Les richesses de l’imagination, les graces de l’esprit, la délicatesse du sentiment, la vivacité de l’expression, qui brillent dans les Productions de sa jeunesse, sont la plus foible partie de sa gloire.
Son Epître à Racine, celle à M. le Cardinal de Bernis, & la plupart de ses autres Pieces fugitives, annoncent de l’esprit, de l’imagination, & le talent de rendre, d’une maniere naturelle, & de revêtir d’une versification douce & variée, les différentes affections du cœur & de l’esprit.
Une imagination aussi vive & aussi brillante que celle de M. le Chevalier de Boufflers, n’auroit pas dû s’abaisser jusqu’à embellir le langage du vice ; elle est assez riche de son propre fonds, pour se faire admirer dans d’autres sujets.
Ces Contes, faits pour amuser des enfans, ne laissent pas d’être lus avec avidité, parce que tous les hommes s’enflamment aisément pour le merveilleux, & que la fécondité qui caractérise l’imagination arabesque, y a répandu certains traits capables de flatter un moment les esprits.
Il faut néanmoins avouer que l’Auteur a su y répandre des traits d’esprit, de la morale, & quelques saillies d’une imagination pleine d’enjouement.
Doué d’une sensibilité vive & touchante, d’une imagination brillante & féconde, nourri de la lecture des Ecrivains les plus substantiels, il n’a besoin, pour cet effet, que de mettre plus de liaison dans ses idées, communément nobles & élevées, plus de naturel dans son style, souvent énergique & élégant, mais surchargé de figures parasites, de métaphores recherchées, qui le rendent quelquefois emphatique & boursoufflé.
Il auroit une maniere d’écrire agréable, pour peu qu’il eût réglé son imagination, & réprimé la manie de dire les choses tout autrement qu’il ne les sentoit.
On a réimprimé, depuis peu, un de ses Romans, intitulé, les Lutins de Kernosi, où l’esprit, l’imagination & les graces du style se disputent l’avantage de plaire au Lecteur.
Ceux qui se plaindroient qu'on ait prodigué tant d'esprit & d'imagination sur un sujet aussi mince que la Vie des Comédiens, ne savent peut-être pas que l'arme du ridicule étoit déjà nécessaire du temps de Scarron, pour corriger l'extravagance & abattre l'orgueil de ces Messieurs.
Cette lecture, plus ou moins fidèlement rapportée, excita les imaginations au-dehors, et il y eut une sorte de concours malicieux sur le sujet qu’on supposait être celui d’Olivier m. […] Le reste n’est que l’ouvrage d’un homme d’esprit qui se fatigue à combiner et à lier des paradoxes d’analyse piquants et imprévus, auxquels il donne des noms d’hommes ; mais les personnages n’ont point pris véritablement naissance dans son imagination ou dans son cœur, et ils ne vivent pas. […] Cette lecture, mal rapportée, excita les imaginations au-dehors, et il y eut une sorte de concours malicieux sur le sujet qu’on supposait faussement être celui d’Olivier.
Ses livres préférés, c’était Commynes, c’était Thucydide ; et si, à l’article de la mort, la pensée du jugement dernier n’avait tant préoccupé et offusqué son imagination espagnole et sombre ; s’il avait pu, lui aussi, rêver son rêve de Champs Élysées, c’est avec ces politiques consommés et parfaits qu’il eût aimé à se figurer la rencontre et les entretiens d’au-delà. […] Mais d’autre part, depuis qu’on a pu lire les lettres nombreuses écrites en ce même temps par les personnes de l’entourage de Charles-Quint, les consultations à lui adressées sur toutes les affaires politiques de l’Europe et les réponses, on a un double jour ouvert sur la pensée du grand solitaire ; il n’a plus été possible de dire avec Robertson : « Les pensées et les vues ambitieuses qui l’avaient si longtemps occupé et agité étaient entièrement effacées de son esprit ; loin de reprendre aucune part aux événements politiques de l’Europe, il n’avait pas même la curiosité de s’en informer. » Et sans faire de lui le moins du monde un ambitieux qui se repent, ni sans accuser les bons moines d’avoir falsifié la vérité parce qu’ils en ont ignoré la moitié, on est arrivé à voir le Charles-Quint réel, naturel, non légendaire, partagé entre les soins qu’il devait encore au monde et à sa famille, traité et considéré par elle comme une sorte d’empereur consultant, et en même temps catholique fervent, Espagnol dévot et sombre, tourné d’imagination et en esprit de pénitence aux visions de purgatoire ou d’enfer, et aux perspectives funèbres. […] Charles-Quint qui, vu du côté de la politique, nous paraît jusqu’à la fin si prudent, si ferme de conseil, si sain d’esprit, si occupé d’autres choses encore que d’horloges, si attentif aux affaires du dehors et voué aux intérêts de sa race et de sa maison, ce même homme, vu du, côté, des moines, paraissait à ceux-ci tout pénitent, tout mortifié, tout appliqué à la fin suprême, et il n’y avait pas hypocrisie à lui dans ce double rôle ; il unissait bien réellement dans son âme profonde et son imagination mélancolique ces deux manières d’être si contraires.
mais frappez-y à toutes les délicatesses, et vous me réjouirez. » La maladie de 1834 agit sur cette imagination de femme ; l’esprit aussi a ses modes. […] Ce livre dispose l’imagination d’une certaine façon, pour la désoler ensuite selon la fantaisie de l’auteur, — grand artiste, mais pauvre philosophe ! […] » Malheureuse Marie, belle, spirituelle, aimée, qui a eu trop d’esprit seulement, qui a trop craint la vulgarité, qui n’a pas compris que l’imagination ne consiste pas à rêver l’impossible, et que son plus sublime effort est de trouver « la poésie de la réalité » ; âme malade des préjugés de l’éducation et du faux idéal qui flottait dans l’air à cette époque ; une de ces femmes qui, avec toutes leurs délicatesses, ont des sécheresses soudaines qui froissent les cœurs délicats, et à laquelle enfin, pour tout reproche, Michel, en se séparant, a pu dire : « Marie, vous manquez de simplicité !
Je livre aux admirateurs-connaisseurs de Shakespeare son explication particulière de ce génie et de la faculté maîtresse qu’il lui reconnaît, « l’imagination ou la passion pure ». […] Il a l’esprit lucide et l’imagination limitée. […] Encore une fois, revenons au vrai, et à ce vrai littéraire qui n’oublie jamais l’humanité, et qui implique une sorte de sympathie pour tout ce qui en est digne ; si nous sommes justes pour l’ex-chaudronnier Bunyan qui, dans ses visions fanatiques, a fait preuve de force et d’imagination, n’écrasons point d’autre part cette gentille et spirituelle créature, cette quintessence d’âme, cette goutte de vif esprit dans du coton, Pope.
Chez lui, l’imagination et le sentiment entrent volontiers en scène et finissent bientôt par l’emporter : il y a un moment où il laisse la méthode exacte et où il s’abandonne à l’enthousiasme. […] L’imagination se retourne ; on a beau lui barrer et lui interdire le chemin, il lui repousse aussitôt des ailes pour revoler à ses chimères. […] Jeunes, la poésie nous ravit ; les Étoiles de Lamartine, ces fleurs du ciel dont le lis est jaloux , suffisent à peine à symboliser nos imaginations, nos visions d’amour et de tendresse : à l’âge où le sang se refroidit dans les veines, il est doux, d’une douceur sévère, de connaître par leurs noms, d’épeler quelques-uns des astres qui roulent sur nos têtes, de distinguer ceux qui errent véritablement de ceux qui sont fixes par rapport à nous, de s’orienter, de se démêler à travers les cercles brillants ou les traînées lumineuses, de soupçonner dans ces abîmes d’en haut, dans ces profondeurs étincelantes où nous sommes plongés, tout ce qui peut se produire à l’infini d’étranger à nous, de différent de nous ; de ramener nos passions, nos désirs, nos gloires à ce qu’elles sont, de se dire le peu qu’on est, mais de sentir aussi que ce peu a réfléchi un moment, la puissance créatrice universelle, éternelle, — l’infini presque ou du moins l’incommensurable et l’immense24.
Presque tous sont hommes d’imagination et d’expansive charité. […] Car ils lui empruntaient sa fragile apologétique sans le grand souffle qui la soutenait (en l’air), ses bizarreries de style sans sa prestigieuse imagination, toute sa manière enfin sans s’apercevoir qu’ils n’avaient ni ses dons originaux ni surtout son public. […] En ce temps-là, il me semble qu’il y avait, autour des catholiques pratiquants, un grand nombre d’hommes qui avaient au moins l’imagination chrétienne et un fonds de religiosité, des esprits souffrant de leur doute, enclins aux vastes spéculations, tourmentés par ce qu’on est convenu d’appeler les grands problèmes.
Voici une de ses meilleures phrases, une des vingt qui paraîtront belles à la lecture sommeillante d’un voyageur de sleeping-car : « Comme les conquérants qui agrandissent leurs conquêtes par l’imagination, il faisait du présent victorieux le piédestal d’un avenir de gloire. » Il n’est pas besoin d’un psychologue profond (Paul Bourget lui-même suffirait à la tâche) pour remarquer qu’aux yeux d’un jeune ambitieux l’avenir n’est pas une statue précise, mais une succession de degrés qu’une lumière de féerie soulève l’un après l’autre et où monte un vertige joyeux. Et cette faute de pensée (on est bien obligé d’accorder aux quantités négatives les noms des quantités positives) est aggravée d’une faute d’imagination. […] De l’imagination ?
Parmi ces orateurs de la chaire moderne, dont quelques-uns, dont l’un du moins (M. de Ravignan) pourrait lutter avec lui de chaleur vraie, de sympathie et d’onction, il n’en est aucun qui, par la hardiesse des vues et l’essor des idées, par la nouveauté et souvent le bonheur de l’expression, par la vivacité et l’imprévu des mouvements, par l’éclat et l’ardeur de la parole, par l’imagination et même la poésie qui s’y mêlent, puisse se comparer au père Lacordaire. […] Son imagination trop forte rapproche des faits qui diffèrent, que mille circonstances séparent et distinguent ; elle les rassemble à son foyer comme sous un verre ardent, jusqu’à ce qu’il y ait flamme. […] Cette connaissance du siècle et de ses faiblesses lui ménage de faciles alliances avec l’imagination et le cœur de son jeune public.
Perrault, comme Desmarets de Saint-Sorlin et comme d’autres adversaires de Boileau, pensait que la religion chrétienne est de nature à prêter à la poésie, et qu’elle fournit même son vrai fonds à l’imagination moderne. […] Si j’osais revenir, à propos de ces contes d’enfants, à la grosse querelle des anciens et des modernes, je dirais que Perrault a fourni là un argument contre lui-même, car ce fonds d’imagination merveilleuse et enfantine appartient nécessairement à un âge ancien et très antérieur ; on n’inventerait plus aujourd’hui de ces choses, si elles n’avaient été imaginées dès longtemps ; elles n’auraient pas cours, si elles n’avaient été accueillies et crues bien avant nous. […] Il y a donc un âge pour certaines fictions et certaines crédulités heureuses, et, si la science du genre humain s’accroît incessamment, son imagination ne fleurit pas de même.
Supposez-moi de retour d’un voyage d’Italie, et l’imagination pleine des chefs-d’œuvre que la peinture ancienne a produits dans cette contrée. […] Convenez donc que ce modèle est purement idéal, et qu’il n’est emprunté directement d’aucune image individuelle de nature dont la copie vous soit restée dans l’imagination, et que vous puissiez appeller derechef, arrêter sous vos yeux et recopier servilement, à moins que vous ne veuillez vous faire portraitiste. […] Je vous déclare que s’ils avoient possédé le modèle idéal, la ligne vraie dans leur imagination, ils n’auroient trouvé aucune partie qui les eût contentés à la rigueur.
Fragments d’abord, publiés en 1818, il donnèrent assez de jouissances inattendues à l’imagination contemporaine pour qu’elle ressentit soudainement l’amour d’un livre qui faisait si largement immerger la vie dans l’histoire, et pour qu’elle désirât ardemment connaître l’ensemble et l’effet intégral de cette vaste fresque, comme l’a dit si heureusement M. […] Il y a donc une autre cause des succès de Saint Simon que l’enlèvement, par le talent, de l’imagination charmée ou par l’intérêt d’un récit qu’avant lui personne n’avait su faire encore, et qu’après lui personne n’oserait recommencer. […] V On ne saurait donc trop prévenir l’imagination qu’il enlève par un talent de premier ordre, ce duc de Saint-Simon.
) Nul n’a remarqué cette visite quasi muette, sans bruit, insignifiante, mais elle ouvre à l’imagination de ces communiants le chemin de leur village et le chemin du ciel. […] Au cantonnement, les cérémonies du culte se développent plus à l’aise dans leur variété, messes, saluts, sermons ; tout cela bien beau, secourable aux croyants, à tous les gens d’imagination. […] Des dunes du Nord aux Vosges, partout, leur imagination dresse les deux montagnes saintes, celle des Oliviers, qui est la montagne de la résignation où l’on dit : « Non ma volonté, mais la vôtre », et celle du Calvaire, qui est la montagne du sacrifice, où l’on dit : « Je remets mon esprit entre vos mains. » Pour les chrétiens, chaque jour de nos tranchées renouvelle la passion du Christ.
« Il avait, dit-il lui-même, une pente naturelle vers les choses d’observation intérieure »… Il suivait « une lumière intérieure, un esprit de vérité qui luit dans les profondeurs de l’âme et dirige l’homme méditatif appelé à visiter ces galeries souterraines… Cette lumière n’est pas faite pour le monde, car elle n’est appropriée ni au sens externe ni à l’imagination ; elle s’éclipse ou s’éteint même tout à fait devant cette autre espèce de clarté des sensations et des images ; clarté vive et souvent trompeuse qui s’évanouit à son tour en présence de l’esprit de vérité. » Ainsi occupé, et ses regards concentrés sur lui-même, il avait fini, comme les philosophes indiens, par isoler et constituer à part, du moins à ses propres yeux, son être intérieur et sa volonté active. […] Voyons la seconde obscurité : « Si la collection de tous les modes, de toutes les qualités sensibles étant brisée par l’abstraction, la substance imaginaire n’est plus rien ou n’a plus qu’une valeur nominale, la substance abstraite du mode dans ce point de vue intellectuel conserve encore la réalité qui lui appartient, à l’exclusion de toutes les apparences sensibles qui n’existent qu’en elle et par elle. » Je traduis : « Enlevez toutes les qualités sensibles de cette pierre, la couleur, la dureté, l’étendue, la porosité, la pesanteur, etc., et essayez de concevoir la substance intime : par l’imagination vous ne le pouvez, car la substance n’a rien de sensible ; par la raison vous le pouvez, car la substance est indépendante de ces qualités et leur survit. » L’idée est fausse, mais qu’importe ? […] Lorsqu’on a de l’imagination comme M. de Biran et les scolastiques, on suppose que cette force est quelque chose « d’ineffable, d’immatériel, d’hyperorganique, qui sort du premier fait, ainsi qu’un fluide subtil, et va s’infiltrer dans le second, s’y appliquer, le tirer, le pousser », y créer des modifications et des formes nouvelles.
Le paradoxe est dans les faits et non dans l’imagination de celui qui les observe et qui les note. […] Le vrai ne suffit pas à l’imagination qui naît : il faut le merveilleux. […] L’imagination n’irait pas chercher ces choses navrantes qui valent par leur seule vérité comme le plâtre moulé sur la face d’une morte. […] Un frais souffle venu de la Grèce traversa les imaginations, l’on respira avec délices ces fleurs au parfum enivrant qui auraient trompé les abeilles de l’Hymette. […] L’imagination du poëte transforme tout et sait mettre sur le ventre d’une cruche vulgaire la paillette lumineuse de l’idéal.
Il est inutile de troubler les imaginations. […] L’imagination des assassins est généralement faible. […] Un homme est d’autant plus sensible que son imagination est plus vive. […] Les peuples sans imagination sont très peu sensibles, et, en conséquence, ils sont très cruels. […] L’imagination fait que, nous autres, nous la sentons mille fois contre lui une seule.
Le Temple du Silence, où il seroit à souhaiter que les trois quarts des Auteurs modernes allassent faire un peu de séjour, est un Roman où l’imagination, la philosophie, l’élégance, se disputent l’avantage de captiver & d’amuser le Lecteur.
L’Abbé de Boisrobert étoit en effet d’une société très-agréable ; il avoit le caractere gai, & l’imagination pleine de saillies.
C’est le fruit d’une raison lumineuse qui sait se revêtir de toutes les richesses de l’imagination, & employer, quand il le faut, les armes de la plaisanterie & du ridicule.
Les Littérateurs qui ne se laissent point aller au torrent de la mode & du Bel-esprit, y trouveront cependant des morceaux qui, du côté de la force & de l’imagination, sont infiniment supérieurs aux morceaux prétendus choisis dans nos anciens Poëtes, qui figurent dans tant de Recueils.
On s’attend bien qu’il ne faut pas y chercher le feu de l’imagination & l’agrément du style, comme dans des Productions purement littéraires.
On doit s’attendre, après cela, à ne pas trouver, dans ses Ouvrages, ce caractere d’exactitude & de perfection que le temps seul peut donner aux Productions de l’esprit ; mais on ne peut lui refuser de la netteté, de la méthode, une lecture immense, quelquefois une imagination vive, jointe à un style léger, mais souvent incorrect.
C’est que l’esprit raisonneur, en détruisant l’imagination, sape les fondements des beaux-arts.
De la cosmographie poétique Les poètes théologiens, ayant pris pour principes de leur physique les êtres divinisés par leur imagination, se firent une cosmographie en harmonie avec cette physique.
Encore une fois, je ne fais ici que de la littérature ; je laisse à la vie intérieure ses secrets, qui sont, à vrai dire, les secrets de Dieu ; mais je crois respecter cette barrière en disant que ce n’est point avec la seule imagination qu’on fait de semblables découvertes, à moins que le cœur, ce que je crois volontiers, n’ait aussi son imagination. […] L’intelligence a pour condition la sympathie, et le siège de la sympathie est ailleurs que dans l’imagination. […] Effort de l’imagination, qu’on a pris pour un élan du cœur. […] Que vous jugerez téméraires et coupables ces jeux d’imagination, ces badinages sur les attributs, les desseins, les mystères de votre Créateur ! […] L’imagination se fatigue d’autant plus vite de ces contrastes qu’ils l’ont d’abord plus vivement frappée.
Mais cette infinité du monde qui nous déborde, qui toutes nos dépasse conceptions, n’est flottante que pour notre imagination ; en réalité, la nécessité universelle se fait sentir à nous comme une pression infinie. […] La puissance même de son imagination le projette toujours hors de lui, dans le monde entier, et il en résulte une conséquence qu’on n’a pas assez remarquée : c’est que, par cela même qu’il est plus imaginatif, plus objectif, il est aussi au fond plus métaphysicien. […] Que les objets grandissent dans les imaginations des hommes comme les rochers dans les brouillards, à mesure qu’ils s’éloignent224. » Napoléon d’une part, la Révolution de l’autre, étaient deux types épiques, l’un individuel, l’autre collectif, qui devaient s’imposer naturellement à l’imagination d’un poète, mais ces deux types grandirent dans son cerveau, à mesure que son génie même grandissait ; et cette sorte de croissance invincible a fini par produire des images gigantesques et déformées, en dehors de toute réalité. […] On a comparé Hugo à une force de la nature, en raison de sa puissance d’imagination ; mais c’était plutôt encore une force de l’humanité. […] Cette « critique scientifique » rappelle les expérimentations scientifiques que Zola fait dans son imagination.
Supposer une épopée contemporaine des événements, c’est se méprendre encore sur la psychologie populaire, sur l’imagination qui n’embellit qu’à distance, par une lente élaboration de légendes4. […] Certes, l’imagination livrée à elle-même nous égare ; et pourtant, sans elle, le passé est mort ; guidée par les faits, elle est nécessaire à l’histoire. […] Jusque dans Cinna et Polyeucte on trouve du pur roman ; les nombreuses tragédies de la décadence, et les comédies, montrent mieux encore le fond romanesque de l’imagination de Corneille. — Mais le sublime ? […] Musset absolument à part ; il a l’imagination, le sentiment, la psychologie, le dialogue, la force (dans Lorenzaccio), et toujours la vérité dans la fantaisie ; mais on sait qu’il écrivit ces comédies sans penser à la scène, pour être imprimées, et que son premier succès est de 1847. […] Nous marchons à une révolution dont nul ne saurait prévoir la forme ; à ceux qui sont hantés par la Révolution française, la réalité donnera sans doute un démenti ; l’histoire a une variété de formes qui dépasse notre pauvre imagination ; nous y voyons triompher le christianisme par le sang des martyrs, la Renaissance sans violence, la Révolution par la guillotine ; elle trouvera autre chose encore, et à plus d’une reprise.