le temps de se dégager. Souvenirs, lectures, notes semblaient dans ce récit insuffisamment digérés. […] Il se souvient. […] Incessamment paraîtra le Parcours du rêve au souvenir, poème. […] Des souvenirs se réveillent.

395. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. (suite et fin) »

Royer-Collard et de Danton ; mais le piquant est que tous deux se soient rencontrés, coudoyés, se soient touché la main, et que l’un, à son second point de départ, se soit si nettement souvenu et inspiré de l’autre pour le repousser, l’abhorrer et lui ressembler à tout jamais si peu. […] Je recueille mes souvenirs tant directs qu’indirects sur lui. […] Prenant la Chambre à partie pour chaque projet de loi qu’elle avait ainsi transformé et dénaturé, il aboutit a résumer ses griefs et son acte d’accusation sous cette forme saisissante : « Proposer la loi, c’est régner. » Il alla même d’audace en audace, à mesure que croissait l’irritation autour de lui, et puisqu’il était en veine de la braver, jusqu’à ne pas craindre de réveiller le plus terrible souvenir et à montrer au bout de cette voie fatale, et comme conséquence extrême de ces empiétements illégitimes, la liberté d’action du souverain et la sanction royale enchaînée au point de n’être plus que le Veto de l’infortuné Louis XVI ! […] Il y a longtemps que je nourrissais le désir de rendre, à mon tour, un témoignage public de souvenir et de respect à un homme que le dernier tiers de sa vie a produit aux jeux de tous si à son avantage, et dont le temps « ce grand révélateur » a mis dans tout leur jour les mérites essentiels et éminents. […] C’est la seule chose gaie qui soit échappée à ce triste écrivain, à ce triste et sec esprit ; c’est le seul souvenir littéraire qu’il mérite de laisser.

396. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français et de la question des Anciens et des Modernes »

Le premier Recueil de ce genre dont on ait gardé souvenir était celui que Méléagre avait désigné du nom de Couronne, et qu’il avait tressée en effet de mille fleurs. […] Il s’adresse avec un regard de satisfaction à l’objet insensible de ses feux, mais dont il se voit vengé, car il a suffi d’une ou de deux saisons pour lui ôter sa grâce première : « Tu te souviens sans doute, tu te souviens que je t’ai dit cette parole sacrée : La jeunesse est la plus belle chose, et la jeunesse est aussi la plus fugitive ; le plus rapide des oiseaux dans l’air ne vole pas plus vite que la jeunesse. […] Dans les tons riants et doux, quel plus gracieux et plus engageant appel que cet avis aux navigateurs, qui réveille dans nos esprits le souvenir des odes printanières d’Horace (Solvitur acris hyems… Diffugere nives…), et qui les a précédées, peut-être inspirées : « C’est la saison de prendre la mer, car déjà la babillarde hirondelle est revenue, et le gracieux zéphire ; les prairies fleurissent, la mer se tait, hier encore toute hérissée de vagues au souffle des vents ; lève l’ancre, matelot, détache les amarres et navigue à toutes voiles. […] Morts et vivants, il est encor, pour nous unir, Un commerce d’amour et de doux souvenir.

397. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Jean-Bon Saint-André, sa vie et ses écrits. par M. Michel Nicolas. (suite et fin.) »

Présenté au premier Consul, il lui agréa aussitôt : sa captivité, les souvenirs de ses services militaires et maritimes parlaient pour lui et lui créaient des titres ; sa personne les justifia, et le 20 décembre 1801 il fut nommé commissaire général dans les quatre départements de la rive gauche du Rhin. […] Si en lisant la Relation de Jean-Bon on ne savait d’avance qui l’a écrite et qu’elle est de l’ancien conventionnel, on ne s’en douterait pas, tant les souvenirs et le ton de cette époque antérieure y sont étrangers et y ont laissé peu de trace ! […] Lui-même, Jean-Bon, est destiné avec quelques-uns de ses compagnons désignés au hasard pour être relégué au dernier et au plus éloigné de ces lieux de détention et d’exil, à Kérasonde, l’ancienne Cérasus, d’où Lucullus envoya en Europe l’arbre du cerisier, mais qui, malgré ce souvenir aimable, n’était plus qu’une résidence misérable, et pour tout dire, immonde. […] Il pense aux misères des autres et s’en préoccupe ; tout malheureux qu’il est, il se souvient qu’il en est de plus maltraités encore que lui. […] Ce fut le premier et le dernier préfet de Mayence, qui allait cesser d’être française ; en redevenant allemande, la vieille cité a gardé de lui un bon souvenir.

398. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Josèphe de Saxe, dauphine de France. »

Il écrit de souvenir, un peu au hasard, et laisse galoper sa plume, sauf à se tromper sur des détails : « Je suis fils d’Auguste Roi (roi de Pologne et électeur de Saxe) ; la comtesse de Kœnigsmark est ma mère. […] Je me souviens que mes deux gouverneurs se proposèrent un jour, l’un et l’autre, de faire faire une machine de fer pour me resserrer le crâne, assurant qu’il était entr’ouvert, et que c’était la cause physique de mon peu de conception. » On ne put jamais, dit-il, lui apprendre à lire. […] C’est dans un autre ouvrage de lui, Mes Rêveries, qu’on trouverait de quoi suppléer (et très incomplètement encore) à ces trop courts Mémoires par quelques anecdotes et souvenirs qu’il y a fait entrer à l’occasion. […] Cela me fait souvenir d’une fable que j’ai lue autrefois : Fable. […] « Je ne me souviens plus de ce qui fut conclu entre les bergers et les loups, et je laisse à Votre Excellence le soin de faire le commentaire de cette fable. » Le commentaire se tira de lui-même.

399. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le Général Franceschi-Delonne : Souvenirs militaires, par le général baron de Saint-Joseph. »

Le Général Franceschi-Delonne : Souvenirs militaires, par le général baron de Saint-Joseph. […] Auguste Colbert, dont M. le marquis de Colbert-Chabanais, son fils, publie en ce moment les Traditions et Souvenir. […] Traditions et Souvenirs, ou Mémoires touchant le temps et la vie du général Auguste Colbert (1703-1809) ; Paris, Didot, rue Jacob, 56. — Trois volumes sont publiés. […] Souvenirs du lieutenant général comte Mathieu Dumas, tome III, page 399. […] Voir les Souvenirs du comte Mathieu Dumas, tome III page 402.

400. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. » p. 232

Ces madones me serrent le cœur de mille souvenirs. […] Si malheureux que nous soyons ici, nous sortons de nous-mêmes, ne fût-ce que pour appeler au secours le souvenir de l’ami préféré. Là-bas, le soleil se charge de tout, de vous écraser et de vous apporter tous les souvenirs sans bruit, auxquels on n’aurait pas la force de répondre. — Hélas ! […] C’est cette sœur aînée qui avait appris à lire à la jeune Marceline tout enfant, et l’on trouve en maint passage des poésies un souvenir esquissé de sa douce figure. […] Elle en avait souvent et de fort distincts, dont elle se souvenait au réveil, et qu’elle se plaisait à raconter.

401. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [II] »

C’est alors que Jomini, si l’on s’en souvient, fut dépêché à l’Empereur, qu’il vit au lendemain d’Austerlitz. […] Depuis 1763, les Prussiens n’ont fait que les tristes campagnes de 1792-1794, ils sont peu aguerris. » — « Oui ; mais ils ont les souvenirs et des généraux expérimentés du temps du grand roi. […] Jomini était de la suite de l’Empereur à son entrée triomphale à Berlin, le 28 octobre de cette année (1806), et il aimait à rappeler ce souvenir, non par vanterie, mais par manière de leçon, et en présence surtout des anniversaires et des contrastes étonnants auxquels il lui fut donné d’assister dans sa longue vie. […] Les détails dans lesquels M. de Fezensac est entré dans ses Souvenirs militaires, sans rien ôter à la grandeur de l’ensemble, font assister toutefois aux misères de la réalité. […] Souvenirs militaires de 1804 à 1814, par M. le duc de Fezensac (1863), page 116.

402. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LOYSON. — POLONIUS. — DE LOY. » pp. 276-306

Pasquier a gardé de lui un souvenir de sérieuse estime. […] A quelque distance, une pyramide de marbre noir entre les ifs rappelle le souvenir de Lucain, mort à vingt-six ans, qu’on aime à croire victime de la noble hardiesse de sa muse, et peut-être de la jalousie poétique du tyran ; on y lit ces vers de la Pharsale : …… Me solum invadite ferro, Me frustra leges et inania jura tuentem. […] Sorti d’un village des Vosges aux frontières de la Franche-Comté, il se réclama toujours de cette dernière province, par amour sans doute des poëtes qui en sont l’honneur, par souvenir surtout de Nodier et des muses voyageuses. […] Il allait donc sans songer au lendemain, quand un jour, à vingt et un ans ; il se maria ; comme La Fontaine, il ne semble pas s’en être longtemps souvenu. […] Pardon, au milieu de cette période de l’école de l’art, d’avoir osé rappeler et recommander aujourd’hui quelques poésies que l’image triomphante ne couronne pas ; mais il nous a semblé que, même sous le règne des talents les plus radieux, il y avait lieu, au moins pour le souvenir, à d’humbles et doux vers comme autrefois, à des vers nés de source ; cela rafraîchit.

403. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DE BARANTE. » pp. 31-61

Aujourd’hui que tout noble centre a disparu, et que la pensée, si elle veut être pure, cherche vainement un lieu désintéressé où se groupent avec charme et concert les activités diverses, ces souvenirs des foyers et comme des patries autrefois brillantes sont bien faits pour rappeler un moment le regard en arrière et le reposer. […] En écoutant ces souvenirs encore fervents, et dont chaque coin de haie gardait l’écho, l’idée lui venait d’en faire part un jour au public, de mettre du moins sa plume au service d’une pieuse et honorable confidence. […] On conçoit que des considérations personnelles, des ménagements dus à des souvenirs si saignants, aient imposé quelques réticences ; mais les années, en avançant, permettent beaucoup12. […] C’est l’histoire, sous forme de souvenir, d’une jeune personne, fille d’un médecin d’aliénés, laquelle se prend à vouloir guérir l’un deux, l’un des moins atteints, et ne réussit qu’à lui inspirer un sentiment que peut-être elle partage. […] Réimprimant en 1829 son ancienne brochure Des Communes et de l’Aristocratie, il s’était félicité d’en retrancher ce qui tenait aux controverses antérieures des partis : « Il y a un grand contentement, disait-il, à supprimer les vivacités d’une vieille polémique, à se censurer soi-même ; à se trouver en harmonie avec des hommes honorables dont autrefois on était plus ou moins divisé ; à se sentir plus toléré et plus tolérant ; à reconnaître qu’autour de soi tout est plus calme dans les opinions et les souvenirs. » Ce passage dut plus d’une fois lui revenir en mémoire, ce me semble, avec le regret de penser qu’il ne se rapportait pas également à d’autres, et qu’à mesure que les choses étaient réellement plus calmes, les esprits des amis entre eux devenaient précisément plus aigris.

404. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre III. L’Histoire »

Même après les diplomatiques confidences du maréchal de Champagne et de Romanie, on peut lire avec intérêt les souvenirs d’un soldat obscur de la quatrième croisade : Robert de Clari, petit gentilhomme de Picardie, nous représente l’état de l’opinion publique dans l’armée, approuvant la direction générale, la déviation de la croisade, critiquant et maugréant sur les détails des opérations, tout émerveillé de ce qu’il voit, et nous mettant au fait de toutes ses remarques avec une vivacité d’enfant. […] En moins de quarante ans, Geoffroy de Beaulieu, confesseur du roi, Guillaume de Xangis, Guillaume de Chartres, et le confesseur de la reine Marguerite écrivirent la vie, les enseignements et les miracles du saint roi : Joinville, qui les efface tous, mit à profit les travaux des deux premiers peur compléter ses souvenirs personnels. […] La commission ecclésiastique qui fit l’enquête avant la canonisation l’entendit pendant deux jours : et quand la reine Jeanne de Navarre, femme de Philippe IV, voulut connaître par un récit fidèle la vie du saint roi, elle s’adressa à son sénéchal de Champagne, qui rechercha dans sa mémoire d’octogénaire des souvenirs tout frais encore, bien que les plus anciens remontassent à plus de cinquante années65. […] Le départ de la flotte chrétienne, aux accents du Veni creator spiritus, évoque par sa simplicité puissante le souvenir du départ de la flotte athénienne pour la Sicile, et je ne sais si le récit de Thucydide est d’un pathétique plus sobre et plus saisissant. C’est qu’à ce don de l’imagination, Joinville joint celui de la sympathie : il sent comme il voit, et avec les images amassées dans son souvenir se réveillent en foule les émotions qu’il a ressenties.

405. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « V »

Lamoureux », se souvient-on de cette formule ? […] Vous souvenez-vous du tableau à double effet, du pianiste qui s’assied sur son instrument, du monsieur qui éternue « Tiens, le prélude de Parsifal !  […] Souvenir En automne 1868, je me trouvais à Lucerne : je passais presque toutes les journées et les soirées chez Richard Wagner. […] Je me souviendrai toujours du regard, que, du profond de ses extraordinaires yeux bleus, Wagner fixa sur moi. […] Perron a donné à Wolfram une signification extraordinaire : ce rôle, le plus noble et le plus élégant (un souvenir du Don Ottavio de Don Juan) de tous ceux qu’a conçus le génie de Wagner, a trouvé en lui un digne interprète, surtout dans l’air du concours.

406. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Mme de Caylus et de ce qu’on appelle Urbanité. » pp. 56-77

Ce n’est pas sa vie que j’ai à raconter, et elle-même dans ses Souvenirs n’a parlé qu’à peine de ce qui a trait à elle. […] Quant aux témoignages directs de son esprit, on les trouve dans le volume de sa correspondance avec Mme de Maintenonet dans ses Souvenirs. Ce petit livre de Souvenirs, publié en 1770 avec des notes et une préface de Voltaire, ne semble rien aujourd’hui, parce que toutes ces anecdotes ont passé depuis dans la circulation et qu’on les sait par cœur sans se rappeler d’où on les tient ; mais c’est elle qui les a si bien racontées la première. […] « Mlle de Jarnac, laide et malsaine, ne tiendra pas beaucoup de place dans mes Souvenirs. […] Je n’insisterai pas pour démontrer plus longuement ces grâces légères de l’auteur dans le petit livre de Souvenirs inachevé, mais si agréable et si galamment tourné, que chacun peut relire ; on s’y rafraîchira la mémoire de choses connues, et surtout on s’y remettra en goût pour cette manière de tout dire en effleurant.

407. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits du comte Joseph de Maistre. (1851, 2 vol. in-8º.) » pp. 192-216

« Ma mère était un ange, disait-il à qui Dieu avait prêté un corps ; mon bonheur était de deviner ce qu’elle désirait de moi, et j’étais dans ses mains autant que la plus jeune de mes sœurs. » Envoyé à Saint-Pétersbourg comme ministre plénipotentiaire par le roi de Sardaigne son souverain, il écrivait de là à l’un de ses frères, et il avait alors cinquante et un ans (février 1804) : « À six cents lieux de distance, les idées de famille, les souvenirs de l’enfance me ravissent de tristesse. […] Quand vous avez la bonté de dire avec le digne ami : Quels souvenirs ! […] Prêtez l’oreille, vous entendrez l’écho de la Neva qui répète : Quels souvenirs ! […] Exceptons cependant, pour nous consoler, l’amitié, la reconnaissance, tous les bons sentiments, tous ceux surtout qui sont faits pour unir les hommes estimables. » Au milieu de tout ce qu’il a rencontré en Russie d’honorable et même de doux : « Cependant, pense-t-il, il y a deux choses dont le souvenir s’efface difficilement, ou ne s’efface point du tout : le soleil et les amis. » L’idée de ne plus jamais quitter ce pays du Nord l’oppresse : « Le jamais ne plaît jamais à l’homme ; mais qu’il est terrible lorsqu’il tombe sur la patrie, les amis et le printemps ! Les souvenirs dans certaines positions sont épouvantables ; je ne vois au-delà que les remords. » Longtemps on ne crut avoir dans le comte Joseph de Maistre qu’un homme d’un esprit supérieur et qu’un cerveau de génie ; aujourd’hui on est heureux de trouver tout simplement en lui un homme et un cœur.

408. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires de Marmontel. » pp. 515-538

Critique, qui avez l’honneur d’être pour la postérité du moment un nomenclateur, un secrétaire, et s’il se peut, un bibliothécaire de confiance, dites-lui bien vite le titre de ces volumes qui méritent que l’on s’en souvienne et qu’on les lise ; hâtez-vous, le convoi s’apprête, déjà la machine chauffe, la vapeur fume, notre voyageur n’a qu’un instant. […] Je me souviens aussi du parfum qu’exhalait un beau coing rôti sous la cendre, et du plaisir qu’avait notre grand-mère à le partager entre nous. […] Il se souvient même du menu de son premier dîner à la Bastille, de son ordinaire qui, grâce au gouverneur, fut aussi copieux que succulent ; et Vaucluse se recommandait trente ans après encore à sa mémoire par l’arrière-goût des belles écrevisses et des excellentes truites qu’il y avait mangées, non moins que par les réminiscences platoniques de Pétrarque. […] Marmontel s’était senti éloquent sur l’heure en parlant à M. de Choiseul, et il croyait l’être de nouveau en donnant de souvenir ce qu’il appelait une « esquisse légère » de son ancien discours, tandis qu’il n’en donnait qu’une charge. […] Parlant des dîners d’Helvétius et de d’Holbach, Marmontel pousse bien loin l’indulgence du souvenir quand il avance « qu’il est des objets révérés et inviolables qui jamais n’y étaient soumis au débat des opinions.

409. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — I. » pp. 414-435

Retiré chez le curé de Ville-d’Avray, il met en ordre ses observations et ses souvenirs de voyage ; il rédige ses mémoires sur la Hollande., la Prusse, la Saxe, la Pologne et la Russie ; son plan s’étend à mesure qu’il s’y applique. […] Il y a quelquefois de l’esprit proprement dit, ce qui n’est pas commun chez lui ; parlant des fruits de l’île de France qu’on pourrait naturaliser dans nos provinces méridionales, il se souvient de ces autres fruits apportés en Europe par des conquérants : Que nous importe aujourd’hui, dit-il, que Mithridate ait été vaincu par les Romains, et Montézume par les Espagnols ? […] Il y a un moment, un point où le souvenir encore fidèle s’idéalise et s’enflammed, et donne aux objets leur poésie. […] Je ferai en sorte que M. le comte de Vergennes veuille bien ne pas se souvenir que vous avez refusé ce qu’il vous avait accordé par une exception flatteuse. […] Il y a un moment où le souvenir encore fidèle s’idéalise et s’enflamme

410. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre X. Première partie. Théorie de la parole » pp. 268-299

L’homme ne peut se perfectionner qu’en devinant un ordre de choses plus parfait : encore, dans ce cas, ne fait-il que se rappeler, comme disait Platon, un souvenir confus de l’état qui a précédé la déchéance. […] La puissance des souvenirs, le charme de l’antiquité, le respect pour les traditions, ne sont qu’une seule et même chose, c’est-à-dire le culte filial des ancêtres, la religion des tombeaux, culte éminemment moral et poétique, religion qui a sa racine dans le cœur de l’homme. […] Traduction imparfaite de la parole parlée, la parole écrite ne conserve quelque énergie, n’exerce quelque influence sur les hommes, ne traverse les générations successives, que comme souvenir de la parole parlée. […] Souvenons-nous des assemblées des vieillards aux portes des villes, comme dans la Bible et dans Homère. […] Souvenons-nous du Forum, des tribunaux sur les places des villes et des bourgs, des actes dont une simple pierre enfoncée dans un lieu désigné, en présence de témoins, conservait seule la mémoire.

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