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303. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « J. de Maistre » pp. 81-108

Pour moi, je crois bien qu’il n’y a qu’une seule loi qui gouverne ces esprits de premier ordre qu’on appelle des hommes de génie, — et cette loi, évidente dans l’œuf du génie de Joseph de Maistre aussi bien que dans l’œuf du génie de Bossuet, par exemple, n’est peut-être que l’apparition instantanée d’une seule idée qui va se préciser et faire l’unité et la puissance de leur vie intellectuelle, à ces esprits étonnants qui ne changent pas, mais se développent, mobiles dans l’immobilité comme Dieu, dont ils sont bien plus près que nous ! […] Les réunir sous tes lois ? […] Te faire obéir par les générations futures et créer des coutumes vénérables, ces préjugés conservateurs, pères des lois et plus forts que les lois ? […] Il en élève les coutumes et jusqu’aux préjugés à la hauteur de lois immuables, et si le xviiie  siècle lui apparaît le plus profondément perdu de raison de tous les siècles, et, dans ce siècle, Jean-Jacques Rousseau le plus perdu des philosophes, c’est que le xviiie  siècle et Rousseau, l’auteur du Contrat social et de l’Inégalité des conditions, sont, de tous les temps et de tous les hommes, ceux qui ont le plus méconnu la voix infaillible et l’autorité souveraine de l’Histoire. […] Vous avez dit à Dieu : “Sortez de nos lois, de nos institutions, de notre éducation !

304. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome II

N’hésitons pas à discerner, à la lumière de ces faits, une action préméditée qui se retrouve dans bien d’autres domaines : éducation, lois électorales, campagnes contre l’Église, lois sur les associations, lois fiscales… Mais l’on n’en finirait pas d’énumérer les mesures toutes dirigées, il faut avoir le courage de le dire, contre la Pensée française. […] Un prélat avec lequel il entretenait des rapports courtois lui disait, presque à la veille de sa fin : — « A côté de cette loi de nécessité dont vous avez tant parlé, monsieur Taine, n’apercevez-vous pas une autre loi, une loi d’amour ?  […] La recherche de la loi, tout l’effort spirituel de Taine n’eut pas d’autre direction. […] Puis les luttes civiles la ravagent, où se vérifie l’une des lois les plus constantes de l’histoire. […] Mais, pour lui obéir, il faut l’étudier dans sa vérité et en accepter les lois.

305. (1890) L’avenir de la science « XI »

Ce fait d’une langue ancienne, choisie pour servir de base à l’éducation et concentrant autour d’elle les efforts littéraires d’une nation qui s’est depuis longtemps formé un nouvel idiome, n’est pas, comme on voudrait trop souvent le faire croire, l’effet d’un choix arbitraire, mais bien une des lois les plus générales de l’histoire des langues, loi qui ne tient en rien au caprice ou aux opinions littéraires de telle ou telle époque. […] Telle est la loi qu’ont suivie dans leur développement toutes les langues modernes. […] Nulle loi, nul règlement ne leur a donné, ne leur ôtera ce caractère qu’ils tiennent de l’histoire.

306. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — V »

Lorsqu’aux époques plus récentes des civilisations romaine ou grecque, Fustel de Coulange nous montre la réalité sociale du moment en contradiction avec celle qui s’était modelée sur l’ancienne croyance et qui persistait encore dans les lois religieuses et civiles, gardons-nous donc de penser que cette réalité présente, et qui entrait en guerre avec l’ancienne, fût par comparaison meilleure et plus proche de la vérité objective. […] La ruine de la croyance ancienne nous fait, à la vérité, apparaître l’écart qui existe entre le Grec et le Romain d’alors et l’image que leur présentaient d’eux-mêmes leurs rites et leurs lois. […] Selon le principe de contradiction où l’on a montré la loi de toute chose vivante, une réalité ne parvient à se survivre en une suite de modifications d’elle-même que si elle nie à quelque moment et dans quelque mesure une part des éléments qui la composent. […] Cette confidence implique, comme loi du changement dans l’homme et sous le regard de la conscience, ce pouvoir de se concevoir autre, qui apparut dans l’œuvre de Flaubert avec un relief pathologique, et auquel on a donné le nom de Bovarysme.

307. (1890) L’avenir de la science « VIII » p. 200

Si Montesquieu, dépouillant le chaos des lois ripuaires, visigothes et burgondes, a pu se comparer à Saturne dévorant des pierres, quelle force ne faudrait-il pas supposer à l’esprit capable de digérer un tel fatras ? […] Le sentiment des lois psychologiques est-il généralement répandu, ou du moins exerce-t-il une influence suffisante sur le tour de la pensée et le langage habituel ? […] Comte, au lieu de suivre les lignes infiniment flexueuses de la marche des sociétés humaines, leurs embranchements, leurs caprices apparents, au lieu de calculer la résultante définitive de cette immense oscillation, aspire du premier coup à une simplicité que les lois de l’humanité présentent bien moins encore que les lois du monde physique. […] Et ne commet-il pas semblable faute quand il regarde comme inutiles toutes ces patientes explorations du passé, quand il déclare que c’est perdre son temps d’étudier les civilisations qui n’ont point de rapport direct avec la nôtre, qu’il faut seulement étudier l’Europe pour déterminer la loi de l’esprit humain, puis appliquer cette loi a priori aux autres développements ? […] Je dois répéter, pour éviter un étrange malentendu, que dans tout ce qui précède j’ai pris le mot de philologie dans le sens des anciens, comme synonyme de polymathie : [en grec] (Platon, les Lois, I, 641, E.)  

308. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « L’obligation morale »

Les lois qu’elle édicte, et qui maintiennent l’ordre social, ressemblent d’ailleurs par certains côtés aux lois de la nature. […] Autre chose, dit-il, est la loi qui constate, autre chose celle qui ordonne. […] Loi physique, loi sociale ou morale, toute loi est à leurs yeux un commandement. Il y a un certain ordre de la nature, lequel se traduit par des lois : les faits « obéiraient » à ces lois pour se conformer à cet ordre. […] La loi prend au commandement ce qu’il a d’impérieux ; le commandement reçoit de la loi ce qu’elle d’inéluctable.

309. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre II. Les génies »

N’accomplissez pas vos grandes cérémonies ordonnées par vos lois. […] La grâce est l’âme de la loi. […] Dante fait loi pour Montesquieu ; les divisions pénales de l’Esprit des lois sont calquées sur les classifications infernales de la Divine Comédie. […] La dégradation semble être sa loi. […] Lois, mœurs et croyances sont fumier.

310. (1894) Critique de combat

Il faut voir comme il se moque de la loi d’airain des salaires. — Loi d’airain ! […] De quel droit, dit-il, faire en faveur des travailleurs des lois de protection qui sont des lois de privilège ? […] pouvoir échapper aux lois inéluctables de la science ? […] Guillaume de Greef sur les Lois sociologiques. […] Il va de la nébuleuse à l’homme, des lois simples qui régissent le cours des astres aux lois complexes qui président à l’évolution des sociétés.

311. (1895) La science et la religion. Réponse à quelques objections

La grande question est ici de savoir s’il existe une loi de l’histoire, et dans quelle mesure nous y sommes asservis. […] On les voit s’armer de la puissance des lois et sévir avec vigueur contre les perturbateurs du repos public. […] L’absolue nécessité des lois de la nature n’est après tout qu’un postulat dont nous avons besoin pour asseoir le fondement de la science, et rien ne prouve que ce postulat soit autre chose que l’expression d’une loi toute relative de notre intelligence. […] La loi de Darwin, osez-vous dire, ne nous fournirait que d’abominables leçons de conduite. […] Le bon socialiste dit, lui, que c’est aussi une loi naturelle et scientifique, la loi de justice que le corps social, fait de la puissance de tous, a le devoir d’imposer aux plus forts.

312. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre III. Du meilleur plan. — Du plan idéal et du plan nécessaire. »

Ces deux considérations ont amené l’auteur à un plan bizarre, disproportionné, qui semble défier les méthodes traditionnelles et les préceptes de l’école, mais d’une habileté supérieure, singulièrement ajusté à tous les besoins de la cause, et, dans le mépris de toutes les règles oratoires, fidèle à la loi suprême, qui est de persuader. […] Dans l’irrégularité apparente, il y a toujours certaines lois essentielles qu’il faut respecter. Et ces lois sont les mêmes pour l’œuvre de haute littérature et pour la modeste composition de collège : l’écrivain rompu à tous les secrets de l’art doit s’y asservir, et elles soutiennent l’enfant qui s’essaye à écrire.

313. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome IV pp. 5-

J’avais créé sa religion et ses lois philosophiques après l’avoir créé lui-même ; il me fallut encore créer les localités de son empire. […] Cette nécessité fait une loi dans l’épopée de la condition des épisodes. […] « Le crime s’enhardit du silence des lois. […] Le précepte qui prescrit un début modeste à l’orateur, ainsi qu’au poète, est puisé comme tous les autres dans les lois de la nature, et reçu de l’exemple des grands maîtres. […] Cette loi, que nous avons ajoutée en chaque genre aux lois fondamentales, n’est qu’une loi de perfection.

314. (1884) Les problèmes de l’esthétique contemporaine pp. -257

C’est la même faculté qui fit deviner à Newton les lois des astres et à Shakespeare les lois psychologiques qui régissent le caractère d’un Hamlet ou d’un Othello. […] Mêmes lois et mêmes phénomènes dans les organes de la voix. […] Non seulement la plénitude de l’harmonie est le signe naturel de la profondeur du sentiment, mais encore, en vertu d’une autre loi physiologique, — la loi de la contagion sympathique, — elle tend à faire passer ce sentiment au cœur de l’auditeur. […] Hugo qui échappe aux lois du vers précédemment posées ? […] M. de Banville en déduit naturellement la suppression de toutes les « lois mécaniques et immobiles » du rythme : le vers n’a d’autre loi que le « frein d’or de la rime ».

315. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVe entretien. Alfred de Vigny (2e partie) » pp. 321-411

La loi exceptionnelle à toutes les lois, la loi militaire ou la discipline, est donc la loi, la loi la plus sacrée parce qu’elle est la loi vitale de la France. Or, c’est la loi qui fait la servitude volontaire, selon l’expression de M. de Vigny. Ce n’est pas la loi qui fait les hommes délibérants et libres. Cette loi du caractère français ne vient qu’après, si elle peut venir. […] Voilà l’instinct des peuples, voilà la loi des lois, l’unité de l’armée et sa discipline.

316. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre IV. De la pluralité des temps »

Ils observent les mêmes relations entre phénomènes, ils trouvent à la nature les mêmes lois. […] Sans doute le théoricien de la Relativité entend donner aux lois de la nature une expression qui conserve sa forme, à quelque système de référence qu’on rapporte les événements. […] Mais il n’y a là qu’une convention, convention d’ailleurs nécessaire si je veux préserver l’intégrité des lois de la physique. Car il se trouve précisément que ces lois, si l’on y comprend celles de l’électro-magnétisme, ont été formulées dans l’hypothèse où l’on définirait simultanéité et succession physiques par l’égalité ou l’inégalité apparentes des trajets P et Q. […] Nous ne cherchions pas, en effet, une représentation mathématique de l’univers : celle-ci doit naturellement être prise d’un point de vue et se conformer à des lois de perspective mathématique.

317. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIVe entretien. Cicéron (3e partie) » pp. 257-336

Tu as inventé les lois, formé les mœurs, établi une police. […] Chaque animal, fidèle à son instinct, sans pouvoir changer sa façon de vivre, suit inviolablement la loi de la nature. […] C’est elle qui nous a imposé des lois, qui a formé les liens de la société civile, qui a fait quitter aux hommes leur vie sauvage et farouche. […] C’était le commentaire sur la république, l’esprit des lois et l’esprit des faits romains. […] Tout à l’heure, dissertant sur le droit et la loi, vous rapportiez tout à la nature : eh bien !

318. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (1re partie) » pp. 337-416

Les premiers gravent en traits de foudre les dogmes éternels ou imaginaires dans la conscience ; les seconds écrivent en caractères de pierre ou de bronze les tables des lois ou les constitutions des sociétés politiques. […] La magie de son style le dérobait à toute atteinte des lois ; tous ses lecteurs devenaient ses complices, pendant que ce livre était dans leurs mains. […] Comment admettre ce génie inné ou improvisé de la législation dans le premier songeur venu, étranger même au pays pour lequel il écrit, et sorti de l’échoppe de son père artisan, pour dicter des lois à l’univers ? […] Numa avait consulté des inspirations occultes qui étaient vraisemblablement les lois de Pythagore ; la législation qu’il donna à Rome était et est restée trop savante pour être l’importation de hordes de barbares. […] Montesquieu avait mené une vie grave, studieuse, solitaire, et cependant affairée, à la tête d’une de ces hautes magistratures où se résument la philosophie des lois et l’administration de la justice des peuples.

319. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre premier. La sensation, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. La sensation »

Ces lois se ramènent, en définitive, à celles de la direction du mouvement selon la ligne de la moindre résistance. […] C’est là un résultat des lois biologiques et de l’élimination forcée des individus mal adaptés à leur milieu. […] C’est là ce qu’il y a de vrai dans ce qu’on a appelé la loi de relativité des sensations. […] Cette loi, selon nous, explique le malentendu entre les relativistes et les non-relativistes. […] Ce n’est pas lui qui se change en sensation ; cette transformation inexplicable serait contraire à ce qu’on appelle la loi de transformation des mouvements et qu’on ajustement proposé d’appeler leur loi de non-transformation.

320. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre I. Polémistes et orateurs, 1815-1851 »

Sous la monarchie de juillet, il s’est agi encore de lois électorales et de lois contre la presse, puis de lois sur les associations, et sur la liberté de l’enseignement, de l’Algérie et de la question d’Orient, etc. […] Tandis qu’à la Chambre on discute sur les lois, au village on s’échauffe sur l’application des lois ; et voilà la matière des pamphlets de Courier, aussi mesquins en leur sens que les tracasseries mêmes auxquelles ils doivent leur naissance. […] Nous retrouverons bientôt Guizot, qui fournissait au maréchal de Gouvion Saint-Cyr le beau discours sur la loi militaire de 1818. […] Discours du 17 mai 1820, sur la loi électorale. […] Discours à propos de la loi sur la presse (janvier 1820) : c’est, je crois, la plus belle composition de Royer-Collard.

321. (1892) Boileau « Chapitre IV. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » » pp. 89-120

Car l’imagination est chose essentiellement subjective et variable : elle ne reçoit loi ni mesure ; c’est l’ennemie de la raison, dont l’objet est l’universel. […] Elle a pour objet les lois et les types, les rapports essentiels et les caractères spécifiques. […] Tout fait contient sa loi : mais nul ne s’en doute jusqu’au jour où quelque savant s’avise le premier de la formuler ; quoi de plus neuf, et quoi de plus ancien, que cette loi, contemporaine de l’univers, et qui n’avait point trouvé encore d’intelligence pour la contempler ? […] Car, si l’imitation de la nature, et de la nature qu’aperçoivent et reflètent tous les esprits, est la loi souveraine, il semble bien que l’œuvre d’art doive avoir ces deux caractères : objectivité et impersonnalité. […] Cette déformation de la réalité par la sensation, cette expansion du moi qui se répand sur les choses, ce sont des phénomènes naturels et généraux qui ont leurs lois, leurs causes et leurs signes permanents.

322. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre III : Examen de la doctrine de Tocqueville »

Les lois communes se seraient mieux fait sentir, lorsque les différences auraient été bien accusées. […] En droit, la société est maîtresse d’elle-même ; nul n’est exclu du droit social, par conséquent de la souveraineté, et quelque distance que la sagesse conseille d’établir entre la théorie et la pratique, c’est une loi des sociétés qui s’éclairent de faire une part de plus en plus grande, suivant les circonstances, à la souveraineté populaire. […] Guizot au Père Lacordaire, les preuves vivantes et les heureux témoins du sublime progrès qui s’est accompli parmi nous dans l’intelligence et le respect de la justice, de la conscience, des droits, des lois divines, si longtemps méconnues, qui règlent les devoirs mutuels des hommes, quand il s’agit de Dieu et de la foi en Dieu. […] Si l’on cherche maintenant à quelle conclusion la méthode précédente a conduit M. de Tocqueville, on verra qu’en dehors des vues particulières, qui sont très-nombreuses dans ses écrits, il a mis en pleine lumière cette loi aperçue par quelques auteurs, mais que nul n’avait encore développée comme lui. […] Il est digne de la démocratie qui se croit, à raison, je l’espère, la loi future de l’humanité, d’éviter les écueils où ont échoué Athènes et Florence.

323. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre III : La science — Chapitre I : De la méthode en général »

La révolution française a été une expérience tentée pour construire un état conformément aux lois de la raison. […] On sait que c’est en laissant tomber par terre un minéral, qui se brisa, que l’abbé Haüy découvrit la propriété du clivage chez les minéraux, d’où il déduisit toutes les lois de la cristallographie. […] Regnault a démontré que la loi de Mariotte n’est applicable à la dilatation des gaz que jusqu’à un certain degré : Mariotte s’était arrêté trop tôt. […] Un enfant voit osciller une lampe ou tomber une pomme : c’est un jeu pour ses sens et pour son imagination ; pour un Galilée, pour un Newton, ces deux phénomènes ne sont que les signes des lois générales et universelles. […] Cet esprit qui dans le phénomène aperçoit la loi, et dans le particulier le général, ne serait-il lui-même qu’un phénomène particulier, ou, ce qui serait plus étrange encore, la rencontre fortuite de phénomènes accidentels ?

324. (1890) L’avenir de la science « Préface »

Le français ne veut exprimer que des choses claires ; or les lois les plus importantes, celles qui tiennent aux transformations de la vie, ne sont pas claires : on les voit dans une sorte de demi-jour. […] Une école où les écoliers feraient la loi serait une triste école. […] Le processus de la civilisation est reconnu dans ses lois générales. […] M. de Bismarck, qui s’était annoncé comme devant l’arrêter en cinq ans au moyen de ses lois répressives, s’est évidemment trompé, au moins cette fois. […] La France, qui a marché la première dans la voie de l’esprit nationaliste, sera, selon la loi commune, la première à réagir contre le mouvement qu’elle a provoqué.

325. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 4, de l’art ou de la musique poëtique, de la mélopée. Qu’il y avoit une mélopée qui n’étoit pas un chant musical, quoiqu’elle s’écrivît en notes » pp. 54-83

Son nom de nomique ou de legale lui aura été donné, parce qu’on s’en servoit principalement dans la publication des loix, et nomos signifie une loi en langue grecque. Le ton sur lequel la melopée haute ou la nomique composoit, étoit d’ailleurs très-propre à faire entendre plus distinctement, et par plus de monde le crieur public, lorsqu’il recitoit une loi. […] On voit par exemple dans Plutarque que lorsque Philippe, roi de Macedoine, et le pere d’Alexandre Le Grand, voulut après avoir défait les atheniens à Cheronée, tourner en ridicule la loi qu’ils avoient publiée contre lui, il recita sur le champ même de la bataille, le commencement de cette loi, et qu’il la recita comme une déclamation mesurée et assujetie. " or Philippe (c’est Plutarque qui parle,) aïant gagné la bataille, … etc. […] Priscien un autre grammairien latin, et qui vivoit à la fin du cinquiéme siecle, dit dans son traité des accens ; que l’accent est la loi, qu’il est la regle certaine qui enseigne comment il faut relever ou abaisser la voix dans la prononciation de chaque sillabe.

326. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXII. Des panégyriques latins de Théodose ; d’Ausone, panégyriste de Gratien. »

Cette idée, comme on voit, tenait à l’ancien préjugé romain, qui mettait de la gloire dans le suicide ; erreur justement condamnée aujourd’hui par la religion et par les lois. […] La religion chrétienne changea ces idées ; elle enchaîna l’homme, qui rentra tout entier dans la dépendance des lois. […] Enfin, il publia cette loi célèbre, par laquelle il défend aux juges de punir les paroles qui n’attaquent que lui. « Si l’accusé, dit-il, a parlé par légèreté, il faut le mépriser ; si c’est par folie, il faut le plaindre ; si c’est pour nous faire outrage, il faut lui pardonner. » Cette loi paraît être l’ouvrage de la grandeur d’âme et de l’humanité unies ensemble.

327. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre IV. De la méthode » pp. 81-92

Quoique ce monde ait été créé particulièrement et dans le temps, les lois qu’elle lui a données, n’en sont pas moins universelles et éternelles. […] C’est pourquoi le genre de preuve sur lequel nous nous appuyons principalement, c’est que, telles lois étant établies par la Providence, la destinée des nations a dû, doit et devra suivre le cours indiqué par la Science nouvelle, quand même des mondes infinis en nombre naîtraient pendant l’éternité ; hypothèse indubitablement fausse. […] Ainsi la Science nouvelle procède précisément comme la géométrie, qui crée et contemple en même temps le monde idéal des grandeurs ; mais la Science nouvelle a d’autant plus de réalité que les lois qui régissent les affaires humaines en ont plus que les points, les lignes, les superficies et les figures. […] Cette justice intérieure, fut pratiquée par les Hébreux que le vrai Dieu éclairait de sa lumière, et auxquels sa loi défendait jusqu’aux pensées injustes, chose dont les législateurs mortels ne s’étaient jamais embarrassés.

328. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (3e partie) » pp. 5-79

La société, même actuelle, ne renvoie pas à l’arracheur de dents une jeune et jolie fille qui porte son enfant au seuil d’un hospice, et qui, en acceptant la honte pour elle, mendie auprès des lois pour l’innocente créature. […] La publicité du dépôt est un attentat à la pudeur, le désespoir inscrit à perpétuité sur l’enfant, oui ; mais enfin le dépôt existe, la loi ne l’a pas encore osé supprimer. […] Les tentatives d’évasion de Jean Valjean, successives et obstinées, suffiraient à prouver cet étrange travail fait par la loi sur l’âme humaine. […] Âmes tombées au fond de l’infortune possible, malheureux hommes perdus au plus bas de ces limbes où l’on ne regarde plus, les réprouvés de la loi sentent peser de tout son poids sur leur tête cette société humaine, si formidable pour qui est dehors, si effroyable pour qui est dessous. […] Océan où tombe tout ce que laisse tomber la loi !

329. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre II. Le rôle de la morale » pp. 28-80

Lui aussi admet l’harmonie naturelle, et qu’elle va se réaliser, pourvu seulement qu’on ne l’entrave pas par des règlements, des lois, de la contrainte. […] Au reste, de quelque ordre et de quelque nature que soit le changement que l’on rêve, c’est là une loi générale. […] Mais, au fond, les deux sont identiques. « Fais cela, je te l’ordonne… si tu désobéis, la prison… si tu es sage les emplois, la fortune, les honneurs, … si tu n’obéis pas, tu es un mauvais citoyen…, il faut obéir à la loi parce que c’est la loi. » Elle est dans son rôle et dans son droit. […] En tant que je subis votre influence, en tant que je suis vôtre, je me conformerai à vos lois. […] Il faut que l’individu accepte la loi et le coupable sa peine.

330. (1903) Le problème de l’avenir latin

Sa « race » est la race élue pour distribuer la vérité et la beauté au monde, pour promulguer les lois suprêmes, les « lois non écrites ». […] Certaines lois fixes président aux décadences. […] Cette loi peut sembler à première vue brutale et injuste. […] J’estime cette loi profondément morale, au sens cosmique. […] C’est la loi universelle du monde.

331. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juillet 1886. »

Toutes vont à cette fin par un progrès continu, dont j’ai naguère noté les lois dominantes. L’art musical, recréant la vie des émotions, devait obéir à ces lois : par elles il fut régi, dans la succession historique de ses aspects et de ses caractères. La première loi de l’art est le réalisme : au monde de la réalité habituelle doivent être pris les éléments de la réalité artistique. […] La musique, art postérieur, et plus constamment modifié dans ses langages, a subi moins vivement l’influence de cette loi. […] Les mêmes émotions furent recréées dans le même langage, par les musiciens ultérieurs : modifié seulement par les lois naturelles qui avaient modifié les âmes.

332. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XIII] »

Il ne trouva de ressource que dans la pieuse générosité de saint Jean Chrysostome, qu’il avait souvent maltraité, et dans l’asile sacré des autels, qu’il s’était efforcé d’abolir par diverses lois, et où il se réfugia dans son malheur. […] » Mais, disent quelques personnes dures et impitoyables, qui même nous savent mauvais gré de lui avoir ouvert l’asile de l’Église, n’est-ce pas cet homme-là qui en a été le plus cruel ennemi, et qui a fermé cet asile sacré par diverses lois ? […] » Vous dites avec indignation qu’il a fermé cet asile par diverses lois. […] Et cet homme, prosterné au pied des autels, et exposé en spectacle à tout l’univers, ne vient-il pas lui-même abroger ses lois, et en reconnaître l’injustice ? […] Ils diront, par exemple, que telles lois sont sagement établies en raison inverse du carré des distances ; que telle puissance, prête à former une alliance avec une autre, se sent attirer à elle par l’effet de l’attraction, et que bientôt les deux nations seront assimilées.

333. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome III pp. 5-336

Mais il n’en est pas absolument ainsi : les lois du bon goût en poésie sont positives, il est vrai, mais elles ne sont point nettement posées. […] Virgile a conçu et exécuté son Énéide, ainsi que Valérius Flaccus son Argonautique, d’après l’observation des mêmes lois. […] Les règles se déduisent du beau créé par le génie : nous ne risquons rien de convertir en loi l’exemple de l’Arioste. […] Aussi crierait-on justement au blasphème, si le rapprochement que je fais de la composition latine et de la française ne s’arrêtait à ce qui concerne la loi de l’unité. […] Oui, comme la liberté souillée par la licence était la loi dans le sénat de la terreur.

334. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IV. De la philosophie et de l’éloquence des Grecs » pp. 120-134

Platon, cet écrivain si brillant d’imagination, revient sans cesse à une métaphysique bizarre du monde, de l’homme et de l’amour, où les lois physiques de l’univers et la vérité des sentiments ne sont jamais observées. […] Les anciens, et surtout Aristote, ont été presque aussi forts que les modernes sur de certaines parties de la politique ; mais cette exception à l’invariable loi de la progression, tient uniquement à la liberté républicaine dont les Grecs ont joui, et que les modernes n’ont pas connue. […] Ils ne blâment ni n’approuvent ; ils transmettent les vérités morales comme les faits physiques, les beaux discours comme les mauvaises actions, les bonnes lois comme les volontés tyranniques, sans analyser ni les caractères, ni les principes. […] Est-ce la destinée d’une courtisane qui peut prouver le rang que les lois et les mœurs accordent aux femmes dans un pays ?

335. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Barthélemy Saint-Hilaire »

C’est un de ces travaux métis d’Académie qui ont leur loi, leur genre, leur convention, leur physionomie collective, la pire des physionomies ! […] Mahomet n’en descend pas, à un jour donné, comme Moïse, les Tables de la Loi à la main. […] Sait-il bien exactement quel genre d’obstacles ont empêché les Arabes, avant et depuis l’Islam, d’être régénérés par une loi qui, humainement même, en laissant là le côté surnaturel de cette loi, était infiniment supérieure à celle qu’apportait Mahomet ?

336. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — L’arbitrage et l’élite »

Se sont-ils réunis en Parlement pour voter des lois ? Nullement, l’histoire nous enseigne qu’un juge a été institué pour décider entre eux, suivant l’équité d’abord, puis la coutume, et enfin la loi écrite, qui a été le produit d’une civilisation déjà formée. […] On la trouve pour la première fois chez nous, en 1888, avec un caractère général est permanent, dans un traité avec l’Équateur… Le 9 juillet 1884, une Union était constituée entre onze États pour la protection de la propriété industrielle ; deux ans après à Berne, dix grands États d’Europe organisaient l’Union internationale pour la propriété littéraire et artistique, avec un bureau commun, chaque État assurant, par ses lois et ses tribunaux intérieurs, la répression des infractions. […] La convention postale de Berne de 1874, complétée et améliorée dans des conférences postérieures, crée une Union postale universelle constituant un véritable code ; en cas de litige entre deux pays, un arbitrage international décide… Si l’on ajoute à ces grands traités l’immense quantité de conventions relatives à l’hygiène publique, à l’extradition des criminels, aux relations commerciales, à la faillite, aux successions, aux abordages, à la situation juridique des étrangers, aux monnaies, aux poids et mesures, et qu’on considère les mille difficultés que provoque leur exécution, on est obligé de reconnaître que le monde entier enserré dans les liens innombrables qu’ont tressés sur lui les relations chaque jour plus étendues des peuples, forme lui-même un vaste État, où le droit existe, où la loi s’impose, et qui réclame impérieusement une juridiction commune pour ses intérêts communs. » ‌ Ajoutons à cette brève nomenclature, un exemple tout récent et fort typique.

337. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXV. Des éloges des gens de lettres et des savants. De quelques auteurs du seizième siècle qui en ont écrit parmi nous. »

Des jurisconsultes comme Baudouin, Duaren et Hotman, commentateurs de ces lois romaines, si nécessaires à des peuples barbares qui commençaient à étudier des mots, et n’avaient point de lois ; d’Argentré, d’une des plus anciennes maisons de Bretagne, et auteur d’un excellent ouvrage sur la coutume de sa province ; Tiraqueau, qui eut près de trente enfants, et composa près de trente volumes ; Pierre Pithou, qui défendit contre Rome les libertés de l’église de France, qui devraient être celles de toutes les églises ; Bodin, auteur d’un livre que Montesquieu n’a pas fait oublier ; enfin, Cujas et Dumoulin, tous deux persécutés, et tous deux hommes de génie, dont l’un a saisi dans toute son étendue le véritable esprit des lois de Rome, et l’autre a trouvé un fil dans le labyrinthe immense de nos coutumes barbares. […] Enfin des hommes qui honoraient de grandes places par de grandes lumières, tels que le cardinal d’Ossat et le président Brisson ; et ce Harlay, intrépide soutien des lois parmi les crimes79 ; et ce L’Hôpital, poète, jurisconsulte, législateur et grand homme, qui empêcha en France le fléau de l’inquisition, qui parlait d’humanité à Catherine de Médicis, et d’amour des peuples à Charles IX ; qui fut exclu du conseil, parce qu’il combattait l’injustice ; qui sacrifia sa dignité, parce qu’il ne pouvait plus être utile ; qui, à la Saint-Barthélemi, vit presque les poignards des assassins levés sur lui, et à qui d’autres satellites étant venus annoncer que la cour lui pardonnait : « Je ne croyais pas, dit-il d’un air calme, avoir rien fait dans ma vie qui méritât un pardon. » Voilà les noms les plus célèbres que l’on trouve dans les éloges de Sainte-Marthe.

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